Jean 1, 29

Le lendemain, voyant Jésus venir vers lui, Jean déclara : « Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde ;

Le lendemain, voyant Jésus venir vers lui, Jean déclara : « Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde ;
Louis-Claude Fillion
Le lendemain. Traduire la locution latine altera die par « un autre jour, un peu plus tard », serait contraire à la signification habituelle de cette locution. Les dates sont très soigneusement marquées dans ce chapitre et dans le suivant. Cf. 1, 35, 43 ; 2, 1, 12, 13, 23. Le narrateur se manifeste en toutes façons comme un témoin oculaire. Le mot « Jean », qu’omettent plusieurs manuscrits très anciens, pourrait bien avoir été inséré par les copistes. - Jean vit Jésus qui venait à lui. D’où venait alors Notre-Seigneur ? Quelle circonstance l’amenait auprès de saint Jean ? L’évangéliste néglige ces détails, parce qu’ils n’avaient qu’une importance secondaire pour son récit, et que, d’ailleurs, il ne se proposait pas de tout relater. Mais il est aisé de suppléer à son silence. D’après ce qui a été dit précédemment (note du verset 26), Jésus revenait alors du désert où il avait été tenté par le démon ; et il avait pour but de fournir à saint Jean l’occasion de lui rendre un nouveau témoignage (S. Thom. d’Aquin). - Et il dit : Cette fois, le Précurseur prend de lui-même la parole : on a conclu du v. 35 (« Le lendemain, Jean était encore là, avec deux de ses disciples ») qu’il s’adressait alors à ses disciples, au moins plus spécialement. - Voici l’agneau de Dieu, voici celui qui enlève…(la particule « voici »n’est pas répétée dans le texte grec). Dans ce passage, qui est l’un des plus beaux et des plus importants de l’Évangile, chaque mot est digne de notre attention, malgré la parfaite clarté de la pensée. - La particule voici dut être accompagnée d’un geste qui montrait la personne sacrée de Jésus. - De Dieu est diversement rattaché à « agneau » par les commentateurs : l’agneau soumis à Dieu (A. Maier), l’agneau agréable à Dieu (Tholuck), l’agneau consacré à Dieu, le divin agneau (plusieurs anciens interprètes), l’agneau destiné par Dieu au sacrifice (Maldonat, Corluy...). Mgr. Haneberg dit à bon droit que l’interprétation la plus simple et la plus naturelle paraît être : l’agneau qui appartient à Dieu, l’agneau de Dieu. « de Dieu » est donc ce que les grammairiens appellent un génitif de propriété. Quant au doux nom « d’agneau », qui convient si bien à N.-S. Jésus-Christ, c’est évidemment une désignation typique, basée sur l’Ancien Testament ; toutefois, il y a controverse parmi les exégètes touchant le fait particulier qui lui a servi de point de départ dans la pensée de saint Jean. L’agneau qu’on immolait chaque matin et chaque soir dans le temple au nom de tout Israël, pour offrir au Seigneur un holocauste perpétuel (cf. Exode 29, 38 ; Nombres 28, 3 et ss. ) ; l’agneau pascal, que le quatrième Évangile (19, 31) et saint Paul (1 Cor. 5, 7) présentent comme un type du Messie, et dont le sang avait autrefois produit d’admirables résultats de salut (Exode 12, 13) ; l’agneau décrit par Isaïe dans son célèbre chapitre 53 (verset 7), se partagent sous ce rapport les préférences des divers auteurs. Mais c’est bien à l’oracle du prophète- évangéliste que le Précurseur faisait plus probablement allusion. Tel était déjà le sentiment d’Origène, de S. Jean Chrysostome, de S. Cyrille, suivi ensuite par Théophylacte, Euthymius, Cornelius a Lapide, et la plupart des interprètes contemporains. L’article placé devant agneau montre que Jean-Baptiste voulait parler d’un agneau déterminé, connu de tous les Juifs ; or l’agneau de la prophétie d’Isaïe était alors universellement regardé comme une figure du Christ souffrant. Cf. Act. 8, 32 ; Eisenmenger, Entdeckt. Judenthum, 2è part. p. 758 ; Wünsche, die Leiden des Messias, 1870, p. 55 et s. Aussi Érasme avait-il raison d'écrire dans ses annotations : « L'article a non seulement l'emphase de la dignité, mais aussi de la relation : Voici cet agneau, dont a prophétisé Isaïe ». Comparez aussi Jérémie 11, 19, où nous rencontrons le même type : « Moi, j’étais comme un agneau docile qu’on emmène à l’abattoir ». - Les paroles suivantes, celui qui ôte le péché du monde, confirment cette explication, car elles résument tout ce qu’Isaïe, divinement éclairé, disait de l’agneau céleste qui expia nos fautes par son généreux sacrifice. « Enlève » remplace le verbe hébreu qui signifie ordinairement « porter » mais qui, rapproché d’autres mots en maint endroit de l’Ancien Testament, a le sens spécial de enlever les péchés, en offrant à Dieu un sanglante compensation. Cf. Lev. 10, 17 ; 24, 15 ; Num. 5, 31, 14, 34 ; Ezech. 4, 5 ; 23, 5 ; etc. « En voyant Jésus comme l’agneau de Dieu, saint Jean le voyait donc déjà comme nageant dans son sang » (Bossuet). « C’est comme s’il l’eût contemplé d’avance portant sa croix et se dirigeant vers le Calvaire », dit un vieil auteur allemand. - Notez l’emploi du temps présent : « qui ôte ». L’évangéliste suppose ainsi la certitude et la continuité de notre rédemption par le Seigneur Jésus. - Le péché est mis collectivememnt pour les péchés ; mais ce singulier est plus expressif que le pluriel. Tous les péchés du genre humain (du monde) sont ainsi envisagés comme une horrible masse que le divin agneau doit faire disparaître. C’est donc l’universalité du salut qui est prédite par le Précurseur, de même qu’elle l’avait été autrefois par les prophètes. - « Il est remarquable, dit un récent commentateur du quatrième évangile, que ce titre d’agneau, sous lequel l’évangéliste apprit à connaître pour la première fois Jésus, soit celui par lequel le sauveur est désigné de préférence dans l’Apocalypse. La corde qui avait vibré, à cette heure décisive, au plus profond de son être, a retenti chez lui jusqu’à son dernier soupir. Et pourtant, d’après quelques écrivains rationalistes, ce beau titre, dans lequel on a vu justement un abrégé de l’Evangile, n’aurait eu d’autre but que de représenter la douceur et l’innocence de Jésus, sans aucune relation avec l’idée de sacrifice. (Gabler, Paulus, Ewald, etc.).
Catéchisme de l'Église catholique
Les conséquences du péché originel et de tous les péchés personnels des hommes confèrent au monde dans son ensemble une condition pécheresse, qui peut être désignée par l’expression de Saint Jean : " le péché du monde " (Jn 1, 29). Par cette expression on signifie aussi l’influence négative qu’exercent sur les personnes les situations communautaires et les structures sociales qui sont le fruit des péchés des hommes (cf. RP 16).

