Saint Thomas d'Aquin

Saint Thomas d'Aquin, né vers 1225 à Roccasecca, dans le royaume de Sicile, et décédé le 7 mars 1274 à l'abbaye de Fossanova, était un prêtre de l'Ordre des Prêcheurs (Dominicains) et un éminent théologien et philosophe. Considéré comme l'un des plus grands philosophes et théologiens de l'Église catholique, il est reconnu pour son œuvre influente dans la philosophie scolastique.

Thomas d'Aquin est surtout connu pour sa "Somme théologique", une œuvre monumentale qui présente une synthèse systématique de la théologie chrétienne. Ses écrits combinent la philosophie aristotélicienne avec la tradition théologique chrétienne, cherchant à démontrer l'harmonie entre la foi et la raison.

En tant que penseur, Thomas a abordé des questions telles que l'existence de Dieu, la nature de la foi, l'éthique et la relation entre la grâce et la liberté humaine. Ses idées ont eu une influence profonde sur la pensée chrétienne et continuent d'être étudiées dans les institutions théologiques et philosophiques du monde entier.

Thomas d'Aquin a été canonisé en 1323 par le pape Jean XXII et proclamé Docteur de l'Église en 1567 par le pape Pie V. Il est le saint patron des universités et des étudiants catholiques. Sa fête est célébrée le 28 janvier.

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En ce qui concerne les disciples, il donne trois raisons de prier pour eux : la première est qu'ils ont été instruits par lui ; la deuxième, qu'ils lui ont été donnés [n° 2196] ; et la troisième, qu'ils lui sont liés par l'obéissance et une soumission aimante [n° 2197].

2194. Il donne la première raison en disant J'AI MANIFESTÉ, comme s'il disait, selon Augustin afin que ton Fils te glorifie. Et certes, cette glorification a déjà été accomplie en partie parce que J'AI MANIFESTÉ TON NOM AUX HOMMES QUE TU M'AS DONNÉS DU MILIEU DU MONDE.

Ou bien, selon ChrysostomeJe dis que j'ai achevé l'œuvre que tu m'as donné à faire. Quelle œuvre ? Il l'ajoute : J'AI MANIFESTÉ TON NOM AUX HOMMES, ce qui est l'œuvre propre du Fils de Dieu, qui est le Verbe, dont le propre est de manifester par sa parole - Nul ne connaît le Père si ce n'est le Fils et celui à qui le Fils veut bien le révéler. - Personne n'a jamais vu Dieu ; le Fils unique qui est dans le sein du Père, lui, l'a fait connaître.

2195. Mais ici, il y a un doute. Puisque Dieu le Père fut connu des hommes avant la venue du Christ, selon le psaume - En Juda, Dieu est connu -, pourquoi dit-il : J'AI MANIFESTÉ TON NOM ?

Je réponds : il faut dire que le nom de Dieu Père pouvait être connu de trois manières. La première, en tant qu'il est Créateur de tout. Et c'est de cette manière qu'il était connu des Gentils - Les choses invisibles de Dieu sont perçues par l'intelligence à travers les œuvres qu'il a faites - Dieu le leur a révélé.

D'une autre manière, en tant qu'il était le seul à qui devait être rendu le culte de latriede cette manière il n'était pas connu des Gentils qui rendaient aussi aux autres dieux un culte de latrie, mais seulement des Juifs qui seuls avaient comme précepte dans leur Loi de n'immoler [des victimes] qu'à Dieu - Qui immole à d'autres dieux sera tué, sauf au Seigneur seul.

D'une troisième manière, en tant que Père de son Fils unique Jésus Christ, et de cette manière il n'était connu de personne ; mais il se fit connaître par son Fils quand les Apôtres crurent qu'il était le Fils de Dieu.

2196. En disant cela il donne la deuxième raison. Et d'abord il traite du don, puis il en donne la raison ou le mode. Il dit donc : AUX HOMMES QUE TU M'AS DONNÉS DU MILIEU DU MONDE, à savoir ces hommes auxquels J'AI MANIFESTÉ TON NOM.

Mais le Fils ne les a-t-il pas eus comme le Père aussi les a eus ? Oui, certes, en tant que Dieu. Mais il dit : QUE TU M'AS DONNÉS DU MILIEU DU MONDE, à savoir à moi en tant qu'homme, pour qu'ils m'écoutent et m'obéissent - Personne ne peut venir à moi, si le Père qui m'a envoyé ne l'attire. Or le fait que quelques-uns viennent au Christ provient d'un don et de la grâce de Dieu - C'est par grâce que vous êtes sauvés, c'est un don de Dieu .

QUE TU M'AS DONNÉS DU MILIEU DU MONDE, dis-je, c'est-à-dire choisis dans le monde ; plus haut : Parce que je vous ai choisis du milieu du monde. Car même si tout le monde était donné au Fils comme sa propriété, cependant les Apôtres, eux, ont été donnés au Fils pour lui obéir.

Il donne la raison de ce don. Ils sont donnés parce qu'ILS ÉTAIENT À TOI, et aussi à moi, et prédestinés selon la divinité de toute éternité, pour parvenir par la grâce à la gloire future - Il nous a choisis dans le Christ avant la fondation du monde. ET TU ME LES AS DONNÉS, c'est-à-dire ce à quoi dès l'origine tu les as prédestinés avec moi et en moi, tu l'as accompli par une œuvre, en faisant qu'ils adhèrent à moi.

2197. Il donne la troisième raison qui est la soumission aimante des disciples. D'abord il montre cette soumission aimante à l'égard du Fils. Puis il montre qu'elle rejaillit en gloire pour le Père [n° 2199]. Et en troisième lieu, il en donne la raison [n° 2200].

2198. Il dit donc, en ce qui concerne le premier point : ET TU ME LES AS DONNÉS parce qu'ILS ÉTAIENT À TOI ; mais eux aussi ont agi avec amour parce qu'ILS ONT GARDÉ TA PAROLE dans leur cœur par la foi et dans leurs actes en l'accomplissant- Garde mes commandements afin de vivre. - Si vous gardez mes commandements vous demeurerez dans mon amour.

2199. Mais le fait même qu'ils aient ainsi gardé la parole rejaillit pour ta gloire, Père. Car telle est ma parole, parce que tout ce que j'ai, je le tiens de toi : MAINTENANT ILS ONT CONNU QUE TOUT CE QUE TU M'AS DONNÉ, à savoir à ton Fils comme homme, VIENT DE TOI - Nous avons vu la gloire qu'il tient du Père comme Fils unique, c'est-à-dire que nous l'avons vu comme celui qui tient tout du Père. Et parce qu'ils ont reconnu cela, le Père est glorifié dans leur esprit.

2200. Ici il donne la raison de cette glorification, du fait que l'obéissance des disciples à l'égard du Fils rejaillit en gloire pour le Père. D'abord, il donne l'ordre selon lequel les disciples sont connus par le Père. Puis, il présente l'ordre selon lequel l'esprit des disciples est ramené vers le Père [n° 2202].

2201. Premièrement, il le montre par le don de l'enseignement que nous a fait le Père. Et ce don est double. Le premier est celui que le Père a donné au Fils, et c'est pourquoi il dit : LES PAROLES QUE TU M'AS DONNÉES selon la génération éternelle, dans laquelle le Père a donné ses paroles au Fils, bien que cependant le Fils soit lui-même Verbe du Père De telles paroles ne sont rien d'autre que l'intelligibilité de toutes les choses à venir que le Père, éternellement, a toutes données au Fils en l'engendrant. Ou : TU M'AS DONNÉES, à savoir au Christ homme, parce que son âme très sainte fut comblée dès l'instant même de sa conception de toute la connaissance de la vérité - Plein de grâce et de vérité, c'est-à-dire de la connaissance de toute vérité. - En lui sont tous les trésors de la sagesse et de la science.

Le deuxième don est celui que le Christ fait à ses disciples : LES PAROLES QUE TU M'AS DONNÉES, JE LES LEUR AI DONNÉES en les enseignant intérieurement et extérieurement - Toutes les choses que j'ai entendues de mon Père, je vous les ai fait connaître. En cela il se montre médiateur entre Dieu et les hommes, parce que ce qu'il a reçu de son Père, il le transmet à ses disciples - J'ai été l'intermédiaire entre le Seigneur et vous en ce temps, pour vous annoncer ses paroles.

2202. Il montre ensuite le retour de l'esprit des disciples vers Dieu en disant : ET ILS LES ONT REÇUES. Il y a là un double accueil correspondant au double don dont nous avons parlé. Le premier accueil répond au deuxième don : ET ILS LES ONT REÇUES de moi, sans être rebelles - Le Seigneur a ouvert mon oreille et moi je ne contredis pas. - Quiconque s'est mis à l'écoute du Père et à son école vient à moi. Et en les recevant, ILS ONT CONNU que c'est toi qui m'as donné toutes choses, ce qui répond au premier don.

2203. Ces paroles, selon Augustin, explicitent le développement de celles qui précèdent. En effet il existe une double connaissance des choses divines : l'une parfaite qui est celle de la gloire par la pleine vision, l'autre, imparfaite, qui est la connaissance de celui qui chemine dans la foi - Nous voyons à présent dans un miroir, par énigme (c'est la seconde connaissance), mais alors ce sera face à face (c'est la première).

ET ILS ONT CONNU VRAIMENT QUE C'EST DE TOI QUE JE SUIS SORTI – Mais de quelle connaissance ? celle de la Patrie ? Non, mais celle de la foi. C'est pourquoi il ajoute ET ILS ONT CRU, comme si c'était la même chose de connaître et de croire. ILS ONT CRU, dis-je, vraiment, c'est-à-dire avec fermeté et stabilité - Maintenant vous croyez ? c'est-à-dire avec stabilité. Voici que l'heure est venue, puisque vous croyez d'une manière parfaite. Et il utilise le passé pour parler du futur, d'une part en raison de la certitude de la réalité à venir, d'autre part en raison de l'infaillibilité de la prédestination divine.

Ou encore, selon Chrysostome, il parle de ce qui est passé. Et il dit que ces choses sont arrivées parce qu'elles étaient déjà commencées. Il faut donc dire, pour être en accord avec l'un et l'autre sens, qu'elles étaient déjà toutes commencées mais qu'elles devaient maintenant être achevées. Donc en tant que cela appartient au commencement, il parle de ce qui est passé ; mais en tant que cela relève de l'achèvement, il parle du futur, des choses qui devaient se faire par la venue de l'Esprit Saint.

2204. Mais que crurent-ils ? QUE C'EST TOI QUI M'AS ENVOYÉ - Dieu a envoyé son Fils -, ce qui selon Augustin est la même chose que : C'EST DE TOI QUE JE SUIS SORTI – Mais cela va contre ce que dit Hilaire car selon lui, comme on l'a dit, « sortir » relève de la génération éternelle, alors qu'« être envoyé » relève de l'Incarnation.

Mais il faut dire que nous pouvons parler du Christ de deux manières : selon sa divinité, et ainsi, pour le Fils de Dieu, autre chose est de sortir, autre chose d'être envoyé, comme le dit Hilaire ; ou bien selon son humanité, et ainsi, pour le Fils de l'homme, c'est la même chose de sortir et d'être envoyé, comme le dit Augustin.

2205. À présent sont exposées, du point de vue du Christ, les raisons de sa prière. Il donne pour cela trois raisons.

2206. La première se prend du pouvoir qu'il avait reçu sur eux, et c'est pour cela qu'il dit : MOI JE PRIE POUR EUX - à savoir les disciples. D'abord il donne la raison elle-même, puis il l'explicite.

La raison pour laquelle une personne doit être écoutée et doit prier pour d'autres est si celles-là lui appartiennent de manière spéciale. Les prières générales, en effet, sont moins exaucées. Et c'est pourquoi il dit : MOI JE PRIE POUR EUX ; JE NE PRIE PAS POUR LE MONDE, c'est-à-dire pour ceux qui aiment le monde, MAIS POUR CEUX QUE TU M'AS DONNÉS comme disciples et qui m'obéissent de manière spéciale, bien que toutes choses soient à moi selon ma puissance - Demande-moi et je te donnerai les nations en héritage.

2207. Objection : il semble que le Christ a prié pour tous - Nous avons un avocat auprès du Père, Jésus Christ le juste ; c'est lui qui est victime de propitiation pour nos péchés, et non seulement pour les nôtres mais aussi pour ceux du monde entier. - Lui qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité.

Je réponds : il faut dire que le Christ, en ce qui le concerne, a prié pour tous, parce que sa prière, en elle-même, a une efficacité telle qu'elle vaut pour le monde entier ; cependant tous n'en reçoivent pas l'effet, si ce n'est les saints et les élus de Dieu : et cela à cause des choses du monde qui y font obstacle.

2208. Et il explicite cette raison en disant : ils étaient à toi, à savoir par la prédestination éternelle. Mais ils n'étaient pas au Père sans être au Fils, et ils ne sont pas non plus donnés au Fils en étant retirés au Père. C'est pourquoi il dit : ET TOUT CE QUI EST À MOI EST À TOI, ET TOUT CE QUI EST À TOI EST À MOI, ce par quoi nous est montrée l'égalité du Fils au Père, lui qui, selon qu'il est Dieu, a de toute éternité tout ce que le Père a.

2209. Mais il faut remarquer que le Père possède les choses qui appartiennent à son essence comme la sagesse, la bonté et autres, qui ne sont rien d'autre que sa propre essence, et cela le Fils affirme qu'il les possède quand il parle de la procession de l'Esprit Saint : C'est de mon bien qu'il recevra et il vous l'annoncera ; et cela parce que Tout ce qu'a le Père est à moi. Et il dit « tout » parce que, bien qu'il n'y ait qu'une chose en réalité, cependant selon la raison il y en a beaucoup.

Deuxièmement, le Père a ce qui relève de la possession de la sainteté et qui lui est consacré par la foi, comme le sont tous les saints et les élus au sujet desquels il dit plus haut : Ils étaient à toi. Et toutes ces choses aussi, le Fils affirme qu'il les possède lorsqu'il dit à présent en parlant d'elles : ET TOUT CE QUI EST À TOI EST À MOI, c'est-à-dire parce qu'ils ont été prédestinés pour jouir du Fils, comme aussi du Père.

Troisièmement, le Père a par mode de possession toutes les réalités créées - Au Seigneur la terre et sa plénitude. Et toutes ces choses sont au Fils, comme on le voit dans la parabole du fils prodigue où le Père dit à son fils aîné : Tout ce qui est à moi est à toi.

2210. La seconde raison se prend de la gloire que le Christ avait en eux, et pour cela il dit : ET JE SUIS GLORIFIÉ EN EUX, parce qu'ils connaissaient déjà en partie sa gloire et ils allaient la connaître encore davantage - Ce n'est pas en suivant des fables sophistiquées que nous vous avons fait connaître la puissance et la venue de Notre-Seigneur Jésus Christ, mais après avoir été faits témoins oculaires de sa majesté .

2211. La troisième raison est liée à l'absence où il les laissait en les quittant selon son corps. Là il faut savoir qu'on dit de deux manières que quelque chose est dans le monde : à savoir en s'attachant au monde affectivement - Tout ce qui est dans le monde est concupiscence de la chair et concupiscence des yeux, et orgueil de la vie. Mais en ce sens il ne faut pas dire que le Christ n'est plus dans le monde, puisqu'il n'a jamais été dans le monde en s'y attachant affectivement. Mais il faut le comprendre selon un autre sens, c'est-à-dire que désormais il ne serait plus présent dans le monde par son corps, parce qu'arrivait le moment où, lui qui avait été dans le monde selon son corps, allait le quitter corporellement. ET EUX - c'est-à-dire ses disciples -SONT DANS LE MONDE, c'est-à-dire par leur corps ; ET MOI JE VIENS VERS TOI, selon que je suis homme, pour participer à ta gloire et être élevé jusqu'à ta droite. Et c'est pourquoi il est juste que je prie pour eux que je vais bientôt quitter corporellement.

B. LE CONTENU DE LA PRIÈRE DU CHRIST

2212. Après avoir donné les raisons pour lesquelles Jésus prie pour ses Apôtres, l'Évangéliste expose ici les demandes qu'il adresse pour eux. Premièrement il demande qu'ils soient gardés du mal, deuxièmement il demande leur sanctification dans le bien [n° 2228].

a) Il demande que ses disciples soient gardés.

Concernant le premier point, d'abord il demande que ses disciples soient gardés, puis il en montre la nécessité [n° 2215].

2213. Concernant le premier point, il faut considérer celui auquel il demande, puis ce qu'il demande, enfin pour qui et en vue de quoi il demande.

C'est au Père qu'il demande. C'est pourquoi il dit : PÈRE, et à juste titre parce que c'est lui qui est le principe [la source] de tout bien - Tout don excellent, toute donation parfaite vient d'en haut et descend du Père des lumières. Mais il ajoute SAINT, parce que c'est aussi en lui que résident le principe [la source] et l'origine de toute sainteté, et parce qu'ultimement c'est la sainteté qu'il demandait - Vous serez saints parce que moi, votre Seigneur Dieu, je suis saint. - Nul n'est saint comme le Seigneur.

II demande qu'ils soient gardés. C'est pourquoi il dit : GARDE, parce que selon le psaume : Si le Seigneur ne garde pas la cité, il veille en vain celui qui la garde. En effet notre bien ne consiste pas seulement en ce que nous tenons de Dieu l'être : il faut aussi que nous soyons gardés par lui. Parce que, comme le dit Grégoire, « toutes choses seraient ramenées au néant si la main du Tout-Puissant ne les tenait » - Celui qui porte tout par la puissance de sa parole. Et c'est pourquoi le psalmiste implorait : Garde-moi, Seigneur, parce que j'ai espéré en toi. Or l'homme est gardé du mal et du péché dans le nom de Dieu. C'est pourquoi il dit : EN TON NOM, c'est-à-dire par la puissance de ton nom et de ta connaissance, parce qu'en lui sont la gloire et notre salut - Ceux-ci se confient dans les chars, ceux-là dans les chevaux, mais nous c'est le nom du Seigneur notre Dieu que nous invoquerons .

Or il fait cette demande pour ceux qui lui ont été donnés - Examine toutes les œuvres de Dieu, personne ne peut corriger celui qu'il aura méprisé. Nul en effet ne peut être gardé du mal si ce n'est par l'élection divine, qu'il désigne en disant : CEUX QUE TU M'AS DONNÉS, c'est-à-dire par le don de ta grâce pour qu'ils s'attachent à moi - Tous ne saisissent pas cette parole, mais ceux auxquels cela est donné . En effet ce sont ceux qui sont ainsi donnés au Christ qui sont gardés du ma1.

II ajoute cela pour montrer en vue de quoi il demande qu'ils soient préservés. Et cela peut être rattaché de deux manières à ce qui précède. En un sens, « pour » (ut) désigne la manière de les garder ; le sens est alors : « Ils seront gardés de telle sorte qu'ils soient un. » Car toute réalité est gardée dans l'être aussi longtemps qu'elle est « une », et n'est pas divisée - Tout royaume divisé contre lui-même sera ruiné. Et c'est pourquoi l'Église peut être gardée, et les hommes aussi, à condition d'être un. En un autre sens, « pour » (ut) marque la fin de cette conservation ; le sens est alors : « Et c'est pour cela qu'ils sont gardés : pour qu'ils soient un. » Car c'est dans l'unité de l'esprit que réside toute notre perfection - Soucieux de garder l'unité de l'Esprit dans le lien de la paix. - Voyez qu'il est bon, qu'il est doux, d'habiter en frères dans l'unité.

2214. Mais il ajoute : COMME NOUS sommes un. On peut objecter cependant que s'ils sont un selon l'essence, nous aussi serons donc un par essence. Mais cela n'est pas vrai.

Voici la réponse. Il faut dire que la perfection de chaque homme n'est rien d'autre que la participation à la ressemblance divine. En effet, c'est dans la mesure où nous sommes bons que nous ressemblons à Dieu. Notre unité est donc parfaite en tant qu'elle participe de l'unité divine. Or l'unité est double dans les réalités divines : à savoir l'unité de nature - Moi et le Père nous sommes un - et l'unité d'amour dans le Père et le Fils, qui est l'unité de l'Esprit. Et l'une et l'autre sont en nous, non pas, certes, par égalité mais par une certaine similitude. En effet le Père et le Fils sont de même nature par le nombre ; mais nous, nous sommes un dans la nature selon l'espèce. De même eux sont un par un amour qui n'est pas participé, venant du don de quelqu'un, mais qui procède d'eux ; car le Père et le Fils s'aiment dans l'Esprit Saint, mais nous, nous nous aimons par un amour participé de quelqu'un de plus grand.

2215. Il expose la nécessité de cette conservation, nécessité qui provient de deux causes : premièrement de son départ, deuxièmement de la haine du monde [n° 2221].

La nécessité due à son départ

Concernant la première, il fait trois choses. Il commence par exposer cette ardeur à les garder que le Seigneur leur a montrée quand il était présent. Puis il laisse entendre son départ pour retourner vers le Père [n° 2219], Enfin, il donne la raison pour laquelle il prononce ces paroles [n° 2220].

Concernant le premier point il met en avant la manière de les garder, puis le fait qu'il se doit de les garder [n° 2217], enfin l'efficacité avec laquelle il les garde [n° 2218].

2216. La manière de les garder convient bien, parce que c'est par la puissance du Père. C'est pourquoi il dit : QUAND J'ÉTAIS AVEC EUX, c'est-à-dire par ma présence physique - Ensuite il est apparu sur terre et il a conversé avec les hommes -, moi, c'est-à-dire le Fils de l'homme, JE LES GARDAIS, c'est-à-dire je les protégeais du mal et du péché ; par une puissance non pas humaine, mais au contraire divine, car JE LES GARDAIS EN TON NOM, lequel est commun au Père, au Fils et au Saint-Esprit - Les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Espnt. Et cela est vrai parce que le Père et le Fils sont un seul Dieu et parce que dans le nom du Père est aussi compris le nom du Fils : est dit père celui qui a un fils.

Mais remarque qu'auparavant, alors qu'il avait nié avoir un démon, il ne nia pas qu'il était un Samaritain, c'est-à-dire un gardien, parce qu'il est un gardien - Veilleur, où en est la nuit ?, celle de ce monde. En effet lui-même, comme un berger, garde son troupeau.

2217. Il montre le devoir qu'il a de les garder. Un gardien, en effet, est tenu de garder ceux qui ont été confiés à sa garde - Garde cet homme. —Je me tiendrai à mon poste de garde. C'est ainsi que se tient le prélat quand il veille avec diligence sur ceux qui lui ont été confiés - II y avait des bergers dans la même région qui veillaient et qui gardaient leurs troupeaux pendant les veilles de la nuit.

2218. Et l'efficacité de la garde est parfaite parce qu'AUCUN D'EUX NE S'EST PERDU - Mes brebis écoutent ma voix (...) et nul ne les arrachera de ma main . - Que quiconque (...) croit en lui ait la vie éternelle !. Mais de cette efficacité, un seul est exclu, à savoir LE FILS DE PERDITION, c'est-à-dire Judas, appelé fils de perdition comme si d'avance il avait été connu et prédestiné à la perdition perpétuelle . Ainsi, en effet, certains assignés à la mort sont appelés fils de la mort - Vous tous êtes des fils de la mort. - Vous parcourez mer et terre ferme pour faire un seul disciple et vous en faites un fils de la mort, deux fois plus que vous .

Mais note ce que dit la Glose interlinéaire : « Fils de la mort », c'est-à-dire prédestiné à la perdition, bien que cependant on trouve rarement que la prédestination soit en vue d'un ma1. C'est pourquoi ici, cela est compris communément comme la science ou l'ordre de la sagesse de Dieu (ordinatione). La prédestination est toujours pour un bien, précisément parce qu'elle possède le double effet de la grâce et de la gloire. Et Dieu ordonne vers l'une et l'autre. Mais dans la réprobation il y a deux choses, la faute et la peine temporelles. Et Dieu ordonne seulement vers l'une des deux, à savoir la peine et non pour elle-même. POUR QUE L'ÉCRITURE, par laquelle tu as prédit que je serais trahi, S'ACCOMPLISSE - Dieu, ne tais pas ma louange parce que la bouche du pécheur et la bouche du méchant s'ouvrent contre moi.

2219. MAINTENANT JE VIENS VERS TOI, les quittant selon ma présence corporelle - De nouveau je quitte le monde et je vais vers le Père. Mais ces paroles dans le cœur de ceux qui comprennent mal pourraient engendrer le scandale de l'infidélité, comme s'il ne pouvait pas les garder en s'éloignant d'eux, ou comme si le Père auparavant ne les avait pas gardés. Mais assurément le Père aussi les gardait auparavant, c'est pourquoi il dit : JE LES GARDAIS EN TON NOM, et le Fils aussi après son départ pouvait les garder.

2220. C'est comme s'il disait : J'ai parlé comme un homme qui prie, mais JE DIS CES CHOSES pour la consolation de mes disciples qui pensent que je ne suis qu'un homme (hominem purum), afin qu'au moins ils soient consolés par le fait que c'est à toi, Père, toi qu'ils croient plus grand, que je les confie ; et qu'ils se réjouissent d'être sous la protection du Père. Et cela selon Chrysostome.

Ou bien, selon Augustin, ces paroles se rapportent à ce qu'il a dit plus haut : pour qu'ils soient un comme nous. Et ainsi elles expriment les fruits de l'unité, comme s'il disait : POUR QU'ILS AIENT EN EUX-MÊMES MA JOIE, ce qu'il a déjà exprimé auparavant, c'est-à-dire qu'ils se réjouissent en moi, ou bien parce que la joie leur vient de moi. EN EUX-MÊMES (...) EN PLÉNITUDE, ce qu'ils obtiennent par l'unité de l'esprit, unité par laquelle ils parviennent à la joie de la vie éternelle, qui est plénière. La joie suit l'unité, parce que l'unité et la paix ont pour effet la joie parfaite - Ceux qui entrent dans les conseils de paix, la joie les suit. - Le fruit de l’Esprit est amour, joie, paix (...)

La nécessité due à la haine du monde

2221. À présent l'Évangéliste expose une autre nécessité à cette protection, provenant de la haine du monde ; et d'abord il met en avant le bienfait qu'il avait accordé aux disciples, deuxièmement la haine du monde qu'ils avaient encourue [n° 2223]. Troisièmement, il demande le secours du Père afin qu'il les protège [n° 2225].

2222. Il dit donc d'abord : MOI JE LEUR AI DONNÉ TA PAROLE, c'est-à-dire celle que j'ai reçue de toi. Auparavant il a dit la même chose : LES PAROLES QUE TU M'AS DONNÉES, JE LES LEUR AI DONNÉES ; ET ILS LES ONT REÇUES. Ou JE LEUR AI DONNÉ, c'est-à-dire je leur donnerai par l'inspiration du Paraclet, TA PAROLE, celle qui vient de toi, parce qu'en vérité c'est là le plus grand don et le plus grand bienfait -Je vous donnerai un don excellent : n'abandonnez pas ma loi.

2223. Mais de cela s'ensuit la haine du monde, puisque c'est parce qu'ils ont reçu ta parole que LE MONDE LES A EUS EN HAINE - Bienheureux serez-vous lorsque les hommes vous haïront et Ne vous étonnez pas si le monde vous hait. La cause de cette haine est le fait qu'ils se sont séparés du monde. En effet la Parole de Dieu fait que les hommes se séparent du monde, car elle unit à Dieu, à qui nul ne peut être uni s'il ne se sépare pas du monde. Car si quelqu'un aime le monde, le parfait amour (perfecta caritas) de Dieu n'est pas en lui. Et c'est pourquoi il dit : PARCE QU'ILS NE SONT PAS DU MONDE - Parce que je vous ai choisis dans le monde, pour cela le monde vous hait. En effet il est naturel pour tout homme d'aimer son semblable - Tout être vivant aime son semblable et hait celui qui est différent de lui. - Sa vue nous est à charge car son genre de vie ne ressemble pas aux autres.

2224. Et pour cela il donne un exemple indiquant la manière dont ils ne sont pas du monde : COMME MOI-MÊME JE NE SUIS PAS DU MONDE, ce qu'il faut entendre quant à l'amour, parce que de même que le Christ n'était pas dans le monde par affection pour le monde, de même eux non plus. Mais ils le sont quant à l'origine, parce qu'il y a eu un temps où ils étaient du monde. Mais le Christ, jamais, puisque même selon la naissance charnelle, il est né du Saint-Esprit - Vous êtes du monde, moi je ne suis pas du monde.

2225. Il réclame alors un secours contre cette haine. D'abord il présente sa demande, et ensuite il donne la raison de cette demande [n° 2227].

2226. Concernant le premier point, il présente deux choses. L'une, qu'il dit ne pas demander, à savoir qu'ils soient retirés du monde. Cependant comment peuvent-ils être retirés du monde, eux qui ne sont pas du monde ? En effet, déjà auparavant il avait dit : ILS NE SONT PAS DU MONDE. Mais disons qu'affectivement ils n'étaient pas du monde par un attachement, comme il l'a dit plus haut, mais qu'ils étaient du monde par leur vie corporelle ; et c'est pour cette raison qu'il ne voulut pas qu'ils fussent retirés du monde. Et cela pour le bien des croyants qui, par eux, allaient croire - Allez dans le monde entier, prêchez l'Évangile à toute créature .

Mais il demande autre chose, c'est-à-dire que, bien qu'ils demeurent par leur corps dans le monde, TU LES GARDES DU MAL, le mal qui est dans le monde. En effet il est difficile qu'un homme vivant parmi des mauvais reste préservé du mal, surtout parce que le monde entier a été placé sous le pouvoir du malin - Quand tu traverseras les eaux, je serai avec toi, et les flots ne te recouvriront pas.

2227. Voilà la raison de sa demande. Il semble qu'il y ait là une confusion de mots et une répétition inutile puisqu'il a dit précédemment les mêmes paroles. Mais en fait ce n'est pas une répétition inutile, parce qu'elles sont dites là pour une raison, et ici pour une autre. Précédemment, en effet, elles sont dites pour montrer la cause pour laquelle le monde les tient en haine, mais ici pour donner la raison pour laquelle ils doivent être gardés par Dieu.

Par là il nous est donné à comprendre que la raison pour laquelle les saints sont haïs du monde et aimés de Dieu est la même : le mépris du monde - Dieu ne vous a-t-il pas choisis pauvres en ce monde, riches dans la foi et héritiers du royaume que Dieu a promis à ceux qui l'aiment ? -, et c'est pourquoi l'homme, quel que soit le bien qu'il fait, est rendu haïssable pour le monde mais bien-aimé de Dieu - Nous offrirons à notre Seigneur Dieu des sacrifices abominés par les Égyptiens.

2228. Auparavant le Seigneur a demandé la protection des disciples, ici il demande leur sanctification ; premièrement il la demande, deuxièmement il en donne la nécessité [n° 2230] et troisièmement il laisse entendre que cette sanctification est commencée [n° 2231].

2229. Il dit donc : Ainsi j'ai demandé qu'ils soient préservés du mal, mais cela ne suffit pas s'ils ne deviennent parfaits dans le bien - Détourne-toi du mal et fais le bien. C'est pourquoi, Père, SANCTIFIE-LES, c'est-à-dire rends-les parfaits et fais d'eux des saints. Et cela DANS LA VÉRITÉ, c'est-à-dire en moi, ton Fils, qui suis la Vérité, comme s'il disait : Fais-les participer à ma perfection et à ma sainteté. Et c'est pourquoi il ajoute : TA PAROLE, c'est-à-dire ton Verbe, EST VÉRITÉ, pour signifier : Sanctifie-les en moi, la Vérité, parce que moi, ton Verbe, je suis la Vérité.

Ou bien : SANCTIFIE-LES, en leur envoyant l'Esprit Saint ; et cela DANS LA VÉRITÉ, c'est-à-dire dans la connaissance de la vérité de la foi et de tes commandements - Vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres. Car c'est par la foi et la connaissance de la vérité que nous sommes sanctifiés - Justice de Dieu par la foi en Jésus Christ en tous et sur tous ceux qui croient en lui. Aussi ajoute-t-il : TA PAROLE EST VÉRITÉ, parce que la vérité des paroles de Dieu n'est mêlée d'aucune fausseté - Mes paroles sont droites et il n'y a en elles rien de faux ni de tortueux ; et aussi parce que sa parole enseigne la Vérité incréée.

On peut dire autre chose : dans l'Ancien Testament, on avait coutume de dire que tout ce qui était assigné au culte divin était sanctifié - Fais approcher vers moi Aaron, ton frère, avec ses fils, du milieu des fils d'Israël, pour qu'ils s'acquittent de mon sacerdoce. Il dit donc : SANCTIFIE-LES - c'est-à-dire assigne-les comme par mode de sanctification - DANS LA VÉRITÉ, c'est-à-dire à la prédication de ta vérité, parce que TA PAROLE, qu'ils doivent prêcher, EST VÉRITÉ.

2230. Le Seigneur ajoute ainsi la nécessité de la sanctification. Comme s'il disait : Moi c'est pour cela que je suis venu, pour prêcher la vérité - Je suis né dans ce monde pour rendre témoignage à la vérité -, et ainsi moi aussi j'ai envoyé mes disciples pour prêcher la vérité - Allez dans le monde entier, prêchez l'Évangile à toute créature. Il est donc nécessaire qu'ils soient sanctifiés dans la vérité - Comme le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie.

2231. Mais ils doivent être sanctifiés non seulement à cause du service auquel ils sont destinés, mais parce que cette sanctification a déjà été commencée par moi.

Selon Augustin , en effet, il faut savoir qu'il existe dans le Christ deux natures : quant à sa nature divine, le Christ est saint par essence et, quant à sa nature humaine, le Christ est saint par la grâce, qui découle de la nature divine. C'est donc selon sa divinité qu'il dit : JE ME SANCTIFIE MOI-MÊME, en assumant pour eux la chair, et cela, pour que la sainteté de la grâce qui, par moi en tant que Dieu, est en moi en tant qu'homme, découle de moi sur eux ; parce que de sa plénitude nous avons tous reçu. Comme l'huile qui est versée sur la tête, du Christ qui est Dieu, qui descend sur la barbe d'Aaron, c'est-à-dire sur l'humanité, et de là descend sur le bord de son vêtement, c'est-à-dire sur nous.

Ou encore, selon Chrysostome, il a demandé qu'ils soient sanctifiés d'une sanctification spirituelle. Dans l'Ancien Testament, il existait des justifications de la chair - Des règles pour la chair imposées jusqu'au temps de la réforme. Mais celles-ci étaient des préfigurations de la sanctification spirituelle, et cependant elles étaient réalisées par un certain sacrifice ; c'est pourquoi il convenait, pour la sanctification de ses disciples, que soit fait un sacrifice. Et c'est ce que dit le Christ : pour QU'EUX SOIENT SANCTIFIÉS, maintenant JE ME SANCTIFIE MOI-MÊME, c'est-à-dire je m'offre en sacrifice - Il s'est offert lui-même à Dieu . - C'est pourquoi Jésus, pour sanctifier le peuple par son propre sang, a souffert hors de la porte. Et cela en vérité, non pas par une préfiguration, comme dans l'Ancien Testament.

III – LE CHRIST INTERCÈDE POUR TOUS LES CROYANTS

2232. Après avoir prié pour ses disciples, le Seigneur intercède à présent de manière générale pour tous les croyants. D'abord il présente sa prière, puis il ajoute la raison qu'elle a d'être exaucée [n° 2263].

A. LE CHRIST PRÉSENTE SA PRIÈRE

Dans sa prière il demande au Père deux choses pour ses disciples : la perfection de l'unité et la vision de la gloire [n° 2252].

Concernant le premier point, il demande comme homme la perfection de l'unité. Puis il montre que lui-même comme Dieu leur a donné le pouvoir de parvenir à cette unité [n° 2244].

Pour ce premier point, il présente ceux pour lesquels il prie, puis dit ce qu'il demande [n° 2237].

2233. Il adresse sa demande pour toute l'assemblée des croyants, et c'est pourquoi il dit : J'ai dit : Garde mes disciples du mal et sanctifie-les dans la venté ; mais CE N'EST PAS SEULEMENT POUR EUX QUE JE PRIE, MAIS AUSSI POUR CEUX QUI (...) CROIRONT EN MOI, c'est-à-dire pour ceux dont la foi sera confirmée, et cela PAR LEURS PAROLES, à savoir celles des Apôtres. Et c'est à juste titre qu'il le demande, parce que nul n'est sauvé si ce n'est par l'intercession du Christ. Or ce n'était pas seulement les Apôtres qui allaient être sauvés, mais aussi les autres ; il devait donc aussi prier pour les autres - II a aimé tes pères et il a élu leur descendance après eux. - Je resterai avec leur descendance, et leur postérité sera un saint héritage.

2234. Mais on pourrait objecter : il semble qu'il n'ait pas prié pour tous ses fidèles. Car ici il prie pour ceux qui devaient être convertis par les paroles des Apôtres, mais les pères anciens et Jean Baptiste n'ont pas été convertis par leurs paroles. À cela il faut répondre qu'ils étaient déjà parvenus à la perfection ; et, bien que ne jouissant pas de la vision de Dieu puisque le prix n'avait pas été payé, cependant ils avaient quitté la terre avec leurs grands mérites, de sorte qu'aussitôt la porte du Paradis ouverte ils devaient être introduits, et c'est pourquoi ils n'avaient pas besoin de la prière.

2235. Mais on peut encore s'interroger : Qu'en est-il de ceux qui ont cru, non pas grâce aux paroles des Apôtres, mais immédiatement grâce au Christ, comme Paul - Je ne l'ai pas reçu ni appris des hommes ou par l'intermédiaire de l'homme mais par la révélation de Jésus Christ -, et le larron en croix ? Il ne semble donc pas que le Christ ait prié pour eux.

Voici ce qu'il faut répondre, selon Augustinon dit que, par la parole des Apôtres, croient non seulement ceux qui l'ont entendue d'eux-mêmes, mais aussi tous ceux qui croient grâce à la parole que les Apôtres ont prêchée, qui est la parole de la foi, appelée parole des Apôtres parce que c'est principalement à eux qu'elle a été confiée et annoncée ; et qui à Paul aussi, comme au larron en croix, a été révélée divinement. Ou bien il faut dire que ceux qui ont été immédiatement convertis par le Christ et grâce au Christ comme Paul et le larron sur la croix, et d'autres s'il y en a, sont comptés dans cette prière que le Seigneur a faite pour ses disciples. C'est pourquoi le Seigneur a dit : ceux que tu m'as donnés, ou que tu me donneras.

2236. On peut encore se poser la question : Et nous, qui ne croyons pas grâce aux Apôtres ? Mais à cela il faut répondre que, bien que nous n'ayons pas cru grâce aux Apôtres, cependant nous croyons grâce à leurs disciples.

2237. Maintenant le Seigneur demande la perfection de l'unité. D'abord il présente l'unité qu'il demande, puis le modèle et la cause de cette unité [n° 2239], et enfin le fruit de cette unité [n° 2241].

2238. Il dit donc : Je demande cela AFIN QUE TOUS SOIENT UN. Car, comme le disent les platoniciens, toute chose tient son unité de ce à partir de quoi elle a sa bonté. En effet le bien est ce qui peut conserver la réalité ; or aucune réalité n'est conservée si ce n'est par le fait qu'elle est une. Et c'est pourquoi le Seigneur, demandant la perfection de ses disciples dans la bonté, demande qu'ils soient un ; ce qui effectivement a été réalisé - Le cœur de la multitude des croyants était un et leur âme une. - Voyez ! qu'il est bon, qu'il est doux, d'habiter en frères dans l'unité /

2239. Le Seigneur donne ensuite le modèle et la cause de l'unité, en disant : COMME TOI, PÈRE, TU ES EN MOI ET MOI EN TOI – En effet certains sont un, mais dans le ma1. Aussi Dieu ne demande-t-il pas cette unité, mais celle par laquelle les hommes sont unis en vue du bien, c'est-à-dire pour Dieu, et c'est pourquoi le Christ dit : COMME TOI, PÈRE, TU ES EN MOI ET MOI EN TOI, c'est-à-dire qu'ils soient unis de manière à croire en moi et en toi - A plusieurs nous sommes un seul corps dans le Christ. - Appelés à garder l'unité de l’Esprit, (...) unité qui est un seul Dieu, une seule foi, un seul baptême. Et en vérité, dans le Père et le Fils qui sont un, nous sommes un : alors que si nous recherchons des choses diverses en croyant et en désirant, notre affection se disperse vers de multiples choses.

2240. Mais Arius tire de là l'argument que, de la même manière que le Fils est dans le Père et le Père dans le Fils, ainsi nous sommes en Dieu. Or nous ne sommes pas en Dieu par unité d'essence, mais par une conformité de volonté et d'amour ; il conclut donc que, de la même manière aussi, le Père n'est pas dans le Fils selon une unité d'essence.

Mais on doit dire qu'entre le Père et le Fils il y a une double unité, celle de l'essence et celle de l'amour ; et le Père est dans le Fils et le Fils dans le Père selon l'une et l'autre. Ce qu'il dit ici - COMME TOI, PÈRE, TU ES EN MOI ET MOI EN TOI -peut donc se rapporter en un sens à l'unité d'amour, selon Augustin, et cela signifie alors : COMME TOI, PÈRE, TU ES EN MOI par l'amour ET MOI EN TOI, QU'EUX AUSSI, c'est-à-dire mes disciples, SOIENT UN EN NOUS par l'amour, parce que la charité fait que nous sommes un avec Dieu ; comme s'il disait : Comme le Père aime le Fils et réciproquement, qu'ainsi ceux-ci aiment le Père et le Fils. Et ainsi COMME n'exprime pas une égalité mais une similitude lointaine .

Ou, selon Hilaire, cela peut se rapporter à l'unité de nature : non pas qu'il y ait en nous, quant au nombre, la même nature que le Père et le Fils, comme elle se trouve en eux, mais parce que notre unité existe par le fait que nous sommes assimilés à cette nature divine par laquelle le Père et le Fils sont un. En ce sens aussi, COMME exprime une certaine imitation. Et de là vient que nous sommes invités à une imitation de la dilection divine - Cherchez à imiter Dieu comme des enfants bien-aimés, et suivez la voie de l'amour à l'exemple du Christ qui nous a aimés ; et aussi de la perfection ou de la bonté divines - Soyez parfaits comme votre Père est parfait.

2241. Il indique le fruit de l'unité par ces mots. Rien en effet ne manifeste la vérité de l'Évangile comme la charité des croyants - En cela ils connaîtront tous que vous êtes mes disciples, à l'amour que vous aurez les uns pour les autres. Tel sera donc le fruit de l'unité : parce que du fait qu'ils sont un le monde croira que l'enseignement que je leur ai donné est de toi, et connaîtra QUE C'EST TOI QUI M'AS ENVOYÉ. Dieu, en effet, n'est pas cause de dissension, mais de paix.

2242. Ici se pose une question, parce que nous serons parfaitement un dans la Patrie où il ne sera plus temps de croire ; il ne convient donc pas qu'après avoir demandé l'unité il ajoute : AFIN QUE LE MONDE CROIE QUE C'EST TOI QUI M'AS ENVOYÉ. Mais il faut dire qu'ici il ne parle pas d'une unité pleinement achevée (consummata), mais d'une unité déjà commencée (inchoata).

2243. Il y a encore une autre question parce que lui-même prie pour que soient un ceux qui croient en lui : donc le monde qui croit est un. Comment donc ajoute-t-il, après avoir dit qu'ils sont un, AFIN QUE LE MONDE CROIE ?

À cela on peut répondre, au sens mystique, qu'en un premier sens le Seigneur demande pour tous les croyants qu'ils soient un : cependant tous ne croiraient pas en même temps, mais certains par lesquels les autres devaient être convertis croiraient avant eux. Et donc, AFIN QUE LE MONDE CROIE se comprend de ceux qui n'ont pas cru dès le commencement, et qui quand ils ont cru sont devenus un, et de même les autres qui ont cru après eux, et ainsi jusqu'à la fin du monde.

En un autre sens, selon Hilaire, AFIN QUE LE MONDE CROIE signifie la fin de l'unité et de la perfection. Comme s'il disait : Rends-les parfaits pour qu'ainsi ILS SOIENT UN, c'est-à-dire AFIN QUE LE MONDE CROIE que c'est toi qui m'as envoyé. Alors le AFIN QUE (ut) marque la cause finale.

En un troisième sens, selon Augustin, on peut dire que AFIN QUE LE MONDE CROIE serait une autre demande, et alors il faut que soit répété : « Je te demande », comme s'il disait : Je te demande QU'ILS SOIENT UN et je te demande QUE LE MONDE CROIE.

2244. Ce que le Christ a réalisé en vue de cette unité, il l'ajoute en disant : ET MOI, LA GLOIRE QUE TU M'AS DONNÉE, JE LA LEUR AI DONNÉE, comme si ce qu'il demande en tant qu'homme, il le réalise comme Dieu.

Et d'abord il montre qu'il a lui-même œuvré pour QU'ILS SOIENT UN ; puis il expose le mode de cette unité et son ordre [n° 2247] ; enfin il montre la fin de l'unité [n° 2249].

2245. Il dit donc : Même si en tant qu'homme je demande leur perfection, cependant c'est conjointement avec toi que je fais cela, parce que moi aussi LA GLOIRE, celle de la Résurrection, QUE toi, Père, TU M'AS DONNÉE par une prédestination éternelle et que tu vas me donner bientôt en réalité, JE LA LEUR AI DONNÉE, c'est-à-dire aux disciples. Et cette gloire est l'immortalité que recevront les fidèles à la résurrection, aussi quant à leur corps - Il transfigurera notre corps de misère pour le conformer à son corps de gloire. - On est semé dans l’ignominie, on ressuscitera dans la gloire.

Et cela AFIN QU'ILS SOIENT UN, parce que du fait qu'ils seront glorieux dans leur corps, ils seront faits un COMME NOUS AUSSI SOMMES UN.

2246. Mais il semble distinguer son œuvre de l'œuvre du Père en disant que le Père lui a donné la gloire et que lui, le Christ, l'a donnée aux croyants. Mais si on le comprend bien, il ne dit pas cela pour distinguer l'opération, mais les personnes. Car le Fils en tant que Fils, conjointement au Père, donne la gloire au Christ homme, et la donne aussi avec lui aux croyants. Cependant c'est spécialement par son humanité qu'il leur accorde cette gloire. C'est pourquoi il attribue à lui-même celle-ci, et celle-là au Père. Et c'est ainsi qu'on comprend ici la gloire, selon Augustin.

Ou bien, selon Chrysostome, LA GLOIRE, la gloire de la grâce, QUE TU M'AS DONNÉE à moi comme homme, c'est-à-dire quant à la connaissance parfaite, la perfection et l'accomplissement des miracles, JE LA LEUR AI DONNÉE en partie et je la leur donnerai encore plus parfaitement - Nous sommes transformés de gloire en gloire. - Il a donné des dons aux hommes. Et cela AFIN QU'ILS SOIENT UN COMME NOUS AUSSI SOMMES UN. En effet, la finalité des dons divins est que nous soyons unis dans cette unité qui est conforme à l'unité du Père et du Fils.

2247. L'ordre de l'unité est donc donné. Car c'est par cet ordre qu'ils parviennent à l'unité, parce qu'ils voient que, par la grâce, moi je suis en eux comme en un temple - Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l'Esprit de Dieu habite en vous ? Cette grâce est comme une certaine similitude de l'essence divine, par laquelle tu es en moi par l'unité de nature - Moi je suis dans le Père et le Père est en moi. Et cela pour qu'ils soient consommés - c'est-à-dire parfaits - dans l'unité.

Mais remarque : alors qu'il avait dit auparavant : AFIN QU'ILS SOIENT UN, ici il ajoute : POUR QU'ILS SOIENT CONSOMMÉS. La première proposition se rapporte à l'unité de la grâce, mais la seconde à l'unité de la gloire ; la première au commencement, la seconde à l'achèvement. Ou encore, selon Hilaire : MOI EN EUX, sous-entendu : je suis en eux par l'unité de la nature humaine que j'ai en commun avec eux, et encore parce que je leur donne mon corps en nourriture sacramentelle, ET TOI EN MOI par l'unité d'essence.

