Louis-Claude Fillion

Louis-Claude Fillion était un érudit et théologien catholique français du XIXe et début du XXe siècle. Né le 19 novembre 1843 et décédé le 10 mars 1927, il est surtout connu pour ses contributions significatives à la recherche biblique et à l'exégèse.

Fillion a été un membre éminent de la communauté religieuse de Saint-Sulpice et a longtemps enseigné à son séminaire à Paris. Il est particulièrement reconnu pour son "Commentaire sur la Sainte Bible", qui fut une œuvre de référence pour l'étude et la compréhension des Écritures dans le monde catholique.

Ses travaux comprennent également des études sur les textes bibliques, l'histoire de l'Église et la vie des saints. Fillion a cherché à harmoniser la recherche historique et archéologique avec l'interprétation théologique traditionnelle, apportant une perspective équilibrée et érudite à l'étude de la Bible.

Ses écrits ont été appréciés pour leur clarté, leur précision et leur fidélité à la tradition catholique, et ils continuent d'être une ressource précieuse pour les étudiants en théologie et les chercheurs en études bibliques.

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Alors... Septième et dernière circonstance de ce petit drame. S. Jean pénètre à son tour dans la chambre sépulcrale (cette fois l’autre est omis à tort par la Vulgate. Cf. vv. 2, 4). - Il vit : il put constater à son tour les faits exposés dans les vv. 6 et 7. - Et il crut. Il crut que Jésus était vraiment ressuscité (S. Jean Chrysost., Euthymius, et la plupart des commentateurs), car il avait trois preuves indiscutables : la pierre descellée, le tombeau vide, les linges mortuaires soigneusement mis à part. Selon d'autres, la croyance de S. Jean aurait porté sur le caractère messianique du Sauveur (Cf. 19, 35) ; ou même simplement, suivant une troisième opinion qui affaiblit singulièrement la pensée, sur la vérité de la nouvelle annoncée par Marie-Madeleine, v. 2 (S. Augustin, Théophylacte, Erasme, Jansénius, etc). - Après de longues années le narrateur se souvenait très vivement encore de cet instant décisif. Plusieurs interprètes ont supposé que l'emploi du singulier (il crut) exclut positivement S. Pierre, car, dit l'un d'eux (Tolet, h. l.), « Si Pierre avait cru alors, Jean ne se serait certes pas rendu à lui seul le témoignage de la foi » et ils ajoutent que le contexte confirme leur hypothèse, puisque, aux vv. 9 et 10, nous retrouvons les deux apôtres associés de nouveau, après cette formule qui semblait momentanément les séparer. Mais il est mieux de dire que S. Jean, en parlant comme il l'a fait, ne songeait nullement à nier le caractère immédiat de la foi de S. Pierre ; il laisse un instant son ami à l'arrière-plan, pour insister davantage sur ses impressions personnelles, sur son expérience intime, et pour raconter à quelle occasion sa foi en Jésus était devenue parfaite. Cf. Luc. 24, 12, où l'on nous montre S. Pierre, s'en retournant du tombeau : « Il s’en retourna chez lui, tout étonné de ce qui était arrivé » ; or « ses réflexions n'étaient point des pensées de doute, c'était une méditation pleine de foi sur un phénomène surprenant et mystérieux ». Schegg, h. l.

Car ils ne savaient pas encore. S. Jean, avec une candeur touchante, va indiquer d'un mot pourquoi la foi des disciples n'avait pas été plus prompte et plus complète. - D’après l'Écriture. En particulier les passages suivants : Ps. 15, 10 ; 109, 1-4 ; Is. 53, 10. « L'union entre l'Ancien Testament et le Nouveau est si intime, que la vraie foi au Nouveau a pour base la connaissance de l'Ancien ; et il existe un effet rétroactif également si intime, que l'Ancien Testament ne peut être compris qu'à la lumière du Nouveau ». Schegg, h.l. - Qu’il fallait... Cf. Luc. 24, 26. C'était une nécessité d'après les divins conseils. Combien de fois le plan de Dieu relativement à son Christ a été signalé par les évangélistes, surtout vers la fin de la vie de Jésus ! - Qu'il ressuscitât d'entre les morts. Plusieurs fois durant sa vie publique, N.-S. Jésus-Christ avait prédit aux apôtres sa passion et sa résurrection. Cf. 10, 17 ; Matth. 16, 21 ; 17, 21-22 ; 20, 18-19 ; 26, 31-32, etc. Mais beaucoup de choses ne devinrent claires pour eux qu'après qu'elles eurent été accomplies. Cf. 2, 22 et le commentaire. Ils n'eurent que plus tard, après la résurrection et la Pentecôte, la science et l'intelligence complètes des saintes Écritures. Cf. Luc. 24, 27, 46 et ss. ; Act. 1, 3 ; 2, 24 et ss. ; 13, 32-37. Rien de plus instructif que ces détails, car ils renversent la fameuse théorie des mythes évangéliques. « Ce ne fut point par la connaissance que le Christ devait ressusciter d'entre les morts, connaissance antérieurement puisée dans l’Écriture, que l'on en vint à attendre ce miracle ; mais l'évidence même de la résurrection amena les disciples à comprendre ce que l’Écriture enseignait à ce sujet », Edersheim, The Life and Times of Jesus, t. 2, p. 632.

Convaincus maintenant par leur expérience personnelle de la réalité de la résurrection, et rien ne les retenant auprès du sépulcre, les deux apôtres s'en retournent « chez eux », dans leur maison.

Cependant Marie : petite transition qui nous remet sous les yeux l'héroïne du récit qui va suivre (v. 1-2). - Se tenait dehors est pittoresque. On voit Marie debout à l'entrée du sépulcre, clouée là, pour ainsi dire, par son affection et sa douleur ; car, même mort comme elle le croit, Jésus est tout pour elle. Son retour n'a pas été mentionné par le narrateur ; elle avait suivi les deux apôtres à quelque distance : la scène se passa aussitôt après leur départ. - Pleurant : à haute voix, comme l'exprime le grec. Marie s'abandonne librement à sa douleur. - Et tout en pleurant... Cette tournure semble marquer que la situation se prolongea quelque peu. - Elle se baissa, comme S. Jean, v. 5. - Et regarda dans le tombeau, comme S. Pierre, v. 6. Elle veut se rendre un compte plus exact de ce qui s'est passé dans l'intérieur du tombeau.

Et elle vit : encore le verbe de la contemplation silencieuse et attentive. La description est des plus vivantes. - Deux anges. Le tombeau s'est peuplé tout à coup. Les quatre évangiles associent les anges au mystère de la résurrection. Voyez notre Synopsis evangelica, p. 132-134. C'est le seul endroit où S. Jean nous les montre de fait, quoiqu'il les ait plusieurs fois mentionnés antérieurement. Cf. 1, 52 ; 5, 4 ; 12, 29. - Vêtus de blanc : le costume des deux anges consistait en longs vêtements blancs. Cf. Apoc. 3, 4-5. - Assis désigne leur attitude générale ; l'un à la tête, et l'autre aux pieds, leur attitude spéciale. Ils étaient là comme les chérubins au-dessus du propitiatoire (Ps. 25, 22; 1 Reg. 4, 4), ou mieux encore, comme les gardiens du S. Sépulcre.

Ils lui dirent... Remarquez l'extrême simplicité du langage, qui fait si bien ressortir la solennelle majesté de la scène (Westcott) ; jusqu'au v. 19, nous ne trouverons aucune de ces particules aimées des Grecs pour relier les différentes propositions. - Femme, pourquoi pleures-tu ? Expressions de sympathie et de consolation. - Elle leur dit. Marie semble ne pas prendre ses interlocuteurs pour des anges ; elle les traite comme des hommes ordinaires. Ou plutôt, elle est si profondément émue, si absorbée par la disparition du corps sacré et le désir de le retrouver, que le merveilleux même cesse de l'étonner ; elle s’inquiète à peine de ceux auxquels elle s'adresse. - Parce qu'ils ont enlevé mon Seigneur... C'est, à part des modifications légères, la même réponse qu'au v. 2. Jésus est « son » Seigneur à elle ; par une sainte et vive affection elle se l'est en quelque sorte approprié. - Et que je ne sais pas : le singulier cette fois au lieu du pluriel, car elle est seule actuellement. Voyez le v. 2 et la note.

Ayant dit cela... Ce qui suit eut lieu immédiatement après la réponse de Marie ; elle agit comme si elle ne tenait en rien à poursuivre un entretien qui paraissait ne lui être d'aucun secours dans ses recherches. « Elle ne prête pas attention à ce qui est dit dans le sépulcre. C’est Jésus qu’elle cherche », Bengel, l. c. - Elle se retourna. Détail très graphique. Le mouvement de Marie-Madeleine fut-il un simple effet du hasard ? ou bien, se retournait-elle instinctivement pour voir si elle découvrirait Jésus ? avait-elle le sentiment intime de sa présence ? quelque bruit s'était-il fait entendre ? Toutes ces suppositions ont été faites, sans qu'il soit possible de dire laquelle est la meilleure. Au dire de S. Jean Chrysostome et de ses abréviateurs accoutumés, Théophylacte et Euthymius, les deux anges, au moment de la soudaine apparition de Notre-Seigneur, auraient témoigné leur admiration par leurs gestes et leurs regards ; ce qui aurait excité Marie à se retourner. Opinion plus gracieuse que vraisemblable. - Et vit Jésus debout. Les moindres circonstances continuent d'être notées ; on devine de qui S. Jean les avait apprises. - Mais elle ne savait pas que c’était Jésus. Elle était si troublée, disent les uns, et s'attendait si peu à voir N.-S. Jésus-Christ, qu'elle ne le reconnut point de prime-abord. Il est préférable de supposer, avec la majorité des interprètes, que l'apparence extérieure de Jésus était transfigurée par sa glorieuse résurrection ; ou encore, qu'il ne voulait pas être reconnu au premier instant. Cf. 21, 4 ; Marc, 16, 12, et surtout Luc. 24, 16 : « Mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître ».

Femme, pourquoi pleures-tu ? Marie n'avait pas cessé de sangloter. Après ces premières paroles, identiques à celles des anges, v.13, Jésus ajoute : Qui cherches-tu ? Il attirait ainsi l'attention de Madeleine, en lui montrant qu'il connaissait la cause de son chagrin. - Pensant que c'était le jardinier... Non que Jésus eut pris en cette occasion l'apparence extérieure d'un jardinier, comme l'ont dit quelques exégètes et comme l'ont supposé tant de peintres ; mais Marie, voyant un personnage inconnu, dans le jardin à une heure si matinale (Cf. 19, 41), supposa naturellement que c'était le jardinier de Joseph d'Arimathie. - Seigneur : terme de politesse qu'on adresse même à un inférieur, quand on veut utiliser ses services de quelque manière. « Le mot Seigneur n'avait donc pas, dans son idée, le même sens, quand elle disait : « On a enlevé mon Seigneur », que lorsqu'elle disait : « Seigneur, si tu l'as enlevé » S. Augustin, Traités sur S. Jean, 121, 2. Seigneur se prête en effet à des applications bien différentes. - Si c’est toi (avec emphase) qui l’as enlevé. Marie-Madeleine s'en tient toujours à sa première hypothèse : pour elle, la disparition du corps de Jésus ne peut être que le résultat d'un enlèvement. Sa manière de désigner le Sauveur est remarquable (Cf v. 7) ; elle emploie pour cela un simple pronom, supposant que celui qui remplit sa pensée occupe également celle des autres. « Elle ne le nomme pas ; parce qu'elle croit que tout le monde connaît quel est celui qui ne peut sortir un seul instant de son cœur ». S. Bernard, Cantique des cantiques, sermon 7, 8. Que ce trait est naturel et délicat ! - Dis-moi où tu l'as mis... Le langage de Marie est plein de politesse et d'affabilité ; elle voudrait tant gagner sa cause ! - Et je l'emporterai. Elle ne réfléchit pas que ce serait une tâche bien au dessus de ses forces ; mais l’affection, et toute cette scène déborde d'affection, ne calcule et ne mesure pas.

