Saint Augustin
Saint Augustin, également connu sous le nom d'Augustin d'Hippone, est une figure centrale dans le développement de la pensée chrétienne occidentale et un saint vénéré dans l'Église catholique. Sa vie et son œuvre ont eu un impact profond sur la théologie chrétienne, en particulier sur des sujets tels que la grâce, la nature humaine et la doctrine du péché originel.
Né le 13 novembre 354 à Thagaste, en Algérie actuelle, Augustin grandit dans une famille mixte : son père, Patricius, était païen, tandis que sa mère, Sainte Monique, était une chrétienne dévouée. Bien qu'initialement indifférent à la foi chrétienne, les prières incessantes de sa mère pour sa conversion jouèrent un rôle crucial dans son parcours spirituel.
Augustin reçut une éducation classique et excella dans l'étude de la rhétorique. Cependant, sa quête de sens le conduisit à adhérer au manichéisme, une secte religieuse populaire à l'époque. Ce n'est qu'après une période de recherche intellectuelle et spirituelle intense, marquée par une lutte contre ses propres désirs et péchés, qu'il se convertit au christianisme en 386, sous l'influence de l'enseignement de Saint Ambroise, évêque de Milan.
Sa conversion fut un moment charnière, non seulement pour sa vie personnelle mais aussi pour l'histoire de la chrétienté. Après sa conversion, Augustin adopta un mode de vie ascétique et fut ordonné prêtre en 391, puis évêque d'Hippone en 395. En tant qu'évêque, il se consacra à la prédication, à l'enseignement et à l'écriture.
Parmi ses œuvres les plus influentes figurent "Les Confessions", une autobiographie spirituelle où il relate son chemin vers la foi, et "La Cité de Dieu", une défense du christianisme et une réflexion sur l'histoire en tant que conflit entre la "Cité de Dieu" et la "Cité des Hommes". Ses écrits touchent à des thèmes variés, allant de la théologie et la philosophie à la psychologie et la métaphysique.
Saint Augustin est particulièrement connu pour sa compréhension de la grâce divine comme étant essentielle au salut, mettant l'accent sur le rôle de Dieu dans la conversion et la rédemption des pécheurs. Ses idées ont été fondamentales dans le développement de la doctrine du péché originel et de la grâce prévenante.
Il meurt le 28 août 430, laissant derrière lui un héritage théologique immense. Sa pensée continue d'influencer la théologie chrétienne et son exemple de conversion inspire les croyants à travers le monde. Saint Augustin reste une figure emblématique de la foi chrétienne, symbolisant la quête incessante de vérité et la transformation profonde que peut apporter la foi en Dieu.
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Tout ce que nous faisons, tout ce que nous faisons de bon, tout ce que nous nous efforçons d'obtenir, toutes les causes dignes d'éloges pour lesquelles nous nous dépensons, tout ce que nous désirons d'honnête, nous ne le rechercherons plus quand nous serons parvenus à la vision de Dieu. Que pourrait bien chercher celui qui possède Dieu? Qu'est-ce qui pourrait satisfaire celui qui ne se satisfait pas de Dieu?
Nous voulons voir Dieu, nous cherchons à le voir, nous désirons ardemment le voir. Qui n'a pas ce désir? Mais remarque ce que dit l'évangile: Heureux les coeurs purs: ils verront Dieu! Fais en sorte de le voir. Pour prendre une comparaison parmi les réalités matérielles, comment voudrais-tu contempler le soleil levant avec des yeux chassieux? Si tes yeux sont sains, cette lumière sera pour toi un plaisir; s'ils sont malades, elle sera pour toi un supplice. Assurément, il ne te sera pas permis de voir avec un coeur impur ce que l'on ne peut voir qu'avec un coeur pur. Tu en seras écarté, éloigné, tu ne verras pas. Heureux, en effet, les coeurs purs: ils verront Dieu!
Combien de fois le Seigneur a-t-il proclamé des hommes "bienheureux"? Quels motifs du bonheur éternel a-t-il cités, quelles bonnes oeuvres, quels dons, quels mérites et quelles récompenses? Aucune autre béatitude n'affirme: Ils verront Dieu. Voici comment les autres s'énoncent: Heureux les pauvres de coeur: le Royaume des cieux est à eux! Heureux les doux: ils obtiendront la terre promise! Heureux ceux qui pleurent: ils seront consolés! Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice: ils seront rassasiés! Heureux les miséricordieux: ils obtiendront miséricorde! Aucune, donc, n'affirme: Ils verront Dieu.
La vision de Dieu est promise quand il s'agit d'hommes au coeur pur. Cela n'est pas sans raison, puisque les yeux qui permettent de voir Dieu sont dans le coeur. Ce sont les yeux dont parle l'Apôtre Paul quand il dit: Puisse-t-il illuminer les yeux de votre coeur (Ep 1,18)! Dans le temps présent, ces yeux, en raison de leur faiblesse, sont donc illuminés par la foi; plus tard, en raison de leur vigueur, ils seront illuminés par la vision. Car nous sommes en exil loin du Seigneur tant que nous habitons dans ce corps; en effet, nous cheminons dans la foi, non dans la claire vision (2Co 5,6-7). Et aussi longtemps que nous cheminons dans cette foi, que dit de nous l'Écriture? Nous voyons actuellement une image obscure dans un miroir; ce jour-là, nous verrons face à face (1Co 13,12).
Ils étaient forts, ceux qui récriminaient contre les disciples du Christ parce que leur Maître fréquentait les faibles et mangeait avec eux. Pourquoi donc, leur disaient-ils, votre maître mange-t-il avec les publicains et les pécheurs (Mt 9,11)?
Ah! vous, les forts, qui n'avez pas besoin de médecin! Votre force ne vient pas de la santé mais de la folie. <> Dieu nous garde d'imiter ces hommes forts! Car on peut craindre de tout homme qu'il ne veuille les imiter. Mais le Maître de l'humilité, qui a partagé notre faiblesse et nous a rendus participants de sa divinité, est descendu du ciel pour nous montrer le chemin et être lui-même notre chemin. Surtout il a bien voulu nous laisser l'exemple de son humilité. Voilà pourquoi il n'a pas dédaigné d'être baptisé par son serviteur, afin de nous apprendre à confesser nos péchés, à nous humilier pour devenir forts et à faire nôtre cette parole de l'Apôtre: Lorsque je suis faible, c'est alors que je suis fort (2Co 12,10).
Quant à ceux qui se sont flattés d'être forts, qui ont, en d'autres termes, prétendu être justes par leur propre vertu, ils ont buté contre la pierre d'achoppement (Rm 9,32). Ils ont pris l'Agneau pour un bouc; et parce qu'ils l'ont mis à mort comme un bouc, ils n'ont pas mérité d'être rachetés par l'Agneau.
Ce sont donc ces hommes forts qui se sont jetés sur le Christ en se vantant de leur justice. Écoutez ce que disaient ces hommes forts! Des gens de Jérusalem chargèrent un jour des gardes d'aller arrêter le Chr ist. Or, ceux-ci n'osèrent se saisir de lui. <> A ceux qui leur demandaient pourquoi ils n'avaient pas pu l'arrêter, les gardes répliquèrent: Jamais un homme n'a parlé comme cet homme. Alors ces hommes forts déclarèrent: Parmi les pharisiens et les scribes y en a-t-il un seul qui ait cru en lui? Il n'y a que ce peuple qui ne sait rien de la Loi (Jn 7,45-49).
Ils s'étaient mis au-dessus de la foule des faibles qui accourait vers le médecin. Pourquoi? Simplement parce qu'ils étaient forts. Et, ce qui est plus grave, ils ont aussi, en faisant usage de leur force, attiré à eux toute cette foule. Puis ils ont tué le médecin de tous les hommes. Mais lui, dans sa mort, a préparé pour tous les malades un remède avec son sang.
Vous le savez, et nous vous l'avons répété bien des fois, ses membres si nombreux sont unis sous une seule tête, notre Sauveur même, par le lien de l'amour et de la paix. Ils ne forment qu'un seul homme et leur voix se fait entendre souvent dans les psaumes comme la voix d'un seul. Et la voix de cet homme crie vers Dieu comme si c'était leurs voix à tous, car tous ne font qu'un en lui.
Écoutons donc cette voix nous dire les souffrances des martyrs et les furieuses tempêtes de haine qui se sont abattues sur eux en ce monde. Ils pouvaient craindre non pas tant d'y laisser la vie du corps qu'ils auraient à abandonner un jour, mais surtout d'y perdre la foi. N'allaient-ils pas, s'ils cédaient aux atroces souffrances infligées par leurs persécuteurs ou aux attraits de la vie d'ici-bas, laisser s'échapper le fruit des promesses divines?
Dieu les a libérés de toute peur par sa parole et aussi par son exemple. Par sa parole, en leur disant: Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent tuer l'âme (Mt 10,28). Par son exemple, en pratiquant ce que ses discours enseignaient. Ainsi, il n'a pas voulu se soustraire aux mains qui l'ont flagellé, ni échapper à ceux qui l'ont souffleté, couvert de crachats, couronné d'épines et fait mourir sur la croix. Alors qu'il n'était nullement obligé de les endurer, il n'a voulu se dérober à aucun de ces supplices, à cause de ceux à qui ces souffrances étaient nécessaires. Il a fait de sa personne un remède pour les malades.
Les martyrs ont donc souffert, mais ils auraient sans doute renoncé s'ils n'avaient pas eu toujours auprès d'eux celui qui a dit: Et moi, je suis avec vous jusqu'à la fin du monde (Mt 28,20).
L'amour, en effet, adoucit ce que les préceptes peuvent avoir de pénible. Nous connaissons toutes les merveilles que l'amour peut accomplir. Sans doute, cet amour est souvent immoral et malhonnête! Quelles rigueurs les hommes n'ont-ils pas endurées, quelles conditions de vie indignes et intolérables n'ont-ils pas supportées pour arriver à posséder l'objet de leur amour! <> Or, ce qu'ils aiment nous permet, le plus souvent, de savoir ce qu'ils sont eux-mêmes; ils devraient, quand ils s'interrogent sur la direction à donner à leur vie, se soucier uniquement du choix de ce qu'ils aimeront. Pourquoi s'étonner que celui qui aime le Christ et veut le suivre, renonce à soi-même pour l'aimer? Car, si l'homme se perd en s'aimant soi-même, il doit sans aucun doute se trouver en se renonçant.
Qui refuserait de suivre le Christ au séjour du bonheur parfait, de la paix suprême et de l'éternelle tranquillité? Il est bon de le suivre jusque là; encore faut-il connaître la voie pour y parvenir. Aussi bien le Seigneur n'a pas fait cette recommandation après sa résurrection, mais avant sa passion. Il devait encore être crucifié, endurer l'ignominie, les outrages, les coups, les épines, les blessures, les insultes, l'opprobre et la mort!
Le chemin te semble couvert d'aspérités, il te rebute, tu ne veux pas suivre le Christ. Marche à sa suite! Le chemin que les hommes se sont tracé est raboteux, mais il a été aplani quand le Christ l'a foulé en retournant au ciel. Qui donc refuserait d'avancer vers la gloire? Tout le monde aime à s'élever en gloire, mais l'humilité est la marche à gravir pour y arriver. Pourquoi lèves-tu le pied plus haut que toi? Tu veux donc tomber au lieu de monter? Commence par cette marche: déjà elle te fait monter.
Les deux disciples qui disaient: Seigneur, accorde-nous de siéger, l'un à ta droite et l'autre à ta gauche, dans ton Royaume (Mc 10,37), ne prêtaient aucune attention à ce degré d'humilité. Ils visaient le sommet et ne voyaient pas la marche. Mais le Seigneur leur a montré la marche. Eh bien, qu'a-t-il répondu? "Pouvez-vous boire à la coupe que je vais boire (Mc 10,38)? Vous qui désirez parvenir au faîte des honneurs, pouvez-vous boire le calice de l'humilité?" Voilà pourquoi il ne s'est pas borné à dire d'une manière générale: Qu'il renonce à lui-même et qu'il me suive, mais il a ajouté: Qu'il prenne sa croix et qu'il me suive (Mc 8,34).
Que signifie: Qu'il prenne sa croix? Qu'il supporte tout ce qui lui est pénible; c'est ainsi qu'il me suivra. Dès qu'il aura commencé à me suivre en se conformant à ma vie et à mes commandements, il trouvera sur son chemin bien des gens qui le contrediront, qui chercheront à le détourner et à le dissuader, et cela même parmi ceux qui passent pour des compagnons du Christ.
Quelles que soient les menaces, les séductions ou les interdictions dont tu seras l'objet, si tu veux le suivre, fais de tout cela ta croix. Accepte-la, porte-la, ne succombe pas sous le poids.
Ces paroles du Christ ont encouragé les martyrs. Ne faut-il pas, à l'heure de la persécution, que tu comptes pour rien toutes choses à cause du Christ?