2248. Mais après avoir d'abord exposé que, par la grâce, non seulement le Fils est en eux, mais aussi le Père - Nous viendrons à lui et nous ferons chez lui notre demeure -, pourquoi dit-il : MOI EN EUX sans mentionner le Père ? Réponse : il faut dire, selon Augustin, qu'il ne dit pas cela dans l'intention de montrer que le Fils est en eux sans le Père, mais pour montrer que c'est par le Fils qu'ils ont accès auprès du Père - Ayant reçu de la foi notre justification, nous sommes en paix avec Dieu par Notre-Seigneur Jésus Christ, lui qui nous a donné d'avoir accès par la foi à cette grâce.

Ou bien, selon Chrysostome, plus haut il a dit nous viendrons à lui pour montrer la pluralité des personnes divines, contre Sabellius ; mais ici il dit MOI EN EUX pour montrer l'égalité du Père et du Fils contre Arius. Par cela en effet, il nous est donné à entendre que le fait que le Fils seul habite en eux suffit aux croyants, puisque du fait qu'il habite en eux, le Père lui-même habite en eux.

2249. Ici est donnée la finalité de l'unité. Et si l'union consommée se rapporte à l'achèvement du chemin, alors QUE LE MONDE CONNAISSE signifie la même chose que ce qu'il a dit auparavant - Que le monde croie. Mais croie, il l'a dit alors parce qu'il s'agit d'un commencement, alors qu'ici il dit : CONNAISSE parce que ce qui suit une connaissance imparfaite, ce n'est pas la foi mais une connaissance plénière.

Et il dit : pour QUE LE MONDE CONNAISSE, non pas ce que le monde est maintenant, mais ce que le monde a été ; le sens est donc : QUE LE MONDE - qui était déjà croyant - CONNAISSE. Ou bien QUE LE MONDE - c'est-à-dire ceux qui aiment le monde - CONNAISSE QUE C'EST TOI QUI M'AS ENVOYÉ ; parce qu'alors les méchants, par des signes manifestes, connaîtront que le Christ est le Fils de Dieu - Tout œil le verra. - Ils regarderont celui qu'ils ont transpercé. - Ils verront le Fils de l'homme venant avec grande puissance et majesté sur les nuées du ciel.

2250. Et non seulement pour QUE LE MONDE CONNAISSE cela, mais qu'il connaisse aussi la gloire des saints, parce que TU LES AS AIMÉS, les croyants. En effet, à présent nous ne pouvons pas connaître combien est grand l'amour de Dieu pour nous, parce que les biens que Dieu nous donne, excédant notre désir et notre appétit, ne peuvent tomber dans notre cœur - L'œil n'a pas vu3 l'oreille n'a pas entendu, et n'est pas monté au cœur de l'homme ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment. Et c'est pourquoi le monde croyant, c'est-à-dire les saints, connaîtront par expérience combien il nous aime ; mais ceux qui aiment le monde, c'est-à-dire les méchants, le connaîtront en voyant cela et en admirant la gloire des saints - Ceux que, à un moment donné, nous avons tournés en dérision et dont nous avons fait un objet d'outrage (...), comment ont-ils été comptés entre les fils de Dieu, comment partagent-ils le sort des saints ?

2251. Mais il dit : COMME TU M'AS AIMÉ, ce qui n'implique pas l'égalité de l'amour mais sa raison (ratio) et une similitude (similitudo) dans l'amour. Comme s'il disait : l'amour dont tu m'as aimé est la raison (ratio) et la cause (causa) de pourquoi tu les as aimés ; car du fait que tu m'aimes, tu aimes ceux qui m'aiment et mes membres - Le Père lui-même vous aime parce que vous m'avez aimé.

Mais il faut savoir que Dieu aime toutes les réalités qu'il a faites, en leur donnant l'être - Tu ne hais rien de ce que tu as fait, car si tu avais haï quelque chose tu ne l'aurais pas fait. Et plus que tout il aime son Fils unique, à qui il a donné toute sa propre nature par la génération éternelle. Quant aux membres de son Fils unique, ceux qui croient au Christ, c'est selon un mode intermédiaire qu'il les aime en leur donnant la grâce par laquelle le Christ habite en nous - II a aimé les peuples : tous les saints sont dans sa main.

2252. Plus haut le Seigneur a demandé pour ses disciples la perfection de l'unité [n° 2232], à présent il demande pour eux la gloire de la vision. D'abord il précise les personnes pour lesquelles il fait cette demande, ensuite il expose sa manière de demander [n° 2254], enfin ce qu'il demande [n° 2255].

2253. Il demande pour ceux qui lui ont été donnés. Il faut savoir qu'est dit « donné à quelqu'un » ce qui est soumis à sa volonté, c'est-à-dire pour qu'il en fasse ce qu'il veut. Or la volonté du Christ est double : de miséricorde et de justice. Mais la volonté de miséricorde lui appartient en premier lieu et par elle-même, parce que sa miséricorde s'étend à toutes ses œuvres - II veut que tous les hommes soient sauvés ; quant à la volonté de justice de celui qui punit, elle ne lui appartient pas de manière première, mais présuppose le péché - Dieu en effet ne se réjouit pas de la perdition des hommes. - Je ne veux pas la mort du pécheur, cela est vrai en soi, mais cependant il la veut par voie de conséquence à cause du péché.

Tous les hommes ont donc été donnés au Fils. Tu lui as donné puissance sur toute chair, c'est-à-dire sur tout homme, pour qu'il réalise en eux sa volonté, soit de miséricorde pour sauver, soit de justice pour punir - Il est en effet le juge établi par Dieu pour les vivants et les morts .

Mais ceux qui lui ont été donnés au sens absolu sont ceux qui lui ont été donnés pour qu'il réalise en eux sa volonté de miséricorde en vue du salut ; aussi dit-il de ceux-ci : CEUX QUE TU M'AS DONNÉS dans ta prédestination, de toute éternité - Me voici, moi et les enfants que le Seigneur m'a donnés.

2254. Sa manière de demander est indiquée quand il dit : JE VEUX, ce qui peut désigner soit son autorité, soit son mérite. L'autorité, si nous l'entendons de sa volonté qui, en tant qu'il est Dieu, est la même volonté que celle du Père ; car c'est par sa volonté qu'il justifie et sauve les hommes - II fait miséricorde à qui il veut. Et le mérite si nous l'entendons de sa volonté en tant qu'il est homme, volonté qui nous mérite le salut. En effet, si les volontés des justes qui sont les membres du Christ ont le mérite d'obtenir - Tout ce que vous demanderez vous sera accordé -, combien plus la volonté du Christ homme, qui est la Tête de tous les saints.

2255. Ici il ajoute ce qu'il demande. Il demande d'abord l'union des membres à la Tête, puis la manifestation de sa gloire à ses membres [n° 2259].

2256. Cela peut s'entendre de deux manières. En un sens cela se rapporterait au Christ homme. Car le Christ en tant qu'homme allait bientôt monter au ciel - Je monte vers mon Père et votre Père'. Cela signifie alors : Je veux que dans le ciel, où moi je serai bientôt, ceux-ci aussi - c'est-à-dire les croyants - soient avec moi, même quant au lieu - Où il y aura un corps, là se rassembleront aussi les aigles , c'est-à-dire les saints. En effet, c'est ce qu'il avait promis - Réjouissez-vous, exultez, parce que votre récompense est abondante dans le ciel.

2257. Mais un doute subsiste parce que, puisqu'il n'était pas encore au ciel, il aurait dû dire : « où moi je serai », et non pas LÀ OÙ JE SUIS. De même, pourquoi a-t-il dit plus haut : Et personne n'est monté au ciel si ce n'est celui qui est descendu du ciel ?

À la première objection, il faut répondre que le Christ qui parlait était à la fois Dieu et homme, et c'est pourquoi, bien qu'il ne fut pas au ciel selon son humanité, il y était cependant selon sa divinité, si bien qu'ainsi, tout en étant sur terre, il était au ciel ; et c'est pourquoi il dit : LÀ OÙ JE SUIS. À la seconde, il faut répondre que ce qu'il dit plus haut - Personne n'est descendu du ciel sinon le Fils de l'homme qui descend du ciel -se comprend parce qu'il est au ciel selon sa divinité, qu'il en descend en assumant une nature humaine et qu'il y monte selon cette nature humaine désormais glorifiée. Et ainsi, pourvu que nous soyons avec lui nous sommes déjà un. Il est donc venu seul, lui-même, en descendant du ciel, et il y est aussi retourné seul en montant pour nous au ciel, selon Grégoire.

Et s'il dit JE SUIS, en mettant un présent au lieu du futur, c'est soit parce qu'il devait y être bientôt, soit parce que cela se rapporte au Christ Dieu.

2258. Mais alors, dans ce cas, puisque Dieu est partout - Moi j'emplis le ciel et la terre -, les saints, semble-t-il, seront aussi partout.

À ce sujet il faut dire que Dieu est pour nous comme ce que la lumière est pour les hommes. Or la lumière se diffuse partout grâce au soleil qui est au-dessus de la terre. Et la lumière a beau être avec les hommes, tous cependant ne sont pas dans la lumière du soleil, mais seulement ceux qui la voient. Ainsi donc, puisque Dieu est partout, il est avec tous en tous lieux ; cependant tous ne sont pas avec Dieu, si ce n'est ceux qui lui sont unis par la foi et l'amour et qui seront finalement unis à lui dans la jouissance parfaite - Et moi je suis toujours avec toi. — Ainsi nous serons toujours avec le Seigneur.

Le sens est donc : CEUX QUE TU M'AS DONNÉS, JE VEUX QUE LÀ OÙ JE SUIS, en ta divinité que j'ai par nature, EUX AUSSI SOIENT AVEC MOI, par la participation de la grâce - II a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu . - Qui demeure dans l'amour demeure en Dieu et Dieu en lui.

2259. Il expose ensuite la manifestation de la gloire à ses membres. D'abord il présente la demande, puis il montre l'origine de la gloire [n° 2261], et enfin il donne le sens (ratio) de cette gloire [n° 2262].

2260. Il dit donc : JE VEUX, non seulement qu'ils soient avec moi, mais QU'ILS VOIENT, à savoir dans la vision béatifique - Quand il apparaîtra, nous serons semblables à lui parce que nous le verrons tel qu'il est -, LA GLOIRE QUE TU M'AS DONNÉE, ce qui peut s'entendre de sa gloire selon son humanité, celle dont il a été illuminé dans la Résurrection - Il transfigurera notre corps de misère pour le conformer à son corps de gloire -, ou de sa gloire selon sa divinité. Il est en effet la splendeur de la gloire et la figure de la substance du Père, sa blancheur est celle de la lumière éternelle . Et les saints dans la gloire verront l'une et l'autre gloire. Car il est dit de la première : Ils verront le roi dans sa beauté . Mais celle-là, les impies la verront seulement lors du jugement - Alors ils verront le Fils de l'homme venant avec puissance et majesté. Et Marc dit : Venant dans la gloire, c'est-à-dire dans la clarté (in claritate). Mais la vision de cette gloire leur sera retirée après le jugement, selon une autre parole : Que l'impie soit enlevé pour qu'il ne voie pas la gloire de Dieu . Mais la seconde gloire, celle de sa divinité, les saints la verront pour toujours - Dans ta lumière, celle de la grâce, nous verrons la lumière, celle de la gloire, que les mauvais ne verront jamais. - Dans ses mains^ c'est-à-dire aux orgueilleux, il cache la lumière, (...) et il annonce à son ami que la lumière est son partage.

2261. L'origine de cette gloire vient du Père ; c'est pourquoi il dit : QUE TU M'AS DONNÉE. Il lui a donné la gloire du corps dans la Résurrection, mais parce que cela était déjà accompli dans l'ordonnance [de la sagesse] divine, bien que ce fût encore à venir dans la réalité, il dit : TU M'AS DONNÉE - Tu l'as couronné de gloire et d'honneur. Mais il lui a donné la gloire divine de toute éternité, parce que de toute éternité le Fils provient du Père comme la splendeur provient de la lumière.

2262. Il donne ensuite le sens (ratio) de la gloire qui lui fut donnée. Et si cela se rapporte au Christ homme, le PARCE QUE indique alors la cause. En effet, de même que l'amour et la prédestination éternelle sont cause de ce que nous avons à présent la splendeur de la grâce et plus tard celle de la gloire jusque dans notre corps - Il nous a élus en lui dès avant la création du monde -, de même aussi ils sont cause de la gloire du Christ en tant qu'il est homme - Qui a été prédestiné Fils de Dieu dans la puissance.

Cela signifie donc : Je dis que tu m'as donné la gloire, et ceci PARCE QUE TU M'AS AIMÉ, c'est-à-dire parce que dans ton amour tu m'as prédestiné, et cela AVANT LA FONDATION DU MONDE, pour que cet homme soit uni au Fils de Dieu dans la personne - Heureux ton élu, ton familier, il demeure en tes parvis .

Mais si cela se rapporte au Christ en tant qu'il est Dieu, le PARCE QUE indique alors un signe. En effet, ce n'est pas parce qu'il l'a aimé qu'il lui a donné la gloire, car dans le don que le Père a fait au Fils est désignée la génération éternelle. Or l'amour, si on le prend essentiellement (essentialiter), implique la volonté divine ; alors que si on regarde la notion (notionaliter), c'est la notion de l'Esprit Saint qui est signifiée. Mais le Père a donné la gloire à son Fils par nature et non par sa volonté, parce qu'il l'a engendré par nature ; ce n'est donc pas non plus parce qu'il a spire l'Esprit Saint qu'il a donné la gloire au Fils.

B. LA RAISON POUR LAQUELLE LA PRIÈRE DU CHRIST EST EXAUCÉE

2263. Ici, l'Évangéliste donne la raison pour laquelle sa demande est exaucée. Plus haut le Seigneur a inclus dans sa demande même ceux qui allaient croire - Ce n'est pas seulement pour eux que je prie, mais aussi pour ceux qui, par leurs paroles, croiront en moi -, et il a exclu le inonde et les incroyants ; c'est pourquoi il a dit : Moi je prie pour eux ; je ne prie pas pour le monde. Il en donne donc la raison, en montrant d'abord le défaut du monde puis le progrès des disciples [n° 2666].

a) Le défaut du monde.

2264. Mais remarque que, quand il a demandé leur sanctification, il a appelé le Père saint, c'est pourquoi il a dit : Père saint ; mais à présent, demandant la rétribution, il l'appelle JUSTE - Dieu le juge juste. Par là est exclue l'erreur des anciens affirmant qu'autre est le Dieu juste, c'est-à-dire celui de l'Ancien Testament, autre le Dieu bon, le Dieu du Nouveau Testament.

Le défaut du monde concerne la connaissance de Dieu. Aussi dit-il : LE MONDE, non pas le monde réconcilié mais le monde damné, NE T'A PAS CONNU - Le monde a été fait par lui. Et le monde ne l’α pas connu.

2265. Mais pourtant : Ce que l’on connaît de Dieu est manifeste en eux, ce qu'il a d'invisible depuis la création du monde se laisse voir à l'intelligence, à travers ses œuvres.

Réponse. Disons qu'il y a deux connaissances : l'une spéculative et l'autre affective ; et le monde n'a connu Dieu parfaitement ni par l'une, ni par l'autre. En effet, bien que quelques-uns des Gentils l'aient connu selon ce que la raison pouvait en connaître, cependant lui, en tant qu'il est Père du Fils unique qui lui est consubstantiel, ils ne l'ont pas connu : et c'est de cette connaissance que parle le Seigneur. Et de là vient que l'Apôtre dit : ce que l'on connaît, c'est-à-dire ce qui peut être connu de Dieu. Mais même s'ils connaissaient quelque chose de Dieu par la connaissance spéculative [de la raison], leur connaissance était souillée de nombreuses erreurs : tandis que certains l'évinçaient de la Providence sur toutes les réalités, d'autres disaient qu'il est l'âme du monde, d'autres honoraient en même temps que lui beaucoup d'autres dieux. Aussi dit-on qu'ils ignoraient Dieu. En effet, si on peut en partie connaître et en partie ignorer les réalités composées, les réalités simples cependant, tant qu'elles ne sont pas atteintes parfaitement, sont ignorées. C'est pourquoi, même si ceux-là se trompaient très peu dans leur connaissance de Dieu, on peut dire qu'ils l'ignoraient totalement. On peut donc dire que ceux qui ne connaissent pas l'excellence singulière de Dieu l'ignorent - Puisque, ayant connu Dieu, ils ne lui ont pas rendu comme à un Dieu, gloire et action de grâces ; mais ils se sont perdus dans leurs pensées et leur cœur insensé s'est obscurci. - N'étant pas attentifs à ses œuvres ils n'ont pas su quel en était l'artisan. De manière semblable, le monde ne l'a pas connu d'une connaissance affective parce qu'il ne l'aime pas - Comme les peuples qui ignorent Dieu. Il dit donc : LE MONDE NE T'A PAS CONNU sans erreur et, en tant que Père, par l'amour.

2266. Il signifie ainsi le progrès des disciples, d'abord quant à la connaissance, puis quant à son fruit [n° 2270].

Quant au progrès des disciples dans la connaissance de Dieu, le Christ montre d'abord la racine et la source de la connaissance de Dieu, puis les rameaux et les petits ruisseaux qui en découlent [n° 2268], enfin le fait qu'ils en dérivent comme d'une racine ou d'une source [n° 2269].

2267. La racine et la source de la connaissance de Dieu est le Verbe de Dieu, c'est-à-dire le Christ - La source de la sagesse est le Verbe de Dieu dans les hauteurs. Or la sagesse humaine consiste à connaître Dieu. Et cette connaissance dérive du Verbe vers les hommes, parce que c'est en tant que les hommes participent au Verbe de Dieu qu'ils connaissent Dieu. Aussi dit-il : LE MONDE NE T'A PAS CONNU, MAIS MOI, source de la sagesse, ton Verbe, JE T'AI CONNU, d'une connaissance éternelle de compréhension- Si je dis que je ne le connais pas, je serai semblable à vous, un menteur.

2268. Et de cette connaissance du Verbe, qui est source et racine, découlent comme ruisseaux et rameaux toutes les connaissances des croyants. Et c'est pourquoi il dit : ET CEUX-CI ONT CONNU QUE C'EST TOI QUI M'AS ENVOYÉ ; ainsi, QUE (QUIA, qui signifie « parce que ») donne la raison de cette connaissance, selon Augustin. Le sens est alors : MAIS MOI JE T'AI CONNU par nature, ET CEUX-CI ONT CONNU par la grâce. Et pourquoi ? Parce que TU M'AS ENVOYÉ, ajoutons, pour qu'ils te connaissent - Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la venté. - J'ai manifesté ton nom aux hommes.

Ou bien QUE désigne la réalité connue, et le sens est alors : CEUX-CI ONT CONNU, mais quoi ? QUE C'EST TOI QUI M'AS ENVOYÉ parce que celui qui voit le Fils voit aussi le Père.

2269. Ce n'est pas d'eux-mêmes qu'ils ont acquis cette connaissance, mais c'est de moi qu'elle dérive sur eux, parce que personne ne connaît le Père si ce n'est le Fils et celui à qui le Fils aura voulu le révéler. Aussi dit-il : JE LEUR AI FAIT CONNAÎTRE TON NOM, ET JE LE LEUR FERAI CONNAÎTRE. Il désigne ici les deux connaissances qu'ont par lui les fidèles : celle de la doctrine, et quant à celle-ci il dit : JE LEUR AI FAIT CONNAÎTRE TON NOM, en enseignant de l'extérieur par mes paroles - Dieu, personne ne l’α jamais vu ; le Fils unique qui est dans le sein du Père, lui, l'a fait connaître. - Ce salut inauguré par la prédication du Seigneur nous a été garanti par ceux qui l'ont entendu. L'autre connaissance se réalise de l'intérieur, par l'Esprit Saint, et quant à celle-là il dit : ET JE LE LEUR FERAI CONNAÎTRE, c'est-à-dire par le don de l'Esprit Saint - Quand il viendra, lui, l'Esprit de vérité, il vous enseignera la vérité tout entière.

Ou bien il dit : JE LEUR AI FAIT CONNAÎTRE TON NOM par la connaissance de la foi, parce qu'à présent nous voyons dans un miroir par énigme, ET JE LE LEUR FERAI CONNAÎTRE par la vision de la gloire dans la Patrie, où nous verrons face à face.

2270. Le fruit de cette connaissance, c'est que L'AMOUR DONT TU M'AS AIMÉ SOIT EN EUX, ET MOI EN EUX.

Et cela peut être explicité de deux manières. En un sens, et c'est le meilleur, pour que soit manifesté, par la gloire qu'il lui a donnée, que le Père aime le Fils , ce qui a été dit. Il s'ensuit donc que c'est pour que le Père aime tous ceux en qui est le Fils, qui est en eux en tant qu'ils ont la connaissance de la vérité. Et ainsi, cela signifie : JE LEUR FERAI CONNAÎTRE TON NOM, et, du fait qu'ils te connaîtront, moi, ton Verbe, je serai en eux ; et, par le fait que je suis en eux, QUE L'AMOUR DONT TU M'AS AIMÉ SOIT EN EUX, c'est-à-dire leur soit donné et que tu les aimes comme tu m'as aimé.

Ou bien, POUR QUE L'AMOUR DONT TU M'AS AIMÉ, c'est-à-dire, comme toi tu m'as aimé, qu'ainsi ils m'aiment par participation à l'Esprit Saint ; et de ce fait, moi je serai en eux comme Dieu dans son Temple, et eux en moi comme les membres à l'égard de la tête - Celui qui demeure dans l'amour demeure en Dieu et Dieu en lui.

LA RÉALISATION DU MYSTÈRE DE LA PASSION

I – CE QUE LE CHRIST A SOUFFERT DE LA PART DES JUIFS

2271. Plus haut, avant la Passion, le Seigneur a préparé ses disciples en les instruisant à de multiples reprises par des exemples, en les confortant par des paroles et en les faisant avancer par des recommandations ; ici, l'Évangéliste en arrive à raconter la Passion du Seigneur. D'abord il expose le mystère de la Passion, puis la gloire de la Résurrection au chapitre 20 [n° 2470]. Or la Passion du Christ a été accomplie (completa est) en partie par les Juifs, en partie par les Gentils. D'abord, l'Évangéliste décrit la Passion du Christ quant à ce qu'il a souffert de la part des Juifs, puis quant à ce qu'il a souffert de la part des Gentils, au chapitre 19. À propos du premier point, il montre d'abord comment le Seigneur est livré par un disciple, puis comment il est présenté aux chefs du peuple par les serviteurs [n° 2294], enfin, comment il est accusé par les chefs du peuple auprès du gouverneur (praesidem) [n° 2328].

COMMENT LE CHRIST EST LIVRE PAR UN DISCIPLE

À propos de la trahison du disciple, l'Évangéliste touche trois points : le lieu, puis les préparatifs [n° 2278], enfin, la prompte volonté d'amour du Christ d'endurer la trahison [n° 2279].

Le lieu est montré comme convenant à la trahison sous trois aspects : il était éloigné de la ville, en lui-même caché et fermé, et connu du traître.

2272. Ce lieu était éloigné de la ville. Judas pouvait donc faire plus facilement ce dont il avait l'intention. C'est pourquoi l'Évangéliste dit : AYANT DIT CELA, à savoir ce qu'il avait dit plus haut. Puisque les choses que le Christ a dites relevaient de sa prière, il eût été plus convenable que l'Évangéliste dise : « ayant prié cela ». Mais il s'est exprimé ainsi pour montrer que le Seigneur a fait cette prière, non pas qu'elle lui fût nécessaire, parce que c'était lui-même qui priait en tant qu'homme et qui exauçait en tant que Dieu, mais pour notre instruction. C'est pourquoi elle était comme un discours (dictio).

2273. Non pas aussitôt après sa prière, selon Augustin, puisque d'autres choses racontées par les autres évangélistes et omises par celui-ci sont intervenues, à savoir qu'il y eut une dispute entre les disciples : qui, d'entre eux, semblait être le plus grand ? Entre-temps aussi, Jésus a dit à Pierre : Voici que Satan vous a réclamés pour vous passer au crible comme le froment. Mais moi, j'ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille pas, comme Luc le rapporte au même endroit. Les disciples ont aussi prié une hymne avec le Seigneur, comme le rapportent Matthieu et Marc. On ne doit donc pas comprendre ici qu'il sortit aussitôt après avoir dit cela, mais qu'il ne sortit pas avant de l'avoir dit.

2274. Mais Matthieu et Marc disent qu'ils sortirent vers le Mont des Oliviers et qu'alors il s'arrêta avec eux dans un domaine qu'on appelle Gethsémani. En cela il n'y a aucune contradiction, du fait que c'est le même lieu que celui que mentionnent Jean et Matthieu. En effet, le torrent du Cédron est au pied du Mont des Oliviers, où se trouve aussi le domaine qu'on appelle Gethsémani. En grec. Cédron est au génitif pluriel, autrement dit ils traversent le torrent des Cèdres. Peut-être y avait-il là de nombreux cèdres plantés ? Il convient au mystère qu'il ail traversé le torrent, parce que par celui-ci or désigne sa Passion -Au torrent il s'abreuvera en chemin, c'est pourquoi il relèvera la tête, II convient aussi que le Christ ait traversé le torrent du Cédron, puisqu'on peut interpréter ce nom comme signifiant l'ombre obscure et que le Christ, par sa Passion, s supprimé l'obscurité du péché et de la Loi et ayant étendu les mains sur la Croix, nous a protégés à l'ombre de sa main - A l'ombre de tes ailes protège-moi.

2275. Ce lieu convenait à la trahison, parce qu'il était clos. Et il convenait que ce soit un jardin, parce que le Christ lui-même satisfaisait pour le péché du premier homme, qui avait été commis dans un jardin. En effet, « paradis » veut dire « jardin de délices », et par le moyen de sa Passion le Christ nous introduit dans un jardin, un paradis, comme ceux qui doivent être couronnés - Aujourd'hui, tu seras avec moi au Paradis.

2276. Le lieu convenait aussi parce qu'il était connu du traître. La raison en est que JÉSUS S'Y ÉTAIT FRÉQUEMMENT RETROUVÉ AVEC SES DISCIPLES, parmi lesquels Judas se trouvait comme le loup au milieu des brebis - N'est-ce pas moi qui vous ai choisis, vous les Douze ? Et parmi vous, l'un est un diable ! Là donc, le loup, revêtu d'une peau de brebis et toléré au milieu des brebis par la haute sagesse prudentielle du père de famille, a appris où il disperserait le troupeau au moment opportun.

2277. Mais puisque Judas était sorti du repas longtemps auparavant pour accomplir sa trahison, on se demande comment il a su que le Christ allait se rendre en ce lieu à cette heure-là ! Là il faut dire, selon Chry-sostome, que c'était l'habitude du Christ, et principalement lors des grandes fêtes, d'emmener les disciples à part après le repas du soir (coena) et de leur enseigner à propos de la fête des choses sublimes qu'il n'était pas permis aux autres d'entendre ; et parce que c'était alors la fête principale, Judas jugea opportun de se rendre à cet endroit après le repas. Et si le Christ a voulu enseigner à ses disciples les choses les plus élevées dans les montagnes et dans les jardins, en cherchant un lieu tout à fait pur d'agitations, c'était pour que leur esprit ne soit pas embarrassé - Je l'emmènerai dans la solitude, et je parlerai à son cœur.

2278. Ici sont exposés les préparatifs du traître. Notons que, comme il est dit en Luc, après avoir comploté la trahison avec les princes du peuple, Judas cherchait une opportunité pour livrer le Christ sans provoquer un tumulte des foules. Et c'est pourquoi il voulut le trouver en secret et durant la nuit, parce que pendant le jour il était toujours pris par l'instruction des foules. Mais durant la nuit le traître pouvait être gêné, soit par un soudain afflux des foules, soit par les ténèbres, grâce auxquelles le Christ pourrait être arraché ou s'échapper de leurs mains ; c'est pourquoi Judas se munit d'armes contre la foule, et de lanternes et torches contre les ténèbres. Cependant, dans la foule, certains pourraient lui résister par la puissance du peuple ; c'est pourquoi, pour éviter cela, il prit une cohorte, non de Juifs, mais de soldats auprès du gouverneur, pour qu'ainsi, l'ordre du pouvoir légitime ayant été observé, personne n'osât s'opposer à lui. De même, certains des Juifs conduits par le zèle de la Loi auraient peut-être voulu leur résister, surtout parce que le Seigneur allait être pris par les Gentils ; c'est pourquoi Judas prit aussi DES GARDES AUPRÈS DES GRANDS PRÊTRES ET DES PHARISIENS, et VINT LÀ – Il a couru contre Dieu le cou tendu . - Comme pour un brigand vous êtes sortis avec des glaives et des bâtons.

2279. Ici l'Évangéliste montre la prompte volonté d'amour du Christ de supporter volontairement la trahison, d'abord en s'offrant volontairement, puis en arrêtant le disciple qui résistait [n° 2286].

a) Le Christ s'offre volontairement.

À propos du premier point, l'Évangéliste fait deux choses : il raconte d'abord que le Christ s'est montré pour manifester sa puissance, puis qu'il s'est montré pour manifester sa patience [n° 2283].

Le Christ s'est montré pour manifester sa puissance.

À propos du premier point, il dit d'abord que le Christ interroge, puis qu'il se manifeste lui-même [n° 2281], puis il dit l'effet de la manifestation [n° 2282].

2280. [À propos de l'interrogation du Christ,] il fait trois choses. D'abord, il met en valeur la science et la connaissance du Christ : ALORS JÉSUS, SACHANT TOUT CE QUI ALLAIT LUI ARRIVER, S'AVANÇA (...) - Jésus, sachant que son heure était venue (...) Cela, l'Évangéliste l'a intégré pour deux raisons : d'abord, pour qu'il ne semble pas que l'interrogation que le Christ allait leur adresser était faite par ignorance. Ensuite pour qu'il ne semble pas qu'il s'était offert à eux involontairement et par ignorance alors qu'ils venaient pour le tuer. Ces pourquoi, TOUT CE QUI ALLAIT LUI ARRIVER, il le savait. En second lieu, l'Évangéliste expose l'interrogation du Christ qui, alors qu'il savait tout cela, S'AVANÇA cependant ET LEUR DIT : « QUI CHERCHEZ-VOUS ? », mais non par ignorance, comme on l'a dit. En troisième lieu, il donne leur réponse : ILS LUI RÉPONDIRENT « JÉSUS LE NAZARÉEN », sous-entendu : nous le cherchons, non certes pour l'imiter, mais pour agir avec méchanceté et le tuer. C’est pourquoi il est dit plus haut : Vous me chercherez, et vous mourrez dans votre péché.

2281. L'Évangéliste expose ici la manifestation de lui-même par laquelle le Christ s'est présenté à eux pour être pris : « C'EST MOI », Jésus le Nazaréen, que vous cherchez. Et l'Évangéliste ajoute la présence de Judas, parce qu'il a dit plus haut que Judas l'avait quitté. On pourrait croire qu'il n'y aurait rien d'étonnant à ce que le Christ n'ait pas été reconnu par eux à son visage, à cause des ténèbres ; mais que quelqu'un ne soit pas reconnu à sa voix, et surtout par un homme qui lui est familier, cela ne peut pas être imputé aux ténèbres. En disant « C'EST MOI », le Christ montre donc qu'il n'a même pas été reconnu par Judas, familier de lui, qui se tenait avec eux ; cela manifeste plus que tout la puissance de la divinité du Christ. JUDAS, donc, SE TENAIT AVEC EUX, c'est-à-dire persévérait dans le mal, au point de le montrer par le signe d'un baiser.

2282. Ici est montré l'effet de la manifestation. Et comme le dit Grégoire, on lit parfois au sujet des saints qu'ils tombent à terre - Il tomba sur sa face et se prosterna devant Daniel. - Je tombai sur ma face. Des hommes iniques aussi, on dit qu'ils tombent - Tes hommes très beaux tomberont -, mais voici la différence : au sujet des hommes iniques il est dit qu'ils tombent à la renverse - Ils tombent à la renverse et sont pris au piège. - Il tomba de son siège à la renverse -, alors que des saints il est dit qu'ils tombent sur leur face. La raison en est indiquée dans le livre des Proverbes : Les sentiers des justes sont comme la brillante lumière dont l'éclat va croissant jusqu'au plein jour, et la voie des impies est ténébreuse, ils ne savent où ils vont s'écrouler. En effet, tout homme qui tombe en arrière tombe là où il ne voit pas. On dit donc des hommes iniques qu'ils tombent à la renverse parce qu'ils tombent dans des choses invisibles ; en effet, ils s'écroulent là où ils ne peuvent voir tout de suite ce qui alors les suit. Mais celui qui tombe devant lui, tombe là où il voit ; et c'est pourquoi on dit des saints qu'ils s'abaissent spontanément dans les choses visibles pour être debout dans les réalités invisibles, et qu'ils tombent sur leur face parce que, saisis de crainte en les voyant, ils s'humilient. Au sens mystique, le fait que [ceux qui venaient chercher le Christ] soient tombés à la renverse donne à entendre que le peuple des Juifs, qui était le peuple particulier [de Dieu], n'ayant pas écouté la voix du Christ dans sa prédication, est retourné en arrière, exclu du Royaume.

Le Christ s'est montré pour manifester sa patience.

DE NOUVEAU DONC IL LES INTERROGEA : « QUI CHERCHEZ-VOUS ? » ILS LUI DIRENT : « JÉSUS LE NAZARÉEN. » JÉSUS RÉPONDIT : « JE VOUS AI DIT QUE C'EST MOI – SI DONC VOUS ME CHERCHEZ, LAISSEZ ALLER CEUX-CI », POUR QUE SOIT ACCOMPLIE LA PAROLE QU'IL AVAIT DITE : « CEUX QUE TU M'AS DONNÉS, JE N'EN AI PERDU AUCUN. » (18, 7-9)

2283. On rapporte ici la seconde interrogation. D'abord l'interrogation réitérée, puis la manifestation du Christ, et enfin son oblation. S'il a interrogé de nouveau c'est, selon Chrysostome pour deux raisons. D'abord pour qu'en indiquant sa puissance - du fait que les ennemis qui venaient contre lui sont, en face de lui, tombés à terre à la renverse - ceux qui croient en lui découvrent que c'est de sa propre volonté qu'il a été pris - II a été offert parce que lui-même l’α voulu. En second lieu, aussi, pour donner aux Juifs, autant qu'il le pouvait, matière à conversion, après avoir vu un miracle de sa puissance - Qu'aurais-je dû faire de plus pour ma vigne, que je ne lui aie pas fait ? C'est pourquoi, puisqu'ils ne se convertirent pas dès cette manifestation de sa puissance, il s'omît à eux spontanément pour être pris. Et quand DE NOUVEAU IL LES INTERROGEA : « QUI CHERCHEZ-VOUS ? » et qu'ILS LUI DIRENT : « JÉSUS LE NAZARÉEN », lui-même se manifestant de nouveau RÉPONDIT : « JE VOUS AI DIT QUE C'EST MOI – » En cela, il est évident qu'ils étaient aveugles au point de ne pas pouvoir le reconnaître.

L'oblation que le Christ fait de lui-même est exposée quand il dit : SI DONC VOUS ME CHERCHEZ, c'est-à-dire : si vous cherchez à me prendre, faites ce dont vous avez l'intention, de telle sorte cependant que vous laissiez aller ceux-ci, à savoir mes disciples, parce que le moment n'est pas encore venu qu'ils soient enlevés du monde par la Passion - Je ne prie pas pour que tu les enlèves du monde. En quoi il est évident que lui-même a donné [à ceux qui le cherchaient] pouvoir de le prendre ; car de même qu'il a gardé ses disciples par sa puissance, il aurait pu encore bien plus se garder lui-même - Personne ne m'enlève mon âme, mais moi je la dépose de moi-même.

2284. L'Évangéliste montre que ce n'est pas parce qu'ils auraient été persuadés par le Christ que les gardes laissèrent les Apôtres s'en aller, mais en raison de son pouvoir : POUR QUE SOIT ACCOMPLIE LA PAROLE QU'IL AVAIT DITE, comme si les gardes avaient laissé les Apôtres s'en aller parce qu'ils ne pouvaient les retenir, puisque lui-même avait dit plus haut : CEUX QUE TU M'AS DONNÉS, JE N'EN AI PERDU AUCUN .

2285. Là on peut objecter que le Seigneur avait dit plus haut cela de la perdition de l'âme ; comment l'Évangéliste adapte-t-il cela à la perdition du corps ? À cela je réponds : il faut dire, selon Chrysostome, que le Seigneur a parlé plus haut de la perdition de l'âme et du corps. Et s'il a seulement parlé de la perdition de l'âme, il faut dire qu'ici l'Évangéliste la rapporte à la perdition du corps par une certaine extension. Ou bien, selon Augustin, il faut dire que ce qui est dit doit être compris aussi de la perdition de l'âme, parce que les Apôtres ne croyaient pas encore comme croient ceux qui ne périssent pas. Et c'est pourquoi, s'ils avaient alors quitté ce monde, ils auraient été de ceux qui périssent.

2286. Après avoir montré la promptitude du Christ à supporter la trahison en s'offrant lui-même volontairement à ceux qui le livraient, l'Évangéliste montre ici qu'il est prompt à la même chose en interdisant la résistance du disciple. D'abord est exposée la manifestation du zèle du disciple qui résiste, puis le fait que Jésus l'ait empêché [n° 2291].

À propos du premier point, il note d'abord le zèle du disciple à frapper le serviteur, puis celui de l'Évangéliste quand il nomme le serviteur [n° 2290].

2287. Il s'exprime donc ainsi : les gardes s'emparèrent de Jésus, mais Simon-Pierre, plus ardent que tous les autres disciples, AYANT UN GLAIVE, LE TIRA ET FRAPPA LE SERVITEUR DU GRAND PRÊTRE qui était parmi les gardes, ET IL LUI TRANCHA L'OREILLE DROITE ; ce n'était pas son intention principale, puisqu'il avait l'intention de le tuer, mais le coup qu'il dirigeait vers la tête fut dévié vers l'oreille. Il dirigeait en effet le coup vers la tête pour montrer avec plus d'évidence qu'il faisait cela par zèle pour son Seigneur - Je suis zélé d'un zèle jaloux pour le Seigneur Dieu des armées.

2288. Mais ici surgit une double question : puisque le Seigneur avait commandé à ses disciples de n'avoir même pas deux tuniques, comment Pierre avait-il aussi un glaive ? Je réponds : il faut dire que ce précepte, le Christ le leur donna quand il les envoya pour prêcher, et il devait durer jusqu'au temps de la Passion. C'est pourquoi le Christ le révoqua dans la Passion : Quand je vous ai envoyés sans bourse ni besace, avez-vous jamais manqué de quelque chose ? - Mais maintenant, que celui qui a une bourse la prenne, de même celui qui a une besace, et que celui qui n'en a pas vende sa tunique pour acheter un glaive. À cause de cette autorisation (concessio), il semble que Pierre ait compris qu'il lui était permis de porter un glaive. Mais d'où a-t-il pu avoir si vite un glaive, puisque le Seigneur avait prononcé peu de temps auparavant les paroles qu'on a dites ? Il faut répondre, selon Chrysostome , que Pierre, ayant depuis longtemps entendu que les Juifs devraient livrer le Christ aux princes des prêtres pour le crucifier, avait pris peur et s'était préparé un glaive. Ou bien il faut dire, selon la Glose interlinéaire, que par « glaive » il faut entendre ici le couteau qu'il avait peut-être à table pour manger l'agneau et qu'il avait, en se levant de table, pris avec lui.

2289. En second lieu, on se demande pourquoi, alors que le Seigneur leur avait dit de ne pas résister au mal, Pierre a frappé le serviteur du grand prêtre. À cela il faut répondre que le Seigneur leur a défendu de résister à quelqu'un pour se défendre eux-mêmes, mais non pas pour défendre les maîtres. Ou bien qu'ils n'étaient pas encore confirmés par une force venant sur eux d'en haut - Demeurez dans la ville jusqu'à ce que vous soyez revêtus d'une force d'en haut. C'est pourquoi ils n'étaient pas encore parfaits au point de ne pas du tout résister au mal.

2290. On donne ici le nom du serviteur. Il est spécialement signalé par Jean parce que, comme il est dit plus loin, lui-même était connu du grand prêtre, et c'est pourquoi il connaissait aussi ses serviteurs. Aussi, sachant son nom, il ne l'a pas tu parce qu'il en avait la certitude. Mais Luc ajoute que le Seigneur lui guérit l'oreille, et cela convient au mystère, car par ce serviteur est signifié le peuple des Juifs, qui était opprimé par les princes des prêtres - Malheur aux pasteurs d'Israël qui se paissaient eux-mêmes. (...) Ce qui était gras, vous l'égorgiez (...) Pierre, le Prince des Apôtres, a donc amputé l'oreille de ce serviteur, oreille avec laquelle le peuple des Juifs entendait mal, c'est-à-dire d'une façon charnelle (carnaliter), les paroles de la Loi ; mais le Seigneur leur a restitué une nouvelle ouïe - Dès que son oreille m'a entendu, il m'a obéi. Et en ce sens le serviteur du grand prêtre est à juste titre appelé Malchus, c'est-à-dire roi, parce que le Christ a fait de nous des rois dans une nouveauté de vie - II a fait de nous pour notre Dieu un royaume et des prêtres, et nous régnerons sur la terre.

2291. Ici on expose le fait que Jésus ait retenu Pierre dans son zèle ; d'abord le fait qu'il l'ait retenu, puis la raison de son geste [n° 2293].

2292. L'Évangéliste dit donc que Pierre sortit son glaive pour frapper le serviteur, mais que le Seigneur lui dit : « REMETS LE GLAIVE AU FOURREAU », comme pour lui dire qu'il n'y avait pas à se défendre mais à pâtir, et que l'usage du glaive matériel ne lui était pas permis - Ô, épée du Seigneur, jusques à quand ne te reposeras-tu pas ? Rentre en ton fourreau (...) Au sens mystique, cela signifie que le glaive de la parole du Seigneur devait être remis au fourreau, c'est-à-dire à la foi des Gentils.

2293. La raison pour laquelle le Christ empêche le geste de Pierre est donnée quand il dit : « LA COUPE QUE LE PÈRE M'A DONNÉE, TU NE VEUX PAS QUE JE LA BOIVE ? » En effet, on ne doit pas résister à ce qui est disposé par la Providence divine - Qui lui a résisté et a eu la paix ? Mais la Passion est appelée coupe parce qu'elle est douce en raison de la charité de celui qui la subit, mais amère en raison de sa nature, de même qu'un remède qui guérit est doux à cause de l'espérance de la santé, mais amer à cause de sa saveur - Je prendrai la coupe du salut et j'invoquerai le nom du Seigneur.

Cette coupe, c'est donc le Père qui la lui a donnée, parce qu'il a subi la Passion de son plein gré, par sa propre volonté et celle du Père - Tu n'aurais sur moi aucun pouvoir s'il ne t'avait été donné d'en haut.

II – COMMENT LE CHRIST EST PRÉSENTÉ PAR LES GARDES AUX CHEFS DU PEUPLE

2294. Ici est exposé comment le Seigneur, ayant été pris par les gardes, est présenté aux princes du peuple ; d'abord comment il est conduit à l'un d'eux, à savoir Anne, puis à l'autre, à savoir Caïphe [n° 2322].

A. COMMENT LE CHRIST EST CONDUIT A ANNE

À propos du premier point, l'Évangéliste dit d'abord comment il est présenté à Anne, puis comment il est examiné par lui [n° 2311].

À propos du premier point, il montre d'abord comment il est conduit à la maison d'Anne, puis comment les disciples le suivent [n° 2299].

Là, on montre d'abord ce qui a été fait à l'égard de Jésus, puis on précise qui est le pontife auquel il est conduit [n° 2297].

2295. En ce qui concerne le Christ, trois choses ont été accomplies. D'abord on s'empare de lui ; c'est pourquoi il est dit : LA COHORTE, c'est-à-dire [la cohorte] des soldats, et leur TRIBUN, ET LES GARDES DES JUIFS, S'EMPARÈRENT (comprehenderunt) DE JÉSUS, lui qu'on ne peut saisir - Tu es grand dans ton conseil, et incompréhensible dans ta pensée. Peut-être avaient-ils en tête cette parole du psaume : Dieu l’α abandonné ; poursuivez-le et saisissez-le, puisqu'il n'est personne qui délivre. - Le souffle (spiritus) de notre bouche, l'Oint du Seigneur, a été pris dans nos péchés, c'est-à-dire à cause de nos péchés, pour nous libérer. - Voici ce que dit le Seigneur : Même la proie du fort lui sera enlevée. En second lieu, il est ligoté, et c'est pourquoi il dit : LE LIGOTÈRENT, lui qui est venu libérer ceux qui étaient liés et rompre leurs liens - Tu as rompu mes liens. En troisième lieu, il est amené : ET ILS L'AMENÈRENT D'ABORD À ANNE, pour le perdre, lui qui est venu conduire tous [les hommes] sur le chemin du salut - Tu m'as conduit, parce que tu es devenu mon espérance.

2296. On peut donner deux raisons pour lesquelles il est d'abord conduit à Anne. L'une est la charge de Caïphe, le grand prêtre de cette année-là, en ce sens qu'il envoya Jésus à Anne pour être plus excusable si lui-même, par la suite, condamnait quelqu'un qui avait déjà été condamné par Anne. L'autre raison est la proximité de la maison d'Anne : celle-ci, située sur la route, était plus proche. Et craignant que, s'il s'élevait un tumulte dans le peuple, Jésus fût arraché de leurs mains, ils le mirent là à l'écart.

2297. Ici on présente d'abord le pontife par son affinité avec Caïphe, parce qu'IL ÉTAIT son BEAU-PÈRE ; puis on présente Caïphe lui-même, QUI ÉTAIT LE GRAND PRÊTRE DE CETTE ANNÉE-LÀ. Il faut savoir, en effet, que selon la Loi le grand prêtre remplissait sa fonction à vie ; un fils lui succédait après sa mort. Mais par la suite, l'envie et l'ambition des princes croissant, non seulement le fils ne succédait pas au père, mais même le pontife ne remplissait pas sa fonction plus d'une année ; de plus c'est l'argent qui procurait cette fonction, comme Josèphe le rapporte. C'est pourquoi il n'est pas étonnant que, dans l'année de ce pontificat si mal acquis, Caïphe ait accompli une chose si abominable.

2298. Il est aussi décrit d'après son conseil ; c'est pourquoi l'Évangéliste a dit que C'ÉTAIT CAÏPHE QUI AVAIT DONNÉ AUX JUIFS CE CONSEIL, rapporté plus haut« MIEUX VAUT QU'UN SEUL HOMME MEURE POUR LE PEUPLE. » Cela, l'Évangéliste l'a rappelé pour enlever le scandale du cœur des fidèles, en montrant aussi par les prophéties des adversaires que ce n'est pas en raison d'une infirmité ou d'une impuissance de sa part que Jésus a été pris et qu'il est mort, mais pour le salut du peuple, c'est-à-dire pour que la nation tout entière ne périsse pas. En effet, le témoignage de l'adversaire est plus efficace ; et la vérité est d'une nature telle que même l'adversaire ne peut la taire.

2299. Ici est exposé comment les disciples se sont associés au Christ ; on montre d'abord comment Pierre suivait le Christ avec un autre disciple, puis comment il entra à l'endroit où était le Christ [n° 2303], et enfin comment il le renia [n° 2307].

2300. Il dit donc que SIMON-PIERRE SUIVAIT JÉSUS, parce qu'il lui était profondément attaché, mais qu'il le suivait de loin en raison de sa peur, AINSI QU'UN AUTRE DISCIPLE, c'est-à-dire Jean, qui cache son nom à cause de son humilité. Mais par là il est donné à entendre que le reste des disciples s'était enfui en abandonnant Jésus, comme il est dit en Matthieu.

2301. Au sens mystique, on entend par ces deux disciples deux vies qui suivent le Christ : la vie active, qui est signifiée par Pierre, et la vie contemplative, signifiée par Jean. Certes la vie active suit le Christ en obéissant - Mes brebis écoutent ma voix-, mais la vie contemplative le suit en connaissant et en contemplant - Nous te connaîtrons et nous te suivrons.

2302. Ces deux disciples suivaient parce qu'ils aimaient le Christ plus que tous les autres - c'est pourquoi ils vinrent au tombeau les premiers - et parce qu'une plus grande force d'amour les unissait l'un à l'autre ; c'est pourquoi, dans l'Évangile, ils sont souvent mentionnés ensemble. Et dans les Actes des Apôtres il est dit que [les Apôtres qui étaient à Jérusalem] envoyèrent [en Samarie] Pierre et Jean et [déjà, avant,] que Pierre et Jean montèrent au Temple.

