Guerric d'Igny

Guerric d'Igny, abbé cistercien du XIIe siècle, est une figure emblématique de la spiritualité monastique du Moyen Âge. Né en France au début du XIIe siècle, il entre dans l'ordre cistercien et devient le deuxième abbé de l'abbaye d'Igny, dans le diocèse de Laon, en 1157.

Disciple de Saint Bernard de Clairvaux, Guerric a contribué à l'expansion et au rayonnement de l'ordre cistercien, connu pour sa rigueur monastique et son retour aux sources de la Règle de Saint Benoît. Sous son abbatiat, l'abbaye d'Igny devient un centre important de spiritualité et d'érudition.

Guerric est surtout connu pour ses sermons, qui ont été largement diffusés et lus dans les communautés cisterciennes et au-delà. Ses écrits reflètent une profonde compréhension des Écritures et une grande sensibilité spirituelle, mettant l'accent sur l'amour de Dieu, la méditation et la quête intérieure de la sainteté.

Ses enseignements, à la fois pratiques et mystiques, ont eu une influence significative sur la spiritualité chrétienne et continuent d'être étudiés et appréciés pour leur richesse théologique et leur profondeur contemplative.

Guerric d'Igny est décédé en 1157 et est vénéré comme un saint dans l'Église catholique. Sa fête est célébrée le 19 août.

Commentaires de Guerric d'Igny

Bien des gens ont été stupéfaits du triomphe glorieux remporté par Jésus lorsqu'il fit son entrée à Jérusalem, alors que peu après il montra dans sa passion un visage sans gloire et humilié.

Si l'on considère en même temps la procession d'aujourd'hui et la passion, on voit Jésus, d'un côté sublime et glorieux, de l'autre humble et misérable. Car dans la procession il reçoit des honneurs royaux, et dans la passion on le voit châtié comme un bandit. Ici, la gloire et l'honneur l'environnent, là il n'a ni apparence ni beauté (cf. Is 53,2). Ici, c'est la joie des hommes et la fierté du peuple; là, c'est la honte des hommes et le mépris du peuple (cf. Ps 21,7). Ici, on l'acclame: Hosanna au fils de David. Béni soit le roi d'Israël qui vient (cf. Mc 11,10). Là, on hurle qu'il mérite la mort et on se moque de lui parce qu'il s'est fait roi d'Israël. Ici, on accourt vers lui avec des palmes; là, ils le soufflettent au visage avec leurs paumes, et l'on frappe sa tête à coups de roseau. Ici, on le comble d'éloges; là, il est rassasié d'injures. Ici, on se dispute pour joncher sa route avec le vêtement des autres; là, on le dépouille de ses propres vêtements. Ici, on le reçoit dans Jérusalem comme le roi juste et le Sauveur; là, il est chassé de Jérusalem comme un criminel et un imposteur. Ici, il est monté sur un âne, assailli d'hommages; là, il est pendu au bois de la croix, déchiré par les fouets, transpercé de plaies et abandonné par les siens.

Si nous voulons, mes frères, suivre notre chef sans trébucher à travers la prospérité comme à travers l'adversité, contemplons-le mis en honneur dans cette procession, soum is aux outrages et aux souffrances dans sa passion, mais gardant une âme immuable dans un tel bouleversement.

Seigneur Jésus, c'est toi, joie et salut de tous, que tous bénissent de leurs voeux, qu'ils te voient monté sur l'âne ou suspendu à la croix. Que tous puissent te voir régnant sur ton trône royal et te louent pour les siècles des siècles. A toi louange et honneur pour tous les siècles des siècles.

Voici le Roi qui vient, accourons au-devant de notre Sauveur (texte liturgique). Salomon a fort bien dit: Le messager d'une bonne nouvelle venant d'un pays lointain, c'est de l'eau fraîche pour l'âme assoiffée (Pr 25,25). Oui, c'est un bon messager celui qui annonce l'avènement du Sauveur, la réconciliation du monde, les biens du siècle à venir. Qu'ils sont beaux, les pas de ceux qui annoncent la paix, qui annoncent la bonne nouvelle (Is 52,7).