Témoin de ce spectacle, Pierre, en homme qu'il était, eut des pensées humaines. Il dit: Seigneur, il nous est bon d'être ici! Las de vivre au milieu de la foule, il avait trouvé la solitude sur la montagne, où son âme se nourrissait du Christ. Pourquoi quitter ce lieu pour aller vers les fatigues et les peines, puisqu'il brûlait pour Dieu d'un saint amour et, par le fait même, sanctifiait sa vie? Il voulait ce bonheur pour lui, si bien qu'il ajouta: Si tu le veux, faisons ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Elle (Mt 17,4).
Le Seigneur ne répondit rien à cela, et pourtant Pierre obtint une réponse. En effet, tandis qu'il parlait, une nuée lumineuse apparut et les couvrit de son ombre. Pierre désirait trois tentes: la réponse ve nue du ciel montra que nous n'en avons qu'une, que l'esprit humain voulait pourtant diviser. Le Verbe de Dieu est le Christ, le Verbe de Dieu est dans la Loi, le Verbe de Dieu est dans les Prophètes. Pourquoi, Pierre, cherches-tu à le diviser? Tu devrais plutôt unir. Tu demandes trois tentes: comprends qu'il n'y en a qu'une.
Au moment donc où la nuée les enveloppa tous, et forma pour ainsi dire une seule tente au-dessus d'eux, une voix en sortit et ils entendirent ces paroles: Celui-ci est mon Fils bien-aimé.
Moïse était là, Élie aussi était là, mais la voix ne dit point: "Ceux-ci sont mes fils bien-aimés." Car autre chose est d'être le Fils unique; autre chose, des enfants adoptifs. Celui que la voix révélait est celui dont la Loi et les Prophètes se glorifiaient. Celui-ci, disait-elle, est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis tout mon amour; écoutez-le (Mt 17,5). Car vous l'avez écouté dans les Prophètes, vous l'avez écouté dans la Loi, et où ne l'avez-vous pas entendu? A ces mots, les disciples tombèrent à terre.
Ceci nous fait déjà comprendre que le Royaume de Dieu est présent dans l'Église. Le Seigneur était là, la Loi et les Prophètes étaient là. Mais le Seigneur y était comme Seigneur. La Loi était représentée par Moïse, la Prophétie par Élie. Mais tous deux se trouvaient là comme serviteurs et ministres. Ils étaient comme des récipients, le Seigneur comme la source. Moïse et les Prophètes parlaient et écrivaient, mais c'était lui qui les remplissait des paroles qu'ils répandaient.
Alors le Seigneur tendit la main et remit ses disciples debout. Puis ils ne virent plus que Jésus seul (Mt 17,8). En tombant à terre, les Apôtres symbolisent notre mort, car il a été dit à la chair: Tu es poussière et tu retourneras à la poussière (Gn 3,19). Mais, en les relevant, le Seigneur symbolise la résurrection. Et, après la résurrection, à quoi te sert la Loi? A quoi te sert la Prophétie? Dès lors Élie disparaît, et Moïse disparaît. Ce qui te reste, c'est: Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu (Jn 1,1). Le Verbe te reste pour que Dieu soit tout en tous (1Co 15,28).
Descends, Pierre. Tu désirais te reposer sur la montagne <>. Voici que le Seigneur lui-même te dit: "Descends pour peiner et servir en ce monde, pour être méprisé et crucifié en ce monde." La vie est descendue pour être mise à mort, le pain est descendu pour endurer la faim, la voie est descendue pour se fatiguer sur le chemin, la source est descendue pour endurer la soif, et toi, tu refuses de souffrir? Ne cherche pas ton profit. Pratique la charité, annonce la vérité. Tu parviendras alors à l'immortalité, et, avec elle, tu trouveras la paix.
Tout homme, il est vrai, est débiteur de Dieu, et tout homme a un frère qui est son débiteur. Y a-t-il quelqu'un qui ne doive rien à Dieu, sinon celui en qui on ne peut trouver de péché? Et quel est l'homme qui n'a pas un frère pour débiteur, sinon celui que personne n'a offensé? Pourrait-on, à ton avis, en trouver un seul dans le genre humain, qui ne soit comptable de quelque manquement envers un frère?
Donc, tout homme est débiteur envers quelqu'un, et il a, lui aussi, un débiteur. Dès lors, le Dieu juste t'a donné une règle à suivre envers ton débiteur, règle qu'il appliquera lui-même envers le sien. Il existe, en effet, deux oeuvres de miséricorde qui peuvent nous libérer. Le Seigneur lui-même les a formulées brièvement dans son évangile: Remettez, et il vous sera remis; donnez, et l'on vous donnera (Lc 6,37-38). La première a pour objet le pardon, et la seconde, la charité.
Le Seigneur parle du pardon. Or, tu désires obtenir le pardon de tes péchés, et tu as aussi des péchés à pardonner à quelqu'un. Il en va de même pour la charité: un mendiant te demande l'aumône et tu es le mendiant de Dieu, car nous sommes tous, quand nous le prions, les mendiants de Dieu. Nous nous tenons, ou plutôt nous nous prosternons devant la porte de notre Père de famille; nous le supplions en nous lamentant, désireux de recevoir de lui une grâce, et cette grâce, c'est Dieu même. Que te demande le mendiant? Du pain. Et toi, que demandes-tu à Dieu? Simplement le Christ, qui dit: Je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel (Jn 6,51). Vous voulez être pardonnes? Pardonnez. Remettez, et il vous sera remis. Vous voulez recevoir? Donnez, et l'on vous donnera.
Oui, vraiment, si nous considérons nos péchés et passons en revue les fautes que nous avons commises par action, par la vue, par l'ouïe, par la pensée, par tant de mouvements de notre coeur, j'ignore si nous pourrions nous endormir sans sentir peser tout le poids de notre dette. Voilà pourquoi chaque jour nous présentons à Dieu des demandes, chaque jour nos prières vont frapper à ses oreilles, chaque jour nous nou s prosternons en disant: Remets-nous nos dettes comme nous les avons remises nous-mêmes à ceux qui nous devaient (Mt 6,12).
Quelles dettes veux-tu te faire remettre? Toutes, ou une partie? Tu vas répondre "Toutes." Fais-donc de même pour ton débiteur. C'est la règle que tu formules et la condition que tu poses. Tu les rappelles lorsque tu pries en accord avec ce pacte et cette alliance, et que tu dis: Remets-nous nos dettes comme nous les avons remises nous-mêmes à ceux qui nous devaient.
Le Royaume des cieux est comparable au père de famille qui sortit afin d'embaucher des ouvriers pour sa vigne (Mt 20,1). <> Celui-ci, à la fin du jour, ordonna de remettre à chacun son salaire, en commençant par les derniers pour finir par les premiers (Mt 20,8).
Que faut-il donc entendre par en commençant par les derniers! Le texte ne dit-il pas que les ouvriers vont recevoir leur salaire? Aussi bien, d'après un autre passage de l'évangile, le Seigneur dira à ceux qu'il placera à sa droite: Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le royaume préparé pour vous depuis la création du monde (Mt 25,34). Tous ensemble, ils doivent donc attendre pour recevoir leur salaire. Cela étant, comment comprendre que les ouvriers engagés à la onzième heure sont payés en premier lieu, tandis que ceux de la première heure le sont en dernier lieu? Je remercierai Dieu si j'arrive à vous le faire comprendre. Quant à vous, vous devez remercier Celui qui se sert de nous pour vous prodiguer ses largesses; en effet, ce que nous vous donnons ne vient pas de nous.
Voici par exemple un homme qui a reçu son salaire après une heure, et un autre après douze heures de travail. Si l'on demande lequel des deux l'a reçu le premier, tout le monde répondra: "Celui qui l'a reçu après une heure de travail l'a eu avant celui qui l'a reçu après douze heures de travail." C'est ce qui se passe dans la parabole: tous les ouvriers ont reçu leur salaire à la même heure, mais les uns après une heure, et les autres après douze heures de travail. Aussi peut-on dire que ceux qui l'ont reçu après un temps plus court, ont été payés les premiers.
Les justes venus au monde en premier, comme Abel et Noé, ont été, pour ainsi dire, appelés à la première heure, et ils obtiendront le bonheur de la résurrection en même temps que nous. D'autres justes, venus après eux, Abraham, Isaac, Jacob et tous ceux qui vivaient à leur époque ont été appelés à la troisième heure, et ils obtiendront le bonheur de la résurrection en même temps que nous. Il en ira de même pour ces autres justes, Moïse, Aaron et tous ceux qui furent appelés avec eux à la sixième heure; puis les suivants, les saints prophètes, appelés à la neuvième heure, goûteront le même bonheur que nous.
Tous les chrétiens sont, pour ainsi dire, appelés à la onzième heure; ils obtiendront, à la fin du monde, le bonheur de la résurrection avec ceux qui les ont précédés. Tous le recevront ensemble. Voyez pourtant combien de temps les premiers attendront avant d'y parvenir. Ainsi, ils obtiendront ce bonheur après une longue période, et nous, après peu de temps. Bien que nous devions le recevoir avec les autres, on peut dire que nous serons les premiers, puisque notre récompense ne se fera pas attendre.
Quand il s'agira de recevoir la récompense, nous serons tous à égalité, les premiers comme s'ils étaient les derniers, et les derniers comme s'ils étaient les premiers. Puisque aussi bien la pièce d'argent de la parabole est la vie éternelle, sa possession sera aussi la même pour tous. Néanmoins, en raison de la diversité des mérites, l'un resplendira plus, l'autre moins. Quant à la vie éternelle, elle sera la même pour tous, car ce qui est éternel ne durera ni plus longtemps pour l'un, ni moins longtemps pour l'autre; ce qui n'a pas de fin n'en aura ni pour moi ni pour toi. Alors, autre sera la splendeur de la chasteté conjugale, autre la gloire de la pureté virginale. Le fruit des bonnes oeuvres brillera de tel éclat, la couronne de la passion de tel autre, la gloire de l'un différera de celle de l'autre. Mais pour ce qui est de la vie éternelle, l'un ne vivra pas plus que l'autre, ni celui-ci plus que celui-là. En effet, chacun vivra également sans fin, tout en possédant sa propre gloire: car la pièce d'argent, c'est la vie éternelle!
Le roi entra pour voir les convives. Il vit un homme qui ne portait pas le vêtement de noce, et lui dit: "Mon ami, comment es-tu entré ici sans avoir le vêtement de noce?" L'autre garda le silence (Mt 22,11-12).
Que signifie donc cette parabole? <> Mes frères, tâchons de trouver ce qui appartient à certains fidèles et qui manque aux méchants: c'est précisément cela qui sera le vêtement de noce. Seraient-ce les sacrements? Vous pouvez voir qu'ils sont communs aux méchants et aux bons. Serait-ce le baptême? Personne, il est vrai, n'arrive à Dieu sans le baptême, mais tous ceux qui le reçoivent n'arrivent pas jusqu'à Dieu. Je ne puis donc penser que le baptême, j'entends le sacrement seul, soit le vêtement de noce, car je vois qu'il est porté par les méchants comme par les bons. Serait-ce l'autel, ou ce que nous recevons à l'autel? Nous voyons que beaucoup viennent y prendre leur nourriture, et pourtant ils mangent et boivent leur condamnation. Qu'est-ce donc? Le jeûne? Les méchants jeûnent aussi. La fréquentation de l'église? Les méchants y vont aussi.
Dès lors, quel est ce vêtement de noce? Voici ce que l'Apôtre nous en dit: Le but de cette prescription, c'est l'amour qui vient d'un coeur pur, d'une bonne conscience et d'une foi sincère (1Tm 1,5). Tel est le vêtement de noce. Il n'est pas n'importe quel amour, car on voit très souvent des hommes malhonnêtes en aimer d'autres, malhonnêtes comme eux <>, mais on ne trouve pas chez eux l'amour qui vient d'un coeur pur, d'une bonne conscience et d'une foi sincère. Cet amour, c'est le vêtement de noce.
J'aurais beau parler toutes les langues de la terre et du ciel, dit l'Apôtre, s'il me manque l'amour, je ne suis qu'un cuivre qui résonne, une cymbale retentissante. <> J'aurais beau être prophète, connaître tous les mystères et toute la science, et avoir la foi jusqu'à transporter les montagnes, s'il me manque l'amour, je ne suis rien (1Co 13,1-2). <> J'aurais beau avoir tout cela, dit-il, sans le Christ je ne suis rien. <> Donc, la prophétie n'est-elle rien? Et la science des mystères n'est-elle rien? Si, elles ont de la valeur; mais quand bien même je les posséderais, sans l'amour je ne suis rien.
Que de biens sont inutiles, si un seul bien vient à manquer! Si je n'ai pas l'amour, <> j'aurais beau confesser le nom du Christ jusqu'à verser mon sang, jusqu'à livrer mon corps aux flammes, cela ne servirait à rien, puisque je puis agir ainsi par amour de la gloire. Il peut donc arriver, en effet, que ces oeuvres soient privées de l'amour et de la piété, qui les auraient rendues fécondes, et qu'elles soient frappées de stérilité par le désir de la gloire. Aussi l'Apôtre les mentionne-t-il avec les autres. Ecoute ce qu'il en dit: J'aurais beau distribuer toute ma fortune en aumônes, j'aurais beau me faire brûler vif, s'il me manque l'amour, cela ne sert à rien (1Co 13,3).
