Jean 11, 57
Les grands prêtres et les pharisiens avaient donné des ordres : quiconque saurait où il était devait le dénoncer, pour qu’on puisse l’arrêter.
Les grands prêtres et les pharisiens avaient donné des ordres : quiconque saurait où il était devait le dénoncer, pour qu’on puisse l’arrêter.
Aussi l'Evangéliste ne dit pas : La Pâque du Seigneur, mais : « La Pâque des Juifs, » parce qu'ils dressaient des embûches au Seigneur dans cette fête.
Remarquez qu'ils ignoraient où il était ; car, nous avons dit qu'il avait quitté la ville de Jérusalem. Vous irez ajouter qu'en cherchant à tendre des pièges à Jésus, ils ne auvent où il est, et qu'ils donnent des commandements bien différents des commandements divins, en enseignant des maximes et des ordonnances tout humaines.
Jésus ayant appris la résolution que les prêtres et les pharisiens avaient prise dans leur conseil de le mettre à mort, s'environna de plus de précautions, et ne se montra plus avec autant de confiance au milieu des Juifs. Il choisit pour retraite non une cité populeuse, mais une petite ville éloignée et située près du désert : « C'est pourquoi Jésus ne se montrait plus en public parmi les Juifs, » etc.
Il est beau et louable pour confesser le nom de Jésus, de ne point rougir d’affronter le combat qui se présente, et de ne point refuser de souffrir la mort pour la défense de la vérité ; mais il n'est pas moins louable de ne point donner occasion à une si grande épreuve, non-seulement parce que nous ne pouvons pas prévoir l'issue d'un si grand combat, mais parce que nous devons éviter de donner aux impies et aux méchants les moyens augmenter leur impiété et leurs crimes ; car si celui qui devient pour un autre une occasion de péché, portera nécessairement la peine de ce péché, celui qui ne fuit point la persécution, lorsqu'il le peut, ne sera-t-il pas aussi responsable du crime de son persécuteur ? Et non-seulement le Seigneur se rendit dans cet endroit écarté, mais pour ôter tout motif à ses ennemis de le chercher, il y conduisit avec lui ses disciples : « Et il y demeurait avec ses disciples. »
Dans le sens anagogique, on peut dire que Jésus demeurait avec confiance au milieu des Juifs, alors que le Verbe divin habitait avec eux dans la personne des prophètes ; mais il s'en est retiré, et le Verbe de Dieu n'est plus avec les Juifs. Il se rendit dans une petite ville qui était près du désert et dont le prophète a dit : « Les enfants de la femme abandonnée (ou déserte) sont plus nombreux que les enfante de l'épouse. » Cette ville s'appelait Ephrem, qui veut dire fertilité ; or, Ephraïm fut le frère de Manassé, c'est-à-dire, du peuple ancien livré à l'oubli, car c'est après que ce peuple eut été livré à l'oubli et abandonné, que l'abondance sortit du milieu des nations. Nôtre-Seigneur quitte donc la Judée et vient dans la terre de tout l'univers, auprès de l'Eglise déserte et abandonnée, et dont le nom veut dire cité féconde, et il y demeure avec ses disciples.
Ils lui tendent des embûches jusque dans cette fête de Pâque, et font de cette grande solennité un temps de meurtre et d'homicide.
Combien les disciples durent être troublés en voyant leur divin Maître échapper au danger par des moyens humains, et comme forcé de chercher un refuge pour se dérober à la poursuite de ses ennemis ? Tous sont dans la joie et l'allégresse qui accompagnent les grandes solennités, eux, au contraire, se cachent exposés qu'ils sont à de grands dangers ; cependant ils persévèrent avec le Sauveur, suivant la parole qu'il leur avait dite : « C'est vous qui êtes demeurés avec moi au milieu de mes épreuves. »
Pour nous, indiquons aux Juifs où Jésus se trouve maintenant. Plaise à Dieu qu'ils veuillent nous entendre et se saisir de lui ! Qu'ils viennent dans l'Eglise, qu'ils apprennent où se trouve Jésus-Christ, et qu'ils s'emparent de sa personne.
Ce n'est pas que sa puissance lui fit défaut, et il aurait très bien pu, s'il avait voulu, demeurer publiquement au milieu des Juifs, sans avoir rien à craindre, mais il voulut apprendre par son exemple à ses disciples, qu'il n'y a pour eux aucun péché à se dérober à la haine de leurs persécuteurs, et qu'il vaut mieux échapper en se cachant à leur fureur sacrilège, que de la rendre plus ardente en paraissant à leurs yeux.
Celui qui était descendu du ciel pour souffrir, ne voulut pas s'éloigner du lieu de sa passion, parce que l'heure de sa mort approchait : « Or, la Pâque des Juifs était proche, » etc. Les Juifs n'avaient que l'ombre de la vraie Pâque, nous en avons la lumière; le haut des portes des maisons juives était marqué du sang de l'agneau immolé, nos fronts sont marqués du sang de Jésus-Christ. Les Juifs ont voulu ensanglanter ce jour en répandant le sang du Seigneur, et l'Agneau qui a été immolé a consacré à jamais ce jour de fête par son sang. La loi faisait un précepte aux Juifs de se réunir pour cette fête à Jérusalem, de toutes les parties de la Judée, et de se sanctifier par la célébration de cette grande fête : « Un grand nombre de Juifs, dit l'Evangéliste, montèrent de la province à Jérusalem avant la Pâque, pour se purifier. »
Les Juifs cherchaient Jésus-Christ avec de mauvaises intentions; pour nous, nous le cherchons en restant dans le temple à nous consoler, à nous exhorter mutuellement, et à demander qu'il se rende à notre jour de fête, et nous sanctifie par sa présence.
Ils se rendirent à Jérusalem avant la Pâque pour se purifier, parce que ceux qui s'étaient rendus coupables d'une faute volontaire ou involontaire ne célébraient point la Pâque avant de s'être purifiés, selon la coutume, par des bains, par des jeûnes, en se rasant les cheveux, et aussi en faisant les offrandes qui étaient commandées à cet effet. C'est donc pendant le temps qu'ils accomplissaient ces purifications légales qu'ils cherchent à tendre des pièges au Sauveur. « Ils cherchaient donc Jésus, et se disaient les uns aux autres : Que pensez-vous de ce qu'il n'est pas venu pour la fête ? »
S'il n'y avait que le peuple pour s'occuper de ce dessein sanguinaire, on pourrait dire que sa passion a été le résultat de l'ignorance, mais ce sont les pharisiens eux-mêmes qui donnent l'ordre de se saisir du sa personne : « Or, les pontifes et les pharisiens avaient donné ordre que si quelqu'un savait où il était, il le déclarât, afin qu'ils le fissent prendre. »
1567. L’indignité des grands prêtres ressort de trois choses. D’abord par la condition des personnes, parce qu’ils ne sont pas plébéiens mais GRANDS PRÊTRES et PHARISIENS. Les grands prêtres avaient l’autorité sur le culte, tandis que les pharisiens avaient une apparence de religion, de sorte que soit accompli ce qui est dit dans la Genèse : Siméon et Lévi sont frères, vases d’iniquité qui font la guerre . Car les fondateurs de la secte des pharisiens furent de la tribu de Siméon. Et il est manifeste que les grands prêtres furent de la tribu de Lévi — La main des chefs et des magistrats fut la première dans cette transgression.