Jésus lui dit : Marie (Mαριαμ ; c'est presque la forme hébraïque Miriam, םירמ ). Le terme général « femme », v. 15, n'avait rien dit au cœur de Marie ; son nom, doucement prononcé, lui va droit au cœur, et la tirera de son état abstrait. - Elle se retourna. Ne recevant d'abord pas de réponse, elle s'était retournée du côté du sépulcre (Cf. v. 14) ; car c'est au propre et non au figuré qu'il faut prendre cette expression (Patrizi : « Cela vient de la stupeur qui l’oppressait… revenant à elle-même » ; rien ne justifie un pareil sens). - Et lui dit. Les manuscrits א, B, D, L, O, X, Δ, Π, etc., les versions copte, syr., italique, etc., ajoutent : « en hébreu », sans doute d'une manière conforme au texte primitif. On peut déduire de ce trait la preuve historique que N.- S. Jésus-Christ et les siens parlaient entre eux habituellement l'hébreu, la langue principale et nationale du pays. - Rabbouni (dans le grec, ραββουνι) : « mon Maître ». On ne trouve qu'ici et Marc 10, 51 (voyez le commentaire), cet augmentatif de Rabbi. Marie, dans sa vive émotion, ne peut prononcer que cette parole ; mais on y lit toute son âme, avec ses sentiments de foi, d'amour, de douce joie, que la vue de Jésus-Christ faisait déborder. Son seul nom, prononcé avec la familiarité accoutumée du bon Maître, avait donc été pour elle une complète révélation. Et en effet, comme on l'a dit, la mémoire des sons est la plus tenace de toutes, et l'on reconnaît plus promptement et plus sûrement quelqu'un à sa voix, lorsqu'il lui donne une certaine expression, qu'au jeu de sa physionomie. Un nom peut devenir, et c'était bien le cas alors, « un souvenir, une histoire, une vie » (Le Camus, La vie de N.-S. Jésus-Christ, t. 2, p. 603). - La phrase « et s’approcha pour le toucher », qu'on lit dans plusieurs manuscrits grecs et latins à la fin du v. 16, est certainement apocryphe.

Jésus lui dit... Cette parole de Jésus est assez obscure et difficile à expliquer ; elle a constamment embarrassé les exégètes (S. Cyrille en faisait déjà l'aveu), et occasionné bien des interprétations contradictoires. Comme d'ordinaire, les plus impatients ont tranché la difficulté à la façon d'un nœud gordien, en admettant une erreur de copiste à propos des mots ne me touche pas ; ils proposent de lire, sans que rien n'autorise une pareille hypothèse : « touche-moi » ; ou bien : « toi, touche-moi » ; ou enfin : « ne crains pas ». Nous n'entrerons pas, ce qui ne serait d'ailleurs ni intéressant ni profitable, dans le détail de toutes les interprétations qui touchent le fond même de cette phrase mystérieuse ; il suffira de citer les principales, parmi lesquelles nous ferons notre choix motivé. - D'abord, il ressort du texte même, que Marie-Madeleine, dès qu'elle eut reconnu Jésus, se jeta aussitôt à ses pieds et qu'elle voulait les tenir embrassés, adorant son Maître ressuscité, se livrant « à toute la joie de l'âme qui reprend possession d'un trésor perdu ». Le Camus, La Vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ, t. 2, p. 603. Rien de plus naturel, au point de vue psychologique. Cf. Luc. 7, 36 et ss., pour la pécheresse qui ne diffère probablement pas de Madeleine, et Matth. 28, 9, pour les autres saintes femmes. Il serait peu naturel, au contraire, de supposer que ce geste de Marie avait pour objet la solution d'un doute : avait-elle vraiment Jésus devant elle ou un simple fantôme (Grotius, etc.)? Le « Rabbouni » prononcé avec tant de foi et d'énergie a renversé d'avance cette supposition. - Il faut encore noter que le sens exact du verbe n'est pas seulement « toucher », mais « s’attacher à, adhérer à quelqu’un » (Cf. Grimm, Lexicon, s. v.) ; ce qui suppose que Marie voulait goûter à son aise les charmes de la divine présence du Sauveur. Et voici que Jésus s'y oppose, qu'il calme d'un mot affectueux, mais énergique, ce saint enthousiasme ! Pourquoi donc, puisqu'il accorda à d'autres ce privilège dans le cours de la même journée ? « nous lisons que des femmes mêmes ont touché Jésus ressuscité, même avant qu'il fût monté vers son Père ; de ce nombre était Marie-Madeleine elle-même ; car Matthieu nous dit que « Jésus se présenta devant elles, et leur dit : « Je vous salue ». Alors, elles s'approchèrent et embrassèrent ses pieds, et l'adorèrent (Matth. 24, 9). » S. Augustin, Traités sur S. Jean, 121 n. 3. Voyez aussi Luc. 24, 39 ; Joan. 20, 27. Les rationalistes ont répondu à cette question par d'étranges conjectures, qu'il est bon de mentionner en passant, afin que personne n'ignore la faiblesse de leur système général, qu'ils ne peuvent appuyer que sur de pareilles preuves. Permettre ce contact eût été contre le décorum (Meyer) ; Jésus était devenu légalement impur par sa mort (von Ammon) ; les blessures que lui avaient faites les clous étaient encore très douloureuses (Paulus) ; il était encore tout spirituel et il ne devait reprendre un corps matériel qu'après son ascension (Weisse) ; ses membres de ressuscité étaient dans un état de transformation, et tellement délicats que tout brusque mouvement aurait pu les léser (Schleiermacher) ; Jésus devait immédiatement remonter auprès de son Père et il ne voulait pas qu'on le retardât (Baur) ; etc., etc. ! Voyez J.-P. Lange, Das Evang. nach Johannes, 3e édit., p. 403. Le contexte (je ne suis pas encore monté...) nous met sur la voie de la véritable explication ; car Jésus lui-même indique, par l’emploi de la particule car, qu'il y a une connexion intime entre le « Ne me touche pas » et les paroles suivantes : celles-ci motivent celles-là. Nous trouvons trois grandes interprétations basées sur ce juste principe. 1° D'après S. Jean Chrysostome, Théodoret, Théophylacte, Euthymius, Érasme, Jansénius, Tolet, etc., Notre-Seigneur aurait interdit à Marie de le toucher, parce que sa chair, désormais glorieuse, ne comportait plus de telles marques de familiarité. « Ne me touche pas comme tu avais coutume de le faire auparavant, car je ne suis pas ressuscité pour vivre familièrement et convivialement avec vous comme autrefois. Si je me manifeste à toi présentement, ce n’est pas parce que j’ai l’intention de demeurer ici avec toi, mais c’est à cause de votre foi et pour votre consolation que le fais ». Tolet, h. l. Ce sentiment nous paraît un peu forcé. L'acte de Marie n'était-il pas plein de respect ? 2° Suarez (In III p. D. Thom., disp. 49, lect. 3), Cornelius a Lap., Maldonat, Patrizi, Bisping, Reischl, donnent un commentaire extrêmement simple, mais qui pourrait bien être, ainsi que s'exprime Jansénius, « plus plausible que vrai », sans compter qu'il n'a aucun représentant parmi les anciens interprètes. Voici quelle serait la pensée de Jésus suivant ces auteurs : Tu as tout le temps de me témoigner ton affection ; car je ne suis pas encore sur le point de remonter au ciel, et j'ai même plus d'un jour à passer sur la terre. Par conséquent, « Tu auras suffisamment de temps pour me toucher souvent avant que je remonte vers mon Père. Ne me touche pas maintenant, ne t’accroche pas à mes pieds, mais va vite vers mes frères » (Maldonat). 3° Une troisième opinion, qu'adoptent beaucoup d'exégètes contemporains, et vers laquelle nous nous sentons porté après l'avoir trouvée de prime-abord assez spécieuse, s'appuie sur le passage suivant de S. Augustin, Traités sur S. Jean, 26, 3 : « A ton avis, je ne suis que ce que tu me vois ; ne me touche pas… Le Christ se laisse toucher par tous ceux qui le touchent bien, sachant qu’il monte au ciel, qu’il demeure en son Père, et qu’il lui soit égal »; et davantage encore sur une parole antérieure de N.-S. Jésus-Christ, 16, 16 « Vous me verrez, parce que je m'en vais auprès du Père ». Le divin Maître supposait alors que pour opérer une union complète entre lui et ses disciples après sa mort, la résurrection ne suffirait pas, mais qu'il faudrait de plus son retour au ciel par l'ascension ; c'est une pensée analogue qu'il exprime à Marie-Madeleine, présentant de nouveau et plus explicitement, l'ascension comme le début, comme la condition nécessaire des rapports intimes, mais d'une autre nature, qu'il aurait avec les siens. Marie « ne savait pas que l'heure du retour définitif de Jésus n'avait point encore sonné ; qu'il lui fallait aller au Père avant de revenir, et que l'intervalle entre la Résurrection et la Pentecôte n'était qu'un état transitoire, où il devait, par ses apparitions et ses disparitions successives, fixer définitivement la foi dans le cœur de ses disciples, et les préparer à sa venue réelle par l'effusion de l'Esprit-Saint. Ne cherche pas à me retenir, dit Jésus, l'heure n'est pas venue de me posséder définitivement ; je ne suis pas encore monté vers mon Père. Madeleine croit à tort que Jésus revient à ses amis pour toujours, et, transportée d'allégresse, elle semble dire que l'ayant retrouvé, elle ne le perdra plus. Or Jésus la tire de son illusion, en lui disant que s'il se montre, il ne reste pas encore, parce qu'il n'est pas allé au Père, d'où il doit faire descendre l'Esprit, qui le ramènera au milieu des siens, mais cette fois pour y rester jusqu'à la fin des siècles ». Le Camus, l. c., p. 603 et 604 ; voyez aussi les commentaires de Luthardt, de Schegg, de Curci, de Westcott, etc. - Je ne suis pas encore monté vers mon Père (beaucoup d'anciens manuscrits omettent « mon »). Quarante jours encore séparaient les deux glorieux mystères de la Résurrection et de l'Ascension. - Mais va vers mes frères. Nom si doux que Jésus daigne donner à ses apôtres, même maintenant qu'il est tout céleste, et même après leur lâche abandon. Cf. Rom. 8, 12 et ss. - Et dis-leur : Je monte... Le temps présent exprime la certitude et la proximité du départ : la terre n'est déjà plus la patrie du divin Ressuscité. - Vers mon Père et votre Père. « L'article n'est pas répété, afin de marquer que le même Dieu est père des chrétiens et de Jésus » (Fouard). Cette conséquence découle d'ailleurs de l'appellation de « frères » : ceux qui se la donnent entre eux ont le même père, quoiqu'il s'agisse évidemment ici de paternités bien distinctes. « Le Sauveur ne dit pas : notre Père. Il est le mien d'une manière, il est le vôtre d'une autre ; il est le mien par nature, il est le vôtre par sa grâce ». S. Aug., Traités sur S. Jean, 121, 3. - Vers mon Dieu et votre Dieu. C'est seulement en tant que Verbe fait chair que Jésus-Christ peut dire : Mon Dieu. Dans les épîtres de S. Paul on trouve assez souvent associés ces deux titres : « le Dieu et Père de N.-S. Jésus-Christ. » Cf. Rom. 15, 6 ; 2 Cor. 1, 3 ; 11, 31 ; Eph. 1, 3, etc.