Voilà le vêtement de noce. Examinez-vous: si vous l'avez, vous prendrez place avec confiance au banquet du Seigneur.
J'invoque sur ce point le témoignage du Seigneur lui-même. Voici, d'après l'évangile, ce qu'il a répondu à l'homme qui l'interrogeait sur les deux plus grands comm andements de la Loi. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de tout ton esprit, et Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Puis, pour éviter qu'on ne cherche dans les livres saints autre chose que l'amour, il a ajouté ceci: Tout ce qu'il y a dans la Loi et les Prophètes dépend de ces deux commandements (Mt 22,37 Mt 22,39-40). Si la Loi et les Prophètes dépendent entièrement de ces deux commandements, n'est-ce pas bien plus vrai encore de l'évangile?
Car l'amour renouvelle l'homme. L'amour crée vraiment l'homme nouveau, comme la convoitise fait le vieil homme. Aussi le psalmiste, luttant contre ses passions, se lamente: J'ai vieilli parmi tant d'adversaires (Ps 6,8). Et le Seigneur lui-même laisse entendre que l'amour appartient à l'homme nouveau, lorsqu'il dit: Je vous donne un commandement nouveau: c'est de vous aimer les uns les autres (Jn 13,34).
Il y a eu, même au temps passé, des hommes qui ont aimé Dieu d'un amour désintéressé. En le désirant avec ardeur, ils ont purifié leur coeur. Ils ont ôté le voile des anciennes promesses, si bien qu'ils ont contemplé la figure de la nouvelle Alliance encore à venir. Dans tous les commandements et les promesses de cette Alliance, qui étaient destinés au vieil homme, ils ont reconnu les figures de l'Alliance nouvelle, que le Seigneur devait conduire à leur terme dans les derniers temps. La parole de l'Apôtre est très claire: Ces faits, dit-il, leur arrivaient en figure, et l'Ecriture les a racontés pour nous avertir, nous qui voyons arriver la fin des temps (1Co 10,11).
Quand vint le temps de cet accomplissement, les prédicateurs de l'Alliance nouvelle se mirent à l'annoncer avec une clarté parfaite. Ils expliquèrent et interprétèrent ces figures pour que soit manifesté le sens nouveau des anciennes promesses.
Ainsi, l'amour était présent en ces temps anciens comme il l'est maintenant. Mais il était alors plus secret, et la crainte, plus apparente, tandis que l'amour est maintenant plus manifeste, et la crainte est moindre. En effet, la crainte diminue à mesure que l'amour augmente. Oui, vraiment, l'âme s'apaise quand l'amour grandit. Et quand l'âme est dans une complète tranquillité, il n'y a plus de place pour la crainte, comme le dit aussi l'apôtre Jean: L'amour parfait chasse la crainte (1Jn 4,18).
On t'a fait injure: c'est le vent qui te fouette; tu t'es mis en colère: c'est le flot qui monte. Ainsi, quand le vent souffle et que monte le flot, la barque est en péril. Ton coeur est en péril, ton coeur est secoué par les flots. L'outrage a suscité en toi le désir de la vengeance. Et voici: tu t'es vengé, cédant ainsi sous la faute d'autrui, et tu as fait naufrage. Pourquoi? Parce que le Christ s'est endormi en toi, c'est-à-dire que tu as oublié le Christ. Réveille-donc le Christ, souviens-toi du Christ, que le Christ s'éveille en toi. Pense à lui.
Que voulais-tu? Te venger. As-tu oublié la parole qu'il a dite sur la croix: Père, pardonne-leur: ils ne savent pas ce qu'ils font (Lc 23,34)? Celui qui s'était endormi dans ton coeur a refusé de se venger.
Réveille-le, rappelle-toi son souvenir. Son souvenir, c'est sa parole; son souvenir, c'est son commandement. Et quand tu auras éveillé le Christ en toi, tu te diras à toi-même: "Quel homme suis-je pour vouloir me venger? Qui suis-je pour user de menaces contre un homme? Peut-être serai-je mort avant d'avoir pu me venger? Et quand viendra pour moi le moment de quitter ce corps, si j'expire brûlant de haine et assoiffé de vengeance, celui qui n'a pas voulu se venger ne m'accueillera pas. Celui qui a dit: Donnez, et vous recevrez; pardonnez, et vous serez pardonnes (Lc 6,37) ne m'accueillera pas. Je réprimerai donc ma colère, et mon coeur trouvera à nouveau le repos." Le Christ a commandé à la mer, et elle s'est calmée (cf. Mt 8,26).
Ce que je viens de vous dire au sujet des mouvements de colère doit devenir votre règle de conduite dans toutes vos tentations. La tentation surgit: c'est le vent qui souffle; ton âme est troublée: c'est le flot qui monte. Réveille le Christ, laisse-le te parler. Qui donc est celui-ci, pour que même les vents et la mer lui obéissent (Mt 8,27)? Quel est celui à qui la mer obéit? A lui la mer, c'est lui qui l'a faite (Ps 94,5). Par lui, tout s'est fait (Jn 1,3). Imite plutôt les vents et la mer: obéis au Créateur. La mer entend l'ordre du Christ, vas-tu rester sourd? La mer obéit, le vent s'apaise, vas-tu continuer à souffler?
Que voulons-nous dire par là? Parler, agir, ourdir des machinations, n'est-ce pas souffler, et refuser de s'apaiser au commandement du Christ? Quand votre coeur est troublé, ne vous laissez pas submerger par les vagues. Si pourtant le vent nous renverse - car nous ne sommes que des hommes -, et qu'il excite les passions mauvaises de notre coeur, ne désespérons pas. Réveillons le Christ, afin de poursuivre notre voyage sur une mer paisible et de parvenir à la patrie.
Enfin, quand autrefois il était jugé, il s'est tu, et le prophète avait prédit ce silence: Comme un agneau conduit à l'abattoir, comme une brebis muette devant les tondeurs, il n'ouvre pas la bouche (Is 53,7). Mais Il viendra manifestement, notre Dieu, et il ne se taira pas. S'il s'est tu quand il allait être jugé, il ne se taira pas lorsqu'il viendra comme juge. Et déjà maintenant il ne se tait pas, s'il y a quelqu'un qui veuille l'entendre. Mais le psaume dit: Il ne se taira pas, lorsque ceux qui le méprisent maintenant reconnaîtront sa voix. Car lorsqu'on énonce maintenant les commandements de Dieu, certains les tournent en dérision. Parce que ce qu'il a promis ne se montre pas maintenant, et parce que ce dont il nous menace ne se voit pas maintenant, on se moque de ce qu'il prescrit.
Maintenant ce qu'on appelle le bonheur de ce monde, les méchants le possèdent aussi; et ce qu'on appelle le malheur de ce monde, les bons le possèdent aussi. Si des hommes ne croient qu'aux réalités présentes et ne croient pas aux réalités futures, c'est parce qu'ils observent que les biens et les maux du siècle présent appartiennent indistinctement aux bons et aux mauvais. S'ils ambitionnent les richesses, ils voient qu'elles appartiennent aux pires des hommes aussi bien qu'aux bons. S'ils ont horreur de la pauvreté et des misères de cette vie, ils voient qu'elles font souffrir non seulement les bons, mais aussi les mauvais, et ils disent dans leur coeur: Dieu ne voit pas (Ps 93,7), il ne dirige pas les affaires humaines. Il nous laisse totalement rouler au hasard dans l'abîme profond de ce monde, et il ne nous montre en rien sa providence. Et s'ils méprisent les préceptes de Dieu, c'est parce qu'ils ne voient pas son jugement se manifester.
Cependant, chacun doit remarquer, même maintenant, que Dieu, quand il le veut, regarde et juge, sans attendre une heure. Mais quand il veut, il attend. D'où vient cette différence? Parce que s'il ne jugeait jamais dès maintenant, on ne croirait pas en son existence. Mais s'il jugeait tout dès maintenant, il ne garderait rien pour le jugement. Il réserve donc beaucoup de causes pour ce jugement, mais quelques-unes sont jugées présentement, afin que ceux dont il fait attendre le jugement soient saisis de crainte et se convertissent. Car Dieu n'aime pas condamner mais sauver, et c'est pourquoi il est patient envers les mauvais, pour qu'ils deviennent bons. Cependant l'Apôtre nous dit que la colère de Dieu se révélera contre tout refus de Dieu (Rm 1,18), et qu'il rendra à chacun selon ses oeuvres (Rm 2,6). Il avertit et il reprend l'homme qui le méprise en lui disant: Méprises-tu ses trésors de bonté et de patience (Rm 2,4)? Parce qu'il est bon, parce qu'il est patient avec toi, parce qu'il te fait attendre et ne te détruit pas, tu le méprises et tu juges absolument nul le jugement de Dieu: Refuses-tu de reconnaître que ce don de Dieu te pousse à la conversion? Avec ton coeur endurci, tu accumules la colère contre toi pour le jour de la colère, où sera révélé le juste jugement de Dieu, lui qui rendra à chacun selon ses oeuvres (Rm 2,4-6).
Demeurons donc dans ses paroles pour éviter d'être confondus quand il viendra. Car lui-même dit dans l'Évangile à ceux qui avaient cru en lui: Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples. Et comme s'ils avaient demandé pour quel avantage, il ajoute: Vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres (Jn 8,31-32). Car, pour le moment, notre salut existe en espérance, pas encore en réalité. Puisque nous ne tenons pas encore ce qui a été promis, nous espérons seulement que cela viendra. Il est fidèle, celui qui a promis, il ne te trompe pas. Mais de ton côté, ne succombe pas, attends la promesse, car la vérité ne peut pas tromper. Et toi, ne sois pas menteur en professant une chose tandis que tu en fais une autre. Garde la foi, et lui gardera sa promesse. Mais si tu ne gardes pas la foi, c'est toi qui es coupable de fraude, non celui qui a promis.
Puisque vous savez que Dieu est juste, reconnaissez aussi que tout homme qui vit selon la justice de Dieu est vraiment né de lui (1Jn 2,29). Actuellement notre justice vient de la foi. La justice parfaite ne se trouve que chez les anges, et même pas chez eux si on les compare à Dieu. Pourtant s'il y a une justice parfaite dans les âmes et les esprits créés par Dieu, c'est bien chez les anges saints, justes et bons que nulle chute n'a fait dévier, qu'aucun orgueil n'a fait tomber, mais qui demeurent toujours dans la contemplation du Verbe de Dieu et qui trouvent leur unique douceur en celui qui les a créés. En eux la justice est parfaite, et en nous, par la foi, elle commence à exister selon l'Esprit.
Qu'elle est grande la bonté du Christ! Celui dont nous venons de rapporter les paroles, c'est Pierre, qui fut pêcheur, et maintenant un orateur mérite un grand éloge s'il est capable de comprendre ce pêcheur. Voilà pourquoi l'apôtre Paul s'adresse aux premiers chrétiens en ces termes; Frères, vous qui avez été appelés par Dieu, regardez bien: parmi vous, il n'y a pas beaucoup de sages aux yeux des hommes, ni de gens puissants ou de haute naissance. Au contraire, ce qu'il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour couvrir de confusion ce qui est fort. Ce qu'il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour couvrir de confusion les sages. Ce qui est d'origine modeste, méprisé dans le monde, ce qui n'est rien, voilà ce que Dieu a choisi pour détruire ce qui est quelque chose (1Co 1,26-27).
Car si le Christ avait choisi en premier lieu un orateur, l'orateur aurait pu dire: "J'ai été choisi pour mon éloquence". S'il avait choisi un sénateur, le sénateur aurait pu dire: "J'ai été choisi à cause de mon rang". Enfin, s'il avait choisi un empereur, l'empereur aurait pu dire: "J'ai été choisi en raison de mon pouvoir". Que ces gens-là se taisent, qu'ils attendent un peu, qu'ils se tiennent tranquilles. Il ne faut pas les oublier ni les rejeter, mais les faire attendre un peu; ils pourront alors se glorifier de ce qu'ils sont en eux-mêmes.
"Donne-moi, dit le Christ, ce pêcheur, donne-moi cet homme simple et sans instruction, donne-moi celui avec qui le sénateur ne daigne pas parler, même quand il lui achète un poisson. Oui, donne-moi cet homme. Certes, j'accomplirai aussi mon oeuvre dans le sénateur, l'orateur et l'empereur. Un jour viendra où j'agirai aussi dans le sénateur, mais mon action sera plus évidente dans le pêcheur. Le sénateur, l'orateur et l'empereur peuvent se glorifier de ce qu'ils sont: le pêcheur, uniquement du Christ. Que le pêcheur vienne leur enseigner l'humilité qui procure le salut. Que le pêcheur passe en premier. C'est par lui que l'empereur sera plus aisément attiré."
Songez donc à ce pêcheur saint, juste, bon et rempli du Christ, qui a reçu la charge de prendre ce peuple et tous les autres en jetant son filet jusqu'au bout du monde. Rappelez-vous donc qu'il a dit: Ainsi se confirme pour nous la parole des prophètes (2P 1,19).