[Leur indignité ressort aussi] de la délibération de la malice; c’est pourquoi il dit : ils RÉUNIRENT DONC UN CONSEIL, ce qui fut fait pour délibérer : Que mon âme n'entre pas dans leur conseil — Heureux l’homme qui n’est pas allé au conseil des impies Mais comme il est dit dans le livre des Proverbes : Il n'est pas de conseil contre le Seigneur .
Enfin, elle ressort de leur intention mauvaise qui est contre Jésus, c’est-à-dire contre le Sauveur : Mes ennemis murmuraient contre moi, contre moi. Ils ruminaient des choses mauvaises pour moi — Venez, ruminons des projets contre Jérémie .
1568. Puis l’Évangéliste montre leur doute, d’abord en exposant ce qui a suscité le doute, puis la matière du doute .
1569. Les miracles du Christ les incitaient à douter; c’est pourquoi ils disaient : QUE FAISONS-NOUS? CAR CET HOMME FAIT DE NOMBREUX SIGNES. Ils sont aveugles, l’appelant encore "homme", lui dont la divinité leur a été démontrée avec tant [d'éclat] Car, comme lui-même le dit plus haut : Les œuvres que le Père m’a données à accomplir, ce sont elles — mêmes qui rendent témoignage à mon sujet Mais ils ne sont pas moins insensés qu’aveugles, parce qu’ils doutent de ce qu’ils doivent faire, alors qu’il ne leur fallait rien faire d’autre que croire . Plus haut ils ont dit : Quel signe fais-tu, pour que nous croyions en toi ? Mais voilà qu’il a fait beaucoup de signes et ils disent encore : PUISQUE CET HOMME FAIT DE NOMBREUX SIGNES — En effet leur malice les a aveuglés .
1570. La matière du doute fut qu’ils craignaient les dommages qui suivraient ces signes. A ce propos, l’Evangéliste montre deux choses.
D’abord la perte de la prééminence spirituelle. Et quant à cela il dit : SI NOUS LE LAISSONS AINSI, TOUS CROIRONT EN LUI, ce qui certes était souhaitable pour tous, selon la vérité de la réalité, car la foi qui est en le Christ sauve et conduit à la vie éternelle — Ces [signes] ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Fils de Dieu et pour que, en croyant, vous ayez la vie en son nom .
Mais quant à leur mauvaise intention, cela leur semblait redoutable : ils croyaient en effet qu’aucun de ceux qui croiraient en le Christ ne leur obéirait. Ainsi, à cause de leur ambition, ils se soustraient eux-mêmes au salut, et d’autres [avec eux]. C’est pourquoi il est dit dans la troisième épître canonique de Jean : Mais Diotréphès, lui qui aime à y tenir la première place, ne nous reçoit pas .
1571. Puis il montre l’ambition de la possession temporelle, quand il dit : ET LES ROMAINS VIENDRONT ET ILS DÉTRUIRONT NOTRE LIEU ET NOTRE NATION, ce qui semble être une conséquence de [la foi en le Christ], selon Augustin. Parce que si tous croyaient en le Christ, personne ne resterait pour défendre le Temple de Dieu contre les Romains, car ils abandonneraient le Temple saint et les lois de leurs pères, contre lesquelles ils estimaient qu’allait l’enseignement du Christ .
Mais cela ne semble pas beaucoup convenir à leur dessein, puisque jusque-là ils étaient asservis aux Romains et n’avaient pas songé à déclencher une guerre contre eux.
C’est pourquoi il semble meilleur de dire, selon Chrysostome , qu’ils disaient cela parce qu’ils voyaient le Christ être honoré par le peuple comme s’il était roi. Et parce que le commandement des Romains était qu’aucun roi ne soit nommé, si ce n’est par eux, [les princes des prêtres] craignaient que si les Romains entendaient cela — à savoir qu’ils avaient le Christ comme roi —, ils penseraient que les Juifs eux-mêmes étaient rebelles et, venant contre eux, ils détruiraient la cité et la nation — Quiconque se fait roi s’oppose à César .
1572. Mais remarquons leur misère, car, ne pensant pas à la vie éternelle, il n’y a rien qu’ils craignent de perdre si ce n’est des biens temporels. — L’œil de Jacob est vers la terre . Mais comme il est dit dans le livre des Proverbes : Ce que craint l’impie viendra contre lui . C’est pourquoi les Romains, après la Passion du Seigneur et sa glorification, leur arrachèrent et le lieu et la nation, s’emparant de l’un par la force et déportant l’autre .
1573. L’Évangéliste expose ici la détermination qui lève ce doute.
D’abord il montre la détermination, puis son explication , enfin l’acceptation de la sentence par l’assemblée .
A propos du premier point il fait deux choses. D’abord il décrit la personne de celui qui prononce la sentence . Ensuite il expose les paroles de la sentence .
1574. La personne qui juge est décrite par le nom et par la dignité.
Par le nom, parce qu’il s’appelait CAÏPHE; et ce nom convient à sa malice. En effet, il a d’abord le sens de "celui qui scrute", ce qu’il atteste par sa présomption — Celui qui se fait le scrutateur de la majesté sera accablé par la gloire . Il a eu en effet de la présomption quand il a dit : Je t’adjure, de par le Dieu vivant, de me dire si c’est toi qui es le Christ, le Fils de Dieu . En second lieu, le nom de Caïphe a le sens de "sagace", ce qu’il atteste par son astuce, sur laquelle il s’appuie pour obtenir la mort du Christ. Enfin, il a le sens de "vomissant de la bouche", ce qu’il atteste par sa sottise . — Comme le chien qui retourne à son vomissement .
Et Caïphe est décrit quant à la dignité : COMME IL ÉTAIT GRAND PRÊTRE CETTE ANNÉE-LÀ. A ce propos il faut savoir que, comme il est dit au livre du Lévitique , le Seigneur a institué un seul souverain prêtre auquel, à sa mort, succéderait un seul qui exercerait la charge du pontificat pendant toute sa vie. Or par la suite, l’ambition et la rivalité croissant parmi les Juifs, i établi que plusieurs seraient grands prêtres, que leur adviendrait à tous, chacun à son tour, une telle dignité, et que par roulement ils serviraient pour un an . Et aussi, parfois, ils se procuraient [cette charge] par de l’argent, comme Josèphe le raconte au sujet de celui-ci . Et pour montrer cela, l’Evangéliste dit : CETTE ANNÉE-LÀ.
1575. L’Évangéliste transmet ensuite les paroles de celui qui détermine; et d’abord celui-ci reproche aux autres leur mollesse, en disant : VOUS, VOUS N’Y ENTENDEZ RIEN ET VOUS NE RÉFLÉCHISSEZ PAS, comme s’il disait : vous êtes mous, et jusqu’à présent vous considérez l’affaire très nonchalamment. Et c’est pourquoi il met en avant sa malice, en disant : IL VAUT MIEUX POUR VOUS QU’UN SEUL HOMME MEURE POUR LE PEUPLE. Ces paroles ont une intelligence autre selon l’intention de Caïphe et selon l’explication de l’Evangéliste .