2303. Ici on montre l'ordre selon lequel Pierre entra : d'abord comment Jean le précéda, puis comment il fit entrer Pierre [n° 2306].

2304. L'ordre fut tel parce que Jean entra en premier avec Jésus. La raison de cela était qu'il ÉTAIT CONNU DU GRAND PRÊTRE. Et PIERRE SE TENAIT AU-DEHORS, À LA PORTE de la cour. Bien que Jean fût pêcheur et ait été appelé jeune par le Christ, il était cependant connu du grand prêtre, soit parce que le père de Jean en était le serviteur, soit parce qu'il était quelqu'un de sa parenté. Jean n'a pas noté cela par vantardise, mais par humilité, pour que le fait qu'il entra d'abord avec Jésus dans la cour du grand prêtre, et non pas Pierre, ne fût pas davantage attribué à sa vertu et à sa supériorité qu'au fait qu'il était connu. C'est pourquoi il dit : CE DISCIPLE, à savoir Jean, était connu du grand prêtre. Et c'est pourquoi IL ENTRA AVEC JÉSUS DANS LA COUR DU GRAND PRÊTRE, où le Christ avait été conduit. PIERRE, lui, SE TENAIT AU-DEHORS, annonçant en quelque sorte son reniement à venir - Ceux qui me voyaient s'enfuirent au-dehors loin de moi.

2305. Au sens mystique, Jean entre avec Jésus parce que la vie contemplative lui est familière - Entrant dans ma maison, je me reposerai avec elle . Mais Pierre se tient au-dehors parce que la vie active s'occupe des choses extérieures - Marie, se tenant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole. Mais Marthe se démenait dans les multiples soins du service.

2306. Ici on montre comment Pierre fut introduit sur l'intervention de Jean, parce que L'AUTRE DISCIPLE, c'est-à-dire Jean, ÉTAIT CONNU DU GRAND PRÊTRE. Il parla à la portière pour qu'elle l'introduise, et elle fit entrer Pierre. Par là, au sens mystique, il est donné à entendre que c'est par la vie contemplative que la vie active est introduite auprès du Christ. En effet, de même que la raison inférieure est dirigée par la raison supérieure, de même, la vie active par la vie contemplative - Envoie ta lumière et ta vérité : elles me conduiront et m'amèneront à ta sainte montagne, jusqu’en ta demeure.

2307. On expose ici le reniement de Pierre ; d'abord le motif du reniement, puis le reniement lui-même [n° 2309], enfin la confirmation du reniement [n° 2310].

2308. L'occasion et le motif du reniement furent l'interrogation de la servante adressée à Pierre. LA SERVANTE QUI GARDAIT LA PORTE DIT DONC À PIERRE : « N'ES-TU PAS, TOI AUSSI, DES DISCIPLES DE CET HOMME ? » Elle dit : TOI AUSSI, parce qu'elle savait que Jean était un disciple du Christ, mais parce qu'il était familier [du grand prêtre] elle ne lui dit rien. La faiblesse de Pierre apparaît à ce moment-là, parce que c'est une occasion dérisoire qui l'amena à renier, dérisoire en raison de deux choses. D'abord à cause de la personne qui l'interrogeait, car il ne s'agissait ni d'un soldat armé, ni d'un pontife digne d'admiration, mais d'une femme, et d'une servante chargée de la porte . Ensuite à cause de la forme de l'interrogation, parce qu'elle n'a pas dit : « N'es-tu pas des disciples de ce traître ? » En cela, il semble qu'elle lui ait parlé plutôt par compassion. C'est pourquoi on saisit aussi par là que par la parole du Seigneur, les deux ont été affermis, et par le souffle de sa bouche, toute leur puissance, parce que celui qui renia le Christ à la voix d'une servante va, par la suite, prêcher et confesser le nom du Christ devant les chefs des prêtres.

2309. L'Évangéliste expose ici le reniement de Pierre. Et là nous devons remarquer, selon Augustin, que le Christ peut être renié non seulement par quelqu'un qui affirme que Jésus n'est pas le Christ, mais aussi par celui qui nie être chrétien. En effet, Pierre n'a rien renié d'autre que le fait d'être chrétien. Et le Seigneur a permis que Pierre renie parce qu'il a voulu que celui qui devait être placé à la tête de l'Église ait plus de compassion pour les faibles et ceux qui pèchent, ayant expérimenté en lui-même l'infirmité du péché. L'épître aux Hébreux dit : Nous n'avons pas un grand prêtre qui ne pourrait compatir à nos infirmités puisqu'il a été éprouvé en toutes choses hormis le péchécela est vrai du Christ, mais on peut aussi le dire de Pierre, même avec le péché. Certains cependant, appropriant à tort cette grâce à Pierre, disent qu'il n'a pas renié par crainte mais par amour, voulant être toujours avec le Christ et le suivre sans cesse ; il savait en effet que s'il avouait être des disciples du Christ, il aurait été séparé du Christ et expulsé. Mais cela n'est pas en accord avec les paroles du Seigneur, parce que ce n'est pas pour cela qu'il renia mais parce qu'il n'a pas voulu perdre son âme pour le Christ. Plus haut en effet, quand il avait dit : Je perdrais mon âme pour toi, Jésus avait répondu : Tu perdrais ton âme pour moi ? Amen, amen, je te le dis, le coq ne chantera pas que tu ne m'aies renié trois fois.

2310. La confirmation du reniement est exposée ici : Pierre se tenait là avec eux comme pour faire paraître davantage qu'il n'était pas disciple du Christ. En effet, Pierre, pour ne pas sembler faire partie des disciples, se plaça parmi les serviteurs et les gardes qui se tenaient auprès des braises parce qu'il faisait froid, comme il arrive parfois à l'équinoxe d'hiver en mars. En cela, Pierre n'a pas bien considéré ce qui est dit dans le psaume : Tu seras saint avec le saint. Le temps lui-même aussi était en accord avec la condition de son esprit, en lequel la charité s'était refroidie - La chanté de beaucoup se refroidira.

2311. Ici, Jésus est examiné par le grand prêtre. On expose d'abord l'interrogatoire, puis la réponse de Jésus [n° 2313], enfin la réprimande [d'un garde] à sa réponse [n° 2317].

2312. Deux choses étaient reprochées au Christ par les Juifs : d'une part une doctrine fausse et nouvelle - Quel est cet enseignement nouveau ? D'autre part, la sédition et le fait qu'il attirait les hommes à lui - Il remue les foules dans toute la Judée, commençant par la Galilée jusqu'ici. C'est pourquoi Anne l'interroge au sujet de ces deux choses. D'abord, certes, AU SUJET DE SES DISCIPLES qu'il semblait avoir séduits, puis au sujet DE SON ENSEIGNEMENT, en l'accusant de fausseté.

2313. Ici est exposée la réponse du Seigneur. D'abord il affirme le mode de son enseignement, puis il requiert le témoignage des autres [n° 2316]. À propos du premier point, il montre la manifestation de son enseignement, puis il l'explique [n° 2315].

2314. À cela on peut objecter que plus haut il a dit : Elle vient, l'heure où je ne vous parlerai plus en proverbes, mais où je vous parlerai ouvertement de mon Père. Si donc il n'avait pas encore parlé ouvertement aux disciples, comment a-t-il parlé au monde ouvertement ? Réponse : il faut dire qu'il ne parlait pas encore ouvertement aux disciples parce qu'il leur proposait des maximes excellentes, mais qu'il parla au monde ouvertement parce qu'il prêchait publiquement à tous.

2315. Il explique donc cela en disant : J'AI TOUJOURS ENSEIGNÉ DANS LA SYNAGOGUE ET DANS LE TEMPLE, OÙ TOUS LES JUIFS SE RASSEMBLENT, ET JE N'AI RIEN DIT

EN SECRET. On objectera qu'en Matthieuil est dit que Jésus enseignait à ses disciples, à part, beaucoup de choses sans paraboles. À cela, il y a trois réponses. L'une est que ce qu'il disait aux douze disciples n'était pas considéré comme dit d'une manière cachée. La deuxième, qu'il ne donnait pas ces choses aux disciples avec l'intention de les cacher, mais de les publier - Ce que vous entendez au creux de l'oreille, prêchez-le sur les toits. La troisième réponse est que, s'il se trouve une certaine vigueur dans sa parole, c'est parce que le Seigneur parle ici de l'enseignement qu'il livrait au peuple, enseignement qu'il n'a pas proposé à des petits groupes, mais qu'il a donné dans des lieux publics -J'ai annoncé ta justice dans la grande assemblée. - Je n'ai pas parlé dans le secret, en un lieu ténébreux de la terre.

2316. Le Christ réclame ici le témoignage des autres. D'abord il le renvoie au témoignage des autres ; puis il montre ceux dont il requiert le témoignage ; enfin, il donne la raison de ces choses. À propos du premier point, il dit : « POURQUOI M'INTERROGES-TU ? », comme pour dire : tu peux savoir cela par d'autres. C'est pourquoi - et c'est le second point - il ajoute : « INTERROGE CEUX QUI ONT ENTENDU. » Car, comme il est dit en Matthieu, Ils envoyèrent des hommes à Jésus pour qu'ils l'observent et le prennent dans sa parole, mais ces hommes ne purent rien trouver contre lui. Et c'est pourquoi il renvoie le grand prêtre à eux. Et il ajoute la raison de cela : « C'EST EUX QUI SAVENT CE QUE MOI J'AI DIT », donc ils peuvent témoigner de ces choses.

2317. Après la réponse du Seigneur, l'Évangéliste rapporte ici le blâme de cette réponse ; d'abord le blâme du serviteur, puis la justification du Seigneur [n° 2320].

2318. Le serviteur blâme la réponse du Seigneur d'abord par un geste, en lui faisant l'affront de lui donner une gifle. C'est pourquoi l'Évangéliste dit : QUAND IL, Jésus, EUT DIT CELA, L'UN DES SERVITEURS QUI SE TENAIT LÀ, c'est-à-dire un des serviteurs du grand prêtre, LUI DONNA UNE GIFLE. Ce qui n'arriva certes pas par hasard, mais avait été prophétisé longtemps auparavant et à plusieurs reprises : J'ai livré mon corps à ceux qui me frappaient et mes joues à ceux qui m'arrachaient la barbe. - II tendra la joue à qui le frappe (...) - A coups de verge ils frapperont la joue du juge d'Israël. En second lieu, il le blâme par une parole en disant : C'EST AINSI QUE TU RÉPONDS AU GRAND PRÊTRE ?, où il est donné à entendre qu'Anne était grand prêtre et que Jésus n'avait pas encore été envoyé à Caïphe. C'est pourquoi Luc fait mention de ces deux grands prêtres : Sous les pontificats, dit-il, des grands prêtres Anne et Caïphe. Et si on parle de deux grands prêtres, c'est parce qu'ils revendiquaient à tour de rôle le pontificat pour eux-mêmes ; mais cette année-là, Caïphe était le prince des prêtres.

2319. Le serviteur fut poussé à frapper Jésus du fait qu'il avait fait appel au témoignage de ses auditeurs. Or plus haut, alors que les grands prêtres avaient envoyé des serviteurs pour l'appréhender, ceux-ci, saisis par les paroles de Jésus, revinrent en disant que jamais un homme n'avait parlé comme cet homme. Voulant donc ici se justifier en montrant qu'il n'était pas de ceux-là, le serviteur le frappa, en conjecturant que le Christ avait mal répondu au grand prêtre. En effet, en disant : Pourquoi m'interroges-tu ?, il semblait avoir blâmé le grand prêtre par une interrogation imprudente, alors qu'il est écrit : Ne maudis pas le chef de ton peuple.

2320. Ensuite, Jésus se justifie avec raison quand il dit : SI J'AI MAL PARLÉ en répondant au grand prêtre, PORTE TÉMOIGNAGE AU SUJET DU MA1. Autrement dit : si, à partir des paroles que j'ai prononcées, tu as quelque chose que tu puisses me reprocher, montre ce que j'aurais dit de ma1. Car c'est sur la parole de deux ou trois témoins que tout fait sera établi. MAIS SI J'AI BIEN PARLÉ, c'est-à-dire si tu ne peux pas montrer cela, POURQUOI ME FRAPPES-TU ?, autrement dit : Pourquoi te déchaînes-tu contre moi ?

Cela peut aussi se rapporter à ce qu'il a dit plus haut : Interroge ceux qui ont entendu ce que je leur ai dit, et le sens est alors celui-ci : SI J'AI MAL PARLÉ, dans la synagogue et dans le temple, ce que je n'aurais pas dû faire, PORTE TÉMOIGNAGE AU SUJET DU MAL, donc de ce que j'ai dit, en face du prince des prêtres. Mais cela, le serviteur n'aurait pas pu le montrer, car il n'a pas commis le péché. - Qui d'entre vous me convaincra de péché ? MAIS SI J'AI BIEN PARLÉ, c'est-à-dire enseigné, POURQUOI ME FRAPPES-TU ? Autrement dit, c'est injuste - Le mal se rend-il pour le bien, qu'ils creusent une fosse pour mon âme ?

2321. Mais il y a ici une question, parce que le Seigneur a prescrit à ses disciples : Si quelqu'un te frappe sur la joue droite, présente-lui encore l'autre, et Luc parle de ce que Jésus a fait et enseigné. Il aurait donc dû faire ce qu'il a enseigné. Mais cela, il ne l'a pas fait ; bien plus, il semble avoir fait le contraire, il a protesté. À cela il faut répondre, selon Augustin, que les paroles et les préceptes de l'Écriture Sainte peuvent être interprétés et compris à partir des actions des saints, puisque ceux-ci agissent sous la motion du même Esprit Saint qui a inspiré les Prophètes et les autres auteurs de l'Écriture Sainte. En effet, comme le dit Pierre, c'est inspirés par l'Esprit Saint que les saints hommes de Dieu ont parlé ; et Paul : Ceux qui sont mus par l'Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu. Ainsi, l'Écriture Sainte doit être comprise telle que le Christ et les autres saints l'ont gardée. Or le Christ n'a pas présenté l'autre joue au serviteur, et Paul non plus . Il ne faut donc pas comprendre que le Christ avait ordonné que l'on tendît au sens littéral, matériellement, l'autre joue à celui qui en frappe une. Mais il faut comprendre que l'âme doit se préparer afin que, si cela était nécessaire, elle soit dans une disposition telle qu'elle ne s'émeuve pas contre celui qui frappe, mais soit prête à supporter quelque chose de semblable et même davantage. Et cela, le Seigneur l'a observé, lui qui a livré son corps à la mort. Ainsi la protestation du Seigneur fut utile à notre instruction.

2322. On montre ici comment Jésus est envoyé par le grand prêtre à l'autre grand prêtre. D'abord on expose l'envoi, puis on achève le récit du reniement de Pierre [n° 2324].

2323. Il dit donc : ET ANNE L'ENVOYA, LIÉ, AU GRAND PRÊTRE CAÏPHE, à qui il était conduit dès le début ; la cause pour laquelle Anne l'avait d'abord mis à l'écart a été dite plus haut [n° 2296]. Mais soyons attentifs à sa fourberie. En effet, alors qu'il aurait dû relâcher Jésus, vu qu'il était sans faute, il l'a cependant envoyé ligoté à Caïphe.

2324. On traite ici du second, puis du troisième reniement de Pierre, en affirmant d'abord l'occasion du reniement, puis le double reniement de Pierre [n° 2326], et enfin l'accomplissement du signe des paroles du Christ [n° 2327].

2325. L'occasion du second reniement de Pierre fut qu'il s'attarda avec les serviteurs du grand prêtre qui se tenaient auprès du feu. Car, selon Chrysostome, alors que le Christ s'éloignait vers Caïphe, Pierre resta encore avec les serviteurs. En effet il avait, après son [premier] reniement, été absorbé par le péché à tel point que, lui qui auparavant était plein d'ardeur, semblait maintenant ne plus se soucier du Christ - J'ai prêté attention et j'ai écouté (...). Personne ne fait pénitence pour son péché en disant : « Qu'ai-je fait ? » C'est pourquoi l'Évangéliste dit : OR SIMON-PIERRE SE TENAIT LÀ ET SE CHAUFFAIT, bien que le Christ se fût éloigné de là, et il ne se souvenait pas de ce que dit le psaume : Bienheureux l'homme qui ne va pas au conseil des impies et ne se tient pas sur le chemin des pécheurs. Mais on ne peut pas s'arrêter à cette interprétation, parce qu'alors il s'ensuivrait que le second et le troisième reniements auraient eu lieu en l'absence du Christ, ce qui va contre ce que dit Luc : après le troisième reniement de Pierre, le Seigneur, s'étant retourné, regarda Pierre. C'est pourquoi Augustin, expliquant cela autrement, dit que l'Évangéliste, selon son habitude, parle par récapitulation, pour montrer la continuation et l'ordre de la réalité. Il avait dit en effet plus haut que les serviteurs se tenaient là et que Pierre se tenait avec eux et se chauffait, après quoi il a exposé l'interrogatoire du Christ par le grand prêtre [Anne], et pour enchaîner il reprend presque les mêmes paroles en disant : OR SIMON-PIERRE SE TENAIT LÀ ET SE CHAUFFAIT, c'est-à-dire avant que le Christ ait été envoyé à Caïphe.

2326. On rapporte ensuite le deuxième et le troisième reniements de Pierre, et à propos de l'un et l'autre deux choses sont rapportées : l'occasion du reniement (l'interrogation) et le reniement lui-même. Mais ici surgissent deux questions littérales. Car Matthieu, parlant du second reniement, dit : Comme il sortait vers le portail, une autre servante le vit et dit à ceux qui étaient là : celui-ci aussi était avec Jésus le Nazaréen. Et de nouveau, il nia en jurant. Il semble donc y avoir ici deux contradictions. D'abord, parce que Jean a dit que Pierre nia alors qu'il se tenait auprès du feu, et Matthieu alors qu'il sortait de la maison. Autre contradiction : selon Matthieu, Pierre est interrogé par « une autre servante » et, selon Jean, il est interrogé par d'autres, à savoir plusieurs : ILS LUI DIRENT DONC... À cela il faut répondre que la première fois où Pierre nia, il se leva et sortit par la porte et que, au moment où il sortait, une autre servante l'interrogea ou bien dit aux autres qu'il était « de ceux-là », comme le rapporte Matthieu. Et c'est ainsi qu'il nia une seconde fois. Après quoi, Pierre revint pour se disculper aussi de cela et s'assit avec les autres, et, alors qu'il était assis là, les autres qui avaient entendu la servante l'interrogèrent de nouveau, comme le dit Matthieu. Ou bien d'abord un seul, puis beaucoup d'autres, comme il est dit ici. Et c'est ainsi qu'il nia une troisième fois. C'est pourquoi on ajoute, au sujet du troisième reniement : UN DES SERVITEURS DU GRAND PRÊTRE, PARENT DE CELUI À QUI PIERRE AVAIT COUPÉ L'OREILLE... Ce troisième a rendu témoignage parce qu'il l'a vu : « NE T'AI-JE PAS VU DANS LE JARDIN AVEC LUI ? » Et DE NOUVEAU, un intervalle d'une heure s'étant écoulé, PIERRE NIA, pour la troisième fois. Peu importe que les autres évangélistes disent que la troisième interrogation a été posée par plusieurs et que Jean dise qu'elle a été posée par un seu1. En effet, il a pu se faire que celui qui était le plus sûr de lui ait interrogé et incité les autres à interroger. Car, concernant ces paroles, beaucoup de choses ont été dites par ceux qui y ont assisté, et un évangéliste en rappelle une et un autre en rappelle une autre, parce que leur intention principale ne porte pas là-dessus ; elle est plutôt de rappeler les paroles de Pierre et de montrer la vérité de ce que le Seigneur avait dit à Pierre. C'est pourquoi tous se rejoignent dans les paroles de Pierre.

2327. Il s'agit ensuite du signe qui rappelle [ce qu'avait annoncé] le Christ, ET AUSSITÔT, UN COQ CHANTA, mû par la puissance divine, pour que fût accomplie la prédiction du médecin et confondue la présomption du malade.

III – COMMENT LE CHRIST EST ACCUSE PAR LES CHEFS DU PEUPLE AUPRÈS DU GOUVERNEUR

2328. On traite ici de la remise du Christ aux Gentils. L'Évangéliste rapporte d'abord comment il a été remis au gouverneur ; puis comment sa cause est examinée par le gouverneur [n° 2335] ; enfin, comment son innocence est proclamée [n° 2366].

À propos du premier point, il fait trois choses : il décrit d'abord où eut lieu cette remise du Christ aux Gentils, puis le temps [n° 2330], et enfin le mode [n° 2331].

2329. Le lieu est le PRÉTOIRE, qui est le lieu du jugement. C'est pourquoi, dans l'armée, on avait l'habitude d'appeler « prétoire » le lieu où était la tente du chef ; de là vient qu'ici on appelle « prétoire » la maison du gouverneur. Mais comment Jésus est-il conduit à Caïphe dans le prétoire ? À cela il faut répondre qu'on pourrait dire que Caïphe les avait précédés dans la maison de Pilate pour l'informer du fait que Jésus allait lui être présenté. Dans ce cas, c'est au moment où Caïphe sortait de chez Pilate pour se rendre avec lui au prétoire, que Jésus fut remis à Pilate. Ou bien on peut dire que, Caïphe étant prince des prêtres, il avait des demeures spacieuses, si bien que dans une de leurs parties il pouvait même accueillir le gouverneur. Le sens est alors celui-ci : ILS AMÈNENT DONC JÉSUS à CAÏPHE, c'est-à-dire à sa maison, et cela AU PRÉTOIRE. Ou bien il faut dire, et là le texte grec est meilleur : ILS AMÈNENT DONC JÉSUS DE CHEZ CAÏPHE AU PRÉTOIRE ; ainsi, tout doute est enlevé.

2330. On indique ici le temps. En effet, la fourberie [de ceux qui avaient arrêté Jésus] était si grande qu'ils n'eurent aucun retard à livrer à Pilate celui qui devait être tué - « Malheur à vous qui (...) inventez le mal sur vos lits » : à la lumière du matin ils l'accomplissent, parce que leur main est contre Dieu. - L'homicide se lève de grand matin, il tue l'indigent et le pauvre. Mais à partir de là surgit une question grave. Car les trois autres évangélistes affirment que vers le début de la nuit le Seigneur fut flagellé dans la maison de Caïphe et examiné par lui - Dis-nous si tu es le Christ -, et que de grand matin il fut conduit à Pilate. Mais Jean dit qu'il fut conduit à Caïphe. Là il faut dire, si nous voulons garder notre texte, que Caïphe le vit d'abord quand il était dans la maison d'Anne, de nuit, et qu'alors Jésus put être interrogé par lui. Il reste encore un doute au sujet de ce qu'ils disent, qu'il fut flagellé dans la maison de Caïphe, mais cela est complètement résolu selon ce qu'il y a dans le grec, à savoir qu'ils l'amènent de chez Caïphe au prétoire ; parce qu'alors, selon ce texte, il fut amené de nuit de la maison d'Anne à la maison de Caïphe où il fut flagellé et interrogé, et le matin, il fut conduit de chez Caïphe au prétoire.

2331. Là est indiqué le mode de la remise du Christ aux Gentils. On signale d'abord leur vaine superstition, parce qu'ils n'entrèrent pas dans le prétoire ; en second lieu la déférence de Pilate à leur égard, puisqu'il sortit à leur rencontre. Mais sur ce que dit Jean quant au premier point, à savoir qu'ils n'entrèrent pas pour ne pas être souillés, un doute subsiste. En effet, les autres évangélistes disent que le Christ fut arrêté le soir du jour de la Cène, et c'était alors la Pâque - J'ai désiré d'un grand désir de manger cette Pâque avec vous avant de souffrir. Et que le lendemain, dès le matin, il fût conduit au prétoire. Comment donc Jean affirme-t-il ici : POUR (...) POUVOIR MANGER LA PÂQUE, puisque c'était le lendemain de la Pâque ? Devant cela, certains Grecs modernes disent que cela eut lieu le quatorzième jour après la nouvelle lune et qu'il fut crucifié le jour même où les Juifs célébraient la Pâque. Ils disent que le Christ devança la Pâque d'une journée, sachant que la mort était pour lui imminente, lors de la Pâque des Juifs ; c'est pourquoi il célébra la Pâque le soir du treizième jour après la nouvelle lune. Et ils disent cela parce qu'il était prescrit dans la Loi qu'à partir du quatorzième jour du premier mois jusqu'au vingt et unième jour du premier mois, on ne devait pas trouver de pain fermenté chez les Juifs. Aussi disent-ils que le Christ consacra son corps à partir de pain fermenté.

2332. Mais cela ne tient pas debout, pour deux raisons. D'abord parce qu'on ne trouve nulle part dans l'Ancien Testament qu'il soit permis à quelqu'un de devancer la célébration de la Pâque ; par contre, si on avait un empêchement, il était permis de la différer jusqu'au mois suivant, comme il est dit au livre des Nombres. Or le Christ n'a rien négligé des observances légales ; ils disent donc quelque chose de faux, ceux qui affirment qu'il a devancé la Pâque. En second lieu, cette interprétation ne tient pas puisqu'il est affirmé expressément en Marc que le Christ vint le jour des azymes, où il était nécessaire d'immoler la Pâque ; et Matthieu dit que le premier jour des azymes, les disciples s'approchèrent de Jésus en lui disant : « Où veux-tu que nous prépanons pour toi [ce qu'il faut] pour manger la Pâque ? » On ne doit donc pas dire que le Christ a devancé la Pâque.

2333. C'est pourquoi Chrysostome dit autrement, à savoir que le Christ, accomplissant la Loi en toutes choses, célébra la Pâque en son temps, à savoir le soir du quatorzième jour après la nouvelle lune ; mais que les Juifs étaient tellement déterminés à tuer le Christ qu'ils ne célébrèrent pas la Pâque à son jour, mais le jour suivant, à savoir le quinzième jour après la nouvelle lune. C'est pourquoi l’Évangéliste dit : POUR NE PAS ÊTRE SOUILLÉS MAIS POUVOIR MANGER LA PÂQUE, qu'ils avaient omise le jour précédent. Mais cela non plus ne tient pas, parce qu'il est dit dans les Nombres que si quelqu'un, à cause d'empêchements, ne peut pas célébrer la Pâque le quatorzième jour après la nouvelle lune du premier mois, il doit la célébrer, non pas le jour suivant, mais le quatorzième jour après la nouvelle lune du second mois.

2334. Il faut donc dire, selon Jérôme, Augustin et d'autres docteurs latins, que le quatorzième jour après la nouvelle lune est le début de la solennité ; et ce n'est pas seulement le soir qu'on appelle la Pâque, c'est toute la durée des sept jours durant lesquels on mangeait des azymes, qui devaient être mangés par les purs. C'est pourquoi les Juifs, qui auraient contracté une impureté en entrant dans le prétoire d'un juge étranger, n'y entrèrent pas, POUR NE PAS ÊTRE SOUILLÉS MAIS POUVOIR MANGER LA PÂQUE, c'est à dire les pains azymes. Mais soyons attentifs à leur aveuglement impie, parce qu'ils craignaient d'être contaminés par un Gentil, un homme païen, alors que le sang de [celui qui était] Dieu et homme, ils ne craignaient pas de le répandre - Tes bâtisseurs vinrent pour te détruire, dévastant ils s'éloignent de toi.

B. PILATE EXAMINE SA CAUSE

2335. L'Évangéliste montre ensuite la déférence de Pilate à l'égard des serviteurs du grand prêtre en disant : PILATE SORTIT DONC VERS EUX AU-DEHORS ; et comment, recevant d'eux le Christ offert (oblatum), il dit : « QUELLE ACCUSATION PORTEZ-VOUS CONTRE CET HOMME ? » II s'agit donc de l'examen du Christ, qui va être d'abord examiné par Pilate en face des accusateurs, et ensuite en privé [n° 2343].

À propos du premier point, l'Évangéliste expose d'abord l'examen de Pilate, puis sa concession faite avec libéralité [n° 2338].

2336. Ici commence l'examen de Pilate, [une interrogation] suivie de la réponse pleine de malice des Juifs. Pilate, voyant Jésus ligoté et conduit par tant de monde pour être condamné, dit : « QUELLE ACCUSATION PORTEZ-VOUS CONTRE CET HOMME ? » ILS RÉPONDIRENT ET LUI DIRENT : « SI CE N'ÉTAIT PAS UN MALFAITEUR, NOUS NE TE L'AURIONS PAS LIVRÉ. » Autrement dit : « Nous, nous l'avons examiné et nous te le livrons déjà condamné, comme un homme qu'il faut punir » - comme si leur jugement suffisait à Pilate. Mais en disant qu'il est un malfaiteur ils mentent, parce qu'il est passé en faisant le bien et en guérissant tous ceux qui étaient opprimés par le diable. Cela, ils le font selon cette parole du psaume : Ils me rendaient le mal pour le bien.

2337. Il est dit en Luc qu'ils chargeaient le Christ de nombreux crimes - Il sème le trouble dans le peuple en enseignant dans toute la Judée, depuis la Galilée jusqu'ici. Mais là [ils ne l'accusent] de rien. À cela je réponds que les Juifs ont alors dit beaucoup de paroles à Pilate, comme le dit Augustin, mais que peut-être il y eut d'abord ce que Jean montre ici, et ensuite ce que dit Luc.

2338. Ensuite, on expose la concession que Pilate fit avec libéralité. D'abord cette concession, puis la récusation des Juifs [n° 2340], enfin la raison de cette récusation [n° 2342].

2339. Pilate dit donc : « PRENEZ-LE, VOUS, ET JUGEZ-LE SELON VOTRE LOI », soit en voulant leur accorder une grâce - comme Festus a dit à Paul : Veux-tu monter à Jérusalem pour y être jugé là-dessus en ma présence ? -, soit en les accusant car, selon lui, ils avaient eux-mêmes examiné et condamné le Christ, et c'est pourquoi il voulait que ceux qui l'avaient jugé comme un malfaiteur rendent la sentence. Parce que, comme il est dit dans les Actes des Apôtres, les Romains n'ont pas coutume de condamner un homme avant que l'accusé ait été mis en présence de ses accusateurs et ait reçu le moyen de se défendre pour être lavé des fautes [dont on l'accuse]. Le sens [de la phrase de Pilate] est alors celui-ci : Vous demandez notre jugement, mais PRENEZ-LE, VOUS, ET JUGEZ-LE SELON VOTRE LOI, moi je ne veux en aucune manière qu'on fasse de moi un tel juge.

2340. La récusation des Juifs est exposée aussitôt après. Mais il est dit dans l'Exode : Tu ne laisseras pas vivre les sorciers ; or ils considéraient Jésus comme un sorcier. Mais, selon Augustin, ils disent : IL NE NOUS EST PAS PERMIS DE TUER QUELQU'UN un jour de fête, mais un autre jour, oui. Ou bien, selon Chrysostome , les Juifs avait perdu beaucoup de pouvoir, parce que le jugement sur le péché d'ordre politique ne leur appartenait pas ; or ils avaient surtout l'intention de le condamner pour ce qui était contre l'État - Quiconque se fait roi s'oppose à César. C'est pourquoi ils disent : « IL NE NOUS EST PAS PERMIS DE TUER QUELQU'UN », c'est-à-dire celui qui agit contre l'État, alors que cela leur était permis pour un péché contre la Loi, dont le jugement leur était réservé. Ou bien il faut dire, autrement, que quelque chose n'est pas permis à quelqu'un soit parce que cela est défendu par la loi divine - et en ce sens cela ne leur était pas défendu -, soit parce que cela leur était défendu par une loi humaine - et en ce sens il ne leur était pas permis de tuer quelqu'un parce que ce pouvoir était détenu par le gouverneur.

2341. Là il reste une question, parce qu'ils ont lapidé Etienne. Mais à cela Chrysostome répond qu'aux Juifs les Romains avaient permis d'utiliser leurs propres lois ; et la peine de la lapidation, parce qu'elle était infligée par la Loi, leur avait été concédée par les Romains. Mais dans la Loi, la mort de la croix était un opprobre - Maudit soit celui qui est pendu au bois -, et c'est pourquoi ils n'avaient pas maintenu ce genre de mort. Or les Juifs, en raison de leur malice, n'étaient pas satisfaits de pouvoir lapider le Christ : ils voulaient le condamner à la mort la plus ignominieuse, comme il est dit au livre de la Sagesse. Et c'est pourquoi ils disent maintenant : « IL NE NOUS EST PAS PERMIS DE TUER QUELQU'UN », c'est-à-dire de la mort de la croix. Ou bien il faut dire qu'Etienne fut lapidé lors d'un changement de magistrature, où beaucoup de choses illicites sont usurpées, qui ne se feraient pas tant que dure le pouvoir.

2342. L'Évangéliste ajoute la raison de leur récusation. Le « pour » ne se réfère pas à l'intention des Juifs, mais à la disposition de la divine Providence. Jésus a dit en effet qu'il devait être tué par les païens et crucifié, mais en ayant été livré par les Juifs. Et c'est pourquoi, pour que cela fut accompli, ils ne voulurent pas le juger ni le tuer eux-mêmes.

b) Comment Pilate examine le Christ chez lui.

2343. Plus haut a été exposé l'examen du Christ par Pilate face à ses accusateurs ; ici, l'Évangéliste montre comment Pilate a examiné le Christ chez lui. Il traite d'abord de l'interrogation de Pilate qui examine, puis de la réponse du Christ examiné [n° 2349].

Pilate interroge Jésus.

À propos du premier point, l'Évangéliste fait deux choses : d'abord il expose l'interrogation de Pilate, puis la cause de l'interrogation, à savoir l'examen [n° 2346].

2344. À propos du premier point, il faut savoir que Pilate, comme un juste juge, et traitant toutes choses avec soin, n'a pas acquiescé tout de suite à l'accusation du grand prêtre - Tu ne suivras pas la foule pour faire le mal, et dans un jugement tu n'acquiesceras pas à la sentence du plus grand nombre de sorte que tu dévies de ce qui est vrai. Mais il entra DE NOUVEAU DANS LE PRÉTOIRE, APPELA JÉSUS, c'est-à-dire à part, parce qu'il avait une grande suspicion à son sujet. C'est pourquoi il appela à lui le Christ, pour scruter toutes choses avec plus de soin et pour que le Christ, éloigné du tumulte des Juifs, répondît plus tranquillement - La cause que j'ignorais, je Vétudiais avec grande attention.

2345. Il lui dit alors : « ES-TU LE ROI DES JUIFS ? » D'où il est évident, comme le rapporte Luc, que les Juifs lui ont imputé ce crime, bien que Jean dise seulement : Si ce n'était pas un malfaiteur, nous ne te l'aurions pas livré, et qu'ils lui en reprochèrent beaucoup d'autres. Mais celui-ci toucha davantage le cœur de Pilate, et c'est pourquoi il l'interroge sur ce seul point - C'est de l'abondance du cœur que parle la bouche.

2346. Ensuite est exposé l'examen de l'interrogation ; l'Évangéliste rapporte d'abord l'interrogation du Christ, puis la réponse de Pilate [n° 2348].

2347. Il dit donc d'abord que Jésus, inversant l'interrogation, RÉPONDIT : « DIS-TU CELA DE TOI-MÊME, OU BIEN D'AUTRES TE L'ONT-ILS DIT DE MOI ? » II faut savoir ici que l'homme interroge pour deux causes : parfois pour connaître une réalité qu'auparavant il ignorait - et c'est ainsi que le disciple interroge le maître ; et parfois, au sujet d'une réalité connue, pour connaître la réponse au sujet de laquelle il interroge - et c'est ainsi que le maître interroge le disciple. Mais le Seigneur connaissait à la fois ce sur quoi il interrogeait et ce qu'on allait lui répondre. C'est pourquoi il n'interrogeait pas comme par ignorance, parce que toutes choses sont nues et à découvert devant ses yeux ; mais il interroge pour que nous sachions quelle opinion avaient de sa royauté les Juifs et les Gentils, et qu'en même temps nous soyons instruits de cette royauté.

2348. L'Évangéliste expose ensuite la réponse de Pilate : « EST-CE QUE JE SUIS JUIF, MOI ? » Mais pourquoi répond-il ainsi ? De toute évidence, c'est parce que le Seigneur lui avait demandé s'il avait dit cela de lui-même. Et c'est pourquoi Pilate montre que ce n'était pas à lui qu'il appartenait de chercher s'il était le roi des Juifs, mais plutôt aux Juifs dont il se disait roi, donnant par là à entendre que cela lui avait été dit par d'autres. Et c'est pourquoi Pilate ajoute : « TON PEUPLE ET TES GRANDS PRÊTRES T'ONT LIVRÉ À MOI » en lançant cette accusation contre toi. Et il dit : TON PEUPLE, parce que, dans son humanité, Jésus était né des Juifs - J'ai entendu en effet les outrages d'un grand nombre et la terreur tout autour de moi : « Poursuivez-le, et nous le poursuivrons » ; j'ai entendu aussi de tous les hommes qui vivaient en paix avec moi, et qui se tenaient à mes côtés : « Si en quelque manière il était trompé, et que nous prévalions contre lui, et que nous tirions vengeance de lui. » - Le fils fait outrage à son père, et la fille s'élève contre sa mère, la belle-fille contre sa belle-mère ; les ennemis de l'homme sont ses serviteurs. Et s'il est dit TES GRANDS PRÊTRES, c'est parce que plus ils étaient grands dans le pouvoir, plus ils étaient puissants dans le crime - La main des pnnces et des magistrats fut la première dans cette transgression. - J'irai vers les grands et je leur parlerai : car ils ont connu les voies du Seigneur et le jugement de leur Dieu ; et voilà que, de plus, tous ensemble ont brisé le joug, ont rompu leurs liens. Si donc ils t'ont livré à moi, QU'AS-TU FAIT ? - autrement dit : il n'est pas croyable qu'ils t'aient livré à moi si ce n'est pas pour une cause grave.

La réponse du Christ.

2349. Ici nous est donnée la réponse du Christ. D'abord il écarte la fausseté du soupçon concernant son royaume, puis il établit la vérité [n° 2355]. À propos du premier point, il rejette d'abord le faux soupçon, puis il apporte comme preuve un signe [n° 2352].

2350. Il écarte le faux soupçon en disant : « MON ROYAUME N'EST PAS DE CE MONDE ». Comprenant mal cela, les manichéens disaient qu'il existe deux dieux et deux royaumes : un dieu bon, qui a son royaume dans la région de la lumière, et un dieu mauvais, qui a son royaume dans la région des ténèbres. Et ils disaient que cette dernière, c'est ce monde, parce que, selon eux, toutes les réalités corporelles étaient des ténèbres. Selon cette interprétation, MON ROYAUME N'EST PAS DE CE MONDE signifie que Dieu le Père, qui est bon, et moi, nous n'avons pas de royaume dans la région des ténèbres. Mais contre cela il dit dans le psaume : Dieu est le roi de toute la terre ; et encore : Tout ce qu'il a voulu, Dieu l'a fait, dans le ciel et sur la terre. C'est pourquoi il faut dire que le Christ a dit cela à cause de Pilate qui croyait que le Christ ambitionnait de posséder un royaume terrestre sur lequel il régnerait de manière terrestre (corporaliter), tout comme les hommes terrestres ; et pour cela, parce qu'il cherchait à avoir un royaume illicite, il devait être puni de mort.

2351. Or il faut savoir qu'on appelle « royaume » (regnum) tantôt le peuple sur qui on règne, tantôt le pouvoir royal lui-même [la royauté]. Prenant le terme « royaume » selon la première manière de le comprendre, Augustin dit que MON ROYAUME, c'est-à-dire ceux qui croient en moi - II a fait de nous pour notre Dieu un royaume et des prêtres ; et nous régnerons sur la terre -, N'EST PAS DE CE MONDE. Il ne dit pas : « n'est pas dans ce monde », alors qu'il est dit plus haut : Eux sont dans le monde, mais N'EST PAS DE CE MONDE par l'amour et l'imitation, étant arraché à ce monde par l'élection de la grâce. C'est ainsi, en effet, que Dieu nous a arrachés au pouvoir des ténèbres et transportés dans le royaume de son amour (caritatis).

Chrysostome explique en prenant « royaume » au second sens [ma royauté] et dit : MON ROYAUME, c'est-à-dire mon pouvoir et l'autorité par laquelle je suis roi, N'EST PAS DE CE MONDE, c'est-à-dire ne tient pas son origine de causes mondaines et du choix des hommes, mais d'ailleurs, c'est-à-dire du Père lui-même - Son pouvoir est un pouvoir éternel qui ne sera pas enlevé et son règne, un règne qui ne se corrompra pas.

2352. Ici, le Seigneur apporte l'évidence d'un signe pour prouver que son royaume n'est pas de ce monde. D'abord il donne le signe, puis il conclut ce qui était son intention [n° 2354].

2353. À propos du premier point, il faut savoir qu'il est nécessaire à celui qui possède un royaume terrestre, que ce soit d'une manière juste ou par la violence, d'avoir des associés et des hommes à son service (ministros) par lesquels il soit soutenu dans le pouvoir. La raison en est qu'il n'est pas puissant par lui-même mais par ses serviteurs - II y eut une longue guerre entre la maison de Saül et celle de David : David avançait, et toujours plus fort, alors que la maison de Saül s'affaiblissait de jour en jour. Mais un roi « d'en haut » (supernus), parce qu'il est puissant par lui-même, donne la puissance à ses serviteurs (servis) ; il n'a donc pas besoin de serviteurs (ministros) pour son royaume. C'est pourquoi le Christ dit que son royaume n'est pas de ce monde ; car SI MON ROYAUME ÉTAIT DE CE MONDE, MES SERVITEURS AURAIENT COMBATTU POUR QUE JE NE SOIS PAS LIVRÉ AUX JUIFS. De là vient que Pierre, voulant combattre pour le Christ, ne se rendait pas compte que son royaume n'était pas de ce monde, comme on l'a vu plus haut. Le Seigneur avait cependant d'autres serviteurs, à savoir les anges, qui auraient pu l'arracher aux mains des Juifs. Mais le Seigneur ne voulut pas être arraché - Ne puis-je pas faire appel à mon Père, qui me fournirait sur-le-champ plus de douze légions d'anges ?

2354. Parce qu'il ne cherche pas de tels serviteurs (ministros), il conclut que son royaume N'EST PAS D'ICI, c'est-à-dire qu'il ne tient pas son principe de ce monde. Il est cependant ici, puisqu'il est partout - Il s'étend avec force d'une extrémité du monde à Vautre et dispose tout avec douceur. - Demande-moi et je te donnerai les nations en héritage, et pour domaine les limites de la terre. - Il lui a donné le pouvoir, l'honneur et le royaume ; et tous les peuples, les tribus et les langues le serviront.

2355. Le Seigneur manifeste ici la vérité concernant ce qu'est son royaume. On expose d'abord l'occasion de la manifestation, puis la manifestation elle-même [n° 2357], enfin l'effet de la manifestation [n° 2364].

2356. À propos du premier point, il faut savoir que Pilate, à partir des paroles susdites du Seigneur, comprenant ce royaume comme matériel et loin de ses frontières - L'homme naturel ne perçoit pas ce qui est de l'Esprit de Dieu -, haletait [dans son désir] de connaître la vérité, et c'est pourquoi il s'enquiert en disant : « DONC, TU ES ROI ? », c'est-à-dire aussi Seigneur.

2357. Là, il confesse d'abord qu'il est roi ; puis il montre la raison de sa royauté [n° 2359] ; enfin, il donne à entendre sur qui il règne [n° 2361].

2358. À propos du premier point, il faut savoir que le Seigneur, répondant à la question au sujet de sa royauté, a tempéré sa réponse de telle sorte qu'il ne déclare pas ouvertement qu'il est roi, puisqu'il n'est pas roi à la manière dont Pilate le comprenait, et qu'il ne le nie pas non plus, puisqu'il est spirituellement Roi des rois. Il dit donc : « C'EST TOI QUI DIS QUE JE SUIS ROI », c'est-à-dire charnellement, mode selon lequel je ne suis pas roi ; mais moi je suis roi d'une autre manière - Voici que le roi régnera dans la justice.

2359. Le Christ montre le mode et la raison de sa royauté, ce qui s'explique de deux façons. D'une première manière, selon Augustin, en ce sens que le royaume du Christ sont ceux qui croient en lui, comme on l'a dit plus haut. Ainsi, le Christ règne sur les croyants. Et il est venu dans le monde pour que, rassemblant avec lui les croyants, il acquière pour lui un royaume comme Y homme noble qui s'en alla dans une région lointaine pour prendre possession d'un royaume. Le sens est alors celui-ci : MOI, JE SUIS NÉ, c'est-à-dire d'une naissance charnelle, (...) POUR CECI... Et il l'explique en disant : ET JE SUIS VENU DANS LE MONDE en naissant charnellement ; c'est ainsi en effet qu'il est venu, engendré d'une femme - Dieu a envoyé son Fils dans le monde -, POUR CECI – RENDRE TÉMOIGNAGE À LA VÉRITÉ, c'est-à-dire à moi, qui suis la Venté. - Et si je me rends témoignage à moi-même, mon témoignage est vrai. Et c'est dans la mesure où je manifeste que je suis la vérité, que je me prépare un royaume. En effet, cela ne peut se faire que par la manifestation de la vérité, manifestation qui ne pouvait se réaliser que par moi qui suis la Lumière - L'unique engendré, qui est dans le sein du Père, lui l'a révélé. - Ces choses qui ont commencé d'être révélées par le Seigneur (...) .

2360. Chrysostome explique cela d'une autre manière : « Tu demandes si je suis roi ; et moi je te dis que oui. Mais par un pouvoir divin, parce que c'est POUR CECI que JE SUIS NÉ du Père, d'une nativité éternelle, comme Dieu de Dieu, et de même Roi de Roi » - comme dit le psaume : Moi j'ai été établi roi par lui ; et un peu plus loin : Moi, aujourd'hui, je t'ai engendré. Mais ce que le Christ ajoute - ET JE SUIS VENU DANS LE MONDE POUR CECI - n'est pas donné comme une explication, mais doit s'entendre de la nativité temporelle, comme s'il disait : « Bien que je sois un roi éternel, cependant JE SUIS VENU DANS LE MONDE POUR CECI – RENDRE TÉMOIGNAGE À LA VÉRITÉ, c'est-à-dire du fait que je suis roi par Dieu le Père. »

2361. Ici, il montre sur qui il règne. Là, il faut noter que plus haut il s'est dit pasteur et qu'il appelle « brebis » ceux qui lui sont soumis, et c'est la même chose que ce qu'il dit ici : il se dit roi et appelle « royaume » ceux qui lui sont soumis. Car le rapport du roi aux sujets (subditos) et du pasteur aux brebis est le même : comme le pasteur fait paître les brebis - N'est-ce pas les troupeaux que les pasteurs font paître ? -, de même aussi le roi est le soutien de ses sujets. Et entre autres le Christ a dit spécialement : Mes brebis écoutent ma voix. C'est pourquoi ici il dit : « QUICONQUE EST DE LA VÉRITÉ ÉCOUTE MA VOIX », non seulement de l'extérieur, mais intérieurement en croyant et en aimant, et par l'œuvre à accomplir - Quiconque écoute le Père et s'est mis à son école vient à moi. Mais d'où vient à l'homme qu'il ÉCOUTE MA VOIX ? De ce qu'il EST DE LA VÉRITÉ, qui est Dieu.

2362. Mais alors, puisque tous sont de Dieu, tous sont de la vérité et écoutent sa voix ? À cela je réponds que certains sont de Dieu par la création, et de cette manière tous sont de Dieu. Mais d'autres sont de Dieu par l'amour et l'imitation. C'est pourquoi il est dit plus haut : Vous n'êtes pas de Dieu, c'est-à-dire selon l'amour (affectus), mais vous l'êtes par la création. Celui-là donc ÉCOUTE la VOIX en croyant et en aimant, qui EST DE LA VÉRITÉ, c'est-à-dire qui reçoit ce don d'aimer la vérité.

2363. Mais remarque qu'il ne dit pas : « quiconque écoute ma voix est de la vérité », parce qu'alors nous serions de la vérité parce que nous croyons. Alors que nous croyons parce que nous sommes de la vérité, c'est-à-dire en tant que nous recevons le don de Dieu par lequel nous croyons et aimons la vérité - C'est le don de Dieu. - II vous a été donné, non seulement de croire en lui, mais aussi de souffrir pour lui.