Conformons-nous donc à ce divin modèle et imitons Dieu qui nous a manifesté son amour et sa vérité: son amour en nous remettant nos péchés, sa vérité en réalisant ses promesses. Comme lui, accomplissons en ce monde des oeuvres pleines d'amour et de vérité. Soyons bons envers les malades, les pauvres et même envers nos ennemis.
Vivons dans la vérité en évitant de faire le mal. Ne multiplions pas les péchés, car celui qui présume de la bonté de Dieu, laisse s'introduire en lui la volonté de rendre Dieu injuste. Il se figure que, même s'il s'obstine dans ses péchés et refuse de s'en repentir, Dieu viendra quand même lui donner une place parmi ses fidèles serviteurs.
Mais serait-il juste que Dieu te mette à la même place que ceux qui ont renoncé à leurs péchés, alors que tu persévères dans les tiens? Veux-tu être injuste au point de rendre Dieu injuste? Pourquoi donc veux-tu le plier à ta volonté? Soumets-toi plutôt à la sienne.
Qui donc met en pratique ce que je viens de dire, sinon un petit nombre d'hommes, dont il est dit: Celui qui persévérera jusqu'à la fin, celui-là sera sauvé (Mt 24,13)? Le psalmiste dit justement à ce propos: Qui recherchera l'amour et la vérité du Seigneur pour sa gloire (Ps 60,8 latin)? Que signifie: pour sa gloire! Il suffisait de dire: Qui recherchera l'amour et la vérité du Seigneur! Pourquoi ajoute-t-il: pour sa gloire! En voici la raison. Beaucoup cherchent à s'instruire de l'a mour du Seigneur et de sa vérité dans les Livres saints. Mais une fois qu'ils y sont parvenus, ils vivent pour eux, non pour lui. Ils recherchent leurs propres intérêts, non ceux de Jésus Christ. Ils prêchent l'amour et la vérité et ne les pratiquent pas. Ils les connaissent pourtant, puisqu'ils les prêchent; ils ne pourraient d'ailleurs pas les enseigner sans les connaître.
Quant à celui qui aime Dieu et le Christ, lorsqu'il prêche la vérité et l'amour divins, il les recherche pour Dieu et non dans son propre intérêt. Il ne prêche pas pour en retirer des avantages matériels, mais pour le bien des membres du Christ, c'est-à-dire de ceux qui mettent leur foi en lui. Il leur dispense ses connaissances en esprit de vérité, de sorte que le vivant n'ait plus sa vie centrée sur lui-même, mais sur celui qui est mort pour tous (cf. 2Co 5,15).
Ces paroles, si pleines de foi et d'humilité, le centurion ne les aurait pas prononcées s'il n'avait pas déjà accueilli dans son coeur celui qu'il craignait de laisser entrer dans sa maison. D'ailleurs, aurait-il été tellement heureux d'accueillir le Seigneur dans son habitation, sans l'avoir en même temps dans son coeur? Celui qui nous a enseigné l'humilité par sa parole et son exemple est allé manger, il est vrai, chez un pharisien orgueilleux appelé Simon. Le Fils de l'homme s'est bien attablé chez lui, mais il n'a trouvé dans son coeur aucune place où reposer la tête (cf. Lc 7,36).
Pourtant, sans entrer dans la maison du centurion, il a pris possession de son coeur. <> A celui qui a dit: Je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit, le Seigneur a répondu: Amen, je vous le déclare, je n'ai trouvé une telle foi chez personne en Israël (Mt 8,10), c'est-à-dire dans l'Israël terrestre; cet homme, en effet, appartenait déjà à l'Israël spirituel. Le Seigneur était venu chez les Juifs, l'Israël selon la chair, pour chercher d'abord les brebis perdues de ce peuple, dans lequel et duquel il avait pris corps. Or, il dit lui-même: Je n'y ai pas trouvé une telle foi.
Nous pouvons évaluer la foi des hommes dans la mesure du possible. Mais celui qui voit le fond des coeurs et que personne ne peut tromper, a rendu témoignage aux dispositions intérieures d'un homme qui lui avait manifesté son humilité, et il a prononcé une sentence de guérison.
Comment donc cette confiance est-elle venue au centurion? "Ainsi, dit-il, moi qui suis soumis à une autorité, j'ai des soldats sous mes ordres. Je dis à l'un: 'Va', et il va. A un autre 'Viens', et il vient, et à mon esclave: 'Fais ceci', et il le fait (Mt 8,9). J'exerce un pouvoir sur mes subordonnés et je suis moi-même soumis à une autorité supérieure. Si donc moi, un subordonné, j'ai le pouvoir de donner des ordres, que ne pourras-tu pas faire, toi, de qui dépendent toutes les puissances?"
Cet homme, venu de chez les païens, était centurion. <> Ce soldat de métier réglait sa conduite dans les limites de son pouvoir de centurion. Soumis à une autorité, il exerçait également l'autorité. Il obéissait en tant que subordonné et il commandait à ses subordonnés. Le Seigneur, lui, <> appartenait au peuple juif. Mais il proclamait déjà qu'il enverrait ses Apôtres dans le monde entier pour y établir l'Église. Sans le voir, les païens ont cru en lui, tandis que les Juifs, qui l'avaient vu, l'ont mis à mort.
Le Seigneur n'est donc pas allé chez le centurion, mais il a fortifié sa foi. Sans y entrer, il a fait sentir sa divine présence dans cette maison et lui a apporté la guérison. De la même manière, le Seigneur n'est apparu visiblement que dans le peuple juif. Aucun autre peuple ne l'a vu naître d'une vierge, souffrir, marcher, supporter toutes les vicissitudes de l'existence humaine, ni accomplir des merveilles divines. Il n'a fait aucune de ces choses parmi les autres peuples, et pourtant ce qui avait été prophétisé de lui s'est accompli: Un peuple d'inconnus m'est asservi. Comment était-ce possible, puisque ces hommes ne l'ont pas connu? Au premier mot ils m'obéissent (Ps 17,44-45). C'est le monde entier qui a entendu et qui a cru.
Que personne donc, s'il est chrétien, ne doute qu'aujourd'hui encore des morts ressuscitent. Tout homme, il est vrai, a des yeux qui lui permettent de voir un mort ressusciter, comme le fils de la veuve, dont parle l'évangile qui vient d'être lu. Quant à voir ressusciter des hommes morts spirituellement, tous n'en sont pas capables. Seuls le peuvent ceux qui sont déjà eux-mêmes ressuscites spirituellement. Ressusciter quelqu'un pour la vie éternelle est un miracle plus grand que de ressusciter quelqu'un qui est destiné à mourir une seconde fois.
La veuve, mère de ce jeune homme, s'est réjouie de sa résurrection. L'Église, notre mère, se réjouit de voir chaque jour des hommes ressusciter spirituellement. Lui, il était mort de la mort du corps; eux, de la mort de l'âme. Sa mort visible avait donné lieu à des lamentations publiques, puisque leur mort invisible n'a attiré ni l'attention ni les regards des hommes. Le seul à se soucier d'eux était celui qui les savait morts, et le seul qui les savait morts était celui qui pouvait leur rendre la vie.
Oui, vraiment, si le Seigneur n'était pas venu ressusciter les morts, l'Apôtre n'aurait pas pu dire: Réveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d'entre les morts, et le Christ t'illuminera (Ep 5,14).
Quand tu l'entends dire: Réveille-toi, ô toi qui dors, tu penses que quelqu'un est en train de dormir. Mais les mots suivants: Relève-toi d'entre les morts te font comprendre qu'il s'agit bien d'un mort. Des morts visibles aussi, on dit souvent qu'ils dorment. De toute évidence, ils dorment tous pour celui qui a le pouvoir de les réveiller.
Pour toi, un mort est réellement mort: tu as beau le secouer à ton gré, le pincer, mettre son corps en pièces, il ne se réveillera pas. Mais pour le Christ qui a dit au jeune homme: Lève-toi (Lc 7,17), celui-ci était en train de dormir, et il s'est levé aussitôt. Il est plus facile au Christ de faire lever un mort de sa tombe qu'à quiconque de réveiller un homme dans son lit.
En vérité, notre Seigneur Jésus Christ voulait que ses actions visibles soient également comprises dans leur sens spirituel. Or il n'opérait pas de miracles pour faire des miracles seulement, mais pour que ses oeuvres soient un sujet d'admiration pour ceux qui les voyaient, et une source de vérité pour ceux qui les comprenaient. Prenons un exemple. Celui qui voit dans un livre des lettres d'une belle écriture, mais ne sait pas lire, peut bien admirer la beauté des caractères et louer la dextérité du copiste: il ne sait pas ce que ces lettres signifient ni ce qu'elles représentent. Ainsi, il loue ce que voient ses yeux, mais son esprit ne saisit rien. Un autre, en revanche, loue l'habileté du scribe et comprend le sens des mots. Il voit, bien sûr, le texte que tous peuvent voir, mais en outre il peut le lire: ce qui est impossible au premier, qui ne l'a pas appris.
De même, parmi ceux qui ont vu les miracles du Christ, les uns n'ont pas compris ce qu'ils signifiaient, ni ce qu'ils enseignaient, d'une certaine manière, à ceux qui en avaient l'intelligence; ils n'ont fait qu'admirer de simples faits matériels. Les autres sont tombés en admiration devant ces prodiges et ont compris en outre ce qu'ils signifiaient. A l'école du Christ, nous devons leur ressembler.
Quelle était donc cette moisson? Certainement pas la moisson des païens, puisque chez eux rien n'avait été semé. Il nous faut donc l'entendre du peuple juif. C'est pour cette moisson-là qu'est venu le maître de la moisson, et il y a envoyé ses moissonneurs. Quant aux païens, il leur a envoyé des semeurs, non des moissonneurs. Sachons donc que la moisson était faite chez les Juifs et les semailles chez les païens. Le Seigneur avait choisi ses Apôtres dans cette moisson, où le grain était mûr et prêt à être coupé, car les prophètes l'y avaient semé. Quel plaisir de parcourir du regard la terre que Dieu cultive! Quel délice de contempler ses dons et les ouvriers qui travaillent dans son champ!
Vous pouvez y observer deux moissons, l'une qui est en cours, l'autre, encore à faire; celle-ci chez les païens, celle-là chez les Juifs. Prouvons ce que nous venons de dire en nous appuyant simplement sur la divine Écriture, celle du maître de la moisson. Voici. Nous savons qu'il est dit dans le passage que nous venons d'entendre: La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez le maître de la moisson d'envoyer des ouvriers pour sa moisson.
Il est bien dans mon propos de vous montrer que la moisson a rapport aux peuples parmi lesquels les prophètes ont prêché. Ce sont eux en effet qui étaient les semeurs, afin que les Apôtres puissent être les moissonneurs. <> Pour germer et grandir, le blé avait dû être semé par les prophètes; arrivé à maturité, il attendait que les Apôtres viennent le moissonner. <> Le Seigneur n'a-t-il pas déclaré alors à ses disciples: Vous dites que l'été est encore loin. Levez les yeux et regardez les champs, ils sont blancs pour la moisson (Jn 4,35). Il a dit encore: D'autres ont pris de la peine, et vous, vous profitez de leurs travaux (Jn 4,38). Abraham, Isaac, Jacob, Moïse et les prophètes ont pris de la peine. Ils ont peiné pour semer le grain. A son avènement, le Seigneur a trouvé la moisson mûre. Et il a envoyé les moissonneurs avec la faux de l'Évangile.
Les prédicateurs de l'Évangile ne saluent personne en chemin. Ils ne veulent rien faire d'autre qu'annoncer la Bonne Nouvelle par amour de leurs frères. Qu'ils entrent dans les maisons et qu'ils disent: Paix à cette maison (Lc 10,5). Ils ne se bornent pas à en parler, mais ils répandent la paix dont ils sont remplis. Ils proclament la paix et la possèdent. Celui qui est rempli de paix salue en disant: Paix à cette maison. S'il y a là un ami de la paix, la paix du messager ira reposer sur lui (Lc 10,6).
Car rien n'invite davantage à l'amour que d'aimer le premier. Et c'est avoir un coeur trop dur que refuser non seulement de donner l'amour, mais de le rendre. Donc, si le coeur qui sommeillait se réveille lorsqu'il se sent aimé, et si le coeur qui brûlait déjà s'enflamme davantage en découvrant qu'il est aimé de retour, il est évident qu'il n'y a rien de plus puissant pour susciter ou pour accroître l'amour que de se découvrir aimé quand on n'aimait pas encore, ou d'espérer qu'on pourra être aimé en retour, ou de l'éprouver enfin, quand on aimait le premier.
Bien que les supérieurs désirent être aimés par leurs inférieurs et prennent plaisir à leurs services empressés, et bien qu'ils les aiment d'autant plus qu'ils constatent ce dévouement, il vaut la peine de remarquer de quel amour s'enflamme un inférieur quand il se sent aimé par son supérieur. En effet, l'amour nous touche bien davantage quand il n'exprime pas le dessèchement de l'indigence, mais le ruissellement d'une bienfaisance généreuse. Dans le premier cas, il naît de la misère; dans le second, de la miséricorde.