Pour expliciter d’abord ces paroles selon l’intention mauvaise [de Caïphe], il faut savoir qu’on trouve au livre du Deutéronome, ce commandement du Seigneur S’il existe au milieu de toi un prophète, ou quelqu’un qui dit avoir vu un songe, et veut t’écarter du Seigneur, ce prophète ou ce faiseur de songes sera mis à mort Donc selon cette loi, Caïphe croyait que le Christ détournerait le peuple du culte de Dieu — Nous avons trouvé cet homme bouleversant notre nation Et c’est pourquoi il disait : VOUS N’Y ENTENDEZ BIEN, c’est-à-dire à la Loi, ET VOUS NE RÉFLÉCHISSEZ PAS QU’IL VAUT MIEUX POUR VOUS QU’UN SEUL, c’est-à-dire cet homme, MEURE, pour que tout le peuple ne soit pas séduit; comme s’il disait : il faut mépriser le salut d’un seul homme en faveur de la vie politique commune. C’est pourquoi le livre du Deutéronome ajoute : Et tu arracheras le mal du milieu de ton peuple. — "Enlevez le mal du milieu de vous-mêmes".
1576. Mais l’Évangéliste expose cela autrement, en disant : OR CELA IL NE LE DIT PAS DE LUI-MÊME; MAIS COMME IL ÉTAIT GRAND PRÊTRE CETTE ANNÉE-LÀ, IL PROPHÉTISA QUE JESUS DEVAIT MOURIR POUR LA NATION, ET NON POUR LA NATION SEULEMENT, MAIS ENCORE POUR RASSEMBLER EN UN LES FILS DE DIEU QUI ÉTAIENT DISPERSÉS.
Où l’Evangéliste présente d’abord l’auteur de ces paroles, puis leur sens exact ; après quoi il ajoute [une remarque] aux paroles de Caïphe .
1577. À propos du premier point, il faut savoir ceci : parce qu’on pourrait croire que Caïphe avait proféré sous sa propre impulsion [instinctu] les paroles susdites, l’Evangéliste, excluant cela, dit : OR CELA, IL NE LE DIT PAS DE LUI-MÊME. Par là est donné à entendre que parfois quelqu’un parle de lui-même . L’homme, en effet, est ce qui en lui-même est principal , c’est-à-dire l’intelligence et la raison.
C’est pourquoi l’homme est ce qu’il est par la raison. Donc, quand l’homme parle à partir de sa propre raison, alors il parle de lui-même, mais quand il parle de par un instinct supérieur et extérieur à lui, il ne parle pas de lui-même. Cependant cela arrive de deux manières. Quelquefois comme mû par l’Esprit divin, selon ce que dit Matthieu : Car ce n’est pas vous qui parlez, mais c’est l’Esprit de votre Père qui parle en vous Mais quelquefois, c’est comme mû par un esprit malin — ainsi les possédés. Pour l’un et l’autre, on dit parfois qu’ils prophétisent. Que certes ceux qui sont mûs par l’Esprit divin prophétisent, cela est dit dans la deuxième épître de Pierre En effet ce n'est pas par une volonté humaine qu’a jamais été apportée une prophétie, mais c’est inspirés par l’Esprit-Saint qu’ont parlé les saints hommes de Dieu . Mais que ceux qui sont mus par un esprit malin prophétisent, on le trouve au livre de Jérémie : Le Seigneur t’a établi prêtre à la place de Yehoyada, le prêtre, pour que tu sois chef dans la maison du Seigneur sur tout homme possédé et qui prophétise .
Il faut savoir aussi que, parfois, un homme parle sous la motion de l’Esprit Saint ou d’un esprit malin en perdant cependant l’usage de la raison et étant possédé; mais que parfois lui demeure le libre usage de la raison, et qu’il n’est pas possédé. Car quand les forces sensibles surabondent à partir d’une impression supérieure, la raison est liée, et on est mû et possédé. Mais parce que le démon a la puissance de faire impression dans l’imagination, puisqu’elle est une puissance attachée à un organe, il peut parfois faire impression sur elle de telle sorte qu’à cause de l’abondance de l’impression, la raison devient comme liée, sans cependant être poussée au consentement; et alors l’homme est possédé par un esprit malin.
1578. Il reste donc une question : Caïphe a-t-il dit ces paroles sous la notion de l’Esprit Saint ou de l’esprit malin? Il semble qu’il n’ait pas dit cela sous la motion de l’Esprit Saint : car l’Esprit Saint est l’Esprit de vérité, comme il est dit plus loin, alors que l’esprit malin est l’esprit de mensonge — Je sortirai, et je serai un esprit de mensonge dans la bouche de tous ses prophètes Or c’est un fait établi que Caïphe a proféré un mensonge en disant
IL VAUT MIEUX POUR VOUS QU’UN SEUL HOMME MEURE, puisque cela ne leur fut pas avantageux. Mais il aurait dit vrai s’il avait affirmé : il est avantageux pour le peuple qu’un seul homme meure. Donc il ne parla pas sous la motion de l’Esprit-Saint, semble-t-il, mais il prophétisa sous l’instinct d’un esprit malin, possédé.
Mais cela ne semble pas être en accord avec les paroles de l’Evangile : car s’il en était ainsi, Jean n’aurait pas ajouté
COMME IL ÉTAIT GRAND PRÊTRE CETTE ANNÉE-LÀ. Il a donc ajouté la dignité de Caïphe, pour suggérer qu’il avait parlé sous la motion de l’Esprit — Saint. Par là nous est donné à entendre que même les méchants établis dans une dignité, l’Esprit-Saint les meut pour dire des choses vraies et à venir, pour l’utilité de ceux-là seulement qui leur sont soumis .
Donc, par rapport à ce qui est dit en sens contraire, c’est-à-dire que ces paroles : IL VAUT MIEUX POUR VOUS QU’UN SEUL HOMME MEURE POUR LE PEUPLE sont fausses, on peut répondre de deux manières. En un sens on peut dire que la mort du Christ en elle-même fut avantageuse pour tous, même pour ceux qui l’ont tué — Lui qui est le Sauveur de tous les hommes, surtout de ceux qui ont la foi . — Afin que, par la grâce de Dieu, pour tous [les hommes], il ait goûté la mort . D’une autre manière, [on peut répondre], que : IL VAUT MIEUX POUR VOUS, signifie pour le peuple. C’est pourquoi l’Evangéliste, là où Caïphe dit QU’UN SEUL HOMME MEURE pour vous, met POUR LA NATION.
1579. Mais d’après les paroles de l’Evangéliste, IL PROPHÉTISA, il semble que Caïphe fut prophète. Si en effet quelqu’un prophétise, il s’ensuit qu’il est prophète. Cependant, selon Origène , il ne s’ensuit pas que quiconque prophétise soit prophète mais s’il est prophète, de toutes façons il prophétise. Car parfois est accordé à quelqu’un l’acte d’une chose dont cependant la condition ne lui est pas accordée. De même que n’est pas juste quiconque fait quelque chose de juste, mais celui qui est juste fait des choses justes.