2364. L'Évangéliste rapporte ici l'effet de la réponse. Là il est donné à entendre que Pilate, ayant écarté l'idée d'un royaume terrestre et comprenant que le Christ est roi dans l'enseignement de la vérité, désire connaître la vérité et devenir membre de son royaume. C'est pourquoi il dit : « QU'EST-CE QUE LA VÉRITÉ ? », ne cherchant pas quelle est la définition de la vérité, mais ce qu'est la vérité par la puissance de laquelle il deviendrait membre de son royaume, donnant par là à entendre que la vérité était inconnue du monde et avait disparu de presque tous puisqu'ils étaient incrédules - La venté s'est corrompue sur les places. - Les vérités ont été diminuées par les fils des hommes. Mais Pilate n'a pas attendu la réponse.

°°

2365. Il faut donc, quant à cette question, savoir que nous trouvons dans l'Évangile deux vérités : l'une, incréée et créatrice (facientem), et celle-ci est le Christ - Moi, je suis le chemin, la vérité et la vie. L'autre, faite (factam) - La grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ. Or la vérité, selon sa raison propre, implique une proportion entre la réalité et l'intelligence (intellectus). Mais le rapport de l'intelligence à la réalité est de deux sortes : il y a d'une part l'Intelligence qui existe comme mesure des réalités, et il s'agit de Celui qui est cause des réalités ; et d'autre part l'intelligence qui est mesurée par la réalité, chez celui dont la connaissance est causée par la réalité. La vérité n'est donc pas dans l'intellect divin parce qu'il est adéquat aux réalités, mais parce que les réalités sont adéquates à l'intellect divin lui-même ; alors que la vérité est dans notre intelligence parce que celle-ci connaît les réalités telles qu'elles sont. Ainsi, la Vérité incréée, l'intellect divin, est une vérité qui n'est pas mesurée ni faite, mais une vérité qui mesure et qui fait une double vérité : l'une dans les réalités elles-mêmes, en tant qu'elle les fait être selon qu'elles sont dans l'intellect divin ; l'autre qu'elle fait dans nos âmes, et qui est une vérité seulement mesurée et non mesurante. Et de là vient que la vérité incréée de l'intellect divin est appropriée au Fils qui est la conception même de l'intellect divin et le Verbe de Dieu. En effet, la vérité suit la conception de l'intellect.

2366. On traite ici de la sentence de Pilate à l'égard du Christ ; d'abord Pilate déclare son innocence, puis il cherche à faire miséricorde [n° 2368].

2367. À propos du premier point il faut savoir que Pilate, comme le dit Augustin, voulait volontiers libérer le Christ, et comme il avait demandé au Christ : « QU'EST-CE QUE LA VÉRITÉ ? », il lui vint soudain à l'esprit comment, selon la coutume qui lui permettait de leur relâcher quelqu'un pour la Pâque, il pouvait libérer le Christ. Aussi, ne s'attendant absolument pas à leur réponse, il s'efforça d'obtenir cela ; et c'est pourquoi l'Évangéliste dit : ET QUAND IL EUT DIT CELA - Qu'est-ce que la vérité ? -, IL SORTIT DE NOUVEAU VERS LES JUIFS. Mais Chrysostome lit autrement ; il dit que quand le Christ EUT DIT CELA, Pilate entendait le tumulte des Juifs et, croyant qu'il pourrait le réprimer et ensuite entendre plus tranquillement la réponse à une question difficile, IL SORTIT DE NOUVEAU VERS LES JUIFS et, leur mettant devant les yeux l'innocence du Christ, il leur dit : MOI, JE NE TROUVE EN LUI AUCUNE CAUSE, c'est-à-dire de mort - Lui qui n'a pas commis le péché (...). Et si toutefois il y en avait une en lui, moi, à qui appartient le pouvoir, et principalement celui de juger de ce qui se fait contre le roi, je veux le libérer et l'acquitter.

2368. Là Pilate offre la libération du Christ, puis l'Évangéliste rapporte la réponse des Juifs [n°2370].

2369. Il faut savoir que Pilate, ou d'autres gouverneurs (praesides) des Romains, ont introduit cette coutume pour avoir la faveur du peuple. C'est pourquoi voulant, selon cette coutume, relâcher le Christ, il dit : « VOULEZ-VOUS DONC QUE JE VOUS RELÂCHE LE ROI DES JUIFS ? » II ne dit pas cela comme s'il l'avait trouvé coupable de régner sur les Juifs, mais pour amplifier leur malice, comme s'il disait : « Même s'il est le roi des Juifs, ce dont il ne vous appartient pas de juger, car cela relève de moi, cependant, si vous le voulez, je vous le relâche. »

2370. Mais les Juifs eux-mêmes CRIÈRENT TOUS DE NOUVEAU EN DISANT : « PAS LUI, MAIS BARABBAS ! » Et pour montrer la malice des Juifs, l'Évangéliste ajoute aussitôt le crime de celui dont ils demandaient la libération, en disant : OR BARABBAS ÉTAIT UN BRIGAND - Tes chefs infidèles sont les associés des voleurs. En cela s'accomplit cette parole de Jérémie : Mon héritage est devenu pour moi comme un lion dans la forêt. - Vous avez rejeté le saint et le juste et vous avez demandé qu'on vous accorde [la grâce d'Jun meurtrier·.

I – CE QUE LE CHRIST A SOUFFERT SPÉCIALEMENT DE LA PART DES GENTILS

2371. Plus haut, l'Évangéliste s'est attaché à exposer ce que le Christ a souffert de la part des Juifs ; ici, il s'attache à exposer ce qu'il a souffert spécialement de la part des Gentils : et il a souffert d'eux trois choses, selon qu'il l'avait lui-même annoncé : Il sera livré (...) aux Nations pour être bafoué, flagellé et crucifié.

L'Évangéliste traite donc d'abord de la flagellation du Christ, puis de la dérision qu'il a subie [n° 2374], et enfin de sa crucifixion [n° 2379].

LA FLAGELLATION DU CHRIST

2372. ALORS DONC, c'est-à-dire après la clameur de tous, PILATE PRIT JÉSUS ET LE FIT FLAGELLER, non certes de ses propres mains, mais par les soldats : et cela pour que les Juifs, satisfaits des outrages qu'on lui inflige, s'apaisent et renoncent à s'acharner jusqu'à sa mort. En effet, il est naturel que la colère se calme si elle voit celui contre lequel elle s'emporte humilié et puni, comme le dit le Philosophe. Cela, certes, est vrai de la colère qui cherche le préjudice du prochainavec mesure, mais non pas de la haine qui cherche à perdre entièrement celui qui est pris en haine - Ton ennemi (...) s'il trouve l'occasion, sera insatiable de ton sang. Or ceux-ci étaient mus par la haine contre le Christ, et c'est pourquoi la flagellation ne leur suffisait pas -J'ai été flagellé tout le jour. -J'ai donné mon corps à ceux qui me frappaient.

2373. Mais cette intention excuse-t-elle Pilate de la flagellation ?

Certes non, car aucune des choses qui sont mauvaises par elles-mêmes ne peut être rendue totalement bonne par une bonne intention. Or affliger un innocent, et surtout le Fils de Dieu, est mauvais par soi au plus haut point ; c'est pourquoi cela ne peut être excusé par aucune intention.

LA DÉRISION QUE SUBIT LE CHRIST

2374. Il s'agit ici de la dérision, premièrement quant aux faux honneurs qu'ils lui ont rendus ; deuxièmement quant aux véritables opprobres dont ils l'ont accablé [n° 2378].

A. LES FAUX HONNEURS

Ils lui rendaient de faux honneurs en l'appelant roi : par là ils faisaient allusion à l'accusation des Juifs, qui disaient que lui-même se faisait roi des Juifs. Et c'est pourquoi ils lui rendaient de trois manières l'honneur dû au roi, mais un faux honneur. D'abord quant à la couronne de dérision [n° 2375], ensuite quant au vêtement de dérision [n° 2376], enfin quant à leur salutation de dérision [n° 2377].

2375. Ils se moquent donc de lui quant à la couronne, parce que les rois avaient coutume d'être couronnés d'or - Une couronne d'or sur sa tête. Et de là vient qu'il est dit de lui dans un psaume : Tu as mis sur sa tête une couronne de pierres précieuses . Mais LES SOLDATS, TRESSANT UNE COURONNE D'ÉPINES, LA LUI MIRENT SUR LA TÊTE, c'est-à-dire la tête de celui qui est pour les siens une couronne de gloire - En ce jour-là le Seigneur des armées sera une couronne de gloire et un sceptre d'exultation pour le reste de son peuple. Et il convenait que ce fût une couronne d'épines, puisque par elles il a retiré les épines des péchés, qui nous percent par le remords de la conscience - Défrichez-vous une friche, et ne semez pas sur des épines -, et les épines des peines qui nous affligent - Elle te produira des épines et des chardons.

Mais cela a-t-il été fait par ordre du gouverneur ? Chrysostome dit que non, mais que les soldats, corrompus par l'argent, faisaient cela pour plaire aux Juifs. Augustin, lui, dit que cela a été fait sur un ordre ou avec la permission du gouverneur, c'est-à-dire pour assouvir davantage la haine des Juifs et le leur arracher plus facilement.

2376. En second lieu, ils se moquent de lui quant au vêtement.

ET [ILS] LE REVÊTIRENT D'UN VÊTEMENT DE POURPRE, qui était la marque de la dignité royale chez les Romains. C'est pourquoi il est dit au premier livre des Maccabées qu'au temps où dominaient les consuls romains, aucun n'utilisait de couronne ni de pourpre. Or, par le fait qu'ils le revêtirent de pourpre, s'accomplit ce passage d'Isaïe : Pourquoi donc ton vêtement est-il rouge et tes habits sont-ils comme les habits de ceux qui foulent au pressoir ? Par là est signifiée en même temps la passion des martyrs par laquelle tout le corps du Christ, c'est-à-dire l'Église, est rougi.

2377. En troisième lieu, ils se moquent de lui quant à leur salutation : venant vers lui, ils lui disaient : « SALUT, ROI DES JUIFS. » C'était alors la coutume, comme cela l'est encore maintenant, que les hommes allant auprès du roi le saluent - Chusai allant vers Absalom lui dit : « Salut, ô roi ; salut, ô roi ». Or au sens mystique, ils saluent le Christ avec dérision, ceux qui le confessent de leur bouche mais le renient par leurs actes - Ce ne sont pas tous ceux qui me disent : « Seigneur, Seigneur » qui entreront dans le royaume des cieux.

B. LES OPPROBRES

2378. Puis l'Évangéliste montre les opprobres qu'ils lui ont infligés en disant : ET ILS LUI DONNAIENT DES GIFLES, et cela pour montrer par cet acte même que c'était par dérision qu'ils lui rendaient un tel honneur - J'ai tendu mes joues à ceux qui arrachaient ma barbe. - Ils ont frappé la joue du prince d'Israël.

II – LA CRUCIFIXION DU CHRIST

2379. L'Évangéliste traite ici de la crucifixion du Christ ; d'abord il expose la crucifixion elle-même, puis la mort du Christ [n° 2444], et enfin son ensevelissement [n°2463].

A. LA CRUCIFIXION DU CHRIST

II rapporte d'abord la discussion entre Christ [n° 2401], et enfin l'exécution de la Pilate et les Juifs, puis la condamnation du sentence [n° 2411].

Pilate, voulant libérer le Christ, discutait avec les Juifs. C'est pourquoi l'Évangéliste montre d'abord comment il s'efforce de le libérer en le faisant voir aux Juifs - il montre cette manifestation, puis son effet [n° 2383] ; en second lieu, comment il s'efforce de le libérer en alléguant son innocence [n° 2384].

Pilate présente Jésus aux Juifs.

2380. L'Évangéliste montre d'abord l'intention de Pilate : en leur montrant Jésus, il avait l'intention de le libérer ; PILATE SORTIT DONC DE NOUVEAU, à savoir du prétoire, ET LEUR DIT, c'est-à-dire aux Juifs qui attendaient : « VOICI QUE JE VOUS L'AMÈNE DEHORS, et cela POUR QUE VOUS SACHIEZ QUE JE NE TROUVE EN LUI AUCUNE CAUSE [DE CONDAMNATION]. » Pourquoi donc l'as-tu traité de manière honteuse, ô impie Pilate, sans cause ? Pour que les Juifs ne croient pas que je le relâche par faveur. En effet, quelle faveur est accordée à celui à qui sont infligés tant de coups de fouet ? Ou bien, pour que ses ennemis voient avec un très grand plaisir les outrages qu'il a subis et ne soient plus assoiffés de sang ; autrement dit : S'il était passible de mort, je le condamnerais comme je l'ai fait flageller. Cependant il a peut-être fait contre la loi des choses sans gravité, pour lesquelles il a seulement mérité la flagellation, mais non la mort.

2381. En second lieu, cela ayant été fait, on montre la manifestation du Christ. Pilate le présente dans l'état où il est tourné en dérision par les gardes pour qu'au moins ils se calment tandis qu'il sort vers eux, non pas dans la gloire du pouvoir, mais couvert d'opprobre - Puisque c'est à cause de toi que j'ai souffert l'opprobre, et que la confusion a couvert ma face. En cela nous sommes instruits, afin d'être prêts à supporter tous les opprobres à cause du nom de Jésus Christ - Ne craignez pas les opprobres des hommes, et n'appréhendez pas leurs injures.

2382. En troisième lieu est montrée l'explication de cette manifestation, et cela par les paroles de Pilate ; il leur a dit : « VOICI L'HOMME », parlant comme avec mépris de ce qu'un homme ainsi méprisé veuille usurper pour lui la royauté. Voici de quel homme vous croyez ces choses, de telle sorte que, selon cela, lui convient ce psaume : Moi je suis un ver, et non un homme. Si donc c'est le roi que vous haïssez, cessez désormais puisque vous le voyez déchu. Comme le dit Augustin« L'ignominie brûle, que la haine se refroidisse. »

2383. Ici est montré l'effet de la manifestation du Christ sur les Juifs parce que, si déchu et flagellé qu'ils le voient, leur haine ne se refroidit pas, mais brûle davantage et grandit. Aussi, QUAND LES GRANDS PRÊTRES ET LES GARDES L'EURENT VU, amené dehors, ILS CRIAIENT, DISANT : « CRUCIFIE-LE ! CRUCIFIE-LE ! » Ils le répètent à cause de la véhémence de leur désir. Et ils ne se contentent pas de n'importe quelle mort, mais ils réclament la plus infâme : celle de la croix - Condamnons-le à la mort la plus infâme.

Et l'Évangéliste dit : QUAND [ILS] L'EURENT VU, car à la vue de ce qui lui est odieux, le cœur de celui qui hait est davantage agité et enflammé contre lui - Sa vue même nous est à charge.

Pilate allègue l'innocence du Christ.

2384. L'Évangéliste montre ici comment Pilate s'efforce de libérer le Christ en alléguant son innocence. De là surgit une controverse, parce que Pilate allègue l'innocence du Christ et les Juifs réaffirment sa culpabilité [n° 2386].

2385. PILATE LEUR DIT : « PRENEZ-LE VOUS-MÊMES, ET CRUCIFIEZ-LE », autrement dit : Je ne veux pas être un juge inique, moi je ne le crucifierai pas ; vous, crucifiez-le si vous le voulez : MOI, JE NE TROUVE EN LUI AUCUNE CAUSE [DE CONDAMNATION], c'est-à-dire aucune raison de le crucifier. Plus haut : Il vient, le prince de ce monde, et sur moi il n'a aucun pouvoir. - Celui que vous avez, vous, livré et renié devant Pilate, quand il jugeait lui-même de le renvoyer (...) .

2386. Mais les Juifs à nouveau réaffirment la faute du Christ ; d'où la suite : LES JUIFS LUI RÉPONDIRENT : « NOUS, NOUS AVONS UNE LOI, ET SELON CETTE LOI IL DOIT MOURIR, PARCE QU'IL S'EST FAIT FILS DE DIEU. » Ils semblent avoir compris à partir de la réponse de Pilate qu'il n'était pas contre le Christ à cause du crime d'ambitionner la royauté, [mais à cause d'autre chose] à partir de quoi ils croyaient que l'esprit de Pilate était extrêmement troublé, au point de faire périr Jésus. Et c'est pourquoi, comme si ce crime ne suffisait pas pour le faire mourir, ils croyaient que Pilate, en disant PRENEZ-LE VOUS-MÊMES, ET CRUCIFIEZ-LE : MOI, JE NE TROUVE EN LUI AUCUNE CAUSE [DE CONDAMNATION], avait demandé si eux avaient selon la loi un autre crime dont il était condamnable et dont ils le condamneraient ; c'est pourquoi ils disent : SELON CETTE LOI, IL DOIT MOURIR. Ils avancent d'abord le crime du Christ contre la loi des Juifs, puis contre la loi des Romains [n° 2398].

Le Christ accusé de crime contre la Loi des Juifs. On montre d'abord ici l'accusation des Juifs contre le Christ, et ensuite l'effet de cette accusation dans l'esprit de Pilate [n° 2388].

2387. Le crime qui était imputé au Christ contre la loi des Juifs était QU'IL S'EST FAIT FILS DE DIEU, crime pour lequel ils le considéraient comme passible de mort. Plus haut : A cause de cela les Juifs cherchaient encore plus à le tuer : parce que non seulement il violait le sabbat, mais encore il disait que Dieu était son père, se faisant l'égal de Dieu. - Ce n'est pas pour une bonne œuvre que nous te lapidons, mais pour un blasphème, et parce que toi, alors que tu es un homme, tu te fais toi-même Dieu.

Et ici ils disent : IL S'EST FAIT FILS DE DIEU, comme si cela n'était pas. Mais ce n'est pas contre la Loi, comme il le leur a prouvé plus haut, au chapitre 10, par ce psaume : Moi j'ai dit : vous êtes des dieux. En effet, si d'autres hommes, qui sont des fils adoptifs, se disent fils de Dieu sans blasphème, combien plus le Christ, qui est Fils de Dieu par nature ? Mais parce qu'ils ne comprenaient pas la génération éternelle, ils le tenaient pour un menteur et un blasphémateur, ce pour quoi quelqu'un, quel qu'il soit, encourait la peine de mort.

2388. L'Évangéliste montre ensuite l'effet de cette accusation dans l'esprit de Pilate ; et premièrement l'effet de la crainte. Aussi dit-il : LORS DONC QUE PILATE EUT ENTENDU CETTE PAROLE - à savoir qu'il se faisait Fils de Dieu -, IL CRAIGNIT DAVANTAGE en pensant que ce ne serait pas vrai [de sa part] et qu'il agirait mal s'il allait plus loin injustement contre lui. Par là était donné à entendre que les Gentils, en apprenant la trahison à l'égard du Fils de Dieu, ont craint - Seigneur, j'ai entendu parler de toi, et j'ai craint.

2389. Deuxièmement, il montre l'effet du doute et de l'investigation de Pilate. D'abord est exposée l'investigation de Pilate, puis le silence volontaire du Christ [n° 2391], et enfin la réprobation de ce silence [n° 2392].

2390. IL RENTRA DANS LE PRÉTOIRE, ébranlé par la crainte, ET DIT À JÉSUS, qu'il avait ramené avec lui : « D'OÙ ES-TU ? », voulant savoir s'il était Dieu, ayant une origine divine, ou s'il était un homme d'origine terrestre. À cela on peut répondre ce qui est rapporté plus haut, au chapitre 8 – Vous3 vous êtes d'en bas, moi, je suis d'en haut.

2391. Mais Jésus, parce qu'il ne le voulut pas, NE LUI DONNA PAS DE RÉPONSE, pour montrer qu'il ne voulait pas être vainqueur par des paroles et trouver des justifications, puisqu'il était venu pour souffrir. Et en même temps, il nous donne par là un exemple de patience, où s'accomplit ce qui est dit dans Isaïe : Comme un agneau devant le tondeur, il restera muet et n'ouvrira pas la bouche. Et il dit comme un agneau pour qu'on ne croie pas qu'il a gardé le silence comme s'il avait mauvaise conscience, étant convaincu de ses péchés, mais parce qu'il était doux, lui qui était immolé pour les péchés des autres.

2392. On montre ensuite comment Pilate blâme le silence volontaire du Christ, et il le fait d'abord par l'étalage de son pouvoir ; puis on montre la réponse du Christ à propos du pouvoir de Pilate [n° 2394].

2393. Donc, parce que le Christ ne lui a pas donné de réponse, Pilate, le reprenant, dit : « TU NE ME PARLES PAS ? TU NE SAIS PAS QUE J'AI LE POUVOIR DE TE CRUCIFIER ET LE POUVOIR DE TE RELÂCHER ? » - en quoi il s'est condamné lui-même. En effet, si tout était soumis à son pouvoir, pourquoi, alors qu'il ne trouvait en lui aucun motif d'accusation, ne l'a-t-il pas acquitté ? - C'est par ta propre bouche que je te juge, mauvais serviteur. - Ayant la puissance parmi les hommes, bien que tu sois mortel, tu fais ce que tu veux.

2394. Et parce qu'ainsi il se glorifie de son pouvoir, selon le psaume : Il se glorifie dans l'abondance de ses richesses, le Seigneur brise cela en disant : « TU N'AURAIS SUR MOI AUCUN POUVOIR, S'IL NE T'AVAIT ÉTÉ DONNÉ D'EN HAUT. » Aussi, comme le dit Augustin, le Christ, lorsqu'il se tait, se tait comme un agneau ; et quand il parle, il enseigne comme un pasteur. C'est pourquoi il instruit Pilate premièrement de l'origine de son pouvoir, puis de la grandeur de son crime [n° 2396].

2395. Quant au premier point, il dit : « TU N'AURAIS SUR MOI AUCUN POUVOIR, S'IL NE T'AVAIT ÉTÉ DONNÉ D'EN HAUT », comme s'il disait : Si tu parais avoir quelque pouvoir, ce n'est pas par toi-même que tu l'as, mais il t'a été donné d'en haut, c'est-à-dire par Dieu, de qui vient tout pouvoir - Par moi régnent les rois. Et il dit : AUCUN, c'est-à-dire si minime que soit ton pouvoir, puisqu'il avait un pouvoir limité soumis à un plus grand, celui de César - Moi je suis un homme soumis au pouvoir d'un autre.

2396. Et pour cette raison le Christ conclut : C'EST POURQUOI CELUI QUI M'A LIVRÉ À TOI, à savoir Judas, ou bien les princes des prêtres, A UN PLUS GRAND PÉCHÉ. Et il dit PLUS GRAND pour montrer que ceux qui l'ont livré, et Pilate lui-même, sont coupables de péché : mais ceux-là sont coupables d'un plus grand péché qui l'ont livré d'eux-mêmes et par jalousie ; tandis que lui, ce qu'il a fait, il l'a fait par crainte d'un pouvoir supérieur.

Par là aussi est confondue l'erreur des hérétiques qui disent que tous les péchés sont égaux : autrement le Seigneur n'aurait pas dit : A UN PLUS GRAND PÉCHÉ - Malheur à l'homme par qui le scandale arrive

2397. L'effet de la réponse du Christ est montré quand l'Évangéliste dit : DÈS LORS, c'est-à-dire à partir de maintenant, PILATE CHERCHAIT À LE RELÂCHER. Mais parce que, comme on l'a dit depuis le début, il s'efforçait de le relâcher, il convient mieux de dire DÈS LORS, c'est-à-dire pour cette cause, qu'il n'avait pas de péché, PILATE CHERCHAIT À LE RELÂCHER. Ou bien, plus haut, il tentait de le relâcher, mais DÈS LORS, c'est-à-dire à partir de maintenant, il cherchait absolument, et avec un esprit ferme, à le relâcher.

Le Christ accusé de crime contre la Loi des Romains

2398. Précédemment [n° 2386], les Juifs ont imputé au Christ un crime contre la Loi, crime dont Pilate semblait faire peu de cas, vu qu'il n'était pas soumis à la Loi ; c'est pourquoi ils imputent encore au Christ un crime contre la loi des Romains, pour presser davantage Pilate à le faire périr. Ils commencent par exposer le péril qui menace Pilate s'il relâche le Christ, puis ils en donnent la raison [n° 2400].

2399. L'Évangéliste dit donc qu'après, quand Pilate cherchait à relâcher le Christ, LES JUIFS CRIAIENT, DISANT : « SI TU LE RELÂCHES, lui qui se fait roi, TU N'ES PAS AMI DE CÉSAR », c'est-à-dire tu perdras son amitié. Car il arrive souvent que les hommes pensent des autres ce qu'eux-mêmes éprouvent.

Et parce qu'il est dit d'eux plus haut qu'ils préférèrent la gloire des hommes à la gloire de Dieu, ils pensaient aussi au sujet de Pilate qu'il estimait davantage l'amitié de César qu'une amitié juste, bien qu'il faille faire le contraire - Il est bon d'espérer dans le Seigneur plutôt que d'espérer dans des princes . Du reste, le Philosophe est d'avis que la vérité est plus digne d'honneur que les amitiés.

2400. Ils ajoutent la raison du péril qui le menace : « CAR QUICONQUE SE FAIT ROI SE DÉCLARE CONTRE CÉSAR. » En effet, c'est bien la nature du pouvoir terrestre de ne pouvoir supporter de partager avec un autre. Et c'est pourquoi César ne supportait pas qu'un autre domine - Ne recherche pas le pouvoir auprès des hommes, ni une chaire d'honneur auprès du roi.

2401. Ici, l'Évangéliste traite de la condamnation du Christ qu'il aborde par trois aspects : d'abord le lieu, puis le temps [n° 2404], enfin le mode [n° 2406].

Le motif de condamnation.

2402. Quant au premier point, il expose d'abord le motif de la condamnation, en disant : PILATE, AYANT ENTENDU CES PAROLES, craignit davantage : en effet il ne pouvait pas mépriser César, auteur de son pouvoir, de la même manière que la loi d'une nation étrangère.

Aussi, il FIT AMENER JÉSUS DEHORS ET S'ASSIT À SON TRIBUNA1. Mais c'est en vain que le Christ est poussé devant eux, parce qu'il n'était pas tel [qu'ils le croyaient]. En effet ce n'est ni par la pourpre, ni par un diadème, ni par un sceptre, ni par un char, ni par les soldats qu'aurait le Christ, qu'on pouvait croire qu'il ambitionnait le trône. Il demeurait toujours seul avec ses disciples, pauvre dans sa nourriture, son avoir et son logement. Mais l'impie fuit, personne ne le poursuivant. - Ils ont tremblé d'effroi là où n'était pas l'effroi. - Toi donc ne les crains pas, n'aie pas peur de leurs paroles (...) et ne redoute pas leurs visages.

Le lieu.

2403. Deuxièmement l'Évangéliste expose le lieu : ET S'ASSIT À SON TRIBUNA1. Le tribunal est le siège du juge comme le trône du roi et la chaire du maître - Le roi qui est assis sur le trône de la justice dissipe tout le mal par son regard. Et c'est pourquoi on dit « tribunal », parce que chez les Romains les tribuns discernaient les causes particulières, conseillés par le peuple devant lequel elles étaient présentées.

Et il dit À SON TRIBUNAL, c'est-à-dire devant le tribunal, car les trois prépositions latines pro, ante et in sont en grec une seule préposition : επί. Et ce tribunal se trouvait dans un LIEU (...) APPELÉ LITHOSTROTOS, c'est-à-dire pavement de pierres - en effet λίθος, en grec, signifie pierre -, car le lieu où Pilate siégeait à son tribunal était pavé de pierres diverses. Et ce même lieu est appelé EN HÉBREU GABBATHA, c'est-à-dire colline ou hauteur faite d'un amoncellement de pierres.

Le moment de la condamnation.

2404. Il décrit le moment de la condamnation : OR C'ÉTAIT LA PRÉPARATION DE LA PÂQUE (parasceve), c'est-à-dire le jour où la Pâque était préparée, VERS LA SIXIÈME HEURE. Là il faut savoir que chez les Juifs, le jour du sabbat avait quelque chose de plus solennel que n'importe quelle autre fête, c'est-à-dire que par respect pour ce jour ils ne préparaient pas pour eux de nourriture ce jour-là mais la veille, le sixième jour. Aussi le sixième jour de cette période était-il appelé « parasceve ». Ceci tient son origine de ce qu'au livre de l'Exode il est enseigné qu'ils ne devaient pas recueillir la manne pendant le sabbat mais que le sixième jour ils en recueilleraient le double. Ce à quoi ils ne dérogeaient jamais, pour aucune fête. Aussi, bien que ce sixième jour fut pour eux solennel, ils préparaient cependant ce jour-là la nourriture pour le jour suivant, celui du sabbat.

2405. Et il ajoute VERS LA SIXIÈME HEURE ; cependant on trouve chez Marc : Or c'était la troisième heure et ils le crucifièrent. Mais il s'avère que Pilate a siégé à son tribunal avant que le Christ fût crucifié. À cela il y a deux réponses, selon Augustin.

La première, et la meilleure, est que le Christ fut crucifié de deux manières. Tout d'abord par les langues et les voix des Juifs disant : Crucifie-le ! Crucifie-le ! Deuxièmement par les mains des soldats qui le crucifièrent. Aussi, parce que les Juifs voulaient imputer la crucifixion du Christ aux Gentils, Marc, qui écrivit son Évangile pour les nations païennes, l'attribua aux Juifs, disant que c'est au moment où les Juifs ont crié : Crucifie-le ! Crucifie-le ! qu'ils crucifièrent le Christ. Ce qui eut lieu à la troisième heure.

Mais Jean, qui suit l'ordre du temps, dit : VERS LA SIXIÈME HEURE, car quand le Christ fut en croix, c'était déjà la fin de la cinquième heure et le début de la sixième, au moment où il y eut des ténèbres pendant trois heures, à savoir jusqu'à la neuvième heure. Aussi, parce que la sixième heure n'était pas encore achevée, il dit : VERS LA SIXIÈME HEURE.

La seconde réponse est que la préparation de la Pâque est appelée « parasceve ». Or, notre Pâque, c'est le Christ immolé. C'est pourquoi la parasceve est la préparation à l'immolation du Christ ; et c'était la sixième heure de la préparation de l'immolation mais non pas la sixième heure du jour, parce que cette préparation commença à la neuvième heure de la nuit quand, le Christ ayant été arrêté, ils disaient : Il est passible de mort.

Voilà pourquoi, si aux trois heures restantes de la nuit nous ajoutons les trois heures du jour jusqu'au moment où le Christ fut crucifié, il est manifeste que c'est à la sixième heure de la parasceve - c'est-à-dire de la préparation - qu'il fut crucifié, bien que ce fut la troisième heure du jour, comme le dit Marc.

Et certes il convient qu'il ait été crucifié à LA SIXIÈME HEURE parce que par la Croix, au sixième âge, il répara l'homme créé le sixième jour.

Le mode et l'ordre de la condamnation.

ET IL DIT AUX JUIFS : « VOICI VOTRE ROI – » MAIS EUX CRIAIENT : « À MORT ! À MORT ! CRUCIFIE-LE ! » PILATE LEUR DIT : « CRUCIFIERAI-JE VOTRE ROI ? » LES GRANDS PRÊTRES RÉPONDIRENT : « NOUS N'AVONS PAS D'AUTRE ROI QUE CÉSAR. » ALORS IL LE LEUR LIVRA POUR ÊTRE CRUCIFIÉ. (19, 14-16)

2406. L'Évangéliste décrit ici le mode et l'ordre de la condamnation. Il faut remarquer que Pilate voulait encore le libérer bien que la crainte de César le pressât. Et c'est pourquoi l'Évangéliste montre d'abord la tentative de Pilate de libérer le Christ, puis il ajoute son assentiment à ce qu'il soit crucifié [n° 2410].

Concernant le premier point, il expose l'effort que fait Pilate pour libérer le Christ, d'abord en se moquant de lui puis en invoquant le déshonneur des Juifs [n° 2409]. Il montre d'abord la tentative de Pilate, puis la malice des Juifs [n° 2408].

2407. Il dit donc qu'après s'être assis à son tribunal, Pilate DIT AUX JUIFS comme avec une certaine indignation : « VOICI VOTRE ROI », comme pour dire : II est étonnant que vous craigniez de l'avoir pour roi, ainsi humilié et méprisé. Nul, sinon les riches et les puissants, ne menace un royaume, mais tel n'est pas celui-ci - Moi je suis un pauvre, dans les labeurs depuis ma jeunesse.

2408. Mais ces paroles n'attendrissent pas la malice des Juifs. EUX CRIAIENT, pris d'une haine démesurée, et redoublant l'abondance de leur malice : « À MORT ! À MORT ! CRUCIFIE-LE ! », insinuant en même temps par là qu'ils ne pouvaient pas le voir - Ils dirent à Dieu : éloigne-toi de nous, nous ne voulons pas avoir connaissance de tes voies. - Sa vue même nous est à charge. Et c'est pourquoi ils ajoutent : Condamnons-le à la mort la plus infâme, ce qui est la même chose que CRUCIFIE-LE !

2409. L'Évangéliste montre ici comment Pilate s'efforce de le libérer en invoquant le déshonneur des Juifs. Il présente d'abord la tentative de Pilate : « CRUCIFIERAI-JE VOTRE ROI ? », comme s'il disait : Si vous n'êtes pas émus par son humilité, ce qui doit vous émouvoir c'est le déshonneur qu'il y aurait pour vous si je crucifiais - ce qui est très ignominieux si cela est fait par des étrangers -celui qui a ambitionné votre royaume.

En second lieu il montre l'obstination des Juifs. LES GRANDS PRÊTRES RÉPONDIRENT : « NOUS N'AVONS PAS D'AUTRE ROI QUE CÉSAR », ce par quoi ils se soumirent eux-mêmes à une servitude perpétuelle, refusant la royauté du Christ. Et c'est pourquoi jusqu'au jour d'aujourd'hui, étrangers au Christ, ils se sont rendus esclaves de César et d'un pouvoir terrestre- Ce n'est pas toi qu'ils rejetèrent mais moi pour que je ne règne pas sur eux. - IL· m'ont abandonné, moi, la source d'eau vive, et ils se sont creusé des citernes qui ne peuvent retenir les eaux.

2410. Ensuite est présenté l'assentiment de Pilate à la mort du Christ. Alors donc, voyant que les Juifs s'étaient ainsi soumis au pouvoir des Romains, IL LE LEUR LIVRA, c'est-à-dire à leur volonté, POUR ÊTRE CRUCIFIÉ, contre ce conseil : Ne suis pas la foule pour faire le mal. - La terre a été livrée aux mains de l'impie. - Mon âme chêne, je l'ai livrée aux mains de ses ennemis.

2411. L'Évangéliste traite ici de la crucifixion du Christ. Il expose d'abord l'ignominie de la croix, puis il rapporte ce qui suit la crucifixion [n° 2418]. Il décrit l'ignominie de la croix quant à la condition de ceux qui crucifièrent Jésus, quant à la manière de l'y mener [n° 2413], quant au lieu [n° 2415] et quant à l'entourage [n° 2417].

2412. La condition de ceux qui le crucifièrent est décrite : ce sont des soldats. C'est pourquoi il dit : ILS PRIRENT DONC JÉSUS. Ce sont des soldats, de fait, car il est écrit ensuite : Quand donc les soldats l'eurent crucifié, mais des Juifs par leur religion : parce qu'eux-mêmes firent, puis réduirent à rien tout ce qui a été fait. Par là est signifié que les Juifs devaient perdre l'utilité de la Croix du Christ, et les Gentils l'obtenir - Le royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à un peuple qui lui fera porter du fruit.

2413. La manière de le mener fut ignominieuse - PORTANT LUI-MÊME SA CROIX - car la mort de la croix était la plus ignominieuse. Aussi est-il dit : Maudit soit celui qui pend au bois. Et c'est pourquoi, évitant le bois de la croix comme profane et ne voulant pas le toucher, ils en chargent Jésus condamné.

2414. Cependant il est dit qu'ils réquisitionnèrent un certain Simon qui venait de la ville, pour porter la croix.

Réponse : il faut dire que le Christ la porta depuis le début. Mais tandis qu'il avançait, les Juifs trouvèrent cet homme, et le réquisitionnèrent par conformité à leur religion. Et cela n'est pas sans mystère, parce que c'est lui qui le premier a supporté la Passion de la Croix et, après cela, les autres, et surtout les étrangers, les Gentils, en l'imitant - Le Christ a souffert pour vous, vous laissant un exemple. - Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il se renie lui-même, qu'il porte sa croix et qu'il me suive.

Mais le fait que le Christ a porté lui-même sa croix, même si c'est pour les impies et les incroyants un grand sujet de moquerie, est cependant pour les croyants et les hommes pieux un grand mystère - Le langage de la Croix est folie pour ceux qui se perdent ; mais pour ceux qui se sauvent, pour nous, il est puissance de Dieu. Le Christ porte sa croix comme un roi son sceptre au sein de la gloire qui est son pouvoir universel sur toutes choses - Le Seigneur a régné par le bois. - II a reçu le pouvoir sur son épaule, et il sera appelé merveilleux conseiller, Dieu fort, Père du siècle à venir, Prince de la paix. Il la porte comme le vainqueur porte le trophée de sa victoire - Dépouillant les principautés et les puissances, il les a menées captives avec hardiesse, triomphant d'elles hautement en lui-même. Ou encore comme un docteur porte le lampadaire où devait être déposée la lampe de sa doctrine, parce que le langage de la Croix est puissance de Dieu pour les croyants - Personne n'allume une lampe et la pose sous un boisseau, mais sur un lampadaire, afin que ceux qui entrent voient sa lumière.

2415. Le lieu de la Passion est ignominieux quant à deux choses. Premièrement parce qu'il était en dehors de la cité, et c'est pourquoi l'Évangéliste dit : IL SORTIT, c'est-à-dire en dehors des remparts de la ville, POUR ALLER AU LIEU QUI EST APPELÉ CALVAIRE - C'est pourquoi Jésus, pour sanctifier le peuple par son sang, a souffert hors de la porte.

Et cela pour deux raisons : d'abord pour montrer que la puissance de sa Passion ne devait pas se limiter aux frontières du peuple juif ; ensuite pour montrer que tous ceux qui veulent obtenir le fruit de la Passion doivent quitter le monde, au moins quant à leur cœur. L'Apôtre ajoute donc aussitôt : Sortons donc vers lui en dehors du camp.

2416. Deuxièmement parce que c'était le lieu le plus basAU LIEU QUI EST APPELÉ CALVAIRE, lieu du Crâne - J'ai été compté parmi ceux qui descendent à la fosse. Et selon Chrysostome, certains disent que dans ce lieu, appelé Calvaire, Adam mourut et fut enterré - d'où « Calvaire », à cause du crâne du premier homme - pour que, de même que la mort a régné là, de même à cet endroit le Christ établisse son trophée. Mais, comme le dit Jérôme, une interprétation de ce genre a la faveur du peuple et charme ses oreilles, cependant elle n'est pas vraie, car Adam a été enseveli en Hebron - Adam était l'homme le plus grand des Anaquim . Et c'est pourquoi il faut dire que c'était un lieu à l'extérieur des portes de Jérusalem, où étaient tranchées les têtes des condamnés. C'est pourquoi ce lieu prit le nom de Crâne, à cause des crânes des décapités qui y gisaient.

2417. L'entourage et les compagnons de la Passion indiquent son ignominie. ILS LE CRUCIFIÈRENT, ET AVEC LUI DEUX AUTRES, à savoir des brigands, comme le dit Luc. Et il dit : L'UN D'UN CÔTÉ, L'AUTRE DE L'AUTRE CÔTÉ, c'est-à-dire l'un à droite et l'autre à gauche, ET JÉSUS AU MILIEU.

Et remarque bien que le Christ, même dans sa Passion, se tient au milieu. Mais ceci, quant à l'intention des Juifs, lui a été fait pour [le couvrir] d'ignominie, c'est-à-dire pour que la cause de sa mort fût jugée semblable à celle de la mort des brigands - II a été compté parmi les criminels.

Mais si on est attentif au mystère, cela appartient à la gloire du Christ, car par là est montré que le Christ, par sa Passion, méritait le pouvoir de juger - Ta cause a été jugée comme celle d'un impie, mais tu recevras le jugement et la cause. En effet, se tenir au milieu est le propre du juge ; c'est pourquoi, selon le Philosophe aussi, aller vers le juge, c'est aller vers le juste milieu. Et c'est pourquoi il est placé au milieu, et l'un à sa droite, l'autre à sa gauche, parce qu'au jugement assurément il établira les brebis à sa droite mais les boucs à sa gauche. Aussi, le larron à sa droite, celui qui a cru, est libéré, et l'autre à sa gauche, celui qui l'insulte, a été condamné.

2418. Après avoir traité de la crucifixion du Christ, l'Évangéliste à présent nous rapporte ce qui la suit. Et d'abord les choses qui suivent la crucifixion quant à Pilate ; ensuite quant aux soldats [n° 2425] ; enfin quant aux amis qui se tenaient là [n° 2434].

Ce qui suit la crucifixion quant à Pilate.

Trois choses se rapportant à Pilate sont exposées, à savoir l'inscription d'un écriteau, la lecture qu'on en fit, et la conservation de l'inscription.

2419. Quant au premier point, deux choses sont montrées. D'abord l’inscription de l'écriteau : PILATE FIT UNE INSCRIPTION ET LA MIT SUR LA CROIX. Et cela convenait tout à fait afin de se venger des Juifs au moins par ceci : en montrant leur malice, puisqu'ils se soulevaient contre leur roi.

Mais cependant cela convient au mystère car, de même que, lors des triomphes, sur le trophée était posé l'écriteau montrant la victoire, parce que les hommes voulaient illustrer la mémoire de leur nom - Rendons notre nom célèbre avant d'être dispersés à travers toutes les terres -, ainsi le Seigneur voulut-il qu'une inscription fut faite sur la croix afin que sa Passion restât en mémoire - Souviens-toi de ma pauvreté et de l'excès commis contre moi, de l'absinthe et du fiel.

2420. En second lieu est exposé le contenu de l'inscription : IL Y ÉTAIT ÉCRIT : « JÉSUS DE NAZARETH, LE ROI DES JUIFS. » Et certes ces trois mots conviennent bien au mystère de la Croix, car ce qui est écrit, JÉSUS, qui signifie Sauveur, convient à la puissance de la Croix par laquelle s'est réalisé pour nous le salut - Tu lui donneras le nom de Jésus, car c'est lui qui sauvera le peuple de ses péchés. Quant à DE NAZARETH, qui se traduit « en fleur », cela se rapporte à l'innocence de celui qui souffre - Moi la fleur des champs, h lis des vallées. - Une fleur montera de sa racine. Quant à ROI DES JUIFS, cela se rapporte à la puissance de celui qui souffre et au pouvoir qu'il a mérité par sa Passion - C'est pourquoi Dieu l’α exalté. - II régnera, Seigneur, et sera sage . - Il siégera sur le trône de David et sur son royaume.

2421. Mais par la Croix il est non seulement roi des Juifs mais aussi des Gentils - Dieu est-il le Dieu des Juifs seulement ? Ne l'est-il pas aussi des Gentils ? Oui, certes, des Gentils aussi -, c'est pourquoi après avoir dit : Moi j'ai été établi roi sur Sion il ajoute : Demande-moi et je te donnerai les nations en héritage . Pourquoi donc écrit-il seulement : ROI DES JUIFS ?

Réponse : il faut dire que les Gentils ont été introduits dans la sève de l'olivier comme l'olivier sauvage . Et de même que l'olivier sauvage a part à la sève de l'olivier sans que l'olivier ait part à l'amertume de l'olivier sauvage, ainsi les Gentils eux-mêmes convertis à la foi sont devenus par leur confession Juifs en esprit, non pas d'une circoncision de la chair, mais de l'esprit. Et c'est pourquoi dans ce qui est dit - ROI DES JUIFS - sont compris aussi les Gentils convertis.

2422. L'Évangéliste regarde ensuite la lecture qu'on fit de cette inscription. D'abord est montrée la lecture de l'inscription : CETTE INSCRIPTION, BEAUCOUP DE JUIFS LA LURENT, par quoi est signifié que beaucoup sont sauvés par la foi, en lisant la Passion du Christ rapportée par ceux qui la virent - Ces choses ont été écrites afin que vous croyiez.

En second lieu nous est montrée la possibilité de lire ; et celle-ci est double. La première se prend de la proximité du lieu, vers lequel beaucoup affluaient PARCE QUE LE LIEU OÙ JÉSUS AVAIT ÉTÉ CRUCIFIÉ ÉTAIT PROCHE DE LA VILLE. L'autre provient du fait que l'inscription était écrite en plusieurs langues : ET ELLE ÉTAIT ÉCRITE EN HÉBREU, EN GREC ET EN LATIN, afin que nul ne l'ignore et parce que ces trois langues dominaient sur les autres. L'hébreu certes à cause du culte du Dieu unique ; le grec en raison de la sagesse ; le latin à cause de la puissance des Romains. C'est pourquoi ces trois nations revendiquent pour elles la dignité dans la Croix du Christ, comme le dit Augustin. Par là est signifié que, par la Croix du Christ, devaient être soumis les hommes pieux et religieux désignés par l'hébreu, les sages désignés par le grec et les puissants désignés par le latin.

Ou bien par l'hébreu était signifié que le Christ devait régner sur la philosophie théologique, qui est signifiée par l'hébreu parce que c'est aux Juifs qu'a été livrée la connaissance des réalités divines ; mais par le grec était signifié que le Christ devait régner sur la philosophie naturelle et physique, car les Grecs ont peiné sur la spéculation des réalités de la nature ; et par le latin était signifié qu'il devait régner sur la philosophie pratique, parce que chez les Romains prévalait surtout la science morale, afin qu'ainsi réduite en captivité, l'intelligence humaine soit ramenée à l'obéissance au Christ.

2423. Jean présente d'abord la tentative des Juifs pour supprimer l'inscription. En effet les grands prêtres des Juifs disaient à Pilate : N'ÉCRIS PAS : LE ROI DES JUIFS, MAIS QUE LUI-MÊME A DIT : « JE SUIS LE ROI DES JUIFS. » Car par là sont manifestés la proclamation du Christ et l'opprobre des Juifs, parce qu'il est proclamé ROI DES JUIFS. En effet c'est une honte pour les Juifs d'avoir fait crucifier leur roi.

Mais s'il avait été inscrit : LUI-MÊME A DIT : « JE SUIS LE ROI DES JUIFS », cet outrage serait retombé sur le Christ et aurait montré une faute de sa part. Et telle était leur intention, à savoir retirer sa renommée au crucifié à qui, vivant, ils avaient déjà retiré la vie - Ils parlaient contre moi, ceux qui se tenaient à la porte.

2424. En second lieu est présentée la constance de Pilate pour garder cette inscription parce que, voulant les couvrir d'ignominie, il ne voulut pas changer la phrase. Aussi PILATE RÉPONDIT : « CE QUE j'Ai ÉCRIT, JE L'AI ÉCRIT. » Et cela n'a pas été fait par hasard, mais préparé par Dieu longtemps auparavant et prophétisé. Car certains psaumes sont intitulés ainsi : « Ne corromps pas - De David - pour une inscription de titre (...) », psaumes qui, de fait, se rapportent surtout à la Passion du Christ, comme Arrache-moi, Seigneur, à mes ennemis, ainsi que les deux précédents : Pitié pour moi mon Dieu, pitié pour moi, car en toi se confie mon âme et Si c'est bien avec vérité que vous parlez de justice (...)

Aussi les grands prêtres protestaient-ils sottement, car de même qu'on ne peut corrompre ce qu'a dit la Vérité, de même ne peut être détruit ce que Pilate a écrit. En effet, Pilate a dit : « CE QUE J'AI ÉCRIT, JE L'AI ÉCRIT », parce que ce qu'a dit le Seigneur, il l'a dit, comme le dit Augustin.

Ce qui suit la crucifixion quant aux soldats.

2425. L'Évangéliste présente ce qui suivit la crucifixion quant aux soldats ; et d'abord le partage des vêtements, ensuite le tirage au sort de la tunique sans couture [n° 2427] ; enfin il rappelle une annonce prophétique [n° 2433].