En outre, si l'inférieur désespérait jusque-là de pouvoir seulement être aimé par son supérieur, il sera porté à l'aimer au-delà de toute expression si le supérieur, spontanément, a daigné montrer combien il l'aime, alors que cet inférieur n'aurait jamais osé se promettre un tel bonheur.
Qu'y a-t-il de plus élevé que Dieu dans son jugement, et de plus désespéré que l'homme dans son péché? Car cet homme s'était livré aux puissances d'orgueil, qui ne peuvent faire son bonheur, pour qu'elles le protègent et l'asservissent; et cela d'autant plus qu'il avait désespéré davantage de pouvoir intéresser la puissance qui veut s'élever non par le mal, mais par le bien.
Donc le Christ est venu surtout pour que l'homme sache que Dieu l'aime, et pour lui apprendre qu'il doit s'enflammer d'amour pour celui qui l'a aimé le premier. Et aussi pour qu'il aime son prochain comme le lui a ordonné et montré celui qui, en nous aimant, s'est fait notre prochain, alors que nous nous étions égarés au loin.
Mais le genre humain, qui s'était égaré dans le culte des idoles, était parti au loin. Rien, en effet, n'est aussi loin de celui qui t'a créé que cette image modelée par toi-même, pour toi. Le fils cadet partit donc dans une région lointaine, emportant avec lui sa part d'héritage et, comme nous l'apprend l'Évangile, il la gaspilla en menant une vie de désordre. Souffrant de la famine, il s'engagea au service d'un propriétaire du pays qui le chargea de garder un troupeau de porcs, et le malheureux, mais en vain, désirait se rassasier des gousses que mangeaient les porcs.
Après tant de malheurs et d'accablement, d'épreuves et de dénuement, il se rappela son père et voulut revenir vers lui. Il se dit: Je me lèverai, et j'irai vers mon père. Reconnaissez donc sa voix dans cette parole du psaume: Tu sais quand je m'asseois et quand je me lève (Ps 138,2). Je me suis assis dans la misère, je me suis levé dans le désir de ton pain. De loin tu as compris mes pensées. Aussi, dans l'Évangile, le Seigneur nous dit-il que son père vint au-devant de lui. C'est vrai, parce qu'il avait compris de loin ses pensées. Tu as prévu tous mes chemins. Lesquels? sinon les mauvais chemins qu'il avait suivis pour abandonner son père, comme s'il pouvait se cacher à ses regards qui le réclament, ou comme si l'écrasante misère qui le réduisait à garder les porcs n'était pas le châtiment que le père lui infligeait, dans son éloignement, en vue de le recevoir à son retour?
Il ressemblait à un fuyard qu'on arrête, poursuivi par la légitime revendication de Dieu, qui sévit contre nos passions, où que nous allions, si loin que nous puissions nous éloigner. Donc, comme un fuyard qu'on arrête, il dit: Tu as découvert mon sentier, et tu as prévu tous mes chemins. Avant même que j'y sois entré, avant même que j'y aie marché, tu les as vus d'avance. Et tu as permis que je suive mes chemins dans la peine, pour que, si je ne voulais plus peiner, je revienne dans tes chemins.
Parce qu'il n'y a pas de dissimulation dans mon langage (cf. ps 138,4). Pourquoi parle-t-il ainsi? Parce que je confesse ma faute devant toi: j'ai suivi mon propre sentier, je me suis éloigné de toi; je t'ai quitté, toi auprès de qui j'étais bien; et pour mon bien, il a été mauvais pour moi d'avoir été sans toi. Car, si je m'étais trouvé bien sans toi, je n'aurais peut-être pas voulu revenir à toi.
Donc le psalmiste qui confesse ainsi ses péchés déclare qu'il est le Corps du Christ, maintenant qu'il est justifié, non par lui-même, mais par la grâce, lorsqu'il dit: Il n'y a pas de dissimulation dans mon langage.
Si la foi disparaît, la prière s'éteint. Qui pourrait, en effet, prier pour demander ce qu'il ne croit pas? Voici donc ce que l'Apôtre dit en exhortant à prier: Tous ceux qui invoqueront le nom du Seigneur seront sauvés. Puis, pour montrer que la foi est la source de la prière et que le ruisseau ne peut couler si la source est à sec, il ajoute: Or, comment invoquer le Seigneur sans avoir d'abord cru en lui (Rm 10,13-14)? Croyons donc pour pouvoir prier et prions pour que la foi, qui est au principe de notre prière, ne nous fasse pas défaut. La foi répand la prière, et la prière, en se répandant, obtient à son tour l'affermissement de la foi.
D'ailleurs, pour que la foi ne faiblisse pas dans les tentations, le Seigneur a dit: Veillez et priez, pour ne pas entrer en tentation (Mt 26,41). Telles sont ses paroles: Veillez et priez, pour ne pas entrer en tentation. Qu'est-ce qu'entrer en tentation? Simplement, sortir de la foi. Car la tentation est d'autant plus forte que la foi est plus faible, et la tentation est d'autant plus faible que la foi est plus forte. Oui, vraiment, mes bien-aimés, c'est pour que la foi ne s'affaiblisse pas et ne se perde pas que le Seigneur a dit: Veillez et priez, pour ne pas entrer en tentation. Afin que vous le compreniez mieux, il a dit au même endroit dans l'évangile: Satan vous a réclamés pour vous passer au crible comme le froment. Mais j'ai prié pour toi, Pierre, afin que ta foi ne sombre pas (Lc 22,31-32). Et celui que guette le danger ne ferait pas sienne la prière de son protecteur?
Mais lorsque le Seigneur dit: Le Fils de l'homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur terre?, il a en vue la foi parfaite, celle qu'on peut à peine trouver sur la terre. Voyez: l'église de Dieu est remplie. Qui y viendrait s'il n'avait aucune foi? Mais si cette foi était parfaite, qui ne transporterait pas les montagnes? Regardez les Apôtres eux-mêmes: s'ils n'avaient pas eu une grande foi, ils n'auraient pas renoncé à tout ce qu'ils avaient, ils n'auraient pas foulé aux pieds les espoirs terrestres pour suivre le Christ. Et pourtant, leur foi n'était pas parfaite, car ils n'auraient pas dit au Seigneur: Augmente en nous la foi (Lc 17,5).
Aujourd'hui, à la visite du Seigneur, les enfers ont dansé de joie parce que s'est accompli l'oracle prophétique: Le peuple qui marchait dans les ténèbres, c'est-à-dire tout le genre humain plongé dans l'obscurité des enfers, a vu se lever une grande lumière (Is 9,1). Parce que celui-là même qui créa l'homme, c'est lui en personne qui est allé le chercher dans les enfers et l'en a délivré par sa puissance. Étonnante et inexprimable bonté de notre Dieu! La mort avait pris d'assaut le paradis, mais la vie a terrassé les enfers; et le Fils de Dieu, qui avait revêtu la condition mortelle, a écrasé la loi de la mort, accomplissant ainsi l'affirmation du prophète: O mort, je serai ta mort (cf. Os 13,14)! Parce que ceux que tu as fait mourir par le péché, moi, par ma mort, je les rassemblerai hors de ce lieu de ruine éternelle et je les délivrerai de la mort perpétuelle.
Voilà de quels liens est ligoté et immobilisé ce qui fait la perte des hommes; car, de même que la mort a trompé, elle a été trompée; alors qu'elle tuait, elle a été anéantie.
Donc le Seigneur, quand son corps fut enseveli, descendit tout au fond des demeures infernales; mais alors qu'on le jugeait captif du séjour des morts, c'est là qu'ayant lié la mort, il a délivré les morts de leurs liens. Et de ce séjour, d'où jamais personne, même seul, n'était revenu, il pénétra dans les cieux en emportant de riches dépouilles.
Voilà tout ce qu'a fait l'immense bonté de Dieu pour notre salut et notre rétablissement! Pour nous, il a été pareil à une brebis conduite à l'abattoir (cf. Is 53,7); p our nous, il a subi les maux présents, afin de nous accorder les biens éternels.
L'évangéliste Marc a dit brièvement ce que Luc a développé avec plus de détails au sujet des deux hommes, qui n'appartenaient pas aux Douze, mais qui étaient pourtant des disciples: tandis qu'ils faisaient route, le Seigneur leur apparut et les accompagna. Marc dit seulement, en effet, qu'il apparut à deux voyageurs, tandis que l'évangéliste Luc nous rapporte ce qu'il leur a demandé, ce qu'il leur a répondu, jusqu'où il les a accompagnés, et comment ils le reconnurent quand il partagea le pain. Luc a dit tout cela, nous l'avons entendu.
Quelle est donc, mes frères, la question qui nous intéresse ici? Nous sommes encouragés à croire que le Seigneur est ressuscité., Nous le croyions déjà quand nous avons entendu lire l'Évangile, et nous sommes entrés aujourd'hui dans cette église en y croyant. Pourtant, je ne sais comment cela se fait, mais on entend avec joie ce qui rafraîchit notre souvenir. Cela vient de ce que notre coeur se réjouit quand nous découvrons que nous valons mieux que ces hommes, eux qui marchaient sur la route et à qui le Seigneur apparut.
Car nous croyons ce qu'ils ne croyaient pas encore. Ils avaient perdu l'espérance, et là où ils doutaient, nous-mêmes n'avons aucun doute. Ils avaient perdu l'espérance au Seigneur crucifié; on le voit à leurs paroles. Quand Jésus leur demande: De quoi causiez-vous donc, tout en marchant, et pourquoi êtes-vous tristes?, ils répondent: Tu es bien le seul de tous ceux qui étaient à Jérusalem, à ignorer les événements de ces jours-ci. - Quels événements! répliqua Jésus. Lui qui sait tout, il les questionne lui-même, parce qu'il désire être dans leur coeur. Ils reprennent: Ce qui est arrivé à Jésus de Nazareth: cet homme était un prophète puissant par ses actes et par ses paroles... Et comment les chefs des prêtres l'ont crucifié... Et voilà le troisième jour que cela est arrivé... Alors que nous espérions...
Vous espériez, et maintenant vous n'espérez plus? C'est ainsi que vous êtes ses disciples? Le malfaiteur crucifié avec Jésus vous a surpassés! Vous avez oublié celui qui vous instruisait, tandis que le bandit a reconnu son compagnon de supplice: Seigneur, souviens-toi de moi, quand tu viendras inaugurer ton règne (Lc 23,42). Oui, parce que c'est lui qui devait racheter Israël. Cette croix était une école où le maître instruisait le bandit. Le bois où Jésus était cloué devint la chaire de son enseignement. Celui qui vous a rejoints, puisse-t-il vous rendre l'espérance! Et c'est ce qui est arrivé.
Rappelez-vous cependant, frères très chers, comment le Seigneur Jésus, alors que les yeux de ses disciples étaient empêchés de le reconnaître, voulut être reconnu au partage du pain. Les fidèles comprennent ce que je veux dire: eux aussi reconnaissent le Christ au partage du pain, mais de celui qui, recevant la bénédiction du Christ, devient le corps du Christ.
Donc, il se montra à ses disciples. Mais qui est-ce donc qu'il montra? Le chef de son Église. Il prévoyait qu'à l'avenir son Église existerait dans tout l'univers, mais ses disciples ne le voyaient pas encore. Il leur montrait la tête, et il promettait le corps. Voici en effet ce qu'il ajouta: Rappelez-vous les paroles que je vous ai dites quand j'étais encore avec vous. Que signifient ces mots: quand j'étais encore avec vous? Quand j'étais avec vous, étant mortel, ce que je ne suis plus maintenant. J'étais avec vous, lorsque j'avais à mourir. Que veut dire: avec vous! Mortel, j'étais avec des mortels. Maintenant je ne suis plus avec vous, parce que, si je suis bien avec des mortels, je n'aurai plus maintenant à mourir.
Je vous ai dit qu'il fallait que tout s'accomplisse. Parce que c'est écrit, et qu'il le fallait. Quoi donc? Que le Christ souffre, et qu'il ressuscite d'entre les morts le troisième jour. Cela ils l'ont vu: ils l'ont vu souffrir, ils l'ont vu attaché à la croix, et ils le voyaient après sa résurrection, vivant et présent parmi eux.
Qu'est-ce donc qu'ils ne voyaient pas? Son corps, c'est-à-dire l'Église. Le Christ, ils le voyaient, mais elle, ils ne la voyaient pas. Ils voyaient l'Époux, l'Épouse était encore cachée. Qu'il leur promette donc la venue de l'Église. Il est écrit, et il le fallait, que le Christ souffre et ressuscite d'entre les morts. Voilà ce qui concerne l'Époux.
Et au sujet de l'Épouse? La conversion proclamée en son nom pour le pardon des péchés, à toutes les nations, en commençant par Jérusalem. Voilà ce que les disciples ne voyaient pas encore: l'Église répandue à travers toutes les nations, en commençant par Jérusalem. Ils voyaient la tête et, sur sa parole, ils croyaient à son corps.
