Jean 1, 18
Dieu, personne ne l’a jamais vu ; le Fils unique, lui qui est Dieu, lui qui est dans le sein du Père, c’est lui qui l’a fait connaître.
Dieu, personne ne l’a jamais vu ; le Fils unique, lui qui est Dieu, lui qui est dans le sein du Père, c’est lui qui l’a fait connaître.
C'est sans aucune raison qu'Héracléon prétend que ces paroles ne sont point de Jean-Baptiste, mais de l'Évangéliste. En effet, si les paroles qui précèdent: «Nous avons tous reçu de sa plénitude», ont été dites par le saint Précurseur, comment ne pas admettre comme conséquence, que celui qui avait reçu de la plénitude de Jésus-Christ et une seconde grâce pour la première, celui qui avait déclaré que la loi avait été donnée par Moïse, et que la grâce et la vérité étaient venues par Jésus-Christ, ait compris comment personne n'a jamais vu Dieu, mais que le Fils unique, qui repose dans le sein du Père, a donné la connaissance de ces mystères, non seulement à Jean, mais à tous ceux qui marchent dans les voies de la perfection? Et ce n'est pas la première fois que celui qui est dans le sein du Père les révélait, comme si avant les Apôtres, personne n'avait été digne de recevoir cette révélation; car lui qui existait avant qu'Abraham fût fait, nous apprend qu'Abraham a tressailli du désir de voir son jour, et qu'il en a été rempli de joie.
Le nom de Fils ne paraissait pas encore assez explicite pour exprimer la nature divine, si Jean-Baptiste n'y ajoutait une propriété qui le rend exclusif et incommunicable. En effet, par l'emploi de ces seuls mots: Fils et unique, il exclue toute idée d'adoption, puisque la nature divine seule peut remplir toute la signification de ce nom.
Certainement, ni les prophètes, ni les anges, ni les archanges, n'ont jamais vu ce qu'est Dieu en lui-même. Si vous interrogez les anges, ils ne vous diront rien de la substance divine, ils se contentent de chanter: "Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté" (Lc 2,14). Désirez-vous apprendre quelque chose de plus des chérubins et des séraphins? Vous n'entendrez sortir de leur bouche que cette hymne mystérieuse de la sainteté de Dieu: "Le ciel et la terre sont pleins de sa gloire". (Is 6,3)
Ou bien, c'est l'Évangéliste lui-même qui, pour faire ressortir la prééminence des dons que Jésus-Christ nous a faits sur ceux dont Moïse a été le dispensateur, nous indique le véritable motif de cette supériorité. Moïse, simple serviteur, a été le dispensateur de grâces moins importantes; Jésus, au contraire, le souverain Seigneur et Fils de roi, a répandu sur nous des grâces d'un ordre bien supérieur, lui dont l'existence est éternelle comme celle du Père, et qui jouit éternellement de sa présence. Voila l'explication de ces paroles: «Personne n'a jamais vu Dieu».
Si les patriarches de l'Ancien Testament avaient véritablement vu la nature divine, ils ne l'auraient point vue sous des formes différentes, car cette divine nature est simple et sans figure, on ne peut la supposer ni assise, ni debout, ni en marche, toutes choses qui ne conviennent qu'aux corps. Aussi écoutez comment Dieu parle par son prophète: "J'ai multiplié pour eux les visions, et ils m'ont représenté à vous sous des images différentes" (Os 12,10). C'est-à-dire, je me suis accommodé à leur faiblesse; je ne leur ai pas apparu tel que j'étais. Comme le Fils de Dieu devait se manifester à nous dans une chair véritable, il les préparait dès lors à voir Dieu, autant que cela leur était possible.
Il ajoute encore une autre preuve de la même vérité: «Qui est dans le sein du Père», privilège bien supérieur à celui de voir simplement Dieu. Celui qui ne fait que le voir, n'a pas une connaissance parfaite de ce qu'il voit. Mais celui qui demeure dans le sein du Père, ne peut rien ignorer de ce qui est en Dieu. Lors donc que vous entendez ces paroles: «Personne ne connaît le Père, si ce n'est le Fils», ne les prenez pas dans ce sens que le Fils a du Père une connaissance supérieure à celle de tous les hommes, mais qui cependant n'embrasse point l'immensité de son être, car l'Évangéliste vous dit qu'il demeure dans le sein du Père, pour vous faire comprendre son union intime avec le Père, et son existence coéternelle avec lui.
Comment nous l'a-t-il raconté? En proclamant qu'il n'y a qu'un seul Dieu; mais c'est ce que Moïse et les prophètes avaient fait avant lui. Que nous a donc fait connaître de plus le Fils, qui demeurait dans le sein du Père? Il nous a enseigné d'abord que les prophètes n'ont annoncé l'existence d'un seul Dieu que par la vertu du Fils unique; secondement, que nous avons reçu par ce Fils unique des grâces bien plus grandes et plus abondantes; troisièmement, que Dieu est esprit, et que ceux qui l'adorent doivent l'adorer en esprit et en vérité (Jn 4), et enfin que Dieu est le Père du Fils unique.
Ce n'est donc pas au Père seul que se rapportent ces paroles: "Personne n'a jamais vu Dieu, mais elles sont également vraies du Fils, dont saint Paul a dit: "Il est l'image du Dieu invisible" (Col 1,15), or, celui qui est l'image d'un être invisible, est invisible lui-même.
Dira-t-on que ces paroles: «Personne n'a jamais vu Dieu», doivent s'entendre des hommes seuls, comme l'explique plus ouvertement l'Apôtre, quand il dit: «Qu'aucun homme ou que nul homme n'a vu et ne peut voir». (1Tm 6,16) La difficulté se résout d'elle-même, et ces paroles: «Personne n'a jamais vu Dieu», ne sont nullement en opposition avec ces autres du Sauveur: «Leurs anges voient toujours la face de mon Père», (Mt 18,10) puisqu'il est facile de comprendre que les anges voient Dieu, qu'aucun homme n'a jamais pu voir.
Ces paroles sont encore vraies en ce sens, que personne n'a jamais pu comprendre, non seulement des yeux du corps, mais par les forces de son esprit, la plénitude de l'essence divine. Il y a, en effet, une grande différence entre la simple vision et la compréhension parfaite. Nous voyons ce dont nous apercevons la présence de quelque manière que ce soit, mais nous comprenons une chose quand nous la voyons si parfaitement, qu'aucune des parties qui la composent n'échappe à nos investigations.
Que signifient donc ces paroles de Jacob: "J'ai vu le Seigneur face à face", (Gn 32,30) et ce qui est écrit de Moïse, qu'il parlait à Dieu face à face (Ex 33,11), et encore ce que le prophète Isaïe dit de lui-même: "J'ai vu le Seigneur des armées assis sur un trône ?" (Is 6,1)
Mais comment concilier ces paroles: «Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, parce qu'ils verront Dieu», (Mt 5,8) et ces autres: «Lorsqu'il apparaîtra, nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu'il est» (1Jn 3,2), avec celles-ci: «Personne n'a jamais vu Dieu ?» On peut répondre que les témoignages qu'on vient de citer ont pour objet la vision future de Dieu, et non la vision actuelle. Le texte dit en effet: «Ils verront Dieu», et non: Ils ont vu Dieu; de même encore: «Nous le verrons tel qu'il est», et non pas: Nous l'avons vu. Or, Jean dit ici: «Personne n'a jamais vu Dieu», ou dans cette vie tel qu'il est, ou même dans la vie des anges, où Dieu n'est pas vu comme le sont les objets extérieurs par les yeux du corps.
Si, en effet on ne meurt à cette vie soit en se séparant réellement du corps, sent en se détachant si parfaitement des sens extérieurs, qu'on puisse dire avec l'Apôtre, qu'on ne sait si on est avec son corps ou en dehors de son corps (2Co 12,2), ou ne peut être élevé jusqu'à la hauteur de cette contemplation.
Il n'y a donc que le Fils et l'Esprit saint qui puissent voir le Père, car comment une simple créature pourrait-elle voir une nature incréée? Personne donc ne connaît le Père, si ce n'est le Fils: «Le Fils unique, qui est dans le sein du Père, nous l'a fait connaître». Et de peur que le nom de Fils vous donne à penser qu'il s'agit ici d'au de ceux qui sont devenus fils de Dieu par sa grâce, l'article précède le mot Fils ( õßïò). Et si cela ne suffit pas encore, on vous dit que c'est le Fils unique.
«Dans le sein du Père», c'est-à-dire, dans le secret du Père, car Dieu n'a pas de sein comme celui que nous formons avec nos vêtements, il ne s'assoie point comme nous, il ne porte pas de ceinture qui puisse former un sein. Mais on appelle le secret du Père le sein du Père, parce que le sein chez nous est comme une partie intime de nous-mêmes. C'est donc celui qui a connu le Père dans le secret du Père, qui nous a raconté ce qu'il a vu.