La scène est close brusquement, comme en tant d'autres circonstance. On nous montre simplement Marie qui s'acquitte à la hâte du message de Jésus : elle vint annoncer... (au présent, dans le grec ; sans doute en courant. Cf. v. 2). - Les manuscrits A, E, etc., le syrien et l'arménien ont qu’elle avait vu, correction probable, pour accorder ce premier membre de phrase avec le second : le Seigneur, qui lui avait dit, car telle est la leçon authentique.

Le soir... Les circonstances de temps et de lieu sont notées d'une façon très précise. La nuit était sans doute assez avancée, puisque les disciples d'Emmaüs avaient eu le temps de rentrer à Jérusalem. Cf. Luc. 24, 35-36 et le commentaire. - De ce jour. Avec emphase : en ce grand jour, qui a été justement appelé depuis « solennité des solennités ». - Le premier de la semaine. Comme au v. 1 (la Vulgate emploie ici le pluriel, un peu servilement). Les critiques d'après lesquels S. Jean supputerait les heures de minuit à minuit, selon le système romain, croient ce passage très favorable à leur thèse : le soleil étant couché depuis longtemps, disent-ils, pour les Juifs c'était déjà « le deuxième jour après le sabbat », tandis que le narrateur continue d'écrire « le premier ». Mais la conclusion n'est pas rigoureuse. Le dimanche finissant à peine, même relativement à des lecteurs juifs il y aurait eu occasion prochaine d'erreur à mentionner le lundi. Les jours orientaux sont d'ailleurs beaucoup plus élastiques que les nôtres, car ils ne commencent pas à heures fixes. - Et les portes. Le grec aussi a le pluriel, bien qu'il soit question d'une seule porte : on retrouve cet usage chez les classiques, et il provient de ce qu'une même porte avait plusieurs battants. - Étaient fermées. Ce détail est mentionné à deux reprises (Cf. v. 26), pour relever le caractère surnaturel de l'apparition. De plus, il nous apprend que le corps du Christ ressuscité n'était plus soumis aux conditions ordinaires du monde matériel. Cf. 1 Cor. 15, 42-44. - Du lieu où les disciples étaient assemblés. C'était probablement au cénacle. Cf. Act. 1, 13. « Disciples » désigne d'abord les apôtres, à part S. Thomas (v. 24) ; puis, d'après S. Luc, 24, 33, un certain nombre d'autres disciples. Il est naturel que les amis de Jésus se soient réunis au soir de ce grand jour, pour s'entretenir des faits extraordinaires qui s'y étaient passés, et aussi, pour discuter un plan de conduite. Le participe assemblés, omis par l'Itala, le syr., les manuscrits א, A, B, D, I, Λ, etc., pourrait bien n'être pas authentique. - Par crainte des Juifs. Les hiérarques, après s'être acharnés contre le Maître, n'allaient-ils pas tomber sur les disciples afin d'étouffer promptement la religion naissante ? On pouvait d'autant plus le redouter maintenant que le bruit de la résurrection de Jésus commençait à se répandre. Voilà pourquoi les portes étaient fermées : on voulait parer à une surprise. - Jésus vint. Quelques anciens auteurs discutent bien inutilement sur la manière dont Notre-Seigneur pénétra dans la salle. Le texte ne dit rien qui puisse faire supposer une ouverture miraculeuse des portes, « la créature qui cède au Créateur » (S. Jérôme) mention en eût été faite, si elle avait eu lieu. Cf. Act. 12, 10. - Et se tint au milieu d’eux. Circonstance dramatique. Jésus apparaît tout à coup et se tient debout au milieu de l'assemblée, aimable et majestueux tout ensemble. Cf. 19, 13 ; 21, 4 : Tous purent donc constater de près la réalité du corps de Jésus, et se convaincre que l'apparition n'avait rien de fantastique. - La paix soit avec vous. C'était la salutation ordinaire chez les Juifs (שלום לכם, Schalôm lâkem). Voyez l’Évangile selon S. Luc, p 41. Mais quelle force n'avait-elle pas sur les lèvres du Christ ressuscité, et adressée à ses plus intimes amis ! Elle convenait à merveille pour calmer leurs craintes de diverse nature, qui provenaient soit des Juifs, soit de l'apparition inattendue de leur Maître (Cf. Luc. 24, 38), et pour les consoler de leurs douleurs si récentes et si vives.

A son doux souhait de paix, Jésus daigne associer un acte qui devait les rassurer plus complètement encore. - Il leur montra ses mains et son côté. D'après S. Luc : « ses mains et ses pieds ». S. Jean ayant parlé de l’ouverture du côté, 19, 34 et ss., signale naturellement la cicatrice restée au sacré côté. Glorieux stigmates, que le Sauveur montra d'abord aux siens comme des signes irrécusables de sa résurrection (Cf. Act. 1, 3), qu'il montre constamment à son Père pour obtenir le pardon des pécheurs, et aux élus pour leur prouver son généreux amour. - Les disciples furent remplis de joie... Et de quelle joie intense, maintenant qu'ils avaient une certitude complète et personnelle ! C'était la réalisation d'une promesse faite par Jésus la veille de sa mort, 16, 20 : « vous serez dans la tristesse ; mais votre tristesse sera changée en joie ». - En voyant le Seigneur : motif de leur bonheur.

Et il leur dit de nouveau. À présent qu'ils sont calmés et rassurés, certains de sa résurrection, ils peuvent entendre le grand message que le Seigneur leur apporte. On lit dans la Recepta : Jésus leur dit de nouveau ; mais Jésus est omis par א, D, L, O, X, l'Itala, le copte, etc. - La paix soit avec vous. Plus haut, v. 19, le souhait de paix concernait surtout le passé et le présent ; il regarde maintenant l'avenir des disciples. En effet, Jésus le réitère non comme un adieu aux disciples, ainsi qu'on l'a pensé quelquefois, mais comme une transition solennelle à la mission qu'il va leur donner. - Comme mon Père m'a envoyé. « Comme » attire l’attention sur la correspondance étroite qui existait entre les deux missions et les deux autorités qui les conféraient. Cf. 17, 18. Les apôtres n'auront donc pas à commencer une nouvelle œuvre ; ils devaient continuer celle de Jésus. - Moi aussi : conjonction et pronom très emphatiques. Lui, muni de divins pouvoirs ; lui, l'envoyé, le chargé de mission par excellence. Cf. Hebr. 3, 1. - Je vous envoie. Dans le grec, πεμπω, verbe moins relevé que « charger de mission », et marquant un simple envoi. La mission du Christ était un fait depuis longtemps accompli, de là le parfait ; celle des apôtres allait commencer, de là le temps présent. Avant tout ils seront les hérauts de la résurrection, ce prodige des prodiges, dont ils venaient d'acquérir une entière certitude. Cf. Act. 1, 22 ; 2, 32 ; 4, 2, 33, etc. - Remarquez, dans cette parole de Jésus, le parallélisme des mots, qui est aussi complet que celui des idées : « Le Père, moi ; a envoyé, envoie ; moi, vous. »

Ayant dit ces mots. Cette formule unit de la manière la plus intime l'action qui suit (« il souffla ») à la parole « Comme mon Père m'a envoyé ». Aucun incident intermédiaire ne les sépara. Après la charge, vient un don spécial qui aidera les disciples à s'en bien acquitter. - Il souffla. Ce mot n'est employé en aucun autre passage du Nouveau Testament ; mais les Septante s'en servent Gen. 2, 7, pour marquer la communication de la vie au premier homme par le Créateur. Cf. Livre de la Sagesse 15, 11. Jésus transmit par le même geste une vie nouvelle à ses amis, en vue de leurs sublimes fonctions. C'est un symbole, évidemment, basé sur les relations qui existent soit entre le souffle et l'esprit (3, 8), soit entre la respiration et la vie. Cf. Ezech. 37, 5 et ss.. - Et leur dit... Le Sauveur s'était servi du même terme en distribuant aux Douze la Sainte Eucharistie. Cf. Matth. 26, 26, et parall. Donc, en ce moment, les disciples ne reçurent pas une simple promesse (S. Jean Chrysost., Grotius, etc.), mais une véritable effusion de l'Esprit-Saint, quoique partielle (« les arrhes de la Pentecôte », Bengel), en attendant la communication plénière et plus solennelle de ses dons dans un prochain avenir. Cf. 7, 39 ; Act. 2, 1 et ss. Ce texte est classique pour démontrer la procession de l'Esprit-Saint « du Père et du Fils ». S. Anselme en tire encore deux conclusions pour le traité de l'Incarnation : « Le Christ était un vrai homme qui peut respirer, un vrai Dieu qui peut donner l’Esprit saint ».

Un pouvoir tout céleste, « le pouvoir des clés », est associé à l'effusion du divin Esprit. - Les péchés seront remis... Il n'y a d'exception ni pour les individus, ni pour les péchés. Le verbe est le même que dans l'Oraison dominicale, où l'on dit à Dieu, Matth. 6, 12 : « Et remettez- nous nos dettes ». Les disciples sont donc autorisés par cette parole de Jésus à faire ce que Dieu fait lui-même à l'égard du péché. - Dans le texte grec, cette tournure aussi est très expressive, car elle indique que les péchés sont remis « ipso facto », sans le moindre intervalle entre l'absolution extérieure et le pardon intérieur. - Et ils seront retenus... Jésus fait une autre hypothèse. Il se rencontrera des cas où les pécheurs seront indignes de pardon, parce qu'ils n'auront pas une contrition sincère ; alors les représentants du Christ devront « retenir » les péchés au lieu de les remettre. Nul doute qu'il ne s'agisse en cet endroit du sacrement de Pénitence et de son institution. « Si quelqu’un dit que ces paroles du Sauveur : recevez l’Esprit saint, les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et retenus ceux que vous retiendrez, ne doivent pas être comprises au sens du pouvoir de remettre et de retenir les péchés dans le sacrement de pénitence ; et, contre l’institution de ce sacrement, en déformera le sens pour leur faire signifier le pouvoir de prêcher l’évangile, qu’il soit anathème ». Conc. Trid., Sess. 14, can. 3. Cf. Matth. 18, 18 et le commentaire ; Bellarmin, De Pœnitentia, lib 3, cap. 2 ; Corluy, Comment. in Evang. S. Joannis, p. 474 et ss. de la 2e édit.

Or Thomas (formule de transition). C'est la troisième fois que l'apôtre S. Thomas (un des douze) est nommé dans notre évangile. Cf. 11, 16 ; 14, 5. Il le sera bientôt une quatrième, 21, 2. Sur son surnom de Didyme, voyez 11, 16 et l'explication. - N'était pas avec eux... Cette absence n'était due peut-être qu'à un hasard providentiel ; il est possible aussi, comme on l'a conjecturé assez fréquemment de nos jours, qu'elle provînt du découragement qui aurait envahi l'âme de S. Thomas après la passion de N.-S. Jésus-Christ. Sombre et mélancolique par nature, il aurait fui la compagnie des apôtres le jour de la résurrection, pour s'abandonner à ses idées noires dans la solitude.

