Jean 19, 22
Pilate répondit : « Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit. »
Pilate répondit : « Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit. »
De même que l'on met sur les trophées des inscriptions qui rappellent les victoires des triomphateurs, ainsi Pilate place une inscription sur la croix de Jésus: «Pilate fit aussi une inscription qu'il fit mettre au haut de la croix». Il veut par là prendre la défense de Jésus-Christ et séparer sa cause de celle des voleurs, et tout à la fois se venger des Juifs, en faisant ainsi connaître publiquement l'excès de leur malice, qui les a portés à s'élever contre leur propre roi: «Il y était écrit: Jésus de Nazareth, roi des Juifs».
L'envie des Juifs poursuit Jésus-Christ jusque sur la croix: «Les princes des prêtres dirent donc à Pilate: N'écrivez point: Le roi des Juifs; mais qu'il s'est dit roi des Juifs». Car cette inscription semble affirmer la proposition qu'elle exprime; mais si l'on ajoute: Qu'il s'est dit roi des Juifs, on y verra une preuve de son audacieuse et criminelle ambition. Mais Pilate persévère dans son premier dessein: «Pilate répondit: Ce qui est écrit est écrit».
Il est vraisemblable qu'un grand nombre de Gentils s'étaient rendus avec les Juifs à Jérusalem pour la fête de Pâque, et afin que tous pussent lire cette inscription, elle fut écrite non dans une seule langue, mais dans trois langues différentes: «Elle était écrite en hébreu, en grec et en latin».
Mais est-ce que Jésus est seulement le roi des Juifs? a'est-il pas aussi le roi des Gentils? Oui sans doute, il l'est aussi des Gentils, car après avoir dit par la bouche du prophète: «J'ai été établi roi par lui sur Sion, sa montagne sainte», il ajoute: «Demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour héritage» ( Ps 20) Il nous faut donc voir dans cette inscription un grand mystère, c'est-à-dire, que l'olivier sauvage a pris part à la sève et au suc de l'olivier ( Rm 11, 17), et que ce n'est pas l'olivier franc qui a pris part à l'amertume de l'olivier sauvage. Jésus-Christ est donc le roi des Juifs, mais des Juifs circoncis de coeur plutôt qu'extérieurement, de cette circoncision qui se fait par l'esprit, et non par la lettre.
O puissance ineffable de l'action de Dieu jusque dans les coeurs de ceux qui la méconnaissent ! Ne semble-t-il pas qu'une voix secrète, un silence qui avait son éloquence faisait retentir aux oreilles de son âme ce qui avait été prédit si longtemps auparavant dans le livre des Psaumes: «Ne changez pas l'inscription du titre ?» Mais que dites-vous, prêtres insensés ! Cette inscription cessera-t-elle d'être vraie, parce que Jésus a dit: «Je suis roi des Juifs ?» Si l'on ne peut changer ce que Pilate a écrit, pourra-t-on changer ce qui est affirmé par la vérité elle-même? Pilate a écrit ce qu'il a écrit, parce que le Seigneur a véritablement dit ce qu'il a dit.
Ces trois langues étaient alors les plus répandues: la langue hébraïque, qui était celle des justes, qui se glorifiaient de leur loi; la langue grecque, celle des sages parmi les païens; la langue latine, qui était celle des Romains, dont la domination s'étendait alors sur presque toutes les nations de la terre.
Il était ainsi démontré que le règne de Jésus-Christ, loin d'être détruit comme le pensaient les Juifs, était bien plutôt affermi.
Cette inscription en trois langues signifiait que le Christ était le roi des trois sciences, la science pratique, la physique et la théologie. La langue latine figure la science pratique, les Romains ayant déployé, dans leurs expéditions, une puissance et une habileté sans égale; la la ngue grecque est le symbole de la science physique, parce qu'en effet les Grecs ont consacré tous leurs efforts à la découverte des phénomènes de la nature; enfin la langue hébraïque signifie la théologie, parce que c'est aux Juifs qu'a été confiée la connaissance des choses divines.