De tels messagers sont une eau rafraîchissante et une boisson de sagesse salutaire pour l'âme assoiffée de Dieu. En vérité, celui qui lui annonce l'arrivée du Seigneur ou ses autres mystères lui donne à boire les eaux puisées dans la joie aux sources du Sauveur (Is 12,3). Aussi, à celui qui lui porte cette annonce, que ce soit Isaïe ou n'importe quel prophète, cette âme répond, semble-t-il, avec les paroles d'Elisabeth, parce qu'elle était abreuvée au même Esprit: Et comment m'est-il donné que mon Seigneur vienne à moi? Car lorsque la voix de ton annonciation est venue à mes oreilles, mon esprit a bondi de joie (cf. Lc 1,43-44) en moi-même, dans l'enthousiasme d'aller à la rencontre de Dieu son Sauveur.

Que notre esprit exulte donc d'une vive allégresse, qu'il accoure au-devant de son Sauveur, qu'il adore et salue celui qui vient de si loin, en l'acclamant par ces paroles: "Viens donc Seigneur," sauve-moi et je serai sauvé (Jr 17,14). Car c'est toi que nous avons attendu. Sois notre salut au temps de la calamité (Is 33,2). C'est ainsi que les prophètes et les justes allaient, avec tant de désir et d'amour, à la rencontre du Christ qui devait venir, en désirant, si c'était possible, voir de leurs yeux ce que, par avance, ils voyaient en esprit.

Nous attendons le jour anniversaire de la Nativité du Christ, dont on nous annonce que nous le verrons bientôt. Et l'Écriture semble exiger de nous une joie telle que l'esprit, s'élevant au-dessus de lui-même, s'empresse d'accourir au-devant du Christ qui vient; il se porte en avant par le désir, il s'efforce, sans tolérer aucun retard, de voir déjà ce qui est encore à venir.

Personnellement, je pense en effet que ce n'est pas seulement à propos du second avènement, mais déjà à propos du premier que tant de textes de l'Écriture nous pressent d'accourir à sa rencontre. Comment cela? demandez-vous. Voici: de même que nous accourrons au-devant du second avènement par un élan et une exultation de notre corps, de même devrons-nous accourir à la rencontre du premier par l'amour et l'exultation de notre coeur.

Or, selon le mérite et le zèle de chacun, cet avènement du Seigneur est plus ou moins fréquent pendant le temps qui s'écoule entre le premier avènement et le dernier; il nous rend conformes au premier et nous prépare au dernier. Certes, il vient en nous maintenant pour que le premier ne l'ait pas fait venir en vain, et que lors du dernier avènement il ne vienne pas en étant irrité contre nous.

En cet avènement-ci, il s'efforce de réformer notre esprit plein d'orgueil en le rendant conforme à cet esprit d'humilité qu'il a montré dans sa première venue, afin de pouvoir transformer pareillement nos pauvres corps à l'image de son corps glorieux (Ph 3,21), celui qu'il nous montrera quand il reviendra une seconde fois.

Donc puisque le premier avènement est celui de la grâce, le dernier, celui de la gloire, l'avènement présent est à la fois celui de la grâce et de la gloire; c'est-à-dire qu'il nous permet, par les consolations de la grâce, de goûter déjà d'une certaine façon la gloire future. Qu'ils sont heureux ceux dont l'ardente charité a déjà mérité de recevoir ce privilège!

Pour nous, mes frères, qui n'avons pas encore la consolation d'une expérience aussi élevée, pour que nous demeurions patients jusqu'à l'avènement du Seigneur, ayons, en attendant, la consolation d'une foi solide et d'une conscience pure qui nous permettra de dire, avec autant de félicité que de fidélité, comme saint Paul: Je sais en qui j'ai mis ma foi, et je suis sûr qu'il est assez puissant pour garder mon dépôt jusqu'à ce jour-là, c'est-à-dire jusqu'à l'avènement de gloire de Jésus Christ, notre grand Dieu et Sauveur (2Tm 1,12 Tt 2,13), à qui appartient la gloire pour les siècles des siècles. Amen.

Tenant aujourd'hui en main un cierge allumé, qui donc ne se rappellerait le vénérable vieillard qui reçut aujourd'hui dans ses bras le Verbe demeurant dans la chair comme la lumière sur la cire? Il a déclaré que Jésus était la lumière venue pour éclairer les nations païennes (Lc 2,32).

Syméon, c'est certain, était aussi une lampe allumée et brillante qui rendait témoignage à la lumière. Rempli de l'Esprit et poussé par l'Esprit, il était venu au Temple pour accueillir ton amour, ô mon Dieu, au milieu de ton Temple (cf. ps 47,10), pour proclamer que Jésus est cet amour et la lumière de ton peuple.