Il s'est trouvé des hommes qui, trompés par la vanité de leur coeur, ont dit: Le Père est invisible, le Fils, au contraire, est visible. Si dans leur pensée, le Fils est visible, parce qu'il s'est revêtu d'un corps sensible, nous sommes de leur avis, et c'est aussi ce qu'enseigne la foi catholique; mais s'ils prétendent qu'il était visible avant même son incarnation, ils tombent dans une grave absurdité. Jésus-Christ est la sagesse et la vertu de Dieu, or la sagesse de Dieu ne peut pas être vue des yeux du corps. La parole, le verbe de l'homme est invisible pour les yeux de l'homme, comment le Verbe de Dieu pourrait-il être visible?
La majesté du Fils de Dieu n'avait pas dédaigné l'état d'enfance; mais l'enfant a grandi avec l'âge jusqu'à la stature de l'homme parfait; puis, lorsqu'il a pleinement accompli le triomphe de sa passion et de sa résurrection, toutes les actions de la condition humiliée qu'il avait adoptée pour l'amour de nous sont devenues du passé. Pourtant, la fête d'aujourd'hui renouvelle pour nous les premiers instants de Jésus, né de la Vierge Marie. Et lorsque nous adorons la naissance de notre Sauveur, il se trouve que nous célébrons notre propre origine.
En effet, lorsque le Christ vient au monde, le peuple chrétien commence; l'anniversaire de la tête, c'est l'anniversaire du corps.
Sans doute, chacun de ceux qui sont appelés le sont à leur tour, et les fils de l'Église apparaissent à des époques différentes. Pourtant, puisque les fidèles dans leur totalité, nés de la source du baptême, ont été crucifiés avec le Christ dans sa passion, ressuscités dans sa résurrection, établis à la droite du Père dans son ascension, ils sont nés avec lui en cette Nativité.
Tout croyant, de n'importe quelle partie du monde, qui renaît dans le Christ, après avoir abandonné le chemin du péché qu'il tenait de son origine, devient un homme nouveau par sa seconde naissance. Il n'appartient plus à la descendance de son père selon la chair, mais à la race du Sauveur, car celui-ci est devenu Fils de l'homme pour que nous puissions être fils de Dieu.
Car si lui-même, par son abaissement, n'était pas descendu jusqu'à nous, personne n'aurait pu, par ses propres mérites, parvenir jusqu'à lui.
Un si grand bienfait appelle de notre part une reconnaissance digne de sa splendeur. En effet, comme nous l'enseigne saint Paul, l'Esprit que nous avons reçu, ce n'est pas celui du monde, c'est celui qui vient de Dieu, et ainsi nous avons conscience des dons que Dieu nous a faits (1Co 2,12). On ne peut l'honorer avec assez de piété qu'en lui offrant ce que lui-même nous a donné.
Or, dans les trésors de la générosité divine, que pouvons-nous trouver qui soit aussi bien accordé à la dignité de la fête présente, que cette paix proclamée par le cantique des anges lors de la nativité du Seigneur?
Car c'est la paix qui engendre les fils de Dieu (Ep 4,3), qui favorise l'amour, qui enfante l'unité, qui est le repos des bienheureux, la demeure de l'éternité. Son ouvrage propre, son bienfait particulier, c'est d'unir à Dieu ceux qu'elle sépare du monde.
Donc, ceux qui ne sont pas nés de la chair et du sang, ni d'une volonté chamelle, ni d'une volonté d'homme, mais qui sont nés de Dieu (Jn 1,13), doivent offrir au Père la volonté unanime des artisans de paix. Tous ceux qui sont devenus par adoption les membres du Christ, doivent accourir pour rejoindre ensemble le premier-né de la nouvelle création, celui qui est venu faire non pas sa volonté, mais la volonté de celui qui l'envoie (Jn 6,38). Les héritiers que la grâce du Père adopte ne sont pas des héritiers divisés ou disparates; ils ont les mêmes sentiments et le même amour. Ceux qui sont recréés selon l'Image unique doivent avoir une âme qui lui ressemble.
La naissance du Seigneur Jésus, c'est la naissance de la paix. Comme le dit saint Paul: C'est lui, le Christ, qui est notre paix (Ep 2,14). Que nous soyons d'origine juive ou païenne, c'est par lui que nous avons accès auprès du Père, dans un seul Esprit (Ep 2,18).
En effet, lorsque le Christ vient au monde, le peuple chrétien commence; l'anniversaire de la tête, c'est l'anniversaire du corps.
Sans doute, chacun de ceux qui sont appelés le sont à leur tour, et les fils de l'Église apparaissent à des époques différentes. Pourtant, puisque les fidèles dans leur totalité, nés de la source du baptême, ont été crucifiés avec le Christ dans sa passion, ressuscités dans sa résurrection, établis à la droite du Père dans son ascension, ils sont nés avec lui en cette Nativité.
Tout croyant, de n'importe quelle partie du monde, qui renaît dans le Christ, après avoir abandonné le chemin du péché qu'il tenait de son origine, devient un homme nouveau par sa seconde naissance. Il n'appartient plus à la descendance de son père selon la chair, mais à la race du Sauveur, car celui-ci est devenu Fils de l'homme pour que nous puissions être fils de Dieu.
Car si lui-même, par son abaissement, n'était pas descendu jusqu'à nous, personne n'aurait pu, par ses propres mérites, parvenir jusqu'à lui.
Un si grand bienfait appelle de notre part une reconnaissance digne de sa splendeur. En effet, comme nous l'enseigne saint Paul, l'Esprit que nous avons reçu, ce n'est pas celui du monde, c'est celui qui vient de Dieu, et ainsi nous avons conscience des dons que Dieu nous a faits (1Co 2,12). On ne peut l'honorer avec assez de piété qu'en lui offrant ce que lui-même nous a donné.
Or, dans les trésors de la générosité divine, que pouvons-nous trouver qui soit aussi bien accordé à la dignité de la fête présente, que cette paix proclamée par le cantique des anges lors de la nativité du Seigneur?
Car c'est la paix qui engendre les fils de Dieu (Ep 4,3), qui favorise l'amour, qui enfante l'unité, qui est le repos des bienheureux, la demeure de l'éternité. Son ouvrage propre, son bienfait particulier, c'est d'unir à Dieu ceux qu'elle sépare du monde.
Donc, ceux qui ne sont pas nés de la chair et du sang, ni d'une volonté chamelle, ni d'une volonté d'homme, mais qui sont nés de Dieu (Jn 1,13), doivent offrir au Père la volonté unanime des artisans de paix. Tous ceux qui sont devenus par adoption les membres du Christ, doivent accourir pour rejoindre ensemble le premier-né de la nouvelle création, celui qui est venu faire non pas sa volonté, mais la volonté de celui qui l'envoie (Jn 6,38). Les héritiers que la grâce du Père adopte ne sont pas des héritiers divisés ou disparates; ils ont les mêmes sentiments et le même amour. Ceux qui sont recréés selon l'Image unique doivent avoir une âme qui lui ressemble.
La naissance du Seigneur Jésus, c'est la naissance de la paix. Comme le dit saint Paul: C'est lui, le Christ, qui est notre paix (Ep 2,14). Que nous soyons d'origine juive ou païenne, c'est par lui que nous avons accès auprès du Père, dans un seul Esprit (Ep 2,18).
D'autres cependant soutiennent qu'il est impossible, même aux anges de voir Dieu.
Que cependant, même dans cette chair corruptible, des âmes qui ont fait d'immenses progrès dans la vertu puissent voir la splendeur divine avec les yeux perçants de la contemplation cela n'est nullement en contradiction avec ces paroles; car celui qui a le bonheur de voir la sagesse qui est Dieu, meurt entièrement à la vie présente, et s'affranchit ainsi de toutes ses affections.
Ces textes nous donnant clairement à comprendre que pendant cette vie mortelle, on peut bien voir Dieu sous certaines figures, mais jamais dans la claire manifestation de sa nature, c'est-à-dire que, l'âme comme inspirée par la grâce de l'Esprit saint, le voit comme à travers ces figures, mais sans pouvoir jamais parvenir à la vue intime de son essence. C'est ainsi que Jacob, qui affirme qu'il a vu Dieu, n'a vu cependant qu'un ange; c'est ainsi encore que Moïse, qui parlait à Dieu face à face, lui fait cette prière: "Manifestez-vous à moi ouvertement, afin que je vous voie et que je vous connaisse" (Ex 33,18). D'où nous pouvons conclure qu'il avait soif de voir dans toute sa splendeur cette nature infinie qu'il avait commencé à voir dans des figures imparfaites.
Il en est qui ont prétendu que, même dans cette région du bonheur, Dieu pourra être vu dans sa gloire, mais nullement dans sa nature. Leurs recherches plus subtiles qu approfondies les ont induits en erreur, car pour cette essence simple et immuable la gloire n'est pas différente de la nature.
Si on rapporte au passé ce mot (enarravit), il a raconté, nous dirons que le Fils de l'homme nous a fait connaître ce que nous devions penser et croire de l'unité de la Trinité, comment nous devons nous élever jusqu'à la contemplation d'un si grand mystère et par quelles œuvres nous pouvons y parvenir. Si on traduit ce mot au futur, le sens sera que le Fils racontera ce qu'il a vu dans le sein du Père, lorsqu'il introduira ses élus dans les célestes clartés de la vision éternelle.