Les autres disciples lui dirent… « dirent » n'est pas une traduction exacte ; « disaient » marque mieux l'insistance que mettaient les autres disciples à témoigner devant leur frère incrédule de la résurrection du Christ. - Nous avons vu le Seigneur. Et, à ce fait général, ils ajoutaient tous les détails de l'apparition. - Mais il leur dit. Le changement de temps est remarquable. Après avoir écouté quelque peu, S. Thomas se mit à fixer une bonne fois, en termes résolus, comme un homme qui n'a pas deux manières de penser, les conditions qu'il mettait à sa foi. - Première condition : Si je ne vois pas... Il veut voir à son tour de ses propres yeux. Ses amis lui avaient naturellement parlé du geste aimable de Jésus, v. 20 ; il en veut tout autant pour se convaincre. - Dans ses mains le trou des clous. Dans le grec, chaque substantif est accompagné de l'article, ce qui donne une singulière énergie au langage de S. Thomas. Voyez, dans l’Évangile selon S. Matth., p. 548, la conclusion « ridicule » (Godet) que divers écrivains rationalistes ont tirée de ce que les blessures des pieds ne sont mentionnés ni dans ce verset ni au 20e. - Deuxième condition : Si je ne mets pas mon doigt à la place des clous. S. Thomas se hâte d'ajouter que voir ne lui suffira pas ; il veut une démonstration palpable, passer son doigt à la place des clous. - Troisième condition : Si je ne mets pas ma main dans son côté... Les paroles sont parfaitement appropriées aux circonstances : le doigt pour les cicatrices de la main, la main entière pour la plaie profonde qu'avait creusée le fer de la lance. - Je ne croirai pas. On devine l'énergie farouche du désespoir avec laquelle ces mots de la fin durent être prononcés. Quelle obstination rigide ! « L'horrible tableau du Calvaire était resté vivant dans l'imagination du disciple, toujours aimant, quoique incrédule, et d'autant plus découragé qu'il était plus aimant », Le Camus, Vie de N.-S. Jésus-Christ, t. 2, p. 726.

Huit jours après. En comptant les points extrêmes, selon la coutume juive ; par conséquent, le dimanche d'après. - Les disciples étaient enfermés... Cette formule n'exclut pas d'autres réunions intermédiaires ; elle indique néanmoins que Jésus ne fit dans l'intervalle aucune apparition aux disciples assemblés. - De nouveau, au même endroit que précédemment ; l'heure n'est pas notée cette fois. Il semble surprenant que les disciples ne se fussent pas encore mis en route pour la Galilée, selon que leur Maître le leur avait fait dire (Matth. 28, 7 ; Marc. 16, 7) ; mais rien de précis ne leur avait été prescrit à ce sujet, et ils demeuraient sans doute à Jérusalem dans l'espoir d'y jouir de quelque nouvelle apparition. - Et Thomas avec eux ; par contraste avec le v. 24. C'est pour lui surtout qu'aura lieu la nouvelle manifestation du Christ ressuscité. - Jésus vint (dans le grec, le verbe est au présent ; l'absence de toute particule a quelque chose de solennel et de rapide). Le narrateur signale trois circonstances, identiques à celles qui accompagnaient la première apparition dans le cénacle : l'entrée miraculeuse (les portes étant fermées), l'attitude de Jésus au milieu des siens (il se tint au milieu d’eux), la salutation (La paix soit avec vous).

Ensuite : Après avoir salué tous les disciples présents, N. S. Jésus-Christ s'adresse en particulier à l'apôtre incrédule, et il lui offre spontanément de réaliser toutes les conditions qu'il avait affirmées nécessaires pour croire à la résurrection. - Introduis ton doigt ici... Le Sauveur emploie presque identiquement les paroles de S. Thomas, montrant ainsi qu'il connaît, par sa science divine, tout ce qui s'est passé ; c'était le meilleur moyen de l'amener à résipiscence et de le convaincre. Tout ce passage est rythmé : deux phrases à deux membres chacune, et une autre proposition pour conclure : - Ne sois pas incrédule... D'après le grec : Ne deviens pas... En effet, le doute de S. Thomas n'était pas allé jusqu'à une incrédulité proprement dite ; toutefois l'apôtre, s'il n'eût cédé cette fois, serait vraiment devenu infidèle. - Mais croyant. En se rendant à l'évidence des faits. S. Grégoire le Grand, Hom. in Evang. 26, a ici une touchante remarque : « L’infidélité de Thomas est plus profitable à notre foi que la fidélité des disciples croyants, parce que, comme celui-là est ramené à la foi en palpant les plaies du Sauveur, notre esprit est solidifié dans la foi en mettant de côté tout doute ».

L'apôtre est vaincu, écrasé même, non seulement par l'apparition subite de Jésus, mais surtout par ce langage qui lui rappelait si vivement sa faute. Il ne demande plus de preuves ; ce simple cri d'adoration s'échappe de son cœur : Mon Seigneur et mon Dieu. « Il a fait une profession de foi d’autant plus limpide qu’il avait été avant plus incrédule », Maldonat. Magnifique témoignage en effet, qui répare sa faiblesse antérieure.

Le bon Maître accepte cette noble confession ; mais, dans sa réponse, il relève la supériorité d'une foi prompte et sans réserve. - Parce que tu m'as vu, Thomas (ce nom est omis par l'Itala,. le syr. et la plupart des manuscrits grecs), tu as cru. Dans le grec, deux parfaits, qui dénotent deux actions accomplies. - Heureux... Nouvelle béatitude évangélique, ajoutée pour tous ceux qui ont eu le bonheur de croire au Verbe fait chair sans l'avoir vu de leurs propres yeux. Jésus l'oppose à la foi tardive de S. Thomas, et c'est là le seul blâme qu'il adresse à cette brebis momentanément égarée. - Ceux qui n'ont pas vu, et qui ont cru. Croire malgré l'absence de preuves matérielles, telle est la perfection de la foi. Pourtant il fallait bien que les disciples eussent vu et touché l'Homme-Dieu, pour fournir des arguments à notre croyance ; mais, après l'Ascension une nouvelle ère a commencé : « Mais t'écouter seulement fonde la certitude de foi », Saint Thomas d’Aquin, Adoro te devote. Bienheureux quiconque le fait sans hésiter !

Beaucoup d'autres miracles... En terminant le récit des faits glorieux qui s'étaient passés dans l'octave de la Résurrection, S. Jean s'excuse en quelque sorte d'être si bref sur une vie si riche en prodiges. Car les mots Jésus fit encore ne s'appliquent pas seulement aux jours récemment écoulés, mais à toute la vie publique de Notre-Seigneur Jésus-Christ. « Autres » désigne des miracles d'un autre genre, d'une autre nature que ceux qui ont été narrés par l'évangéliste. Dans cette formule il est donc successivement question de la quantité (« beaucoup ») et de la qualité. - En présence de ses disciples. Remarque importante pour l'authenticité des faits, ainsi qu'il a été dit à propos du v. 29. Nous ne croyons pas sans preuves, mais en nous appuyant sur le témoignage de témoins oculaires. - Qui ne sont pas écrits dans ce livre. Le narrateur, sur le point d'achever son œuvre, jette sur elle un dernier coup d’œil, et il y aperçoit, des lacunes énormes, qu'il voudrait combler, s'il est possible, par cette réflexion générale. Dans ce verset, il nous fait donc part de sa méthode comme écrivain : ne pouvant tout dire, il a choisi parmi les miracles innombrables de son Maître. « Comment, en face de cette déclaration, des critiques sérieux peuvent-ils raisonner ainsi : Jean omet ; donc il nie ou ignore » (Godet, h. l.). Tel est pourtant le raisonnement perpétuel des rationalistes.

Ceux-ci ont été écrits (par opposition aux prodiges omis). S. Jean a donc fait un choix (v. 30) : il va nous dire quels critères l'ont guidé dans ce choix. « Beaucoup de choses en peu de mots », dit fort bien Maldonat. - Afin que vous croyiez. Le but du disciple bien-aimé était moins d'instruire que d'exciter la foi. Et l'objet de la foi qu'il aurait voulu implanter en tous lieux était double : 1° Jésus est le Messie (Jésus est le Christ) ; 2° il est le Fils de Dieu dans le sens strict et théologique du mot. - Et que, le croyant... Autre but, qui découle du premier : la foi, par l'intermédiaire des œuvres, conduit au salut les âmes croyantes. - Vous ayez la vie : la vie « éternelle », comme l'ajoutent les manuscrits א, C, D, L, T, etc., quoique probablement à tort. Cf. 1 Joan. v. 13. - En son nom : c'est-à-dire par l'influence de ce nom tout-puissant. - Jésus, le Christ, Fils de Dieu : telle est l'idée dominante du quatrième évangile ; elle retentit au début, au milieu, à la fin, partout. Aucun écrivain n'a jamais été plus fidèle que le nôtre à son plan primitif. Voyez Haneberg-Schegg, Evang. nach Johannes, t. 2, p. 551 et s., et notre propre Préface, § 3, 3.

Après cela : formule de transition familière à S. Jean. Cf. 5, 1 ; 6, 1 ; 7, 1, etc. Nous avons dit plus haut que lorsque le pronom y est mis au pluriel, elle dénote une succession moins immédiate des événements. - Jésus se manifesta. Autre expression aimée de S. Jean. Cf. v. 14 ; 7, 4, etc. Au chap. 2, v. 11, elle indiquait la manifestation du Messie par son premier miracle ; ici, c'est le dernier prodige qui est raconté. Jésus ressuscité n'était vu que de ceux auxquels il consentait à se montrer ; sans une faveur spéciale, le regard humain eût été impuissant pour l'apercevoir : il fallait donc qu'il daignât « se manifester ». Le mot est fort bien choisi. Cf. Marc. 16, 12, 14 ; Luc. 24, 34 ; Act. 13, 31 ; 1 Cor. 15, 5-8. - De nouveau. Allusion aux apparitions antérieures, 20, 19, 26. - À ses disciples. Cette fois, nous trouvons les disciples en Galilée, conformément à l'invitation de leur Maître (Matth. 26, 52 ; 28, 10). Ils durent quitter Jérusalem quelque temps après l'octave de la Pâque. Cf. 20, 26 et ss. Il est remarquable que S. Jean n'a écrit qu'une fois, 13, 16, le mot « apôtre » ; « disciple » est son nom favori pour désigner les amis de Jésus. - Près de (dans le grec, au-dessus de ; c'est-à-dire, sur la rive qui est plus élevée que le niveau des eaux) la mer de Tibériade. Au sujet de cette dénomination propre à S. Jean, voyez 6, 1 et le commentaire. S. Matthieu expose seulement les apparitions de Jésus en Galilée après sa résurrection ; dans S. Marc et S. Luc il n'est question que des apparitions de Jérusalem ; S. Jean a des unes et des autres. - Il se manifesta ainsi... Répétition solennelle, qui est bien dans le genre de notre narrateur. Le « ainsi » introduit le récit d'une manière pittoresque, et rappelle le passage 4, 6.

