Saint Cyrille d'Alexandrie

Saint Cyrille d'Alexandrie, un des Pères de l'Église les plus éminents, fut patriarche d'Alexandrie de 412 à 444. Né vers 376, il est surtout connu pour son rôle dans les controverses théologiques de son temps, notamment le conflit avec Nestorius concernant la nature de Jésus Christ.

Cyrille a joué un rôle clé dans le Concile d'Éphèse en 431, où il a défendu la doctrine de l'union hypostatique en Christ et a contribué à établir l'orthodoxie de l'Église sur la question de la nature divine et humaine du Christ.

En plus de sa contribution théologique, Cyrille est connu pour ses écrits, y compris des commentaires sur les Évangiles et d'autres textes bibliques, ainsi que des traités théologiques. Ses œuvres ont eu un impact considérable sur le développement de la théologie chrétienne, en particulier dans les domaines de la christologie et de la mariologie.

Saint Cyrille est vénéré comme un saint dans l'Église catholique, l'Église orthodoxe, et d'autres confessions chrétiennes. Sa défense de l'orthodoxie et son engagement envers la foi chrétienne font de lui une figure clé dans l'histoire de l'Église.

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D'après cette promesse du Seigneur, l'Église apostolique, placée au-dessus de tous les évêques, de tous les pasteurs, de tous les chefs des Églises et des fidèles, demeure pure de toutes les séductions et de tous les artifices des hérétiques dans ses pontifes, dans sa foi toujours entière et dans l'autorité de Pierre. Tandis que les autres Églises sont dés honorées par les erreurs de certains hérétiques, seule elle règne, appuyée sur des fondements inébranlables, imposant silence et fermant la bouche à tous les hérétiques; et nous, si nous ne sommes ni égarés par une téméraire présomption de notre salut, ni enivrés du vin de l'orgueil, nous confessons et nous prêchons en union avec elle la règle de la vérité et de la sainte tradi tion apostolique.

Ils conduisent à la mort celui qui est l'auteur de la vie. Et cela se faisait pour nous, par sa passion, d'une façon toute contraire à ce que les Juifs avaient imaginé; par la puissance divine et selon un plan qui dépasse notre esprit, Jésus, d'une certaine manière, prenait au piège la puissance de la mort; et la mort du Seigneur était le début et le principe du retour à une vie nouvelle et incorruptible.

Le Christ s'avance en portant sur ses épaules le bois sur lequel il devait être fixé, comme condamné à la peine capitale, bien que parfaitement innocent, et cela à cause de nous. Comme dit saint Paul: Il est devenu objet de malédiction pour nous sauver, car l'Ecriture déclare: Maudit soit celui qui est pendu au bois (Ga 3,13). Et nous sommes tous maudits, nous qui refusons d'accomplir la loi divine.

Celui qui n'a pas connu le péché a été maudit à cause de nous, pour nous délivrer de la vieille malédiction. Il suffisait en effet qu'un seul souffrît pour nous tous, celui qui est Dieu, au-dessus de tous, et qu'il rachetât, par la mort de sa chair, le salut de tous. C'est pourquoi le Christ porte cette croix, qu'il n'a aucunement méritée, mais qui nous était due, si nous considérons la condamnation de la Loi. Car il est allé chez les morts non pour lui-même, mais pour nous, afin de se montrer notre guide vers la vie éternelle, ayant détruit par lui-même la domination de la mort. Et de même il a pris sur lui la croix que nous méritions, condamnant en lui-même la condamnation qui venait de la Loi, afin que désormais toute injustice ferme sa bouche (Ps 106,42), comme chante le Psaume, du fait que celui qui n'a pas de péché a été condamné pour les péchés de tous.

Cette action du Christ sera très précieuse pour nous faire embrasser courageusement une vie d'ardente piété. Il est impossible que nous obtenions la perfection dans le bien et l'union totale avec Dieu, sinon en préférant son amour à la vie terrestre et en étant décidés à combattre hardiment pour la vérité, comme y appelle le temps où nous vivons.

Assurément, notre Seigneur Jésus Christ a dit: Celui qui ne prend pas sa croix pour me suivre n'est pas digne de moi (Mt 10,38). Prendre sa croix, à mon avis, n'est rien d'autre que renoncer au monde à cause de lui, que sacrifier la vie du corps aux biens que nous espérons, si les circonstances le demandent. Mais notre Seigneur Jésus Christ n'a pas rougi de porter la croix qui nous était due et de souffrir par amour pour nous.

Ceux qui sont unis au Christ sont encore crucifiés avec lui d'une autre manière: en acceptant de mourir à leur genre de vie, ils se transforment par une vie nouvelle et conforme à l'Évangile. Saint Paul disait, en parlant pour nous tous: Avec le Christ je suis fixé à la croix: je vis, mais ce n'est plus moi, c'est le Christ qui vit en moi (Ga 2,19-20).

Ils prirent le corps de Jésus, et ils l'enveloppèrent d'un linceul, en employant les aromates, selon la manière juive d'ensevelir les morts. Près du lieu où Jésus avait été crucifié, il y avait un jardin, et dans ce jardin, un tombeau neuf dans lequel on n'avait encore mis personne (Jn 19,40-41).

On a compté parmi les morts celui qui, à cause de nous, est au nombre des morts selon la chair, mais que l'on connaît comme étant la vie selon sa nature même et grâce à son Père; et il l'est en vérité. Mais, pour accomplir toute justice, celle qui convient à la condition humaine, il ne soumit pas seulement son corps à une mort volontaire, mais aussi à ce qui en est la suite: ensevelissement et mise au tombeau.

L'évangéliste nous dit que ce tombeau était dans un jardin, et qu'il était neuf; cela symbolise en quelque sorte que, par sa mort, le Christ a préparé et réalisé notre retour au paradis. Car il y es t entré lui-même comme notre avant-coureur et chef de file.

Que le sépulcre soit désigné comme neuf, cela signifie un retour de la mort à la vie, nouveau et sans précédent, le renouvellement préparé par le Christ pour nous protéger de la corruption. Car no tre mort, par la mort du Christ, a reçu un sens nouveau qui l'a transformée en une sorte de sommeil. En effet, nous vivons comme devant vivre pour Dieu, selon les Écritures (Rm 6,10-11). C'est pourquoi saint Paul appelle invariablement ceux qui sont morts dans le Christ: ceux qui se sont endormis.

Jadis en effet, le pouvoir de la mort a triomphé de notre nature. Depuis Adam jusqu'à Moïse la mort a régné, même sur ceux qui n'avaient pas péché par désobéissance à la manière d'Adam (Rm 5,14). Nous sommes à l'image de celui qui est pétri de terre (1Co 15,49), Adam, et nous subissons la mort qui pèse sur nous par la malédiction divine (cf. Ga 3,13).

Mais après que le nouvel Adam, l'Adam divin et céleste, eût resplendi pour nous, après qu'il eût combattu pour la vie de tous, il a racheté la vie de tous par sa mort charnelle, et après avoir détruit l'empire de la mort, il est revenu à la vie. Alors nous avons été transformés à son image et soumis à une nouvelle sorte de mort, qui ne nous dissoudra pas dans une corruption sans fin, mais qui nous apportera un sommeil plein d'espérance, à la ressemblance de celui qui a inauguré pour nous cette route, et qui est le Christ.

Le mystère de la piété (cf. 1Tm 3,16) est profond, magnifique, admirable, et les anges eux-mêmes désirent grandement le comprendre! En effet, un disciple du Sauveur dit au sujet des paroles prophétiques concernant le Christ, notre Sauveur à tous: Mystères qui vous ont été proclamés par ceux qui vous ont apporté l'Evangile sous l'action de l'Esprit Saint envoyé du ciel, alors que les anges eux-mêmes voudraient y plonger leurs regards (cf. 1P 1,12). Certes, ils ont tous plongé leurs regards dans ce grand mystère de la piété lorsque le Christ est né dans la chair, et qu'ils disaient: Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes qu'il aime (Lc 2,14).

Alors que, par nature, il était vrai Dieu, le Verbe issu de Dieu le Père, consubstantiel et coéternel au Père, resplendissant au zénith de sa gloire, étant dans la condition de son Père et dans l'égalité avec lui, il n'a pas jugé bon de revendiquer son droit d'être traité à l'égal de Dieu; mais au contraire, il se dépouilla lui-même en prenant, de la Vierge Marie, la condition de serviteur, devenu semblable aux hommes et reconnu comme un homme à son comportement, il s'est abaissé jusqu'à mourir, et à mourir sur une croix (Ph 2,6-8). C'est ainsi qu'il s'est volontairement abaissé à ce point, lui qui donne à tous sa plénitude. Il s'est abaissé pour nous, sans y être forcé par personne, mais il est allé jusqu'à prendre pour nous la condition d'esclave, lui qui, par nature, était libre; il s'est fait l'un de nous, lui qui était au-dessus de toute la création; il est devenu mortel lui qui vivifie toutes choses, car il est le pain vivant, qui donne la vie au monde (cf. Jn 6,51 Jn 6,33); il s'est mis avec nous sous l'autorité de la loi, lui qui, comme Dieu, était supérieur à la loi et fondateur de la loi. Oui, il s'est rendu pareil à un nouveau-né qui entre dans la vie, lui qui existait avant tous les âges et tous les siècles, lui qui était l'auteur et le créateur des siècles.

Comment donc est-il devenu égal à nous? En prenant corps de la Vierge Marie, un corps non pas inanimé mais informé par une âme spirituelle. C'est ainsi qu'il est sorti de sa mère comme un homme véritable, mais sans péché. En vérité, et non pas en apparence ou en imagination. Ne perdant certes pas sa divinité, et ne rejetant pas ce qu'il avait toujours été, ce qu'il est et ce qu'il sera: Dieu.