2426. Quant au premier point, nous pouvons saisir deux choses, à savoir l'abjection de la mort du Christ par le fait qu'ils l'ont dénudé, ce qui se faisait seulement pour les personnes méprisables ; deuxièmement la rapacité des soldats parce qu'ILS PRIRENT SES VÊTEMENTS (ET ILS EN FIRENT QUATRE PARTS, UNE PART POUR CHAQUE SOLDAT). En effet ce genre d'homme est très rapace, aussi Jean Baptiste leur a-t-il dit : Ne molestez personne (...) contentez-vous de votre solde. - Ils renvoient des hommes tout nus, enlevant les vêtements à ceux qui n’ont pas de quoi se couvrir pendant le froid.

2427. Quant au deuxième point, il nous donne d'abord la description de la tunique, puis rapporte son tirage au sort [n° 2430].

2428. Il dit donc : ET SA TUNIQUE qu'ils prirent en même temps que les autres vêtements. OR LA TUNIQUE ÉTAIT SANS COUTURE, TISSÉE D'UNE SEULE PIÈCE À PARTIR DU HAUT. Et cela, il le dit pour montrer la raison pour laquelle on ne la divisa pas. À cause de cela, comme certains le disent, on peut deviner le grand prix de la tunique.

Mais Chrysostome au contraire dit que l'Évangéliste, en disant cela, suggère de manière cachée le peu de valeur du vêtement. Car en Palestine il existe un genre de vêtement pour les pauvres, fait de plusieurs pièces de tissu assemblées les unes aux autres comme une seule pièce - En effet nous connaissons la grâce de Notre-Seigneur Jésus Christ qui riche en tout s'est fait indigent (egenus) pour nous.

2429. Au sens mystique, cela peut se rapporter au Corps mystique du Christ ; et ainsi, les vêtements sont répartis en quatre parts parce que l'Église s'est répandue aux quatre coins du monde -Je suis vivant, moi, dit le Seigneur : de tous ceux-ci, comme d'un ornement, tu seras revêtue, et tu t'en pareras comme une épouse.

LA TUNIQUE (...) SANS COUTURE qui n'est pas divisée signifie la charité, parce que les autres vertus ne sont pas unies en elles-mêmes, mais sont unies par autre chose, dans la mesure où toutes se rassemblent dans la fin ultime, à laquelle seule la charité unit. Car même si la foi met en évidence la fin ultime et que l'espérance nous fait tendre vers elle, cependant seule la charité nous y unit - Gardant par-dessus tout la charité, qui est le lien de la perfection. Et il est dit qu'elle est TISSÉE (...) À PARTIR DU HAUT parce que la charité est au-dessus de toutes les autres vertus - Je vais vous montrer une voie encore plus excellente. - Connaître l'amour du Christ qui surpasse toute connaissance, afin que vous soyez comblés de toute la plénitude de Dieu. Ou bien parce que la charité ne vient pas de nous-mêmes mais de l'Esprit Saint - La chanté de Dieu a été répandue dans nos cœurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné.

Cela peut encore se rapporter au vrai corps du Christ, et ainsi elle est TISSÉE (...) À PARTIR DU HAUT parce que le corps du Christ a été formé par une puissance venue d'en haut, à savoir celle de l'Esprit Saint - Ce qui est né en elle vient de l'Esprit Saint.

2430. Il existe en effet un sort divinatoire, et celui-ci, parce qu'il n'a pas de nécessité, est illicite. Il existe aussi un autre sort permettant de diviser ; et celui-ci est licite pour les réalités du monde mais non pour les réalités spirituelles, en ce sens que les réalités que les hommes ne sont pas aptes à diviser selon leur propre jugement, ils les confient au jugement et au conseil divins - Les sorts se jettent dans le pli du vêtement, mais c'est par le Seigneur qu'ils sont dirigés, et encore : Le sort apaise la contradiction et décide entre les puissants.

2431. Cependant, on voit en Matthieu qu'ils tirèrent au sort ses vêtements. Réponse : il faut dire que Matthieu ne dit pas qu'ils les tirèrent tous au sort mais que, tandis qu'ils se partagèrent les autres vêtements, ils tirèrent au sort la tunique.

2432. En outre, Marc insiste encore davantage : Ils tirèrent au sort ce que chacun prendrait, donc toutes les parts. Réponse : il faut, selon Augustin, comprendre et présenter ainsi les paroles de Marc : Ils tirèrent au sort, c'est-à-dire [pour désigner] qui aurait quoi, c'est-à-dire lequel d'entre eux prendrait la tunique.

2433. Puis il expose la prophétie de l'Écriture quand il dit : AFIN QUE S'ACCOMPLÎT L'ÉCRITURE. D'abord est présentée l'annonce prophétique dans laquelle on remarque la diligence du prophète lorsqu'il annonçait aussi certains événements fâcheux qui allaient survenir concernant le Christ. Il est manifeste aussi que les choses prédites ne sont pas arrivées par hasard.

Et c'est pourquoi il dit AFIN QUE S'ACCOMPLÎT L'ÉCRITURE, c'est-à-dire suite à ce qu'a dit le psaume 21 – Ils se sont partagé mes vêtements - il ne dit pas « mon vêtement » parce qu'il y en avait plusieurs -, et sur mon vêtement, c'est-à-dire ma tunique, ils ont jeté le sort.

Ensuite est exposé l'accomplissement de la prophétie ET C'EST BIEN CE QUE FIRENT LES SOLDATS. Par là nous comprenons que l'Écriture divine s'accomplit aussi dans les petites choses - Pas un iota, pas un trait de la Loi ne passera avant que toutes choses se réalisent. - II faut que s'accomplisse tout ce qui est écnt de moi dans la Loi, les Prophètes et les Psaumes.

Ce qui suit la crucifixion quant aux amis qui se tenaient là.

2434. Jean présente en troisième lieu ce qui suit la crucifixion quant aux amis. Et d'abord il montre la présence des femmes qui se tenaient là ; puis l'attention pleine de sollicitude du Christ à l'égard de sa mère [n° 2439] ; enfin l'obéissance prompte du disciple [n° 2443].

2435. Or les femmes présentes auprès de la croix sont au nombre de trois : SA MÈRE, ET LA SŒUR DE SA MÈRE, MARIE, FEMME DE CLÉOPHAS, ET MARIE DE MAGDALA. Mais remarquons que, alors que les autres évangélistes font mention de nombreuses femmes se tenant auprès du Christ, aucun ne fait mention de la bienheureuse Vierge, excepté Jean. Aussi, à cause du récit des deux autres, surviennent deux doutes.

2436. Le premier parce que Matthieu et Marc disent que les femmes se tenaient à distance, mais Jean, qu'elles se tenaient PRÈS DE LA CROIX.

On peut répondre à cela que, autres étaient ces femmes dont font mémoire Matthieu et Marc, autres celles dont Jean fait mémoire. Mais à cela s'oppose le fait que Marie de Magdala est comptée parmi les femmes dont font mémoire Matthieu et Marc, et Jean également. Et c'est pourquoi il faut comprendre que ces femmes-ci sont les mêmes que celles-là. Et en cela il n'y a pas de contradiction, car « près de » et « à distance » sont dits de manière relative. Et rien n'empêche qu'une chose soit dite d'une certaine manière « à distance » et d'une autre « près ». Il est dit qu'elles étaient « près » parce qu'elles étaient sous le regard de Jésus, mais « à distance » parce qu'entre lui et ces femmes il y avait des intermédiaires.

Ou bien on peut dire que dès le début de la crucifixion elles se tenaient tout près de lui, si bien qu'il pouvait leur parler. Mais ensuite, la multitude des moqueurs arrivant, elles se retirèrent et se tinrent à distance. Jean raconte donc ce qui eut lieu d'abord, les autres ce qui eut lieu ensuite.

2437. La seconde question est que Jean fait mémoire de Marie, femme de Cléophas, mais que Matthieu et Marc font mémoire à sa place de Marie, femme de Jacques, qui était appelé Alphée. Là il faut dire que Marie, femme de Cléophas, que Jean nomme, est la même que Marie, femme d'Alphée, que nomme Matthieu. Elle eut en effet deux maris, à savoir Alphée et Cléophas. Ou bien on peut dire que Cléophas fut son père.

2438. Le fait que les femmes se tenaient près de la croix alors que les disciples, ayant abandonné le Christ, avaient fui, met en lumière la constance dévouée des femmes- Ma chair étant consumée, mes os s'attachent à ma peau, c'est-à-dire comme si les disciples, désignés par la chair, étaient partis alors que les femmes, signifiées par la peau s'attachèrent.

2439. Ensuite est montrée sa sollicitude envers sa Mère. D'abord est montrée cette sollicitude quant au disciple dont il remit le soin à sa Mère, puis quant à sa mère dont il confia le soin au disciple [n° 2442].

2440. Quant au premier point, il dit : QUAND DONC JÉSUS EUT VU SA MÈRE ET, SE TENANT PRÈS D'ELLE, LE DISCIPLE QU'IL AIMAIT, IL DIT À SA MÈRE : « FEMME, VOICI TON FILS », comme pour dire : Jusqu'à présent j'ai pris soin de toi, aussi je me suis souvenu de toi, je te laisse celui-là. Par là est montrée la dignité de Jean.

Mais sois attentif car plus haut, quand sa mère a dit : Ils n'ont plus de vin, il dit : Mon heure, c'est-à-dire l'heure de la Passion que je souffrirai selon ce que j'ai reçu de toi, n'est pas encore venue ; mais quand cette heure sera venue, alors je te reconnaîtrai. Et c'est pourquoi, à présent, il la reconnaît comme MÈRE. Car faire des miracles ne me convient pas selon ce que j'ai reçu de toi, mais selon que j'ai de mon Père la génération éternelle, c'est-à-dire selon que je suis Dieu.

2441. Et remarque, selon Augustin, que le Christ suspendu à la croix se comporta comme un maître en chaire. C'est aussi pourquoi il nous enseigne qu'il nous faut subvenir à nos parents dans la nécessité et prendre soin d'eux - Honore ton père et ta mère. Et l'Apôtre : Si quelqu'un n'a pas soin des siens et surtout de ceux de sa maison, il n'a plus la foi et il est pire qu'un infidèle.

Mais cependant il est dit : Si quelqu'un vient à moi et ne hait pas son père et sa mère et sa femme et ses fils, et encore sa propre âme, il ne peut être mon disciple. Réponse : il faut dire que, de même que le Seigneur nous commande de haïr nos parents, de même il nous commande de haïr aussi notre âme, et en cela il nous commande d'aimer la nature et de haïr l'iniquité et ce qui détourne de Dieu. Et ainsi nous devons soutenir nos parents, les aimer et les respecter quant à la nature, mais les haïr quant à leurs vices et ce par quoi ils nous détournent de Dieu.

2442. Quant au second point, IL DIT AU DISCIPLE : « VOICI TA MÈRE », c'est-à-dire pour que celui-ci la serve autant qu'un fils sa mère, que celle-ci l'aime comme une mère aime son fils.

2443. Ici est montrée l'obéissance du disciple. Et, selon Bède , il faut dire « pour sienne » (in suam), et ainsi le sens est : LE DISCIPLE, Jean, LA PRIT, c'est-à-dire la mère de Jésus, pour sienne, c'est-à-dire pour mère, assurément, et comme confiée à ses soins.

Mais, selon Augustin, comme on le trouve en grec, on doit dire CHEZ LUI (IN SUA), non pas, certes, dans ses biens, parce qu'il était de ceux qui avaient dit : Voici que nous avons tout quitté pour te suivre - car il est dit que Jacques et Jean, ayant tout quitté, ont suivi Jésus -, mais CHEZ LUI, c'est-à-dire en se mettant à son service, lui obéissant avec empressement et respect.

B. LA MORT DU CHRIST

2444. Après avoir traité de la crucifixion du Christ et des événements qui la suivirent, l'Évangéliste rapporte à présent la mort vénérable du Christ, et montre d'abord l'opportunité de cette mort, puis décrit la mort elle-même [n° 2452]. Enfin, il révèle la blessure faite au mort [n° 2454].

L'opportunité de la mort est montrée en ce que désormais TOUT EST ACCOMPLI – Aussi, concernant cet accomplissement, d'abord est mise en avant la connaissance que le Christ avait de cet accomplissement même, puis est accompli ce qui restait à accomplir [n° 2451], en troisième lieu est exprimé l'accomplissement même.

2445. Concernant le premier point, il dit donc : APRÈS, c'est-à-dire après toutes les choses qui ont été exposées avant, JÉSUS, SACHANT QUE TOUT ÉTAIT ACCOMPLI, tout ce que les Prophètes et la Loi avaient annoncé à son sujet - II faut que s'accomplisse tout ce qui est écrit de moi dans la Loi, les Prophètes et les Psaumes . - J'ai vu la fin de tout accomplissement.

2446. Mais, parce qu'il y avait encore autre chose de la prophétie de l'Écriture qui devait être accompli, il ajoute : POUR QUE L'ÉCRITURE FÛT ACCOMPLIE, [JÉSUS] DIT : « J'AI SOIF. »

D'abord, l'Évangéliste nous rapporte la parole que le Christ a prononcée ; ensuite il nous dit qu'il convenait que sa demande fût exaucée [n° 2448] ; enfin, il nous rapporte le fait qu'on lui proposa un service qu'il n'avait pas voulu [n° 2449].

2447. Là, il faut savoir que POUR QUE n'est pas causal mais consécutif. En effet, il n'a pas fait cette demande POUR QUE L'ÉCRITURE - l'Ancien Testament - FÛT ACCOMPLIE, mais c'est parce qu'elles devaient être accomplies par le Christ que ces choses ont été dites. En effet, si nous disions que le Christ a fait ces choses parce que les Écritures les ont annoncées, il s'ensuivrait que le Nouveau Testament existerait à cause de l'Ancien et pour l'accomplir, alors que c'est le contraire. Ainsi donc elles ont été annoncées parce qu'elles devaient être accomplies par le Christ.

En disant « J'AI SOIF », il montre que sa mort est vraie, non pas imaginaire. De même nous est montré son désir ardent du salut du genre humain - Il veut que tous les hommes soient sauvés. - Le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. Or nous exprimons habituellement un désir véhément par la soif - Mon âme a soif de Dieu, du Dieu vivant.

2448. Ici nous est montré qu'il convenait que sa demande fut exaucée : du fait qu'IL Y AVAIT LÀ, au pied de la croix, UN VASE PLEIN DE VINAIGRE. Par ce vase est désignée la synagogue des Juifs qui, à partir du vin des patriarches et des prophètes, avait dégénéré en vinaigre, c'est-à-dire en malice et cruauté de la part des grands prêtres.

2449. L'Évangéliste rapporte ensuite le service qu'il n'avait pas voulu. OR IL Y AVAIT LÀ, au pied de la croix, UN VASE PLEIN DE VINAIGRE. ILS MIRENT DONC AUTOUR D'UNE BRANCHE D'HYSOPE UNE ÉPONGE IMBIBÉE DE VINAIGRE ET L'APPROCHÈRENT DE SA BOUCHE.

De là naît une question littérale : Comment présentèrent-ils cette éponge à la bouche du Christ suspendu en hauteur ? L'Évangile de Matthieu répond à cela qu'ils la fixèrent à une tige de roseau. Ou bien, selon certains, à une branche d'hysope qui était grande, et c'est pourquoi elle est appelée roseau par Matthieu.

2450. Or, au sens mystique, sont signifiés par là trois maux qu'il y avait chez les Juifs : par le vinaigre, la jalousie ; par la capacité d'absorber et de rejeter qu'a l'éponge, la fourberie ; par l'amertume de l'hysope, la malice.

Ou encore, l'hysope signifie l'humilité du Christ parce que c'est une herbe qui purifie le cœur, que l'on purifie surtout par l'humilité - Purifie-moi Seigneur avec l’hysope, je serai pur.

2451. L'accomplissement ultime est montré : QUAND DONC JÉSUS EUT PRIS LE VINAIGRE, IL DIT : « TOUT EST ACCOMPLI », ce qui peut se rapporter à l'accomplissement de sa mort - Il était digne de celui pour qui et par qui sont toutes choses, qui voulait conduire une multitude d'enfants à la gloire, d'accomplir par les souffrances l'auteur de leur salut -, ou bien à l'accomplissement de notre sanctification, par sa Passion et par sa Croix - Car par une oblation unique, il a rendu parfaits pour toujours ceux qu'il a sanctifiés - ; ou encore à l'accomplissement des Écritures - Tout ce qui a été écrit par les prophètes au sujet du Fils de l'homme sera accompli.

2452. Ici, l'Évangéliste décrit la mort du Christ. Et d'abord il expose la cause de sa mort. En effet, il ne faut pas comprendre que c'est parce qu'il a remis l'esprit qu'il a incliné la tête, mais le contraire. Car l'inclination de la tête désigne l'obéissance, au nom de laquelle il a supporté la mort - Il s'est fait obéissant jusqu'à la mort.

En second lieu nous est montrée la puissance de celui qui meurt parce qu'IL REMIT L'ESPRIT par sa propre puissance - Personne ne me l'enlève [mon âme], mais moi je la livre de moi-même. Car, comme le dit Augustin, nul n'a ainsi en son pouvoir de dormir quand il veut, comme le Christ de mourir quand il le voulut.

2453. Mais remarquons que du fait qu'IL REMIT L'ESPRIT, certains affirment qu'il y a en l'homme deux âmes ; à savoir une âme intellectuelle qu'ils appellent esprit, et une autre âme, animale - végétative et sensitive - qui anime le corps, et c'est surtout elle qu'on appelle « l'âme ». C'est pourquoi ils disent que le Christ a seulement remis son âme intellectuelle.

Mais cela est faux ; d'une part parce que, dans le livre des dogmes de l'Église, qu'il y ait en l'homme deux âmes est compté parmi les erreurs ; d'autre part parce que s'il avait remis l'esprit tandis que son âme demeurait encore, il ne serait pas mort. Et donc, parce qu'il n'y a aucun autre esprit dans l'homme que son âme, il faut dire qu'il remit l'esprit, c'est-à-dire son âme .

Par là est aussi exclue l'erreur de ceux qui disent que les âmes des hommes morts ne vont pas aussitôt après la mort au paradis, en enfer ou au purgatoire, mais qu'elles demeurent dans les tombeaux jusqu'au jour du jugement. Car le Seigneur a aussitôt remis l'esprit à son Père, par où il nous est donné de comprendre que les âmes des justes sont dans la main de Dieu.

2454. Ici est montrée la blessure du corps du Christ. Et premièrement le récit de cette blessure, deuxièmement la certitude de ce récit [n° 2459].

Quant au premier point, l'Évangéliste fait trois choses. D'abord, il montre la tentative des Juifs et leur intention ; puis l'accomplissement de cette tentative pour une part [n° 2456] ; enfin, comment cela est accompli dans le Christ [n° 2458].

2455. En effet il faut savoir, comme on le trouve au Deutéronome , qu'il était prescrit dans la Loi que les cadavres des hommes suspendus pour des crimes ne devaient pas être laissés suspendus jusqu'au matin, afin que la terre ne soit pas souillée, et aussi pour faire disparaître l'ignominie de ceux qui étaient suspendus, car une mort de ce genre était regardée comme la plus honteuse. Aussi est-il écrit au même endroit : Maudit soit tout homme qui pend au bois, c'est-à-dire en malédiction de peine. Or, bien que les Juifs n'eussent plus en leur pouvoir d'infliger une peine de ce genre, cependant, ce qui était en leur pouvoir, ils s'efforçaient de le faire. Aussi, parce que c'était la Préparation, pour que le corps du Christ et aussi ceux des autres ne demeurent pas en croix le jour du sabbat, qui était très solennel, et à cause du sabbat lui-même et à cause de la fête des azymes, ils DEMANDÈRENT À PILATE QU'ON LEUR BRISÂT LES JAMBES ET QU'ON LES ENLEVÂT. Ils sont certes diligents à observer la Loi dans les petites choses, mais dans les grandes choses ils la méprisèrent, filtrant le moustique mais engloutissant le chameau .

2456. Il donne ensuite la manière dont cela est accompli en partie : LES SOLDATS VINRENT DONC, ET ILS BRISÈRENT LES JAMBES DU PREMIER - à savoir un des larrons vers lequel ils vinrent en premier lieu, PUIS DE L'AUTRE QUI AVAIT ÉTÉ CRUCIFIÉ AVEC LUI, c'est-à-dire avec Jésus. Par là nous est montrée leur cruauté – Ils mangèrent la chair de mon peuple .

2457. Mais pourquoi ajoute-t-il : MAIS LORSQU'ILS VINRENT À JÉSUS, ET QU'ILS LE VIRENT DÉJÀ MORT, ILS NE LUI BRISÈRENT PAS LES JAMBES ? N'avait-il pas été crucifié au milieu ?

Réponse. Il faut dire que chacun des deux soldats vint vers un des larrons pour lui briser les jambes ; et les ayant brisées, l'un celles du premier, l'autre celles du deuxième, ils vinrent vers Jésus. Aussi est-ce de là qu'est venue l'occasion de le blesser, parce que comme ILS LE VIRENT DÉJÀ MORT, ILS NE LUI BRISÈRENT PAS LES JAMBES.

2458. Mais pour s'assurer de sa mort, L'UN DES SOLDATS, DE SA LANCE, LUI OUVRIT LE CÔTÉ. Et il est significatif qu'il dise OUVRIT, et non pas « blessa », parce que par ce côté est ouverte pour nous la porte de la vie éternelle - Après cela, je vis une porte ouverte. C'est la porte sur le côté de l'arche par laquelle entrent les animaux qui ne périraient pas dans le déluge.

Et cette porte est cause de salut : ET AUSSITÔT IL SORTIT DU SANG ET DE L'EAU. Car il est très miraculeux que du corps d'un mort où le sang est figé sorte du sang. Mais si quelqu'un dit que cela s'est produit en raison d'une certaine chaleur qui était encore demeurée dans le corps, cependant, pour l'écoulement de l'eau on ne peut pas nier qu'il y ait eu un miracle, puisque l'eau qui est sortie était très pure.

Et certes, cela s'est produit afin que le Christ montrât ce qu'il était, c'est-à-dire vrai homme. En effet un homme est composé de deux choses : d'éléments et d'humeurs. Un des éléments est l'eau ; et parmi les humeurs, il y a principalement le sang.

Ou bien cela est arrivé pour montrer que, par la Passion du Christ, nous obtenons la purification plénière de nos péchés et de nos taches. De nos péchés, certes par le sang, qui est le prix de notre rédemption - Ce n'est pas par des choses corruptibles, or ou argent, que vous avez été rachetés de votre vaine conduite, mais par le sang précieux comme d'un agneau sans tache et immaculé, le Christ. Mais de nos taches par l'eau, qui est le bain de notre régénération - Je répandrai sur vous une eau pure. - II y aura une source ouverte à la maison de David.

Et c'est pourquoi ces deux choses appartiennent de manière spéciale à deux sacrements : l'eau au sacrement du baptême, le sang à l'Eucharistie. Ou bien, l'une et l'autre appartiennent à l'Eucharistie parce que, dans le sacrement de l'Eucharistie, l'eau est mêlée au vin, bien que l'eau n'appartienne pas à la substance du sacrement.

Cela convient aussi à la préfiguration parce que, de même que du côté du Christ endormi sur la croix ont coulé le sang et l'eau dans lesquels est consacrée l'Église, de même du côté d'Adam endormi a été formée la femme, qui préfigurait l'Église elle-même.

La certitude de ce récit.

2459. Ici nous est donnée la certitude du récit, d'abord à partir du témoignage apostolique, ensuite à partir de la prophétie de l'Écriture [n° 2461].

2460. Concernant le premier point, il commence par décrire la convenance du témoin parce que CELUI QUI A VU A RENDU TÉMOIGNAGE, et c'est Jean lui-même - Ce que nous avons vu, ce que nous avons entendu, nous vous l'annonçons. Après cela il ajoute la vérité du témoignage : ET SON TÉMOIGNAGE EST VRAI - Je dis la vérité, je ne mens pas. - Vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous libérera. Et enfin il réclame la foi : ET CELUI-LÀ SAIT QU'IL DIT VRAI, POUR QUE VOUS AUSSI VOUS CROYIEZ - Ces choses ont été écrites afin que vous croyiez'.

2461. Et non seulement cela est certifié par le témoignage apostolique, mais il ajoute la prophétie de l'Écriture, et c'est pourquoi il dit : CES CHOSES ONT ÉTÉ FAITES POUR QUE S'ACCOMPLÎT L'ÉCRITURE, étant donné que le POUR est pris comme consécutif, comme on l'a déjà dit plus haut. Et il indique deux autorités de l'Ancien Testament. L'une se rapporte à ce qu'il dit : ILS NE LUI BRISÈRENT PAS LES JAMBES, et se trouve au livre de l'Exode : Vous ne lui briserez pas d'os, à savoir à l'agneau pascal qui préfigurait le Christ, parce que, comme il est dit : Le Christ, notre Pâque, a été immolé.

Aussi a-t-il été voulu par Dieu que les os de l'agneau pascal ne fussent pas brisés pour donner à entendre que la force de l'Agneau véritable et sans tache, Jésus Christ, ne devait en aucune manière être brisée par la Passion. Aussi les Juifs pensaient-ils détruire par la Passion la puissance de la doctrine du Christ ; mais elle en a été plutôt affermie - Le langage de la Croix est folie pour ceux qui se perdent, mais pour nous il est puissance de Dieu. C'est pourquoi il dit plus haut : Quand vous aurez élevé le Fils de l'homme, alors vous connaîtrez que Moi Je Suis.

2462. La seconde autorité se rapporte à ce qu'il dit : DE SA LANCE, [IL] LUI OUVRIT LE CÔTÉ. Et on trouve : ILS REGARDERONT CELUI QU'ILS ONT TRANSPERCÉ, là où le texte que nous avons dit : Ils regarderont vers moi qu’ils ont percé.

C'est pourquoi, si nous nous attachons à la parole du Prophète, il est manifeste que le Christ crucifié est Dieu. Car ce que dit le Prophète en la personne de Dieu, l'Évangéliste l'attribue au Christ. ILS REGARDERONT, dit-il, vers le jugement qui vient, ou bien ILS REGARDERONT convertis par la foi.

C. L'ENSEVELISSEMENT DU CHRIST

2463. L'Évangéliste, après avoir traité de la crucifixion et de la mort, traite ici de la sépulture du Christ, et montre d'abord la possibilité et la permission de l'ensevelir ; ensuite, le zèle de Joseph d'Arimathie pour s'occuper du corps [n° 2465] ; puis il indique le lieu de la sépulture [n° 2468] ; et enfin rapporte la sépulture elle-même [n° 2469].

2464. OR, APRÈS CELA, c'est-à-dire après la Passion et la mort du Christ, JOSEPH D'ARIMATHIE, ce qui est la même chose que Ramatha, QUI ÉTAIT DISCIPLE DE JÉSUS - non pas l'un des Douze, mais l'un des nombreux autres croyants, parce que tous ceux qui ont cru dès le début sont appelés disciples -, DEMANDA À PILATE DE PRENDRE LE CORPS DE JÉSUS. Or il était DISCIPLE (...) MAIS EN SECRET, PAR CRAINTE DES JUIFS, comme aussi beaucoup d'autres, mais cela avant la Passion - Toutefois, il est vrai, beaucoup parmi les notables crurent en lui ; mais à cause des pharisiens ils ne se déclaraient pas pour ne pas être exclus de la synagogue. C'est pourquoi il est évident que là où les disciples perdirent confiance après la Passion en se cachant, celui-ci reprit confiance en posant publiquement un acte d'obéissance.

Celui-ci, dis-je, DEMANDA À PILATE DE PRENDRE LE CORPS DE JÉSUS, c'est-à-dire [de le descendre] de la croix et de l'ensevelir, parce que, selon les lois humaines, les corps des condamnés ne devaient pas être ensevelis sans permission. ET PILATE LE PERMIT, parce que Joseph était noble et qu'il lui était familier, c'est pourquoi il est dit qu'il était un noble décurion.

2465. D'abord est exposée la matière qui servit à embaumer le corps, puis l'embaumement lui-même [n° 2467].

2466. La matière qui servit à embaumer le corps fut UN MÉLANGE DE MYRRHE ET D'ALOÈS que Nicodème apporta en grande quantité. Et c'est pourquoi l'Évangéliste fait mention de deux hommes : D'abord de Joseph qui prit le corps ; puis de Nicodème, qui apporta les aromates.

Or Nicodème est celui qui vint vers Jésus de nuit, avant la Passion, comme on le rapporte plus haut. Et il rappelle cela parce qu'il avait dit de Joseph qu'il était DISCIPLE DE JÉSUS, MAIS EN SECRET, PAR CRAINTE DES JUIFS, pour montrer que même celui-là [Nicodème], qui était disciple de Jésus, mais en secret, maintenant se montre en public, mais sans avoir encore la vraie foi en la Résurrection puisqu'il apporta UN MÉLANGE DE MYRRHE ET D'ALOÈS, comme si le corps de Jésus avait besoin d'être protégé de la putréfaction. À ce propos l'Écriture dit : Tu ne laisseras pas ton Saint voir la corruption.

Au sens mystique, il nous est donné par là de comprendre que nous devons cacher le Christ crucifié dans notre cœur avec l'amertume de la pénitence et de la compassion - Mes mains ont distillé la myrrhe.

2467. Après avoir donné la matière de la préparation, on montre la préparation elle-même. Là naît un doute ; car Jean dit qu'ils L'ENVELOPPÈRENT DANS DES LINGES, alors que Matthieu dit qu'ils l'enveloppèrent dans un linceul.

Réponse : il faut dire, selon Augustin, que Matthieu dit un linceul seulement parce qu'il ne fait mention que de Joseph, et celui-ci en apporta un seu1. Mais parce que seul Jean fait mention de Nicodème, il dit DES LINGES parce que Nicodème en apporta un autre. Ou bien il faut dire que nous appelons linge tout morceau d'étoffe fait de lin. Or le corps du Christ fut enveloppé de bandelettes, comme on le dit aussi au sujet de Lazare, parce que telle était LA COUTUME DES JUIFS POUR ENSEVELIR. Il y avait aussi un suaire posé sur la tête ; et c'est pourquoi Jean, englobant tout cela, dit : DES LINGES.

Et le fait qu'ils l'embaumèrent avec des aromates nous rappelle qu'en ces devoirs de piété il faut conserver la coutume de la nation, quelle qu'elle soit.

2468. Puis le lieu de la sépulture est désigné. Il faut remarquer là que le Christ fut pris dans un jardin, qu'il souffrit dans un jardin, et qu'il fut enseveli dans un jardin, pour désigner que c'est par la puissance de sa Passion que nous sommes libérés du péché qu'Adam commit au jardin des délices et que, par elle, l'Église est consacrée, elle qui est comme un jardin clos.

ET DANS LE JARDIN UN TOMBEAU NEUF. Il y a deux raisons pour lesquelles il voulut être enseveli dans un sépulcre neuf. Une littérale, pour qu'on ne croie pas que d'autres corps qui auraient été là aient été ressuscites, et non pas le Christ, ou bien qu'ils aient tous été ressuscites par une puissance égale.

L'autre raison est qu'il convenait que celui qui était né d'une vierge pure (de Virgine intacta) fût enseveli dans un sépulcre neuf. Afin que, de même qu'il n'y eut personne avant lui dans le sein de Marie, ni personne après lui, de même aussi dans ce tombeau. Et pour nous donner de comprendre qu'il est caché par la foi dans un esprit renouvelé - Que le Christ habite dans nos cœurs par la foi.

2469. Puis est exposée la sépulture. C'EST DONC LÀ, c'est-à-dire dans le tombeau neuf, À CAUSE DE LA PRÉPARATION DES JUIFS, parce que déjà le soir approchait où, à cause du sabbat, il n'était pas permis de faire quelque chose, qu'ILS DÉPOSÈRENT JÉSUS. Car c'est environ à la neuvième heure qu'il expira, et à cause des soins de la sépulture et des choses qui étaient nécessaires, la journée était déjà presque arrivée au soir. ET PARCE QUE LE TOMBEAU ÉTAIT PROCHE, C'EST DONC LÀ - là où il avait été crucifié - QU'ILS DÉPOSÈRENT JÉSUS.

LE CHRIST MANIFESTE AU MONDE SA DIVINITÉ DANS SA PASSION, SA MORT ET SA RÉSURRECTION

LA RÉSURRECTION DU CHRIST

2470. Après avoir rapporté les mystères de la Passion du Christ, l'Évangéliste révèle ici sa Résurrection. Premièrement il révèle comment la Résurrection du Christ fut manifestée aux femmes ; deuxièmement, comment elle fut manifestée aux disciples [n° 2523].

I – LE CHRIST MANIFESTE SA RÉSURRECTION AUX SAINTES FEMMES

La Résurrection du Christ a été manifestée aux femmes dans un certain ordre : d'abord par le tombeau ouvert, ensuite par l'apparition de l'ange [n° 2490], et enfin par la vision du Christ [n° 2504].

A. LE TOMBEAU OUVERT

L'Évangéliste commence par exposer la vision qu'eut la femme, puis l'annonce de ce qu'elle a vu [n° 2476] et, en troisième lieu, la recherche de ce qui a été annoncé [n° 2477].

2471. Ici se présentent quatre choses qu'il faut considérer. Premièrement, le temps de la vision : LE PREMIER JOUR DE LA SEMAINE, à savoir le dimanche. En effet, le jour du Sabbat était considéré par les Juifs comme le plus solennel, et c'est pourquoi tout autre jour était nommé à partir de lui. De là vient qu'ils disaient « le premier jour de la semaine », « le deuxième jour de la semaine », etc. Matthieu dit : Le premier jour de la semaine (prima sabbati) ; mais Jean dit UNA SABBATI, à cause du mystère, parce qu'en ce jour où eut lieu la Résurrection commença comme une nouvelle création - Envoie ton esprit et ils seront créés, et tu renouvelleras la face de la terre. - Dans le Christ Jésus, ni la circoncision ne vaut quelque chose ni l’incirconcision, mais la création nouvelle. Au commencement, dans la Genèse, Moïse n'a pas dit du premier jour « il y eut un premier jour » (dies primus), mais « un jour unique » (dies unus). Voilà pourquoi l'Évangéliste se sert de la parole de Moïse pour suggérer cette rénovation.

Il le fait aussi parce que commençait ce jour-là le jour d'éternité qui est un seul jour sans l'interruption de la nuit, parce que le soleil qui l'a fait ne se couche jamais - Cette ville n'a pas besoin de la lumière du soleil ou de la lune, car la gloire de Dieu l'illumine et sa lumière, c'est l'Agneau. -Il y aura un jour, connu du Seigneur, sans jour ni nuit, et il y aura de la lumière à l'heure du soir.

2472. Deuxièmement est indiquée la personne qui voit : LE MATIN, QUAND LES TÉNÈBRES DURAIENT ENCORE, MARIE-MADELEINE VINT AU SÉPULCRE. Mais il y a ici un doute, car Marc dit : Marie-Madeleine, Marie de Jacques et Salome ; et au sépulcre, Matthieu mentionne également l'autre Marie.

Réponse. Selon Augustin il faut dire que Marie-Madeleine était plus fervente et avait plus de dévotion pour le Christ que les autres femmes. De là vient que Luc dit : De nombreux péchés lui sont remis car elle a beaucoup aimé. Voilà pourquoi l'Évangéliste la nomme de manière spéciale et que c'est à elle en premier lieu que le Seigneur apparut - Elle fla Sagesse] se porte vers ceux qui la désirent pour leur apparaître en premier.

2473. En troisième lieu est mentionnée l'heure, quel en fut le moment : LE MATIN, QUAND LES TÉNÈBRES DURAIENT ENCORE. Luc dit que Marie-Madeleine et les autres femmes, voyant le lieu du sépulcre, préparèrent les aromates, mais que parce que déjà pointait le sabbat, elles gardèrent le silence selon le commandement. Donc, dès la fin du sabbat, avant la lumière du premier jour de la semaine, Marie vint au tombeau, car l'ardeur excessive de son amour la pressait- Ses lampes sont des lampes de feu et de flammes, c'est-à-dire de charité.

2474. Mais ici se pose une question littérale : puisque Marc dit De grand matin, le soleil s'étant levé, pourquoi donc l'Évangéliste dit-il QUAND LES TÉNÈBRES DURAIENT ENCORE ? Réponse : il faut dire que ce que dit Marc s'entend de l'aurore : le soleil s'étant déjà levé, non qu'il apparût sur la terre mais parce qu'il approchait de nos régions.

2475. En quatrième lieu est mentionné ce que Marie voit : ELLE VIT LA PIERRE ROULÉE DU TOMBEAU, ce qui était le signe soit que quelqu'un avait emporté le Christ, soit qu'il était ressuscité. Et comme le dit Matthieu, Fange du Seigneur descendit du ciel ; par cela il ne faut pas entendre que la pierre aurait été roulée avant la Résurrection du Christ, mais après. En effet, le Christ est sorti du sein clos de la Vierge sans avoir encore un corps glorieux. Il n'est donc pas étonnant qu'il soit sorti du sépulcre avec son corps glorieux. En effet, la pierre a été roulée pour que, voyant que le Christ n'était pas là, on crût plus facilement à sa Résurrection .

2476. En effet, à cause de son trop grand amour, elle n'a pas tardé à annoncer aux disciples ce qu'elle a vu ; mais ELLE COURUT ET VINT TROUVER SIMON-PIERRE ET L'AUTRE DISCIPLE QUE JÉSUS AIMAIT - Ce jour est un jour de bonne nouvelle ; si nous nous taisons et refusons de l’annoncer jusqu'au matin, on nous convaincra de crime. Ainsi celui qui entend les paroles de Dieu doit-il en toute hâte les dire aux autres - Que celui qui entend dise : Viens ! Mais Marie est venue vers ceux qui étaient les disciples principaux et qui aimaient le Christ d'une manière plus fervente, afin qu'ils cherchent ensemble ou souffrent ensemble.

Et elle leur dit : ON A ENLEVÉ LE SEIGNEUR DU TOMBEAU. En effet, ayant vu le sépulcre vide et n'ayant pas encore en son cœur que le Christ était ressuscité, elle dit : ET NOUS NE SAVONS PAS OÙ ON L'A MIS. Elle donne ici à entendre qu'elle n'est pas allée seule au tombeau et qu'encore à présent elle doute de la Résurrection. Ce n'est donc pas sans raison que l'Évangéliste a dit que LES TÉNÈBRES DURAIENT ENCORE. En précisant le temps, il indiquait aussi la qualité de l'esprit où étaient les ténèbres du doute - IL· n'ont ni savoir ni intelligence : Us marchent dans les ténèbres'*.

Mais considère que dans les manuscrits grecs on trouve MON SEIGNEUR, pour désigner une plus grande inclination à la charité et l'affection de la servante - Car qu'y a-t-il pour moi dans le ciel, et hors de toi qu'ai-je voulu sur la terre ? Mon cœur et ma chair ont défailli : le Dieu de mon cœur, ma part, c'est Dieu pour l'éternité.

2477. L'Évangéliste rapporte d'abord le zèle de ceux qui cherchent pour arriver à découvrir, et cela en sortant : PIERRE SORTIT DONC, AINSI QUE L'AUTRE DISCIPLE. En effet, celui qui veut scruter les mystères du Christ doit d'une certaine manière sortir de lui-même et des mœurs de la terre - Sortez, filles de Sion, et voyez le roi Salomon.

La course

2478. Ensuite il rapporte l'ordre ou le mode de la recherche. En premier lieu quant à la course, puisqu'ILS COURAIENT TOUS DEUX ENSEMBLE, eux qui aimaient le Christ plus que tout -J'ai couru dans la voie de tes commandements quand tu as dilaté mon cœur. - J'ai combattu le bon combat, j'ai achevé ma course. - Courez ainsi afin de saisir.

L'arrivée

2479. En second lieu quant à l'arrivée, puisque L'AUTRE DISCIPLE COURUT EN AVANT PLUS VITE QUE PIERRE. On rapporte d'abord comment Jean est arrivé le premier, puis comment Pierre l'a suivi.

2480. Mais note que ce n'est pas sans raison que l'Évangéliste raconte ces détails avec tant de diligence. En effet, par ces deux disciples sont désignés deux peuples, à savoir celui des Juifs et celui des Gentilspar Pierre, qui était le plus âgé, le peuple des Gentils, et par Jean, qui était le plus jeune, le peuple des Juifs. Car, bien que les Juifs aient reçu en premier lieu la connaissance du Dieu unique et vrai, cependant le peuple des Gentils est le plus ancien dans le monde, car les Juifs eux-mêmes sont sortis des Gentils - Quitte ta terre et ta parenté. Ces deux peuples couraient ensemble la course du monde : les Juifs par la lettre de la Loi, les Gentils par la loi naturelle. Ou encore ils courent ensemble par le désir naturel de la béatitude et de la connaissance de la vérité, que tous les hommes, par nature, désirent connaître. MAIS L'AUTRE DISCIPLE, à savoir le plus jeune, COURUT EN AVANT PLUS VITE QUE PIERRE, parce que les Gentils sont parvenus plus tard que les Juifs à la connaissance de la vérité, car alors Dieu n'était connu qu'en Judée. C'est pourquoi l'Écriture dit : 11 n'a pas fait de telles choses pour toutes les nations et ses jugements, il ne les leur a pas manifestés. ET IL ARRIVA LE PREMIER AU TOMBEAU car il a été le premier à considérer les mystères du Christ, et la promesse au sujet du Christ a été faite en premier lieu aux Juifs, à qui appartiennent l'adoption des fils, la gloire, l'alliance, la législation, le culte, les promesses et aussi les pères de qui est issu le Christ selon la chair, lequel est au-dessus de tout, Dieu béni pour les siècles. Amen.

ET S'ÉTANT PENCHÉ, à savoir sous le joug de la Loi - Tout ce que le Seigneur prescrira, nous le ferons -, IL VIT LES LINGES POSÉS LÀ, à savoir certaines préfigurations de tous les mystères du Christ -Jusqu'à aujourd'hui, un voile demeure sans être levé quand on lit l'Ancien Testament. CEPENDANT, IL N'ENTRA PAS ; parce qu'il ne parvint pas à la connaissance de la vérité tant qu'il refusa de croire en celui qui était mort. Ceci est dit en Luc du frère aîné qui, entendant la musique et les danses faites pour son frère revenu, refusa d'entrer, alors que cependant l'entrée est promise par David lorsqu'il dit : J'entrerai vers l'autel de Dieu .

2481. Il s'agit ici de l'arrivée de Pierre. Selon le sens littéral, le fait qu'ils couraient ensemble était le signe d'une dévotion fervente ; mais Jean est arrivé plus vite parce qu'il était plus jeune que Pierre, son aîné.

Mais selon le mystère. Pierre suit Jean parce que les Gentils convertis au Christ ne devaient pas être rassemblés dans une Église autre que l'Église des Juifs, mais être greffés sur un olivier et une Église qui existaient déjà. C'est pourquoi l'Apôtre, en faisant leur éloge, dit : Mais vous, frères, vous êtes devenus les imitateurs des Églises qui sont dans le Christ en Judée.

L'entrée

2482. En troisième lieu est rapporté l'ordre de leur entrée, puisqu'il ENTRA DANS LE TOMBEAU. Il est dit d'abord comment Pierre est entré le premier, puis comment Jean est entré [n° 2486].

2483. L'Évangéliste dit donc que Pierre entra dans le tombeau. Certes, selon le sens littéral, si Jean, qui était arrivé le premier, n'entra pas, ce fut par révérence à l'égard de Pierre à qui il réservait d'entrer le premier. Mais selon le mystère, cela indique que le peuple des Juifs, qui entendit le premier les mystères de l'Incarnation, se convertit à la foi plus tard que le peuple des Gentils - Les païens qui ne cherchaient pas la justice ont embrassé la justice, celle qui vient de la foi ; tandis qu’Israël, qui suivait une loi de justice, n'est pas parvenu à la loi de justice.

Et Pierre VIT LES LINGES POSÉS LÀ. Jean ne vit que les linges, que Pierre vit pareillement : en effet, nous ne rejetons pas l'Ancien Testament, puisque le Seigneur ouvrit l'intelligence [des disciples d'Emmaùs] à l'intelligence des Écritures.

Mais Pierre vit en outre LE SUAIRE QUI AVAIT ÉTÉ SUR SA TÊTE - Le chef [en latin caput, qui signifie « tête »] du Christ, c'est Dieu. Donc, voir le suaire qui avait été sur la tête de Jésus, c'est avoir foi en la divinité du Christ, que les Juifs n'ont pas voulu accepter. Ce suaire est décrit comme étant séparé des autres linges, et ENROULÉ, et DANS UN LIEU À PART, car la divinité du Christ est cachée et séparée de toute créature en raison de son excellence – Il est au-dessus de tout, Dieu béni pour les siècles, amen. - Vraiment tu es un Dieu caché. Il vit le suaire roulé presque à la manière d'un cercle : en effet, lorsqu'on roule des linges, on ne voit en eux ni début ni fin, [ce qui est un symbole de] la majesté de la divinité qui n'a pas commencé à être ni ne cesse d'être - Jésus Christ est le même hier, aujourd'hui et pour les siècles . - Mais toi tu es le même et tes années ne cesseront pas. Mais ils le virent DANS UN [UNIQUE] LIEU, car Dieu n'habite pas là où se trouve une division des esprits, mais ceux-là méritent sa grâce qui sont un par la charité - C'est dans la paix qu'a été fait son lieu . - Il n'est pas un Dieu de dissension mais de paix.

2484. Ou bien on peut le comprendre autrement : par le suaire, par lequel la sueur de ceux qui travaillent est habituellement essuyée, on peut entendre le labeur de Dieu parce que, même si en lui-même il demeure toujours en repos, il déclare pourtant qu'il travaille lorsqu'il porte les lourdes perversités des hommes - Elles me sont un fardeau, j'ai travaillé en les supportant. Et c'est principalement ce labeur que le Christ a enduré dans l'humanité qu'il a assumée - II présentera sa mâchoire à celui qui le frappe, il sera rassasié d'opprobres.

Ce suaire, donc, se trouve éloigné à part, car la Passion de notre Rédempteur est loin de la nôtre, qui en est séparée. En effet, par les linges, qui se rapportent aux membres comme le suaire à la tête, on peut entendre les passions des saints ; le suaire, à savoir la Passion du Christ, en est séparé, car le Christ a porté sans faute ce que nous, nous supportons avec des fautes - Le Christ est mort, juste pour les injustes. Il a voulu de lui-même succomber à la mort - Personne ne m'enlève ma vie, mais je la donne de moi-même. - II nous a aimés et s'est livré lui-même pour nous. Mais les saints vont à la mort malgré eux - Un autre te ceindra et te conduira là où tu ne voudrais pas aller.

2485. Mais pourquoi l'Évangéliste raconte-t-il tout cela avec autant de soin ? Selon Chrysostome, il faut répondre qu'il voulait écarter la fausse opinion divulguée par les Juifs, selon laquelle le corps du Christ avait été enlevé en cachette, comme on le voit en Matthieu. En effet, si certains l'avaient emporté de cette manière, ils ne l'auraient certainement pas dénudé, surtout parce qu'ils auraient dû faire cela avec hâte en raison de la présence des gardes. Et ils ne se seraient pas non plus souciés d'enlever le suaire, de le rouler et de le poser dans un lieu à part ; mais si cela était arrivé, ils auraient simplement laissé le suaire après avoir pris le corps. Une autre raison est le fait que la sépulture fut effectuée avec de la myrrhe et de l'aloès qui collent les linges au corps, de telle manière qu'ils n'auraient pas pu être si rapidement séparés du corps.

2486. L'Évangéliste mentionne ensuite l'entrée de Jean. Celui-ci en effet ne resta pas dehors mais il entra après Pierre, car à la fin du monde la Judée aussi sera acquise à la foi en la Rédemption - Une partie d'Israël a été aveuglée jusqu'à ce que soit entrée la plénitude des nations, et ainsi tout Israël sera sauvé. - Un reste sera sauvé.

2487. Ou autrement, selon le mystère : ces deux disciples représentent deux genres d'hommes, à savoir ceux qui s'adonnent à la contemplation de la vérité - ceux-ci sont signifiés par Jean - et ceux qui s'attachent à l'obéissance aux commandements, lesquels sont signifiés par Pierre. De fait, Simon se traduit par « obéissant ».