De l'acteur principal, N.-S. Jésus-Christ, nous passons aux héros secondaires, qui furent au nombre de sept, y compris Simon-Pierre, leur chef. Si S. Jean ne donne nulle part la liste proprement dite des apôtres, il nous fournit du moins ici une nomenclature partielle. - Simon-Pierre. Cf. Matth. 10, 2 : « le premier, Simon, appelé Pierre ». - Thomas, appelé Didyme. Il est placé aussitôt après S. Pierre, parce qu'il a paru récemment sur la scène. Aucun évangéliste ne parle de lui autant que S. Jean. - Et Nathanaël... Voyez 1, 46 et le commentaire. S. Jean seul le signale sous ce nom. Nous avons déterminé autrefois (2, 1 et la note) la situation de Cana en Galilée. - Et les fils de Zébédée. S. Jacques le Majeur et S. Jean. Voilà bien encore la manière accoutumée de notre évangéliste, de ne mentionner qu'indirectement soit son frère, soit lui même. Le nom de « fils de Zébédée » n'apparaît pas ailleurs dans son récit. - Et deux autres. Inutile de se perdre en conjectures pour retrouver ces deux disciples innommés (on a dit, par exemple, que c'étaient André et Philippe, attendu qu'ils se trouvaient avec S. Pierre, S. Jacques, S. Jean et Nathanaël au début de l'évangile, 1, 40, 43). On peut du moins affirmer avec beaucoup de vraisemblance qu'ils appartenaient comme les cinq autres au collège apostolique (« de ses disciples », dans le sens strict). S. Jean, n'ayant pas eu l'occasion de citer leurs noms dans les pages qui précèdent, à propos d'épisodes spéciaux, n'aura pas cru devoir les inscrire dans son épilogue (Luthardt). - Parmi ces sept apôtres, S. Pierre et S. Jean, S. Pierre surtout, vont jouer les rôles proéminents.

Simon-Pierre leur dit... Maintenant comme toujours « Pierre est le moteur et pour ainsi dire le ressort de la société des apôtres. Il propose, et les autres répondent : Nous allons avec toi ! Et pourtant, il se trouve des critiques qui prétendent que le grand et unique but du quatrième évangile est de déprécier Pierre à l'avantage de Jean ! » Milligan, The Gospel according to John, p. 233. - Je vais pêcher. Il résulte de ce détail que les apôtres avaient repris leurs anciennes occupations ; il le fallait bien pour vivre, maintenant qu'il n'y avait plus de bourse commune. Voyez S. Augustin, Traités sur S. Jean, 122. Parmi les sept qui nous ont été présentés, trois au moins avaient exercé le métier de pêcheurs : S. Pierre, S. Jacques et S. Jean. Cf. Matth. 4, 19 et parall. - Nous y allons aussi... Comme tout cela est vivant et sent le témoin oculaire ! La parole de Pierre contenait une invitation indirecte, que les autres comprirent et acceptèrent. - Ils sortirent donc (du lieu où ils se trouvaient) et montèrent... Deux détails graphiques. Les manuscrits A, C, etc., ajoutent l’adverbe « aussitôt », qui est omis par les meilleurs documents (א, B, D, L, X, Δ, etc.). L'article devant barque indique que la barque appartenait aux disciples, ou du moins qu'elle avait été mise d'une manière permanente à leur disposition. - Et cette nuit-là... avec une certaine emphase, comme si le fait eût été extraordinaire et nouveau. La nuit est du reste le temps le plus favorable pour la pêche. Cf. Aristote, Hist. anim. 8, 9. - Ils ne prirent rien. Cette note prépare le miracle. Voyez Luc. 5, 5. S. Jean est le seul des écrivains du Nouveau Testament qui emploie ce verbe prendre : deux fois dans ce chapitre (Cf. v. 10), dix autres fois depuis le début de l'évangile (7, 30, 32, 44 ; 8, 20 ; 10, 39 ; 11 57), une fois dans l'Apocalypse, 19, 20.

Le matin étant venu (le grec ajoute déjà). Les manuscrits se partagent entre les leçons étant venu, le participe aoriste, et venant au présent, dans les deux cas il s'agit du crépuscule, après une nuit de rudes et vaines fatigues pour les disciples. - Jésus parut. Tout à coup, ainsi que l'exprime si bien le style pittoresque de S. Jean. Cf. 20, 14, 19, 26. - Sur le rivage. II y a de nouveau deux variantes dans le texte primitif, avec idée de mouvement (B, C, E, G, H, K, etc.), et sans, leçon qui est peut-être préférable (d'après א, A, D, L, M, etc.). - Mais les disciples ne reconnurent pas. Dans le texte grec la particule μέντοι relève le caractère extraordinaire du fait (on la trouve quatre autres fois dans l'évangile selon S. Jean: 4, 27 ; 7, 13 ; 12, 42 ; 20, 5 ; trois fois seulement ailleurs). Comme cela avait eu lieu pour Marie-Madeleine, Jésus ne voulait pas être immédiatement reconnu. Et il y avait quelque distance entre lui et les disciples, et c'était encore l'aube.

Jésus leur dit donc : pour se manifester peu à peu. - Les enfants, παιδια et non τεκνια. Le second diminutif a quelque chose de plus délicat et de plus tendre (Cf. 13, 33), et c'est précisément pour cela que Jésus ne l'emploie pas ici ; les apôtres n'auraient pas eu alors la moindre hésitation sur la personne de leur interlocuteur ; παιδια, quoique familier (Cf. 1 Joan. 2, 1, 12, 28, etc.), est moins intime. - N’avez-vous... formule qui suppose une réponse négative ; Jésus sait que les disciples n'ont rien pris. - A manger. Le substantif προσφαγιον ne se rencontre qu'en cet endroit du Nouveau Testament ; il équivaut à « provisions », « aliments », et désigne étymologiquement « ce que l'on mange avec » le pain. Dans le cas actuel c’était évidemment du poisson. - Ils lui dirent : Non. L'eau, qui transmet si facilement les sons, porta au divin Maître cette sobre réponse.

Jetez le filet à droite (dans les parties de droite) de la barque. Quand on regarde la proue d'un bateau on a son côté droit à main droite. Les apôtres avaient probablement pêché jusqu'alors du côté gauche. - Le filet : « le terme le plus général pour toutes espèces de filets », Trench, Synonymes du N. Test., p. 261 de la traduct. franç. Cf. Matth. 4, 20. - Ils le jetèrent donc. En suivant sur-le-champ le conseil de leur interlocuteur inconnu, comme l'on fait souvent en pareille circonstance. D'ailleurs, l'accent de certitude avec lequel il avait dit : et vous trouverez, les avait assurément frappés et encouragés. - Ils ne pouvaient plus le retirer. L'imparfait, qui est la leçon la mieux autorisée, dépeint très bien les vigoureux efforts des pêcheurs pour soulever le filet de l'eau et le décharger dans la barque. - À cause de la multitude des poissons. Sur les bancs de poissons du lac de Tibériade, voyez Tristram, Natural History of the Bible, p. 285. Par sa prescience divine, Jésus savait qu'une de ces troupes passait à droite de la barque au moment même où les apôtres jetaient leurs filets.

Alors... (par suite de ce grand prodige). C'est la troisième et dernière parole que le disciple bien-aimé prononce dans son propre évangile. Cf. 1, 38 ; 13, 25. Il est si juste qu'il ait été, lui entre tous les autres, le premier à reconnaître Celui auquel il rendait amour pour amour ! L'affection donne aux regards tant de clarté ! Il fut le plus prompt aussi à établir un rapprochement entre ce fait et celui auquel il avait pris part quand il eut le bonheur d'être définitivement attaché à la personne de Jésus. Cf. Luc. 5, 1-11. - C’est le Seigneur. S. Jean ne donne ce nom que deux fois à Notre-Seigneur avant sa résurrection (4, 1 ; 6, 2 ) ; il le lui applique assez souvent depuis (20, 18, 20, 25, 28, et dans ce chapitre). - Dès que Simon-Pierre eut entendu... La description devient aussi vivante et rapide que possible ; S. Jean nous rend vraiment témoins de la scène. - Il se ceignit de la tunique. Le substantif grec correspondant, employé en ce seul endroit du N. Test., ne désigne pas proprement la tunique, mais, d'après l’étymologie même (Cf. 2 Cor. 5, 1), un vêtement supérieur, qui consistait, pour les pêcheurs, au dire de Nonnus et de Théophylacte, en un long tablier ou blouse de lin, qu'ils portaient par dessus la tunique intérieure. Les Rabbins usent de ce même terme sous la forme ,Il se ceignit (expression propre à S. Jean. Cf. 13, 4, 5). Après s'être revêtu à la hâte de la tunique - .אפונדתא S. Pierre la retroussa dans sa ceinture, afin que la jupe flottante ne gênât pas ses mouvements. Voyez notre Atlas archéologique de la Bible, pl. 1, fig. 6 et 7. - Car il était nu. Note rétrospective, qu'il ne faut pas interpréter à la lettre d'une manière absolue ; car « nu » chez les Latins est loin de désigner toujours une nudité complète. Ce qualificatif n'exclut pas un vêtement léger, tel qu’une courte tunique. Voyez encore l'Atlas archéologique de la Bible, Pl. 32, fig. 5-9. S. Pierre était donc légèrement vêtu comme les pêcheurs ; mais il aurait craint de manquer de respect à son Maître en paraissant ainsi devant lui. - Et se jeta à la mer... Il se jette dans le lac pour arriver plus promptement auprès de Jésus en gagnant le rivage à la nage. Que c'est bien lui l'homme de l'action, de même que S. Jean est l'homme de la contemplation. « Pierre était plus bouillant, Jean avait l'esprit plus élevé : celui-là était plus prompt, celui-ci plus éclairé ». S. Jean Chrysost., Homélie 87, 2.

Dans le texte grec, le mot correspondant à barque est un diminutif ; quelques commentateurs méticuleux ont conclu de là, bien à tort, que les disciples étaient passés de leur grosse barque de pêche dans un petit canot. - Vinrent : en ramant à l'aide de perches, mais plus lentement que S. Pierre, à cause du bateau et du filet qu'il leur fallait conduire. - Éloignés de la terre, environ de deux cent coudées. « Tu vois un écrivain expert en navigation, qui a appris à mesurer avec les yeux les distances d’une rive à l’autre ». Patrizi, h. l. Cf. 6, 19 ; 11, 18. La coudée équivalait à environ 0 m. 525. La distance indiquée peut s'évaluer approximativement à cent mètres. Cf. Apoc. XXI, 17, où S. Jean mesure aussi par coudées. - Tirant le filet. Le terme grec n'est pas le même qu'au v.6 : là c'était « tirer du fond des eaux » ; ici nous lisons « traînant le filet derrière la barque ».

Après la pêche symbolique, vient un repas également mystique dans sa signification, vv. 9-14. - Lorsqu'ils furent... Immédiatement, sans aucun intervalle de temps. - Descendus à terre, ils virent des charbons allumés deux expressions dont la première n'est employée que par S. Jean (Cf. 18, 18 et la note), tandis que la seconde, toute graphique, correspond si bien à sa manière. Cf. 2, 6 ; 19, 29, etc. - Et du poisson placé dessus (posé sur la braise). ’Oψαριον (voyez 6, 9 et le commentaire) est sans article ; c'est l'équivalent de notre expression collective « du poisson ». - Et du pain. « Pain » n'est pas non plus muni de l'article dans le texte grec : « du pain », pour manger avec le poisson grillé. - D'où venaient ces charbons allumés, ces poissons, ce pain ? Le narrateur ne le dit pas ; mais il ressort évidemment du texte que Jésus se les était procurés par un miracle. II serait mesquin ou ridicule de supposer que Notre-Seigneur avait acheté ailleurs ces divers objets (Lampe), ou que S. Pierre les lui avait fournis (Baümlein, Weiss).

