Jean 15, 13
Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime.
Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime.
Personne ne peut avoir un plus grand amour… Quelle est, parmi les hommes, la preuve la plus
parfaite de la charité fraternelle, et celle qui réalise le suprême idéal, de sorte que « personne » ne puisse aller
au-delà ? - Que de donner sa vie pour ses amis. En effet, nous n’avons rien de plus précieux que notre vie, et
nous ne pouvons pas faire de plus grand sacrifice que de la donner pour ses amis. Cf. Rom. 5, 6-8. Ce
sacrifice, N.-S. Jésus-Christ allait l’accomplir le lendemain.
Jésus, le Fils de Dieu, ayant manifesté sa charité en donnant sa vie pour nous, personne ne peut aimer davantage qu’en donnant sa vie pour lui et pour ses frères (cf. 1 Jn 3, 16 ; Jn 15, 13). À ce témoignage suprême d’amour rendu devant tous et surtout devant les persécuteurs, depuis la première heure, quelques-uns parmi les chrétiens ont été appelés et d’autres y seront appelés sans cesse. C’est pourquoi le martyre dans lequel le disciple est assimilé à son maître, acceptant librement la mort pour le salut du monde, et rendu semblable à lui dans l’effusion de son sang, est considéré par l’Église comme une grâce éminente et la preuve suprême de la charité. Que si cela n’est donné qu’à un petit nombre, tous cependant doivent être prêts à confesser le Christ devant les hommes et à le suivre sur le chemin de la croix, à travers les persécutions qui ne manquent jamais à l’Église.
3. Dans sa prédication, il a clairement affirmé que des fils de Dieu ont l’obligation de se comporter entre eux comme des frères. Dans sa prière, il a demandé que tous ses disciples soient « un». Bien plus, lui-même s’est offert pour tous jusqu’à la mort, lui, le rédempteur de tous. « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (Jn 15, 13). Quant à ses Apôtres, il leur a ordonné d’annoncer à toutes les nations le message évangélique, pour faire du genre humain la famille de Dieu, dans laquelle la plénitude de la loi serait l’amour.
Ce sacrifice du Christ est unique, il achève et dépasse tous les sacrifices (cf. He 10, 10). Il est d’abord un don de Dieu le Père lui-même : c’est le Père qui livre son Fils pour nous réconcilier avec lui (cf. 1 Jn 4, 10). Il est en même temps offrande du Fils de Dieu fait homme qui, librement et par amour (cf. Jn 15, 13), offre sa vie (cf. Jn 10, 17-18) à son Père par l’Esprit Saint (cf. He 9, 14), pour réparer notre désobéissance.
La Loi s'accomplit dans l'histoire de Jésus de Nazareth, et le cœur nouveau est donné par son Esprit. En effet, Jésus ne renie pas la Loi mais il l'accomplit (cf. Mt 5, 17): la Loi et les Prophètes se résument dans la règle d'or de l'amour mutuel (cf. Mt 7, 12). En Jésus, la Loi devient définitivement « évangile », bonne nouvelle de la seigneurie de Dieu sur le monde, qui rapporte toute l'existence à ses racines et à ses perspectives originelles. C'est la Loi nouvelle, « la loi de l'Esprit qui donne la vie dans le Christ Jésus » (Rm 8, 2), dont l'expression fondamentale, à l'imitation du Seigneur qui donne sa vie pour ses amis (cf. Jn 15, 13), est le don de soi dans l'amour pour les frères: « Nous savons, nous, que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères » (1 Jn 3, 14). C'est une loi de liberté, de joie et de béatitude.
Lui qui n'était pas « venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude » (Mc 10, 45), il atteint sur la Croix le sommet de l'amour: « Nul n'a plus grand amour que celui-ci: donner sa vie pour ses amis » (Jn 15, 13). Et lui-même est mort pour nous alors que nous étions encore pécheurs (cf. Rm 5, 8).