Vous vous êtes réunis, mes frères, pour entendre la parole de Dieu. Mais Dieu nous a préparé quelque chose de meilleur: il nous est donné aujourd'hui non seulement d'entendre, mais aussi de voir le Verbe de Dieu, pourvu seulement que nous allions jusqu'à Bethléem pour voir cette parole que Dieu a réalisée et qu'il nous a montrée (cf. Lc 2,15).
Dieu savait bien que les sens de l'homme sont incapables de saisir l'invisible, rebelles aux enseignements célestes et réfractaires à la foi, à moins que la réalité même exposée par la foi ne soit elle-même présentée visiblement à nos sens pour les convaincre. Car s'il est vrai que la foi naît de ce qu'on entend (Rm 10,17), elle naît bien plus facilement et plus vite de ce qu'on voit, comme nous l'apprend l'exemple de celui qui s'entend dire: Parce que tu m'as vu, tu crois (Jn 20,29), toi qui étais incrédule à l'égard de ce que tu avais entendu.
Cependant Dieu, voulant condescendre à notre lourdeur, a aujourd'hui rendu visible pour nous son Verbe, qu'il avait d'abord rendu audible. Il l'a même rendu palpable, au point que certains d'entre nous ont pu dire: Ce qui était depuis le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons contemplé de nos yeux, ce que nous avons vu et que nos mains ont touché, c'est le Verbe, la Parole de vie (1Jn 1,1).
Ce fut depuis le commencement de cette éternité qui n'a pas de commencement. Nous l'avons entendu quand il fut promis au commencement du temps, nous l'avons vu et touché quand il s'est montré à la fin des temps.
Cette parole qui vient de Dieu, j'ai parfois remarqué, mes frères, qu'on l'écoute avec ennui. Pourtant, la Parole qui vient de Dieu, peut-on la voir sans éprouver de la joie? Je serai le premier à me condamner, parce que le Verbe qui est Dieu, lorsqu'il se présente à moi aujourd'hui tel que je suis, s'il ne me réjouit pas, je suis un impie; s'il ne m'édifie pas, je suis un réprouvé.
S'il se trouve donc parmi nous un frère qui souffre de langueur spirituelle, je ne veux pas que ses oreilles se fatiguent plus longtemps à écouter ma parole méprisable. Qu'il se rende jusqu'à Bethléem, et que là il contemple celui que les anges désirent contempler (cf. 1P 1,12), qu'il contemple le Verbe que le Seigneur nous a montré (cf. Lc 2,15). Qu'il se représente en esprit en quel état la Parole de Dieu, vivante et énergique (He 4,12), est couchée là, dans une mangeoire.
Parole sûre et qui mérite d'être accueillie sans réserve (1Tm 1,15): ta Parole toute-puissante, Seigneur, qui dans une telle profondeur de silence, venant de ton trône royal bondit (Sg 18,14-15) jusque dans les crèches des animaux, elle nous parle mieux, pour l'instant, par son silence. Celui qui a des oreilles, qu'il entende (Mt 11,15) ce que nous dit ce saint et mystérieux silence du Verbe éternel; parce que, si mon oreille ne me trompe, entre autres choses qu'il dit, il parle de paix au peuple des saints et des fidèles (Ps 84,9), à qui le respect et l'exemple qu'il donne ont imposé un silence religieux.
Dieu savait bien que les sens de l'homme sont incapables de saisir l'invisible, rebelles aux enseignements célestes et réfractaires à la foi, à moins que la réalité même exposée par la foi ne soit elle-même présentée visiblement à nos sens pour les convaincre. Car s'il est vrai que la foi naît de ce qu'on entend (Rm 10,17), elle naît bien plus facilement et plus vite de ce qu'on voit, comme nous l'apprend l'exemple de celui qui s'entend dire: Parce que tu m'as vu, tu crois (Jn 20,29), toi qui étais incrédule à l'égard de ce que tu avais entendu.
Cependant Dieu, voulant condescendre à notre lourdeur, a aujourd'hui rendu visible pour nous son Verbe, qu'il avait d'abord rendu audible. Il l'a même rendu palpable, au point que certains d'entre nous ont pu dire: Ce qui était depuis le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons contemplé de nos yeux, ce que nous avons vu et que nos mains ont touché, c'est le Verbe, la Parole de vie (1Jn 1,1).
Ce fut depuis le commencement de cette éternité qui n'a pas de commencement. Nous l'avons entendu quand il fut promis au commencement du temps, nous l'avons vu et touché quand il s'est montré à la fin des temps.
Cette parole qui vient de Dieu, j'ai parfois remarqué, mes frères, qu'on l'écoute avec ennui. Pourtant, la Parole qui vient de Dieu, peut-on la voir sans éprouver de la joie? Je serai le premier à me condamner, parce que le Verbe qui est Dieu, lorsqu'il se présente à moi aujourd'hui tel que je suis, s'il ne me réjouit pas, je suis un impie; s'il ne m'édifie pas, je suis un réprouvé.
S'il se trouve donc parmi nous un frère qui souffre de langueur spirituelle, je ne veux pas que ses oreilles se fatiguent plus longtemps à écouter ma parole méprisable. Qu'il se rende jusqu'à Bethléem, et que là il contemple celui que les anges désirent contempler (cf. 1P 1,12), qu'il contemple le Verbe que le Seigneur nous a montré (cf. Lc 2,15). Qu'il se représente en esprit en quel état la Parole de Dieu, vivante et énergique (He 4,12), est couchée là, dans une mangeoire.
Parole sûre et qui mérite d'être accueillie sans réserve (1Tm 1,15): ta Parole toute-puissante, Seigneur, qui dans une telle profondeur de silence, venant de ton trône royal bondit (Sg 18,14-15) jusque dans les crèches des animaux, elle nous parle mieux, pour l'instant, par son silence. Celui qui a des oreilles, qu'il entende (Mt 11,15) ce que nous dit ce saint et mystérieux silence du Verbe éternel; parce que, si mon oreille ne me trompe, entre autres choses qu'il dit, il parle de paix au peuple des saints et des fidèles (Ps 84,9), à qui le respect et l'exemple qu'il donne ont imposé un silence religieux.
208. L’Evangéliste a montré plus haut comment les Apôtres reçurent la grâce du Christ en tant qu’Il en est l’auteur; ici, il montre comment ils reçurent de Lui la sagesse dans son enseignement.
Les paroles PERSONNE N’A JAMAIS VU DIEU manifestent la nécessité de cet enseignement les suivantes : LE FILS UNIQUE, QUI EST DANS LE SEIN DU PERE, la capacité d’enseigner de Celui qui enseigne {n ; et les dernières : LUI, L’A FAIT CONNAITRE, montrent l’enseignement même .
209. C’est un manque de sagesse chez les hommes qui rendit nécessaire cet enseignement, manque que l’Evangéliste indique en exprimant l’ignorance de Dieu qui était en eux par ces mots : PERSONNE N’A JAMAIS VU DIEU. Et il fait bien de dire cela, car la sagesse au sens propre consiste en la connaissance de Dieu. D’où l’affirmation d’Augustin : la sagesse est la connaissance des réalités divines comme la science est la connaissance des réalités humaines
210. Cependant beaucoup de textes de l’Ecriture Sainte semblent contredire l’affirmation : PERSONNE N’A JAMAIS VU DIEU. Isaïe dit en effet : Je vis le Seigneur siégeant sur un trône sublime et élevé ; le deuxième livre de Samuel s’exprime presque de la même manière : Le nom du Seigneur siège sur les Chérubins et le Seigneur déclare : Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu .
A propos de cette affirmation de Jean, on dira peut-être qu’il est vrai que, dans le passé, PERSONNE N’A JAMAIS VU DIEU, comme Jean le dit ici; mais que, cependant, on Le verra dans l’avenir, comme le Seigneur le promet ceux qui ont le cœur pur. Mais cela même n’est-il pas exclu par l’Apôtre? Car Dieu habite une lumière inaccessible, que nul d’entre les hommes n’a vue ni ne peut voir .
Cependant, puisque selon Paul nul d’entre les hommes n’a vu Dieu, peut-être dira-t-on que si les hommes ne peuvent Le voir, du moins est-Il vu par les anges, d’autant plus que le Seigneur affirme : Leurs anges voient sans cesse la face de mon Père Mais cela non plus, on ne peut pas le dire, puisqu’à la résurrection, les hommes seront comme les anges de Dieu dans le ciel . Si donc les anges voient Dieu dans le ciel, les hommes, eux aussi, Le verront certainement à la résurrection, comme Jean l’affirme : Lorsqu’Il apparaîtra, nous Lui serons semblables, parce que nous Le verrons tel qu’Il est .
211. Comment donc comprendre la parole de Jean : PERSONNE N’A JAMAIS VU DIEU? Pour en avoir l’intelligence, il faut savoir qu’il y a plusieurs manières de voir Dieu.
D’abord, par le moyen d’une créature substituée à Dieu et offerte à la vue corporelle; ainsi croit-on qu’Abraham a vu Dieu quand il vit trois hommes et n’en adora qu'un seul" ; il n’en adora à la vérité qu'"un seul" , car en ces trois qu’il avait d’abord pris pour des hommes et dont il crut ensuite que c’étaient des anges, il reconnut le mystère de la Sainte Trinité.