Nous avons vu récemment le petit Emmanuel couché dans une mangeoire, emmailloté comme on fait chez les hommes, mais chanté comme Dieu par l'armée des saints anges. Car Dieu le Père avait conféré aux habitants du ciel cet honneur insigne d'être les premiers à proclamer le Christ.

En outre, nous avons vu aujourd'hui celui-ci obéir aux lois de Moïse, c'est-à-dire que Dieu, le législateur, se soumettait, comme un homme, à ses propres lois. C'est ce que nous enseigne saint Paul: Nous, de même, quand nous étions des enfants nous étions soumis aux éléments du monde. Mais, lorsque les temps furent accomplis, Dieu a envoyé son Fils; il est né d'une femme, il a été sujet de la Loi juive, pour racheter ceux qui étaient sujets de la Loi (Ga 4,3-5). Donc, le Christ a racheté de la malédiction de la Loi ceux qui en étaient les sujets, mais qui ne l'observaient pas. De quelle manière les a-t-il rachetés? En accomplissant cette loi; autrement dit, afin d'effacer la transgression dont Adam s'était rendu coupable, il s'est montré obéissant et docile, à notre place, envers Dieu le Père. Car il est écrit: De même que tous sont devenus pécheurs parce qu'un seul homme a désobéi, de même tous deviendront justes parce qu'un seul homme a obéi (Rm 5,18). Avec nous il a courbé la tête devant la loi, et il l'a fait selon le plan divin de l'incarnation. En effet, il devait accomplir parfaitement ce qui est juste (cf. Mt 3,15).

Après avoir pris pleinement la forme de serviteur, précisément parce que sa condition humaine le rangeait au nombre de ceux qui portent le joug, il a payé aux percepteurs, comme tout le monde, le montant de l'impôt, alors que par nature, et en tant que Fils, il en était dispensé (cf. Mt 18,23-26). Donc, lorsque tu le vois observer la loi, ne sois pas choqué, ne mets pas au rang des serviteurs celui qui est libre, mais mesure par la pensée la profondeur d'une telle économie.

Donc, lorsque fut venu le huitième jour, où l'on obéissait à la loi en accomplissant la circoncision, il reçut son nom, celui de Jésus, qui se traduit par "Salut du peuple." Car c'est ainsi que Dieu le Père voulut que son Fils fut nommé après être né de la femme, selon la chair. C'est alors, certes, que le salut s'est surtout réalisé, non pour un seul peuple, mais pour beaucoup, pour toutes les nations, pour la terre entière.

Il est donc devenu lumière pour éclairer les nations païennes mais gloire d'Israël (Lc 2,32). Car si, dans cette nation, certains sont devenus violents, rebelles et butés, un reste a été sauvé (Rm 9,27) et glorifié par le Christ. Ses disciples en ont été les prémices, eux dont la gloire illumine le monde. De toute façon, c'est la gloire d'Israël, puisqu'il en est issu selon la chair, même s'il est Dieu, établi au-dessus de tous les hommes, et béni dans les siècles.

L'évangéliste a donc la sagesse de nous aider en nous enseignant tout ce que le Fils incarné a fait à cause de nous et pour nous, lui qui n'a pas dédaigné d'assumer notre pauvreté. Nous devons donc le glorifier comme notre Rédempteur, notre Sauveur et notre Dieu: à lui, et avec lui, à Dieu le Père, gloire et puissance, ainsi qu'à l'Esprit Saint, pour les siècles des siècles. Amen.

Le Christ a voulu amener à lui le monde entier et conduire à Dieu le Père tous les habitants de la terre. Il a voulu rétablir toutes choses dans un état meilleur et renouveler, pour ainsi dire, la face de la terre. Voilà pourquoi, bien qu'il fût le Seigneur de l'univers, il a pris la condition de serviteur (Ph 2,7). Il a donc annoncé la bonne nouvelle aux pauvres, affirmant qu'il avait été envoyé dans ce but. Les pauvres, ou plutôt les gens que nous pouvons considérer comme pauvres, sont ceux qui souffrent d'être privés de tout bien, ceux qui n'ont pas d'espérance et sont sans Dieu dans le monde (Ep 2,12), comme dit l'Écriture.

Ce sont, nous semble-t-il, les gens venus du paganisme et qui, enrichis de la foi dans le Christ, ont bénéficié de ce divin trésor: la proclamation qui apporte le salut. Par elle, ils sont devenus participants du Royaume des cieux et compagnons des saints, héritiers des réalités que l'homme ne peut comprendre ni exprimer. Ce que, d'après l'Apôtre, l'oeil n'a pas vu, ce que l'oreille n'a pas entendu, ce qui n'est pas monté au coeur de l'homme, ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment (1Co 2,9).

A ceux qui ont le coeur brisé <>, le Christ promet la guérison et le pardon des péchés, et il rend aussi la vue aux aveugles. Comment ne seraient-ils pas aveugles, alors qu'ils adorent une créature, qu'ils disent à un morceau de bois: "Tu es mon père ", et à une pierre: "Tu m'a mis au monde" (Jr 2,27) et qu'ils ne reconnaissent pas Celui qui est Dieu véritable et par nature? Leur coeur n'est-il pas privé de la lumière divine et spirituelle? A eux, le Père envoie la lumière de la vraie connaissance de Dieu. Car, appelés par la foi, ils l'ont connu; plus encore, ils ont été connus par lui. Alors qu'ils étaient fils de la nuit et des ténèbres, ils sont devenus enfants de la lumière car le jour les a illuminés, le Soleil de justice s'est levé pour eux, et l'étoile du matin leur est apparue dans tout son éclat.

Rien pourtant ne s'oppose à ce que nous appliquions tout ce que nous venons de dire aux descendants d'Israël. Eux aussi, en effet, avaient le coeur brisé, ils étaient pauvres et comme prisonniers, et remplis de ténèbres. <> Mais le Christ est venu annoncer les bienfaits de son avènement, précisément aux descendants d'Israël avant les autres, et proclamer en même temps l'année de grâce du Seigneur et le jour de la récompense.

L'année de grâce, c'est celle où le Christ a été crucifié pour nous. Car c'est alors que nous sommes devenus agréables à Dieu le Père. Et nous portons du fruit par le Christ, comme lui-même nous l'a enseigné, en disant: Amen, amen, je vous le dis: si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul; mais s'il meurt, il donne un fruit plus abondant (Jn 12,24). Il dit encore: Quand j'aurai été élevé de terre, j'attirerai à moi tous les hommes (Jn 12,32). En vérité, il a repris vie le troisième jour, après avoir foulé aux pieds la puissance de la mort. Puis il a dit aux saints disciples: Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre. Allez! De toutes les nations faites des disciples, baptisez-les au nom du Père, et du F ils, et du Saint-Esprit (Mt 28,18-19).

Les bienheureux disciples étaient destinés à devenir les guides et les maîtres spirituels de la terre entière. Ils devaient donc faire preuve, plus que les autres, d'une éminente piété, être familiarisés avec la manière de vivre évangélique et entraînés à pratiquer toute oeuvre bonne. Ils auraient à transmettre à ceux qu'ils instruiraient la doctrine exacte, salutaire et strictement conforme à la vérité, après l'avoir d'abord contemplée eux-mêmes, et avoir laissé la lumière divine éclairer leur intelligence.

Sans quoi, ils seraient des aveugles conduisant d'autres aveugles. Car ceux qui sont plongés dans les ténèbres de l'ignorance ne peuvent pas conduire à la connaissance de la vérité les hommes souffrant de cette même ignorance. Le voudraient-ils d'ailleurs, qu'ils rouleraient tous ensemble dans l'abîme de leurs passions.

Aussi le Seigneur a-t-il voulu éteindre la passion ostentatoire de la vantardise que l'on trouve chez tant de gens, et les dissuader de rivaliser avec leurs maîtres pour les dépasser en estime. Il leur a dit: Le disciple n'est pas au-dessus de son maître (Lc 6,39). Même s'il arrive à certains d'atteindre un degré de vertu égal à celui de leurs maîtres, ils se conformeront à la modestie dont ceux-ci font preuve, et ils les imiteront. Paul, à son tour, nous en donne la certitude quand il dit: Montrez-vous mes imitateurs, comme je le suis moi-même du Christ (1Co 11,1).

Eh bien, pourquoi juges-tu, alors que le Maître ne juge pas encore? Car il n'est pas venu juger le monde, mais lui faire grâce. Entendue dans le sens que je viens précisément d'indiquer, la parole du Christ devient: "Si je ne juge pas, ne juge pas non plus, toi qui es mon disciple. Il se peut que tu sois coupable de fautes plus graves que celui que tu juges. Quelle ne sera pas ta honte quand tu en prendras conscience! "

Le Seigneur nous donne le même enseignement dans une autre parabole où il dit: Qu'as-tu à regarder la paille dans l'oeil de ton frère (Lc 6,41)? Il nous convainc par des arguments irréfutables de ne pas vouloir juger les autres, et de scruter plutôt nos coeurs. Ensuite il nous demande de chercher à nous libérer des passions qui y sont installées, en demandant cette grâce à Dieu. C'est lui, en effet, qui guérit ceux qui ont le coeur brisé et nous délivre de nos maladies spirituelles. Car si les péchés qui t'accablent sont plus grands et plus graves que ceux des autres, pourquoi leur fais-tu des reproches sans te soucier des tiens?

Tous ceux qui veulent vivre avec piété, et surtout ceux qui ont charge d'instruire les autres, tireront donc nécessairement profit de ce précepte. S'ils sont vertueux et tempérants, donnant précisément par leurs actions l'exemple de la vie évangélique, ils reprendront avec douceur ceux qui ne se sont pas résolus à agir de même, leur remontrant qu'ils ne prennent pas pour modèles les manières de vivre conformes à la vertu des maîtres.