Il arrive très souvent, en effet, que le contemplatif parvienne le premier à la connaissance des mystères du Christ par son aptitude à apprendre, mais qu'il n'entre pas ; car parfois l'intelligence est première mais l'amour ne suit que tardivement, ou ne suit pas. Mais l'actif, par la véhémence de sa ferveur et son zèle, même s'il comprend plus tardivement - Par tes commandements j'ai acquis l'intelligence -, cependant entre plus vite, si bien que ceux qui furent les derniers à arriver deviennent les premiers à connaître - Les premiers seront derniers et les derniers seront premiers.

2488. Il indique ici l'effet de la recherche. On pourrait d'abord penser que le sens est le suivant : IL VIT cela et IL CRUT que le Christ était ressuscité. Mais, selon Augustin, cela n'a pas de sens, car on a ensuite : ILS N'AVAIENT PAS ENCORE COMPRIS L'ÉCRITURE. Il faut donc dire qu'IL VIT le tombeau vide et qu'IL CRUT ce que la femme avait dit, à savoir qu'on avait emporté le Seigneur. Alors suit le verset : ILS N'AVAIENT PAS ENCORE COMPRIS L'ÉCRITURE, car leur intelligence n'avait pas encore été ouverte à l'intelligence des Écritures.

Mais le Christ ne leur a-t-il pas prédit sa Passion et sa Résurrection ? - Et le troisième jour il ressuscitera. Je réponds en disant que, parce qu'ils avaient l'habitude d'entendre de Jésus des paraboles, parmi les choses qu'il leur disait ouvertement il y en avait beaucoup qu'ils ne comprenaient pas, et ils croyaient qu'il voulait signifier quelque chose d'autre.

2489. Ou bien, selon Chrysostome, IL VIT les linges ainsi posés en ordre, ce qui n'aurait pas été fait si le corps avait été enlevé en cachette, et IL CRUT, d'une foi vraie, que le Christ s'était relevé de la mort. Et alors ce qui suit : CAR ILS N'AVAIENT PAS ENCORE COMPRIS L'ÉCRITURE, se rapporte à ce qu'il dit : IL VIT ET IL CRUT, comme s'il disait : avant de voir, il n'avait pas compris l'Écriture SELON LAQUELLE IL FALLAIT QU'IL RESSUSCITÂT D'ENTRE LES MORTS. Mais quand il vit, il crut qu'il était ressuscité des morts.

Β. L'APPARITION DES ANGES

2490. Après avoir rapporté comment Marie-Madeleine est venue voir le tombeau ouvert, l’Évangéliste montre ici comment elle est parvenue à la vision des anges, et premièrement il montre la dévotion de cette femme, puis la vision des anges [n° 2495] ; enfin il rapporte les paroles que les anges lui adressent [n° 2500].

La dévotion de cette femme, qui mérita la vision des anges, est mise en lumière de trois manières.

2491. Sa dévotion est mise en lumière en premier lieu par sa constance que, d'abord, le retour des disciples a rendue louable, car LES DISCIPLES, ne connaissant pas encore l'Écriture selon laquelle il fallait que Jésus ressuscitât d'entre les morts, S'EN RETOURNÈRENT CHEZ EUX, c'est-à-dire là où ils habitaient et d'où ils étaient venus au tombeau en courant. Jusque-là, en effet, dispersés en raison de la peur, ils ne demeuraient pas ensemble - Je frapperai le pasteur et les brebis du troupeau seront dispersées. - Les pierres du sanctuaire ont été dispersées à Ventrée de toutes les places.

En second lieu, sa constance est louable du fait qu'elle s'attarde : car MARIE SE TENAIT DEHORS PRÈS DU TOMBEAU, PLEURANT. En effet, après le départ des disciples, un amour plus fort et plus fervent maintenait en ce lieu cette femme qui par sa nature était plus faible.

2492. Mais il y a ici une question, car Marc dit que les femmes sortirent du tombeau ; elles y étaient donc entrées. Pourquoi donc Jean dit-il qu'elle SE TENAIT DEHORS ?

Réponse : il faut dire que le tombeau du Christ était creusé dans la pierre et qu'autour de lui se trouvait un jardin clos, comme on l'a vu plus haut. Parfois, donc, les évangélistes appellent « tombeau » seulement le petit lieu (loculum) où le corps avait été enseveli, et parfois tout le lieu qui était clos. Ainsi, lorsqu'il est dit qu'elles sortirent du tombeau, il faut le comprendre de tout le jardin clos. Mais ce qui est dit - MARIE SE TENAIT DEHORS - doit s'entendre : devant le lieu du sépulcre de pierre, mais cependant à l'intérieur de cet espace où les femmes étaient déjà entrées et où elle, Marie, se tenait en raison de la constance de son amour, constance qui avait enflammé son esprit - Soyez fermes et inébranlables, toujours abondants dans l'œuvre du Seigneur. - Nos pieds s'étaient arrêtés .

2493. En second lieu sa dévotion est mise en lumière par l'abondance de ses larmes, car elle pleurait - Pleurant, elle a pleuré pendant la nuit.

Il y a en effet deux genres de larmes : des larmes de componction pour la purification des péchés - Je laverai chaque nuit mon lit [de mes pleurs] ; j'arroserai ma couche de mes larmes - et des larmes de dévotion dans le désir des réalités célestes - Ils s'en allaient en pleurant, portant la semence, c'est-à-dire se hâtant vers les réalités célestes. Certes, Marie-Madeleine a abondé en larmes de componction au temps de sa conversion quand, en aimant la vérité, elle a lavé de ses larmes les taches de ses fautes, elle qui avait été pécheresse dans la ville - De nombreux péchés lui sont remis car elle a beaucoup aimé . Elle a encore abondé en larmes de dévotion lors de la Passion et de la Résurrection du Christ, comme on le voit ici.

2494. En troisième lieu sa dévotion est mise en lumière par la diligence de sarecherche. C'est pourquoi il est dit ET, TOUT EN PLEURANT, ELLE SE PENCHA ET REGARDA DANS LE TOMBEAU. Car ces pleurs provenaient du désir de son amour. En effet, la nature de l'amour est de vouloir avoir la présence de l'aimé, et s'il ne peut l'avoir en réalité, il la possède au moins par la connaissance - Là où est ton trésor, là aussi est ton cœur. Marie pleurait donc amèrement, car ses yeux qui cherchaient le Seigneur et ne le trouvaient pas se livraient aux larmes, souffrant encore plus de ce qu'il avait été enlevé du tombeau ; car il ne restait aucun souvenir d'un maître si grand, dont la vie avait été enlevée. Et c'est pourquoi, puisqu'elle ne pouvait l'avoir, voulant du moins voir le lieu où il avait été déposé, ELLE SE PENCHA ET REGARDA DANS LE TOMBEAU. Il nous est ici donné à entendre que nous devons regarder la mort du Christ avec humilité de cœur - Tu as caché ces choses aux sages et aux prudents et tu les as révélées aux tout-petits. ELLE (...) REGARDA, pour nous donner l'exemple de regarder sans cesse la mort du Christ avec les yeux de l'esprit. En effet, à celui qui aime il ne suffit pas d'avoir regardé une fois, alors que la force de son amour décuple son intention de chercher - Contemplant l'auteur de votre foi et qui la mène à sa perfection, Jésus, qui, au lieu de la joie qui lui était proposée, endura la croix dont il méprisa l'infamie.

ELLE SE PENCHA ET REGARDA, car la charité du Christ la pressait - La charité du Christ nous presse. Ou plutôt, selon Augustin, il y eut dans son âme un instinct divin pour qu'elle regarde et qu'elle voie quelque chose de plus élevé, à savoir les anges - Ceux qui sont menés par l'Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu.

2495. L'Évangéliste traite ensuite de la vision des anges, au sujet de laquelle il aborde quatre points.

2496. Premièrement, ce que Marie-Madeleine a vu : DEUX ANGES, pour montrer que tous les ordres des anges se soumettaient au Christ, aussi bien ceux qui se tiennent devant lui que ceux qui le servent - Que tous ses anges l'adorent, ce qui est tiré d'un psaume.

Mais ici surgit une question, puisque Matthieu et Marc disent que Marie et les autres femmes ont vu un seul ange se tenant à côté du tombeau, alors qu'ici on parle de deux anges, et à l'intérieur. Mais les deux sont vrais , car Matthieu et Marc racontent ce qui est arrivé en premier lieu, à savoir qu'elles sont d'abord venues et que, découvrant que le corps avait été emporté, elles sont retournées vers les disciples. Et ce que Jean raconte est arrivé au retour, lorsque Marie revint avec les disciples et qu'après leur départ elle resta là.

2497. Deuxièmement, l'Évangéliste décrit l'habit des anges, VÊTUS DE BLANC, montrant par là la clarté de la Résurrection et la gloire du Christ ressuscité- Ils marcheront avec moi vêtus de blanc. Dans l'Apocalypse il est dit aussi que l'armée qui est dans le ciel le suivait en vêtements blancs , c'est-à-dire glorieux.

2498. Troisièmement, il décrit leur position : ASSIS, ce qui signifie le repos et la puissance du Christ qui, se reposant désormais de toutes ses tribulations, règne dans sa chair immortelle, siégeant à la droite du Père - Siège à ma droite. - Il siégera sur le trône de David et sur son royaume .

2499. Quatrièmement, il décrit l'ordre, UN À LA TÊTE ET UN AUX PIEDS, ce qui peut se référer à trois choses. D'abord aux deux Testaments : en effet, l'original grec du mot « ange », en latin angelus, signifie « envoyé » (nuntius). Or les deux Testaments avaient annoncé (annuntiaverunt) le Christ, car il est dit en Matthieu : La foule qui le précédait et celle qui le suivait criaient : « Hosanna au fils de David. » Ainsi, l'ange assis à la tête signifie l'Ancien Testament et celui qui est assis aux pieds, le Nouveau.

Cela se réfère aussi aux prédicateurs. En effet, il y a deux natures dans le Christ : la nature divine et la nature humaine. La tête du Christ, c'est Dieu, comme le dit la première épître au Corinthiens, mais les pieds sont son humanité - Nous adorerons dans le lieu où se sont arrêtés ses pieds. Celui donc qui annonce la divinité du Christ, comme il est dit plus haut : Dans le principe était le Verbe, siège à la tête ; tandis que celui qui annonce l'humanité du Christ - Le Verbe s'est fait chair - siège aux pieds. Enfin, cela peut se référer au temps de l'annonce, et ainsi l'un siège à la tête et l'autre aux pieds car ils signifiaient que les mystères du Christ doivent être annoncés du début jusqu'à la fin du monde - Vous annoncerez la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'il vienne.

2500. L'Évangéliste traite ici de la parole des anges, rapportant d'abord leur interrogation puis la réponse de la femme [n° 2502].

2501. Au sujet du premier point il faut savoir que les anges, sachant que la femme doutait encore, s'enquièrent de la cause de ses pleurs, en commençant d'une certaine manière par des choses éloignées. C'est pourquoi le texte dit : ILS, à savoir les anges, LUI DEMANDÈRENT : « POURQUOI PLEURES-TU ? » Comme s'ils disaient : Ne pleure pas, c'est tout à fait vain, car au soir, de la Passion, sera réservé le pleur et au matin, de la Résurrection, la joie. - Que ta voix se repose des pleurs et tes yeux des larmes, car il y a une récompense pour ton œuvre.

Il faut noter ici, selon Grégoire, que ces saintes paroles qui excitent en nous des larmes d'amour, consolent les mêmes larmes en nous promettant l'espérance de notre Rédempteur - Selon la multitude des douleurs qui étaient dans mon cœur, tes consolations ont réjoui mon âme.

2502. Mais la femme, croyant qu'ils avaient interrogé comme par ignorance, pense qu'ils ne sont pas des anges mais des hommes, et elle leur expose la cause de ses pleurs : ON A ENLEVÉ MON SEIGNEUR, c'est-à-dire le corps de mon Seigneur. Là elle désigne la partie par le tout, comme nous confessons que le Seigneur Jésus Christ, le Fils de Dieu, a été enseveli, alors que seule sa chair a été ensevelie puisque sa divinité n'a pas abandonné sa chair. ET JE NE SAIS PAS OÙ ON L'A MIS, ce qui était la cause de sa désolation : elle ne savait pas où aller et le trouver pour consoler sa douleur.

2503. Mais avoir une chose qui a appartenu à l'ami, cela va-t-il consoler celui qui aime ? Selon Augustin, cela va plutôt le faire souffrir. C'est pourquoi il dit lui-même qu'il fuyait tous les lieux dans lesquels il avait vécu avec son ami. Et cependant, Chry-sostome dit que cela va le consoler.

Mais les deux sont vrais. En effet, dans toutes les réalités où joie et tristesse sont mêlées, l'espérance de la réalité désirée est cause de joie - Joyeux dans l'espérance, patients dans la tribulation. Cependant elle est aussi cause de tristesse, car l'espérance déçue afflige l'âme, mais ce n'est pas selon la même raison. En effet, en tant que par l'espérance la réalité aimée se présente comme pouvant être obtenue, cette réalité cause la joie ; mais la réalité espérée en tant qu'elle est absente en acte, attriste. Tel est le cas ici : la réalité qui appartient à l'ami, en tant qu'elle rend présent l'ami, est cause de joie pour celui qui aime, mais en tant qu'elle rappelle à la mémoire que l'ami a été enlevé, elle cause la tristesse.

C. LA VISION DU CHRIST

2504. Ici l'Évangéliste montre comment cette femme est parvenue à voir le Christ ; il rapporte d'abord la vision du Christ, puis montre que cette femme l'a reconnu [n° 2513] ; enfin, il expose l'instruction de cette femme par le Christ [n° 2515].

Il mentionne premièrement la vision que la femme a du Christ, puis il rapporte les paroles du Christ [n° 2507].

2505. Il dit donc d'abord LORSQU'ELLE, Marie-Madeleine, EUT DIT CELA, aux anges, ELLE SE RETOURNA EN ARRIÈRE. Mais Chrysostome demande : cette femme qui parlait avec les anges, qu'elle considérait au moins comme des hommes respectables, pourquoi se retourne-t-elle sans attendre la réponse à ce qu'elle leur avait dit ?

Réponse : il faut dire qu'après que la femme eût répondu aux anges, le Christ vint, et que les anges lui manifestèrent leur révérence en se levant ; voyant cela, la femme, étonnée, regarda en arrière pour savoir devant quoi ils s'étaient levés. De là vient que Luc rapporte que les anges ont été vus debout. Ainsi, s'étant retournée en arrière pour regarder, ELLE (...) VIT JÉSUS DEBOUT ; ET ELLE NE SAVAIT PAS QUE C'ÉTAIT JÉSUS. En effet, elle voyait sous une apparence non glorieuse celui que les anges, le voyant glorieux, honoraient.

Il nous est aussi montré par là que si quelqu'un désire voir le Christ, il doit se tourner vers lui - Tournez-vous vers moi, dit le Seigneur des armées, et je me tournerai vers vous. Ceux-là parviennent à le voir qui se convertissent totalement à lui par l'amour - Elle [la Sagesse] se porte au-devant de ceux qui la désirent. Au sens mystique, cela signifie que cette femme avait tourné le dos au Christ par l'infidélité ; mais quand son âme s'est convertie pour le connaître, elle s'est retournée en arrière.

2506. Mais pourquoi ne l'a-t-elle pas reconnu, puisqu'il était le même ? Disons qu'il en fut ainsi soit parce que celui qu'elle avait vu mort, elle ne le croyait pas ressuscité, soit parce que ses yeux étaient empêchés de le reconnaître, comme il est dit des deux disciples allant à Emmaus.

2507. L'Évangéliste expose d'abord l'interrogation du Christ, puis la réponse de la femme [n° 2509].

2508. Au sujet du premier point, il faut savoir que cette femme progresse peu à peu ; car les anges s'enquièrent de la cause de ses pleurs, mais le Christ interroge pour savoir ce qu'elle cherche. En effet, les pleurs étaient causés par le désir de la recherche. Il interroge donc pour savoir qui elle cherche pour augmenter son désir, afin qu'en nommant qui elle cherchait, son amour devienne plus ardent et qu'ainsi elle recherche toujours - Recherchez sans cesse sa face. - Le chemin des justes est comme une lumière de l'aube dont l'éclat grandit jusqu'au plein jour.

2509. L'Évangéliste rapporte ensuite la réponse de la femme, et d'abord l'opinion qu'elle avait de celui qui interrogeait. Puis il rapporte les paroles de sa réponse [n° 2513].

2510. Elle pensait que C'ÉTAIT LE JARDINIER, car elle savait que les gardes, terrifiés à cause des anges, avaient déjà fui et que personne n'occupait les lieux, sauf celui qui les cultivait. Comme le dit Grégoire, cette femme tout en se trompant ne se trompa pas en croyant que le Christ était le jardinier ; car il plantait dans son cœur les semences des vertus par la force de son amour - J'ai dit : j'arroserai les plantations de mon jardin, et j'enivrerai le fruit de ma prairie.

2511. Elle lui répondit : SEIGNEUR, SI C'EST TOI QUI L'AS EMPORTÉ, DIS-MOI – elle l'appelle SEIGNEUR pour capter sa bienveillance. Mais comme celui-ci venait d'arriver et qu'elle ne lui avait pas dit qui elle cherchait, pourquoi dit-elle : SI C'EST TOI QUI L'AS EMPORTÉ ? Qui, lui ?

Il faut dire que la force de l'amour réalise ceci dans l'âme, qu'elle croit que nul autre n'ignore celui auquel elle pense toujours. De là vient que lorsque le Seigneur demanda en Luc : Quelles sont ces paroles que vous échangiez entre vous ? on lui répondit : Tu es le seul pèlerin à Jérusalem à ignorer ce qui y est arrivé ces jours-ci !

2512. Mais pourquoi dit-elle : SI C'EST TOI QUI L'AS EMPORTÉ, DIS-MOI OÙ TU L'AS MIS, ET MOI J'IRAI LE PRENDRE ? Admirable audace de cette femme, que l'aspect d'un mort ne terrifie pas et qui dans sa vaillance désire plus qu'elle ne le peut : emporter le lourd cadavre d'un mort ! Mais c'est bien ce que dit la première épître aux Corinthiens : La charité espère tout. Elle voulait donc le prendre, de peur que les Juifs ne s'acharnent sur le corps inanimé, et désirait le transporter dans un autre lieu inconnu.

2513. L'Évangéliste traite ensuite de la reconnaissance du Christ par la femme, et d'abord de son appel quand Jésus dit « MARIE » à celle qu'il avait appelée plus haut du nom commun de « femme ». Ici, il l'appelle par son nom propre, MARIE, pour montrer la connaissance spéciale qu'il a des saints - Lui qui compte la multitude des étoiles et à toutes leur donne un nom. —Je te connais par ton nom ; et pour montrer que, bien que toutes les réalités soient mues par Dieu d'une certaine motion générale, cependant une grâce spéciale est nécessaire pour la justification de l'homme.

On voit ensuite l'effet de l'appel : ELLE, SE RETOURNANT, LUI DIT : « RABBOUNI ! » (CE QUI VEUT DIRE MAÎTRE).

2514. Mais est-ce qu'elle ne regardait pas vers le Christ qui l'avait appelée ? Je réponds : selon Augustin, il faut dire que ceci se réfère à la disposition intérieure de son esprit : en effet, d'abord lorsqu'elle se retourna physiquement (corpore) elle pensa que le Christ était ce qu'il n'était pas, à savoir le jardinier ; mais à présent, elle est convertie de cœur car elle a reconnu ce qu'il était.

On peut dire aussi qu'elle croyait qu'il était quelqu'un d'autre. C'est pourquoi tandis qu'il lui parlait, préoccupée de ce qu'elle portait dans son cœur, elle ne le regarda pas, lui, mais regarda tout autour, cherchant à voir un signe de celui qui avait été enseveli. C'est pourquoi le Christ, l'appelant de nouveau, l'appela par son nom propre en lui disant « MARIE », comme s'il lui disait : « Où regardes-tu ? Reconnais celui par qui tu es reconnue. » Et c'est pourquoi aussitôt, appelée par son nom, elle en reconnut l'auteur en disant « RABBOUNI ! » (CE QUI VEUT DIRE MAÎTRE), car c'est ainsi qu'elle l'appelait d'habitude.

En cela il nous est donné de comprendre que l'appel du Christ est la cause de notre justification et de la vraie confession.

2515. L'Évangéliste montre ici comment Marie est instruite par le Christ, d'abord par une interdiction, puis par une affirmation [n° 2519].

2516. Il nous rapporte d'abord son admonition puis en donne la raison. Le Christ admoneste Marie pour qu'elle ne le touche pas, en lui disant NE ME TOUCHE PAS. Bien qu'on ne lise pas ici que la femme voulut le toucher, selon Grégoire nous devons comprendre par là que Marie, prosternée aux pieds de Jésus, voulut embrasser les traces de celui qu'elle reconnaissait.

Et il donne ensuite la raison : CAR JE NE SUIS PAS ENCORE MONTÉ VERS MON PÈRE, ce qui semble indiquer qu'après sa Résurrection et avant de monter au ciel, le Seigneur n'a pas voulu être touché par les hommes ; mais on voit le contraire en Luc : Touchez et voyez qu'un esprit n'a ni chair ni os. Et si tu dis qu'il a voulu être touché par les disciples et non par les femmes, cela ne peut pas tenir, car Matthieu dit de Madeleine et des autres femmes qu'elles s'approchèrent et lui saisirent les pieds.

Il faut donc comprendre, selon le sens littéral, que cette femme vit deux fois les anges sur son chemin. D'abord avec les autres femmes elle vit un ange assis sur la pierre, comme le disent Matthieu et Marc. Puis à son retour elle vit deux anges à l'intérieur du tombeau, comme le dit Jean. De manière semblable, en chemin elle vit deux fois le Christ : une première fois dans le jardin, quand elle le prit pour le jardinier, comme on l'a vu plus haut ; une deuxième fois sur le chemin, quand elle courait avec les autres annoncer aux disciples ce qu'elle avait vu, afin qu'ils fussent plus affermis dans la foi en la Résurrection, et alors elles s'approchèrent et saisirent ses pieds, comme le disent Matthieu et Marc.

2517. Au sens mystique il y a deux raisons pour lesquelles le Christ n'a pas voulu être touché. La première, c'est que cette femme représentait l'Église des Gentils qui ne devait pas toucher le Christ par la foi avant qu'il ne fût monté vers le Père - L'assemblée des peuples t'environnera, et à cause d'elle remonte dans les hauteurs.

La deuxième raison est que, selon Augustin, le toucher est comme le terme de la connaissance. En effet, quand nous voyons une réalité, nous la connaissons d'une certaine manière ; mais par le toucher nous en avons une connaissance achevée. Or cette femme avait foi dans le Christ comme en un homme saint, et c'est pourquoi elle l'appelait « maître » ; elle n'était pas encore parvenue à le connaître comme égal au Père et un avec Dieu. C'est pourquoi il dit : « NE ME TOUCHE PAS, c'est-à-dire ne fais pas de ce que tu crois de moi la fin de ta connaissance, CAR dans ton cœur JE NE SUIS PAS ENCORE MONTÉ VERS MON PÈRE parce que tu ne crois pas que moi je suis un avec lui », ce que cependant elle crut plus tard. En effet, au plus intime de ses sens le Christ, d'une certaine manière, monta vers le Père, lui qui avait tant grandi en elle qu'elle le connaissait égal au Père.

2518. On peut dire aussi, selon Chry-sostome, que cette femme, voyant le Christ ressuscité, crut qu'il existait dans la même qualité de chair en laquelle il avait été auparavant, possédant une vie mortelle ; c'est pourquoi elle voulait être avec lui comme avant la Passion et, en raison de sa joie, n'imaginait rien de plus grand, bien que la chair du Christ, en ressuscitant, fût devenue bien meilleure. Aussi, voulant la faire revenir de cette compréhension, il lui dit : NE ME TOUCHE PAS ; comme pour dire : ne pense pas que j'aie dorénavant une vie mortelle et que je vive avec vous de la même manière qu'auparavant - Si nous avons connu le Christ selon la chair, ce n'est plus ainsi que nous le connaissons maintenant. C'est ce qu'il ajoute : CAR JE NE SUIS PAS ENCORE MONTÉ VERS MON PÈRE. Et ce n'est pas alors un avertissement mais la réponse à une question tacite, comme s'il disait : « Tu me vois demeurant ici, non que je n'aie pas une chair glorieuse mais parce que JE NE SUIS PAS ENCORE MONTÉ VERS MON PÈRE ». En effet, avant son Ascension, il voulut affermir dans le cœur des Apôtres la foi en sa Résurrection et en sa divinité.

2519. L'Évangéliste rapporte ici une recommandation affirmative. Et d'abord il montre la recommandation, puis la promptitude de Marie à obéir. Il dit donc : MAIS VA VERS MES FRÈRES, à savoir les Apôtres, qui sont ses frères par conformité de nature - Il dut en tout être assimilé à ses frères -, et par l'adoption de la grâce car ils sont fils adoptifs du Père dont lui-même est le Fils par nature - J'annoncerai ton nom à mes frères.

Il faut ici noter le triple privilège qui fut octroyé à Madeleine. D'abord un privilège prophétique, car elle a mérité de voir les anges ; le prophète, en effet, est l'intermédiaire entre les anges et le peuple. Ensuite, elle est au-dessus des anges, du fait qu'elle voit le Christ sur lequel les anges désirent se pencher. Enfin elle a reçu un rôle apostolique ; bien plus, elle est devenue apôtre des Apôtres en ceci qu'il lui fut confié d'annoncer aux disciples la Résurrection du Seigneur pour que, de même qu'une femme apporta au premier homme des paroles de mort, ainsi aussi une femme annonce la première à des hommes les paroles de vie.

2520. ET DIS-LEUR : JE MONTE VERS MON PÈRE ET VOTRE PÈRE -Je m'en vais vers celui qui m'a envoyé. - Celui qui est descendu est le même que celui qui est monté au-dessus de tous les deux.

Mais Arius a pris appui sur ce verset pour son erreur : parce que Jésus dit MON PÈRE ET VOTRE PÈRE, il a voulu conclure que Dieu est Père du Fils de la même manière qu'il est notre Père, et Dieu du Fils comme il est notre Dieu. Mais à cela on doit répondre que, manifestement, l'intention avec laquelle le Christ dit cela se comprend à partir des circonstances du discours. En effet il a dit plus haut VA VERS MES FRÈRES : ceux-là, le Christ les a pour frères en tant qu'il est homme - donc il dit ces paroles en tant qu'il est homme -, et selon cela le Christ est soumis au Père comme la créature au créateur ; en effet, le corps même du Christ est une certaine créature.

2521. Ou autrement, selon Augustinle Christ parle ici de lui selon l'une et l'autre nature. En effet, ce qu'il dit - JE MONTE VERS MON PÈRE ET VOTRE PÈRE - relève de la nature divine selon laquelle il a pour Père Dieu, avec qui il a même nature et auquel il est éga1. Et ainsi, il faut comprendre autrement MON et VOTRE : il est le mien par nature et le vôtre par la grâce ; comme pour dire : ce que vous êtes, des fils adoptifs par la grâce, c'est par moi que vous l'avez - Dieu a envoyé son Fils (...) pour que nous recevions l'adoption des fils de Dieu . - Ceux qu’il a connus par avance pour être conformes à l'image de son Fils, pour que celui-ci soit l'aîné d'une multitude de frères. Et ce qu'il dit ensuite - MON DIEU ET VOTRE DIEU - se rapporte à la nature humaine selon laquelle il est gouverné par Dieu. Il dit ainsi MON DIEU, à qui moi en tant qu'homme je suis soumis, et VOTRE DIEU dont je suis à votre égard le médiateur, parce que par lui nous sommes en paix avec Dieu, et ainsi il est « notre » Dieu - Justifiés par la foi, nous avons la paix par notre Seigneur Jésus Christ par qui nous avons accès à la grâce dans laquelle nous sommes établis, et nous nous glorifions dans l'espérance de la gloire des fib de Dieu. - C'est Dieu qui se réconciliait le monde dans le Christ.

2522. On voit ensuite la promptitude de l'obéissance de Marie lorsque l'Évangéliste dit : MARIE-MADELEINE VINT ANNONCER AUX DISCIPLES : « J'AI VU LE SEIGNEUR ET VOILÀ CE QU'IL M'A DIT. » Elle VINT, du lieu où était l'espace du jardin devant la pierre du tombeau, ANNONCER AUX DISCIPLES - J'ai reçu du Seigneur ce que je vous ai transmis. - Ce que j'ai entendu du Seigneur Dieu des armées, du Dieu d'Israël, je vous l'ai annoncé.

II – LE CHRIST MANIFESTE SA RÉSURRECTION AUX DISCIPLES

2523. Après avoir traité des apparitions du Christ aux femmes, l'Évangéliste, dans cette partie, traite des apparitions faites aux Apôtres ; d'abord de l'apparition à Jérusalem à tous les Apôtres ensemble excepté Thomas, puis de celle qui eut lieu en présence de Thomas [n° 2551], et enfin, au chapitre 21, de celle qui eut lieu pour quelques-uns de manière spéciale près de la merde Galilée [n° 2569].

A. L'APPARITION À TOUS LES APÔTRES, EXCEPTE THOMAS

L'Évangéliste montre d'abord l'apparition du Seigneur, puis le doute d'un disciple [n° 2545].

Concernant le premier point l'Évangéliste rapporte trois choses : premièrement l'apparition du Seigneur, deuxièmement la remise du ministère [n° 2535], troisièmement la communication du don spirituel [n° 2538].

L'apparition du Seigneur.

Jean expose d'abord les circonstances de l'apparition, puis le contenu de l'apparition [n° 2530] et enfin ses conséquences [n° 2534].

L'apparition du Seigneur aux disciples est décrite à partir de quatre circonstances. D'abord à partir de la précision de l'heure ; ensuite à partir de la désignation du jour [n° 2525] ; puis à partir de la condition du lieu [n° 2526] ; enfin à partir de la disposition des disciples [n° 2529].

2524. Cette apparition eut donc lieu à l'heure du soir. Selon le sens littéral, il y a à cela deux raisons. La première, c'est que Jésus voulut apparaître à tous ensemble, et c'est pourquoi il a attendu jusqu'au soir afin que ceux qui étaient dispersés durant le jour fussent réunis le soir, car la nuit ils étaient ensemble.

La deuxième raison est que le Seigneur leur apparut pour les réconforter. Il a donc choisi l'heure où, étant davantage engourdis, ils avaient plus besoin de réconfort : l'heure du soir - Secours dans les tribulations qui nous ont assaillis à l'excès.

II y a également une raison mystique : à la fin du monde, le Seigneur apparaîtra aux fidèles quand se fera entendre au milieu de la nuit ce cri : « Voici l'époux qui vient », qui vient leur donner en retour leur récompense - Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant : appelle les ouvriers et donne-leur leur salaire.

2525. Le jour de l'apparition fut le jour même de la Résurrection : CE JOUR-LÀ, LE PREMIER DE LA SEMAINE, à savoir le dimanche, dont il a été fait mention plus haut dans ce chapitre : Or, le premier jour de la semaine. Nous avons déjà vu pourquoi il est appelé LE PREMIER DE LA SEMAINE [n° 2471].

En rassemblant les données des évangiles, on peut voir que le Seigneur est apparu cinq fois ce jour-là : deux fois aux femmes, à savoir une fois à Madeleine seule, et une autre fois avec les autres femmes qui s'en retournaient, et alors elles s'approchèrent et lui saisirent les pieds. Il est apparu une troisième fois aux deux disciples qui se rendaient à Emmaüs ce même jour. Il est apparu une quatrième fois à Simon-Pierre, mais où, quand et comment, cela n'est pas exprimé ; on dit seulement qu'il lui est apparu - Le Seigneur est vraiment ressuscité et il est apparu à Simon. En cinquième lieu il est apparu à tous les Apôtres réunis le soir, comme on le voit ici. Voilà pourquoi nous chantons : Voici le jour que fit le Seigneur : exultons et réjouissons-nous en lui.

Par là il nous est donné à entendre qu'au jour de la résurrection « commune », il apparaîtra de manière manifeste à tous : femmes, pécheurs, pèlerins, apôtres et hommes apostoliques, car tout œil le verra, même ceux qui l'ont transpercé .

2526. La condition du lieu est décrite par la fermeture des portes, qui indique leurs doutes et leurs craintes, car LES PORTES ÉTAIENT CLOSES, au sens littéral en raison de l'heure tardive parce que c'était la nuit, ET PAR PEUR DES JUIFS. Mais en ce qui concerne le Christ, quelle était la cause de la fermeture ? C'était pour qu'il leur manifestât la force de sa puissance en entrant chez eux les portes étant closes.

2527. Il faut savoir à ce sujet que, selon certains , entrer les portes étant closes est une propriété du corps glorieuxils disent que par une certaine condition qui lui est inhérente, il peut, en tant qu'il est glorieux, se trouver en même temps qu'un autre corps dans le même lieu, et que cela s'est fait et peut se faire sans miracle.

Mais cela ne peut pas être. En effet, il appartient par nature au corps humain non glorifié de ne pas pouvoir être dans le même lieu en même temps qu'un autre corps. Mais si on dit que le corps glorifié possède en lui comme propriété inhérente de pouvoir être dans le même lieu en même temps qu'un autre corps, il faut donc que soit exclue de lui cette propriété qui l'empêche actuellement d'exister en même temps qu'un autre corps. Mais cette propriété ne peut en aucune manière être séparée ou détruite du corps, puisqu'elle n'est pas une corporéité mathématique, comme disent certains, mais les dimensions mêmes du corps quantifié auxquelles la position (situs) appartient en propre. C'est pourquoi le Philosophe argumente contre ceux qui affirment l'existence d'idées et d'êtres mathématiques. Même en supposant que tout l'espace sur la terre fût vide, un corps sensible ne pourrait pas se trouver simultanément avec eux, à cause de ses dimensions quantitatives. Aucune propriété du corps glorieux ne peut retirer au corps ses dimensions [de quantité], la nature du corps demeurant. Il faut donc dire que le Christ a fait cela de manière miraculeuse par la puissance de sa divinité, et si quelque chose de semblable devait arriver à des saints, cela arriverait par miracle, et ce serait un nouveau miracle. Cela, Augustin et Grégoire le disent expressément. Augustin dit en effet : « Tu demandes comment il a pu entrer par les portes fermées ? Si tu comprends la manière, ce n'est plus un miracle. Là où la raison défaille, là la foi édifie » ; et il ajoute : « Celui-là a pu entrer sans que les portes soient ouvertes, lui à la naissance de qui la virginité de sa mère est restée inviolée. » Donc, comme sa naissance d'une mère vierge fut miraculeuse en vertu de sa divinité, ainsi cette entrée fut miraculeuse.

2528. Au sens mystique, il nous est par là donné à entendre que le Christ nous apparaît quand les portes, c'est-à-dire les sens extérieurs, sont fermés dans la prière - Toi donc, quand tu pries, entre dans ta chambre - et à la fin du monde, quand les vierges qui seront prêtes entreront pour les noces et que la porte sera ensuite fermée, comme on le voit en Matthieu.

2529. La disposition des disciples nous est donnée pour que nous l'imitions, car ils SE TROUVAIENT RASSEMBLÉS, ce qui n'est certes pas vide de mystère. En effet, le Christ vient vers ceux qui sont rassemblés et le Saint-Esprit descend sur ceux qui sont rassemblés, car le Christ et le Saint-Esprit ne sont présents qu'à ceux qui sont rassemblés dans la charité - Lorsque deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis là au milieu d'eux.

2530. L'apparition du Christ est ici rapportée en trois points : la présence du Christ donnée aux disciples, la salutation qu'il leur fit [n° 2532], et la manifestation certaine qu'il leur accorda [n° 2533].

2531. Le Christ leur manifesta sa présence sans laisser le moindre doute. Il vint en personne, lui-même, le même, comme il le leur avait promis plus haut : Je m'en vais et je reviens vers vous. Mais IL SE TINT AU MILIEU pour que tous le reconnaissent avec certitude. C'est pourquoi on peut blâmer les Juifs qui ne l'ont pas reconnu -Au milieu de vous se tient quelqu'un que vous ne connaissez pas. IL SE TINT AU MILIEU D'EUX pour montrer la conformité de nature humaine qu'il a avec eux - Une couronne de frères est autour de lui, comme une plantation de cèdres sur la montagne du Liban. De même, IL SE TINT AU MILIEU par condescendance, car il a vécu avec eux comme l'un d'entre eux - Ils t'ont établi chef ? Ne t'exalte pas, sois parmi eux comme l'un d'entre eux. - Je suis au milieu de vous comme celui qui sert. En outre, ce fut pour indiquer que nous devons être dans le milieu de la vertu- Voici la voie : marchez-y sans vous en écarter à droite ou à gauche. Celui qui tombe dans l'excès s'écarte à droite ; celui qui pèche par défaut s'écarte à gauche.

2532. Il leur adressa des paroles de salutation en disant : « PAIX À VOUS ». Or celle-ci leur fut nécessaire, car leur paix était troublée de multiples manières. D'abord à l'égard de Dieu, contre lequel ils avaient péché, certains en niant, d'autres en fuyant - Vous tous vous allez tomber cette nuit à cause de moi, car il est écrit : Je frapperai le pasteur et les brebis du troupeau seront dispersées. Face à cela, le Christ leur offrit la paix de la réconciliation avec Dieu - Nous sommes réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils -, ce qu'il fit par sa Passion.

Ensuite, leur paix était troublée quant à eux-mêmes, car ils étaient tristes et remplis de doutes dans leur foi. Et cette paix-là aussi, il la leur offrit [déjà] réalisée - Grande paix pour ceux qui aiment ta loi.

Enfin à l'égard de l'extérieur, car ils souffraient des persécutions de la part des Juifs ; face à cela il leur dit : « PAIX À VOUS », à savoir face aux persécutions des Juifs - Je vous donne la paix, je vous laisse ma paix.

2533. Il se manifesta à eux de manière certaine par ses mains et son côté, car c'est en eux qu'ont demeuré de manière spéciale les signes de sa Passion - Voyez mes mains et mes pieds, c'est bien moi. Et c'est ainsi qu'il se montrera dans la gloire : Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole , et encore : Je me manifesterai à lui.

LES DISCIPLES SE RÉJOUIRENT DONC À LA VUE DU SEIGNEUR. (20, 20)

2534. On rapporte ici l'effet de l'apparition qui est la joie dans les cœurs des disciples à la vue du Seigneur, joie qu'il leur avait promise plus haut : Mais à nouveau je vous verrai, et votre cœur se réjouira . Mais, pour les bons, cette joie sera plénière dans la Patrie par la claire vision de Dieu - Vous verrez et votre cœur se réjouira, et vos os comme l'herbe verdiront.

2535. Il confie aux Apôtres un ministère. D'abord il leur annonce une alliance de paix, puis il leur remet le ministère [n° 2537].

2536. Il leur dit cela pour chasser deux troubles. En effet, contre la perturbation présente venant des Juifs, il leur a dit d'abord : « PAIX À VOUS » ; mais contre la perturbation venant des Gentils, IL LEUR DIT DE NOUVEAU : « PAIX À VOUS » - Dans le monde vous aurez à souffrir, mais en moi vous aurez la paix. Car c'est aux Gentils qu'ils devaient être envoyés.

2537. Et c'est pourquoi nous est aussitôt rapporté le don du ministère, et par là il montre qu'il est médiateur entre Dieu et les hommes - Un homme, le Christ Jésus, est médiateur entre Dieu et les hommes. C'était pour consoler les disciples qui, reconnaissant l'autorité du Christ, savaient qu'il les envoyait en vertu d'une autorité divine ; et pour qu'ils considèrent leur dignité propre, à savoir qu'ils auraient un ministère proprement apostolique : apôtre, en effet, est la même chose qu'envoyé.

Il dit donc COMME MON PÈRE M'A ENVOYÉ, MOI AUSSI JE VOUS ENVOIE ; c'est-à-dire, comme le Père qui m'aime m'a envoyé dans le monde afin d'y souffrir la Passion pour le salut des fidèles - Car Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui -, ainsi moi qui vous aime, je vous envoie endurer des tribulations pour mon nom - Voici que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups.

2538. Ensuite, il les rend capables, en leur donnant l'Esprit Saint, d'exercer leur ministère - Lui qui nous a rendus capables d'être ministres d'une nouvelle Alliance, non de la lettre, mais de l'esprit.

Au sujet de ce don, il commence par leur en donner un signe qui est le souffle : IL SOUFFLA SUR EUX. On voit quelque chose de semblable dans la Genèse : Il insuffla sur son visage un souffle de vie, celui de la vie naturelle, que le premier homme a corrompu mais que le Christ a réparé en donnant l'Esprit Saint.

Il ne faut pas entendre que ce souffle émis par le Christ fut l'Esprit Saint, mais un signe de lui. C'est pourquoi Augustin dit« Ce souffle corporel ne fut pas la substance de l'Esprit Saint, mais un signe adéquat montrant que l'Esprit Saint ne procède pas seulement du Père mais aussi du Fils. »

2539. Il faut en effet noter que l'Esprit Saint a été envoyé deux fois sur le Christ et deux fois sur les Apôtres ; sur le Christ d'abord, sous l'aspect d'une colombe lors du baptême et sous l'aspect d'une nuée lors de la Transfiguration. La raison en est que la grâce du Christ, qui est donnée par l'Esprit Saint, devait découler jusqu'à nous par la propagation de la grâce dans les sacrements, et ainsi il descendit au baptême sous la forme d'une colombe qui est un animal fécond ; et aussi par la doctrine, et ainsi il descendit dans une nuée lumineuse. C'est aussi pourquoi il fut révélé alors comme docteur : Écoutez-le.

Sur les Apôtres, il est descendu une première fois par le souffle, pour désigner la propagation de la grâce dans les sacrements dont ils étaient les ministres - Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis . - Allez donc et baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Mais il est descendu une deuxième fois sous la forme de langues de feu pour signifier la propagation de la grâce par la doctrine. C'est pourquoi il est dit dans les Actes des Apôtres qu'après avoir été remplis de l'Esprit Saint ils commencèrent aussitôt à parler.

2540. L'Évangéliste rapporte ensuite les paroles exprimant le don : RECEVEZ L'ESPRIT SAINT. Mais est-ce là qu'ils ont reçu l'Esprit Saint ? Il semble que non : puisque le Christ n'était pas encore monté au ciel, il ne devait pas donner de dons aux hommes. Et, selon Chrysostome , certains disent que ce n'est pas là que le Christ leur a donné l'Esprit Saint, mais qu'il les a préparés au don futur de la Pentecôte. Ils sont poussés à dire cela en raison de Daniel qui dit qu'il n'a pu soutenir la vision de l'ange ; et donc les Apôtres, s'ils n'avaient pas été préparés, n'auraient pas pu soutenir la venue de l'Esprit Saint. Cependant, le même Chrysostome dit : « L'Esprit Saint n'a pas été donné aux disciples d'une manière commune pour tout, mais pour un certain effet », c'est-à-dire remettre les péchés, et comme on le lit en Matthieu, faire des miracles. Augustin et Grégoire, eux, disent que l'Esprit Saint a deux préceptes d'amour, à savoir l'amour de Dieu et l'amour du prochain. Et donc il a d'abord été donné « sur la terre » pour signifier le précepte de l'amour du prochain, puis « du ciel » pour signifier le précepte de l'amour de Dieu.

2541. On voit ensuite le fruit du don : CEUX À QUI VOUS REMETTREZ LES PÉCHÉS, ILS LEUR SERONT REMIS, et cet effet - la rémission des péchés - convient à l'Esprit Saint car lui-même est charité et c'est par lui que la charité nous est donnée - La chanté de Dieu a été répandue dans nos cœurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné. En effet, la rémission des péchés ne se fait que par la charité, parce que la charité couvre tous les péchés. - La charité couvre une multitude de péchés.

2542. Ici on s'interroge d'abord sur ce qu'il dit : CEUX À QUI VOUS REMETTREZ LES PÉCHÉS, puisque Dieu seul remet les péchés. Pour cette raison, certains disent que Dieu seul remet la faute et que le prêtre n'absout que du mal de peine et déclare le pécheur absous du mal de faute. Mais cela n'est pas vrai car le sacrement de pénitence, étant un sacrement de la loi nouvelle, confère la grâce, comme elle est aussi conférée lors du baptême. Or au baptême le prêtre baptise comme instrument, et cependant il confère la grâce ; donc, de manière semblable, dans le sacrement de pénitence il absout de manière sacramentelle et ministérielle et de la peine et de la faute, en tant qu'il donne le sacrement dans lequel les péchés sont remis.

Quant à ce qui est dit, à savoir que Dieu seul remet les péchés, cela est vrai à cause de son autorité. C'est ainsi également qu'on dit que Dieu seul baptise, mais le prêtre le fait par son ministère, comme on l'a dit.

2543. De même, cherchons le sens de la parole RECEVEZ L'ESPRIT SAINT ; CEUX À QUI VOUS REMETTREZ LES PÉCHÉS, ILS LEUR SERONT REMIS. Là il semble que celui qui n'a pas l'Esprit Saint ne puisse pas remettre les péchés.

À cela il faut répondre que si la rémission des péchés était l'œuvre propre du prêtre, c'est-à-dire s'il faisait cela de son propre pouvoir, il ne pourrait de toutes façons pas sanctifier s'il n'était pas saint. Mais la rémission des péchés est l'œuvre propre de Dieu, qui par sa puissance et son autorité propres remet les péchés ; elle n'est pas l'œuvre du prêtre, si ce n'est en tant qu'il est un instrument. De même qu'un seigneur peut exécuter sa volonté par le moyen d'un serviteur ou d'un ministre, que celui-ci soit bon ou mauvais, pour accomplir quelque chose, ainsi le Seigneur peut conférer par des ministres, même si ceux-ci sont mauvais, les sacrements dans lesquels est donnée la grâce.

2544. Si on se demande ce que signifie CEUX À QUI VOUS REMETTREZ LES PÉCHÉS, ILS LEUR SERONT REMIS, il faut dire, comme on l'a dit plus haut, que le prêtre agit dans les sacrements comme ministre de Dieu - Qu'on nous regarde donc comme des ministres du Christ et des dispensateurs des mystères de Dieu. De la même manière que Dieu remet et retient les péchés, de même le prêtre. Or Dieu remet les péchés en accordant sa grâce ; mais on dit qu'il les retient en ne l'accordant pas, en raison d'un empêchement du côté de celui qui reçoit. De même le ministre remet les péchés en tant qu'il dispense les sacrements de l'Église, et il les retient en tant qu'il montre que certains sont indignes de recevoir les sacrements.

2545. Après avoir parlé de l'apparition du Sauveur, l'Évangéliste traite à présent du doute d'un disciple. Il mentionne d'abord l'absence du disciple, puis l'annonce qui lui est faite [n° 2548], enfin son doute obstiné [n° 2549].

2546. Le disciple absent est présenté d'abord par son nom, THOMAS, qui signifie « abîme » ou « jumeau ». Or il y a deux choses dans l'abîme : la profondeur et l'obscurité. Thomas est donc abîme en raison de l'obscurité de l'incroyance qu'il porte en lui, et il est aussi abîme en raison de la profondeur de la miséricorde qu'il reçoit du Christ. Il est dit à ce propos dans le psaumeL'abîme de la profondeur, c'est-à-dire le Christ, appelle, en faisant miséricorde, l'abîme de l'obscurité, c'est-à-dire Thomas ; et l'abîme de l'obstination, Thomas, appelle en confessant [sa foi] l'abîme de la profondeur, le Christ.

Le disciple est ensuite décrit par sa dignité, UN DES DOUZE, c'est-à-dire des douze Apôtres, non qu'alors ils aient été douze, puisque Judas avait déjà péri, mais parce qu'il avait été choisi pour cette dignité que Dieu avait scellée du nombre douze - Il en choisit douze qu'il appela Apôtres. Et le Seigneur a toujours voulu que ce nombre demeurât intègre.

Enfin par la signification de son nom, APPELÉ DIDYME. Thomas, en effet, est un nom syrien ou hébraïque qui a deux significations : « jumeau » et « abîme ». Jumeau (geminus en latin) se dit Didymus en grec et donc, parce que Jean écrivit son Évangile en grec, il a écrit DIDYME. Et Thomas est appelé « jumeau » parce qu'il fut peut-être de la tribu de Benjamin dans laquelle certains, voire même tous, étaient appelés jumeaux. Ou bien cela peut se référer à son doute, car celui qui est certain se tient ferme d'un côté, mais celui qui doute choisit un côté en ayant peur de l'autre.