Or il faut noter que deux actes concourent au fait que quelqu’un prophétise d’une manière vraie : à savoir [l'acte] de voir — c’est pourquoi il est dit dans le premier livre de Samuel : Celui qui maintenant est dit prophète était appelé autrefois voyant — ; de même [l'acte] d’annoncer — Le prophète parle aux hommes pour édifier, exhorter, consoler . Or il arrive parfois que quelqu’un ait l’un et l’autre, et ne soit cependant pas dit proprement prophète. Car parfois quelqu’un a une vision prophétique, comme Nabuchodonosor et Pharaon ; et semblablement, ils ont annoncé aux autres la vision elle-même. Ils ne peuvent cependant être dits prophètes, parce qu’il leur a manqué quelque chose, c’est-à-dire l’intelligence de la vision, qui est requise dans la vision, comme il est dit au livre de Daniel . Or Caïphe, bien qu’il n’ait pas eu de vision prophétique, eut cependant l’annonce de la réalité prophétisée, en tant qu’il annonça l’utilité de la mort du Christ. Car parfois l’Esprit Saint meut à tout ce qu’implique la prophétie, et parfois à un aspect seulement. Il n’illumina ni l’esprit de Caïphe, ni son imagination, et c’est pourquoi son esprit et son imagination demeurèrent tendus vers le mal. Il mut cependant sa langue pour proférer la manière dont le salut du peuple serait accompli. C’est pourquoi il n’est pas dit prophète, si ce n’est en tant qu’il eut un acte prophétique dans l’annonce, son imagination et sa raison étant tournées vers le contraire. A partir de cela, il est évident qu’il ne peut pas plus être dit prophète que l’ânesse de Balaam .
1580. L’Évangéliste ajoute ici quelque chose aux paroles du grand prêtre, en disant que Jésus ne devait pas mourir seulement pour la nation, c’est-à-dire le peuple juif, comme le dit Caïphe — Jésus, pour sanctifier le peuple par son propre sang, a souffert en dehors de la porte ; mais il ajoute qu’il devait mourir aussi pour le monde entier. C’est pourquoi il poursuit : POUR RASSEMBLER EN UN LES FILS DE DIEU QUI ÉTAIENT DISPERSÉS.
Là il faut prendre garde à l’hérésie des manichéens, qui disent que certaines âmes sont de substance divine et sont appelées fils de Dieu; et ils disent que c’est pour les rassembler dans l’unité que Dieu est venu. Mais cela est une erreur, parce que, comme il est dit au livre d’Ezéchiel , toutes les âmes sont miennes, c’est-à-dire par la création. Et c’est pourquoi ce qu’il dit : POUR RASSEMBLER EN UN LES FILS DE DIEU QUI ÉTAIENT DISPERSÉS, il ne faut pas le comprendre de ce qu’ils eussent alors déjà reçu l’esprit d’adoption. Parce que, comme le dit Grégoire , ils n’étaient de Dieu jusqu’à présent ni les brebis, ni les fils de Dieu . Mais il faut le comprendre selon la prédestination, en ce sens POUR QUE LES FILS DE DIEU, c’est-à-dire les prédestinés depuis l’éternité — Ceux qu’il a prédestinés à être conformes à l’image de son Fils —, QUI ÉTAIENT DISPERSÉS en différents rites et nations, IL LES RASSEMBLE EN UN, c’est-à-dire dans l’unité de la foi — J’ai d’autres brebis qui ne sont pas de ce bercail; celles-là aussi, il faut que je les conduise; et elles écouteront ma voix, et il y aura alors un seul troupeau, un seul pasteur . — Bâtissant Jérusalem, le Seigneur rassemblera les dispersés d’Israël .
1581. L’Évangéliste montre ensuite l’accord des Juifs en vue de la mort du Christ.
Mais n’ont-ils pas auparavant médité de le tuer? Il semble que si : parce qu’il est dit plus haut, en plusieurs endroits, que les Juifs cherchaient à le tuer.
Je réponds. Il faut dire qu’auparavant ils furent, certes, poussés à le tuer; mais qu’à partir de ce jour-là, excités à la colère par les paroles de Caïphe, ils manigancèrent avec le ferme dessein de tuer le Seigneur — Leurs pieds courent au mal et ils se hâtent pour répandre le sang .
Le Christ se dérobe à la malice des Juifs.
1582. Ici l’Évangéliste expose comment le Christ s’est dérobé à la malice des Juifs, d’abord en montrant la manière dont le Christ s’y dérobe, puis en montrant l’étonnement que cela a produit dans le peuple .
1583. La manière dont le Christ se déroba à leur malice fut de se cacher et de s’éloigner des Juifs. Car Jésus, après le conseil, les observant très prudemment, NE CIRCULAIT PLUS OUVERTEMENT PARMI LES JUIFS; il ne s’en alla pas dans une cité peuplée mais DANS UNE RÉGION retirée, PROCHE DU DÉSERT, DANS UNE VILLE APPELÉE ÉPHRAÏM, ET LÀ IL SÉJOURNAIT AVEC SES DISCIPLES .
1584. Mais sa puissance lui avait-elle manqué, puissance par laquelle, s’il l’avait voulu, il se serait tenu ouvertement parmi les Juifs sans qu’ils lui fassent rien? Loin de là! Il fit cela, non à cause d’un manque de puissance, mais pour donner un exemple aux disciples. En cela il apparaît qu’il n’y a pas de péché si ceux qui croient en lui se dérobent aux yeux de ceux qui les poursuivent, et évitent la fureur des scélérats en se cachant, plutôt que de les enflammer davantage en se montrant .
Selon cette parole de l’évangile de saint Matthieu : Si vous êtes poursuivis dans une ville, fuyez dans une autre .
Origène , lui, dit que personne ne doit se jeter dans les périls; cependant il est fort louable, quand les dangers sont déjà imminents, de ne pas éviter de confesser Jésus, ni de refuser de subir la mort pour la vérité. Et cela pour deux raisons. En premier lieu parce qu’il est fort présomptueux de se jeter dans les périls à cause de l’inexpérience qu’on a de sa propre force, qui parfois est trouvée fragile, et à cause de l’incertitude qu’on a des événements futurs — Que celui qui croit tenir debout prenne garde de tomber . Ensuite afin que, jetés parmi les persécuteurs, nous ne leur donnions pas l’occasion de devenir plus impies et nuisibles — Ne soyez pas une occasion de chute pour les Juifs, ni pour les Gentils, ni pour l’Eglise de Dieu .
1585. L’Évangéliste expose ici l’étonnement que cela a produit dans le peuple, et d’abord l’occasion de s’étonner, ensuite l’étonnement lui-même , enfin la raison de l’étonnement .
1586. L’Évangéliste montre que l’occasion de chercher et de s’étonner est double.
La première occasion vient certes de la condition du temps, parce que LA PÂQUE DES JUIFS ÉTAIT PROCHE : et dans cette fête est rappelée la mémoire du passage des Hébreux hors d’Egypte — C’est en effet une Pâque, c’est-à-dire un passage du Seigneur . S’il ajoute DES JUIFS, c’est parce que la Pâque même, les Juifs la célébraient d’une manière mauvaise et indue. Car quand nous célébrons la Pâque avec dévotion, alors elle est dite Pâque de Dieu — Je ne supporterai pas vos festivités .
Mais la seconde vient du concours du peuple, parce que BEAUCOUP DE GENS MONTÈRENT DE LA CAMPAGNE À JÉRUSALEM. Car, comme on le lit au livre de l’Exode , à trois moments dans l’année, à trois fêtes, les fils d’Israël devaient se présenter au Seigneur; parmi ces trois fêtes la première était la Pâque, et c’est pourquoi une grande foule montait à Jérusalem, où était le Temple.