Un jour, Jésus priait à l'écart. Comme ses disciples étaient là, il les interrogea: Pour la foule, qui suis-je (Lc 9,18)? Ainsi, en priant à l'écart, en compagnie des seuls disciples, le Sauveur et Seigneur du monde leur donnait l'exemple d'une vie sainte. Ce qu'il faisait là risquait pourtant de jeter le trouble dans l'esprit des disciples. En effet, ils le voyaient prier à la manière des hommes, alors que la veille il avait accompli sous leurs yeux des prodiges dignes d'un Dieu. Ils pouvaient donc se demander, avec de bonnes raisons: "Que devons-nous croire à son sujet? Est-il Dieu, ou bien homme?"

Jésus leur a donc posé cette question pour leur éviter d'être troublés par de semblables pensées. Comme il n'ignorait rien de ce qu'on répétait à son sujet en dehors de leur groupe, il voulait d'autant plus les détourner de l'opinion de la foule et faire naître en eux la foi droite. Il leur dit: Eh bien, pour la foule, qui suis-je?

Et Pierre encore s'élance le premier. Il se fait l'interprète de tout le groupe et prononce des paroles inspirées par l'amour de Dieu. Il proclame une juste confession de foi en Jésus, en le nommant le Christ de Dieu. Le disciple parle avec circonspection. A la vérité, il ne l'appelle pas seulement Christ, mais bien le Christ de Dieu.

De fait, un très grand nombre d'hommes ont été oints par Dieu, et, pour cette raison même, ont été appelés christs, en des sens différents. Certains, en effet, avaient reçu l'onction des rois, d'autres, l'onction des prophètes, et il en existe encore d'autres: nous-mêmes, qui avons obtenu notre délivrance par le Christ lui-même, notre Sauveur à tous, nous avons aussi reçu l'onction de l'Esprit Saint et nous portons le nom de christ. Il y a donc de très nombreux christs, appelés de ce nom par suite de l'onction, mais il n'y a qu'un seul et unique Christ de Dieu le Père.

Dès que le disciple eut fait cette profession de foi, le Seigneur leur défendit vivement de révéler à personne (qu'il était le Christ). Mais quoi? Les disciples n'auraient-ils pas dû plutôt aller l'annoncer de tous côtés? Telle était, en effet, la tâche de ceux qu'il avait désignés pour la mission. Mais, comme le dit la sainte Écriture, il y a un temps pour chaque chose (Qo 3,1). Avant de pouvoir annoncer le Christ, il fallait que surviennent d'autres événements prédits mais pas encore accomplis: c'était la croix, la passion, la mort corporelle, la résurrection d'entre les morts, ce grand miracle, vraiment inouï, attestant que l'Emmanuel est Dieu véritable et Fils de Dieu le Père par nature.

Il leur enjoignit donc d'entourer de silence le mystère, pour un temps, en attendant que tout le plan divin parvienne à son propre achèvement. Car, dès qu'il fut ressuscité d'entre les morts, il ordonna de révéler le mystère aux habitants de la terre entière, en offrant à tous la justification par la foi et la purification par le saint baptême. Il déclare en effet: Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre. Allez! De toutes les nations faites des disciples, baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit: et apprenez-leur à garder tous les commandements que je vous ai donnés. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde (Mt 28,18-20).

Jésus gravit la montagne avec les trois disciples qu'il a choisis. Puis, il est transfiguré par une lumière éclatante et divine, au point que son vêtement semblait briller comme la lumière. Ensuite, Moïse et Élie, encadrant Jésus, parlaient entre eux de son départ qui devait s'accomplir à Jérusalem, c'est-à-dire du mystère de son Incarnation et de sa passion salvatrice, qui devait se réaliser sur la croix. Car il est vrai que la loi de Moïse et la prédication des prophètes avaient montré à l'avance le mystère du Christ. Sans doute la Loi décrivait cela comme sur un tableau, mais par des reflets et des esquisses; quant aux prophètes, ils le prédisaient sous des formes fragmentaires et variées (He 1,1), annonçant que nous verrions à découvert, le moment venu: qu'il ne refuserait pas de souffrir la mort sur le gibet, pour le salut et la vie de tous.

Quant à cette présence de Moïse et d'Élie et à leur entretien, ils avaient pour but de montrer que la Loi et les prophètes formaient comme l'escorte de notre Seigneur Jésus Christ, le Seigneur qu'ils avaient montré par des indications concordantes. En effet, les annonces des prophètes ne contredisaient pas la Loi. Après être apparus, ils ne se taisaient pas, mais ils parlaient de la gloire dont le Seigneur allait être comblé à Jérusalem par sa passion et sa croix, et surtout par sa résurrection.

Peut-être le bienheureux Pierre, ayant cru que l'avènement du règne de Dieu était arrivé, a-t-il désiré demeurer sur la montagne, car il a dit qu'il fallait dresser trois tentes, ne sachant ce qu'il disait (Lc 9,33). Car ce n'était pas le temps de la fin du monde, et ce n'est pas dans le temps présent que les saints jouiront de l'espérance qui leur a été promise. Car saint Paul affirme: Il transfigurera nos pauvres corps à l'image de son corps de gloire (Ph 3,21), celui du Christ.

Puisque le plan de salut n'était pas encore achevé, n'étant qu'à son commencement, il n'était pas possible que le Christ, venu par amour dans le monde, renonce à vouloir souffrir pour lui. Car il a gardé la nature humaine pour subir la mort dans sa chair, et la détruire par sa résurrection d'entre les morts.

D'ailleurs, outre ce spectacle étonnant et mystérieux de la glorification du Christ, il s'est produit quelque chose de nécessaire pour confirmer la foi en lui, non chez les disciples seul ement, mais aussi chez nous. Du haut du ciel se fit entendre la voix de Dieu le Père, qui disait: Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis tout mon amour: écoutez-le (Mt 17,5)!

Voici qu'un roi régnera selon la justice, et les chefs gouverneront selon le droit (cf. Is 32,1). Le Verbe, Fils unique de Dieu, a toujours été, avec le Père, le roi de l'univers, et il a mis sous ses pieds toutes les créatures, visibles et invisibles. Mais si un habitant de la terre se dérobait à sa royauté, s'y soustrayait et méprisait son sceptre parce qu'il serait tombé au pouvoir du démon et serait retenu dans les filets du péché, alors ce ministre et ce dispensateur de toute justice le ramènerait sous son joug, car tous ses chemins sont droits.

Ce que nous appelons ses chemins, ce sont les préceptes de l'Évangile grâce auxquels, en recherchant toutes les vertus, en ornant notre tête des joyaux de la piété, nous obtenons la palme de notre vocation céleste. Oui, ces chemins sont droits, il n'y a rien en eux d'oblique ou de tortueux, mais ils sont directs et d'accès facile. Car il est écrit: Le sentier du juste, c'est la droiture, et son chemin a été bien dégagé (cf. Is 26,7). Car si le chemin de la Loi est rude, s'il oblige à traverser quantité de types et de figures, et s'il est d'une difficulté insurmontable, le chemin des préceptes évangéliques est uni et ne présente absolument rien de rocailleux. Donc les chemins du Christ sont droits, et lui-même a construit la cité sainte, l'Église où lui-même habite. En effet, il demeure dans ses saints et nous sommes devenus les temples du Dieu vivant, parce que nous avons le Christ en nous-mêmes, par notre participation à l'Esprit Saint.

Le Christ a donc fondé l'Église, et il est lui-même la pierre de fondation sur laquelle, comme des pierres de grand prix, nous sommes assemblés pour édifier un temple saint, la demeure de Dieu dans l'Esprit. L'Église est absolument indestructible, elle qui a le Christ pour assise et pour base inébranlable. Voici, dit-il, que je pose en Sion une pierre angulaire, une pierre choisie et de grande valeur; celui qui lui donne sa foi ne connaîtra pas la honte (1P 2,6). Quand il a fondé l'Église, le Christ a délivré son peuple de la captivité. En effet, nous qui étions, sur la terre, opprimés par la tyrannie de Satan et du péché, il nous a sauvés et délivrés, il nous a soumis à son propre joug, sans verser ni rançon, ni gratification. Comme le dit son disciple Pierre: Ce qui vous a libérés de la vie sans but que vous meniez à la suite de vos pères, ce n'est pas l'or ni l'argent, car ils seront détruits: c'est le sang précieux du Christ, l'Agneau sans défaut et sans tache (1P 1,18-19). Car il a donné pour nous son propre sang, si bien que nous n'appartenons plus à nous-mêmes, mais à celui qui nous a rachetés et sauvés.

Donc, en bonne justice, ceux qui transgressent la juste règle de la vraie foi sont accusés par la voix des saints de renier le Seigneur qui nous a rachetés.

Ne doutez point de cette vérité, puisque le Fils de Dieu vous dit clairement: «Ceci est mon corps». Mais plutôt recevez avec foi les paroles du Sauveur, car il est la vérité et ne peut mentir. C'est donc une erreur autant qu'une folie, de dire que l'effet de la consécration mystérieuse cesse, lorsqu'on réserve pour le jour suivant quelques fragments du pain consacré, car aucun changement ne se fait dans le corps sacré de Jésus-Christ, et il conserve toujours la vertu de la consécration aussi bien que la grâce qui donne la vie ( Jn 14). Car la vertu vivifiante de Dieu le Père, c'est le Verbe, son Fils unique, qui s'est fait chair sans cesser d'être le Verbe, et qui a communiqué à sa chair une vertu vivifiante (chap. 23). Si vous trempez un peu de pain dans une liqueur quelconque, il s'imprègne aussitôt du goût de cette liqueur. C'est ainsi que le Verbe de Dieu, source de vie, communique cette vertu vivifiante à sa chair par l'union étroite qu'il a contractée avec elle. Pouvons-nous en conclure que notre corps a part aussi à cette vertu vivifiante, parce que la vie de Dieu est en nous, et que le Verbe de Dieu demeure dans notre âme? Non, car il y a une différence entre la participation que le Fils de Dieu nous donne à sa vertu lorsqu'il demeure en nous, et l'union étroite par laquelle il s'est incarné dans le corps qu'il a pris dans le sein de la vierge Marie, et dont il a fait son propre corps. Il était convenable, en effet, que le Fils de Dieu s'unit à nos corps par sa chair sacrée et son sang précieux que nous recevons sous les espèces du pain et du vin, pour nous communiquer une bénédiction vivifiante. Nous aurions eu horreur de la chair et du sang placés sur les saints autels, Dieu, plein de condescendance pour notre faiblesse, a donc communiqué aux dons offerts une vertu vivifiante en les changeant véritablement en sa propre chair, afin que ce corps vivifiant soit en nous comme une semence de vie, il ajoute: «Faites ceci en mémoire de moi».