Nous leur sommes semblables: nous voyons quelque chose qu'ils ne voyaient pas; et nous ne voyons pas quelque chose qu'ils voyaient. Que voyons-nous qu'ils ne voyaient pas? L'Église répandue à travers les nations. Et qu'est-ce que nous ne voyons pas, mais qu'ils voyaient? Le Christ vivant dans la chair. Comment le voyaient-ils, tandis qu'ils croyaient à son corps? De la même façon que nous-mêmes voyons le corps et croyons à la tête. En revanche, que ce que nous ne voyons pas vienne à notre aide! Voir le Christ a aidé les Onze à croire à l'Église future. L'Église que nous voyons nous aide à croire que le Christ est ressuscité. Leur foi a reçu son accomplissement: de même la nôtre. La leur a été accomplie en ce qui concerne la tête, la nôtre l'est en ce qui concerne le corps.
Le Christ total s'est fait connaître d'eux et s'est fait connaître de nous. Mais il n'a pas été connu tout entier par eux, ni tout entier par nous. Eux, ils ont vu la tête, et ils ont cru au corps. Nous, nous avons vu le corps et nous avons cru à la tête. Cependant le Christ ne fait défaut à personne: il est tout entier en tous, et pourtant son corps lui demeure attaché.
Quant à nous, ayons la foi de manière à croire en lui en l'aimant, et ne disons pas: Que nous veux-tu?, mais plutôt: "Nous t'appartenons, tu nous as rachetés." Tous ceux qui ont une telle foi sont comme des pierres vivantes qui servent à bâtir le temple de Dieu, et comme les pièces de bois imputrescibles utilisées pour construire l'arche que les eaux du déluge n'ont pas pu engloutir. Voilà en effet ce temple - ce sont les hommes eux-mêmes - où des prières montent vers Dieu qui les exauce.
Il prie dans le temple de Dieu, celui qui prie dans la paix de l'Église, dans l'unité du corps du Christ composé des nombreux croyants du monde entier. Voilà pourquoi celui qui prie dans le temple est exaucé. En effet, celui qui prie dans la paix de l'Église, prie en esprit et en vérité.
Sans aucun doute, en chassant du Temple les hommes qui venaient y chercher leur profit par les ventes et les achats, le Seigneur a donné à ce geste une signification symbolique. Et si ce temple était un symbole, il est clair que le corps du Christ, temple véritable, dont celui-là était l'image, est fréquenté aussi par des vendeurs et des acheteurs, c'est-à-dire des gens qui recherchent leurs propres intérêts, non ceux de Jésus Christ.
Les gens qui ont voulu faire de la maison de Dieu une caverne de bandits n'ont pas causé la chute du Temple. Dès lors, ceux qui mènent une mauvaise vie dans l'Église catholique et veulent, autant qu'il est en leur pouvoir, faire de la maison de Dieu une caverne de bandits, n'abattent pas non plus le temple. Car un temps viendra où ils seront jetés dehors sous le fouet de leurs péchés.
Mais cette assemblée de fidèles, temple de Dieu et corps du Christ, n'a qu'une voix qui chante dans le psaume comme par la bouche d'un seul homme. Beaucoup de psaumes nous ont déjà fait entendre sa voix; écoutons-la aussi dans celui-ci. Si nous le voulons, cette voix est la nôtre. Si nous le voulons, en l'entendant chanter, nous chantons aussi dans notre coeur.
Être exaucé par rapport à la vie éternelle est accordé seulement à celui qui prie dans le temple de Dieu. Or on prie dans le temple de Dieu quand on prie dans la paix de l'Église, dans l'unité du Corps du Christ, lequel est constitué de tous ceux qui croient en lui, sur la terre entière, et c'est pourquoi celui qui prie dans ce temple-là est exaucé. Car il prie en esprit et en vérité (Jn 4,24), celui qui prie dans la paix de l'Église, non dans ce temple qui n'en était que la figure.
Car c'est en figure que le Seigneur chasse du Temple ces hommes qui y recherchaient leurs intérêts, c'est-à-dire qui allaient au Temple pour vendre et acheter. Car si ce Temple était figuratif, il est évident que le corps du Christ, qui est le vrai temple dont l'autre n'était que l'image, contient lui aussi, mélangés, des acheteurs et des vendeurs, c'est-à-dire des hommes qui recherchent leurs intérêts personnels, et non ceux de Jésus Christ (Ph 2,21).
C'est parce que les hommes sont frappés pour leurs péchés, que le Seigneur a fait un fouet de cordelettes et a ainsi chassé du Temple tous ceux qui cherchaient leurs intérêts personnels, non ceux de Jésus Christ.
C'est donc la voix de ce temple qui retentit dans le psaume. Dans ce temple, ai-je dit, on implore Dieu, et il exauce en esprit et en vérité, mais non dans le temple matériel. Car il n'y avait là qu'une ombre où était montré le temple de l'avenir. C'est pourquoi celui-là est maintenant tombé. Notre maison de prière serait-elle tombée? Nullement. Car vous avez entendu ce qu'a dit notre Seigneur Jésus Christ: Il est écrit: Ma maison s'appellera maison de prière pour toutes les nations (Mc 11,17).
Veux-tu connaître sa faiblesse? Le Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi nous (Jn 1,14). La force du Christ t'a créé, la faiblesse du Christ t'a recréé. La force du Christ a fait exister ce qui n'existait pas, la faiblesse du Christ a empêché de périr ce qui existait. Il nous a créés par sa force, il est venu nous chercher par sa faiblesse.
Ainsi donc Jésus est faible, lui qui est fatigué par la route. La route, c'est la chair, assumée pour nous. Quelle route, en effet, parcourt-il, celui qui est partout, celui qui n'est absent nulle part? Où va-t-il, ou bien d'où vient-il? N'est-ce pas en ce sens qu'il vient pour nous, et qu'il a assumé la forme d'une chair visible? Parce qu'il a daigné venir à nous maintenant pour apparaître en ayant assumé la forme de serviteur, cette assomption de la chair, voilà quelle route il a prise. Aussi, cette fatigue de la route est-elle autre chose que la fatigue produite par la chair? Jésus est faible dans la c hair, mais toi, ne sois pas faible, sois fort dans sa faiblesse, car la faiblesse de Dieu est plus forte que l'homme (1Co 1,25).
C'est pourquoi il s'est réservé, dans sa bienveillance, d'accomplir au moment choisi certaines actions en dehors du cours habituel des choses et de l'ordre de la nature. Ainsi, ceux qui tiennent pour négligeables les merveilles de tous les jours, restent stupéfaits à la vue d'oeuvres qui sortent de l'ordinaire et cependant ne l'emportent pas sur celles-là. Gouverner l'univers est en vérité un miracle plus grand que de rassasier cinq mille hommes avec cinq pains! Personne toutefois ne s'en étonne, alors que l'on s'extasie devant un miracle de moindre importance parce qu'il sort de l'ordinaire. Qui, en effet, nourrit aujourd'hui encore l'univers sinon celui qui, avec quelques grains, crée les moissons?
Le Christ a donc fait ce que Dieu fait. Usant de son pouvoir de multiplier les moissons à partir de quelques grains, il a multiplié cinq pains dans ses mains. Car la puissance se trouvait entre les mains du Christ, et ces cinq pains étaient comme des semences que le Créateur de la terre multipliait sans même les confier à la terre.
Cette oeuvre a donc été placée sous les sens pour élever l'esprit, et elle s'est offerte aux regards pour exercer l'intelligence. Il nous est ainsi devenu possible d'admirer le Dieu invisible en considérant ses oeuvres visibles (cf. Rm 1,20). Après avoir été éveillés à la foi et purifiés par elle, nous pouvons même désirer voir sans les yeux du corps l'Être invisible que nous connaissons à partir du visible.
En effet, Jésus a fait ce miracle pour qu'il soit vu de ceux qui se trouvaient là, et ils l'ont mis par écrit pour que nous en ayons connaissance. Ce que les yeux ont fait pour eux, la foi le fait pour nous. Auss i bien, nous reconnaissons en notre âme ce que nos yeux n'ont pu voir et nous avons reçu un plus bel éloge, puisque c'est de nous qu'il a été dit: Heureux ceux qui croient sans avoir vu (Jn 20,29)!
D'après l'évangile, les gens dirent, à la vue du signe qu'il venait d'opérer: Celui-ci est vraiment un prophète (Jn 6,14). Or, il était le Seigneur des prophètes, l'inspirateur des prophètes, le sanctificateur des prophètes. Mais il était aussi un prophète, comme cela avait été dit à Moïse: C'est un prophète comme toi que je leur susciterai (Dt 18,18).
Le Seigneur est prophète, il est la Parole de Dieu et, sans la Parole de Dieu, aucun prophète ne prophétise. La Parole de Dieu est avec les prophètes et la Parole de Dieu est prophète. Dans le passé, les hommes ont mérité d'avoir des prophètes inspirés et remplis de la Parole de Dieu (cf. He 1,1); nous, nous avons mérité d'avoir pour prophète la Parole même de Dieu.
En effet, chacun de nous peut avoir cette pensée: Notre Seigneur Jésus Christ, nous savons d'où il tient sa chair, de la Vierge Marie. Enfant, il a été allaité, nourri, il a grandi, il est parvenu à l'état d'homme jeune. <> Il est mort sur la croix, puis il en a été détaché pour être enseveli. Il est ressuscité le troisième jour, et il est monté au ciel le jour qu'il a voulu. C'est au ciel qu'il a élevé son corps, c'est de là qu'il viendra juger les vivants et les morts, c'est là qu'il réside présentement à la droite du Père. Alors, comment ce pain est-il son corps, et cette coupe, ou plutôt son contenu, peut-il être son sang?
Mes frères, c'est cela que l'on appelle des sacrements: ils montrent une réalité, et en font comprendre une autre. Ce que nous voyons est une apparence corporelle, tandis que ce que nous comprenons est un fruit spirituel.
Si vous voulez comprendre ce qu'est le corps du Christ, écoutez l'Apôtre, qui dit aux fidèles: Vous êtes le corps du Christ, et chacun pour votre part, vous êtes les membres de ce corps (1Co 12,17). Donc, si c'est vous qui êtes le corps du Christ et ses membres, c'est votre mystère qui se trouve sur la table du Seigneur, et c'est votre mystère que vous recevez. A cela, que vous êtes, vous répondez: "Amen", et par cette réponse, vous y souscrivez. On vous dit: "Le corps du Christ", et vous répondez "Amen". Soyez donc membres du corps du Christ, pour que cet Amen soit véridique.
Pourquoi donc le corps est-il dans le pain? Ici encore, ne disons rien de nous-mêmes, écoutons encore l'Apôtre qui, en parlant de ce sacrement, nous dit: Puisqu'il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps (1Co 10,17). Comprenez cela et soyez dans la joie: unité, vérité, piété, charité! Un seul pain: qui est ce pain unique? Un seul corps, nous qui sommes multitude. Rappelez-vous qu'on ne fait pas du pain avec un seul grain, mais avec beaucoup. Soyez ce que vous voyez, et recevez ce que vous êtes. Voilà ce que l'Apôtre dit du pain.
Au sujet de la coupe, bien qu'il n'en ait pas parlé autant que du pain, il nous fait comprendre ce qui la concerne. Car, pour avoir l'apparence visible du pain, beaucoup de grains ne forment qu'une seule pâte, afin de réaliser ce que l'Écriture Sainte nous dit au sujet des fidèles: Ils avaient un seul coeur et une seule âme (Ac 4,32) devant Dieu. Il en est de même pour le vin. Rappelez-vous, mes frères, comment on fait le vin. De nombreux grains sont attachés à la grappe, mais le liquide contenu dans tous ces grains se rassemble en une boisson unique.
C'est ainsi que le Seigneur Christ nous a représentés, il a voulu que nous lui appartenions, et il a consacré sur sa table le mystère de notre paix et de notre unité. Celui qui reçoit ce mystère d'unité, mais ne garde pas le lien de la paix, reçoit un témoignage qui le condamne, au lieu de recevoir ce mystère pour son bien.
Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, le roi d'Israël! Cette acclamation doit se comprendre plutôt en ce sens: "Béni soit celui qui vient au nom du Père", bien qu'on puisse aussi comprendre: celui qui vient en son propre nom, parce que lui-même aussi est Seigneur.
Mais ses paroles nous orientent plutôt vers le sens que nous proposons, car il a dit: Moi, je suis venu au nom du Père, et vous ne me recevez pas; si un autre vient en son propre nom, celui-là, vous le recevrez (Jn 5,43)! En effet, le Christ est le maître de l'humilité, lui qui s'est abaissé en devenant obéissant jusqu'à mourir, et à mourir sur une croix (Ph 2,8). Car il ne perd pas sa divinité lorsqu'il nous enseigne l'humilité. Par celle-là il est égal au Père, par celle-ci il est semblable à nous. Par le fait qu'il est égal au Père, il nous a créés pour que nous existions; par le fait qu'il nous est semblable, il nous a rachetés, pour que nous ne périssions pas.