Jésus leur dit : Apportez quelques-uns des poissons. Jésus donne aux poissons un nom conforme à l'usage qu'il en voulait faire. Cf. v. 5. À part une fois (v. 9), et alors il s'agissait d'une circonstance particulière, S. Jean se sert, pour les mentionner, du mot ordinaire ιχθυες (Cf. vv. 6, 8, 11), comme il convient à un pêcheur. - Que vous venez de prendre. La pêche miraculeuse avait eu lieu, en effet, quelques instants auparavant. - Il est important d'observer que N. S. Jésus Christ ne demanda pas ces poissons aux disciples pour les ajouter à ceux qui cuisaient déjà sur la braise ; le verset 13 paraît au contraire démontrer que le repas consista uniquement dans le pain et l'οψαριον merveilleux du v. 9. Les poissons qu'il désire seront pour lui : ils figurent symboliquement les âmes que ses disciples iront lui gagner à travers le monde, et qu'ils lui apporteront ensuite avec joie. Quant au repas même, dont les mets furent entièrement fournis par Jésus, il exprime la nécessité du divin concours et des grâces célestes, pour remplir avec fruit le rôle de pêcheur spirituel. Sans l'assistance du Seigneur, qu'auraient pu les apôtres et que pourrions-nous?

Simon-Pierre monta dans la barque : Toujours ardent, il est le premier à exécuter les ordres de son Maître. Il monta dans la barque qui était maintenant amarrée tout auprès du rivage, il en détacha le filet et se mit à le traîner jusqu'à terre. - Plein de cent cinquante trois gros poissons. Voyez dans notre Atlas d'histoire naturelle de la Bible, pl. 54-56, quelques poissons du lac de Tibériade. La quantité était associée à la qualité. En tirant les poissons du filet, les apôtres les comptèrent à la manière des pêcheurs, et avec une admiration facile à comprendre, qui perce à travers le récit. Les anciens auteurs ont aimé à interpréter spirituellement ce chiffre. Ils y ont vu, par exemple, l'emblème de Dieu et de l’Église, 100 se rapportant aux gentils, 50 aux Juifs, 3 à la sainte Trinité (Severus, Ammonius, Théophylacte, etc.) ; ou bien, la totalité du monde païen qui devait se convertir à Jésus-Christ par l'intermédiaire des apôtres et de leurs successeurs. S. Jérôme, qui admet ce second symbole, l'appuie sur l'idée, reçue alors chez les naturalistes, que toutes les espèces de poissons se ramenaient à 153. « Ceux qui ont écrit sur la nature et les propriétés des animaux, tant en latin qu’en grec, desquels Oppianus Cilix est le poète le plus savant, nous parlent des sortes de poissons qui ont tous été capturés par les apôtres, sans en omettre une », S. Jérôme in Ezech. 47. Les modernes ont fait des applications plus arbitraires encore prétendant que le chiffre 153 correspond exactement à la valeur numérique des lettres qui formaient le nom hébreu de S. Pierre : Schimeon (=71) bar (= 22) Iona (=31) Képha ( =29). Voyez Keim, Jesus von Nazara, t. 3, p 564. S. Jean a simplement voulu relever par ce fait la grandeur du prodige. De même par le détail suivant : « quoiqu'il y en eût tant, le filet ne fut pas rompu ». C'est un pêcheur qui parle, et il certifie sous cette forme négative que le filet se serait certainement rompu sans une intervention surnaturelle. Grotius a vu dans ce détail le « Présage de l’unité admirable de ceux qui seraient rassemblés dans l’Église par le travail des apôtres » : belle interprétation morale, mais surajoutée au texte.

Venez, mangez. Une crainte respectueuse retenait peut-être les disciples à quelque distance (voyez la ligne suivante) ; Jésus, avec sa bonté accoutumée, les invite à s'approcher et à prendre part au déjeûner (car tel est ici le sens du verbe « mangez », d'après le v. 4) qu'il leur avait préparé. Était-ce une récompense de leurs peines, figure des joies du ciel qu'ils posséderaient un jour (S. Aug.) ? Mais le ciel est plutôt un festin du soir (Apoc. 19, 9), et les apôtres n'étaient encore qu'au début de leurs travaux. Il nous paraît donc mieux de regarder ce frugal repas comme un emblème des forces que Jésus conférait à ses amis en vue de leurs labeurs futurs. - Et aucun de ceux qui prenaient part au repas n'osait lui demander... On conçoit aisément qu'en face de la majesté du Christ glorieux, et à la suite d'un si éclatant miracle, les apôtres n'aient pas osé reprendre d'abord leurs libertés familières avec Jésus. Du reste, en outre du respect qui arrêtait les questions sur leurs lèvres (Qui êtes-vous ?), à quoi bon demander un renseignement sur un point dont ils étaient tout à fait certains (ils savaient que c'était le Seigneur) ? « L'apparition de Jésus à ses disciples était revêtue de signes de vérité si évidents, qu'aucun d'eux n'osait ni la nier, ni même la révoquer en doute » S. Aug. Traités sur S. Jean 123, 1.

Jésus vint (dans le grec le verbe est au présent). Le bon Maître s'approcha du feu, pour présider au repas. - Prit le pain. De nouveau il remplit le rôle de père de famille, ainsi qu'il avait fait si longtemps durant sa vie publique. La bénédiction liturgique fut sans doute prononcée, quoique le narrateur ne la mentionne pas. - Et le leur donna, ainsi que du poisson... Tous ces détails sont pittoresques dans leur simplicité. Rien ne fait soupçonner que Jésus ait pris lui-même sa part du pain et du poisson.

Cf. v. 1. Évidemment, il ne s'agit ici que des apparitions qui avaient eu lieu en faveur du collège des apôtres : 20, 19-23 formait la première, et 20, 24-27, la seconde. Toutes les manifestations particulières de Jésus ressuscité sont donc exclues pour le moment.

Après qu'ils eurent mangé. Formule qui rattache étroitement ces nouveaux détails aux précédents. Après le repas pris en commun par les sept apôtres, voici quelque chose de personnel pour S. Pierre. - Jésus dit à Simon-Pierre... Fait digne de remarque : le narrateur continue d'appeler S. Pierre « Simon Pierre » (Cf. vv. 2, 3, 7, 11) ou « Pierre » (vv. 17, 20, 21), tandis qu'à trois reprises (vv. 15, 16, 17), Jésus l'interpellera par son simple nom de famille, « Simon, fils de Jean », comme s'il voulait lui faire reconquérir la glorieuse dénomination de Céphas, que Simon avait momentanément cessé de mériter en cédant à la chair et au sang. Ce contraste est significatif. - Simon, fils de Jean. Il y a trois variantes dans le grec : Σιμων Ίωνα (la Recepta, A, C, X, etc.), Σιμων Ίωανου (B, D, etc.), Σιμων Ίωαννου ( les deux dernières sont les meilleures - M'aimes-tu plus que ceux-ci ? L'amour, et un amour plus ; (א généreux que celui de tous les autres apôtres (avec un geste de leur côté ), telle est la condition à laquelle Jésus accordera au fils de Jean une éminente prérogative. Pierre s'était vanté de ne jamais abandonner son Maître, quand même tous les autres l'abandonneraient (13, 37 ; Matth, 26, 33 et parall.) ; et il l'avait ensuite lâchement renié ; il est juste que le Seigneur lui demande plus de dévouement et d'attachement qu'aux autres, avant de lui conférer plus d'honneur et de puissance. Il est « trivial et indigne de Jésus » (Trench) de traduire par le neutre le pronom « ceux-ci », qui désignerait alors la barque de Pierre, avec le filet et les poissons. - Il lui répondit. De même à plusieurs reprises dans les vv. 15-17. Voilà bien les transitions si simples de S. Jean. - Oui, Seigneur, vous (avec emphase) savez... Pierre s'en réfère à la toute-science infaillible de Jésus, plutôt qu'à ses propres sentiments dont il avait expérimenté la fragilité ; le Christ ne le connaissait-il pas mieux qu'il ne se connaissait lui-même ? - Que je vous aime. S. Pierre emploie une autre expression que Jésus. φιλω au lieu de αγαπαω, et il s'en tiendra à φιλω dans ses deux autres réponses (vv. 16 et 17). Nous avons expliqué ailleurs ( 11, 3 et 5 ) les nuances délicates de ces deux verbes, que la Vulgate a toujours bien rendues en latin. Tout se résume à dire que φιλω et « amo » dénotent une affection plus tendre et plus chaude peut-être, mais plus naturelle et plus humaine ; tandis que αγαπω et « diligo » s'appliquent à l'affection de volonté, qui est plus relevée et plus inébranlable. Et c'est précisément à cause de cette différence que « S. Pierre n'a pas affirmé qu'il possède cet amour constant, inébranlable, pratique, qu'implique le mot αγαπη (1 Cor. 13), amour semblable à celui de Jésus pour ses amis... Il ne garantit que les émotions actuelles de son cœur, lesquelles il sait par expérience être faibles, quoique ardentes et tendres. Tel est le motif pour lequel il répond : φιλω σε. Il craint de s'élever à une profession supérieure à celle de φιλω » Wordsworth, The four Gospels, p. 365 de la 2e édit. S. August. Serm. 147, 2, et S. Ambroise, Exposit. in Luc. 10. Quant au « plus que ceux-ci », il n'y fait aucune allusion ; toujours dans un sentiment d'humilité, se souvenant qu'après avoir promis d'agir mieux que les autres, il a été le plus lâche de tous. Cf. S. Aug. Serm. 147, 2. - Fais paître mes agneaux. La confession a été moins parfaite que ne l’aurait souhaitée Jésus ; néanmoins, comme antérieurement (Matth. 16, 15-19), le témoignage de Pierre est aussitôt récompensé par une mission honorable et de confiance. « Le Seigneur confie ceux qu'il aime à celui dont il est aimé » (Luthardt). Le diminutif agneaux est un nom de tendresse pour désigner les fidèles. Le pronom mes insinue délicatement que le troupeau ne cesse pas d'appartenir à Jésus, même quand le Pasteur suprême a daigné le confier à des pasteurs secondaires. « Si tu m'aimes, ne songe point à te nourrir toi-même, mais pais mes brebis, et pais-les, non pas comme les tiennes, mais comme les miennes ; travaille à les faire concourir à ma gloire, et non à la tienne ; étends sur elles mon empire, et non le tien », S. August., Traités sur S. Jean 123, 5. Voyez aussi 1 Petr. 5, 1-4, où l'on croirait entendre un écho de cette scène.