Mais parce que ce n’était pas encore le temps de la Pâque, où ils devaient monter, l’Evangéliste précise ensuite la cause de leur montée, en ajoutant POUR SE PURIFIER. Personne en effet ne devait manger l’agneau sans être pur, et c’est pourquoi ils devançaient le temps de la Pâque pour, entre-temps, en se purifiant eux-mêmes, pouvoir manger l’agneau pascal selon le rite. En cela nous est donné l’exemple de nous purifier au temps du Carême par des jeûnes et des bonnes œuvres, pour prendre à la Pâque le corps de notre Seigneur, selon le rite.
1587. L’étonnement est causé par l’absence du Seigneur; et c’est ce qu’il dit : ILS CHERCHAIENT DONC JÉSUS, non certes pour l’honorer, mais pour le tuer, ET SE DISAIENT LES UNS AUX AUTRES, EN SE TENANT DANS LE TEMPLE : "QUE PENSEZ-VOUS? QU’IL NE VIENDRA PAS À CETTE FÊTE?"
Mais il faut noter que quand une fête se passe d’une manière sainte, le Seigneur est toujours [mutuellement] à ce jour de fête — Partout où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux . Et c’est pourquoi nous, réunis dans la maison de Dieu, cherchons Jésus, en nous consolant [mutuellement] et en implorant qu’il vienne à notre jour de fête. Mais quand la fête ne se passe pas d’une manière sainte, alors Jésus ne vient pas : Je ne supporterai pas vos festivités, vos réunions sont iniques. Vos calendes et vos solennités, mon âme les a haïes .
1588. La raison de l’étonnement du peuple et de l’absence de Jésus vient ensuite LES GRANDS PRÊTRES ET LES PHARISIENS AVAIENT DONNÉ DES ORDRES : SI QUELQU’UN CONNAÎT OÙ IL, c’est-à-dire Jésus, EST, QU’IL L’INDIQUE, POUR QU’ON L’APPRÉHENDE, c’est-à-dire pour le tuer. Plus haut il est dit : Vous me chercherez, et dans votre péché vous mourrez .
Mais comme le dit Augustin , nous qui savons où est le Christ, à la droite du Père, nous l’indiquerons aux Juifs, pour qu’ainsi, si possible, ils l’appréhendent par la foi.
Il peut savoir que nous trouvons une double vérité dans l’Évangile : l’une, incréée, et qui fait, facientem ; et c’est le Christ : « Je suis la voie, la vérité et la vie » (Jn 14, 6) ; l’autre, qui est faite, factam : « La grâce et la vérité ont été faites par Jésus-Christ » (1, 17). En effet, la vérité, de par sa raison, implique une commensuration de la réalité à l’intellect. Or l’intellect se compare aux choses de deux manières. D’une part, comme mesure des choses existantes, et c’est celui qui est cause des choses ; d’autre part, comme mesuré par la réalité, et c’est celui dont la connaissance est causée par la chose. Donc la vérité n’est pas dans l’intellect divin parce que celui-ci serait lui-même adéquat aux choses, mais parce que les choses sont rendues adéquates à l’intellect divin. Mais dans notre intellect, s’il y a de la vérité, c’est parce qu’il intellige les choses comme elles sont en réalité (lit. se comportent, se habent). Et ainsi la vérité incréée et l’intellect divin sont une vérité non mesurée ni faite, mais une vérité ni faite, mais une vérité qui mesure et qui fait une double vérité : l’une dans les choses elles-mêmes, en tant qu’elle les rend (facit, fait) telles qu’elles sont dans l’intellect divin ; et l’autre qu’elle fait (produit) dans nos âmes, qui est une vérité mesurée seulement, et non mesurante. Et de là vient que la vérité incréée est appropriée au Fils, qui est la conception même de l’intellect divin, et le Verbe de Dieu. En effet la vérité fait suite à la conception de l’intellect.
[Leur indignité ressort aussi] de la délibération de la malice; c’est pourquoi il dit : ils RÉUNIRENT DONC UN CONSEIL, ce qui fut fait pour délibérer : Que mon âme n'entre pas dans leur conseil — Heureux l’homme qui n’est pas allé au conseil des impies Mais comme il est dit dans le livre des Proverbes : Il n'est pas de conseil contre le Seigneur .
Enfin, elle ressort de leur intention mauvaise qui est contre Jésus, c’est-à-dire contre le Sauveur : Mes ennemis murmuraient contre moi, contre moi. Ils ruminaient des choses mauvaises pour moi — Venez, ruminons des projets contre Jérémie .
1568. Puis l’Évangéliste montre leur doute, d’abord en exposant ce qui a suscité le doute, puis la matière du doute .
1569. Les miracles du Christ les incitaient à douter; c’est pourquoi ils disaient : QUE FAISONS-NOUS? CAR CET HOMME FAIT DE NOMBREUX SIGNES. Ils sont aveugles, l’appelant encore "homme", lui dont la divinité leur a été démontrée avec tant [d'éclat] Car, comme lui-même le dit plus haut : Les œuvres que le Père m’a données à accomplir, ce sont elles — mêmes qui rendent témoignage à mon sujet Mais ils ne sont pas moins insensés qu’aveugles, parce qu’ils doutent de ce qu’ils doivent faire, alors qu’il ne leur fallait rien faire d’autre que croire . Plus haut ils ont dit : Quel signe fais-tu, pour que nous croyions en toi ? Mais voilà qu’il a fait beaucoup de signes et ils disent encore : PUISQUE CET HOMME FAIT DE NOMBREUX SIGNES — En effet leur malice les a aveuglés .
1570. La matière du doute fut qu’ils craignaient les dommages qui suivraient ces signes. A ce propos, l’Evangéliste montre deux choses.
D’abord la perte de la prééminence spirituelle. Et quant à cela il dit : SI NOUS LE LAISSONS AINSI, TOUS CROIRONT EN LUI, ce qui certes était souhaitable pour tous, selon la vérité de la réalité, car la foi qui est en le Christ sauve et conduit à la vie éternelle — Ces [signes] ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Fils de Dieu et pour que, en croyant, vous ayez la vie en son nom .
Mais quant à leur mauvaise intention, cela leur semblait redoutable : ils croyaient en effet qu’aucun de ceux qui croiraient en le Christ ne leur obéirait. Ainsi, à cause de leur ambition, ils se soustraient eux-mêmes au salut, et d’autres [avec eux]. C’est pourquoi il est dit dans la troisième épître canonique de Jean : Mais Diotréphès, lui qui aime à y tenir la première place, ne nous reçoit pas .
1571. Puis il montre l’ambition de la possession temporelle, quand il dit : ET LES ROMAINS VIENDRONT ET ILS DÉTRUIRONT NOTRE LIEU ET NOTRE NATION, ce qui semble être une conséquence de [la foi en le Christ], selon Augustin. Parce que si tous croyaient en le Christ, personne ne resterait pour défendre le Temple de Dieu contre les Romains, car ils abandonneraient le Temple saint et les lois de leurs pères, contre lesquelles ils estimaient qu’allait l’enseignement du Christ .
Mais cela ne semble pas beaucoup convenir à leur dessein, puisque jusque-là ils étaient asservis aux Romains et n’avaient pas songé à déclencher une guerre contre eux.