On peut aussi voir Dieu par une créature substituée à Dieu et représentée à l’imagination; c’est de cette manière qu’Isaïe vit le Seigneur siégeant sur un trône sublime et élevé , et l’on trouve dans les Ecritures plu sieurs visions semblables à celle-là.
On peut également voir Dieu grâce à une forme intentionnelle intelligible, abstraite des réalités sensibles; c’est le fait de ceux qui, considérant la grandeur des créatures, aperçoivent par l’intelligence la grandeur du Créateur, car la grandeur et la beauté des créatures font par analogie connaître leur Créateur et Les perfections invisibles de Dieu (...) sont, depuis la création du monde, rendues visibles à l’intelligence par le moyen de ses œuvres
D’une autre manière encore, selon un mode plus éminent, Dieu est vu non pas par le moyen que nous venons d’indiquer, mais par une certaine lumière ou des formes intentionnelles intelligibles imprimées par Dieu dans les esprits des saints; on dit alors qu’ils voient Dieu par contemplation. C’est ainsi que Jacob vit Dieu face à face , dans une vision qu’il eut, selon Grégoire, grâce à une contemplation élevée.
Cependant on ne peut, par aucune de ces visions, parvenir à la vision de l’essence divine; en effet, aucune forme intentionnelle créée, qu’elle informe les sens extérieurs, l’imagination ou l’intelligence, n’est capable de représenter l’essence divine telle qu’elle est. L’homme connaît une chose par son essence quand la forme intentionnelle qu’il a dans son intelligence la représente telle qu’elle est. Par conséquent, aucune forme intentionnelle créée ne conduit à la vision de l’essence divine. Car il est clair qu’aucune forme intentionnelle créée ne représente l’essence divine : en effet, rien de fini ne peut représenter l’infini tel qu’il est; or toute forme intentionnelle créée est finie; donc, puisque ce qu’est Dieu Lui-même est infini, on ne peut pas Le représenter par une forme intentionnelle créée. En outre, Dieu est son être même; aussi, sa sagesse, sa bonté et ses autres s’identifient-elles, en Lui, à son être; or rien de créé ne pourrait représenter la bonté, la sagesse et les autres perfections divines. Il s’ensuit qu’aucune connaissance par laquelle on voit Dieu au moyen d’une forme intentionnelle créée n’est la connaissance de son essence; elle ne peut être qu’une connaissance en énigme et dans un miroir , et à partir de ce que nous écartons de Lui; Nous lisons en effet dans l’Ecriture : Tous les hommes voient Dieu (de l’une des manières susdites), mais chacun ne Le regarde que de loin parce qu’aucune de ces connaissances de Dieu ne dit ce qu’Il est, mais ce qu’Il n’est pas ou s’Il existe. Voilà pourquoi, selon Denys , ce que l’homme peut atteindre de plus élevé dans la connaissance de Dieu par le moyen des formes intentionnelles créées, il y parvient par la négation.
212. Certains ont soutenu que l’essence divine ne peut jamais être vue d’aucune intelligence créée, mais que ce qui est vu par les anges et les bienheureux, c’est le rayonnement de gloire de Dieu. Cela est erroné, pour trois raisons.
En premier lieu, parce que cela contredit l’autorité de l'Ecriture — "Nous Le verrons tel qu’Il est" et encore : "La vie éternelle c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ "
Ensuite, parce que le rayonnement de la gloire de Dieu n’est autre que sa substance; il ne brille pas par participation à une lumière, mais par lui-même.
Enfin, c’est seulement dans la vision de l’essence divine que l’on peut obtenir la parfaite béatitude; en effet, nul ne peut être bienheureux si son désir naturel n’est totalement comblé. Or il est naturel à l’intelligence créée, lorsqu’elle voit un effet et qu’elle en ignore la cause, de s’étonner et de désirer savoir à son sujet non seulement si elle est, mais encore ce qu’elle est. Selon le Philosophe, c’est cela qui pousse les hommes à philosopher.
Si donc la créature voyait toutes les réalités créées et n’en connaissait pas la cause, il est manifeste qu’elle s’étonnerait et désirerait la connaître. Or la cause de toutes les réalités est Dieu Lui-même. Donc, quoi que l’intelligence connaisse au sujet des créatures, son désir naturel reste insatisfait tant qu’elle ne voit pas et ne connaît pas l’essence divine. C’est pourquoi, priver les hommes de la vision de l’essence divine, c’est les priver de la béatitude elle-même. La vision de l’essence divine est donc nécessaire à la béatitude de l’intelligence créée — Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu .
213. En ce qui concerne la vision de l’essence divine, il nous faut considérer trois points.
D’abord, jamais l’essence divine n’est vue par un œil corporel, ni perçue par l’imagination; en effet, puis que la vision corporelle et l’imagination sont des puissances liées à des organes corporels, rien ne peut être connu ou perçu par elles qui ne soit corporel et matériel. Or Dieu est incorporel et immatériel — Dieu est esprit. Il ne peut donc être vu que par un œil immatériel et spirituel, c’est-à-dire l’intelligence : Dieu est esprit, et ceux qui L’adorent, c’est en esprit et en vérité qu’ils doivent L’adorer
Ensuite, l’intelligence, aussi longtemps qu’elle est liée à un corps corruptible, ne peut voir l’essence divine; car l’intelligence liée à un corps corruptible est accaparée et appesantie par l’activité des sens, de sorte qu’elle ne peut parvenir au sommet de la contemplation. Aussi, plus l’âme est purifiée des passions corporelles et libé rée des affections terrestres, plus elle s’élève dans la Contemplation de la vérité et goûte combien le Seigneur est doux . Or, le plus haut degré de la contemplation, c’est de voir Dieu par son essence; donc, aussi long temps que l’intelligence de l’homme est appesantie par la corruption du corps, c’est-à-dire aussi longtemps qu’il est en cette vie, il ne peut voir Dieu par son essence : L’homme, c’est-à-dire aucun homme vivant dans cette chair mortelle, ne peut me voir et vivre .
Donc, pour que l’intelligence créée voie l’essence divine, il faut soit qu’elle abandonne complètement le corps par la mort, comme le dit l’Apôtre — Nous sommes pleins de confiance et préférons nous exiler du corps pour aller nous tenir devant le Seigneur — soit qu’un ravissement l’arrache entièrement aux sens corporels, de sorte qu’elle ne sache pas "si c’est dans son corps ou hors de son corps", comme cela est arrivé à Paul .
Enfin, aucune intelligence créée, qu’elle soit comme arrachée à son corps, ou même qu’elle en soit séparée par la mort, ne peut cependant, bien qu’elle voie l’essence divine, la comprendre en aucune manière. Aussi dit-on communément que, bien que les bienheureux voient l’essence divine tout entière puisqu’elle est parfaitement simple et ne comporte pas de parties, ils ne la voient pas totalement, parce que ce serait la "comprendre". Quand je dis "voir totalement", je désigne un certain mode de vision; or, en Dieu, tout mode est identique à son essence. Voilà pourquoi celui qui ne voit pas totalement l’essence divine ne la "comprend" pas; car, à proprement parler, nous disons de quelqu’un qu’il comprend une réalité en la connaissant s’il la connaît autant qu’elle est connaissable en elle-même; autrement, bien qu’il la connaisse, il ne la "comprend" pas. Ainsi, celui qui connaît la proposition "Le triangle a trois angles égaux à deux droits", seulement par un syllogisme dialectique, en connaît bien toute la conclusion; mais puisqu’elle peut être connue aussi par démonstration, il ne la connaît pas autant qu’elle peut être connue, et c’est pourquoi il ne la "comprend" que s’il la connaît par démonstration. Toute réalité, en effet, est connaissable autant qu’elle a d’entité et de vérité; mais le sujet connaissant lui-même ne connaît que dans la mesure de sa puissance intellectuelle. Or toute puissance intellectuelle créée est finie : elle connaît donc de manière finie. Puis donc que Dieu est infini dans sa puissance et dans son être, et par conséquent infiniment connaissable, Il ne peut être connu autant qu’Il est connaissable par aucune intelligence créée, et c’est pourquoi aucune intelligence créée qui Le voit ne Le comprend — Oui, Dieu est grand, Il surpasse notre science . Dieu seul se comprend Lui-même, parce que sa puissance dans le connaître est aussi vaste que son entité dans l’être — Toi, Dieu grand et fort dont le nom est Seigneur des armées, tu es grand dans tes conseils et incompréhensible dans tes pensées .
214. D’après ce qui précède, les paroles PERSONNE N’A JAMAIS VU DIEU ont un triple sens. PERSONNE, autrement dit nul homme, N’A VU DIEU, c’est-à-dire l’essence divine, avec les yeux du corps ou avec son imagination; PERSONNE, vivant en cette vie mortelle, N’A VU DIEU, c’est-à-dire l’essence divine. PERSONNE, c’est-à-dire ni homme ni ange ni aucune créature, N’A VU DIEU, c’est-à-dire en comprenant l’essence divine. Si on dit de certains qu’ils ont vu Dieu en cette vie par les yeux du corps ou par l’imagination, cela doit s’entendre comme on l’a dit. Donc, parce que PERSONNE N’A JAMAIS VU DIEU, il nous était nécessaire de recevoir la sagesse.