Dicit ei iterum. Dans le grec, παλιν δευτερον avec pléonasme. Cf. IV, 54; Act. X, 15 (παλιν εκ δευτερου) ; Gal. IV, 9 (παλιν ανωθεν), - Diligis me. Jésus revient à sa première expression, αγαπας με, sans tenir compte de la modification apportée par l'apôtre ; toutefois, dans un esprit de condescendance, il supprime à son tour le « plus his ». - Etiam Domine.., amo te. Cette fois encore Pierre le répète φιλω σε, craignant d'employer le nom de l'affection la plus relevée. Sa seconde réponse est d'ailleurs tout à fait identique à la première. - Pasce agnos meos. Nous trouvons cette fois un double changement dans la réplique de N.-S. Jésus-Christ : ποιμαινε au lieu de βοσκε προβατια (leçon probable, d'après A, B, C, etc.) au lieu de αρνια. Le sens primitif de βοσκω est « nutrio, alo » (Cf. Matth. VIII, 30, 37; Marc. V, 11, 14; Luc. VIII, 32, 34; XV, 15) ; ποιμαινω dit plus, et représente tout l'ensemble de la conduite et des soins du pasteur envers son troupeau. Voyez les passages Matth. II, 6; Luc. XVII, 7; Act. XX, 28; I Cor. IX, 7; I Petr. V, 2; Apoc. II, 27, etc., où il est pris, soit au propre, soit au figuré. Ainsi donc, «βοσκειν est pars του ποιμαινειν » (Bengel, h. 1.), tandis que ποιμαινειν « totum regimen ecclesiasticum comprehendit » (Lampe). Après cela, rien de plus naturel que le second changement apporté par Jésus à sa parole. Les προβατια (gracieux diminutif qu'on ne rencontre pas ailleurs dans le N. T.), ou troupeaux à peu près complètement grandis, ont souvent besoin d'être conduits et dirigés par le pasteur, tandis que, pour les agneaux qui peuvent à peine marcher, l'essentiel est la nourriture.

Il lui dit pour la troisième fois. S. Pierre avait renié trois fois son Maître (Cf. 18, 17, 25, 27, et parall.) pour effacer complètement sa faute, Jésus exige de lui une triple et publique protestation d'amour. Rapprochement très naturel, que tous les exégètes ont fait à la suite des Pères. « A un triple reniement succède une triple confession : ainsi la langue de Pierre n'obéit pas moins à l'affection qu'à la crainte, et la vie présente du Sauveur lui fait prononcer autant de paroles, que la mort imminente de son Maître lui en avait arrachées », S Augustin, Traités sur S. Jean, 123, 5. Cf. Enarr. in Ps. 33, 13 ; Serm. 285, etc. Il a confessé trois fois ce qu’il avait renié trois fois. Donné trois fois pasteur du troupeau, par la vie, par la parole, par les prières dit pareillement un ancien hymne ecclésiastique. - M’aimes-tu (φιλεις με) ? Jésus, par un nouvel acte de condescendance, se met maintenant tout à fait à l'unisson avec les pensées et le langage de Pierre ; car à son tour il emploie le verbe φιλεω, dont s'était constamment servi l'apôtre. Simon, fils de Jean, je consens à entrer dans tes sentiments d'humilité ; m'aimes-tu au moins de cet amour chaud et généreux, quoique inférieur, dont tu parles ? - Pierre fut attristé... Chagrin bien naturel, car cette troisième question du Sauveur semblait manifester une extrême défiance (de ce qu’il lui avait dit). Et pourtant, « Pourquoi, Pierre, t'attrister de redire jusqu'à trois fois ton amour ? As-tu oublié la triple manifestation de ta crainte ? Laisse ton Seigneur te questionner ; c'est ton médecin, il t'interroge pour te guérir. Ne te laisse pas aller à la peine ; attends, redis assez de fois ton amour pour effacer tous tes reniements », S. August, Serm. 253, 1. - Seigneur, vous savez toutes choses. Pierre généralise sa formule (Cf. vv. 15 et 16) pour la rendre plus expressive. Jésus connaît les sentiments de son apôtre, puisqu'il lit au fond de tous les cœurs : « Toi, Seigneur, qui connais tous les cœurs », Act. 1, 24. - Vous savez que je vous aime... L'apôtre dut appuyer sur tous les mots. Il y a ici encore un changement remarquable dans les verbes, γινωσκεις après οιδας . Oιδας employé trois fois de suite (Cf. vv. 15 et 16) marquait la science surnaturelle et divine de Jésus (vous savez toutes choses) : γινωσκεις fait allusion à ses connaissances naturelles et d'expérience. Voyez d'autres permutations analogues de ces deux verbes dans les passages 7, 27 ; 8 ; 55 ; 13, 7 ; 14, 7. - Je vous aime. Encore φιλω σε, mais cette φιλια sera une αγαπη plus forte que la mort. - Fais paître mes brebis, βοσκε τα προβατα μου. Nous trouvons de nouveau, dans le texte grec, d'admirables et délicates nuances de langage. Jésus revient au verbe βοσκω ; puis, d'après la leçon probable, il appelle ses brebis des προβατα, de manière à produire cette gradation bien exprimée par S. Ambroise (Exposit. in Luc. 10, 176) : « Le Seigneur l’interroge trois fois. Il ne lui demande pas : as-tu pour moi de l’estime, mais m’aimes-tu. Et ensuite, il ne lui commande pas de paître des agneaux avec du lait, comme il l’avait fait d’abord, ni les petites agnelles, comme la deuxième fois, mais les brebis, pour que, étant plus parfait, il gouverne les plus parfaits ». Toutefois, si, comme nous l'avons dit en expliquant le v. 15, ποιμαινειν a une signification plus étendue que βοσκειν, pourquoi Notre-Seigneur dit-il maintenant βοσκε, et conclue-t-il, non par l'injonction la plus forte, ainsi qu'il semblerait naturel, mais par la plus faible ? La raison en est très simple : c'est qu'en fin de compte les autres soins du berger ne serviraient de rien, si les brebis n'étaient tout d'abord nourries. Nourrir le troupeau, lui chercher une excellente pâture spirituelle proportionnée à ses besoins, est donc la dernière comme la première occupation des pasteurs mystiques. Voyez Trench, Synonyme, du N. T., p. 97 et ss. de la trad. Franc. ; Stanley, Essays and Sermons on the apostolical Age, p. 138. - Les conclusions dogmatiques de ces trois versets (15-17) ont été depuis longtemps tirées par les docteurs de l’Église : elles se ramènent à la primauté absolue de S. Pierre et de ses successeurs. « Du fait que, parmi tous les autres, Pierre est le seul à professer son amour, il est placé avant tous les autres ». S. Ambr., Expos. in Luc. 10, 175. « Il lui a d’abord confié les agneaux et ensuite les brebis, parce qu’il ne l’a pas seulement établi pasteur, mais pasteur des pasteurs. Pierre fait donc paître les agneaux et les brebis ; il fait paître les fils et les mères, i.e. il régit les fidèles et les prélats », S. Eucher, ou l'auteur de l'homélie De natali SS. Petri et Pauli, Biblioth. Vet. Patr., t. 6, Lugd. 1677. « Tu n’es pas seulement le pasteur des brebis mais de tous les pasteurs. Tu demandes comment je peux prouver ce que j’avance. Avec la parole du Seigneur : fais paître mes agneaux, fais paître mes brebis ». S. Bernard, De consider. 2, 8, 15, etc. Tradition admirablement résumée par Bossuet dans ces lignes non moins solides qu'éloquentes de son Discours sur l'unité de l’Église : « Jésus-Christ poursuit son dessein ; et après avoir dit à Pierre, éternel prédicateur de la foi : Tu es Pierre..., il ajoute : Et je te donnerai les clefs du royaume des cieux.. Tout est soumis à ces clefs, tout, rois et peuples, pasteurs et troupeaux. Nous le publions avec joie ; car nous aimons l'unité, et nous tenons à gloire notre obéissance. C'est à Pierre qu'il ordonne... de paître et de gouverner tout, et les agneaux et les brebis, et les petits et les mères, et les pasteurs mêmes. Pasteurs à l'égard des peuples, et brebis à l'égard de Pierre, ils honorent en lui Jésus-Christ. » Voyez les développements dans les traités De Ecclesia.

« Après que Pierre a répondu par trois fois, comme il le devait, qu'il aimait le Seigneur, et après que Jésus lui a confié ses brebis, il lui parle des souffrances qui l'attendent », disait S. Augustin, Serm. 253, 2, pour marquer l'enchaînement du récit. S. Pierre a demandé de subir le martyre pour Jésus, 13, 37 ; sa prière sera pleinement exaucée. Aux paroles qui instituaient le fils de Jean chef suprême de l’Église, Notre-Seigneur en associe d'autres (vv. 18 et 19) qui lui prédisent la souffrance, et une mort tragique. - En vérité, en vérité... Ici, comme partout ailleurs dans le quatrième évangile, cette formule caractéristique (voyez la note de 1, 52) sert d'introduction à une idée grave et importante. - Lorsque tu étais plus jeune... Charmant tableau, dont Jésus emprunte les traits si familiers, si pittoresques, aux usages ordinaires de la vie, ainsi qu'il aimait à le faire (voyez l'Evang. selon S. Matth. p. 97). C'est ce qu'exprime fort bien Maldonat, h. l. : « Jésus fait sans aucun doute allusion à ce qui a coutume de distinguer la jeunesse de la vieillesse. Les jeunes sont normalement plus robustes et plus agiles que les vieux. Ils se suffisent donc à eux-mêmes. Ils n’ont besoin de l’aide de personne pour satisfaire aux besoins de leur corps. Ils s’habillent eux-mêmes, ils se dévêtent eux-mêmes. Ils font ce qu’ils veulent sans conducteur, sans guide. Ils sont alertes et dispos. Les vieux, au contraire, à cause de l’âge, de la maladie ou de la faiblesse, ont besoin de l’aide d’autrui pour se vêtir et se sustenter. C’est la même chose qui arrivera à Pierre, comme le veut la nature ». S. Pierre se trouvait alors entre ces deux états, d'après le langage même de Jésus : Quand tu étais plus jeune, quand tu auras vieilli... - Tu mettais ta ceinture toi-même comme font les Orientaux pour relever leurs amples vêtements, lorsqu'ils veulent travailler, marcher, etc. Voyez notre Atlas archéologique de la Bible, pl. 1, fig. 4, 5, 7. - Les mots tu allais où tu voulais expriment d'une façon graphique la liberté d'allures et d'actions dont jouissent les jeunes gens. A cet âge de la vigueur physique et intellectuelle, on ne dépend à peu près de personne. - Mais lorsque tu seras vieux : Lorsque S. Pierre aura atteint cet âge de la dépendance universelle, dont les misères sont si spirituellement décrites au livre de l'Ecclésiaste (12, 1-8. Voyez Laurens, Morceaux choisis de la Bible, Toulouse, 1869, p. 397 et s.). Il suit de cette parole que Pierre était destiné à une assez longue vie. Cf. 2 Petr. 1, 14 ; S. Augustin et S. Jean Chrysost., in h. l. - Tu étendras tes mains, et un autre... Autre détail vivant et plastique. Les bras faibles et raidis d'un vieillard ne lui permettent que difficilement de se ceindre lui-même ; or quand on se fait rendre ce service par un autre, il est nécessaire d'étendre les mains à quelque distance du corps, pour qu'elles ne soient pas attachées par la ceinture. Mais, les bras étendus offrent précisément l'attitude des condamnés au supplice de la croix ; aussi est-il très probable, d'après l'interprétation commune des anciens, que Jésus faisait allusion, par les mots tu étendras tes mains, non à une mort quelconque, mais au supplice que l'apôtre S. Pierre devait endurer sur la croix. Tertullien, Scorp. 15 : « Pierre sera ceint par un autre quand il sera attaché étroitement à la croix ». Cf. De Præscript., 35 ; Eusèbe, Hist. eccl., II, 25. De ces textes, il est intéressant de rapprocher ceux des écrivains classiques, qui signalent « l'action d'étendre les mains » (Artimédon) comme un trait caractéristique du crucifiement. Sénèque, Consol. ad Marc. 20 : « Ils déploieront les bras sur la partie transversale de la croix ». Etc. - Et te conduira... Par opposition à tu allais où tu voulais. Du reste, l'antithèse est parfaitement suivie d'un bout à l'autre de la phrase. - Où tu ne voudras pas c'est-à-dire à une mort cruelle, qui fait frémir la nature, quelle que soit la générosité du cœur. « Car qui veut mourir ? Sûrement personne », S. Aug. Serm. 123, 2. « La mort ne plaît jamais à la chair ; et ne pas vouloir mourir à la chair lui est apparenté », dit le chanoine Guilliaud d'Autun. Cela a été vrai même pour le Christ, ajoute-t-il. Cf. Marc. 15, 22 (et le commentaire), où l'on voit toute la force du verbe οισει (littéral. : il te portera, te traînera).