Voici donc, mes frères, entre les mains de Syméon, le cierge allumé. Vous aussi, allumez à ce luminaire vos cierges, je veux dire ces lampes que le Seigneur vous ordonne de tenir dans vos mains (cf. Lc 12,35). Approchez-vous de lui et soyez illuminés, de manière à être vous-mêmes plus que des porteurs de lampe, des lumières qui brillent au-dedans et au-dehors pour vous et pour votre prochain.

Qu'il y ait donc une lampe dans votre coeur, une dans votre main, une dans votre bouche! Que la lampe dans votre coeur brille pour vous-même, que la lampe dans votre main et dans votre bouche brille pour votre prochain! La lampe dans votre coeur est la dévotion inspirée par la foi; la lampe dans votre main, l'exemple des bonnes oeuvres; la lampe dans votre bouche, la parole qui édifie. Car nous ne devons pas nous contenter d'être des lumières aux yeux des hommes grâce à nos actes et nos paroles, mais il nous faut encore briller devant les anges par notre prière et devant Dieu par notre intention. Notre lampe devant les anges, c'est la pure piété qui nous fait chanter avec recueillement ou prier avec ferveur en leur présence. Notre lampe devant Dieu, c'est la résolution sincère de plaire uniquement à celui devant qui nous avons trouvé grâce.

Afin donc d'allumer toutes ces lampes pour vous, laissez-vous illuminer, mes frères, en vous approchant de la source de la lumière, je veux dire Jésus qui brille entre les mains de Syméon. Il veut, assurément, éclairer votre foi, faire resplendir vos oeuvres, vous inspirer les mots à dire aux hommes, remplir de ferveur votre prière et purifier votre intention.

En vérité, quand la lampe de cette vie s'éteindra, vous qui aviez tant de lampes allumées au-dedans, vous verrez la lumière de la vie qui ne s'éteindra pas se lever et monter, le soir, comme la splendeur de midi. Et tandis que vous croirez que tout est fini pour vous, vous vous lèverez, comme l'étoile du matin, et votre obscurité sera comme la lumière de midi (Is 58,10). Le soleil, il est vrai, ne sera plus là pour vous éclairer durant le jour, ni la lune éclatante pour vous envoyer sa lumière, mais le Seigneur sera votre lumière éternelle. Car le luminaire de la nouvelle Jérusalem, c'est l'Agneau. A lui louange et gloire pour les siècles des siècles. Amen.

Vous vous êtes réunis, mes frères, pour entendre la parole de Dieu. Mais Dieu nous a préparé quelque chose de meilleur: il nous est donné aujourd'hui non seulement d'entendre, mais aussi de voir le Verbe de Dieu, pourvu seulement que nous allions jusqu'à Bethléem pour voir cette parole que Dieu a réalisée et qu'il nous a montrée (cf. Lc 2,15).

Dieu savait bien que les sens de l'homme sont incapables de saisir l'invisible, rebelles aux enseignements célestes et réfractaires à la foi, à moins que la réalité même exposée par la foi ne soit elle-même présentée visiblement à nos sens pour les convaincre. Car s'il est vrai que la foi naît de ce qu'on entend (Rm 10,17), elle naît bien plus facilement et plus vite de ce qu'on voit, comme nous l'apprend l'exemple de celui qui s'entend dire: Parce que tu m'as vu, tu crois (Jn 20,29), toi qui étais incrédule à l'égard de ce que tu avais entendu.

Cependant Dieu, voulant condescendre à notre lourdeur, a aujourd'hui rendu visible pour nous son Verbe, qu'il avait d'abord rendu audible. Il l'a même rendu palpable, au point que certains d'entre nous ont pu dire: Ce qui était depuis le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons contemplé de nos yeux, ce que nous avons vu et que nos mains ont touché, c'est le Verbe, la Parole de vie (1Jn 1,1).

Ce fut depuis le commencement de cette éternité qui n'a pas de commencement. Nous l'avons entendu quand il fut promis au commencement du temps, nous l'avons vu et touché quand il s'est montré à la fin des temps.

Cette parole qui vient de Dieu, j'ai parfois remarqué, mes frères, qu'on l'écoute avec ennui. Pourtant, la Parole qui vient de Dieu, peut-on la voir sans éprouver de la joie? Je serai le premier à me condamner, parce que le Verbe qui est Dieu, lorsqu'il se présente à moi aujourd'hui tel que je suis, s'il ne me réjouit pas, je suis un impie; s'il ne m'édifie pas, je suis un réprouvé.