2418. Après avoir traité de la crucifixion du Christ, l'Évangéliste à présent nous rapporte ce qui la suit. Et d'abord les choses qui suivent la crucifixion quant à Pilate ; ensuite quant aux soldats [n° 2425] ; enfin quant aux amis qui se tenaient là [n° 2434].
Ce qui suit la crucifixion quant à Pilate.
Trois choses se rapportant à Pilate sont exposées, à savoir l'inscription d'un écriteau, la lecture qu'on en fit, et la conservation de l'inscription.
2419. Quant au premier point, deux choses sont montrées. D'abord l’inscription de l'écriteau : PILATE FIT UNE INSCRIPTION ET LA MIT SUR LA CROIX. Et cela convenait tout à fait afin de se venger des Juifs au moins par ceci : en montrant leur malice, puisqu'ils se soulevaient contre leur roi.
Mais cependant cela convient au mystère car, de même que, lors des triomphes, sur le trophée était posé l'écriteau montrant la victoire, parce que les hommes voulaient illustrer la mémoire de leur nom - Rendons notre nom célèbre avant d'être dispersés à travers toutes les terres -, ainsi le Seigneur voulut-il qu'une inscription fut faite sur la croix afin que sa Passion restât en mémoire - Souviens-toi de ma pauvreté et de l'excès commis contre moi, de l'absinthe et du fiel.
2420. En second lieu est exposé le contenu de l'inscription : IL Y ÉTAIT ÉCRIT : « JÉSUS DE NAZARETH, LE ROI DES JUIFS. » Et certes ces trois mots conviennent bien au mystère de la Croix, car ce qui est écrit, JÉSUS, qui signifie Sauveur, convient à la puissance de la Croix par laquelle s'est réalisé pour nous le salut - Tu lui donneras le nom de Jésus, car c'est lui qui sauvera le peuple de ses péchés. Quant à DE NAZARETH, qui se traduit « en fleur », cela se rapporte à l'innocence de celui qui souffre - Moi la fleur des champs, h lis des vallées. - Une fleur montera de sa racine. Quant à ROI DES JUIFS, cela se rapporte à la puissance de celui qui souffre et au pouvoir qu'il a mérité par sa Passion - C'est pourquoi Dieu l’α exalté. - II régnera, Seigneur, et sera sage . - Il siégera sur le trône de David et sur son royaume.
2421. Mais par la Croix il est non seulement roi des Juifs mais aussi des Gentils - Dieu est-il le Dieu des Juifs seulement ? Ne l'est-il pas aussi des Gentils ? Oui, certes, des Gentils aussi -, c'est pourquoi après avoir dit : Moi j'ai été établi roi sur Sion il ajoute : Demande-moi et je te donnerai les nations en héritage . Pourquoi donc écrit-il seulement : ROI DES JUIFS ?
Réponse : il faut dire que les Gentils ont été introduits dans la sève de l'olivier comme l'olivier sauvage . Et de même que l'olivier sauvage a part à la sève de l'olivier sans que l'olivier ait part à l'amertume de l'olivier sauvage, ainsi les Gentils eux-mêmes convertis à la foi sont devenus par leur confession Juifs en esprit, non pas d'une circoncision de la chair, mais de l'esprit. Et c'est pourquoi dans ce qui est dit - ROI DES JUIFS - sont compris aussi les Gentils convertis.
2422. L'Évangéliste regarde ensuite la lecture qu'on fit de cette inscription. D'abord est montrée la lecture de l'inscription : CETTE INSCRIPTION, BEAUCOUP DE JUIFS LA LURENT, par quoi est signifié que beaucoup sont sauvés par la foi, en lisant la Passion du Christ rapportée par ceux qui la virent - Ces choses ont été écrites afin que vous croyiez.