2547. Ce Thomas donc, N'ÉTAIT PAS AVEC EUX, à savoir les disciples, QUAND JÉSUS VINT : en effet, il revint plus tard que les autres qui étaient dispersés durant le jour, et il perdit ainsi la consolation de la vision du Seigneur, la bonne parole de la paix et le souffle de l'Esprit Saint. Nous apprenons par là que nous ne devons pas nous séparer de la communauté - Ne désertez pas notre assemblée, comme certains en ont la coutume. Mais comme le dit Grégoire, ce n'est pas arrivé par hasard, mais en vertu de la volonté divine, qu'un disciple choisi fût alors absent ; et ce fut selon l'économie de la miséricorde divine, c'est-à-dire pour que le disciple qui doutait, en palpant les blessures de la chair de son maître, guérît en nous les blessures de l'incroyance.

En cela apparaissent donc les signes les plus éclatants de la très grande miséricorde de Dieu. Premièrement, parce qu'il aime tellement le genre humain que parfois il permet que certaines tribulations arrivent à ses élus, afin que de là en résulte un bien pour le genre humain. C'est pour cela en effet qu'il a permis que les apôtres, les prophètes et les saints soient affligés - C'est pourquoi je les ai frappés par mes prophètes, je les ai tués par les paroles de ma bouche. - Si nous sommes dans la tribulation, c'est pour votre encouragement et votre salut ; si nous sommes consolés, c'est pour votre consolation ; si nous sommes encouragés, c'est pour votre encouragement et votre salut qui s'accomplit par la patience à supporter les mêmes souffrances que nous supportons.

Mais, et c'est plus admirable encore, il permet qu'un saint tombe dans le péché pour nous instruire. Pourquoi, en effet, a-t-il permis que des saints et des hommes justes aient gravement péché, comme David, qui fut adultère et homicide, si ce n'est pour que, instruits de ces exemples, nous soyons plus prudents et plus humbles ? Afin que celui qui estime tenir debout prenne garde de ne pas tomber et que celui qui est tombé s'efforce de se relever. C'est pourquoi Ambroise disait à l'empereur Théodose : « Tu as suivi en errant, efforce-toi de poursuivre en faisant pénitence. » Ainsi, comme le dit Grégoire, l'incroyance de Thomas a été plus utile à notre foi que la foi des disciples croyants.

2548. Parce que Thomas n'était pas venu aussitôt, LES AUTRES DISCIPLES LUI DIRENT DONC : « NOUS AVONS VU LE SEIGNEUR. » Et c'est bien selon l'ordre de la sagesse divine (ordinatione divina), que ce que l'un a reçu de Dieu, il le communique aux autres - Que chacun mette au service des autres la grâce qu’il a reçue. - Ce que j'ai entendu du Seigneur des armées, du Dieu d'Israël, je vous l'ai annoncé. -J'ai vu le Seigneur et j'ai eu la vie sauve.

2549. Là l'Évangéliste expose le doute obstiné de Thomas. Certes, Thomas pourrait avoir été assez excusable de n'avoir pas cru tout de suite, car, comme le dit l'Ecclésiastique, Celui qui croit trop facilement est léger de cœur. Mais tant investiguer, surtout lorsqu'il s'agit des secrets de Dieu, relève d'un esprit très grossier - De même que celui qui mange beaucoup de miel ne s'en porte pas bien, ainsi celui qui scrute la majesté sera écrasé par la gloire. - Ne recherche pas ce qui est plus élevé que toi et ne scrute pas ce qui est plus fort que toi. Mais médite toujours ce que Dieu a prescrit et ne sois pas curieux au sujet de ses œuvres.

2550. Au sujet de Thomas, il faut considérer qu'il fut résistant dans sa foi et irréfléchi dans sa demande. Résistant, certes, car il n'a voulu croire que grâce à une preuve sensible, et pas seulement d'un seul sens mais de deux : la vue - car SI JE NE VOIS PAS DANS SES MAINS LA MARQUE DES CLOUS - et le toucher - ET SI JE NE METS PAS MA MAIN DANS SON CÔTÉ, JE NE CROIRAI PAS. Et il manque vraiment de réflexion, car il demandait à voir les blessures pour confirmer sa foi, alors qu'il voyait plus, à savoir le relèvement de tout l'homme ressuscité.

Et bien que Thomas ait dit cela à cause de son doute, cela advint cependant de manière divine pour notre utilité et notre édification. Il est certain, en effet, que celui qui refit pleinement l'homme en ressuscitant aurait pu aussi faire disparaître les cicatrices des blessures ; mais celles-ci ont été gardées pour notre utilité.

B. L'APPARITION AUX APÔTRES, THOMAS ÉTANT PRÉSENT

2551. On traite ici de la seconde apparition du Seigneur, où il apparut à tous les disciples, Thomas étant présent. L'Évangéliste montre d'abord l'apparition du Christ, puis la confirmation accordée au disciple [n° 2555] ; enfin est récapitulé tout ce qui a été dit dans l'Évangile [n° 2567].

Au sujet du premier point, l'Évangéliste fait trois choses : il décrit le moment de l'apparition, puis les personnes auxquelles le Christ apparut [n° 2553], enfin il montre le mode de l'apparition [n° 2554].

2552. Il indique d'abord le moment : HUIT JOURS APRÈS, c'est-à-dire après le jour de la Résurrection du Seigneur, où eut lieu, le soir, la première apparition. À cela, il y a une première raison littérale : l'Évangéliste veut montrer que, bien que le Christ soit apparu plusieurs fois à ses disciples, il ne vivait cependant pas avec eux de façon continue, puisqu'il n'était pas ressuscité pour le même mode de vie, de même que nous non plus nous ne ressusciterons pas pour la même vie - Pendant tous les jours où je combats maintenant, j'attends que mon changement survienne. Et c'est encore pour que Thomas, entendant entre-temps les disciples parler de l'apparition précédente, soit enflammé d'un plus grand désir et devienne plus fidèle à l'avenir.

Une autre raison, mystique, est que cette apparition signifie celle par laquelle le Christ nous apparaîtra dans la gloire - Lorsqu'il apparaîtra, nous serons semblables à lui car nous le verrons tel qu'il est. Et assurément cette apparition aura lieu au huitième âge de ceux qui ressuscitent.

2553. L'Évangéliste montre ensuite ceux auxquels le Christ est apparu. Notons ici que seul Thomas avait besoin de cette apparition ; cependant, ce n'est pas à lui en particulier (singulanter) que le Seigneur est apparu, mais à lui en tant qu'il appartenait à la communauté, pour signifier que les singularités ne sont pas tellement agréées par Dieu, mais plutôt ceux qui demeurent dans la communion de la charité - Là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis au milieu d'eux. Et de même que ceux à qui il apparaît maintenant n'ont pas été rassemblés en même temps, ainsi lors de cette apparition tous n'étaient pas ensemble. Mais dans l'apparition future, tous seront présents, de sorte qu'aucun ne manquera - Là où se trouve le corps, là aussi se rassembleront les aigles. — Il enverra ses anges avec trompette et grande voiX) et ils rassembleront les élus des quatre vents d'une extrémité des deux à l’autre.

2554. L'Évangéliste rapporte ensuite le mode de l'apparition, ce qu'on a exposé plus haut. Néanmoins, il mentionne ici trois choses à ce sujet. Premièrement, il mentionne la manière dont il vient LES PORTES ÉTANT CLOSES, ce qui se produisit de manière miraculeuse, comme le dit Augustin, en vertu de cette puissance grâce à laquelle il a marché à pied sec sur la mer. Ensuite la manière dont il s'est tenu, AU MILIEU, pour être vu de tous ; de fait, il convenait qu'il se tînt au milieu. Enfin la manière dont il leur parla : « PAIX À VOUS », à savoir la paix de la réconciliation, qu'il annonça comme désormais accomplie à l'égard de Dieu - Nous sommes réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils . - Faisant la paix par le sang de sa Croix, aussi bien dans les deux que sur la terre. Paix aussi de l'éternité et de l'immortalité à venir dont il leur promit la possession - Lui qui a établi sur tes confins^ ceux de la Jérusalem céleste, la paix . Paix enfin de la charité et de l'unité qu'il leur a commandé de garder - Ayez la paix entre vous.

2555. On voit ici que le disciple qui doutait est affermi et de nouveau appelé ; il apparaît, par ce signe de la miséricorde divine, que le Seigneur vient aussitôt au secours de ses élus dans le malheur, bien que tous tombent. Les élus, en effet, tombent parfois, comme aussi les réprouvés, mais de manière différente, car les réprouvés se brisent ; mais aux élus le Seigneur tend aussitôt la main afin qu'ils se relèvent - Lorsque tombe le juste il ne se brisera pas car le Seigneur lui tient la main . - Si je disais : « Mon pied est ébranlé », ta miséricorde, Seigneur, me soutenait. Et donc le Seigneur tend aussitôt la main à Thomas qui a trébuché, si bien que, alors que celui-ci disait : Si je ne vois pas, je ne croirai pas, il le rappelle en disant : Mets ton doigt là.

Trois choses sont rapportées à ce propos : la présentation des cicatrices, la confession de Thomas [n° 2562] et le reproche au sujet de sa lenteur à croire [n° 2563].

2556. Il faut d'abord, ici, noter que Thomas a posé des conditions pour croire, à savoir voir et palper les cicatrices, comme il a été dit ; et si cela lui advenait, il promettait de croire. C'est pourquoi, comme il disait cela, le Seigneur, se tenant là par la présence de sa divinité, le rappelle à lui en tenant compte de ses conditions. Le Seigneur effectue la condition, puis demande l'accomplissement de la promesse de Thomas [n° 2561].

2557. La condition en effet était de pouvoir palper les cicatrices. Mais ici surgit un doute : parce qu'aucun défaut ne peut se trouver dans les corps glorieux et que les cicatrices sont des défauts, comment donc y eut-il des cicatrices dans le corps du Christ ?

Augustin répond en disant : « Le Seigneur pouvait, s'il le voulait, faire disparaître toute marque de cicatrice du corps ressuscité et glorifié, mais il savait pourquoi il laissait les cicatrices dans son corps. D'abord pour les montrer à Thomas qui ne croirait pas s'il ne les touchait et voyait, ensuite pour blâmer les infidèles et les pécheurs lors du jugement ; non pas pour leur dire comme à Thomas : Parce que tu m'as vu tu as cru, mais pour les confondre en disant : Voici l'homme que vous avez crucifié ; vous voyez les blessures que vous lui avez infligées, vous reconnaissez le côté que vous avez transpercé, puisque c'est par vous et pour vous qu'il a été ouvert et que cependant vous n'avez pas voulu entrer. »

2558. À la suite de cela on se demande aussi si les traces des blessures demeurent dans les corps des martyrs. Mais Augustin répond également à cela dans La Cité de Dieu, en disant qu'elles demeureront non pour la laideur mais pour une beauté sans mesure : « Car il y aura en elles non de la laideur, mais de la dignité ; et une beauté, non la beauté du corps bien qu'elle soit dans un corps, mais la beauté de la vertu, rayonnera en elles. Si des membres ont été amputés ou arrachés aux martyrs, il ne s'ensuivra cependant pas qu'ils en seront privés à la résurrection des morts, eux à qui a été dit : Aucun cheveu de votre tête ne périra. Mais des cicatrices seront visibles aux endroits où les membres, pour être détachés, ont été frappés ou coupés ; ces membres eux-mêmes ne se trouveront pourtant pas perdus, mais restitués. »

2559. Mais, selon Grégoire, puisqu'il n'est pas possible de palper ce qui est incorruptible, comment le Seigneur a-t-il présenté son corps incorruptible pour qu'on puisse le palper ? - Le Christ ressuscité des morts ne meurt plus. C'est pourquoi, troublé par cette raison, l'hérétique Eutychès a dit que le corps du Christ et les corps de tous les hommes ressuscites ne seront pas palpables, mais subtils et spirituels à la manière du vent et des esprits.

Mais cela va contre ce que dit le Seigneur : Touchez-moi et voyez qu'un esprit n'a ni chair ni os ; et le Seigneur a donc manifesté qu'il était incorruptible et palpable pour montrer qu'après la Résurrection son corps était de même nature, qu'il avait été corruptible et qu'il avait revêtu l'incorruptibilité, et qu'il était d'une gloire autre, car ce qui avait été laid et ignominieux ressuscita dans la gloire, avec une subtilité due à l'effet d'une puissance spirituelle.

2560. Mais il ajoute : VOIS MES MAINS qui furent suspendues sur la croix ET METS-LA [ta main] DANS MON CÔTÉ, transpercé par la lance, et reconnais que je suis celui-là même qui fut suspendu à la croix. Au sens mystique, par le doigt est signifié le discernement, et par la main, notre œuvre. Le Seigneur nous exhorte donc à mettre dans son côté et le doigt et la main, afin que tout ce que nous pouvons avoir comme discernement et comme œuvre, nous le dépensions au service du Christ - Pour moi, que jamais je ne me glorifie si ce n'est dans la Croix de notre Seigneur Jésus Christ.

2561. Et il lui demande de tenir sa promesse en disant : ET NE SOIS PAS INCRÉDULE MAIS CROYANT - Sois fidèle jusqu'à la mort.

2562. Il apparaît ici que Thomas devint aussitôt un bon théologien en confessant la vraie foi, car il a confessé l'humanité du Christ en disant « MON SEIGNEUR ». C'est ainsi en effet qu'ils l'appelaient avant la Passion - Vous m'appelez Seigneur et Maître. Et il a aussi confessé sa divinité en disant : « MON DIEU ». Auparavant, en effet, ils ne l'appelaient pas Dieu, si ce n'est quand Pierre a dit : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. - Celui-ci est le vrai Dieu et la vie éternelle. - Tu es mon Dieu et je te confesse.

2563. Mais le Seigneur reproche à Thomas sa lenteur en disant : PARCE QUE TU M'AS VU, THOMAS, TU AS CRU. Il lui reproche d'abord sa lenteur, puis il met en lumière la promptitude des autres à croire [n° 2566].

2564. Il lui dit donc : PARCE QUE TU M'AS VU. Il y a ici un doute car, puisque la foi est la substance des réalités qu'on espère, l'argument de ce qui n'est pas évident, comme le dit l'épître aux Hébreux, comment le Seigneur peut-il dire : PARCE QUE TU M'AS VU, TU AS CRU ? Mais il faut dire qu'il a vu une chose et en a cru une autre . Il a vu l'homme et les cicatrices et, à partir de là, il a cru à la divinité du Christ ressuscité.

2565. Il y a un autre doute, car à Thomas qui avait demandé : Si je ne vois pas et ne touche pas, le Seigneur a accordé ces deux choses, le toucher et la vision. Il aurait donc dû dire : parce que tu m'as vu et touché, tu as cru.

Je réponds en disant que, selon Augustin, nous nous servons de la vision pour désigner n'importe quel sens. Nous disons en effet : « Vois » comme c'est chaud, comme cela retentit, « vois » le goût de ceci, « vois » comme cela fait ma1. Jésus dit donc : METS TON DOIGT LÀ ET VOIS, non pas que la vision se trouve dans le doigt, mais pour dire : Touche et expérimente ; de même PARCE QUE TU M'AS VU, c'est-à-dire parce que tu as eu une expérience de moi aussi par le toucher.

Ou bien disons qu'en voyant les blessures et les cicatrices, Thomas a été confondu en lui-même et, avant de mettre le doigt, il crut et dit : « MON SEIGNEUR ET MON DIEU. » Cependant, Grégoire dit qu'il a touché et que, en voyant, il a confessé.

2566. En disant ensuite HEUREUX CEUX QUI N'ONT PAS VU ET QUI ONT CRU, le Christ met en lumière la promptitude avec laquelle les autres ont cru ; et cela nous concerne spécialement, car il utilise le passé à la place du futur à cause de la certitude. Contrairement à cela il y a ce verset de saint Luc : Bienheureux les yeux qui voient ce que vous voyez. Donc ceux qui ont vu sont davantage bienheureux que ceux qui n'ont pas vu. Là je réponds qu'il y a deux béatitudes. La première béatitude regarde une réalité qui consiste en un don divin qui, plus il est donné, plus il rend bienheureux ; de ce point de vue, bienheureux sont les yeux qui voient, car c'est un don de la grâce. L'autre béatitude, celle de l'espérance, réside dans le mérite ; de cet autre point de vue, celui-là est d'autant plus heureux qu'il peut mériter davantage. En effet, celui qui croit et ne voit pas mérite davantage que celui qui voit et croit.

2567. L'Évangéliste donne ici l'épilogue : il souligne d'abord l'insuffisance de ce qu'il a écrit, puis en montre l'utilité [n° 2568].

L'insuffisance du livre apparaît en ceci, que JÉSUS A FAIT ENCORE (...) BEAUCOUP D'AUTRES SIGNES QUI NE SONT PAS ÉCRITS DANS CE LIVRE - Si c'est avec peine que nous avons entendu une petite goutte de ses paroles, qui pourra contempler l'éclat du tonnerre de sa grandeur ? - Beaucoup de choses cachées sont plus grandes que celles-ci, car nous voyons peu de ses œuvres. Selon Chrysostome, si Jean dit cela, c'est parce qu'il raconte moins de miracles que les autres évangélistes. Donc, ne voulant pas paraître les nier, il dit cela et ajoute de manière spéciale : QUI NE SONT PAS ÉCRITS DANS CE LIVRE.

Ou bien ceci se rapporte à la Passion et à la Résurrection, comme s'il disait : après être ressuscité, il a fait beaucoup de choses devant ses disciples, pour montrer sa Résurrection, qu'il n'a pas montrées aux autres - Il lui a donné de se manifester non à tout le peuple, mais aux témoins choisis d'avance par Dieu.

2568. Puis il mentionne l'utilité du livre dont l'effet est la foi. À cela, en effet, est ordonnée toute l'Écriture du Nouveau et de l'Ancien Testament - En tête du livre il est écrit de moi. - Vous scrutez les Écritures (...) et ce sont elles qui rendent témoignage de moi. Le fruit de ce livre est la vie : AFIN QUE, CROYANT, VOUS AYEZ LA VIE, ici-bas la vie de justice que l'on a par la foi - Mon juste vivra par la foi -, et dans le monde futur la vie de la vision que l'on aura dans la gloire, EN SON NOM, à savoir le nom du Christ - II n'y a pas d'autre nom sous le ciel par lequel nous puissions être sauvés.

LA TROISIÈME APPARITION DU CHRIST À SES DISCIPLES

2569. Ayant relaté les deux premières apparitions du Christ à ses disciples, l'Évangéliste rapporte ici la troisième apparition.

Et si nous regardons bien l'ordre et la fin de ces apparitions, il apparaît que, dans la première, il manifeste l'autorité de sa divinité en leur insufflant l'Esprit Saint ; dans la seconde, il révèle l'identité de sa personne en leur montrant ses cicatrices ; dans la troisième, il manifeste la vérité de sa Résurrection en mangeant avec eux.

Cette dernière partie se divise en deux ; en premier lieu l'Évangéliste montre ce que le Seigneur révéla de manière générale à plusieurs de ses disciples, puis en second lieu ce qu'il confia en particulier aux deux disciples qu'il aimait d'un amour de prédilection [n° 2614].

CE QUE LE CHRIST RÉVÉLA DE MANIÈRE GÉNÉRALE À SES DISCIPLES

Concernant cette première partie, il présente d'abord l'apparition elle-même, puis rapporte la manière dont elle se déroula [n° 2574], et enfin il donne une conclusion [n° 2613].

Il présente l'apparition sous trois aspects : le moment, le mode [n° 2572] et le lieu de l'apparition [n° 2573].

a) Le moment de l’apparition.

2570. Le moment, en effet, puisque l'Évangéliste dit APRÈS CELA (postea), c'est-à-dire après les événements déjà rapportés. Et il le dit à dessein parce que, comme nous l'avons dit, le Christ ne se trouvait pas continuellement avec ses disciples mais leur apparaissait à certains moments. La raison en est qu'il n'était pas ressuscité pour la même vie mais pour la vie glorieuse, celle où sont les anges et où seront les bienheureux - Excepté les dieux, c'est-à-dire les anges, qui ne vivent pas avec les hommes.

2571. Mais pourquoi l'Évangéliste ajoute-t-il ici ce récit après avoir plus haut donné une conclusion en disant : Ces choses ont été écrites ? À cela Augustin attribue une raison mystique : par cette apparition est signifiée la gloire de la vie à venir, où [le Christ] nous apparaîtra tel qu'il est. C'est pourquoi il a placé cette [apparition] après la fin, pour rendre plus évident le lieu où [le Christ] donnerait à percevoir cette [gloire].

b) Le mode de l’apparition.

2572. La manière dont Jésus apparut nous est donnée ici. C'est en effet le propre d'un corps glorieux, dans sa nature et sa puissance, de pouvoir comme il le veut se rendre visible et invisible à un corps non glorieux. C'est pourquoi il est dit : JÉSUS SE MANIFESTA, c'est-à-dire se rendit visible. On appelle encore cela « apparaître » ou, ce qui revient au même, « se manifester », comme on le lit dans les Actes des Apôtres : leur apparaissant pendant quarante jours. Car, comme le dit Ambroise , apparaît celui qui a le pouvoir d'être visible et invisible.

c) Le lieu de l’apparition.

2573. L'Évangéliste mentionne le lieu de l'apparition, PRÈS DE LA MER DE TIBÉRIADE, qui est la mer de Galilée, nommée ainsi à cause de la province de Galilée, mais appelée aussi de Tibériade en raison de la cité édifiée en l'honneur de Tibère César. En précisant cela, l'Évangéliste veut d'abord indiquer que la promesse faite aux disciples - Il vous précédera en Galilée - a été accomplie ; et encore, que le Seigneur avait bien chassé du cœur de ses disciples la crainte, afin qu'ils ne demeurent plus désormais enfermés dans leur maison mais avancent au loin, jusqu'à la Galilée.

2574. Par ces mots, l'Évangéliste présente l'apparition elle-même ; d'abord les personnes auxquelles elle a été faite, ensuite l'activité de ces personnes [n° 2576]. Il nous rapporte enfin la manière dont eut lieu l'apparition [n° 2583].

a) Les disciples auxquels elle a été faite.

2575. Les personnes auxquelles il se manifesta sont au nombre de sept ; c'est pourquoi il dit SIMON-PIERRE - celui qui avait renié -, THOMAS APPELÉ DIDYME - qui n'avait pas été là lors de la première apparition -, NATHANAEL QUI ÉTAIT DE CANA DE GALILÉE - qui, à ce qu'on croit, était frère de Philippe dont il a déjà été question -, ET LES FILS DE ZÉBÉDÉE, c'est-à-dire Jacques et Jean, AINSI QUE DEUX AUTRES, qui ne sont pas nommés expressément.

Par ce nombre est signifiée mystiquement la révélation de la gloire à venir qui aura lieu après le septième âge, c'est-à-dire au huitième, âge de ceux qui ressuscitent -Et il arrivera que de mois en mois, et de sabbat en sabbat, toute chair viendra adorer devant ma face.

b) Leur activité.

2576. L'activité qui les occupait alors était la pêche. L'Évangéliste montre d'abord l'invitation de Pierre à cette activité, puis l'acquiescement des autres [n° 2581], enfin son exécution [n° 2582].

2577. Simon-Pierre appelle les autres au service [de la pêche], qui au sens mystique signifie le service de la prédication - Je vous ferai devenir pêcheurs d'hommes. Pierre dit donc aux autres : JE VAIS PÊCHER, parce qu'il associe les autres à son souci et à sa prédication - Alors la charge sera plus légère pour toi, le fardeau étant partagé avec d'autres.

2578. Pourtant Luc dit : Quiconque ayant mis la main à la charrue, regarde en arrière, n'est pas apte au royaume de Dieu. Or il s'avère que Pierre avait renoncé à son métier de pêcheur ; comment donc y est-il retourné et a-t-il ainsi regardé en arrière ?

Réponse, selon Augustins'il était retourné à son métier de pêcheur avant que le Christ ne ressuscitât et leur montrât ses plaies, nous aurions pensé qu'il avait fait cela par désespoir. Mais, maintenant que le Christ leur a été rendu vivant du sépulcre, qu'ils ont examiné les marques de ses blessures et reçu de lui le souffle de l'Esprit Saint, ils sont redevenus ce qu'ils étaient, pêcheurs de poissons.

Par là il nous est donné à entendre que le prédicateur peut chercher ce qui lui est nécessaire pour sa subsistance par un travail licite, gardant l'intégrité de son apostolat, et s'il n'a rien venant d'ailleurs. En effet, si le bienheureux Paul dut apprendre un métier qu'il ignorait pour ne pas peser sur les autres et subvenir à ses besoins, combien plus Pierre pouvait-il faire cela par son travail qui était licite.

2579. Mais tu dis que cela ne s'impose que lorsqu'on n'a rien venant d'ailleurs. Mais il est manifeste que Pierre a et a toujours eu [le nécessaire], parce que le Seigneur l'a promis - Cherchez donc premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses, c'est-à-dire celles qui sont nécessaires à la vie, vous seront données par surcroît.

Là il faut dire qu'il est vrai qu'elles nous sont données par surcroît, mais si nous coopérons, et c'est pourquoi le Seigneur a comblé Pierre, qui coopérait. Car qui d'autre que le Seigneur lui-même a pu faire venir ces poissons pour qu'ils puissent être pris ?

2580. Cependant il faut noter, selon Grégoire, qu'il y a deux sortes de charges. L'une accapare l'esprit et fait obstacle aux œuvres spirituelles. C'est à une telle charge, comme la perception de l'impôt ou une autre du même genre, qu'il ne faut pas revenir, et on ne doit pas chercher à s'en procurer de quoi vivre. C'est pourquoi nous ne lisons pas [dans l'Évangile] que Matthieu soit revenu au bureau de douane. Mais il y a une autre charge dont l'exercice n'implique aucun péché et n'accapare pas l'esprit, comme celui de la pêche et autres du même genre ; c'est pourquoi il n'y eut pas de faute pour les Apôtres à y revenir après leur conversion.

2581. L'Évangéliste nous rapporte ainsi l'acquiescement des autres, montrant par là aux prédicateurs et aux prélats que, selon cet exemple, ils doivent s'encourager mutuellement en vue de la conversion des hommes - Un frère qui est aidé par son frère est comme une ville forte . - Autour de lui était une couronne de frères, comme une plantation de cèdres sur le mont Liban.

2582. L'Évangéliste expose ensuite la réalisation de leur activité, et il touche les trois choses que doivent faire les prédicateurs.

En premier lieu, bien sûr, sortir (ILS SORTIRENT) de la compagnie des pécheurs - Sortez du milieu d'eux et séparez-vous, dit le Seigneur, et ne touchez pas à ce qui est impur et je vous recevrai ; se détacher des affections de la chair - Sors de ton pays, de ta parenté, et de la maison de ton père - et même quitter le repos de la contemplation en vue du labeur - Sortons dans la campagne, demeurons dans les vignes. Dès le matin, levons-nous pour aller dans les vignes.

Ensuite les prédicateurs doivent monter ([ILS] MONTÈRENT) dans la barque, c'est-à-dire progresser dans l'amour de l'unité de l'Église appelée aussi barque - Aux jours de Noé (...), pendant qu'on bâtissait l'arche dans laquelle peu de personnes, c'est-à-dire huit, furent sauvées à travers l'eau ; et encore, monter dans la barque de la Croix en assumant la mortification de la chair - Pour moi, puissé-je ne me vanter que de la Croix de Notre-Seigneur Jésus Christ par qui le monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde. - Béni est le bois par lequel est faite la justice . Enfin, les prédicateurs doivent avoir une totale confiance en l'aide du Christ. Si durant toute cette nuit ILS NE PRIRENT RIEN, c'est que tant qu'elle reste privée du secours divin et de la prédication intérieure, la langue du prédicateur travaille en vain. Mais quand vient la lumière qui illumine les cœurs, alors ils « prennent » - Envoie ta lumière et ta vérité. C'est en ce sens que la privation du secours divin est appelée « nuit » - La nuit vient où personne ne peut travailler. On peut aussi comprendre CETTE NUIT-LÀ, c'est-à-dire l'ancienne Alliance, ILS NE PRIRENT RIEN puisqu'ils n'ont pu amener les païens à la foi - La nuit est déjà très avancée. Selon Luc , s'ils péchaient la nuit, c'est qu'ils restaient encore timides.

c) La manière dont eut lieu l’apparition.

2583. L'Évangéliste poursuit en rapportant ici la manière dont eut lieu l'apparition et l'ordre de ce qui arriva. Dans un premier temps Jésus se donne à voir de manière corporelle, puis il amène ses disciples à le reconnaître [n° 2587] et leur présente enfin un repas amical [n° 2597].

Ils voient Jésus physiquement.

2584. Dans la première partie, il montre d'abord la présence du Christ, puis l'ignorance des disciples. Or, au sens mystique, LE MATIN évoque la gloire de la Résurrection - Au soir seront réservés les pleurs, et au matin la joie - et encore les pleurs [d'émotion] de la vie éternelle - Dès le matin je me présenterai devant toi et je verrai.

2585. Mais puisqu'au cours d'un miracle semblable avant sa Passion, Jésus ne s'était pas tenu sur le rivage mais dans la barque, pourquoi après sa Passion se tient-il SUR LE RIVAGE ? La raison en est que la mer signifie l'agitation du siècle présent ; or le rivage marque la limite de la mer - Lui qui a posé le sable pour limite à la mer, précepte éternel qu'elle ne franchira pas. Certes, avant sa Passion, le Christ se tint sur la mer parce qu'il avait un corps mortel, tandis qu'après sa Résurrection, ayant quitté désormais la corruption de la chair, il SE TINT SUR LE RIVAGE.

2586. L'ignorance des disciples consiste en ce qu'ils NE CONNURENT PAS QUE C'ÉTAIT JÉSUS. Nous saisissons par là que, plongés dans la mer de cette agitation, nous ne pouvons pas connaître les secrets du Christ - L'œil n'a pas vu, ô Dieu, excepté toi, ce que tu as préparé pour ceux qui t'attendent.

Ils reconnaissent Jésus.

2587. Ensuite Jésus amène les disciples à le reconnaître. D'abord l'Évangéliste montre comment il les a amenés à cette connaissance, puis souligne l'ordre [suivant lequel ils l'ont reconnu] [n° 2591].

2588. Dans cette première partie, il distingue trois choses.

D'abord la question posée par le Seigneur à propos de la nourriture. Les disciples en effet croyaient qu'il n'était pas le Christ mais un acheteur de poisson, qui leur parlait comme un acheteur. Or, au sens mystique, c'est à nous que, pour refaire (reficere) ses forces, il réclame cette nourriture qui est l'obéissance aux commandements de Dieu - Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé et d'accomplir son œuvre.

ILS (c'est-à-dire les disciples) LUI RÉPONDIRENT : « NON », c'est-à-dire : « pas par nous-mêmes » car, comme le dit Paul, le vouloir réside en moi, mais accomplir le bien je ne l'y trouve pas.

2589. Ensuite l'Évangéliste nous rapporte ce commandement. Nous trouvons cependant, en Luc, qu'avant la Passion une chose semblable avait été faite sans qu'il leur commandât de lâcher le filet à droite comme ici. Par là est signifiée cette pêche par laquelle les prédestinés sont attirés vers la vie éternelle, vie dans laquelle ne sont introduits que les fils de la droite- Car les voies qui sont à droite, le Seigneur les connaît, mais perverses celles qui sont à gauche. - La droite du Seigneur a exercé sa puissance.

La pêche précédente, elle, signifie la vocation pour l'Église de ce siècle ; et c'est pourquoi le filet peut être jeté indifféremment d'un côté ou de l'autre, puisque les poissons sont attrapés et amenés un par un vers lui - Va vite dans les places et les rues de la ville .

2590. Par ces mots l'Évangéliste souligne l'obéissance des disciples, puis l'effet de cette obéissance, LA MULTITUDE DE POISSONS, c'est-à-dire de ceux qui doivent être sauvés - Je multiplierai ta postérité comme le sable qui est sur le rivage de la mer (...) parce que tu as obéi à ma voix. -J'ai vu une foule immense que nul ne pouvait dénombrer.

Cette pêche-ci diffère donc de celle que nous rapporte Luc où le filet se déchire ; ainsi l'Église souffre-t-elle de déchirures du fait de dissensions et d'hérésies. Mais ici le filet ne se déchire pas, puisqu'il ne peut exister de divisions dans la vie à venir. Aussi, tandis qu'à la première apparition les poissons sont tirés jusqu'à la barque, dans celle-ci ils sont amenés sur le rivage, car les saints qui sont dans cette gloire sont à présent cachés à nos yeux - Tu les cacheras dans le secret de ta face loin de la persécution des hommes.

2591. Après avoir exposé ce qui permit aux Apôtres de connaître le Christ, LA MULTITUDE DE POISSONS qu'il leur accorda, l'Évangéliste montre l'ordre suivant lequel ils le reconnurent, et d'abord comment Jean s'est comporté dans cette circonstance, puis Pierre [n° 2593], et enfin les autres disciples [n° 2595].

2592. Jean nous apparaît comme perspicace dans sa connaissance parce qu'aussitôt il reconnut le Christ ; c'est pourquoi, poussé à cela par la capture des poissons, il dit à Pierre, qu'il aimait plus que les autres, et aussi parce qu'il était le premier de tous : « C'EST LE SEIGNEUR ! » - C'est toi qui domines sur la puissance de la mer. - Tout ce qu'il a voulu, le Seigneur l'a fait dans le ciel et sur la terre, dans la mer et dans tous les abîmes. Et il dit seulement « C'EST LE SEIGNEUR ! », parce que c'est ainsi qu'ils avaient l'habitude de l'appeler - Vous m'appelez Maître et Seigneur, et vous dites bien car je le suis.

2593. Pierre est présenté dans sa ferveur à suivre. Celle-ci se traduit d'abord par sa promptitude. Ayant entendu, il ne tarda pas mais se prépara aussitôt à aller le rejoindre - Ne tarde pas à te tourner vers le Seigneur et ne diffère pas de jour en jour.

Cette ferveur apparaît ensuite dans le respect qu'il manifesta à l'égard du Christ puisque, par pudeur, il ne voulut pas le rejoindre nu, mais NOUA SA TUNIQUE À LA CEINTURE, CAR IL ÉTAIT NU en raison de la chaleur du pays, et aussi pour ne pas être gêné dans son travai1. Là il faut comprendre que ceux qui viennent au Christ doivent se dépouiller du vieil homme et revêtir l'homme nouveau créé selon Dieu dans la foi - Celui qui aura vaincu sera ainsi vêtu de blanc, et je n'effacerai pas son nom du livre de vie.

Sa ferveur se manifeste enfin dans la sûreté de son action ; car, en raison de son trop grand amour, il ne voulut pas aller avec la barque parce qu'il aurait été retardé, mais il SE JETA À LA MER, pour parvenir plus vite au Christ.

2594. Au sens mystique, la mer représente l'agitation de ce siècle ; aussi ceux qui ont un grand désir de gagner le Christ se jettent-ils à la mer, sans fuir les tribulations de ce monde - C'est par beaucoup de tribulations qu'il nous faut entrer dans le royaume de Dieu . - Mon fils, entrant au service de Dieu, sois ferme dans la justice et dans la crainte, et prépare ton âme à la tentation .

Pierre se jeta donc à la mer et cependant parvint indemne auprès du Christ, parce que des tribulations le serviteur du Christ sort sain et sauf- C'est toi qui as tracé sur la mer une voie et au milieu des flots un sentier très assuré.

Et, selon Chrysostome, c'est bien ici que nous sont le mieux révélés ce que sont Pierre et Jean : Jean est le plus élevé par son intelligence et Pierre le plus fervent dans son amour.

2595. Quant aux autres disciples, ils s'avancèrent avec la barque. C'est pourquoi l'Évangéliste nous présente premièrement ce qu'ils firent : ILS VINRENT AVEC LA BARQUE, parce qu'ils étaient moins fervents. Or cette barque signifie l'Église - L'espoir du globe de la terre se réfugiant dans un vaisseau conserva au monde un germe de renaissance -, selon la première épître de Pierre . QUANT AUX AUTRES, ILS VINRENT AVEC LA BARQUE, c'est-à-dire dans le sein protecteur de l'Église redoutable comme une armée rangée en bataille. - Tu les abriteras dans ton tabernacle contre la contradiction des langues .

2596. Deuxièmement, il donne l'explication de ce qu'il vient de dire : CAR ILS N'ÉTAIENT PAS LOIN DE LA TERRE. C'est peut-être parce que la barque était proche de la terre que Pierre se jeta à l'eau, et que les autres disciples parvinrent rapidement au rivage. D'autre part, s'ils n'étaient pas loin, c'est que l'Église n'est pas loin de la terre des vivants puisqu'elle est maison de Dieu et porte du Ciel, et c'est bien cette terre que les saints contemplent chaque jour - Parce que nous ne considérons pas les choses qui se voient mais celles qui ne se voient pas. - Pour nous, notre vie est dans les deux .

Jean précise : MAIS À ENVIRON DEUX CENTS COUDÉES, ce qui signifie la même chose que les deux navires dans Luc, c'est-à-dire deux peuples du milieu desquels les élus se trouvent entraînés vers la vie éternelle - Pour créer les deux en un seul peuple.

Quant à ce filet dans lequel les poissons sont traînés, c'est la doctrine de la foi par laquelle d'une part Dieu nous attire en nous inspirant de l'intérieur - Nul ne peut venir à moi si le Père qui m'a envoyé ne l'attire -, et par laquelle d'autre part les Apôtres nous attirent en nous exhortant comme ici.

Le repas que Jésus partagea avec eux.

2597. L'Évangéliste nous présente ici la manière dont le Christ a offert à ses disciples de partager un repas amical avec lui. Il présente d'abord la préparation du repas, puis l'invitation du Christ au repas [n° 2607], et enfin le repas lui-même [n° 2610].

L'Évangéliste nous rapporte la préparation de ce repas en décrivant d'abord ce que le Christ lui-même a préparé, puis ce que les Apôtres ont apporté [n° 2600].

Ce que le Christ lui-même a préparé

2598. Le Christ a préparé trois choses, à savoir les braises, le poisson et le pain. Aussi dit-il UNE FOIS DESCENDUS À TERRE, ILS VIRENT DES BRAISES DISPOSÉES, que le Christ par sa puissance avait créées à partir de rien, ou bien qu'il avait formées à partir d'une matière déjà existante.

Mais on se rappelle que précédemment, avant sa Passion, il a rassasié la foule par la multiplication des pains. Or maintenant, après sa Passion, il crée ou forme d'une manière nouvelle, miraculeusement, parce qu'il n'est plus temps désormais de montrer la faiblesse mais de manifester la puissance. En effet ce qu'il a fait précédemment, avant sa Passion, montrait sa volonté de s'abaisser car, s'il l'avait voulu, il aurait pu créer ou former les pains de cette nouvelle manière - à partir de rien.

2599. Nous comprenons par là que pour le repas spirituel quelque chose est préparé par le Christ. Et si ce repas est pris allégoriquement, pour le repas de l'Église, le Christ prépare alors ces trois choses. D'abord les BRAISES de la charité - Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger, s’il a soif, donne-lui à boire : tu amasseras des charbons ardents sur sa tête. - Remplis ta main de charbons ardents de feu. Ces braises, le Christ les a apportées du ciel pour les répandre sur la terre - Je vous donne un commandement nouveau, aimez-vous les uns les autres. - Je suis venu jeter un feu sur la terre.

Ayant disposé les braises, il prépare aussi LE POISSON - qui est le Christ - qu'il pose DESSUS. En effet, ce poisson grillé (assus) est bien le Christ immolé (passus), placé sur les braises lorsque, enflammé par la charité, il s'immole pour nous sur la Croix - Et il s'est livré lui-même pour nous en oblation à Dieu et en hostie de suave odeur. - Soyez donc les imitateurs de Dieu, comme des enfants bien-aimés ; et marchez dans l'amour comme le Christ nous a aimés.

Enfin il prépare le PAIN qui refait nos forces, et ce pain, c'est lui-même. Car le Christ, qui demeure caché en raison de sa divinité, est symbolisé par le poisson dont le propre est de rester caché sous les eaux - Vraiment tu es un Dieu caché. Mais en tant qu'il refait nos forces par son enseignement, et même nous donne son propre corps en nourriture, il est vraiment le pain - Moi, je suis le pain vivant. — Et le pain, produit des grains de la terre, sera très abondant et gras.

À ce repas doit être apporté quelque chose de la part des ministres de l'Église, cependant rien, si cela ne préexiste pas pour nous comme venant de Dieu .

Ce que les disciples ont apporté

2600. Ce qu'ils apportent nous est ici indiqué. Dans ce verset l'Évangéliste nous rapporte ce commandement du Seigneur, puis son exécution par le disciple [n° 2603].

2601. Il leur demande donc d'apporter de ces poissons qu'ils ont pris eux-mêmes, comme s'il disait : Moi, je vous ai fait le don de la charité, j'ai livré mon corps (assavi corpus) sur la croix et je vous ai présenté le pain de la doctrine grâce auquel l'Église est perfectionnée et fortifiée ; vous, il vous appartient d'aller pêcher les autres, c'est-à-dire ceux qui se convertissent à la prédication des Apôtres - Apportez au Seigneur les petits des béliers. - Ils ramèneront tous vos frères de toutes les nations comme un don au Seigneur.

2602. Si l'on prend ce repas pour un repas spirituel, alors le Christ prépare en premier lieu, pour le repas de l'âme, les BRAISES de la charité - La charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs. - Je suis venu jeter un feu sur la terre ; aussi LE POISSON, c'est-à-dire la foi qui demeure mystérieuse (abscondita) puisqu'elle a pour objet des réalités qu'on ne voit pas ; et encore LE PAIN, c'est-à-dire la doctrine solide - Mais c'est pour les parfaits qu'est la nourriture solide.

Mais pour ce repas, il nous est demandé, à nous, de bien utiliser la grâce qui nous est accordée - C'est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis, et sa grâce en moi ne fut pas vaine. Et c'est pourquoi Jésus commande : « APPORTEZ DE CES POISSONS QUE VOUS VENEZ DE PRENDRE », c'est-à-dire apportez vos bonnes œuvres, celles qu'il vous a été donné d'accomplir - Qu'ainsi brille votre lumière devant les hommes afin qu'ils voient vos bonnes œuvres.

2603. L'Évangéliste poursuit en nous montrant l'exécution par le disciple de l'ordre donné par le Christ. Il s'agit de Pierre, qui était plus fervent. Aussi dit-il : SIMON-PIERRE MONTA, c'est-à-dire saisit le gouvernail de l'Église - Je monterai sur le palmier. — II a disposé dans son cœur des degrés pour s'élever -, ET TIRA À TERRE LE FILET, parce que c'est encore à lui qu'a été confiée la sainte Église et à lui spécialement qu'il a été dit : Pais mes brebis, comme nous le verrons par la suite .

Et ce que le Christ indique par ces mots : pais mes brebis, c'est précisément ce que le travail (opus) de Pierre préfigure. En effet, c'est lui qui tire les poissons sur la terre ferme, manifestant ainsi aux croyants la stabilité de la patrie éternelle .

2604. Il dit : LE FILET PLEIN DE (...) GROS POISSONS parce que ceux qu'il a prédestinés, il les a aussi appelés ; et ceux qu'il a appelés, il les a aussi justifiés - Ces hommes grands en puissance et pourvus de leur prudence, ils ont montré parmi les prophètes la dignité de prophètes et ils ont commandé aux peuples de leur temps et, en vertu de leur prudence, ils ont donné aux peuples de très saintes paroles. Pour l'autre pêche, Luc ne mentionne pas le nombre comme ici : il y en eut en effet CENT CINQUANTE-TROIS.

C'est que les bons comme les mauvais sont par vocation entraînés à former l'Église présente - Des insensés infini est le nombre. C'est pourquoi il est dit dans la Genèse à Abraham à propos de cette vocation : Ta postérité sera comme le sable qui est sur le rivage de la mer. Il s'agit là de ceux qui sont mauvais. Au contraire il est dit des autres : Regarde le ciel et compte les étoiles si tu le peux. Tels sont en effet ceux que Dieu compte parmi les siens, ceux qui ont du prix à ses yeux - Lui qui compte la multitude des étoiles.

2605. Mais n'y aura-t-il pas plus de cent cinquante-trois élus ? Au contraire, bien davantage. Ce nombre a ici un sens mystique. En effet, nul ne peut venir à la Patrie s'il n'observe le Décalogue. Or on ne peut l'observer sans la grâce septiforme de l'Esprit Saint dont Isaïe a dit : L'esprit du Seigneur reposera sur lui, esprit de sagesse et d'intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de science et de piété, et l'esprit de crainte du Seigneur le remplira. On lit dans la Genèse que cette sanctification a été faite d'abord le septième jour : Dieu bénit le septième jour et le sanctifia.

Or dix et sept font dix-sept. Si donc on calcule de cette façon, en prenant d'abord un et deux qui font trois, et trois qui font six, six et quatre qui font dix, dix et cinq qui font quinze... et ainsi de suite en additionnant le nombre qui suit jusqu'à dix-sept, on obtient bien cent cinquante-trois.

On peut interpréter différemment. Les disciples auxquels le Christ apparut étaient sept. Or en multipliant ce nombre par sept - les sept dons du Saint-Esprit -, on obtient quarante-neuf, auxquels on ajoute un, signe de la perfection de l'unité dans laquelle doivent être les fils de Dieu qui sont mus par l'Esprit de Dieu ; cela fait cinquante. Si on multiplie par trois ce nombre, et qu'on y ajoute encore trois - pour signifier cette foi en la Trinité que confessent notre cœur, notre langue et nos œuvres -, cela fait cent cinquante-trois. Cela nous montre que ceux que l'Esprit Saint a sanctifiés par ses sept dons et qui ont été unis dans la foi à la Trinité, accèdent ainsi à la Patrie.

2606. Dans ce passage, Jean nous dit : ET, BIEN QU'IL Y EN EÛT AUTANT - par la taille et par le nombre -, LE FILET NE SE DÉCHIRA PAS, tandis que lors de l'autre pêche le filet se déchirait. C'est que l'Église présente, dont cette pêche-là était le symbole, souffre de nombreuses déchirures dues aux schismes, aux hérésies, aux insoumissions, sans pour autant être entièrement déchirée, en vertu de la promesse du Christ : Et voici que je suis avec vous tous les jours jusqu'à la consommation des siècles.

Mais dans la patrie future, préfigurée ici, c'est-à-dire dans cette paix des saints, il ne saurait y avoir de schismes - C'est lui qui a établi sur tes confins, c'est-à-dire la Jérusalem céleste, la paix.

2607. L'Évangéliste nous rapporte ensuite l'invitation au repas préparé. Il nous montre d'abord cette invitation du Christ, puis l'attitude des disciples lors de ce repas [n° 2609].

2608. C'est en effet le Christ qui invite au repas en nous inspirant de l'intérieur par lui-même - Venez à moi vous tous qui prenez de la peine et qui êtes chargés, et je vous soulagerai. — Mangez mes amis et buvez, enivrez-vous mes biens-aimés -, et de l'extérieur, par l'enseignement et les exhortations d'autres personnes - Un homme fit un grand souper. (...) Et à l'heure du souper, il envoya son serviteur dire aux invités de venir.

2609. Selon Augustin, cette attitude des disciples manifeste qu'ils étaient sûrs de la Résurrection du Christ. Ils étaient en effet tellement certains que c'était le Christ qu'aucun des convives n'osa douter que ce fût bien lui. Et parce que l'interrogation est signe d'un doute, nul n'osait l'interroger : « TOI, QUI ES-TU ? », selon cette parole : En ce jour-là, vous ne m'interrogerez plus sur rien.

Chrysostome y voit une marque de respect des disciples à l'égard du Christ, plus grande encore que d'habitude : ils l'auraient volontiers interrogé, mais le Christ leur apparut sous une apparence magnifique et une gloire admirable, si bien que, saisis de stupeur et de respect, ils n'osaient plus l'interroger. Et ce qui surtout les retenait de l'interroger, c'est qu'ils savaient QU'IL EST LE SEIGNEUR.