215. L’Evangéliste nous présente ici le Docteur capable d’enseigner cette sagesse. La capacité de ce Docteur est montrée en ces paroles de trois manières : par la ressemblance naturelle avec le Père, par l’excellence unique, par la consubstantialité absolument parfaite.
216. Un fils est naturellement semblable à son père. De là vient que l’homme est appelé fils de Dieu pour autant qu’il participe, par mode de similitude, au Fils de Dieu par nature; et il connaît Dieu dans la mesure où il Lui ressemble, puisque toute connaissance se fait par assimilation — Maintenant nous sommes fils de Dieu (...). Lorsqu’Il apparaîtra, nous Lui serons semblables, parce que nous Le verrons tel qu’Il est. Donc, dans ce mot de" Fils" employé par l’Evangéliste, sont impliquées la ressemblance et l’aptitude à connaître Dieu.
217. Mais ce Docteur connaît Dieu plus particulièrement que les autres fils de Dieu, et c’est pourquoi l’Evangéliste nous le montre dans son excellence uni que en ajoutant : UNIQUE — comme pour dire : bien que les autres fils de Dieu connaissent Dieu, Celui-ci, cependant, parce qu’Il est son Fils d’une manière uni que, étant LE FILS UNIQUE, Le connaît d’une manière unique : Le Seigneur m’a dit : Tu es mon fils d’une manière unique, avant tous les autres, aujourd’hui je t’ai engendré .
218. Malgré cette connaissance unique, la capacité d’enseigner aurait pu faire défaut au Christ, si cette connaissance n’avait pas été totale. Voilà pourquoi Jean ajoute comme troisième caractère sa consubstantialité avec le Père, en disant : DANS LE SEIN DU PERE. Il ne faut pas prendre ici le mot "sein" au sens habituel qu’il a chez les hommes vêtus et dont la ceinture est nouée mais il faut l’entendre comme "le secret du Père", car on garde secret ce qu’on porte dans son sein. Or il y a bien un secret du Père, puisque, l’essence divine étant infinie, Il transcende toute puissance et connaissance. Donc, dans ce SEIN, c’est-à-dire dans l’essence infiniment cachée de Dieu qui surpasse toute puissance et tout mode de la créature, est LE FILS UNIQUE; aussi est-Il consubstantiel au Père.
Ce que l’Evangéliste désigne ici par le "sein", David l’a exprimé par uterus en disant : Ex utero, de mon sein, avant l’étoile du matin, c’est-à-dire de l’intime et du secret de l’essence divine dépassant la capacité de toute intelligence créée, je t’ai engendré c’est pourquoi LE FILS UNIQUE, Lui, Le comprend — Qui donc entre les hommes sait les choses de l’homme sinon l’esprit de l’homme qui est en lui? Ainsi, personne ne connaît les choses de Dieu sinon l’Esprit de Dieu . Il est encore manifeste, si le Fils est consubstantiel au Père, qu’Il a autant de capacité de connaître que Dieu en a d’être. Et ainsi Il le connaît autant qu’Il peut être connu : Il Le "comprend" donc.
219. Mais l’âme du Christ, dans sa connaissance de Dieu, ne "comprend" pas l'essence divine, puisque les paroles de Jean ne s’appliquent qu’au FILS UNIQUE QUI EST DANS LE SEIN DU PERE. Voilà pourquoi le Seigneur déclare : Nul ne connaît le Fils si ce n’est le Père, et nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils veut le révéler l’un et l’autre doivent s’entendre de la connaissance de compréhension totale dont semble parler ici l’Evangéliste. Personne, en effet, ne comprend l’essence divine sinon Dieu seul, le Père, le Fils et l’Esprit Saint.
La capacité d’enseigner de ce Docteur est donc manifeste.
220. Remarquons-le : en disant QUI EST DANS LE SEIN DU PERE, Jean écarte l’erreur de certains qui prétendent que le Père est par nature invisible, mais que le Fils est visible, bien qu’on ne Le vît pas dans l’Ancien Testament. Si, en effet, Il est dans le secret du Père, il est manifeste qu’Il est par nature invisible, comme le Père. Aussi la Sainte Ecriture dit-elle du Seigneur : Vraiment, tu es un Dieu caché , et partout elle fait mention à la fois de l’incompréhensibilité du Père et de celle du Fils : Nul ne connaît le Fils si ce n’est le Père, et nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils et Quel est son nom et quel est le nom de son Fils, si tu le sais?
221. Ici, l’Evangéliste montre la manière d’enseigner du Christ. Jadis, en effet, le Fils unique révéla la connaissance de Dieu par l’intermédiaire des prophètes, qui L’annoncèrent dans la mesure où ils participèrent au Verbe éternel; aussi chacun d’eux disait : La parole de Dieu me fut adressée en ces termes... Mais maintenant c’est le Fils unique en personne qui a fait connaître Dieu aux fidèles — Voici ce que dit le Seigneur Dieu : (...) Moi qui parlais autrefois, me voici présent . Après avoir à bien des reprises et de bien des manières parlé jadis à nos pères par les prophètes, Dieu, en ces temps qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils .
Aussi son enseignement l’emporte-t-il sur tous les autres, parce qu’il est donné par LE FILS UNIQUE — Le salut, annoncé d’abord par le Seigneur, nous a été confirmé par ceux qui l’avaient entendu .
222. Mais qu’a-t-Il annoncé, sinon le Dieu unique? Moïse lui aussi l’annonça : Ecoute, Israël le Seigneur ton Dieu est le seul Dieu . Qu’a donc le Seigneur de plus que Moïse? Beaucoup, et de toutes manières, car Il a enseigné le mystère de la Trinité et bien d’autres que ni Moïse, ni aucun des prophètes n’ont annoncés.
Les paroles PERSONNE N’A JAMAIS VU DIEU manifestent la nécessité de cet enseignement les suivantes : LE FILS UNIQUE, QUI EST DANS LE SEIN DU PERE, la capacité d’enseigner de Celui qui enseigne {n ; et les dernières : LUI, L’A FAIT CONNAITRE, montrent l’enseignement même .
209. C’est un manque de sagesse chez les hommes qui rendit nécessaire cet enseignement, manque que l’Evangéliste indique en exprimant l’ignorance de Dieu qui était en eux par ces mots : PERSONNE N’A JAMAIS VU DIEU. Et il fait bien de dire cela, car la sagesse au sens propre consiste en la connaissance de Dieu. D’où l’affirmation d’Augustin : la sagesse est la connaissance des réalités divines comme la science est la connaissance des réalités humaines
210. Cependant beaucoup de textes de l’Ecriture Sainte semblent contredire l’affirmation : PERSONNE N’A JAMAIS VU DIEU. Isaïe dit en effet : Je vis le Seigneur siégeant sur un trône sublime et élevé ; le deuxième livre de Samuel s’exprime presque de la même manière : Le nom du Seigneur siège sur les Chérubins et le Seigneur déclare : Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu .
A propos de cette affirmation de Jean, on dira peut-être qu’il est vrai que, dans le passé, PERSONNE N’A JAMAIS VU DIEU, comme Jean le dit ici; mais que, cependant, on Le verra dans l’avenir, comme le Seigneur le promet ceux qui ont le cœur pur. Mais cela même n’est-il pas exclu par l’Apôtre? Car Dieu habite une lumière inaccessible, que nul d’entre les hommes n’a vue ni ne peut voir .
Cependant, puisque selon Paul nul d’entre les hommes n’a vu Dieu, peut-être dira-t-on que si les hommes ne peuvent Le voir, du moins est-Il vu par les anges, d’autant plus que le Seigneur affirme : Leurs anges voient sans cesse la face de mon Père Mais cela non plus, on ne peut pas le dire, puisqu’à la résurrection, les hommes seront comme les anges de Dieu dans le ciel . Si donc les anges voient Dieu dans le ciel, les hommes, eux aussi, Le verront certainement à la résurrection, comme Jean l’affirme : Lorsqu’Il apparaîtra, nous Lui serons semblables, parce que nous Le verrons tel qu’Il est .
211. Comment donc comprendre la parole de Jean : PERSONNE N’A JAMAIS VU DIEU? Pour en avoir l’intelligence, il faut savoir qu’il y a plusieurs manières de voir Dieu.
D’abord, par le moyen d’une créature substituée à Dieu et offerte à la vue corporelle; ainsi croit-on qu’Abraham a vu Dieu quand il vit trois hommes et n’en adora qu'un seul" ; il n’en adora à la vérité qu'"un seul" , car en ces trois qu’il avait d’abord pris pour des hommes et dont il crut ensuite que c’étaient des anges, il reconnut le mystère de la Sainte Trinité.
On peut aussi voir Dieu par une créature substituée à Dieu et représentée à l’imagination; c’est de cette manière qu’Isaïe vit le Seigneur siégeant sur un trône sublime et élevé , et l’on trouve dans les Ecritures plu sieurs visions semblables à celle-là.