C’est pourquoi il semble meilleur de dire, selon Chrysostome , qu’ils disaient cela parce qu’ils voyaient le Christ être honoré par le peuple comme s’il était roi. Et parce que le commandement des Romains était qu’aucun roi ne soit nommé, si ce n’est par eux, [les princes des prêtres] craignaient que si les Romains entendaient cela — à savoir qu’ils avaient le Christ comme roi —, ils penseraient que les Juifs eux-mêmes étaient rebelles et, venant contre eux, ils détruiraient la cité et la nation — Quiconque se fait roi s’oppose à César .
1572. Mais remarquons leur misère, car, ne pensant pas à la vie éternelle, il n’y a rien qu’ils craignent de perdre si ce n’est des biens temporels. — L’œil de Jacob est vers la terre . Mais comme il est dit dans le livre des Proverbes : Ce que craint l’impie viendra contre lui . C’est pourquoi les Romains, après la Passion du Seigneur et sa glorification, leur arrachèrent et le lieu et la nation, s’emparant de l’un par la force et déportant l’autre .
1573. L’Évangéliste expose ici la détermination qui lève ce doute.
D’abord il montre la détermination, puis son explication , enfin l’acceptation de la sentence par l’assemblée .
A propos du premier point il fait deux choses. D’abord il décrit la personne de celui qui prononce la sentence . Ensuite il expose les paroles de la sentence .
1574. La personne qui juge est décrite par le nom et par la dignité.
Par le nom, parce qu’il s’appelait CAÏPHE; et ce nom convient à sa malice. En effet, il a d’abord le sens de "celui qui scrute", ce qu’il atteste par sa présomption — Celui qui se fait le scrutateur de la majesté sera accablé par la gloire . Il a eu en effet de la présomption quand il a dit : Je t’adjure, de par le Dieu vivant, de me dire si c’est toi qui es le Christ, le Fils de Dieu . En second lieu, le nom de Caïphe a le sens de "sagace", ce qu’il atteste par son astuce, sur laquelle il s’appuie pour obtenir la mort du Christ. Enfin, il a le sens de "vomissant de la bouche", ce qu’il atteste par sa sottise . — Comme le chien qui retourne à son vomissement .
Et Caïphe est décrit quant à la dignité : COMME IL ÉTAIT GRAND PRÊTRE CETTE ANNÉE-LÀ. A ce propos il faut savoir que, comme il est dit au livre du Lévitique , le Seigneur a institué un seul souverain prêtre auquel, à sa mort, succéderait un seul qui exercerait la charge du pontificat pendant toute sa vie. Or par la suite, l’ambition et la rivalité croissant parmi les Juifs, i établi que plusieurs seraient grands prêtres, que leur adviendrait à tous, chacun à son tour, une telle dignité, et que par roulement ils serviraient pour un an . Et aussi, parfois, ils se procuraient [cette charge] par de l’argent, comme Josèphe le raconte au sujet de celui-ci . Et pour montrer cela, l’Evangéliste dit : CETTE ANNÉE-LÀ.
1575. L’Évangéliste transmet ensuite les paroles de celui qui détermine; et d’abord celui-ci reproche aux autres leur mollesse, en disant : VOUS, VOUS N’Y ENTENDEZ RIEN ET VOUS NE RÉFLÉCHISSEZ PAS, comme s’il disait : vous êtes mous, et jusqu’à présent vous considérez l’affaire très nonchalamment. Et c’est pourquoi il met en avant sa malice, en disant : IL VAUT MIEUX POUR VOUS QU’UN SEUL HOMME MEURE POUR LE PEUPLE. Ces paroles ont une intelligence autre selon l’intention de Caïphe et selon l’explication de l’Evangéliste .
Pour expliciter d’abord ces paroles selon l’intention mauvaise [de Caïphe], il faut savoir qu’on trouve au livre du Deutéronome, ce commandement du Seigneur S’il existe au milieu de toi un prophète, ou quelqu’un qui dit avoir vu un songe, et veut t’écarter du Seigneur, ce prophète ou ce faiseur de songes sera mis à mort Donc selon cette loi, Caïphe croyait que le Christ détournerait le peuple du culte de Dieu — Nous avons trouvé cet homme bouleversant notre nation Et c’est pourquoi il disait : VOUS N’Y ENTENDEZ BIEN, c’est-à-dire à la Loi, ET VOUS NE RÉFLÉCHISSEZ PAS QU’IL VAUT MIEUX POUR VOUS QU’UN SEUL, c’est-à-dire cet homme, MEURE, pour que tout le peuple ne soit pas séduit; comme s’il disait : il faut mépriser le salut d’un seul homme en faveur de la vie politique commune. C’est pourquoi le livre du Deutéronome ajoute : Et tu arracheras le mal du milieu de ton peuple. — "Enlevez le mal du milieu de vous-mêmes".
1576. Mais l’Évangéliste expose cela autrement, en disant : OR CELA IL NE LE DIT PAS DE LUI-MÊME; MAIS COMME IL ÉTAIT GRAND PRÊTRE CETTE ANNÉE-LÀ, IL PROPHÉTISA QUE JESUS DEVAIT MOURIR POUR LA NATION, ET NON POUR LA NATION SEULEMENT, MAIS ENCORE POUR RASSEMBLER EN UN LES FILS DE DIEU QUI ÉTAIENT DISPERSÉS.
Où l’Evangéliste présente d’abord l’auteur de ces paroles, puis leur sens exact ; après quoi il ajoute [une remarque] aux paroles de Caïphe .
1577. À propos du premier point, il faut savoir ceci : parce qu’on pourrait croire que Caïphe avait proféré sous sa propre impulsion [instinctu] les paroles susdites, l’Evangéliste, excluant cela, dit : OR CELA, IL NE LE DIT PAS DE LUI-MÊME. Par là est donné à entendre que parfois quelqu’un parle de lui-même . L’homme, en effet, est ce qui en lui-même est principal , c’est-à-dire l’intelligence et la raison.
C’est pourquoi l’homme est ce qu’il est par la raison. Donc, quand l’homme parle à partir de sa propre raison, alors il parle de lui-même, mais quand il parle de par un instinct supérieur et extérieur à lui, il ne parle pas de lui-même. Cependant cela arrive de deux manières. Quelquefois comme mû par l’Esprit divin, selon ce que dit Matthieu : Car ce n’est pas vous qui parlez, mais c’est l’Esprit de votre Père qui parle en vous Mais quelquefois, c’est comme mû par un esprit malin — ainsi les possédés. Pour l’un et l’autre, on dit parfois qu’ils prophétisent. Que certes ceux qui sont mûs par l’Esprit divin prophétisent, cela est dit dans la deuxième épître de Pierre En effet ce n'est pas par une volonté humaine qu’a jamais été apportée une prophétie, mais c’est inspirés par l’Esprit-Saint qu’ont parlé les saints hommes de Dieu . Mais que ceux qui sont mus par un esprit malin prophétisent, on le trouve au livre de Jérémie : Le Seigneur t’a établi prêtre à la place de Yehoyada, le prêtre, pour que tu sois chef dans la maison du Seigneur sur tout homme possédé et qui prophétise .
Il faut savoir aussi que, parfois, un homme parle sous la motion de l’Esprit Saint ou d’un esprit malin en perdant cependant l’usage de la raison et étant possédé; mais que parfois lui demeure le libre usage de la raison, et qu’il n’est pas possédé. Car quand les forces sensibles surabondent à partir d’une impression supérieure, la raison est liée, et on est mû et possédé. Mais parce que le démon a la puissance de faire impression dans l’imagination, puisqu’elle est une puissance attachée à un organe, il peut parfois faire impression sur elle de telle sorte qu’à cause de l’abondance de l’impression, la raison devient comme liée, sans cependant être poussée au consentement; et alors l’homme est possédé par un esprit malin.