En second lieu nous est montrée la possibilité de lire ; et celle-ci est double. La première se prend de la proximité du lieu, vers lequel beaucoup affluaient PARCE QUE LE LIEU OÙ JÉSUS AVAIT ÉTÉ CRUCIFIÉ ÉTAIT PROCHE DE LA VILLE. L'autre provient du fait que l'inscription était écrite en plusieurs langues : ET ELLE ÉTAIT ÉCRITE EN HÉBREU, EN GREC ET EN LATIN, afin que nul ne l'ignore et parce que ces trois langues dominaient sur les autres. L'hébreu certes à cause du culte du Dieu unique ; le grec en raison de la sagesse ; le latin à cause de la puissance des Romains. C'est pourquoi ces trois nations revendiquent pour elles la dignité dans la Croix du Christ, comme le dit Augustin. Par là est signifié que, par la Croix du Christ, devaient être soumis les hommes pieux et religieux désignés par l'hébreu, les sages désignés par le grec et les puissants désignés par le latin.
Ou bien par l'hébreu était signifié que le Christ devait régner sur la philosophie théologique, qui est signifiée par l'hébreu parce que c'est aux Juifs qu'a été livrée la connaissance des réalités divines ; mais par le grec était signifié que le Christ devait régner sur la philosophie naturelle et physique, car les Grecs ont peiné sur la spéculation des réalités de la nature ; et par le latin était signifié qu'il devait régner sur la philosophie pratique, parce que chez les Romains prévalait surtout la science morale, afin qu'ainsi réduite en captivité, l'intelligence humaine soit ramenée à l'obéissance au Christ.
2423. Jean présente d'abord la tentative des Juifs pour supprimer l'inscription. En effet les grands prêtres des Juifs disaient à Pilate : N'ÉCRIS PAS : LE ROI DES JUIFS, MAIS QUE LUI-MÊME A DIT : « JE SUIS LE ROI DES JUIFS. » Car par là sont manifestés la proclamation du Christ et l'opprobre des Juifs, parce qu'il est proclamé ROI DES JUIFS. En effet c'est une honte pour les Juifs d'avoir fait crucifier leur roi.
Mais s'il avait été inscrit : LUI-MÊME A DIT : « JE SUIS LE ROI DES JUIFS », cet outrage serait retombé sur le Christ et aurait montré une faute de sa part. Et telle était leur intention, à savoir retirer sa renommée au crucifié à qui, vivant, ils avaient déjà retiré la vie - Ils parlaient contre moi, ceux qui se tenaient à la porte.
2424. En second lieu est présentée la constance de Pilate pour garder cette inscription parce que, voulant les couvrir d'ignominie, il ne voulut pas changer la phrase. Aussi PILATE RÉPONDIT : « CE QUE j'Ai ÉCRIT, JE L'AI ÉCRIT. » Et cela n'a pas été fait par hasard, mais préparé par Dieu longtemps auparavant et prophétisé. Car certains psaumes sont intitulés ainsi : « Ne corromps pas - De David - pour une inscription de titre (...) », psaumes qui, de fait, se rapportent surtout à la Passion du Christ, comme Arrache-moi, Seigneur, à mes ennemis, ainsi que les deux précédents : Pitié pour moi mon Dieu, pitié pour moi, car en toi se confie mon âme et Si c'est bien avec vérité que vous parlez de justice (...)
Aussi les grands prêtres protestaient-ils sottement, car de même qu'on ne peut corrompre ce qu'a dit la Vérité, de même ne peut être détruit ce que Pilate a écrit. En effet, Pilate a dit : « CE QUE J'AI ÉCRIT, JE L'AI ÉCRIT », parce que ce qu'a dit le Seigneur, il l'a dit, comme le dit Augustin.
Ce qui suit la crucifixion quant aux soldats.
2425. L'Évangéliste présente ce qui suivit la crucifixion quant aux soldats ; et d'abord le partage des vêtements, ensuite le tirage au sort de la tunique sans couture [n° 2427] ; enfin il rappelle une annonce prophétique [n° 2433].