Ajoutons que leurs sujets leur adressent des paroles de flatterie: « Et ceux qui exercent sur elles l'autorité, sont appelés bienfaiteurs ». Comme ils sont étrangers à toutes les lois divines, ils sont en proie à toutes ces passions funestes; mais pour vous, votre grandeur sera dans la pratique de l'humilité: « Mais pour vous, il n'en sera pas ainsi », etc.

Notre-Seigneur explique les vérités spirituelles par des comparaisons prises dans ce qui se passe au milieu de nous. En effet, ceux qui s'asseoient à la table des rois de la terre, jouissent auprès d'eux de certaines prérogatives, et c'est par cet usage qu'il veut nous faire comprendre ceux qui auront part aux premiers honneurs dans son royaume.

Admirez ici la patience vraiment inépuisable de Dieu, pour empêcher son disciple de tomber dans la défiance et le désespoir, il lui promet le pardon avant même qu'il ait commis son crime, et il le rétablit ensuite dans tous les droits de sa dignité d'Apôtre, en lui disant: «Et toi, quand tu seras converti, confirme tes frères».

Notre-Seigneur avait prédit à Pierre qu'il le renierait alors qu'il le verrait au pouvoir de ses ennemis; et comme il avait déjà parlé de la manière dont les Juifs s'empareraient de sa personne, il annonce à ses disciples la lutte qu'ils vont avoir à soutenir contre les Juifs: «Il leur dit ensuite: Quand je vous ai envoyés sans bourse»,etc. En effet, le Sauveur avait envoyé ses saints Apôtres prêcher le royaume des cieux dans les villes et les bourgades, en leur défendant toute préoccupation des besoins du corps, et leur commandant de mettre en lui toute leur confiance pour les choses de la vie,

Ou bien encore, ces paroles du Sauveur: «Que celui qui a une bourse la prenne, et qu'il prenne aussi un sac», ne s'adressent pas à ses disciples, mais à tous les Juifs en général, et il semble leur dire: Si quelqu'un, parmi vous, a de grandes richesses, qu'il les réunisse et qu'il prenne la fuite; et si quelque habitant de ce pays se trouve réduit à la dernière indigence, qu'il vende sa tunique pour acheter une épée; car le choc de l'attaque qui viendra fondre sur eux sera si terrible, que rien ne pourra lui résister. Il leur fait connaître ensuite la cause de ces calamités, c'est-à-dire parce qu'il a été condamné au supplice destiné aux criminels, et qu'il a été crucifié avec des voleurs. Or, lorsque ce crime aura été consommé, les prophéties qui avaient pour objet la rédemption seront accomplies, et les persécuteurs subiront les châtiments prédits par les prophètes. Notre-Seigneur a donc prédit ici le sort réservé à la nation juive; mais les disciples ne comprenaient pas la portée de ses paroles et pensaient que c'était pour résister à l'attaque du perfide disciple qu'il était besoin d'épées: «Ils lui dirent donc: Seigneur, voici deux épées».

Il passait toute la journée dans la ville de Jérusalem, et le soir venu, il se retirait avec ses disciples sur la montagne des Oliviers: «Et ses disciples le suivirent».

Mais ce n'est pas seulement par ses paroles qu'il veut leur être utile; il s'avance donc un peu plus loin, et se met en prière: «Et il s'éloigna d'eux à la distance d'un jet de pierre», etc. Partout vous voyez le Sauveur se retirer à l'écart pour prier, il vous apprend ainsi la nécessité du recueillement de l'esprit et de la paix du coeur pour vous entretenir avec le Dieu très-haut, Or, s'il s'applique ainsi à la prière, ce n'est point qu'il ait besoin d'un secours étranger, lui qui est la vertu toute puissante du Père, mais il veut nous apprendre qu'il ne faut pas s'endormir dans les tentations, mais prier avec plus d'instance.

Il dit: «Celui qui s'appelait Judas», comme si ce nom lui faisait horreur. Il ajoute: «Un des douze», pour faire ressortir davantage la méchanceté de ce traître disciple, qui est devenu la cause de la mort de Jésus-Christ, après avoir été élevé par lui à la sublime dignité de l'apostolat.

Il avait oublié la gloire qui avait environné la vie du Christ, il crut donc pouvoir consommer son crime en secret, et il osa donner pour signal de cette trahison sacrilège le symbole de l'affection la plus tendre.

Notre-Seigneur ne blâme pas les principaux d'entre les Juifs de n'avoir pas cherché plutôt à le mettre à mort, mais il leur reproche de s'imaginer, dans leur aveuglement, qu'ils peuvent se saisir de lui contre sa volonté; et tel est le sens de ses paroles: Vous n'avez pu vous saisir de moi alors, parce que je ne le voulais pas, et aujourd'hui encore vous ne le pourriez pas davantage, si je ne me livrais moi-même entre vos mains: «Mais voici votre heure», c'est-à-dire mon Père qui se rend à mes voeux, vous accorde ce peu de temps pour exercer contre moi votre cruauté. Il ajoute que cette puissance de sévir contre le Christ, a été donnée aux ténèbres (c'est-à-dire au démon et aux Juifs); mais voici votre heure et la puissance des ténèbres.

Cependant Pierre n'osait pleurer publiquement, de peur que ses larmes ne le fissent découvrir, mais il sortit dehors pour donner un libre cours à ses larmes. Or, il pleurait non par crainte du châtiment qu'il avait mérité, mais parce qu'il avait renié son Maître bien-aimé, pensée plus accablante pour lui que tous les supplices.

A ces paroles, toute la troupe des pharisiens entre en fureur, et l'accuse de blasphème: «Et ils repartirent: Qu'avons-nous besoin d'autre témoignage? nous l'avons entendu nous-mêmes de sa propre bouche».

Lorsque la sainte Écriture nous représente Dieu comme assis, et qu'elle nous parle de son trône, elle veut exprimer qu'il est le Roi de l'univers, et qu'il a sur tous les hommes une puissance souveraine. Nous ne pouvons admettre, en effet, qu'il existe un tribunal où le Seigneur de toutes choses vienne siéger, ni que la nature divine ait une droite ou une gauche, car il n'appartient qu'aux corps d'avoir une forme, d'occuper une place, ou d'être assis. Mais comment le Fils de l'homme pourra-t-il paraître dans la même gloire et au même rang que son Père, s'il n'est pas son Fils par nature, s'il n'a pas en lui l'essence même du Père?

D'ailleurs, les femmes sont naturellement portées aux larmes, et leur âme est plus accessible à la compassion.

Il leur fait pressentir que bientôt les femmes seront privées de leurs enfants, car lorsque la guerre viendra fondre sur la Judée, tous sans distinction en seront victimes, grands et petits: «Car voici que viendront des jours où l'on dira: heureuses les stériles», etc.

Ce n'est point dans sa nature divine et en tant que Dieu, mais dans sa nature humaine et en tant qu'homme, que le Fils unique de Dieu a souffert ces tourments corporels, car tel est le langage qu'il convient de tenir à l'égard de la personne du Fils de Dieu, c'est qu'il n'a pas souffert comme Dieu, mais qu'il a souffert comme homme.

Cependant un des voleurs s'associait aux outrages des Juifs contre le Sauveur: «Or, l'un des voleurs qui étaient suspendus en croix, le blasphémait en disant: Si tu es le Christ, sauve-toi toi-même et nous avec toi», l'autre lui adressait ce reproche: «Ne crains-tu pas Dieu non plus, toi qui partages le même supplice ?» Il va plus loin, et confesse ses propres crimes: «Pour nous, du moins, c'est justice, nous sommes traités comme nous le méritons».

Aussitôt que les Juifs eurent crucifié le Seigneur de toutes choses, l'univers tout entier pleura son Créateur et son Maître, et la lumière s'obscurcit en plein midi selon la prédiction du prophète Amos (Am 8, 9): «Il était environ la sixième heure», etc. Cette profonde obscurité était la figure manifeste des ténèbres qui devaient se répandre dans l'âme de ceux qui avaient crucifié le Fils de Dieu.

Ces paroles du Sauveur nous apprennent que les âmes des saints ne sont plus retenues captives dans les enfers, comme auparavant, mais qu'elles sont avec Dieu, depuis que Jésus-Christ les a délivrées.

Quand il eut pris le vinaigre, Jésus dit: Tout est accompli. Puis, inclinant la tête, il remit l'esprit (Jn 19,30). Jésus a raison de dire que tout est accompli. Mais maintenant son heure l'appelle à proclamer la parole aux esprits qui sont dans les enfers. Il s'y rend, en effet, pour montrer sa seigneurie sur les vivants et sur les morts. C'est pour nous qu'il s'est plongé jusque dans la mort, et qu'il subit cette passion commune à toute notre nature, c'est-à-dire la souffrance de la chair, alors qu'étant Dieu, il est, par nature, la vie. Il veut, après avoir dépouillé les enfers, ramener la nature humaine à la vie, lui que les Écritures appellent les prémices de ceux qui se sont endormis (cf. 1Co 15,30), et le premier-né d'entre les morts (Col 1,18).