C'est dans un tel contexte, riche d'humanité et d'amour, que prennent aussi naissance les gestes héroïques. Ceux-ci sont la célébration la plus solennelle de l'Evangile de la vie, parce qu'ils le pro- clament par le don total de soi; ils sont la lumineuse manifestation du degré d'amour le plus élevé: donner sa vie pour la personne qu'on aime (cf. Jn 15, 13); ils sont la participation au mystère de la Croix, sur laquelle Jésus révèle tout le prix qu'a pour lui la vie de tout homme et comment cette vie se réalise pleinement dans le don total de soi. Au-delà des actions d'éclat, il y a l'héroïsme au quotidien, fait de petits ou de grands gestes de partage qui enrichissent une authentique culture de la vie. Parmi ces gestes, il faut particulièrement apprécier le don d'organes, accompli sous une forme éthiquement acceptable, qui permet à des malades parfois privés d'espoir de nouvelles pers- pectives de santé et même de vie.
Ce « comme » indique aussi la mesure avec laquelle Jésus a aimé et avec laquelle ses disciples doivent s'aimer entre eux. Après avoir dit : « Voici quel est mon commandement : vous aimer les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 15, 12), Jésus poursuit en révélant le don sacrificiel de sa vie sur la Croix, témoignage d'un amour « jusqu'à la fin » (Jn 13, 1) : « Nul n'a plus grand amour que celui-ci : donner sa vie pour ses amis » (Jn 15, 13).
On peut alors comprendre le vrai sens de la loi naturelle : elle se réfère à la nature propre et originale de l'homme, à la « nature de la personne humaine » 89, qui est la personne elle-même dans l'unité de l'âme et du corps, dans l'unité de ses inclinations d'ordre spirituel ou biologique et de tous les autres caractères spécifiques nécessaires à la poursuite de sa fin. « La loi morale naturelle exprime et prescrit les finalités, les droits et les devoirs qui se fondent sur la nature corporelle et spirituelle de la personne humaine. Aussi ne peut-elle pas être conçue comme normativité simplement biologique, mais elle doit être définie comme l'ordre rationnel selon lequel l'homme est appelé par le Créateur à diriger et à régler sa vie et ses actes, et, en particulier, à user et à disposer de son propre corps » Par exemple, l'origine et le fondement du devoir de respecter absolument la vie humaine doivent être cherchés dans la dignité propre à la personne et non pas seulement dans l'inclination naturelle à conserver sa vie physique. Ainsi la vie humaine, tout en étant un bien fondamental de l'homme, acquiert une signification morale par rapport au bien de la personne, qui doit toujours être reconnue pour elle-même : s'il est toujours moralement illicite de tuer un être humain innocent, il peut être licite et louable de donner sa vie (cf. Jn 15, 13) par amour du prochain ou pour rendre témoignage à la vérité, et cela peut même être un devoir. En réalité, ce n'est qu'en référence à la personne humaine dans sa « totalité unifiée », c'est-à-dire « une âme qui s'exprime dans un corps et un corps animé par un esprit immortel » 91, que l'on peut déchiffrer le sens spécifiquement humain du corps. En effet, les inclinations naturelles ne prennent une qualité morale qu'en tant qu'elles se rapportent à la personne humaine et à sa réalisation authentique qui, d'autre part, ne peut jamais exister que dans la nature humaine. L'Eglise sert l'homme en refusant les manipulations affectant la corporéité, qui en altèrent la signification humaine, et elle lui montre la voie de l'amour véritable, sur laquelle seule il peut trouver le vrai Dieu.