Le Baptême de Jésus, c’est, de sa part, l’acceptation et l’inauguration de sa mission de Serviteur souffrant. Il se laisse compter parmi les pécheurs (cf. Is 53, 12) ; il est déjà " l’Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde " (Jn 1, 29) ; déjà, il anticipe le " baptême " de sa mort sanglante (cf. Mc 10, 38 ; Lc 12, 50). Il vient déjà " accomplir toute justice " (Mt 3, 15), c’est-à-dire qu’il se soumet tout entier à la volonté de son Père : il accepte par amour le baptême de mort pour la rémission de nos péchés (cf. Mt 26, 39). A cette acceptation répond la voix du Père qui met toute sa complaisance en son Fils (cf. Lc 3, 22 ; Is 42, 1). L’Esprit que Jésus possède en plénitude dès sa conception, vient " reposer " sur lui (Jn 1, 32-33 ; cf. Is 11, 2). Il en sera la source pour toute l’humanité. A son Baptême, " les cieux s’ouvrirent " (Mt 3, 16) que le péché d’Adam avait fermés ; et les eaux sont sanctifiées par la descente de Jésus et de l’Esprit, prélude de la création nouvelle.

Emu par tant de souffrances, le Christ non seulement se laisse toucher par les malades, mais il fait siennes leurs misères : " Il a pris nos infirmités et s’est chargé de nos maladies " (Mt 8, 17 ; cf. Is 53, 4). Il n’a pas guéri tous les malades. Ses guérisons étaient des signes de la venue du Royaume de Dieu. Ils annonçaient une guérison plus radicale : la victoire sur le péché et la mort par sa Pâque. Sur la Croix, le Christ a pris sur lui tout le poids du mal (cf. Is 53, 4-6) et a enlevé le " péché du monde " (Jn 1, 29), dont la maladie n’est qu’une conséquence. Par sa passion et sa mort sur la Croix, le Christ a donné un sens nouveau à la souffrance : elle peut désormais nous configurer à lui et nous unir à sa passion rédemptrice.