Donc, il inclina la tête, ce qui est habituel aux mourants, parce que l'esprit ou l'âme qui maintient et gouverne le corps quitte celui-ci. Quant à ce que l'Évangéliste ajoute: et il remit l'esprit, c'est bien ainsi que les gens parlent pour dire que quelqu'un vient de s'éteindre et de mourir. Mais il semble que ce soit de propos délibéré et avec une intention précise que l'Évangéliste n'a pas dit simplement que Jésus était mort, mais qu'il avait remis son esprit dans les mains de Dieu le Père, selon ce qu'il a dit de lui-même: Père, entre tes mains je remets mon esprit (Lc 23,46). La portée et le sens de ces paroles apportaient à nous-mêmes le principe et le fondement d'une joyeuse espérance.

On doit croire, en effet, que les âmes saintes, après s'être dégagées de leurs corps terrestres, sont remises, entre les mains du Père très aimant, à la bonté et à la miséricorde de Dieu. Contrairement à ce que certains infidèles ont pensé, elles ne demeurent pas auprès de leurs tombeaux, en attendant les libations funèbres, et elles ne sont pas, comme les âmes des pécheurs, précipitées dans le lieu d'u n supplice sans fin, c'est-à-dire en enfer. Au contraire, elles se hâtent de se remettre entre les mains du Père de tous et en celles de notre Sauveur, le Christ, qui nous a montré cet itinéraire. Il a remis son âme entre les mains de son propre Père pour que, nous aussi, en nous engageant sur ce chemin, nous possédions une glorieuse espérance, en sachant et en croyant fermement qu'après avoir subi la mort de la chair, nous serons entre les mains de Dieu, et dans une condition bien préférable à celle que nous avions quand nous vivions dans la chair. C'est pourquoi saint Paul écrit à notre intention qu'il est bien préférable de s'en aller pour être avec le Christ (cf. Ph 1,23).

Or, ne trouvant point le corps du Sauveur qui était ressuscité, elles étaient agitées de diverses pensées, mais leur tendre amour pour Jésus-Christ, et leur pieuse sollicitude leur méritèrent d'être visitées par les anges: «Pendant qu'elles étaient remplies de frayeur et d'anxiété, près d'elles parurent deux anges revêtus de robes resplendissantes.

Les saintes femmes, instruites par les paroles des anges, se hâtèrent de venir annoncer toutes ces choses aux Apôtres: «Elles se ressouvinrent des paroles de Jésus; et étant revenues du sépulcre, elles annoncèrent toutes ces choses aux onze et à tous les autres». Ainsi la femme qui fut autrefois comme le ministre et l'instrument de la mort, est la première pour apprendre et pour annoncer l'auguste mystère de la résurrection. C'est ainsi que la femme a mérité le pardon de l'opprobre et l'affranchissement de la malédiction qui pesaient sur elle.

Les Apôtres ayant répandu partout la nouvelle de la résurrection, et les disciples étant pleins d'une sainte impatience de voir leur divin Maître, il se rend à leurs désirs, il se révèle à eux pendant qu'ils le cherchent et qu'ils l'attendent, et leur apparaît clairement et sans qu'il y ait lieu à contestation: «Pendant qu'ils s'entretenaient ainsi, Jésus parut au milieu d'eux», etc.

La preuve la plus évidente qu'il était vraiment celui qu'ils avaient vu mort sur la croix et déposé dans le sépulcre, c'est qu'aucune des pensées du coeur de l'homme ne lui était cachée.

Notre-Seigneur, voulant démontrer à ses Apôtres qu'il a triomphé de la mort, et que la nature humaine du Christ est désormais affranchie de la corruption, leur montre ses mains, ses pieds et les trous des clous: «Voyez mes mains et mes pieds, et reconnaissez que c'est bien moi».

Notre-Seigneur avait montré à ses disci ples ses mains et ses pieds pour leur certifier que le corps qui avait souffert était le même qui était ressuscité. Pour leur rendre cette vérité plus certaine encore, il demande quelque chose à manger: «Mais comme ils hésitaient encore à croire, il leur dit: Avez-vous ici quelque chose à manger ?»

Ou encore, il leur dit d'abord: «Recevez l'Esprit saint, afin de les préparer à le recevoir; ou il parle au présent de ce qui ne devait arriver que plus tard.

Jean voit Jésus venir vers lui et il dit: Voici l'Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde (Jn 1,29). Ce n'est plus le temps de dire: Préparez... (Mt 3,3), puisque Celui dont la venue a été préparée se laisse voir, il s'offre désormais aux regards. La nature de l'événement demande un autre discours. Il faut faire connaître Celui qui est là, expliquer pourquoi il est descendu du ciel et venu jusqu'à nous. C'est pourquoi Jean déclare: Voici l'Agneau de Dieu.

Le prophète Isaïe nous l'a annoncé en disant qu'il est traîné à l'abattoir comme une brebis, comme un agneau muet devant ceux qui le tondent (Is 53,7). La loi de Moïse l'a préfiguré, mais, étant figure et ombre, elle ne procurait qu'un salut incomplet et sa miséricorde ne s'étendait pas à tous les hommes. Or, aujourd'hui, l'Agneau véritable, représenté jadis par des symboles, la victime sans reproche est menée à l'abattoir.

C'est pour chasser le péché du monde, renverser l'Exterminateur de la terre, détruire la mort en mourant pour tous, briser la malédiction qui nous frappe et mettre désormais fin à ceci: Tu es poussière et à la poussière tu retourneras (Gn 3,19). Devenu ainsi le second Adam, d'origine céleste et non terrestre, il est la source de tout bien pour l'humanité, le destructeur de la corruption qui était étrangère à notre nature, le médiateur de la vie éternelle, le garant du retour à Dieu, le principe de la piété et de la justice, la voie qui mène au Royaume des cieux. Car un seul Agneau est mort pour tous, recouvrant pour Dieu le Père tout le troupeau de ceux qui habitent la terre; un seul est mort pour tous, afin de les soumettre tous à Dieu; un seul est mort pour tous afin de les gagner tous, afin que tous désormais n'aient plus leur vie centrée sur eux-mêmes, mais sur lui, qui est mort et ressuscité pour eux (2Co 5,15).

Nous vivions, en effet, dans nos nombreux péchés, et, de ce fait, nous avions à acquitter une dette de mort et de corruption. Aussi le Père a-t-il livré son Fils en rançon pour nous, un seul pour tous, car t outes choses sont en lui et il est au-dessus de tout. Un seul est mort pour tous afin que nous vivions tous en lui, car la mort, qui avait englouti l'Agneau sacrifié pour tous, les a tous restitués en lui et avec lui. En effet, nous étions tous dans le Christ qui est mort pour nous et à notre place, et qui est ressuscité.

Une fois le péché détruit, comment la mort qui a en lui son principe et sa cause, échapperait-elle à la destruction complète? Une fois la racine morte, comment le germe qui en sort pourrait-il encore se conserver? Une fois le péché effacé, pour quelle faute encore devrions-nous mourir? Célébrons donc dans la joie l'immolation de l'Agneau, en disant: O mort, où est ta victoire? O enfer, où est ton dard venimeux (1Co 15,55)?

Comme le chantait le Psalmiste, toute injustice, en effet, fermera sa bouche (Ps 106,42), incapable qu'elle est désormais d'accuser ceux qui pèchent par faiblesse. Car c'est Dieu qui justifie (Rm 8,33). Le Christ nous a rachetés de la malédiction de la Loi, en devenant pour nous objet de malédiction (Ga 3,13), afin que nous échappions à la malédiction du péché.

A qui donc irions-nous? demande Pierre. Il veut dire: "Qui nous instruira comme toi des divins mystères?" ou encore: "Auprès de qui trouverions-nous quelque chose de meilleur? Tu as les paroles de la vie éternelle" (Jn 6,68). Elles ne sont pas dures, comme le disent ces autres disciples. Au contraire, elles conduisent à la réalité la plus extraordinaire de toutes, la vie éternelle qui est sans fin, vie exempte de toute corruption.

Ces paroles nous montrent bien que nous devons nous asseoir aux pieds du Christ, le prenant pour notre seul et unique maître, et nous tenir constamment près de lui sans nous laisser distraire. Il doit devenir pour nous le guide parfaitement capable de nous conduire à la vie qui n'aura pas de fin. De cette manière, en effet, nous monterons jusqu'à la divine demeure du ciel et nous entrerons dans l'Église des premiers-nés, pour faire nos délices des biens que l'esprit humain ne peut comprendre.

De soi, il est évident que la volonté de suivre le Christ seul et de lui être toujours uni, est chose bonne et salutaire. Néanmoins, l'Ancien Testament va aussi nous l'apprendre. De fait, au temps où les Israélites, affranchis de l'oppression égyptienne, se hâtaient vers la terre promise, Dieu ne les laissait pas faire route en désordre, et le législateur ne leur permettait pas d'aller n'importe où, à leur gré; sans guide, en effet, ils se seraient à coup sûr complètement égarés.

Remarque comment ils reçoivent l'ordre de suivre, de se mettre en marche au moment où la nuée prend son départ, de faire encore halte avec elle, puis de prendre du repos avec elle. Vraiment, en ce temps-là, les Israélites trouvaient leur salut en restant avec leur guide. Aujourd'hui, nous faisons également le nôtre en refusant de nous séparer du Christ. Car c'est lui qui s'est manifesté aux anciens sous les apparences de la tente, de la nuée et du feu.

Les Israélites devaient exécuter les ordres: il leur était défendu de se mettre en route de leur propre initiative. Ils devaient s'arrêter avec la nuée, par égard pour elle. Cela devait encore servir d'exemple, afin que vous compreniez cette parole du Christ: Si quelqu'un me sert, qu'il me suive, et là où je suis, là aussi sera mon serviteur (Jn 12,26). C'est en marchant toujours avec lui que le disciple donne la preuve qu'il est fidèle à le suivre et assidu à se tenir près de lui.