2610. L'Évangéliste poursuit en nous rapportant ce repas que les disciples prirent sur l'ordre du Christ - Toi, tu ouvres ta main, et tu combles tout vivant de bénédiction. C'est lui en effet qui leur donne la nourriture au temps opportun.

2611. Mais le Christ a-t-il mangé avec eux ? Il faut dire que oui. Bien que cela ne soit pas indiqué ici, Luc dit expressémentqu'il mangea avec eux, et de même il est dit dans les Actes : Ensuite, mangeant avec eux, il leur commanda de ne pas s'éloigner de Jérusalem .

2612. Mais s'agissait-il d'une véritable manducation ? Je réponds qu'un acte est dit vrai de deux manières, à savoir quant à la vérité de ce qu'il signifie, et quant à la vérité de son espèce.

Au premier sens, un acte est vrai s'il est conforme à la réalité signifiée. Ainsi, admettons que je veuille signifier quelque chose par une parole : si ce que je signifie est vrai et concorde avec la réalité signifiée, alors ma parole est vraie quant à sa signification, sans être pour autant conforme à la vérité de l'espèce. Ainsi, lorsque le Christ dit : Moi, je suis la vraie vigne, cela est vrai, bien qu'il ne soit pas une vraie vigne selon l'espèce « vigne », mais seulement selon ce que ce terme [vigne] signifie.

Selon la vérité de l'espèce, une chose est dite vraie lorsqu'elle a ce qui relève de la vérité de l'espèce. Or relèvent de cette vérité les principes de l'espèce mais non pas les effets qui en découlent. Ainsi l'affirmation : « L'homme est un animal » est vraie au premier sens parce qu'elle signifie quelque chose de vrai, mais selon la vérité de l'espèce elle n'est pas vraie si elle n'est pas formulée par la bouche d'un vivant parlant avec les organes qui conviennent. Et pour cette vérité, l'effet de la parole n'est pas requis, par exemple qu'elle soit entendue et autres choses de ce genre.

Ainsi il faut dire, au sujet de la manducation, qu'il en existe une qui n'est vraie que quant à sa signification, comme la « manducation des anges », puisque ceux-ci n'ont pas de membres ordonnés à la manducation. Mais ce qui est vrai, c'est ce qu'eux-mêmes signifiaient par cette expression, à savoir le désir qu'ils avaient du salut des hommes.

Quant à la manducation du Christ après la Résurrection, elle fut vraie selon la vérité de signification, puisqu'il le faisait pour montrer qu'il avait une nature humaine- et il l'avait en vérité ; et selon la vérité de l'espèce, puisqu'il avait les organes propres à la manducation. Cependant cette manducation ne fut pas suivie des effets de cet acte parce que cette nourriture ne fut pas transformée en celui qui la mangeait étant donné qu'il avait un corps glorifié et incorruptible. Mais elle fut dissoute par la puissance divine en la matière qui était là. Or de tels effets ne contribuent pas à la vérité de l'espèce comme nous l'avons dit.

C. ÉPILOGUE DES APPARITIONS

2613. L'Évangéliste met ainsi un terme au récit des apparitions. Mais selon Augustin, si ces mots : C'ÉTAIT DÉJÀ LA TROISIÈME FOIS, se rapportent au nombre d'apparitions, cela n'est pas vrai car, comme on l'a dit, il apparut cinq fois le premier jour, et de même cinq fois avant son Ascension : la première fois, le huitième jour quand Thomas était avec eux ; la seconde, celle-ci, au bord du lac ; la troisième, sur la montagne de Galilée, selon l'Évangile de Matthieu ; la quatrième fois, il apparut pendant que les Onze étaient à table comme le mentionne Marc ; enfin la cinquième fois, le jour de l'Ascension, quand il fut élevé sous leurs yeux - Eux le voyant, il s'éleva, et une nuée le déroba à leurs yeux. Bien qu'il soit apparu plusieurs autres fois durant ces quarante jours, cela ne fut pourtant pas écrit.

C'ÉTAIT DÉJÀ LA TROISIÈME FOIS, se réfère donc plutôt aux jours où il leur apparut. Le premier jour fut en effet l'apparition du soir même de la Résurrection ; le second, celle de l'octave de la Résurrection - et huit jours après ; le troisième jour, ce fut l'apparition rapportée ici.

Ou encore, on peut dire que, même en se rapportant au nombre d'apparitions, la vérité de ce qui a été dit est sauve parce qu'on ne dit pas qu'il apparut à de nombreux disciples réunis si ce n'est une première fois, le soir, alors que les portes étaient closes, une deuxième huit jours plus tard, alors que les disciples se trouvaient réunis, et une troisième, celle-ci. C'est pourquoi il dit clairement : JÉSUS SE MANIFESTAIT À SES DISCIPLES.

CE QUE LE CHRIST CONFIA PLUS SPÉCIALEMENT AUX DEUX DISCIPLES QU'IL AIMAIT D'UN AMOUR DE PRÉDILECTION

2614. L'Évangéliste a exposé précédemment ce que le Seigneur a révélé aux disciples d'une manière commune, mais ici il nous révèle ce qu'il confia plus spécialement aux deux qu'il aimait d'un amour de prédilection ; d'abord à Pierre, puis à Jean [n° 2624],

A. CE QUE LE CHRIST RÉVÉLA A PIERRE

Dans cette première partie, le Seigneur révèle à Pierre deux choses : d'abord il lui confère sa charge de pasteur, puis il lui annonce le martyre qu'il aura à souffrir [n° 2628].

Or ce n'est qu'après l'avoir interrogé qu'il lui remet sa charge de pasteur. Celui qui est choisi pour cette charge est d'abord soumis à une interrogation - N'impose hâtivement les mains à personne. Et il l'interroge par trois fois, aussi cette partie se trouve-t-elle divisée en trois, suivant chacune des trois interrogations.

La première interrogation.

Ici encore trois parties apparaissent : d'abord Jean nous rapporte la question du Seigneur, puis la réponse de Pierre [n° 2621], et enfin Pierre reçoit du Christ sa charge [n° 2623].

Dans cette première partie, il y a trois choses à considérer : d'abord l'opportunité de l'interrogation, puis la manière dont le Christ s'adresse à Pierre [n° 2616] et enfin ce sur quoi porte cette interrogation [n° 2617].

2615. Ici est montrée l'opportunité de l'interrogation. Il s'agit là du repas spirituel dans lequel l'âme est refaite par les dons spirituels - J'entrerai chez lui et je prendrai mon repas avec lui. C'est pourquoi il convient que ceux qui sont choisis pour ce service refassent d'abord leurs forces à cet heureux repas. Autrement, étant eux-mêmes affamés, comment pourraient-ils refaire les autres ? - Et j'enivrerai l'âme des prêtres de graisse, celle-là même, dis-je, dont le psalmiste dit : Comme de graisse et de moelle se rassasie mon âme.

2616. La manière dont le Christ s'adresse à Pierre nous est rapportée ici. Les trois qualités nécessaires au prélat sont exposées.

L'obéissance, quand il l'appelle SIMON, qui se traduit par « obéissant » ; elle est nécessaire pour les prélats, car celui qui ne sait pas obéir à des supérieurs ne sait pas commander des inférieurs - L'homme obéissant parlera victoire.

Puis la connaissance, quand il dit PIERRE, qui se traduit par « celui qui connaît » ; ce savoir est nécessaire au prélat car il est établi comme celui qui observe. Or celui qui est aveugle est un mauvais observateur - Ses guetteurs sont tous des aveugles, ils ne savent rien. - Parce que toi tu as rejeté la connaissance, moi je te rejetterai afin que tu n'exerces pas pour moi le sacerdoce.

Et enfin la grâce lorsqu'il dit « Ioannis », c'est-à-dire FILS DE JEAN, et celle-ci est nécessaire aux prélats, car sans elle ils ne sont rien - C'est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis. - Ayant connu la grâce de Dieu qui m'a été donnée, Jacques et Cephas et Jean, qui paraissaient être les colonnes, nous donnèrent la main à moi et à Barnabe, en signe de communion .

2617. L'interrogation porte sur la dilection, et cela convient bien. Pierre auparavant, comme nous l'avons vu, était tombé dans le péché ; il n'était donc pas convenable qu'il fût préféré sans qu'auparavant cette faute fût absoute, ce qui ne peut se faire que par la charité - La charité couvre la multitude des péchés . - La charité couvre toutes les fautes. C'est pourquoi il convenait que par cette interrogation le Christ manifestât la charité de Pierre, non pas à lui qui scrute les reins et les cœurs , mais aux autres. Il ne lui demande donc pas : « M'AIMES-TU PLUS QUE CEUX-CI ? » comme s'il ignorait la réponse, mais parce que la charité parfaite chasse la crainte .

De là vient que c'est en Pierre que le Seigneur renouvela l'amour et chassa la crainte, ce Pierre qui, alors que le Seigneur allait mourir, avait eu peur et avait renié. C'est pourquoi, lui qui avait renié par crainte de mourir ne craignit plus rien, le Seigneur étant ressuscité. Que craindrait-il en effet quand désormais il trouvait la mort morte ?

2618. Cette interrogation convient aussi à la charge [qui lui est confiée]. Beaucoup de ceux qui ont reçu une charge de pasteur en usent pour l'amour d'eux-mêmes - Sache qu'à la fin des jours viendront des temps périlleux, il y aura des hommes s'aimant eux-mêmes. Or celui qui n'aime pas le Seigneur n'est pas un véritable prélat ; seul l'est celui qui ne recherche pas son propre intérêt mais celui du Christ Jésus, et ceci par amour pour lui - La charité du Christ nous presse.

L'interrogation convient aussi à la charge quant au service des plus proches, car c'est l'abondance de la charité qui pousse ceux qui aiment à quitter de temps en temps le repos de leur propre contemplation pour pourvoir au service des plus proches. En effet l'Apôtre qui affirmait : Car je suis certain que ni mort, ni vie, ni anges, ni principautés, (...) ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu, ajoute ensuite : Je désirais ardemment être moi-même anathème à l'égard du Christ pour mes frères qui sont mes proches.Voilà pourquoi l'interrogation est nécessaire pour s'assurer de la dilection de celui qui va être prélat.

2619. Il ajoute PLUS QUE CEUX-CI – Même le Philosophe, dans sa Politique, affirme que celui qui commande et gouverne doit être, selon un ordre naturel, le plus excellent. C'est pourquoi il dit que, comme l'âme se comporte à l'égard du corps qu'elle régit et l'intelligence à l'égard de ce qui lui est inférieur, et encore l'homme à l'égard des animaux qui ne sont pas doués de raison, ainsi le prélat doit regarder ceux qui lui sont confiés.

C'est pourquoi, selon Grégoire, la vie du pasteur doit être telle que, comparativement à lui, ses subordonnés soient semblables aux brebis comparativement à leur pasteur. Aussi le Christ dit-il : PLUS QUE CEUX-CI, parce que plus on aime, plus on est grand - Certes, vous voyez quel est celui qu'a choisi le Seigneur et qu'il n'y en a pas de semblable dans tout le peuple.

2620. Mais est-il nécessaire, lors d'un choix, de choisir toujours le meilleur de manière absolue quand, selon le droit, il suffit de choisir un homme qui soit bon ? Il faut ici faire une double distinction, car ce qui suffit selon le jugement humain ne suffit cependant pas selon le jugement divin.

Selon le jugement humain, il suffit qu'on ne puisse accuser un homme et que le choix ne puisse être remis en cause. En effet, il semble difficile que des choix puissent se faire si on peut ensuite les remettre en cause parce qu'on trouve un autre homme meilleur que celui qui a été choisi. Aussi suffit-il, selon le jugement humain, comme on le lit dans les Décrétales, que le choix soit droit et que soit choisi un homme capable.

Pourtant, selon le jugement divin et selon la conscience, il est nécessaire de choisir le meilleur. Cependant, au sens absolu, on dit d'un homme qu'il est le meilleur quand il est le plus saint, car la sainteté le rend bon ; mais celui-là n'est pas le meilleur selon ce que requiert l'Église. De ce point de vue, [un homme] est meilleur dans la mesure où il est plus lettré, où il a plus de compétence et de discernement, et où il est choisi avec un plus grand accord.

Mais si tous possèdent également les qualités nécessaires au service de l'Église, et donc l'excellence requise en vue de cette fonction, et qu'un homme moins bien au sens absolu est préféré, il y a péché parce que nécessairement quelque intérêt pousse à cela. Et donc, ce que l'on poursuit est soit l'honneur de Dieu et le bien de l'Église, soit quelque intérêt privé. Si c'est le bien de l'Église et l'honneur de Dieu qui poussent à choisir, ce bien que l'on saisit dans l'élu fait de lui le meilleur pour cette fonction. Mais si c'est quelque intérêt privé, par exemple une attache charnelle, l'espoir d'un bénéfice et d'un avantage temporel, le choix est alors frauduleux et il y a acception de personnes.

2621. Voici la réponse de Pierre : par elle est donné un signe évident qu'il s'est corrigé de son reniement, et que les prédestinés sont toujours corrigés pour un plus grand bien, si parfois ils tombent.

Car avant son reniement, Pierre s'exalta au-dessus des autres Apôtres, en disant : Quand tous se scandaliseraient de toi, moi jamais je ne me scandaliserai !, mais aussi contre son Seigneur, parce qu'alors qu'il lui disait : Tu me renieras trois fois, Pierre ajouta : Quand il me faudrait mourir avec toi, je ne te renierai pas ; par là il semblait s'opposer violemment à la parole du Seigneur.

Mais à présent, vaincu dans ses propres forces, il n'ose pas confesser son amour si ce n'est en rendant témoignage au Seigneur sous forme de protestation, en s'humiliant devant le Christ par ces paroles : « MAIS OUI, SEIGNEUR, TOI TU SAIS QUE JE T'AIME ! » - Car voilà que dans le ciel est mon témoin et que celui qui a une connaissance intime de moi habite au plus haut des deux .

Il s'humilie également devant les Apôtres en ne disant pas : « plus que ceux-ci », mais simplement « JE T'AIME ». Par là nous comprenons que nous ne devons pas nous élever au-dessus des autres, mais les élever au-dessus de nous - Mais par humilité, chacun estimant les autres supérieurs à soi.

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2622. Notons aussi, selon Augustin, qu'au Seigneur qui lui demande : « M'AIMES-TU ? » (diligis me ?), Pierre ne répond pas : « Je t'aime » (diligo), mais Amo te. Comme si l'amour et la dilection étaient la même chose. Ce qui est vrai selon la réalité, mais diffère selon le nom. L'amour est en effet un mouvement de l'appétit ; si ce mouvement est contrôlé par la raison, il s'agit alors d'un amour volontaire qui est à proprement parler la dilection parce qu'elle suit un choix. Voilà pourquoi on ne peut dire à proprement parler que les animaux aiment (diligere). Mais si ce mouvement n'est pas réglé par la raison, on l'appelle l'amour (amor) .

2623. Maintenant, après avoir éprouvé Pierre, il lui confie sa mission : « PAIS MES AGNEAUX », c'est-à-dire ceux qui croient en moi, ceux que moi, l'Agneau, j'appelle « mes agneaux » - Voici l’ Agneau de Dieu, voici celui qui enlève les péchés du monde. Cela pour qu'on ne puisse pas appeler « chrétien » celui qui affirme qu'il n'est pas sous la garde de ce pasteur, c'est-à-dire de Pierre - Un seul pasteur sera pour eux tous. - Et ils se donneront un seul chef.

Il convenait que le Christ confiât cette mission à Pierre de préférence à tous les autres, lui qui, selon Chrysostome, était « le plus remarquable des Apôtres », aussi bien porte-parole des disciples que tête du collège (collegium) .

La deuxième interrogation.

2624. Voici maintenant la seconde interrogation. Pour ne pas [en rester à] une répétition des mêmes mots, remarque que si Jésus dit trois fois PAIS MES AGNEAUX [ou MES BREBIS], c'est parce que Pierre doit les faire paître de trois manières.

D'abord par la parole de la doctrine - Je vous donnerai des pasteurs selon mon cœur, et ils vous nourriront de connaissance et de doctrine ; par l'exemple de sa vie - Sois l'exemple des fidèles par ta parole, par ta conduite, par ta charité, par ta foi et par ta chasteté. - Sur les monts d'Israël, la noblesse des grands hommes, seront vos pâturages ; et encore, en leur apportant un secours temporel - Malheur aux pasteurs d'Israël qui se faisaient paître eux-mêmes. N'est-ce pas les troupeaux que les pasteurs font paître ?

La troisième interrogation.

2625. Mais sois attentif au fait que la troisième fois, il lui dit « PAIS MES BREBIS », après avoir dit deux fois auparavant « PAIS MES AGNEAUX ». C'est que dans l'Église, on peut distinguer trois genres (genera) d'hommes : les commençants, les progressants et les parfaits. Et ces deux premiers sont les agneaux, comme encore imparfaits, tandis que les autres, en tant que parfaits, sont appelés brebis - Les montagnes, c'est-à-dire les parfaits, bondirent comme des béliers, et les collines, c'est-à-dire les autres, comme des agneaux de brebis.

Aussi tous les prélats doivent-ils garder ceux qui leur sont confiés comme les brebis du Christ et non les leurs. Mais hélas, comme le dit Augustin dans un sermon de Pâques, « Voici que des serviteurs infidèles ont dispersé le troupeau du Christ et par leurs rapines ont entassé pour eux de l'argent ; et tu les entends dire : "Ces brebis sont à moi ! Pourquoi cherches-tu mes brebis ? Que je ne te trouve pas auprès d'elles !" Mais si nous disons "les miennes", et qu'ils les disent "leurs", c'est que le Christ a perdu ses brebis. »

2626. Remarquons encore que, de même qu'il lui confie sa mission par trois fois, il l'éprouve aussi par trois fois. D'abord parce que Pierre l'avait renié trois fois. Aussi une triple confession s'impose-t-elle, comme le dit Augustin, « pour qu'ainsi sa langue ne serve pas moins l'amour que la crainte, et que la mort imminente ne paraisse pas avoir arraché plus de paroles que la Vie présente ».

Ensuite, parce que Pierre était tenu d'aimer le Christ pour trois raisons. D'abord à cause du péché remis - Celui à qui l'on remet plus, aime plus ; puis à cause de l'honneur promis, parce qu'il était grand : Sur cette pierre, je bâtirai mon Église ; enfin à cause de la mission qui lui était confiée, comme ici où il le charge de veiller sur l'Église.

Ou encore, il dit trois fois : PAIS, à cause de ce que le Seigneur a commandé - Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, c'est-à-dire pour diriger vers Dieu toute ton intention, de toute ton âme, pour que ta volonté tout entière se repose en Dieu par l'amour, et de toute ta force, pour que toute la réalisation de tes œuvres serve Dieu.

2627. Remarquons aussi que Pierre, interrogé ainsi à trois reprises, fut contristé. C'est qu'avant la Passion, alors qu'il avait proclamé vivement son amour pour le Christ, il fut réprimandé par le Seigneur comme nous l'avons vu. Se voyant donc interrogé trois fois sur son amour, il craint d'être réprimandé par le Seigneur, et il en est contristé. Aussi dit-il : « TOI TU SAIS TOUT, TU SAIS QUE JE T'AIME ! », comme pour dire : Moi je t'aime, autant qu'il me semble, mais toi tu sais tout et peut-être tu sais qu'il doit arriver quelque chose d'autre. C'est pourquoi c'est à Pierre, ainsi humilié, que fut finalement confiée l'Église.

Un Docteur grec affirme que ce serait la raison pour laquelle on interroge trois fois les catéchumènes lors du baptême.

2628. Le Seigneur a désormais confié à Pierre son service de pasteur ; maintenant il lui annonce qu'il aura à souffrir le martyre ; et cela convient bien, car il revient au bon pasteur de livrer son âme pour ses brebis . Or il ne fut pas donné à Pierre de livrer son âme pour le Christ dans sa jeunesse, mais déjà vieux et pour ses brebis.

C'est bien ce que lui annonce le Christ dans cette prédiction ; il lui rappelle d'abord la condition de sa vie passée, puis il lui annonce la perfection de sa vie future [n° 2630]. Enfin l'Évangéliste rapporte les paroles du Seigneur [n° 2633].

2629. Or la condition passée de Pierre ne fut pas sans défauts car dans sa jeunesse il fut trop présomptueux et trop attaché à sa volonté propre - ce qui est en effet le propre des jeunes, comme le dit le Philosophe dans sa Rhétorique. Aussi l'Ecclésiaste dit-il, comme par manière de blâme : Réjouis-toi donc, jeune homme, en ton adolescence, et qu'heureux soit ton cœur dans les jours de ta jeunesse ; marche dans les voies de ton cœur. C'est ce que signifie cette parole du Seigneur : LORSQUE TU ÉTAIS PLUS JEUNE, TU METTAIS TOI-MÊME TA CEINTURE ET TU ALLAIS OÙ TU VOULAIS, c'est-à-dire : tu te maintenais à l'écart de certaines choses illicites et superflues, comme si tu ne supportais pas, selon ton jugement propre, de te maintenir à l'écart de quelque chose. Voilà aussi pourquoi, quand il s'agit d'accomplir des bonnes œuvres, c'est toujours dans les dangers que tu veux être à ma place.

Cependant il ne t'a pas été donné de souffrir pour moi quand tu étais jeune ; mais, QUAND TU AURAS VIEILLI, je comblerai ton désir pour que, ce que tu n'auras pas souffert dans ta jeunesse, tu le souffres comme vieillard car TU ÉTENDRAS TES MAINS ET UN AUTRE TE CEINDRA. Admirable annonce ! C'est toute la durée de sa vie et sa passion qu'elle présente. Car entre le moment où ces paroles ont été dites et la mort de Pierre se sont écoulées presque trente-sept années ; il était donc en effet bien vieux.

2630. Selon Chrysostome, il dit : QUAND TU AURAS VIEILLI, parce qu'il en va autrement dans les choses humaines et dans les choses divines. Dans les choses humaines, les jeunes par leurs affaires sont utiles, mais les vieillards inutiles. Mais dans les choses divines, la vertu ne disparaît pas avec la vieillesse, au contraire elle est parfois plus forte - Ma vieillesse est comblée d'une miséricorde abondante. - Comme les jours de ta jeunesse, ainsi sera ta vieillesse. Mais cela s'entend, comme l'affirme Tullius, de ceux qui pendant leur jeunesse s'exercent en vue du bien. Par contre ceux qui, jeunes, s'adonnent à l'oisiveté, ne valent pas beaucoup ou rien quand ils sont vieux.

Par là on comprend aussi, comme le dit Origène dans son commentaire sur ce passage de Matthieu Longtemps après, le maître revint, qu'en effet on trouve rarement des maîtres et des enseignants dans l'Église qui soient utiles et qui ne vivent que peu de temps. Il donne alors l'exemple de Paul dont on lit dans les Actes qu'il était adolescent, et qui plus tard écrit à Philémon : Puisque tu es comme moi, le vieux Paul. La raison en est que, parce qu'on trouve bien peu d'hommes capables pour cela, quand on en trouve quelques-uns, le Seigneur les maintient en vie plus longtemps.

2631. Il lui annonce aussi le mode de sa passion : TU ÉTENDRAS TES MAINS, car Pierre fut crucifié ; cependant non pas avec des clous mais avec des cordes, pour le maintenir en vie plus longtemps. Et c'est cela que le Christ appelle « ceinture ».

À propos de la passion des saints, il nous faut considérer trois aspects.

D'abord le mouvement de l'affection naturelle, car il y a entre l'âme et le corps un lien naturel tel que jamais l'âme ne voudrait être séparée du corps et inversement - Nous ne voulons pas être dépouillés, mais revêtus par-dessus. - Mon âme est triste jusqu'à la mort. Aussi le Christ dit-il : OÙ TU NE VEUX PAS, c'est-à-dire selon l'instinct de ta nature, si naturel que même la vieillesse ne pourra l'enlever à Pierre. Pourtant le désir de la grâce parvient à le vaincre, c'est pourquoi l'Apôtre dit : J'ai le désir de disparaître et d'être avec le Christ. — Oui, nous sommes pleins d'audace, nous aimons mieux sortir de ce corps, et être présents à Dieu.

Ensuite, la divergence entre l'intention des saints et celle de leurs persécuteurs : ET T'EMMÈNERA LÀ OÙ TU NE VEUX PAS.

Enfin, nous devons être prêts à souffrir mais non à tuer, c'est pourquoi il dit : TU ÉTENDRAS TES MAINS. Et c'est évident de Pierre : alors que le peuple voulait fomenter une révolte contre Néron et sauver Pierre, lui-même l'en empêcha - Le Christ a souffert pour nous, nous laissant un exemple.

2632. On pourrait croire que T'EMMÈNERA doit précéder l'affirmation UN AUTRE TE CEINDRA, comme pour dire : il te ceindra parce qu'il T'EMMÈNERA LÀ OÙ TU NE VEUX PAS. Mais pour qu'on ne croie pas que cela ait été dit en vain, cela a été écrit après la mort de Pierre. Car Pierre fut tué à l'époque de Néron tandis que Jean écrivit son Évangile après son retour d'exil, sous l'empereur Domitien. Or il y eut plusieurs empereurs entre Néron et Domitien.

2633. L'Évangéliste nous rapporte cet événement encore à venir comme s'il était déjà arrivé en disant : OR IL DIT CELA - c'est-à-dire Jésus à Pierre - POUR SIGNIFIER PAR QUELLE MORT IL GLORIFIERAIT DIEU ; en effet, la mort des saints, et non pas seulement leur vie, est en vue de la gloire du Christ - Le Christ sera glorifié dans mon corps soit par la vie, soit par la mort. - Qu'aucun de vous ne souffre comme voleur ou comme homicide (...) ; et, si c'est comme chrétien, qu'il ne rougisse pas, mais qu'il glorifie Dieu en ce nom. C'est ainsi qu'est manifestée la grandeur du Seigneur, lorsqu'au nom de sa vérité et de leur foi en lui les saints s'exposent ainsi à la mort.

B. CE QUE LE CHRIST RÉVÉLA A JEAN

2634. Après avoir exposé ce que le Seigneur a révélé à Pierre, l'Évangéliste nous raconte ici ce qu'il révéla à Jean, c'est-à-dire à lui-même. Il présente d'abord la recommandation du disciple par le Christ, puis celle de son Évangile [n° 2652].

Concernant ce premier point, il nous précise d'abord l'occasion [qu'a le Christ] de recommander ce disciple, puis il l'expose [n° 2638].

L'occasion de cette recommandation.

2635. L'occasion de cette recommandation de Jean fut l'appel du Christ invitant Pierre à le suivre. En effet, c'est APRÈS AVOIR DIT CELA - ce qui concernait sa mission et son martyre - que Jésus dit à Pierre : « SUIS-MOI ! »>

Selon Augustin cela est dit en référence au martyre, c'est-à-dire « en souffrant pour moi » ; car il ne suffit pas de souffrir de n'importe quelle manière, mais seulement en suivant le Christ, c'est-à-dire à cause de lui - Vous serez heureux lorsque les hommes vous haïront à cause du Fils de l'homme. - Le Christ même a souffert pour nous vous laissant un exemple.

2636. Mais beaucoup d'autres, parmi les disciples présents à ce moment, ont souffert à cause du Christ, et notamment Jacques qui fut mis à mort le premier - II fit mourir par le glaive Jacques, frère de Jean. Pourquoi dit-il spécialement à Pierre « SUIS-MOI ! » ?

Là Augustin répond que Pierre a non seulement souffert la mort pour le Christ, mais aussi qu'il l'a suivi jusque dans le genre de mort, c'est-à-dire celui de la croix - Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il porte sa croix et qu'il me suive.

Ou encore, selon Chrysostome, il dit « SUIS-MOI ! » dans le service de prélat ; comme si Jésus disait : « Suis-moi, comme moi j'ai reçu de Dieu le Père le soin de l'Église - Demande-moi et je te donnerai les nations en héritage -, afin que tu deviennes à ma place le chef de l'Église tout entière. »

2637. Comment expliquer alors qu'après l'Ascension du Christ, Jacques ait reçu après lui la primauté à Jérusalem ? À cela il faut dire qu'il reçut l'autorité spéciale sur ce lieu. Mais Pierre lui, reçut l'autorité universelle sur les fidèles de toute l'Église.

La recommandation elle-même.

2638. L'Évangéliste expose ici la recommandation de Jean par le Christ, d'abord quant aux choses passées, puis quant aux choses futures [n° 2644].

En ce qui concerne les choses passées, c'est en vertu d'un triple privilège que Jean est recommandé par le Christ.

2639. D'abord à cause de cette dilection particulière du Christ pour lui. C'est pourquoi Jean nous dit : S'ÉTANT RETOURNÉ, PIERRE - qui avait déjà commencé à suivre Jésus, même physiquement - VIT QUE LE DISCIPLE QUE JÉSUS AIMAIT LES SUIVAIT. En cela il est donné à entendre que Pierre, désormais fait pasteur, veillait attentivement sur les autres - Et toi, une fois converti, confirme tes frères. Or Jésus aimait Jean sans pour autant exclure les autres, comme il l'a dit auparavant : Comme le Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Mais il l'a préféré aux autres en raison d'une dilection spéciale. Et cela pour trois raisons.

D'abord à cause de la perspicacité de son intelligence ; les maîtres en effet aiment spécialement les disciples intelligents - Un ministre intelligent est bien accueilli du roi.

Ensuite à cause de la pureté de son cœur, puisqu'il était vierge - Celui qui aime la pureté du cœur, à cause de la grâce de ses lèvres aura pour ami le roi.

Enfin à cause de sa jeunesse ; en effet, nous nous laissons davantage attendrir par les enfants et ceux qui sont démunis, et nous leur montrons des signes de familiarité. Ainsi aussi le Christ envers le jeune Jean - Parce qu'Israël était un enfant, je l'ai aimé. Nous voyons par là que Dieu chérit spécialement ceux qui se mettent à son service dès leur plus jeune âge - Mon âme a désiré quelques figues précoces.

2640. Cependant l'Écriture dit : Moi, j'aime ceux qui m'aiment. Or c'est Pierre qui aimait davantage le Christ, comme nous l'avons vu : Simon, fils de Jean, m'aimes-tu plus que ceux-ci ? Le Christ aurait donc dû aimer davantage Pierre que Jean.

Voici la réponse. On pourrait dire que Jean, parce qu'il a été plus aimé, fut plus heureux, mais que Pierre, étant plus aimant, fut meilleur.

Mais cela serait contraire à la justice. Aussi cela nous renvoie-t-il au mystère. En effet, ces deux disciples manifestent deux aspects de la vie, c'est-à-dire la vie active et la vie contemplative. De l'une comme de l'autre, le Christ est la fin et l'objet. Mais la vie active, représentée par Pierre, aime davantage Dieu que la vie contemplative, représentée par Jean, parce qu'elle ressent davantage les angoisses de la vie présente et désire avec plus d'ardeur en être libérée et aller vers Dieu.

Quant à la vie contemplative, Dieu l'aime plus puisqu'il la conserve plus ; en effet, elle ne s'achève pas avec la vie du corps comme la vie active - Le Seigneur aime les portes de Sion plus que toutes les tentes de Jacob.

2641. Certains, voulant expliquer littéralement ce passage, distinguent dans le Christ deux dilections différentes, en raison de sa volonté divine et de sa volonté humaine. Ils affirment que le Christ a aimé davantage Pierre d'une dilection divine, et Jean d'une dilection humaine. Mais dans le Christ, la volonté humaine était totalement conforme à la volonté divine. Ainsi celui qu'il aimait le plus selon sa volonté divine, il l'aimait plus aussi selon sa volonté humaine.

Il faut donc répondre qu'il aimait davantage celui auquel il voulait un bien plus grand. Or il aimait plus Pierre pour faire de lui le disciple le plus aimant, mais Jean, il l'aimait en vue d'autre chose : la perspicacité de son intelligence - Le Seigneur l’α comblé d'un esprit de sagesse et d'intelligence. Selon cela, Pierre est meilleur parce que la charité l'emporte sur la science - La charité ne finira jamais. Quant à Jean, il est plus grand selon la perspicacité de l'intelligence. Mais il appartient à Dieu seul de peser leurs mérites - Celui qui pèse les esprits, c'est Dieu.

D'autres encore affirment, ce qui paraît plus juste, que Pierre aima plus le Christ à travers ses membres, et qu'ainsi il fut plus aimé du Christ qui, pour cela, lui confia son Église. Jean quant à lui l'aima davantage pour lui-même, et pour cette raison il fut plus aimé du Christ, et c'est pourquoi celui-ci lui confia sa Mère.

On peut dire encore que Pierre aima le Christ par son empressement et sa ferveur, mais que Jean fut plus aimé si l'on considère les marques de familiarité que le Christ lui prodiguait davantage, en raison de sa jeunesse et de sa pureté.

2642. Aussi, lorsque Jean ajoute CELUI QUI À LA CÈNE REPOSA SUR SA POITRINE, il est mis en lumière en vertu d'un second privilège, à savoir celui de son intimité spéciale avec le Christ, ce que nous avons exposé plus haut.

2643. Enfin Jean est mis en lumière selon ce privilège de la confiance spéciale qu'il avait dans le Christ, si bien que, confiant plus que tous les autres, c'est lui qui pouvait l'interroger. C'est pourquoi il dit : ET DIT : « SEIGNEUR, QUI EST CELUI QUI TE LIVRERA ? » - ce que nous avons également montré.

Chrysostome affirme que, si Jean nous rappelle ainsi ses propres privilèges, c'est afin de recommander Pierre. On aurait pu croire en effet que Pierre, parce qu'il avait renié le Christ, ne serait plus reçu dans la même intimité qu'auparavant. Aussi, pour exclure cela, Jean montre qu'il était reçu dans une intimité plus grande ; car lui qui, à la Cène, n'osait pas interroger le Seigneur mais en confia le soin à Jean, devient après la Passion le porte-parole de ses frères et n'interroge plus seulement le maître pour lui-même, mais aussi pour les autres et pour Jean.

En cela il est donné à entendre que ceux qui sont tombés dans le péché renaissent parfois pour une grâce plus grande - Car comme votre sentiment a été d'errer loin de Dieu, en revenant à lui vous le rechercherez dix fois plus fort.

2644. Aussitôt après, l'Évangéliste nous rapporte cette interrogation : « ET DE LUI, SEIGNEUR, QU'EN SERA-T-IL ? » Nous voyons ici le fait de recommander Jean quant au futur. Cela implique en premier lieu l'interrogation de Pierre, puis la réponse du Christ [n° 2646], après quoi il nous est montré comment fut comprise cette réponse [n° 2651].

2645. En ce qui concerne cette question de Pierre, il faut savoir qu'en réponse à l'appel du Seigneur : « SUIS-MOI ! », Pierre commença à le suivre physiquement, lui emboîtant le pas, et Jean aussi avec lui. Et donc, voyant Jean le suivre, Pierre interroge le Christ à son sujet : « ET DE LUI (...) QU'EN SERA-T-IL ? », comme s'il disait : « Voici que moi je te suis dans ta Passion, mais celui-ci, mourra-t-il ? » Jean aussi aurait voulu poser cette question, mais il n'osait pas.

Selon Chrysostome, Pierre n'entendait pas s'informer de sa passion mais du fait qu'il soit prélat. En effet il aimait Jean plus que tous les autres disciples, et on les voit toujours ensemble dans les Évangiles et les Actes. Et c'est pourquoi il voulait l'avoir pour compagnon dans son service de prédicateur par toute la terre. Voilà pourquoi il demande : « ET DE LUI (...) QU'EN SERA-T-IL ? » - sous-entendu : « Que fera-t-il ? Qu'il vienne avec moi ! »

2646. Voici la réponse du Christ. Sachons que dans le texte grec il est dit non pas « ainsi », mais « si » JE VEUX QU'IL DEMEURE. Mais cela importe peu. Quel que soit ce qui a été dit, il a semblé aux Apôtres que le sens de ces paroles était que Jean ne mourrait pas. En effet le Christ dit : SI JE VEUX QU'IL DEMEURE JUSQU'À CE QUE JE VIENNE, comme s'il disait : il ne mourra pas jusqu'à mon second avènement. Mais ceci est exclu par ce qui suit : OR JÉSUS NE LUI A PAS DIT : « IL NE MOURRA PAS. »

2647. Certains cependant, voulant soutenir cette signification, prétendent que Jean a ajouté cela, non pas pour exclure cette interprétation, mais pour montrer que le Seigneur ne l'a pas exprimée par les mots : IL NE MOURRA PAS mais seulement par ceux-ci : SI JE VEUX QU'IL DEMEURE. Et pour cette raison, ils disent que Jean n'est pas encore mort.

Cependant, concernant sa sépulture, il y a eu des opinions variées. Il est vrai en effet selon tous qu'il entra dans un sépulcre et cela apparaît encore. Mais quelques-uns disent qu'il est entré vivant dans ce sépulcre et que, par la puissance divine, il en sortit, transporté auprès d'Énoch et d'Élie, où il est gardé jusqu'à la fin du monde. Il faudrait donc comprendre : JE VEUX QU'IL DEMEURE vivant jusqu'à la fin du monde. Alors il souffrira pour moi, avec ces deux hommes, le martyre infligé par l'Antichrist. En effet il est inconvenant qu'il ne meure pas. Car tout ce qui naît doit mourir -II est arrêté que les hommes meurent une fois.

D'autres au contraire affirment qu'il entra vivant dans son sépulcre qui se trouve près d'Éphèse et qu'il y vit encore maintenant, endormi, jusqu'à ce que le Christ revienne. Ils ont pour argument qu'à cet endroit la terre se soulève comme en bouillonnant, ce qui, disent-ils, est dû au souffle de l'Apôtre. Augustin cependant exclut cela, disant qu'il est moindre pour l'Apôtre de vivre endormi que de vivre en bienheureux. Pourquoi donc le Christ aurait-il accordé, au disciple qu'il aimait plus que les autres, ce long sommeil comme une grande récompense, et l'aurait-il privé de ce si grand bien en vue duquel Paul désirait être dissous pour être avec le Christ ?

Voilà pourquoi on ne doit pas croire cela, mais qu'il mourut et ressuscita aussi en son corps. Et le signe en est qu'on ne retrouve pas son corps ; ainsi il demeure bienheureux avec le Christ comme celui-ci l'y invita - Celui qui rend témoignage de ces choses dit : Oui, je viens bientôt.

2648. Selon Augustin, il faut comprendre cela d'une manière mystique : ne pas entendre « demeurer » au sens de « rester », mais au sens d'« attendre », selon ce verset - Vous, demeurez dans la ville jusqu’à ce que vous soyez revêtus de la force d'en haut.

C'est ainsi que le Seigneur dit de Jean, c'est-à-dire de la vie contemplative : SI JE VEUX QU'IL DEMEURE - c'est-à-dire qu'il attende - JUSQU'À CE QUE JE VIENNE, soit à la fin du monde, soit à la mort de tout contemplatif, car la vie contemplative commencée ici, sur terre, n'y atteint pas sa perfection, elle demeure inchoative et dans l'attente de la venue du Christ, devant être achevée quand il viendra - On leur dit d'attendre en repos encore un peu de temps jusqu’à ce que fût accompli le nombre de ceux qui servaient Dieu comme eux. - Marie a choisi la meilleure part et elle ne lui sera pas enlevée. - La longueur des jours est dans sa droite ; et dans sa gauche sont les richesses et la gloire.

Mais la vie active, parfaite, formée à l'exemple de la Passion du Christ, le suit pendant ce temps en souffrant pour lui.

2649. Mais selon Chrysostome il faut lire ainsi : JE VEUX QU'IL DEMEURE, c'est-à-dire qu'il reste en Judée, dans ce pays-là, pour prêcher ; mais toi, je veux que tu me suives en prenant soin du monde entier et en souffrant pour moi, et cela, JUSQU'À CE QUE JE VIENNE pour confondre les Juifs. ET QUE T'IMPORTE ?, comme pour dire : il m'appartient d'ordonner. Car, et les récits historiques nous le confirment, Jean ne quitta pas la Judée jusqu'à ce que Vespasien vînt en Judée et prît Jérusalem ; c'est alors que Jean quitta ce lieu pour l'Asie.

2650. Ou bien, selon Jérôme , il faut comprendre : TOI, SUIS-MOI, c'est-à-dire par ta passion, mais SI JE VEUX QU'IL, c'est-à-dire Jean, DEMEURE sans souffrir le martyre et la mort JUSQU'À CE QUE JE VIENNE pour l'appeler auprès de moi - De nouveau je viendrai et je vous prendrai près de moi -, QUE T'IMPORTE ? - sous-entendu « ce privilège ». Voilà pourquoi il est dit dans la légende du bienheureux Jean que, alors qu'il avait quatre-vingt-dix ans, le Seigneur Jésus Christ lui apparut et l'invita à son festin.

2651. Ensuite, lorsqu'il dit LE BRUIT SE RÉPANDIT DONC PARMI LES FRÈRES QUE CE DISCIPLE NE MOURRAIT PAS, il nous montre la manière dont les disciples comprirent ces paroles du Seigneur, c'est-à-dire qu'il NE MOURRAIT PAS. Et c'est ce qu'il dit : LE BRUIT SE RÉPANDIT, c'est-à-dire on divulgua parmi les frères, c'est-à-dire parmi les disciples - Voyez qu'il est bon et qu'il est doux d'habiter en frères tous ensemble ! - QUE CE DISCIPLE, Jean, NE MOURRAIT PAS. L'Évangéliste corrige aussitôt cette manière de comprendre, en disant : OR JÉSUS NE LUI A PAS DIT : « IL NE MOURRA PAS » - Et vous aussi êtes-vous encore sans intelligence ?

Toutes les autres choses ont déjà été exposées.

2652. Voici la dernière partie de l'Évangile, qui en est comme un épilogue. D'abord, il expose la mise en valeur de l'Évangile, puis souligne que la réalité dépasse de beaucoup ce qui est rapporté dans l'Évangile [n° 2657].

La mise en valeur de cet Évangile.

Cet Évangile est mis en valeur de deux manières : d'abord, bien sûr, à cause de celui qui en est l'auteur, mais ensuite à cause de sa vérité [n° 2656].

Concernant l'auteur, il montre trois choses.

2653. En premier lieu, le privilège de sa dignité, parce qu'il est, lui, CE DISCIPLE-LÀ - sous-entendu ce qui a déjà été dit : plus aimé, intime, interrogeant fidèlement, et auquel fut donné de demeurer jusqu'à ce que je vienne, toutes choses qui regardent le privilège de sa dignité.

On dit que Jean fut plus aimé spécialement en raison de la qualité spéciale de sa charité - En cela tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres. Or aucun des Apôtres n'a autant parlé de la charité fraternelle que Jean dans ses épîtres. On lit encore à son sujet que, devenu vieux, il se faisait porter à l'église par ses disciples pour y instruire les fidèles auxquels il disait seulement : « Petits enfants, aimez-vous les uns les autres. C'est en cela que consiste la perfection de la vie (disciplinae) chrétienne. »

2654. En second lieu, il montre sa mission qui est de rendre témoignage, et c'est pourquoi il dit : C'EST CE DISCIPLE-LÀ QUI TÉMOIGNE DE CES CHOSES. C'est d'ailleurs le caractère propre de la mission des Apôtres - Vous serez témoins pour moi. - C'est vous qui êtes mes témoins, dit le Seigneur.

2655. Enfin il ajoute son zèle en disant : ET LES A MISES PAR ÉCRIT. Lui, qui par sa mission apostolique a témoigné des actions du Christ auprès de ceux qui étaient présents, a aussi, poussé par son zèle, mis par écrit ces actions dans l'intérêt des générations futures et des absents - Prends un grand livre et écris dessus avec un stylet d'homme. - La sagesse du scribe lui viendra dans le temps du loisir.

Il fut en effet donné à l'Apôtre Jean de vivre jusqu'au temps où l'Église avait retrouvé la paix. Et c'est alors qu'il mit par écrit toutes ces choses. C'est pourquoi il ajoute cela, pour qu'on ne croie pas que cet Évangile, ayant été écrit après la mort de tous les Apôtres, et après que les autres Évangiles ont été approuvés par eux, spécialement celui de Matthieu, semble avoir une autorité moindre que celle des trois autres évangiles.

2656. L'Évangéliste proclame ici la vérité de son Évangile. Et il parle au nom de toute l'Église par laquelle cet Évangile fut reçu - Ma bouche s'exercera à la vérité.

Il faut remarquer que, bien que beaucoup aient déjà écrit sur la vérité catholique, la différence est que ceux qui ont rédigé l'Écriture canonique - les évangélistes, les Apôtres et d'autres encore - la proclament avec une telle constance qu'ils ne laissent pas la moindre place au doute. C'est pourquoi Jean dit : ET NOUS SAVONS QUE SON TÉMOIGNAGE EST VRAI - Si quelqu'un vous annonce un autre Évangile que celui que vous avez reçu, qu'il soit anathème. La raison en est que seule l'Écriture canonique est la règle de la foi.

D'autres encore ont parlé de la vérité en ne voulant être crus que dans ce qu'ils disent de vrai.

La réalité dépasse de beaucoup ce qui est rapporté dans l'Évangile.

2657. Jean nous montre ici l'insuffisance de ses écrits au regard de la réalité qu'il met par écrit, comme pour écarter le fait qu'il ait écrit ces choses, dans sa volonté d'en attribuer la grâce à celui qui l'aime, parce que celui-ci a fait non seulement ces choses mais encore BEAUCOUP D'AUTRES CHOSES qui n'ont pas été rapportées dans ce livre.

2658. Ce verset peut se comprendre de trois manières.

En un sens « contenir » se rapporte à une capacité de l'intelligence ; comme s'il disait : on pourrait dire tant de choses sur le Christ que même le monde entier ne contiendrait pas les livres qui seraient écrits à leur sujet - J'ai beaucoup de choses à vous dire, mais à présent vous ne pouvez pas les porter, c'est-à-dire les comprendre.

En un autre sens, puisque cette phrase est hyperbolique , elle signifie que les œuvres accomplies par le Christ nous dépassent complètement.

2659. Mais qu'est-ce qu'il dit là ? En effet, il affirme d'abord : ET NOUS SAVONS QUE SON TÉMOIGNAGE EST VRAI, puis aussitôt il poursuit par cette proposition hyperbolique. Mais selon Augustin, l'Écriture Sainte utilise ces tournures imagées, par exemple : Je vis le Seigneur siégeant sur un trône sublime et élevé, et cependant elles ne sont pas fausses. Et il en est ainsi de n'importe quelle expression hyperbolique que l'on trouve dans l'Écriture Sainte.

En effet l'intention de l'auteur quand il dit cela n'est pas de nous amener à croire ce qu'il dit, mais de nous faire saisir ce qu'il veut signifier, à savoir que les œuvres du Christ nous dépassent complètement. D'ailleurs ce procédé n'est pas employé quand il s'agit de quelque chose d'obscur ou d'incertain, mais lorsque l'auteur veut exagérer ou atténuer quelque chose d'évident. Par exemple, lorsque quelqu'un veut mettre en valeur l'abondance d'une réalité, il dit : « II y en aurait assez pour cent personnes, ou même mille ! » Au contraire, s'il veut la dénigrer : « Ce serait à peine suffisant pour trois personnes ! » II ne dit cependant rien de faux car de telles paroles dépassent largement la réalité à laquelle elles renvoient, pour bien montrer que l'intention n'est pas de mentir, mais de montrer qu'il y a peu ou beaucoup.

2660. Cela peut aussi se référer à la puissance du Christ qui opérait des signes, et c'est pour en montrer la force qu'il dit : UNE PAR UNE. En effet, écrire un par un les signes et les paroles de Jésus Christ, c'est décortiquer toute la puissance de chacun de ces actes et de ces paroles. Or ces actes et ces paroles du Christ sont aussi ceux de Dieu. Et si quelqu'un voulait écrire ou raconter ce qu'il comprend de chacun, il ne le pourrait en aucune manière ; et d'ailleurs, le monde entier en est incapable. L'infini des mots humains ne peut en effet atteindre une seule parole de Dieu.

Depuis le commencement de l'Église on a toujours écrit au sujet du Christ, mais cependant ce n'est pas suffisant. Bien au contraire, si le monde devait durer cent mille ans, combien de livres pourraient être écrits au sujet du Christ, décortiquant un à un ses actes et ses paroles, sans parvenir à la perfection ! - II n'y a pas de fin à multiplier les livres. -J'ai annoncé et j'ai parlé [des merveilles de Dieu] ; elles ont été multipliées sans nombre.