On peut également voir Dieu grâce à une forme intentionnelle intelligible, abstraite des réalités sensibles; c’est le fait de ceux qui, considérant la grandeur des créatures, aperçoivent par l’intelligence la grandeur du Créateur, car la grandeur et la beauté des créatures font par analogie connaître leur Créateur et Les perfections invisibles de Dieu (...) sont, depuis la création du monde, rendues visibles à l’intelligence par le moyen de ses œuvres
D’une autre manière encore, selon un mode plus éminent, Dieu est vu non pas par le moyen que nous venons d’indiquer, mais par une certaine lumière ou des formes intentionnelles intelligibles imprimées par Dieu dans les esprits des saints; on dit alors qu’ils voient Dieu par contemplation. C’est ainsi que Jacob vit Dieu face à face , dans une vision qu’il eut, selon Grégoire, grâce à une contemplation élevée.
Cependant on ne peut, par aucune de ces visions, parvenir à la vision de l’essence divine; en effet, aucune forme intentionnelle créée, qu’elle informe les sens extérieurs, l’imagination ou l’intelligence, n’est capable de représenter l’essence divine telle qu’elle est. L’homme connaît une chose par son essence quand la forme intentionnelle qu’il a dans son intelligence la représente telle qu’elle est. Par conséquent, aucune forme intentionnelle créée ne conduit à la vision de l’essence divine. Car il est clair qu’aucune forme intentionnelle créée ne représente l’essence divine : en effet, rien de fini ne peut représenter l’infini tel qu’il est; or toute forme intentionnelle créée est finie; donc, puisque ce qu’est Dieu Lui-même est infini, on ne peut pas Le représenter par une forme intentionnelle créée. En outre, Dieu est son être même; aussi, sa sagesse, sa bonté et ses autres s’identifient-elles, en Lui, à son être; or rien de créé ne pourrait représenter la bonté, la sagesse et les autres perfections divines. Il s’ensuit qu’aucune connaissance par laquelle on voit Dieu au moyen d’une forme intentionnelle créée n’est la connaissance de son essence; elle ne peut être qu’une connaissance en énigme et dans un miroir , et à partir de ce que nous écartons de Lui; Nous lisons en effet dans l’Ecriture : Tous les hommes voient Dieu (de l’une des manières susdites), mais chacun ne Le regarde que de loin parce qu’aucune de ces connaissances de Dieu ne dit ce qu’Il est, mais ce qu’Il n’est pas ou s’Il existe. Voilà pourquoi, selon Denys , ce que l’homme peut atteindre de plus élevé dans la connaissance de Dieu par le moyen des formes intentionnelles créées, il y parvient par la négation.
212. Certains ont soutenu que l’essence divine ne peut jamais être vue d’aucune intelligence créée, mais que ce qui est vu par les anges et les bienheureux, c’est le rayonnement de gloire de Dieu. Cela est erroné, pour trois raisons.
En premier lieu, parce que cela contredit l’autorité de l'Ecriture — "Nous Le verrons tel qu’Il est" et encore : "La vie éternelle c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ "
Ensuite, parce que le rayonnement de la gloire de Dieu n’est autre que sa substance; il ne brille pas par participation à une lumière, mais par lui-même.
Enfin, c’est seulement dans la vision de l’essence divine que l’on peut obtenir la parfaite béatitude; en effet, nul ne peut être bienheureux si son désir naturel n’est totalement comblé. Or il est naturel à l’intelligence créée, lorsqu’elle voit un effet et qu’elle en ignore la cause, de s’étonner et de désirer savoir à son sujet non seulement si elle est, mais encore ce qu’elle est. Selon le Philosophe, c’est cela qui pousse les hommes à philosopher.
Si donc la créature voyait toutes les réalités créées et n’en connaissait pas la cause, il est manifeste qu’elle s’étonnerait et désirerait la connaître. Or la cause de toutes les réalités est Dieu Lui-même. Donc, quoi que l’intelligence connaisse au sujet des créatures, son désir naturel reste insatisfait tant qu’elle ne voit pas et ne connaît pas l’essence divine. C’est pourquoi, priver les hommes de la vision de l’essence divine, c’est les priver de la béatitude elle-même. La vision de l’essence divine est donc nécessaire à la béatitude de l’intelligence créée — Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu .
213. En ce qui concerne la vision de l’essence divine, il nous faut considérer trois points.
D’abord, jamais l’essence divine n’est vue par un œil corporel, ni perçue par l’imagination; en effet, puis que la vision corporelle et l’imagination sont des puissances liées à des organes corporels, rien ne peut être connu ou perçu par elles qui ne soit corporel et matériel. Or Dieu est incorporel et immatériel — Dieu est esprit. Il ne peut donc être vu que par un œil immatériel et spirituel, c’est-à-dire l’intelligence : Dieu est esprit, et ceux qui L’adorent, c’est en esprit et en vérité qu’ils doivent L’adorer
Ensuite, l’intelligence, aussi longtemps qu’elle est liée à un corps corruptible, ne peut voir l’essence divine; car l’intelligence liée à un corps corruptible est accaparée et appesantie par l’activité des sens, de sorte qu’elle ne peut parvenir au sommet de la contemplation. Aussi, plus l’âme est purifiée des passions corporelles et libé rée des affections terrestres, plus elle s’élève dans la Contemplation de la vérité et goûte combien le Seigneur est doux . Or, le plus haut degré de la contemplation, c’est de voir Dieu par son essence; donc, aussi long temps que l’intelligence de l’homme est appesantie par la corruption du corps, c’est-à-dire aussi longtemps qu’il est en cette vie, il ne peut voir Dieu par son essence : L’homme, c’est-à-dire aucun homme vivant dans cette chair mortelle, ne peut me voir et vivre .
Donc, pour que l’intelligence créée voie l’essence divine, il faut soit qu’elle abandonne complètement le corps par la mort, comme le dit l’Apôtre — Nous sommes pleins de confiance et préférons nous exiler du corps pour aller nous tenir devant le Seigneur — soit qu’un ravissement l’arrache entièrement aux sens corporels, de sorte qu’elle ne sache pas "si c’est dans son corps ou hors de son corps", comme cela est arrivé à Paul .
Enfin, aucune intelligence créée, qu’elle soit comme arrachée à son corps, ou même qu’elle en soit séparée par la mort, ne peut cependant, bien qu’elle voie l’essence divine, la comprendre en aucune manière. Aussi dit-on communément que, bien que les bienheureux voient l’essence divine tout entière puisqu’elle est parfaitement simple et ne comporte pas de parties, ils ne la voient pas totalement, parce que ce serait la "comprendre". Quand je dis "voir totalement", je désigne un certain mode de vision; or, en Dieu, tout mode est identique à son essence. Voilà pourquoi celui qui ne voit pas totalement l’essence divine ne la "comprend" pas; car, à proprement parler, nous disons de quelqu’un qu’il comprend une réalité en la connaissant s’il la connaît autant qu’elle est connaissable en elle-même; autrement, bien qu’il la connaisse, il ne la "comprend" pas. Ainsi, celui qui connaît la proposition "Le triangle a trois angles égaux à deux droits", seulement par un syllogisme dialectique, en connaît bien toute la conclusion; mais puisqu’elle peut être connue aussi par démonstration, il ne la connaît pas autant qu’elle peut être connue, et c’est pourquoi il ne la "comprend" que s’il la connaît par démonstration. Toute réalité, en effet, est connaissable autant qu’elle a d’entité et de vérité; mais le sujet connaissant lui-même ne connaît que dans la mesure de sa puissance intellectuelle. Or toute puissance intellectuelle créée est finie : elle connaît donc de manière finie. Puis donc que Dieu est infini dans sa puissance et dans son être, et par conséquent infiniment connaissable, Il ne peut être connu autant qu’Il est connaissable par aucune intelligence créée, et c’est pourquoi aucune intelligence créée qui Le voit ne Le comprend — Oui, Dieu est grand, Il surpasse notre science . Dieu seul se comprend Lui-même, parce que sa puissance dans le connaître est aussi vaste que son entité dans l’être — Toi, Dieu grand et fort dont le nom est Seigneur des armées, tu es grand dans tes conseils et incompréhensible dans tes pensées .
214. D’après ce qui précède, les paroles PERSONNE N’A JAMAIS VU DIEU ont un triple sens. PERSONNE, autrement dit nul homme, N’A VU DIEU, c’est-à-dire l’essence divine, avec les yeux du corps ou avec son imagination; PERSONNE, vivant en cette vie mortelle, N’A VU DIEU, c’est-à-dire l’essence divine. PERSONNE, c’est-à-dire ni homme ni ange ni aucune créature, N’A VU DIEU, c’est-à-dire en comprenant l’essence divine. Si on dit de certains qu’ils ont vu Dieu en cette vie par les yeux du corps ou par l’imagination, cela doit s’entendre comme on l’a dit. Donc, parce que PERSONNE N’A JAMAIS VU DIEU, il nous était nécessaire de recevoir la sagesse.
215. L’Evangéliste nous présente ici le Docteur capable d’enseigner cette sagesse. La capacité de ce Docteur est montrée en ces paroles de trois manières : par la ressemblance naturelle avec le Père, par l’excellence unique, par la consubstantialité absolument parfaite.