Or, la marche en compagnie et à la suite du Christ Sauveur ne s'entend nullement dans un sens matériel, mais s'effectue plutôt par le moyen des oeuvres qu'engendre la vertu. Les disciples les plus sages s'y sont fermement engagés de tout leur coeur. Ils ont refusé de se retirer avec ceux qui manquaient de foi et couraient à leur perte.

Ils s'écrient à bon droit: Où irions-nous? En d'autres termes: "Nous serons toujours avec toi, nous nous attacherons à tes commandements, nous accueillerons tes paroles, sans jamais récriminer. Nous ne croirons pas, avec les ignorants, que ton enseignement est dur à entendre. Nous ferons plutôt nôtre cette pensée: Qu'elle est douce à mon palais, ta promesse: le miel a moins de saveur dans ma bouche!" (Ps 118,103).

La marque distinctive des brebis du Christ, c'est leur aptitude à écouter, à obéir, tandis que les brebis étrangères se distinguent par leur indocilité. Nous comprenons le verbe "écouter" au sens d'acquiescer à ce qui a été dit. Et ceux-là qui l'écoutent sont "connus" de Dieu, car "être connu" signifie être uni. Il n'y a personne qui soit entièrement ignoré de Dieu. Donc, lorsque le Christ dit: Je connais mes brebis, il veut dire: "Je les accueillerai et je les unirai à moi d'une union mystique et permanente."

On peut dire qu'en se faisant homme, il s'est apparenté à tous les hommes par communauté de nature: nous sommes tous unis au Christ par une relation mystique en raison de son incarnation. Mais tous ceux qui ne gardent pas de ressemblance avec sa sainteté lui sont devenus étrangers.

Mes brebis me suivent, dit encore le Christ. En effet, les croyants, par la grâce divine, suivent les pas du Christ. Ils n'obéissent pas aux préceptes de la Loi, qui n'étaient que des figures, mais, en suivant par la grâce les préceptes du Christ, ils s'élèveront jusqu'à sa hauteur, conformément à leur vocation de fils de Dieu. Quand le Christ monte au ciel, ils le suivent jusque-là.

Le Christ promet à ceux qui le suivent de leur accorder le salaire et la récompense de la vie éternelle. Il leur promet aussi de les soustraire à la mort et à la corruption, ainsi qu'aux supplices que le juge réclame contre eux pour leurs transgressions. Le Christ, du fait qu'il donne la vie, montre qu'il est par nature la vie en personne, et qu'il la donne de lui-même, sans la recevoir d'un autre.

Par vie éternelle, nous ne comprenons pas cette succession interminable de jours, que tous, bons ou mauvais, posséderont après la résurrection, mais cette vie où l'on demeure dans la joie. On peut aussi comprendre "la vie" au sens de l'eucharistie. Par celle-ci, le Christ greffe en nous sa propre vie, en faisant participer les croyants à sa propre chair, selon sa parole: Celui qui mange m a chair et boit mon sang a la vie éternelle (Jn 6,54).

Le Christ, comme prémices de la nouvelle création, a évité la malédiction de la Loi, mais par le fait même qu'il devenait malédiction pour nous. Il a échappé aux puissances de la corruption devenant par lui-même libre parmi les morts (cf. ps 87,6). Après avoir terrassé la mort, il est ressuscité, puis il est monté vers le Père comme une offrande magnifique et resplendissante, comme les prémices, en quelque sorte, de la race humaine rénovée, incorruptible.

Comme dit l'Écriture: Ce n'est pas dans un sanctuaire construit par les hommes, qui ne peut être qu'une copie du sanctuaire véritable, que le Christ est entré, mais dans le ciel même, afin de se tenir maintenant pour nous devant la face de Dieu (He 9,24). Il est pain qui donne la vie et qui est venu du ciel. En s'offrant lui-même à Dieu le Père à cause de nous comme un sacrifice d'agréable odeur, il remet aux pauvres hommes leurs péchés et les délivre de leurs erreurs. Vous comprendrez bien cela en le comparant, par le regard spirituel, au jeune taureau muselé, et au bouc égorgé pour les erreurs du peuple. <> Il a donné sa vie afin d'effacer le péché du monde.

C'est pourquoi, de même que sous le pain nous voyons le Christ comme la vie et celui qui donne vie, sous le symbole du jeune taureau nous le voyons comme immolé, s'offrant à Dieu en sacrifice d'agréable odeur, et sous le symbole du bouc comme devenu péché pour nous (2Co 5,21) et offert pour nos péchés. On pourrait encore le considérer sous le symbole de la gerbe. Qu'est-ce que ce signe représente? Je vais le dire rapidement.

On peut comparer le genre humain aux épis d'un champ. Ils naissent de la terre, ils attendent d'avoir obtenu toute leur croissance et, au moment voulu, ils sont fauchés par la mort. C'est ainsi que le Christ disait à ses disciples: Ne dites-vous pas: Encore quatre mois et ce sera la moisson? Et moi je vous dis: Levez les yeux et regardez les champs qui se dorent pour la moisson. Dès maintenant le moissonneur reçoit son salaire: il récolte du fruit pour la vie éternelle (Jn 4,35-36).

Or le Christ est né parmi nous, il est né de la Vierge sainte comme les épis sortent de la terre. Parfois d'ailleurs il se nomme lui-même le grain de blé: Amen, Amen je vous le dis: si le grain tombé en terre ne meurt pas, il reste seul; mais s'il meurt, il donne beaucoup de fruit (Jn 12,24). Ainsi s'est- il offert pour nous à son Père, à la manière d'une gerbe et comme les prémices de la terre. Car l'épi de blé, comme nous-mêmes d'ailleurs, ne peut être considéré isolément. Nous le voyons dans une gerbe, formée de nombreux épis d'une seule brassée. Car le Christ Jésus est unique, mais il nous apparaît et il est réellement comme constituant une brassée, en ce sens qu'il contient en lui tous les croyants, évidemment dans une union spirituelle. Sans cela, comment saint Paul pourrait-il écrire: Avec lui il nous a ressuscites, avec lui il nous a fait régner aux cieux (Ep 2,6-7)? En effet, puisqu'il est constitué par nous, nous ne faisons qu'un seul corps avec lui (Ep 3,6) et nous avons acquis par la chair l'union avec lui. Car lui-même adresse d'ailleurs ces paroles à Dieu le Père: Je veux, Père, que, comme moi et toi ne faisons qu'un, eux aussi ne fassent qu'un avec nous (Jn 17,21).

Je vous donne un commandement nouveau: Aimez-vous les uns les autres. Mais, demandera-t-on peut-être, comment Jésus peut-il dire que ce commandement est nouveau, lui qui a prescrit aux anciens, par l'intermédiaire de Moïse: Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de tout ton esprit, et ton prochain comme toi-même (Dt 6,5 Mt 22,37)?

Il faut voir ce que Jésus ajoute. Il ne s'est pas contenté de dire: Je vous donne un commandement nouveau: aimez-vous les uns les autres. Mais pour montrer la nouveauté de cette parole et que son amour a quelque chose de plus fort et de plus remarquable que l'ancienne charité envers le prochain, il ajoute aussitôt: Comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez-vous les uns les autres. Il faut donc creuser le sens de ces paroles, et rechercher comment le Christ nous a aimés. Alors, en effet, nous pourrons apprécier ce qu'il y a de différent et de nouveau dans le précepte qui nous est donné maintenant. Donc, lui qui était dans la condition de Dieu, il n'a pas jugé bon de revendiquer son droit d'être traité à l'égal de Dieu, mais au contraire il se dépouilla lui-même en prenant la condition de serviteur. Devenu semblable aux hommes et reconnu comme un homme à son comportement, il s'est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu'à mourir, et à mourir sur une croix (Ph 2,6-8). Et saint Paul affirme encore: Lui qui est riche, il s'est fait pauvre (2Co 8,9).

Voyez-vous la nouveauté de son amour envers nous? La Loi prescrivait en effet d'aimer son frère comme soi-même. Or notre Seigneur Jésus Christ nous a aimés plus que lui-même, puisque, vivant dans la même condition que Dieu le Père et dans l'égalité avec lui, il ne serait pas descendu jusqu'à notre bassesse, il n'aurait pas subi pour nous une mort physique aussi affreuse, il n'aurait pas subi les gifles, les moqueries et tout ce qu'il a subi, - si je voulais énumérer dans le détail tout ce qu'il a souffert, je n'en finirais pas - et d'abord, il n'aurait pas voulu, étant riche, se faire pauvre, s'il ne nous avait pas aimés plus que lui-même. Une telle mesure d'amour est donc inouïe et nouvelle.

Il nous ordonne d'avoir les mêmes sentiments, de ne faire passer absolument rien avant l'amour de nos frères, ni la gloire ni les richesses. Il ne faut même pas craindre, si c'est nécessaire, d'affronter la mort corporelle pour obtenir le salut du prochain. C'est ce qu'ont fait les bienheureux disciples de notre Sauveur et ceux qui ont suivi leurs traces. Ils ont fait passer le salut des autres avant leur propre vie, ils n'ont refusé aucun labeur. Ils ont accepté de supporter des maux extrêmes pour sauver des âmes qui se perdaient. C'est ainsi que saint Paul dit parfois: Je meurs chaque jour (1Co 15,31), et aussi: Si quelqu'un faiblit, je partage sa faiblesse; si quelqu'un vient à tomber, cela me brûle (2Co 11,29).

Le Sauveur nous a ordonné de cultiver la racine de cette piété très parfaite envers Dieu, bien plus grande que l'amour prescrit par la loi ancienne. Il savait que nous n'avons pas d'autre moyen de plaire à Dieu que de suivre la beauté de l'amour, tel qu'il l'a introduit chez nous, et de recevoir ainsi les plus hautes et les plus parfaites bénédictions.