1578. Il reste donc une question : Caïphe a-t-il dit ces paroles sous la notion de l’Esprit Saint ou de l’esprit malin? Il semble qu’il n’ait pas dit cela sous la motion de l’Esprit Saint : car l’Esprit Saint est l’Esprit de vérité, comme il est dit plus loin, alors que l’esprit malin est l’esprit de mensonge — Je sortirai, et je serai un esprit de mensonge dans la bouche de tous ses prophètes Or c’est un fait établi que Caïphe a proféré un mensonge en disant
IL VAUT MIEUX POUR VOUS QU’UN SEUL HOMME MEURE, puisque cela ne leur fut pas avantageux. Mais il aurait dit vrai s’il avait affirmé : il est avantageux pour le peuple qu’un seul homme meure. Donc il ne parla pas sous la motion de l’Esprit-Saint, semble-t-il, mais il prophétisa sous l’instinct d’un esprit malin, possédé.
Mais cela ne semble pas être en accord avec les paroles de l’Evangile : car s’il en était ainsi, Jean n’aurait pas ajouté
COMME IL ÉTAIT GRAND PRÊTRE CETTE ANNÉE-LÀ. Il a donc ajouté la dignité de Caïphe, pour suggérer qu’il avait parlé sous la motion de l’Esprit — Saint. Par là nous est donné à entendre que même les méchants établis dans une dignité, l’Esprit-Saint les meut pour dire des choses vraies et à venir, pour l’utilité de ceux-là seulement qui leur sont soumis .
Donc, par rapport à ce qui est dit en sens contraire, c’est-à-dire que ces paroles : IL VAUT MIEUX POUR VOUS QU’UN SEUL HOMME MEURE POUR LE PEUPLE sont fausses, on peut répondre de deux manières. En un sens on peut dire que la mort du Christ en elle-même fut avantageuse pour tous, même pour ceux qui l’ont tué — Lui qui est le Sauveur de tous les hommes, surtout de ceux qui ont la foi . — Afin que, par la grâce de Dieu, pour tous [les hommes], il ait goûté la mort . D’une autre manière, [on peut répondre], que : IL VAUT MIEUX POUR VOUS, signifie pour le peuple. C’est pourquoi l’Evangéliste, là où Caïphe dit QU’UN SEUL HOMME MEURE pour vous, met POUR LA NATION.
1579. Mais d’après les paroles de l’Evangéliste, IL PROPHÉTISA, il semble que Caïphe fut prophète. Si en effet quelqu’un prophétise, il s’ensuit qu’il est prophète. Cependant, selon Origène , il ne s’ensuit pas que quiconque prophétise soit prophète mais s’il est prophète, de toutes façons il prophétise. Car parfois est accordé à quelqu’un l’acte d’une chose dont cependant la condition ne lui est pas accordée. De même que n’est pas juste quiconque fait quelque chose de juste, mais celui qui est juste fait des choses justes.
Or il faut noter que deux actes concourent au fait que quelqu’un prophétise d’une manière vraie : à savoir [l'acte] de voir — c’est pourquoi il est dit dans le premier livre de Samuel : Celui qui maintenant est dit prophète était appelé autrefois voyant — ; de même [l'acte] d’annoncer — Le prophète parle aux hommes pour édifier, exhorter, consoler . Or il arrive parfois que quelqu’un ait l’un et l’autre, et ne soit cependant pas dit proprement prophète. Car parfois quelqu’un a une vision prophétique, comme Nabuchodonosor et Pharaon ; et semblablement, ils ont annoncé aux autres la vision elle-même. Ils ne peuvent cependant être dits prophètes, parce qu’il leur a manqué quelque chose, c’est-à-dire l’intelligence de la vision, qui est requise dans la vision, comme il est dit au livre de Daniel . Or Caïphe, bien qu’il n’ait pas eu de vision prophétique, eut cependant l’annonce de la réalité prophétisée, en tant qu’il annonça l’utilité de la mort du Christ. Car parfois l’Esprit Saint meut à tout ce qu’implique la prophétie, et parfois à un aspect seulement. Il n’illumina ni l’esprit de Caïphe, ni son imagination, et c’est pourquoi son esprit et son imagination demeurèrent tendus vers le mal. Il mut cependant sa langue pour proférer la manière dont le salut du peuple serait accompli. C’est pourquoi il n’est pas dit prophète, si ce n’est en tant qu’il eut un acte prophétique dans l’annonce, son imagination et sa raison étant tournées vers le contraire. A partir de cela, il est évident qu’il ne peut pas plus être dit prophète que l’ânesse de Balaam .
1580. L’Évangéliste ajoute ici quelque chose aux paroles du grand prêtre, en disant que Jésus ne devait pas mourir seulement pour la nation, c’est-à-dire le peuple juif, comme le dit Caïphe — Jésus, pour sanctifier le peuple par son propre sang, a souffert en dehors de la porte ; mais il ajoute qu’il devait mourir aussi pour le monde entier. C’est pourquoi il poursuit : POUR RASSEMBLER EN UN LES FILS DE DIEU QUI ÉTAIENT DISPERSÉS.
Là il faut prendre garde à l’hérésie des manichéens, qui disent que certaines âmes sont de substance divine et sont appelées fils de Dieu; et ils disent que c’est pour les rassembler dans l’unité que Dieu est venu. Mais cela est une erreur, parce que, comme il est dit au livre d’Ezéchiel , toutes les âmes sont miennes, c’est-à-dire par la création. Et c’est pourquoi ce qu’il dit : POUR RASSEMBLER EN UN LES FILS DE DIEU QUI ÉTAIENT DISPERSÉS, il ne faut pas le comprendre de ce qu’ils eussent alors déjà reçu l’esprit d’adoption. Parce que, comme le dit Grégoire , ils n’étaient de Dieu jusqu’à présent ni les brebis, ni les fils de Dieu . Mais il faut le comprendre selon la prédestination, en ce sens POUR QUE LES FILS DE DIEU, c’est-à-dire les prédestinés depuis l’éternité — Ceux qu’il a prédestinés à être conformes à l’image de son Fils —, QUI ÉTAIENT DISPERSÉS en différents rites et nations, IL LES RASSEMBLE EN UN, c’est-à-dire dans l’unité de la foi — J’ai d’autres brebis qui ne sont pas de ce bercail; celles-là aussi, il faut que je les conduise; et elles écouteront ma voix, et il y aura alors un seul troupeau, un seul pasteur . — Bâtissant Jérusalem, le Seigneur rassemblera les dispersés d’Israël .
1581. L’Évangéliste montre ensuite l’accord des Juifs en vue de la mort du Christ.
Mais n’ont-ils pas auparavant médité de le tuer? Il semble que si : parce qu’il est dit plus haut, en plusieurs endroits, que les Juifs cherchaient à le tuer.
Je réponds. Il faut dire qu’auparavant ils furent, certes, poussés à le tuer; mais qu’à partir de ce jour-là, excités à la colère par les paroles de Caïphe, ils manigancèrent avec le ferme dessein de tuer le Seigneur — Leurs pieds courent au mal et ils se hâtent pour répandre le sang .