Après avoir accepté de Lui donner le Baptême à la suite des pécheurs (cf. Lc 3, 21 ; Mt 3, 14-15), Jean-Baptiste a vu et montré en Jésus l’Agneau de Dieu, qui enlève les péchés du monde (cf. Jn 1, 29. 36). Il manifeste ainsi que Jésus est à la fois le Serviteur souffrant qui, silencieux, se laisse mener à l’abattoir (cf. Is 53, 7 ; Jr 11, 19) et porte le péché des multitudes (cf. Is 53, 12), et l’agneau Pascal symbole de la rédemption d’Israël lors de la première Pâque (cf. Ex 12, 3-14 ; Jn 19, 36 ; 1 Co 5, 7). Toute la vie du Christ exprime sa mission : servir et donner sa vie en rançon pour la multitude (cf. Mc 10, 45).

La mort du Christ est à la fois le sacrifice Pascal qui accomplit la rédemption définitive des hommes (cf. 1 Co 5, 7 ; Jn 8, 34-36) par l’Agneau qui porte le péché du monde (cf. Jn 1, 29 ; 1 P 1, 19) et le sacrifice de la Nouvelle Alliance (cf. 1 Co 11, 25) qui remet l’homme en communion avec Dieu (cf. Ex 24, 8) en le réconciliant avec Lui par le sang répandu pour la multitude en rémission des péchés (cf. Mt 26, 28 ; Lv 16, 15-16).

L’Apocalypse de S. Jean, lue dans la liturgie de l’Église, nous révèle d’abord " dans le ciel un trône dressé, et siégeant sur le trône, Quelqu’un " (Ap 4, 2) : " le Seigneur Dieu " (Is 6, 1 ; cf. Ez 1, 26-28). Puis l’Agneau, " immolé et debout " (Ap 5, 6 ; cf. Jn 1, 29) : le Christ crucifié et ressuscité, l’unique Grand Prêtre du véritable sanctuaire (cf. He 4, 14-15 ; 10, 19-21 ; etc.), le même " qui offre et qui est offert, qui donne et qui est donné " (Liturgie de S. Jean Chrysostome, Anaphore). Enfin, " le fleuve de Vie qui jaillit du trône de Dieu et de l’Agneau " (Ap 22, 1), l’un des plus beaux symboles du Saint-Esprit (cf. Jn 4, 10-14 ; Ap 21, 6).
Pape Benoît XVI
Comme l'agir, la souffrance fait aussi partie de l'existence humaine. Elle découle, d'une part, de notre finitude et, de l'autre, de la somme de fautes qui, au cours de l'histoire, s'est accumulée et qui encore aujourd'hui grandit sans cesse. Il faut certainement faire tout ce qui est possible pour atténuer la souffrance: empêcher, dans la mesure où cela est possible, la souffrance des innocents; calmer les douleurs; aider à surmonter les souffrances psychiques. Autant de devoirs aussi bien de la justice que de l'amour qui rentrent dans les exigences fondamentales de l'existence chrétienne et de toute vie vraiment humaine. Dans la lutte contre la douleur physique, on a réussi à faire de grands progrès; la souffrance des innocents et aussi les souffrances psychiques ont plutôt augmenté au cours des dernières décennies. Oui, nous devons tout faire pour surmonter la souffrance, mais l'éliminer complètement du monde n'est pas dans nos possibilités – simplement parce que nous ne pouvons pas nous extraire de notre finitude et parce qu'aucun de nous n'est en mesure d'éliminer le pouvoir du mal, de la faute, qui – nous le voyons – est continuellement source de souffrance. Dieu seul pourrait le réaliser: seul un Dieu qui entre personnellement dans l'histoire en se faisant homme et qui y souffre. Nous savons que ce Dieu existe et donc que ce pouvoir qui « enlève le péché du monde » (Jn 1, 29) est présent dans le monde. Par la foi dans l'existence de ce pouvoir, l'espérance de la guérison du monde est apparue dans l'histoire. Mais il s'agit précisément d'espérance et non encore d'accomplissement; espérance qui nous donne le courage de nous mettre du côté du bien même là où cela semble sans espérance, tout en restant conscients que, faisant partie du déroulement de l'histoire tel qu’il apparaît extérieurement, le pouvoir de la faute demeure aussi dans l'avenir une présence terrible.