Dans la maison de mon Père, beaucoup peuvent trouver leur demeure; sinon, est-ce que je vous aurais dit: Je pars vous préparer une place? (Jn 14,2) <> Si les demeures auprès du Père n'avaient pas été nombreuses, le Seigneur aurait dit qu'il partait en avant-coureur, manifestement afin de préparer les demeures des saints. Mais il savait que beaucoup étaient déjà prêtes et attendaient l'arrivée des amis de Dieu. Il donne donc un autre motif à son départ: préparer la route à notre ascension vers ces places du ciel en frayant un passage, alors qu'auparavant cette route était impraticable pour nous. Car le ciel était absolument fermé aux hommes, et jamais aucun être de chair n'avait pénétré dans ce très saint et très pur domaine des anges.

C'est le Christ qui inaugura pour nous ce chemin vers les hauteurs. En s'offrant lui-même à Dieu le Père comme les prémices de ceux qui dorment dans les tombeaux de la terre, il permit à la chair de monter au ciel, et il fut lui-même le premier homme apparu à ses habitants. Les anges ne connaissaient pas le mystère auguste et grandiose d'une intronisation céleste de la chair. Ils voyaient avec étonnement et admiration cette ascension du Christ. Presque troublés à ce spectacle inconnu, ils s'écriaient: Quel est celui-là qui arrive d'Édom (Is 63,1), c'est-à-dire de la terre? Mais l'Esprit ne permit pas que la milice céleste demeurât dans l'ignorance de cette disposition admirable de la sagesse de Dieu le Père. Il ordonna qu'on ouvrît les portes devant le Roi et Seigneur de l'univers: Princes, ouvrez vos portes, portes éternelles: qu'il entre, le roi de gloire (Ps 23,7 LXX)!

Donc, notre Seigneur Jésus Christ inaugura pour nous cette voie nouvelle et vivante: comme dit saint Paul, il n'est pas entré dans un sanctuaire construit par les hommes, mais dans le ciel lui-même, afin de se tenir maintenant pour nous devant la face de Dieu (He 9,24).

En effet, le Christ n'est pas monté pour se faire voir de Dieu son Père, car il était, il est et il sera toujours dans le Père, sous le regard de celui qui l'engendre, et c'est en lui qu'il se réjouit éternellement. Il monte maintenant, d'une façon étrange et insolite pour un homme, lui, le Verbe qui, à l'origine, n'avait pas revêtu l'humanité. S'il l'a fait, c'est pour nous et en notre faveur, afin que, reconnu comme un homme (Ph 2,7), mais avec la puissance du Fils, et entendant avec sa chair ce décret: Siège à ma droite (Ps 109,1), il puisse, établi lui-même comme Fils, transmettre la gloire de la filiation à tout le genre humain.

Car, puisqu'il est devenu homme, c'est comme l'un de nous qu'il siège à la droite du Père, bien qu'il soit supérieur à toute la création et consubstantiel au Père - il est en effet vraiment venu de lui, puisqu'il est Dieu venu de Dieu et lumière venue de la lumière.

Comme homme, il s'est présenté devant le Père en notre faveur, pour nous rendre capables de nous tenir debout devant la face du Père, alors que l'antique péché nous en avait chassés. Comme Fils, il s'est assis pour que nous-mêmes, à cause de lui, nous puissions être appelés fils de Dieu.

Aussi Paul, persuadé de parler au nom du Christ (cf. 2Co 13,3), enseigne-t-il que tout ce qui a été accordé au Christ est communiqué à l'humanité, puisque Dieu nous a ressuscités avec Jésus Christ et nous a fait asseoir dans les cieux avec lui (Ep 2,6). L'honneur et la gloire de siéger au ciel est propre au Christ, qui est Fils par nature. C'est à lui seul que cela revient et que nous le reconnaissons au sens strict. Il a beau avoir pris notre ressemblance en apparaissant comme un homme: la divinité lui appartient parce qu'il est Dieu, mais il nous transmet mystérieusement le don d'une telle dignité.

Notre Sauveur affirme avoir glorifié le nom de Dieu son Père, ce qui veut dire qu'il a rendu sa gloire illustre et éclatante par toute la terre. Comment cela? En se montrant lui-même son témoin et son annonciateur par des oeuvres extraordinaires. En effet, le Père est glorifié dans le Fils, comme dans une image et une empreinte de sa forme et de sa figure. Car les empreintes reflètent toujours la beauté de leurs archétypes.

Donc, le Fils unique a été glorifié, lui qui est substantiellement la sagesse et la vie, le créateur et l'architecte de l'univers, plus fort que la mort et la corruption, pur, immaculé, miséricordieux, saint, plein de bonté. Que son Père soit tout cela, c'est évident, car il ne peut pas différer en sa nature de celui qui procède de lui par nature. Le Père a donc rayonné dans la gloire du Fils comme dans l'image et l'empreinte de sa forme.

Le Fils a fait connaître le nom du Père non seulement en le révélant et en nous donnant un enseignement exact sur sa divinité. Car tout cela était proclamé avant la venue du Fils, par l'Écriture inspirée. Mais aussi en nous enseignant non seulement qu'il est vraiment Dieu, mais qu'il est aussi vraiment Père, et vraiment qualifié ainsi, ayant en lui-même et produisant hors de lui-même son Fils, co-éternel à sa nature.

Le nom de Père convient à Dieu plus proprement que le nom de Dieu: celui-ci est un nom de dignité, celui-là signifie une propriété substantielle. Car qui dit Dieu dit le Seigneur de l'univers. Mais celui qui nomme le Père précise la propriété de la personne: il montre que c'est lui qui engendre. Que ce nom de Père soit plus vrai et plus propre que celui de Dieu, le Fils lui-même nous le montre par l'emploi qu'il en fait. Il disait parfois, non pas "Moi et Dieu" mais: Moi et le Père, nous sommes un (Jn 10,30). Et il disait aussi: C'est lui, le Fils, que Dieu le Père a marqué de son empreinte (Jn 6,27).

Mais quand il a prescrit à ses disciples de baptiser toutes les nations, il a expressément ordonné que cela se ferait non pas au nom de Dieu, mais au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit.

Père saint, garde mes disciples dans la fidélité à ton nom, que tu m'as donné en partage (Jn 17,11). Le Christ veut garder ses disciples dans l'unité d'esprit et de volonté, en sorte qu'ils soient comme fondus les uns dans les autres, quant à l'âme et à l'esprit, par le lien de la paix et de l'amour mutuel, qu'ils soient unis par la chaîne infrangible de la charité. Ils progresseront ainsi vers une unité si parfaite que cette union, librement choisie, de leurs volontés soit le reflet de l'unité de nature que nous reconnaissons entre le Père et le Fils.

C'est donc une unité qui ne doit pas être ébranlée par aucun des assauts des forces ou des plaisirs de ce monde, ni être brisée par le désaccord des volontés, mais qui doit plutôt garder intacte la puissance de l'amour dans l'unité du culte et de la sainteté.

Or, c'est bien ce qu'ils firent. Car nous lisons dans les Actes des Apôtres: La multitude de ceux qui avaient adhéré à la foi avait un seul coeur et une seule âme (Ac 4,32) dans l'unité qui vient de l'Esprit. C'est encore ce que dit saint Paul: Un seul Corps et un seul Esprit (Ep 4,4), car la multitude que nous sommes est un seul corps (1Co 10,17) dans le Christ, car tous nous participons à un même pain, et tous nous avons reçu l'onction d'un même Esprit, celui du Christ.

Donc, puisque les disciples devaient former un seul corps et participer à un seul et même Esprit pour que s'accomplisse l'unité spirituelle, Jésus veut qu'ils réalisent un accord indestructible dans une concorde parfaite.

Si l'on pense que cette unité des disciples est conforme à celle du Père et du Fils, qui n'est pas seulement l'unité de leur nature divine, mais l'unité parfaite de leur volonté, les disciples - il est permis de le croire - n'ont qu'une seule nature sainte et une même volonté. Car il est juste de constater chez les chrétiens une même volonté, bien qu'il n'y ait pas chez nous la même notion de consubstantialité qu'il y a entre le Père et le Verbe de Dieu, lequel procède du Père et demeure en lui.

Notre Seigneur Jésus Christ ne prie pas seulement pour les douze disciples. Il prie pour tous ceux qui, à toutes les époques, croiront à leur prédication et voudront bien se sanctifier par la foi et se purifier en communiant à l'Esprit Saint.

Que tous, ils soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi, pour qu'eux-mêmes soient un en nous (Jn 17,21). <> Le Fils unique est le rayonnement de la substance même de Dieu le Père, et il contient le Père tout entier dans sa propre nature. Il s'est fait chair (Jn 1,14) selon les Écritures, se mêlant en quelque manière à notre nature, par une union et conjonction indicible avec ce corps terrestre. Ainsi sont unies en lui des réalités qui, par nature, sont éloignées au maximum, et il accorde à l'homme de communier et de participer à la nature divine (2P 1,4). En effet, la communication et l'habitation du Saint-Esprit se sont propagées jusqu'à nous, et elles subsistent en nous, alors qu'elles ont commencé par le Christ.

Devenu semblable à nous en devenant homme (cf. Ph 2,7), on comprend qu'il a été consacré et sanctifié, bien qu'il soit Dieu par nature, en tant qu'il est apparu comme issu du Père. Et lui-même, par son Esprit, sanctifie son temple et toute la création dont il est l'artisan, sur laquelle rejaillit la sanctification.

C'est pourquoi le mystère du Christ est comme le principe et le chemin par lequel nous obtiendrons d'être participants de l'Esprit (He 6,4) et unis à Dieu. Nous sommes tous sanctifiés en lui, de la manière que nous venons de dire. Par sa propre sagesse et par la décision du Père, le Fils a inventé une certaine manière de nous faire progresser dans l'union avec Dieu et entre nous, malgré les différences corporelles et spirituelles qui nous caractérisent.