216. Un fils est naturellement semblable à son père. De là vient que l’homme est appelé fils de Dieu pour autant qu’il participe, par mode de similitude, au Fils de Dieu par nature; et il connaît Dieu dans la mesure où il Lui ressemble, puisque toute connaissance se fait par assimilation — Maintenant nous sommes fils de Dieu (...). Lorsqu’Il apparaîtra, nous Lui serons semblables, parce que nous Le verrons tel qu’Il est. Donc, dans ce mot de" Fils" employé par l’Evangéliste, sont impliquées la ressemblance et l’aptitude à connaître Dieu.
217. Mais ce Docteur connaît Dieu plus particulièrement que les autres fils de Dieu, et c’est pourquoi l’Evangéliste nous le montre dans son excellence uni que en ajoutant : UNIQUE — comme pour dire : bien que les autres fils de Dieu connaissent Dieu, Celui-ci, cependant, parce qu’Il est son Fils d’une manière uni que, étant LE FILS UNIQUE, Le connaît d’une manière unique : Le Seigneur m’a dit : Tu es mon fils d’une manière unique, avant tous les autres, aujourd’hui je t’ai engendré .
218. Malgré cette connaissance unique, la capacité d’enseigner aurait pu faire défaut au Christ, si cette connaissance n’avait pas été totale. Voilà pourquoi Jean ajoute comme troisième caractère sa consubstantialité avec le Père, en disant : DANS LE SEIN DU PERE. Il ne faut pas prendre ici le mot "sein" au sens habituel qu’il a chez les hommes vêtus et dont la ceinture est nouée mais il faut l’entendre comme "le secret du Père", car on garde secret ce qu’on porte dans son sein. Or il y a bien un secret du Père, puisque, l’essence divine étant infinie, Il transcende toute puissance et connaissance. Donc, dans ce SEIN, c’est-à-dire dans l’essence infiniment cachée de Dieu qui surpasse toute puissance et tout mode de la créature, est LE FILS UNIQUE; aussi est-Il consubstantiel au Père.
Ce que l’Evangéliste désigne ici par le "sein", David l’a exprimé par uterus en disant : Ex utero, de mon sein, avant l’étoile du matin, c’est-à-dire de l’intime et du secret de l’essence divine dépassant la capacité de toute intelligence créée, je t’ai engendré c’est pourquoi LE FILS UNIQUE, Lui, Le comprend — Qui donc entre les hommes sait les choses de l’homme sinon l’esprit de l’homme qui est en lui? Ainsi, personne ne connaît les choses de Dieu sinon l’Esprit de Dieu . Il est encore manifeste, si le Fils est consubstantiel au Père, qu’Il a autant de capacité de connaître que Dieu en a d’être. Et ainsi Il le connaît autant qu’Il peut être connu : Il Le "comprend" donc.
219. Mais l’âme du Christ, dans sa connaissance de Dieu, ne "comprend" pas l'essence divine, puisque les paroles de Jean ne s’appliquent qu’au FILS UNIQUE QUI EST DANS LE SEIN DU PERE. Voilà pourquoi le Seigneur déclare : Nul ne connaît le Fils si ce n’est le Père, et nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils veut le révéler l’un et l’autre doivent s’entendre de la connaissance de compréhension totale dont semble parler ici l’Evangéliste. Personne, en effet, ne comprend l’essence divine sinon Dieu seul, le Père, le Fils et l’Esprit Saint.
La capacité d’enseigner de ce Docteur est donc manifeste.
220. Remarquons-le : en disant QUI EST DANS LE SEIN DU PERE, Jean écarte l’erreur de certains qui prétendent que le Père est par nature invisible, mais que le Fils est visible, bien qu’on ne Le vît pas dans l’Ancien Testament. Si, en effet, Il est dans le secret du Père, il est manifeste qu’Il est par nature invisible, comme le Père. Aussi la Sainte Ecriture dit-elle du Seigneur : Vraiment, tu es un Dieu caché , et partout elle fait mention à la fois de l’incompréhensibilité du Père et de celle du Fils : Nul ne connaît le Fils si ce n’est le Père, et nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils et Quel est son nom et quel est le nom de son Fils, si tu le sais?
221. Ici, l’Evangéliste montre la manière d’enseigner du Christ. Jadis, en effet, le Fils unique révéla la connaissance de Dieu par l’intermédiaire des prophètes, qui L’annoncèrent dans la mesure où ils participèrent au Verbe éternel; aussi chacun d’eux disait : La parole de Dieu me fut adressée en ces termes... Mais maintenant c’est le Fils unique en personne qui a fait connaître Dieu aux fidèles — Voici ce que dit le Seigneur Dieu : (...) Moi qui parlais autrefois, me voici présent . Après avoir à bien des reprises et de bien des manières parlé jadis à nos pères par les prophètes, Dieu, en ces temps qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils .
Aussi son enseignement l’emporte-t-il sur tous les autres, parce qu’il est donné par LE FILS UNIQUE — Le salut, annoncé d’abord par le Seigneur, nous a été confirmé par ceux qui l’avaient entendu .
222. Mais qu’a-t-Il annoncé, sinon le Dieu unique? Moïse lui aussi l’annonça : Ecoute, Israël le Seigneur ton Dieu est le seul Dieu . Qu’a donc le Seigneur de plus que Moïse? Beaucoup, et de toutes manières, car Il a enseigné le mystère de la Trinité et bien d’autres que ni Moïse, ni aucun des prophètes n’ont annoncés.
Ce verset termine noblement un si splendide exorde. L’évangéliste expose le but de
l’Incarnation, lequel consistait à révéler, à manifester le Seigneur, demeuré en grande partie inconnu
jusqu’alors. Plus haut, verset 14, Jésus-Christ nous avait été présenté comme plein de grâce et de vérité. Le
verset 16 a séparé ces deux éléments pour insister davantage sur la grâce. Le verset 17 les a de nouveau
réunis. Voici que la vérité est à son tour envisagée à part. - Le substantif « Dieu » est mis en avant comme
portant l’idée principale. - Nul n'a jamais vu : Grand luxe de négations. Le verbe grec est au parfait, pour
mieux accentuer la chose. Non, jamais ; non, personne. Pas même Moïse, auquel l’allusion est si visible.
Exode 33, 18 et ss. : Moïse dit : « Je t’en prie, laisse-moi contempler ta gloire. » Le Seigneur dit : « Je vais
passer devant toi avec toute ma splendeur, et je proclamerai devant toi mon nom qui est : LE SEIGNEUR. Je
fais grâce à qui je veux, je montre ma tendresse à qui je veux. » Il dit encore : « Tu ne pourras pas voir mon
visage, car un être humain ne peut pas me voir et rester en vie. » Le Seigneur dit enfin : « Voici une place
près de moi, tu te tiendras sur le rocher ; quand passera ma gloire, je te mettrai dans le creux du rocher et je
t’abriterai de ma main jusqu’à ce que j’aie passé. Puis je retirerai ma main, et tu me verras de dos, mais mon
visage, personne ne peut le voir ». Les autres théophanies de l’Ancien Testament n’ont de même manifesté
que très incomplètement l’être divin. Comment donc les hommes parleraient-ils de Dieu d’une manière
exacte et adéquate ? - Quelle différence pour N.-S. Jésus-Christ , le Fils unique du Père ! Au verset 14 nous
avons déjà trouvé cette épithète fils unique significative. Elle accompagne ici, dans un certain nombre de
documents très anciens non pas le substantif (ainsi que portent la plupart des manuscrits, des versions et des
pères grecs ou latins), mais « Deus, Dieu » (d’après […] le syriaque revisé, S. Irénée, Clément d’Alexandrie,
Origène, Didyme, etc. ). Cette seconde leçon, qui est plus difficile, et même étrange au premier regard,
pourrait bien être la vraie. Elle a été adoptée de nos jours par de nombreux critiques et commentateurs.
D’ailleurs, le sens est identique de part et d’autre. - Qui est dans le sein du Père. Charmant tableau, qui
dénote l’intimité la plus complète, par conséquent une connaissance absolue de Dieu. L’image est empruntée
aux manifestations de la tendresse humaine. Cf. 13, 23 ; Nombres, 11, 12. Notez encore le temps présent, qui
marque si bien l’éternité, la permanence, et, dans le texte grec, la nouvelle association du mouvement et du
repos. Même après l’Incarnation le verbe demeure au sein du Père, échangeant avec lui ses communications
indicibles. - Voilà celui est emphatique comme au verset 8 : Lui et aucun autre. S. Jean aime cet usage du
pronom. Cf. v. 33 ; 5, 11, 37, 39, 43 ; 6, 57 ; 9, 37 ; 12, 48 ; 14, 12, 21, 26 ; 15, 26, etc. - L’a manifesté . Le
verbe a été admirablement choisi, car il représente une interprétation complète, une parfaite exégèse. L’objet
de ces merveilleuses narrations du verbe fait chair n’est pas directement exprimé, mais il ressort clairement
du contexte : c’est Dieu, sa nature, ses attributs, ses volontés. La raison seule ne nous fournit que des
lambeaux de « théologie » ; la révélation de l’Ancien Testament laisse en blanc bien des pages du magnifique
traité « de Deo ». Heureusement, Jésus-Christ qui sait tout, qui a tout vu au sein du Père, a daigné se faire
notre instructeur. - Et maintenant, « taisez-vous, pensées humaines. Homme, viens te recueillir dans l’intime
de ton intime… Répétons : Au commencement était le Verbe ; au commencement, au-dessus de tout commencement était le Fils. Le Fils, c’est, dit S. Basile (Orat. De Fid., Hom. 25) un Fils qui n’est pas né par
le commandement de son Père, mais qui par puissance et par plénitude a éclaté de son sein : Dieu de Dieu,
lumière de lumière, en qui était la vie, qui nous l’a donnée. Vivons donc de cette vie éternelle, et mourons à
tout le créé. Amen. Amen ». Bossuet, Elévat. sur les Myst. Ah ! qu’il fait bon « se délecter » ainsi dans le
Verbe !