S'il se trouve donc parmi nous un frère qui souffre de langueur spirituelle, je ne veux pas que ses oreilles se fatiguent plus longtemps à écouter ma parole méprisable. Qu'il se rende jusqu'à Bethléem, et que là il contemple celui que les anges désirent contempler (cf. 1P 1,12), qu'il contemple le Verbe que le Seigneur nous a montré (cf. Lc 2,15). Qu'il se représente en esprit en quel état la Parole de Dieu, vivante et énergique (He 4,12), est couchée là, dans une mangeoire.

Parole sûre et qui mérite d'être accueillie sans réserve (1Tm 1,15): ta Parole toute-puissante, Seigneur, qui dans une telle profondeur de silence, venant de ton trône royal bondit (Sg 18,14-15) jusque dans les crèches des animaux, elle nous parle mieux, pour l'instant, par son silence. Celui qui a des oreilles, qu'il entende (Mt 11,15) ce que nous dit ce saint et mystérieux silence du Verbe éternel; parce que, si mon oreille ne me trompe, entre autres choses qu'il dit, il parle de paix au peuple des saints et des fidèles (Ps 84,9), à qui le respect et l'exemple qu'il donne ont imposé un silence religieux.

Père, quand j'étais avec eux... (Jn 17,11-12). Le Seigneur a prononcé cette prière la veille de sa passion, mais il n'est pas absurde de l'appliquer au jour de l'Ascension, c'est-à-dire au moment où il allait s'éloigner définitivement de ses petits enfants, qu'il recommandait à son Père. Car celui qui dans les cieux a créé la multitude des anges, qui les enseigne et les gouverne, s'était attaché sur la terre un petit troupeau (Lc 12,32) de disciples qu'il formerait par sa présence dans la chair jusqu'à ce que, leur connaissance ayant quelque peu progressé, ils soient devenus capables de recevoir l'enseignement de l'Esprit Saint.

Dans sa grandeur, il aimait ces petits d'un grand amour. En effet, il les avait détachés de l'amour du monde et il voyait que, leur ayant fait abandonner toute espérance d'ici-bas, ses disciples dépendraient uniquement de lui. Cependant, aussi longtemps qu'il voulut vivre avec eux corporellement, il ne leur donna pas facilement de nombreuses marques d'affection, se montrant envers eux plutôt grave que tendre, comme il convenait à un maître et à un père. Mais lorsqu'arriva le moment de les quitter, il sembla comme vaincu par sa tendre affection pour eux, et il ne put leur dissimuler l'immensité de sa douceur, qu'il leur avait cachée jusque-là.

C'est ainsi que, comme il avait aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu'au bout (Jn 13,1). Alors, en effet, il répandit sur ses amis presque toute l'immensité de son amour, avant que lui-même se répandît comme de l'eau (Ps 21,15) pour eux. Alors il leur remit le sacrement de son corps et de son sang, et il leur prescrivit de le célébrer. Je ne sais ce qui est plus étonnant, de sa puissance ou de son amour! Pour les consoler de son départ, il inventait ce nouveau mode de présence: ainsi, tout en s'éloignant d'eux quant à la présence visible de son corps, il serait non seulement avec eux, mais aussi en eux par la vertu de ce sacrement.

Alors, levant les yeux au ciel, il les recommanda à son Père, en parlant ainsi: Père, quand j'étais avec eux, je les gardais dans la fidélité à ton nom, et aucun ne s'est perdu, sauf celui qui s'en va à sa perte. Maintenant je viens à toi. Garde-les dans la fidélité à ton nom que tu m'as donné. Je ne te demande pas que tu les retires du monde, mais que tu les gardes du Mauvais (cf. Jn 17,12-13.11.15).

L'ensemble de cette prière tient en trois points, où l'on trouve l'essentiel du salut. Qu'ils soient préservés du mal et sanctifiés dans la vérité, afin qu'ils soient glorifiés avec lui, Jésus. Père, dit-il, ceux que tu m'as donnés, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi, et qu'ils contemplent ma gloire (Jn 17,24).