Le Christ se dérobe à la malice des Juifs.
1582. Ici l’Évangéliste expose comment le Christ s’est dérobé à la malice des Juifs, d’abord en montrant la manière dont le Christ s’y dérobe, puis en montrant l’étonnement que cela a produit dans le peuple .
1583. La manière dont le Christ se déroba à leur malice fut de se cacher et de s’éloigner des Juifs. Car Jésus, après le conseil, les observant très prudemment, NE CIRCULAIT PLUS OUVERTEMENT PARMI LES JUIFS; il ne s’en alla pas dans une cité peuplée mais DANS UNE RÉGION retirée, PROCHE DU DÉSERT, DANS UNE VILLE APPELÉE ÉPHRAÏM, ET LÀ IL SÉJOURNAIT AVEC SES DISCIPLES .
1584. Mais sa puissance lui avait-elle manqué, puissance par laquelle, s’il l’avait voulu, il se serait tenu ouvertement parmi les Juifs sans qu’ils lui fassent rien? Loin de là! Il fit cela, non à cause d’un manque de puissance, mais pour donner un exemple aux disciples. En cela il apparaît qu’il n’y a pas de péché si ceux qui croient en lui se dérobent aux yeux de ceux qui les poursuivent, et évitent la fureur des scélérats en se cachant, plutôt que de les enflammer davantage en se montrant .
Selon cette parole de l’évangile de saint Matthieu : Si vous êtes poursuivis dans une ville, fuyez dans une autre .
Origène , lui, dit que personne ne doit se jeter dans les périls; cependant il est fort louable, quand les dangers sont déjà imminents, de ne pas éviter de confesser Jésus, ni de refuser de subir la mort pour la vérité. Et cela pour deux raisons. En premier lieu parce qu’il est fort présomptueux de se jeter dans les périls à cause de l’inexpérience qu’on a de sa propre force, qui parfois est trouvée fragile, et à cause de l’incertitude qu’on a des événements futurs — Que celui qui croit tenir debout prenne garde de tomber . Ensuite afin que, jetés parmi les persécuteurs, nous ne leur donnions pas l’occasion de devenir plus impies et nuisibles — Ne soyez pas une occasion de chute pour les Juifs, ni pour les Gentils, ni pour l’Eglise de Dieu .
1585. L’Évangéliste expose ici l’étonnement que cela a produit dans le peuple, et d’abord l’occasion de s’étonner, ensuite l’étonnement lui-même , enfin la raison de l’étonnement .
1586. L’Évangéliste montre que l’occasion de chercher et de s’étonner est double.
La première occasion vient certes de la condition du temps, parce que LA PÂQUE DES JUIFS ÉTAIT PROCHE : et dans cette fête est rappelée la mémoire du passage des Hébreux hors d’Egypte — C’est en effet une Pâque, c’est-à-dire un passage du Seigneur . S’il ajoute DES JUIFS, c’est parce que la Pâque même, les Juifs la célébraient d’une manière mauvaise et indue. Car quand nous célébrons la Pâque avec dévotion, alors elle est dite Pâque de Dieu — Je ne supporterai pas vos festivités .
Mais la seconde vient du concours du peuple, parce que BEAUCOUP DE GENS MONTÈRENT DE LA CAMPAGNE À JÉRUSALEM. Car, comme on le lit au livre de l’Exode , à trois moments dans l’année, à trois fêtes, les fils d’Israël devaient se présenter au Seigneur; parmi ces trois fêtes la première était la Pâque, et c’est pourquoi une grande foule montait à Jérusalem, où était le Temple.
Mais parce que ce n’était pas encore le temps de la Pâque, où ils devaient monter, l’Evangéliste précise ensuite la cause de leur montée, en ajoutant POUR SE PURIFIER. Personne en effet ne devait manger l’agneau sans être pur, et c’est pourquoi ils devançaient le temps de la Pâque pour, entre-temps, en se purifiant eux-mêmes, pouvoir manger l’agneau pascal selon le rite. En cela nous est donné l’exemple de nous purifier au temps du Carême par des jeûnes et des bonnes œuvres, pour prendre à la Pâque le corps de notre Seigneur, selon le rite.
1587. L’étonnement est causé par l’absence du Seigneur; et c’est ce qu’il dit : ILS CHERCHAIENT DONC JÉSUS, non certes pour l’honorer, mais pour le tuer, ET SE DISAIENT LES UNS AUX AUTRES, EN SE TENANT DANS LE TEMPLE : "QUE PENSEZ-VOUS? QU’IL NE VIENDRA PAS À CETTE FÊTE?"
Mais il faut noter que quand une fête se passe d’une manière sainte, le Seigneur est toujours [mutuellement] à ce jour de fête — Partout où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux . Et c’est pourquoi nous, réunis dans la maison de Dieu, cherchons Jésus, en nous consolant [mutuellement] et en implorant qu’il vienne à notre jour de fête. Mais quand la fête ne se passe pas d’une manière sainte, alors Jésus ne vient pas : Je ne supporterai pas vos festivités, vos réunions sont iniques. Vos calendes et vos solennités, mon âme les a haïes .
1588. La raison de l’étonnement du peuple et de l’absence de Jésus vient ensuite LES GRANDS PRÊTRES ET LES PHARISIENS AVAIENT DONNÉ DES ORDRES : SI QUELQU’UN CONNAÎT OÙ IL, c’est-à-dire Jésus, EST, QU’IL L’INDIQUE, POUR QU’ON L’APPRÉHENDE, c’est-à-dire pour le tuer. Plus haut il est dit : Vous me chercherez, et dans votre péché vous mourrez .
Mais comme le dit Augustin , nous qui savons où est le Christ, à la droite du Père, nous l’indiquerons aux Juifs, pour qu’ainsi, si possible, ils l’appréhendent par la foi.
Il peut savoir que nous trouvons une double vérité dans l’Évangile : l’une, incréée, et qui fait, facientem ; et c’est le Christ : « Je suis la voie, la vérité et la vie » (Jn 14, 6) ; l’autre, qui est faite, factam : « La grâce et la vérité ont été faites par Jésus-Christ » (1, 17). En effet, la vérité, de par sa raison, implique une commensuration de la réalité à l’intellect. Or l’intellect se compare aux choses de deux manières. D’une part, comme mesure des choses existantes, et c’est celui qui est cause des choses ; d’autre part, comme mesuré par la réalité, et c’est celui dont la connaissance est causée par la chose. Donc la vérité n’est pas dans l’intellect divin parce que celui-ci serait lui-même adéquat aux choses, mais parce que les choses sont rendues adéquates à l’intellect divin. Mais dans notre intellect, s’il y a de la vérité, c’est parce qu’il intellige les choses comme elles sont en réalité (lit. se comportent, se habent). Et ainsi la vérité incréée et l’intellect divin sont une vérité non mesurée ni faite, mais une vérité ni faite, mais une vérité qui mesure et qui fait une double vérité : l’une dans les choses elles-mêmes, en tant qu’elle les rend (facit, fait) telles qu’elles sont dans l’intellect divin ; et l’autre qu’elle fait (produit) dans nos âmes, qui est une vérité mesurée seulement, et non mesurante. Et de là vient que la vérité incréée est appropriée au Fils, qui est la conception même de l’intellect divin, et le Verbe de Dieu. En effet la vérité fait suite à la conception de l’intellect.