La foule lui adressait donc ces louanges: Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, le roi d'Israël! Quel supplice l'esprit envieux des chefs des Juifs pouvait-il supporter, quand toute cette foule acclamait le Christ comme son roi! Mais qu'est-ce que cela pouvait représenter pour le Seigneur, d'être le roi d'Israël? Quelle grandeur y avait-il pour le roi des siècles (1Tm 1,17) à devenir un roi pour les hommes? Car le Christ n'était pas roi d'Israël pour exiger l'impôt, pour armer des troupes ni pour terrasser visiblement des ennemis. Il est roi d'Israël pour gouverner des âmes, veiller à leurs intérêts éternels et conduire au Royaume des cieux ceux qui ont mis en lui leur foi, leur espérance, leur amour. Donc, si le Fils égal au Père, le Verbe par qui tout a été fait (Jn 1,3), a voulu être roi d'Israël, ce fut de sa part compassion et non promotion, une marque de miséricorde, non un accroissement de pouvoir. Car celui qui fut appelé sur terre le roi des Juifs, est dans les cieux le Seigneur des anges.
Jésus, trouvant w« petit âne, monta dessus. Il accomplissait ainsi l'Écriture: N'aie pas peur, fille de Sion. Voici ton roi qui vient, monté sur le petit d'un ânesse (Jn 12,15 Za 9,9). Cette fille de Sion, à laquelle sont adressées ces paroles inspirées, faisait partie de ces brebis qui écoutaient la voix du pasteur; elles étaient dans cette foule qui louait avec tant d'enthousiasme la venue du Seigneur, qui l'escortait par un tel cortège. C'est à elle qu'il a été dit: N'aie pas peur (Jn 12,15). Reconnais celui que tu acclames et ne tremble pas devant sa passion, car ce sang qui est répandu, c'est lui qui effacera ton péché et te rendra la vie.
Cette Passion qu'il a endurée dans son corps, par amour pour nous, afin de nous délivrer de la mort éternelle et de nous préparer le chemin du Royaume céleste, il nous a montré qu'il voulait la souffrir journellement chaque fois que nous célébrerions ce même mystère dans le sacrifice du saint autel, en vue de nous emmener avec lui dans la vie éternelle.
Voilà pourquoi il a dit à ses disciples: Prenez-en tous, car ceci est mon corps, et ceci est la coupe de mon sang qui sera répandu pour la multitude en rémission de tous les péchés (cf. Mt 26,26-28). Ainsi, chaque fois que vous en prendrez, vous le ferez en mémoire de moi (cf. 1Co 11,24-26).
Le Christ est donc présent sur la table; le Christ est mis à mort et sacrifié; le corps et le sang du Christ sont reçus. Lui qui, en ce jour, a donné le pain et la coupe aux disciples, les consacre lui-même aujourd'hui. Non, vraiment, ce n'est pas un homme qui peut consacrer le corps et le sang du Christ posés sur la table, mais le Christ en personne, lui qui a été crucifié pour nous. Les paroles sont prononcées par la bouche du prêtre; le corps et le sang sont consacrés par la puissance et la grâce de Dieu.
Aussi garderons-nous purs en toutes choses notre esprit et notre pensée, puisque nous avons un sacrifice pur et saint. Voilà pourquoi nous devons également nous employer à sanctifier nos âmes. Dès lors, nous célébrerons en toute simplicité ces mystères, en faisant attention à ces recommandations, et nous nous approcherons de la table du Christ avec les dispositions qui conviennent, afin de partager éternellement la vie du Christ, lui qui vit et règne avec le Père et le Saint-Esprit, pour les siècles des siècles. Amen.
Il disait aux disciples: Demeurez en moi, comme moi en vous. Ils n'étaient pas en lui de la même manière dont lui était en eux. Cette union réciproque ne lui procure aucun profit: c'est eux qu'elle avantage. Les sarments sont dans la vigne non pas pour enrichir celle-ci, mais pour recevoir d'elle le principe de leur vie. La vigne est dans les sarments pour leur communiquer sa sève vivifiante, non pour la recevoir d'eux. Ainsi cette permanence du Christ dans les disciples, et la permanence de ceux-ci dans le Christ, leur est doublement avantageuse, mais nullement au Christ. Car si vous retranchez un sarment, un autre peut surgir de la racine qui reste vivante, tandis que le sarment coupé ne peut vivre séparé de la racine.
Considérez encore plus attentivement ce que la Vérité ajoute: Moi, je suis la vigne, et vous, les sarments. Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là donne beaucoup de fruit, car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire (Jn 15,5). Pour que personne ne s'imagine que le sarment pourrait de lui-même porter quelque peu de fruit, alors que Jésus avait dit: Celui-là donne beaucoup de fruit, il ne dit pas: parce que, en dehors de moi, vous pouvez faire peu de chose, mais: vous ne pouvez rien faire. Que ce soit peu ou beaucoup, on ne peut le faire en dehors de lui puisque, en dehors de lui, on ne peut rien faire. Si le sarment porte peu de fruit, le vigneron l'émonde pour qu'il en porte davantage. Cependant si le sarment ne demeure pas uni à la vigne et ne vit pas de sa racine, il ne peut, par lui-même, porter le moindre fruit.
Si le Christ n'avait pas été un homme, il n'aurait pas pu être la vigne. Cependant il ne fournirait pas cette grâce aux sarments, s'il n'était pas également Dieu. Mais, parce que, sans cette grâce, on ne peut pas vivre, et parce que la mort est au pouvoir de notre libre arbitre, notre Seigneur ajoute: Si quelqu'un ne demeure pas en moi, il est comme un sarment qu'on a jeté dehors et qui se dessèche. Les sarments secs, on les ramasse, on les jette au feu, et ils brûlent (Jn 15,6). C'est pourquoi, si le bois de la vigne est d'autant plus méprisable lorsqu'il ne demeure pas uni à la vigne, il est d'autant plus glorieux quand il le demeure. Le Seigneur le dit par le prophète Ézékiel: lorsque ces bois de la vigne sont coupés, ils ne rendent aucun service au cultivateur et ne servent à aucun ouvrage ar tisanal (cf. Ez 15,4-5). Le bois de la vigne n'a que deux destinations: la vigne ou le feu. S'il ne reste pas sur la vigne, il sera brûlé. Pour ne pas aller au feu, il doit rester sur la vigne.
Si vous demeurez en moi, et que mes paroles demeurent en vous, demandez tout ce que vous voudrez, et vous l'obtiendrez (Jn 15,7). Lorsqu'on demeure dans le Christ, que peut-on demander, sinon ce qui convient au Christ? Que peut-on vouloir, quand on demeure dans le Seigneur, sinon ce qui n'est pas étranger au salut? Nous demandons une chose parce que nous sommes dans le Christ, mais nous voulons autre chose parce que nous sommes encore en ce monde. Du fait que nous y demeurons, nous sommes parfois tentés de demander ce dont nous ignorons que cela nous est nuisible. Mais chassons l'idée que nous obtiendrons cela si nous demeurons dans le Christ, car il ne fait ce que nous lui demandons que si cela est bon pour nous.
Mais si nous demeurons en lui parce que ses paroles demeurent en nous, nous demanderons tout ce que nous voudrons, et nous l'obtiendrons.
Si Dieu le Père est glorifié de ce que nous produisons beaucoup de fruit et devenons les disciples du Christ, nous ne devons pas le mettre au crédit de notre gloire, comme si nous tenions tout cela de nous-mêmes. Car cette grâce vient de lui, et c'est pourquoi, dans ce sens, la gloire n'est pas à nous, mais à lui. Il a dit ailleurs: Que votre lumière brille devant les hommes: alors, en voyant ce que vous faites de bien... - ici, il devance en eux la pensée que ces bonnes oeuvres viendraient d'eux-mêmes, en ajoutant aussitôt: ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux (Mt 5,16). En effet, ce qui glorifie le Père, c'est que nous donnions beaucoup de fruit et que nous devenions disciples du Christ. Et par qui le devenons-nous, sinon par lui, dont la miséricorde nous a devancés? Car nous sommes son ouvrage, créés en Jésus Christ pour que nos oeuvres soient vraiment bonnes (cf. Ep 2,10).
Comme le Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour (Jn 15,9). Voilà d'où viennent nos oeuvres bonnes. Car d'où pourraient-elles venir, sinon de la foi agissant par la charité (Ga 5,6)? Et d'où viendrait que nous aimons, sinon de ce que nous sommes aimés en premier? C'est ce que notre évangéliste nous dit de la façon la plus claire dans son épître: Aimons Dieu parce que lui-même nous a aimés le premier (cf. 1Jn 4,19).
Certes le Père, qui aime le Christ, nous aime, nous aussi, mais en lui, parce que la gloire du Père est que nous donnions du fruit en étant unis à la vigne qui est son Fils, et que nous devenions ses disciples.
Demeurez, dans mon amour, leur dit-il. Comment demeurer? Écoutez ce qui suit: Si vous êtes fidèles à mes commandements, vous demeurerez dans mon amour (Jn 15,10). Est-ce l'amour qui rend fidèle aux commandements, ou est-ce l'observance des commandements qui engendre l'amour? Personne ne peut douter que l'amour vient en premier. C'est pourquoi il n'a aucun motif d'observer les commandements, celui qui est sans amour. Donc, lorsque le Seigneur dit: Si vous êtes fidèles à mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, il ne nous montre pas ce qui engendre l'amour, mais ce qui le manifeste. Il semble dire: ne vous imaginez pas que vous demeurez dans mon amour, si vous n'êtes pas fidèles à mes commandements: vous y demeurerez si vous les observez. C'est-à-dire: on verra que vous demeurez dans mon amour, si vous observez mes commandements. Ainsi, que personne ne se fasse d'illusion en se disant qu'il l'aime, alors qu'il n'observe pas ses commandements. Car nous l'aimons dans la mesure où nous observons ses commandements. Moins nous les observons, moins nous aimons.
Ce n'est donc pas afin d'obtenir son amour que nous observons d'abord ses commandements; mais, s'il ne nous aime pas, nous ne pouvons pas les observer. Telle est la grâce qui est lumineuse pour les humbles, mystérieuse pour les orgueilleux.
Ne vous laissez pas égarer par la peur, comme Hérode le Grand, qui fut frappé d'épouvanté quand on lui annonça la naissance du Christ. La peur, plus encore que la colère, déchaîna sa cruauté et, pour faire mourir Jésus, il ordonna le massacre de nombreux enfants (cf. Mt 2,3.16). Mon royaume, dit le Christ, n'est pas de ce monde. Que voulez-vous savoir de plus? Venez dans le royaume qui n'est pas de ce monde; venez-y par la foi, et que la peur ne vous rende pas cruels!
Le Christ, il est vrai, dit dans un psaume prophétique, en parlant de son Père: Il m'a sacré roi sur Sion, sa sainte montagne (cf. ps 2,6). Mais cette ville et cette montagne ne sont pas de ce monde. Qu'est-ce, en effet, que le royaume du Christ? Simplement ceux qui croient en lui, ceux à qui il dit: Vous n'êtes pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde (Jn 17,16). Il veut pourtant qu'ils soient dans le monde. Aussi prie-t-il le Père pour eux: Je ne demande pas que tu les retires du monde, mais que tu les gardes du Mauvais (Jn 17,15). Voilà pourquoi il ne dit pas: "Mon royaume n'est pas dans ce monde", mais: Mon royaume n'est pas de ce monde. Il le confirme ensuite en ajoutant: Si mon royaume était de ce monde, j'aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs (Jn 18,36).
Il ne dit donc pas: "Mon royaume n'est pas ici", mais: Mon royaume n'est pas d'ici (Jn 18,36). Car son royaume est établi ici-bas et il durera jusqu'à la fin des temps; il contiendra un mélange d'ivraie jusqu'à la moisson, qui est la fin du monde. Alors viendront les moissonneurs, qui sont les anges, et ils enlèveront tous ceux qui font tomber les autres. Ce qui serait impossible si son royaume n'existait pas ici-bas (cf. Mt 13,38-41).
Pourtant, comme il est exilé dans le monde, il n'est pas d'ici. Le Christ dit en effet à ceux qui font partie de son royaume: Vous n'appartenez pas au monde, puisque je vous ai choisis en vous prenant dans le monde (Jn 15,19). Ils étaient donc du monde, quand ils n'étaient pas encore sujets du royaume, mais du prince de ce monde. Aussi, tous les hommes, bien que créés par le Dieu véritable, sont du monde en tant qu'issus de la race d'Adam, race corrompue et condamnée. Mais ceux d'entre eux qui sont régénérés dans le Christ forment le royaume qui n'est plus de ce monde.
Voilà comment Dieu nous a arrachés au pouvoir des ténèbres et nous a fait entrer dans le royaume de son Fils bien-aimé (Col 1,13), ce royaume dont le Christ dit: Mon royaume n'est pas de ce monde, ou bien: Mon royaume n'est pas d'ici (Jn 18,36).