Heureux disciples, qui ont pour juge leur avocat en personne, et pour intercesseur celui qu'on doit adorer au même titre que le Père auquel il adresse sa prière. Ce Père avec qui le Christ n'a qu'une seule volonté et une seule puissance, car Dieu est unique (Mc 12,32). Toute prière du Christ doit nécessairement s'accomplir, car sa parole est puissance, et sa volonté efficacité. Pour toutes les choses qui existent, il parla, et ce qu'il dit exista; il commanda, et ce qu'il dit survint (Ps 32,9). Je veux, dit-il, que là où je suis, eux aussi soient avec moi. Quelle sécurité pour ceux qui ont la foi! Car cette sécurité ne fut pas seulement offerte aux Apôtres, et à ceux qui furent disciples en même temps qu'eux, mais à tous ceux qui, par leur parole, croiraient au Verbe de Dieu. Je ne prie pas seulement pour ceux qui sont là, dit-il, mais encore pour ceux qui accueilleront leur parole et croiront en moi (Jn 17,20).

Mon Père, ceux que tu m'as donnés, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi, et qu'ils contemplent ma gloire (Jn 17,24).

Heureux disciples qui ont pour avocat leur juge même et dont l'intercesseur doit être adoré au même titre que le Père qu'il prie. Le Père ne rejettera pas le souhait de ses lèvres (Ps 20,3). Jésus a avec celui-ci une seule volonté et une seule puissance, parce que Dieu est unique (Mc 12,32). Toute prière du Christ doit s'accomplir, car sa parole est puissante et sa volonté efficace. Toutes choses existent parce qu'Il a parlé, et elles ont été faites, il a ordonné, et elles ont existé (Ps 32,9).

Il dit: Je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi. Quelle sécurité pour ceux qui ont la foi, quelle confiance pour les croyants, si toutefois ils ne rejettent pas la grâce qu'ils ont reçue! Car ce n'est pas seulement aux Apôtres et à ceux qui furent disciples avec eux que cette sécurité est offerte, mais à tous ceux qui, grâce à leur parole, croiront au Verbe de Dieu. Je ne prie pas seulement, dit-il, pour ceux qui sont là, mais encore pour ceux qui accueilleront leur parole et croiront en moi (Jn 17,20).

De plus, mes frères, Il vous a été donné, comme dit l'Apôtre, non seulement de croire en lui mais encore de souffrir pour lui (Ph 1,29). Il va de soi que la foi en la promesse du Christ ne vous rend pas plus négligents à cause de l'assurance qu'elle vous donne. Mais la joie qu'elle vous donne vous rendant plus fervents, elle vous fait gagner la couronne d'un martyre continuel dans le combat que vous menez chaque jour contre les vices. Martyre continuel, mais facil e, facile et pourtant sublime. Facile puisque rien ne nous est ordonné qui soit au-dessus de nos forces. Sublime, puisqu'on y triomphe de toute la puissance de l'homme fort et bien armé (Lc 11,21).

N'est-il pas facile de porter le doux fardeau du Christ? N'est-ce pas une chose sublime que d'occuper un rang élevé dans son Royaume? Quoi de plus facile, je vous le demande, que de porter des ailes portant celui qui les porte? Quoi de plus sublime que de s'envoler plus haut que tous les cieux, là où le Christ est monté?

Mais à quoi pensons-nous, mes frères? Comment celui qui n'aura pas appris ici-bas à voler chaque jour, par l'exercice et par l'expérience, pourra-t-il alors s'élever soudain de terre et s'envoler vers les cieux?

D'aucuns volent par la contemplation; toi, vole au moins par l'amour. Paul est ravi en esprit et s'envole jusqu'au troisième ciel. Jean parvient au Verbe qui était au commencement (Jn 1,1). Toi, du moins, ne traîne pas par terre une âme indigne, et ne souffre pas que ton coeur enfoui dans l'indolence pourrisse en terre. Le grand prêtre qui, aujourd'hui, est entré dans le sanctuaire, nous ayant acquis une rédemption éternelle (He 9,12), et se tient maintenant en présence de Dieu où il intercède pour nous, te crie: "Élevons notre coeur". Réponds-lui avec foi: "Nous le tournons vers le Seigneur."

Si même tu as parfois cherché non les réalités d'en-haut mais celles de la terre (Col 3,1.2), adresse-toi des reproches sans plus attendre et dis au Seigneur, avec le prophète: Qu'y a-t-il donc pour moi dans le ciel, et qu'ai-je voulu sur la terre, loin de toi (Ps 72,25)? Hélas, comme je me suis misérablement trompé! Ce qui m'est réservé dans le ciel est si grand, et je le méprisais! Ce qui est sur la terre est un tel néant, et je le désirais tant!

Ainsi, le Christ, ton trésor, est monté au ciel: que là aussi soit ton coeur! C'est de là que tu tires ton origine, c'est là que tu as ta part et ton héritage, c'est de là que tu attends le Sauveur.