Note exégétique du narrateur, pour expliquer le langage figuré dont avait usé Notre-Seigneur. - Pour marquer : symbolisant, indiquant un signe, une image. - Par quelle mort, par quel genre de mort particulier. Cf. 12, 33. - Il devait glorifier Dieu. Belle et noble appellation du martyre. Cf. 7, 39 ; 12, 23 ; 13, 31 ; 17, 1 ; Phil. 1, 20 ; 1 Petr. 4, 16. Sacrifier pour Dieu ce que nous avons de plus cher, notre vie, c'est en effet la meilleure manière que nous ayons de le glorifier. - Le crucifiement de S. Pierre à Rome est un fait historique rigoureusement démontré. Les témoignages remontent jusqu'à S. Clément pape, Epist. 1 ad Cor. 5, 4, et à Tertullien, Scorp. 15. Cf. Gehbardt, Patr. apostolic. opera, 2e édit., p. 13 et ss. Sur l'humble et courageuse demande adressée par S. Pierre à ses bourreaux, pour obtenir d'être crucifié la tête en bas, voyez Eusèbe (Hist. eccles. 3, 1, 2), qui cite le témoignage d'Origène. Le prince des apôtres était déjà mort depuis d'assez nombreuses années lorsque S. Jean transcrivait l'oracle de Jésus.

Transition à une nouvelle scène et à un second oracle. - Suis-moi. « Et en même temps, le Sauveur se mit à marcher et S. Pierre à le suivre. Jésus voulait marquer par cette action que Pierre le suivrait au supplice de la croix. » Calmet ; h. l. Cf. S. Jean Chrysost., Tolet, Maldonat, etc. Il faut donc interpréter tout ensemble au propre et au figuré ce Suis-moi du divin Maître : au propre comme le comprirent S. Pierre (s’étant retourné, v. 20) et S. Jean (derrière lui, ibid.) ; au figuré d'après le contexte et la tradition. C'est encore le riche symbolisme qui parcourt en entier le quatrième évangile à la façon d'un fil d'or.

Pierre, s'étant retourné. Trait pittoresque, qui dénote avec d'autres passages de ce chapitre un témoin oculaire des faits. - Vit. Dans le texte grec, le verbe est au présent. - Le disciple (l'article est emphatique) que Jésus aimait, et qui, pendant la scène... Sur ces détails, voyez 13, 23, 25 et le commentaire. - Venir derrière lui. Quoique l'invitation de Jésus ne s'adressât directement qu'à Pierre, Jean aussi s'était mis à le suivre à quelque distance, en sa qualité de disciple privilégié.

Pierre donc, l'ayant vu, dit à Jésus... S. Pierre a repris toute sa familiarité accoutumée avec le bon Maître, et il se permet de l'interroger. - Celui-ci (par opposition à Pierre lui-même), que deviendra-t-il ? Quel sort tenez-vous en réserve pour lui ? S. Pierre et S. Jean étaient étroitement liés. Cf. 13, 6-9, 24 ; 18,15 ; 20, 1-6 ; Act. 3, 1 et ss. ; 8, 14 ; etc. Il était bien naturel que le premier s’intéressât au second, et cherchât à obtenir des renseignements sur ses futures destinées. « Ne voulant pas abandonner Jean avec lequel il avait toujours été associé », S. Jérôme, Adv. Jovin. 1, 26. Divers commentateurs protestants (Olshausen, Lücke, Meyer, etc.) osent attribuer la question de S. Pierre à un motif de jalousie !

Si je veux... Jésus parle en Seigneur et affirme sa divine volonté. Cf. 17, 24 ; Matth. 8, 3 ; 26, 39, etc. La particule « si » laisse toutefois dans un vague mystérieux les desseins arrêtés du Maître. - Qu’il demeure, une des expressions favorites de S. Jean. Demeurer vivant sur la terre, par opposition à « suivre » au moyen d'une mort plus ou moins prochaine. Cf. 12, 34 ; 1 Cor. 15, 6 ; Phil. 1, 25. - Jusqu'à ce que je vienne... Dans le texte grec, au présent, littéral. : « tandis que je viens » : locution qui désigne moins un point précis de l'avenir, qu'un fait constamment et lentement en voie de s'accomplir (Westcott). La pensée générale de Jésus est très claire : Jean devra demeurer longtemps encore sur la terre ; mais les paroles sont de plus en plus vagues, puisque le Sauveur ne voulait pas révéler son secret à S. Pierre. De là les interprétations multiples des exégètes : Jusqu'à mon second avènement, jusqu'à l'établissement solide de l’Église, jusqu'à la ruine de Jérusalem, jusqu'à ce que je l'enlève par une douce mort, etc. Il nous paraît préférable de laisser la phrase dans sa généralité : « Jusqu'à mon avènement », quel qu'il soit. - Que t'importe ? Jésus refuse d'en dire davantage sur ce point, qui ne concernait que lui seul. - Toi, suis-moi. Les deux pronoms sont emphatiques, surtout le « moi » qui précède cette fois le verbe, du moins d'après la leçon la plus probable (א, A, B, C, D, Itala, Vulg., etc. ; plus haut, v, 19, Jésus avait dit : « Suis-moi »). Quoi qu'il en soit de ma volonté relativement à ton ami, pour toi tu n'as qu'une chose à faire : Suis-moi. Jésus est le chef suprême ; à lui le soin de distribuer les rôles dans son Église.

Le bruit courut donc : en conséquence de la parole ambiguë du Sauveur. Sur une phrase hypothétique, laissée à dessein dans le vague, on ne tarda pas à baser une conclusion positive. - Entre les frères. C'est-à-dire parmi les chrétiens, auxquels cette dénomination pleine de douceur sera désormais habituellement donnée. Cf. Act. 9, 30 ; 11, 1, 29 ; 15, 1, 3, 22, 23, etc. C'est la seule fois qu'on la rencontre dans les Évangiles. - Que ce disciple (expression si modeste !) ne mourrait pas. Aux premiers jours du christianisme, comme on le voit par divers passages des Épîtres de S. Paul (Cf. 1 Thess. 4, 12-17 ; 2 Thess. 2, 1-11), les « frères » supposaient la fin du monde très prochaine ; ils avaient donc aisément conclu que « qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne » promettait à S. Jean une immortalité certaine : opinion qui alla toujours grandissant, favorisée qu'elle semblait être par la longévité de l'apôtre. La légende s'en mêla bientôt, ainsi que nous l'apprend S. Augustin (Tract. 124, 2), au temps duquel on prétendait encore que le disciple bien-aimé, quoique enseveli, continuait de vivre dans son sépulcre d’Éphèse. - Cependant, Jésus n'avait pas dit. S. Jean lui-même va corriger l'erreur, en faisant cesser l’ambiguïté. Jésus n'avait pas dit : Il ne mourra pas, ce qui eût été parfaitement clair, mais : Si je veux qu’il demeure. Cette dernière phrase répète les paroles mêmes du Sauveur. Cf. v. 22. - Ces deux prédictions s'accomplirent : S. Pierre mourut sur une croix ; S. Jean s'attarda sur la terre, en attendant que Jésus vînt le prendre et le conduire au ciel : il survécut aux douze apôtres et vit la ruine de sa nation. Voyez les beaux développements de Bossuet, Sermon pour la fête de S. Jean. S. Augustin, Tract. 124, 3, résume tout dans un mot ingénieux qu'il place sur les lèvres de Notre-Seigneur : « Suis-moi par une vie active, (l'action qui représente l'ardeur de S. Pierre), parfaite et modelée sur l'exemple de ma passion : pour celui qui a commencé à me contempler (S. Jean), qu'il continue jusqu'à ce que je vienne, et quand je viendrai, je porterai à la perfection son habitude de me voir ».

C'est ce disciple. Formule très emphatique. Le disciple dont il a été question aux vv. 20-23, S. Jean par conséquent. - Qui rend témoignage : une des expressions favorites de notre évangéliste. - Et qui les a écrites : le témoignage demeure comme un fait constant ; mais déjà la composition de l'évangile appartenait au domaine du passé. « Ces choses » retombe en effet sur la narration entière de S. Jean, et point seulement sur le chapitre 21. - Et nous savons. S. Jean Chrysostome scinde à tort le verbe et traduit par « or je sais », pour enlever la difficulté signalée plus haut. - Son témoignage est véridique... Cf. 19, 35 et le commentaire.

Il y a encore beaucoup d'autres choses. Sorte d'excuse, analogue à celle de 20, 30. L'évangéliste voudrait avoir été plus complet. - Que Jésus a faites : le texte grec désigne tout à la fois l'éclat et la multitude des actions de Jésus omises par l'écrivain sacré. Cf. Apoc. 1, 2. - Si on les écrivait une à une... Il suit de là que les matériaux qui présentaient des garanties absolues de vérité abondaient encore ; le quatrième évangile a donc été en entier composé d'assez bonne heure, ainsi que tant d'autres arguments nous l'ont prouvé. Voyez la Préface, § 4, 1. - Je ne pense pas que le monde entier... L'emploi du singulier est peu dans le style de S. Jean, de même l'hyperbole qui suit ; car nous avons trouvé notre narrateur toujours si simple. Néanmoins, on ne saurait démontrer d'une manière certaine qu'il n'a pas pu tenir ce langage. - Pût contenir les livres que l'on devrait écrire. Hyperbole, disions-nous ; et pourtant quelle exacte vérité ! Depuis dix-huit siècles, la science et la piété ont accumulé volume sur volume à propos de ce thème adorable : combien de commentaires anciens et modernes sur les saints Évangiles ! combien de vies de N.-S. Jésus-Christ ! Et pourtant le sujet semble toujours neuf, tant la matière est riche et abondante. C'est la consolation des pauvres exégètes, en même temps que leur désespoir. Il faut s'en souvenir, les évangiles, même réunis, ne nous offrent que des fragments, qui roulent à peine sur la dixième partie de l'histoire personnelle de Jésus. - L’Amen de la Recepta est omis par les meilleurs témoins. C'est la prière d'un pieux copiste : que ce soit la nôtre aussi, pour que le désir de S. Jean soit accompli : « afin que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et que, le croyant, vous ayez la vie en son nom », 20, 31.