Après avoir, à bien des reprises et de bien des manières, parlé par les prophètes, Dieu « en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par son Fils » (He 1, 1-2). Il a envoyé en effet son Fils, le Verbe éternel qui éclaire tous les hommes, pour qu’il demeurât parmi eux et leur fît connaître les profondeurs de Dieu (cf. Jn 1, 1-18). Jésus Christ donc, le Verbe fait chair, « homme envoyé aux hommes», « prononce les paroles de Dieu » (Jn 3, 34) et achève l’œuvre de salut que le Père lui a donnée à faire (cf. Jn 5, 36 ; 17, 4). C’est donc lui – le voir, c’est voir le Père (cf. Jn 14, 9) – qui, par toute sa présence et par la manifestation qu’il fait de lui-même par ses paroles et ses œuvres, par ses signes et ses miracles, et plus particulièrement par sa mort et sa résurrection glorieuse d’entre les morts, par l’envoi enfin de l’Esprit de vérité, achève en l’accomplissant la révélation, et la confirme encore en attestant divinement que Dieu lui-même est avec nous pour nous arracher aux ténèbres du péché et de la mort et nous ressusciter pour la vie éternelle.
La vérité que Dieu a confiée à l'homme sur lui-même et sur sa vie s'inscrit donc dans le temps et dans l'histoire. Il est certain qu'elle a été prononcée une fois pour toutes dans le mystère de Jésus de Nazareth. La Constitution Dei Verbum le dit clairement: « Après avoir, à maintes reprises et sous bien des formes, parlé par les prophètes, Dieu, "en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par son Fils" (He 1, 1-2). Il a, en effet, envoyé son Fils, à savoir le Verbe éternel qui éclaire tous les hommes, pour qu'il habitât parmi les hommes et leur fît connaître les profondeurs de Dieu (cf. Jn 1, 1-18). Jésus Christ donc, Verbe fait chair, envoyé "comme homme vers les hommes", "prononce les paroles de Dieu" (Jn 3, 34) et achève l'œuvre de salut que le Père lui a donnée à faire (cf. Jn 5, 36; 17, 4). C'est pourquoi lui-même — qui le voit, voit aussi le Père (cf. Jn 14, 9) —, par toute sa présence et par toute la manifestation de lui-même, par ses paroles et ses œuvres, par ses signes et ses miracles, mais surtout par sa mort et sa glorieuse résurrection d'entre les morts, enfin par l'envoi de l'Esprit de vérité, achève la Révélation en l'accomplissant ».
Cette vérité que Dieu nous révèle en Jésus Christ n'est pas en contradiction avec les vérités que l'on atteint en philosophant. Les deux ordres de connaissance conduisent au contraire à la vérité dans sa plénitude. L'unité de la vérité est déjà un postulat fondamental de la raison humaine, exprimé dans le principe de non contradiction. La Révélation donne la certitude de cette unité, en montrant que le Dieu créateur est aussi le Dieu de l'histoire du salut. Le même et identique Dieu, qui fonde et garantit l'intelligibilité et la justesse de l'ordre naturel des choses sur lesquelles les savants s'appuient en toute confiance, est celui-là même qui se révèle Père de notre Seigneur Jésus Christ. Cette unité de la vérité, naturelle et révélée, trouve son identification vivante et personnelle dans le Christ, ainsi que le rappelle l'Apôtre: « La vérité qui est en Jésus » (Ep 4, 21; cf. Col 1, 15-20). Il est la Parole éternelle en laquelle tout a été créé, et il est en même temps la Parole incarnée, que le Père révèle dans toute sa personne (cf. Jn 1, 14.18). Ce que la raison humaine cherche « sans le connaître » (cf. Ac 17, 23) ne peut être trouvé qu'à travers le Christ: ce qui se révèle en lui est, en effet, la « pleine vérité » (cf. Jn 1, 14-16) de tout être qui a été créé en lui et par lui et qui ensuite trouve en lui son accomplissement (cf. Col 1, 17).
Dans l'Evangile de saint Jean, l'universalité du salut par le Christ comprend les aspects de sa mission de grâce, de vérité et de révélation: «Le Verbe est la lumière véritable, qui éclaire tout homme» (cf. Jn 1, 9). Et encore: «Nul n'a jamais vu Dieu; le Fils unique, qui est dans le sein du Père, lui l'a fait connaître» (Jn 1, 18; cf. Mt 11, 27). La révélation de Dieu devient, par son Fils unique, définitive et achevée: « Après avoir, à maintes reprises et sous maintes formes, parlé jadis aux Pères par les prophètes, Dieu, en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils qu'il a établi héritier de toutes choses, par qui aussi il a fait les siècles» (He 1, 1-2; cf. Jn 14, 6). Dans cette Parole définitive de sa révélation, Dieu s'est fait connaître en plénitude: il a dit à l'humanité qui il est. Et cette révélation définitive que Dieu fait de lui-même est la raison fondamentale pour laquelle l'Eglise est missionnaire par sa nature. Elle ne peut pas ne pas proclamer l'Evangile, c'est-à-dire la plénitude de la vérité que Dieu nous a fait connaître sur lui-même.
Il est contraire à la foi chrétienne d'introduire une quelconque séparation entre le Verbe et Jésus Christ. Saint Jean affirme clairement que le Verbe, qui «était au commencement avec Dieu», est celui-là même qui «s'est fait chair» (Jn 1, 14). Jésus est le Verbe incarné, Personne une et indivisible: on ne peut pas séparer Jésus du Christ, ni parler d'un «Jésus de l'histoire» qui serait différent du «Christ de la foi». L'Eglise connaît et confesse Jésus comme «le Christ, le Fils du Dieu vivant» (Mt 16, 16). Le Christ n'est autre que Jésus de Nazareth, et celui-ci est le Verbe de Dieu fait homme pour le salut de tous. Dans le Christ «habite corporellement toute la Plénitude de la Divinité» (Col 2,9) et «de sa plénitude nous avons tous reçu» (Jn 1, 16). Le «Fils unique qui est dans le sein du Père» (Jn 1, 18) est «le Fils bien-aimé, en qui nous avons la rédemption ... Dieu s'est plu à faire habiter en lui toute la Plénitude et, par lui, à réconcilier tous les êtres pour lui, aussi bien sur la terre que dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa Croix» (Col 1, 13- 19-20). C'est précisément ce caractère unique du Christ qui lui confère une portée absolue et universelle par laquelle, étant dans l'histoire, il est le centre et la fin de l'histoire elle-même: «Je suis l'Alpha et l'Oméga, le Premier et le Dernier, le Principe et la Fin» (Ap 22, 13 ).
La plénitude où Jésus porte la foi a un autre aspect déterminant. Dans la foi, le Christ n’est pas seulement celui en qui nous croyons — la manifestation la plus grande de l’amour de Dieu — ,mais aussi celui auquel nous nous unissons pour pouvoir croire. La foi non seulement regarde vers Jésus, mais regarde du point de vue de Jésus, avec ses yeux : elle est une participation à sa façon de voir. Dans de nombreux domaines de la vie, nous faisons confiance à d’autres personnes qui ont des meilleures connaissances que nous. Nous avons confiance dans l’architecte qui construit notre maison, dans le pharmacien qui nous présente le médicament pour la guérison, dans l’avocat qui nous défend au tribunal. Nous avons également besoin de quelqu’un qui soit digne de confiance et expert dans les choses de Dieu. Jésus, son Fils, se présente comme celui qui nous explique Dieu (cf. Jn 1, 18). La vie du Christ, sa façon de connaître le Père, de vivre totalement en relation avec lui, ouvre un nouvel espace à l’expérience humaine et nous pouvons y entrer. Saint Jean a exprimé l’importance de la relation personnelle avec Jésus pour notre foi à travers divers usages du verbe croire. Avec le « croire que » ce que Jésus nous dit est vrai (cf. Jn 14, 10 ; 20, 31), Jean utilise aussi les locutions « croire à » Jésus et « croire en » Jésus. « Nous croyons à » Jésus, quand nous acceptons sa Parole, son témoignage, parce qu’il est véridique (cf. Jn 6, 30). « Nous croyons en » Jésus, quand nous l’accueillons personnellement dans notre vie et nous nous en remettons à lui, adhérant à lui dans l’amour et le suivant au long du chemin (cf. Jn 2, 11 ; 6, 47 ; 12, 44).