La rémission des péchés. Si elle n'existait pas dans l'Église, il n'y aurait aucun espoir, car alors nous ne poumons aucunement espérer la vie future ni la libération éternelle. Nous rendons grâce à Dieu qui a fait ce don à son Église.
Voici que vous allez venir à la fontaine sainte, que vous serez purifiés par le baptême, renouvelés par le bain salutaire de la nouvelle naissance. En remontant de ce bain, vous serez sans aucun péché. Tous les péchés passés qui vous poursuivaient seront détruits. Ils étaient semblables aux Égyptiens qui poursuivaient les Israélites jusqu'à la mer Rouge. Que veut dire: jusqu'à la mer Rouge? Jusqu'à cette fontaine, consacrée par la croix et le sang de Jésus Christ. En effet, nous appelons rouge ce qui rougeoie. Or, ne voyez-vous pas que tout ce qui touche à Jésus Christ est rougeoyant? Interrogez les yeux de la foi. Si tu regardes la croix, remarque le sang. Si tu vois celui qui est cloué, vois ce qu'il a versé. Le côté du Christ a été percé par la lance, et notre rançon en a jailli. Voilà pourquoi le signe du Christ imprime sa marque sur le baptême, c'est-à-dire sur l'eau où vous êtes plongés, comme si vous traversiez la mer Rouge.
Vos péchés, ce sont vos ennemis. Ils vous poursuivent, mais seulement jusqu'à la mer. Dès que vous y serez entrés, vous leur échapperez et ils seront détruits, de même que les Israélites s'échappèrent à pied sec, tandis que l'eau engloutissait les Égyptiens. Et que dit l'Écriture? Il n'en resta pas un seul (cf. ps 105,11).
Que vos péchés soient nombreux ou non, qu'ils soient grands ou petits: il n'en restera pas un seul.
Il restait donc, après la glorification de Jésus, sa résurrection d'entre les morts et sa montée aux cieux, que l'Esprit Saint fût donné, après avoir été envoyé par celui qui l'avait promis. Et c'est ce qui s'est produit.
En effet, après avoir vécu avec ses disciples pendant les quarante jours qui suivirent sa résurrection, le Seigneur monta au ciel, et, le cinquantième jour, que nous célébrons aujourd'hui, il envoya le Saint-Esprit, ainsi qu'il est écrit: Soudain il vint du ciel un bruit pareil à celui d'un violent coup de vent: il virent apparaître comme une sorte de feu qui se partageait en langues et qui se posa sur chacun d'eux. Ils se mirent à parler en d'autres langues, et chacun s'exprimait selon le don de l'Esprit (Ac 2,2-4).
Ce souffle purifiait les coeurs de leur paille charnelle; ce feu consumait le foin de l'ancienne convoitise; ces langues que parlaient les Apôtres comblés de l'Esprit Saint préfiguraient la diffusion de l'Église par les langues de toutes les nations. Car, de même qu'après le déluge l'impiété des hommes édifia une haute tour contre le Seigneur, quand le genre humain mérita d'être divisé par des langues diverses si bien que chaque nation parlait sa propre langue sans être comprise par les autres nations, ainsi l'humble piété des croyants ramena vers l'Église la diversité de ces langues. Ainsi, ce que la discorde avait dispersé, la charité le rassemblerait, et les membres épars d'un unique genre humain seraient reliés entre eux et avec le Christ, le chef unique, et seraient fondus par le feu de l'amour dans l'unité de ce corps très saint.
C'est pourquoi ils sont totalement exclus de ce don du Saint-Esprit, ceux qui haïssent la grâce de la paix, et qui ne restent pas en communion avec l'unité. Car, bien qu'eux-mêmes se réunissent aujourd'hui comme chaque année, bien qu'ils entendent lire ces Écritures qui attestent la promesse et l'envoi du Saint-Esprit, ils les entendent pour leur condamnation, non pour leur récompense. A quoi leur sert-il, en effet, de percevoir par les oreilles ce que rejette leur coeur et de célébrer le jour de celui dont ils détestent la lumière?
Mais vous, mes frères, membres du corps du Christ, germes d'unité, enfants de paix, passez ce jour dans la joie, célébrez-le en sécurité. Car ce qui était annoncé en ces jours où vint le Saint-Esprit, c'est cela qui s'accomplit en vous. Car chacun de ceux qui recevait alors l'Esprit Saint parlait, à lui seul, toutes les langues. C'est ainsi qu'aujourd'hui l'unité elle-même parle toutes les langues à travers toutes les nations, cette unité dans laquelle vous possédez l'Esprit Saint, vous qui n'êtes séparés par aucun schisme de l'Église du Christ, laquelle parle toutes les langues.
Le même Apôtre dit encore: Désormais il ne meurt plus; sur lui la mort n'a plus aucun pouvoir (Rm 6,9). Votre foi sait bien tout cela. Par là même, il s'ensuit que tous les miracles accomplis sur les corps - nous devons le savoir - servent à notre éducation pour que nous sachions en dégager ce qui ne passera pas et n'aura pas de fin. Il a rendu aux aveugles des yeux que la mort fermerait certainement un jour. Il a ressuscité Lazare qui devait mourir une deuxième fois. Et tout ce qu'il a fait pour la santé des corps, il ne l'a pas fait pour l'éternité, bien qu'à la fin il doive donner aux corps eux-mêmes une éternelle guérison. Mais parce qu'on ne croyait pas ce qui ne se voyait pas, le Seigneur se servait de ces miracles temporaires que l'on voyait, pour susciter la foi envers les réalités invisibles.
C'est pourquoi, mes frères, personne ne doit dire que Jésus n'agit plus ainsi maintenant et que, pour cette raison, les premiers temps de l'Église étaient supérieurs aux nôtres. Il y a un endroit de l'Évangile où notre Seigneur place ceux qui croient sans avoir vu au-dessus de ceux qui croient parce qu'ils ont vu. Car jusque-là, la faiblesse des disciples était si hésitante que, après l'avoir vu ressuscité, ils voulaient encore le toucher pour croire en lui. Il ne leur suffisait pas de voir de leurs yeux, s'ils n'approchaient leurs mains de ses membres et ne touchaient les cicatrices de ses récentes blessures. C'est aussitôt après avoir touché et reconnu les cicatrices que le disciple incrédule s'écria: Mon Seigneur et mon Dieu (Jn 20,28)! Ces cicatrices révélaient celui qui, chez les autres, guérissait toutes les blessures. Est-ce que le Seigneur n'aurait pas pu ressusciter sans cicatrices? Mais il voyait dans le coeur de ses disciples des blessures que devaient guérir ces cicatrices qu'il avait gardées dans son corps.
Et que répond le Seigneur à celui qui le confesse en disant: Mon Seigneur et mon Dieu? Parce que tu m'as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu (Jn 20,29). De qui parle-t-il donc, mes frères, sinon de nous? Et pas seulement de nous, mais aussi de ceux qui viendront après nous. Car, peu de temps après, lorsqu'il a échappé aux regards mortels, pour affermir la foi dans les coeurs, tous ceux qui sont devenus croyants ont cru sans avoir vu, et leur foi avait un grand mérite: pour l'obtenir, ils ont approché de lui non pas une main qui voulait le toucher, mais seulement un coeur religieux.
Qu'est-ce donc que Pierre apportait au Christ du fait qu'il aimait le Christ? Si le Christ t'aime, c'est profit pour toi, non pour le Christ. Si tu aimes le Christ, c'est encore profit pour toi, non pour lui. Cependant le Seigneur Christ, voulant nous montrer comment les hommes doivent prouver qu'ils l'aiment, nous le révèle clairement: en aimant ses brebis.
Simon, fils de Jean, m'aimes-tu? - Je t'aime. - Sois le pasteur de mes brebis. Et cela une fois, deux fois, trois fois. Pierre ne dit rien que son amour. Le Seigneur ne lui demande rien d'autre que de l'aimer, il ne lui confie rien d'autre que ses brebis. Aimons-nous donc mutuellement, et nous aimerons le Christ. Le Christ, en effet, éternellement Dieu, est né homme dans le temps. Il est apparu aux hommes comme un homme et un fils d'homme. Étant Dieu dans l'homme, il a fait beaucoup de miracles. Il a beaucoup souffert, en tant qu'homme, de la part des hommes, mais il est ressuscité après la mort, parce que Dieu était dans l'homme. Il a encore passé quarante jours sur la terre, comme un homme avec les hommes. Puis, sous leurs yeux, il est monté au ciel comme étant Dieu dans l'homme, et il s'est assis à la droite du Père. Tout cela nous le croyons, nous ne le voyons pas. Nous avons reçu l'ordre d'aimer le Christ Seigneur que nous ne voyons pas, et nous crions tous: "J'aime le Christ".
Mais, si tu n'aimes pas ton frère que tu vois, comment peux-tu aimer Dieu que tu ne vois pas (1Jn 4,20)? En aimant les brebis, montre que tu aimes le Pasteur, car justement, les brebis sont les membres du Pasteur. Pour que les brebis soient ses membres, le Pasteur a consenti à devenir la brebis conduite à la boucherie (Is 53,7). Pour que les brebis soient ses membres, il a été dit de lui: Voici l'Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde (Jn 1,29). Mais cet agneau avait une grande force. Veux-tu savoir quelle force s'est manifestée chez cet agneau? L'agneau a été crucifié, et le lion a été vaincu.
Voyez et considérez avec quelle puissance le Seigneur Christ gouverne le monde, lui qui a vaincu le démon par sa mort. Aimons-le donc, et que rien ne nous soit plus cher que lui.
Nous tous, nous aimons le Christ, nous sommes ses membres. Lorsqu'il confie ses brebis à leurs pasteurs, tous ces pasteurs ne font qu'un dans le corps du pasteur unique. Vous devez savoir que tous les pasteurs ne font qu'un dans le corps unique de l'unique Pasteur. Pierre est pasteur, et il l'est pleinement. Paul est pasteur, et pleinement pasteur. Jean est pasteur, Jacques est pasteur, André est pasteur, et tous les autres Apôtres sont pasteurs. Tous les saints évêques sont certainement et pleinement pasteurs.
Alors, comment est-il vrai qu'il n'y aura plus qu'un seul troupeau et un seul pasteur (Jn 10,16)? Oui, s'il est vrai qu'il n'y aura plus qu'un seul troupeau et un seul pasteur, c'est que toute la foule innombrable des pasteurs se réduit au corps de l'unique pasteur. Mais, vous aussi, vous en êtes, et vous êtes ses membres. Ce sont ces membres que Saul piétinait tandis que leur chef intercédait pour eux: ce Saul, d'abord persécuteur, ensuite prédicateur, qui ne respirait que meurtres et qui repoussait la foi chrétienne. Une seule parole a jeté à terre toute sa rage. Quelle parole? Saul, Saul, pourquoi me persécuter? (Ac 9,4) <> Mais quel mal Saul pouvait-il faire à celui qui siège dans le ciel? Quel mal pouvait lui faire une parole ou un cri? Saul ne pouvait rien faire contre Jésus, et pourtant celui-ci lui criait: Tu me persécutes. Quand il criait cela, il indiquait que nous sommes tous ses membres. C'est pourquoi l'amour du Christ que nous aimons en vous, l'amour du Christ que vous aussi aimez en nous, puisse-t-il, parmi les tentations, les travaux, les sueurs, les soucis, les misères, les gémissements, puisse-t-il nous conduire là où il n'y a ni labeur, ni misère, ni gémissement, ni soupir ni chagrin. Là où personne ne naît, là où personne ne meurt, où personne ne craint la colère d'un puissant, parce que tous ont les yeux fixés sur le Tout-Puissant.
Que chacun ait donc la prudence d'accepter les avertissements de notre Maître, pour ne pas laisser échapper le temps de sa miséricorde, ce temps qui se déroule maintenant, pendant lequel il épargne encore le genre humain. Car, si l'homme est épargné, c'est pour qu'il se convertisse, et que personne ne soit condamné.
C'est à Dieu de savoir quand viendra la fin du monde: quoi qu'il en soit, c'est maintenant le temps de la foi. La fin du monde trouvera-t-elle ici-bas l'un d'entre nous? Je l'ignore, et il est probable que non.
Pour chacun de nous le temps est proche, parce que nous sommes mortels. Nous marchons au milieu des dangers. Si nous étions de verre, nous les redouterions moins. Quoi de plus fragile qu'un récipient de verre? Pourtant on le conserve et il dure des siècles. Car on redoute pour lui une chute, mais non pas la vieillesse ni la fièvre. Nous sommes donc plus fragiles et plus faibles, et cette fragilité nous fait craindre chaque jour tous les accidents qui sont constants dans la vie des hommes. Et s'il n'y a pas d'accidents, il y a le temps qui marche. L'homme évite les heurts, évite-t-il la dernière heure? Il évite ce qui vient de l'extérieur, peut-il chasser ce qui naît au-dedans de lui? Parfois n'importe quelle maladie le domine subitement. Enfin, l'homme aurait-il été épargné toute sa vie, lorsqu'à la fin la vieillesse est venue, il n'y a plus de délai.