Dans un seul corps, qui est évidemment le sien, il bénit tous ceux qui croient en lui. Par l'échange sacramentel, il les rend un même corps avec lui (Ep 3,6) et entre eux. Qui donc pourrait diviser, en brisant leur union naturelle, ceux qui, par ce saint corps, ont été amenés à l'unité avec le Christ? Car, si nous avons tous part à un seul pain, la multitude que nous sommes devient un seul corps (1Co 10,17). Le Christ ne peut être divisé. C'est pourquoi l'Église est appelée le Corps du Christ, et nous, ses membres particuliers, comme le dit saint Paul (Ep 4,30). Car nous sommes tous totalement unis à l'unique Christ par son saint Corps. Lorsque nous prenons dans notre pro pre corps ce Corps unique et indivisible, c'est à lui plutôt qu'à nous que nos membres appartiennent.

Père, ceux que tu m'as donnés, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi, afin qu'ils contemplent ma gloire, celle que tu m'as donnée parce que tu m'as aimé avant la création du monde (Jn 17,24).

Aussitôt après avoir prié pour ses disciples, et même pour tous ceux qui viendront à lui par la foi, et après avoir demandé au Père de leur donner l'unité, l'amour et la sainteté, Jésus pron once ces paroles. Il nous fait ainsi comprendre que seuls ceux qui seront déjà unis par lui au Père, pourront vivre avec lui et obtenir de voir sa gloire.

Car nous sommes aimés comme des fils, selon la ressemblance de celui qui est Fils par nature et véritablement. En effet, l'imitation très exacte de cette filiation, tout en se situant peut-être à un niveau inférieur, est quasi totalement conforme à la réalité parfaite et produit ainsi cette gloire.

Je veux donc, ô Père, dit-il, que ceux qui se sont approchés de toi par la foi et sont devenus miens par ton illumination soient avec moi et qu'ils voient ma gloire. Quel discours pourra bien nous expliquer comme il est bon de vivre avec le Christ? Car nous connaîtrons des joies inexprimables et l'oeil n'a pas vu, l'oreille n'a pas entendu, l'intelligence n'a pas conçu ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment (1Co 2,9). En effet, de quoi ceux qui ont été choisis pour vivre avec le Christ, le Seigneur même de l'univers, pourraient-ils bien encore manquer pour connaître une joie sans mélange?

Selon les saintes Écritures, nous serons conformés à sa gloire, et nous régnerons avec lui. Il promet qu'il prendra place avec nous, de la manière que lui-même connaît, au festin du Royaume des cieux (cf. Mt 8,11). Nous vivrons donc avec le Christ, nous participerons à sa gloire et nous serons associés à sa royauté. C'est là une chose absolument certaine et que nous nous réservons d'expliquer plus longuement.

Abordons pour l'instant le second point, je veux dire ceci: afin qu'ils contemplent ma gloire. Il ne sera donc pas possible aux profanateurs ni aux pécheurs ni à ceux qui méprisent la loi divine, de parvenir à la vision de la gloire du Christ, mais plutôt aux seuls hommes saints et bons. C'est ce que nous allons apprendre de la bouche du prophète: Que l'impie soit exclu et ne voie pas la gloire de Dieu (Is 26,10)! Et le Christ Sauveur proclame dans l'évangile: Heureux les coeurs purs: ils verront Dieu (Mt 5,8)!

Et qui sont les coeurs purs? De toute évidence, uniquement ceux qui, unis à Dieu par le Fils dans l'Esprit, renoncent à toute forme de sensualité et s'écartent le plus possible des plaisirs du monde. Ils renient, pour ainsi dire, leur propre vie, se livrent exclusivement à la volonté de l'Esprit Saint et mènent une vie pure, totalement vouée au Christ. Ainsi en allait-il de saint Paul. Il était si pur qu'il ne craignit pas de dire: Avec le Christ, je suis fixé à la croix: je vis, mais ce n'est plus moi, c'est le Christ qui vit en moi (Ga 2,19-20).

Thomas n'a pas mis longtemps à confesser sa faute, lui qui, peu auparavant, avait été si lent à croire! Huit jours seulement s'étaient écoulés, et le Christ détruisit les objections de son incrédulité en lui montrant les traces des clous et même son côté.

Notre Seigneur Jésus Christ avait merveilleusement traversé les portes verrouillées, tandis qu'un corps épais et terrestre aurait cherché un accès approprié et aurait demandé pour entrer l'espace que demande la taille de chacun. Ensuite, il lui a suffi de découvrir son côté devant Thomas, et de montrer les blessures faites dans sa chair, pour convaincre tout le monde. Car on nous rapporte que Thomas fut le seul à dire: Si je n'avance pas mes mains, si je ne vois pas la marque des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas (Jn 20,25)!

Mais le péché de l'infidélité était en quelque sorte commun à tous, et nous ne constatons pas que l'esprit des autres disciples ait été à l'abri du doute, bien qu'ils aient tous dit: Nous avons vu le Seigneur (Jn, 20,25)! Saint Luc nous écrit à leur sujet: Dans leur joie, ils n'osaient pas encore y croire, et restaient saisis d'étonnement. Il leur dit: Avez-vous ici quelque chose à manger? Ils lui offrirent un morceau de pain grillé. Il le prit et le mangea devant eux (Lc 24,41-43). Vous voyez comment la pensée incrédule n'a pas son siège chez Thomas seulement, mais que le coeur des autres disciples souffrait de la même maladie.

Donc l'étonnement rendait les disciples lents à croire. Mais parce que rien ne pouvait excuser l'incrédulité de témoins oculaires, saint Thomas a bien fait de confesser sa foi en disant: Mon Seigneur et mon Dieu. Jésus lui dit: Parce que tu m'as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu (Jn 20,28-29).

Cette parole du Seigneur est pleinement conforme à la miséricordieuse économie de Dieu, et elle peut nous être du plus grand profit. Car ici encore il s'est soucié grandement de nos âmes, parce qu'il est bon, parce qu'il veut que tous les hommes soient sauvés et qu'ils parviennent à connaître la vérité (1Tm 2,4), comme il est écrit. Mais cela peut nous surprendre. Car il devait supporter patiemment Thomas avec ses paroles, ainsi que les autres disciples qui le prenaient pour un esprit et un fantôme. Il devait encore, pour convaincre le monde entier, montrer les marques des clous et l'ouverture du côté. Enfin, de manière surprenante et sans que le besoin l'y contr aigne, il devait prendre de la nourriture, afin de ne laisser aucun motif de douter à ceux qui avaient besoin de ces signes.

Celui qui n'a pas vu, mais qui accueille et tient pour vrai ce que l'initiateur aux mystères lui a dit à l'oreille, honore d'une foi remarquable ce que son maître lui a proclamé. Par conséquent, on appelle bienheureux tous ceux qui ont cru grâce à la parole des Apôtres, eux qui ont été témoins oculaires des grandes actions du Christ et serviteurs de la Parole, comme dit saint Luc (Lc 1,2). Car il est nécessaire de les écouter, si nous sommes saisis d'un amour passionné pour la vie éternelle, et si nous attachons le plus grand prix à trouver dans le ciel notre demeure.

En entrant dans le Cénacle toutes portes closes, le Christ a montré une fois de plus qu'il est Dieu par nature, et qu'il n'est pas différent de celui qui vivait auparavant avec les disciples. En découvrant son côté et en montrant la marque des clous, il manifestait à l'évidence qu'il a relevé le temple de son corps qui avait été suspendu à la croix, en détruisant la mort corporelle, puisque par nature il est la vie et il est Dieu.

Mais alors que le moment était venu de transformer son corps par une gloire inexprimable et prodigieuse, on le voit tellement soucieux de fonder la foi en la résurrection future de la chair qu'il a voulu, conformément à l'économie divine, apparaître tel qu'il était auparavant. Ainsi ne penserait-on pas qu'il avait alors un corps différent de celui avec lequel il était mort sur la croix.

Même si le Christ avait voulu déployer la gloire de son corps devant les disciples, avant de monter vers le Père, nos yeux n'auraient pu en supporter la vue. Vous le comprendrez facilement si vous vous rappelez la transfiguration qui avait jadis été montrée sur la montagne. En effet, saint Matthieu écrit que le Christ fut transfiguré devant eux, que son visage resplendit comme l'éclair et que ses vêtements devinrent blancs comme neige. Quant à eux, ne pouvant supporter la vision, ils tombèrent la face contre terre.

C'est pourquoi, afin d'observer exactement le plan divin, notre Seigneur Jésus apparaissait encore, au Cénacle, sous sa forme antérieure, et non pas selon la gloire qui est due et convient à son Temple transfiguré. Il ne voulait pas que la foi en la résurrection se porte sur un aspect et sur un corps différents de ceux qu'il reçut de la sainte Vierge et dans lesquels il est mort après avoir été crucifié selon les Écritures. En effet, la mort n'avait pouvoir que sur la chair, dont elle allait être chassée. Car, si ce n'est pas son corps mort qui est ressuscité, quelle espèce de mort a donc été vaincue? Ou encor e, comment le pouvoir de la corruption aurait-il cessé, sinon par la mort d'une créature raisonnable? Car ce ne fut pas l'oeuvre de l'âme, ni de l'ange, ni même du Verbe de Dieu. Donc, puisque la mort ne peut exercer son pouvoir que sur ce qui est corruptible par nature, on aura raison d'estimer que la force de résurrection peut s'exercer aussi sur cela, pour que la tyrannie de la mort soit renversée.

Le Seigneur salue ses disciples en disant: Paix à vous. n déclare ainsi que lui-même est la paix. Car ceux auprès desquels il est présent bénéficient d'un esprit parfaitement apaisé. C'est évidemment ce que saint Paul souhaitait aux fidèles quand il disait: Que la paix du Christ, qui dépasse tout ce qu'on peut imaginer, garde votre coeur et votre intelligence dans le Christ Jésus (Ph 4,7). Pour saint Paul, la paix du Christ, qui dépasse tout ce qu'on peut imaginer, n'est autre que son Esprit: celui qui participe à son Esprit sera rempli de tout bien.