En outre, Jésus révèle, par sa vie même et non seulement par ses paroles, que la liberté s'accomplit dans l'amour, c'est-à-dire dans le don de soi. Lui qui dit : « Nul n'a plus grand amour que celui-ci : donner sa vie pour ses amis » (Jn 15, 13) marche librement vers sa Passion (cf. Mt 26, 46) et, dans son obéissance au Père, il livre sa vie sur la Croix pour tous les hommes (cf. Ph 2, 6-11). La contemplation de Jésus crucifié est donc la voie royale sur laquelle l'Eglise doit avancer chaque jour si elle veut comprendre tout le sens de la liberté : le don de soi dans le service de Dieu et de ses frères. Et la communion avec le Seigneur crucifié et ressuscité est la source intarissable à laquelle l'Eglise puise sans cesse pour vivre librement, se donner et servir. En commentant ce verset du Psaume 100 99 « servez le Seigneur dans l'allégresse », saint Augustin dit : « Dans la maison du Seigneur, l'esclavage est libre. L'esclavage est libre, lorsque ce n'est pas la contrainte mais la charité qui sert... Que la charité te rende esclave, puisque la vérité t'a rendu libre... Tu es en même temps esclave et homme libre : esclave, car tu l'es devenu ; homme libre, car tu es aimé de Dieu, ton Créateur ; bien plus, tu es libre parce que tu aimes ton Créateur... Tu es l'esclave du Seigneur, l'affranchi du Seigneur. Ne cherche pas à être libéré en t'éloignant de la maison de ton libérateur ! » Ainsi l'Eglise, et tout chrétien en elle, est appelée à participer au munus regale du Christ en Croix (cf. Jn 12, 32), à la grâce et à la responsabilité du Fils de l'homme qui « n'est pas venu pour être servi, mais pour servir et pour donner sa vie en rançon pour une multitude » (Mt 20, 28)
Le Royaume doit transformer les rapports entre les hommes et se réalise progressivement, au fur et à mesure qu'ils apprennent à s'aimer, à se pardonner, à se mettre au service les uns des autres. Jésus reprend toute la Loi, en la centrant sur le commandement de l'amour (cf. Mt 22, 34-40; Lc 10, 25-28). Avant de quitter les siens, Jésus leur donne un « commandement nouveau »: « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés » (Jn 13, 34; cf. 15, 12). L'amour dont Jésus a aimé le monde trouve son expression la plus haute dans le don de sa vie pour les hommes (cf. Jn 15, 13) qui manifeste l'amour que le Père a pour le monde (cf. Jn 3, 16). C'est pourquoi la nature du Royaume est la communion de tous les êtres humains entre eux et avec Dieu.
Participant à l'Eucharistie, nous sommes appelés à découvrir par ce sacrement le sens profond de notre action dans le monde en faveur du développement et de la paix; et à recevoir de lui la force de nous consacrer avec toujours plus de générosité, à l'exemple du Christ qui dans ce Sacrement donne sa vie pour ses amis (cf. Jn 15, 13). Notre engagement personnel, comme celui du Christ et en union avec lui, ne sera pas inutile mais assurément fécond.
La preuve la plus grande de la fiabilité de l’amour du Christ se trouve dans sa mort pour l’homme. Si donner sa vie pour ses amis est la plus grande preuve d’amour (cf. Jn 15, 13), Jésus a offert la sienne pour tous, même pour ceux qui étaient des ennemis, pour transformer leur cœur. Voilà pourquoi, selon les évangélistes, le regard de foi culmine à l’heure de la Croix, heure en laquelle resplendissent la grandeur et l’ampleur de l’amour divin. Saint Jean place ici son témoignage solennel quand, avec la Mère de Jésus, il contempla celui qu’ils ont transpercé (cf. Jn 19, 37). « Celui qui a vu rend témoignage — son témoignage est véritable, et celui-là sait qu’il dit vrai — pour que vous aussi vous croyiez » (Jn 19, 35). F. M. Dostoïevski, dans son œuvre L’idiot, fait dire au protagoniste, le prince Mychkine, à la vue du tableau du Christ mort au sépulcre, œuvre de Hans Holbein le Jeune : « En regardant ce tableau un croyant peut perdre la foi ». La peinture représente en effet, de façon très crue, les effets destructeurs de la mort sur le corps du Christ. Toutefois, c’est justement dans la contemplation de la mort de Jésus que la foi se renforce et reçoit une lumière éclatante, quand elle se révèle comme foi dans son amour inébranlable pour nous, amour qui est capable d’entrer dans la mort pour nous sauver. Il est possible de croire dans cet amour, qui ne s’est pas soustrait à la mort pour manifester combien il m’aime ; sa totalité l’emporte sur tout soupçon et nous permet de nous confier pleinement au Christ.