2426. Quant au premier point, nous pouvons saisir deux choses, à savoir l'abjection de la mort du Christ par le fait qu'ils l'ont dénudé, ce qui se faisait seulement pour les personnes méprisables ; deuxièmement la rapacité des soldats parce qu'ILS PRIRENT SES VÊTEMENTS (ET ILS EN FIRENT QUATRE PARTS, UNE PART POUR CHAQUE SOLDAT). En effet ce genre d'homme est très rapace, aussi Jean Baptiste leur a-t-il dit : Ne molestez personne (...) contentez-vous de votre solde. - Ils renvoient des hommes tout nus, enlevant les vêtements à ceux qui n’ont pas de quoi se couvrir pendant le froid.
2427. Quant au deuxième point, il nous donne d'abord la description de la tunique, puis rapporte son tirage au sort [n° 2430].
2428. Il dit donc : ET SA TUNIQUE qu'ils prirent en même temps que les autres vêtements. OR LA TUNIQUE ÉTAIT SANS COUTURE, TISSÉE D'UNE SEULE PIÈCE À PARTIR DU HAUT. Et cela, il le dit pour montrer la raison pour laquelle on ne la divisa pas. À cause de cela, comme certains le disent, on peut deviner le grand prix de la tunique.
Mais Chrysostome au contraire dit que l'Évangéliste, en disant cela, suggère de manière cachée le peu de valeur du vêtement. Car en Palestine il existe un genre de vêtement pour les pauvres, fait de plusieurs pièces de tissu assemblées les unes aux autres comme une seule pièce - En effet nous connaissons la grâce de Notre-Seigneur Jésus Christ qui riche en tout s'est fait indigent (egenus) pour nous.
2429. Au sens mystique, cela peut se rapporter au Corps mystique du Christ ; et ainsi, les vêtements sont répartis en quatre parts parce que l'Église s'est répandue aux quatre coins du monde -Je suis vivant, moi, dit le Seigneur : de tous ceux-ci, comme d'un ornement, tu seras revêtue, et tu t'en pareras comme une épouse.
LA TUNIQUE (...) SANS COUTURE qui n'est pas divisée signifie la charité, parce que les autres vertus ne sont pas unies en elles-mêmes, mais sont unies par autre chose, dans la mesure où toutes se rassemblent dans la fin ultime, à laquelle seule la charité unit. Car même si la foi met en évidence la fin ultime et que l'espérance nous fait tendre vers elle, cependant seule la charité nous y unit - Gardant par-dessus tout la charité, qui est le lien de la perfection. Et il est dit qu'elle est TISSÉE (...) À PARTIR DU HAUT parce que la charité est au-dessus de toutes les autres vertus - Je vais vous montrer une voie encore plus excellente. - Connaître l'amour du Christ qui surpasse toute connaissance, afin que vous soyez comblés de toute la plénitude de Dieu. Ou bien parce que la charité ne vient pas de nous-mêmes mais de l'Esprit Saint - La chanté de Dieu a été répandue dans nos cœurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné.
Cela peut encore se rapporter au vrai corps du Christ, et ainsi elle est TISSÉE (...) À PARTIR DU HAUT parce que le corps du Christ a été formé par une puissance venue d'en haut, à savoir celle de l'Esprit Saint - Ce qui est né en elle vient de l'Esprit Saint.
2430. Il existe en effet un sort divinatoire, et celui-ci, parce qu'il n'a pas de nécessité, est illicite. Il existe aussi un autre sort permettant de diviser ; et celui-ci est licite pour les réalités du monde mais non pour les réalités spirituelles, en ce sens que les réalités que les hommes ne sont pas aptes à diviser selon leur propre jugement, ils les confient au jugement et au conseil divins - Les sorts se jettent dans le pli du vêtement, mais c'est par le Seigneur qu'ils sont dirigés, et encore : Le sort apaise la contradiction et décide entre les puissants.
2431. Cependant, on voit en Matthieu qu'ils tirèrent au sort ses vêtements. Réponse : il faut dire que Matthieu ne dit pas qu'ils les tirèrent tous au sort mais que, tandis qu'ils se partagèrent les autres vêtements, ils tirèrent au sort la tunique.
2432. En outre, Marc insiste encore davantage : Ils tirèrent au sort ce que chacun prendrait, donc toutes les parts. Réponse : il faut, selon Augustin, comprendre et présenter ainsi les paroles de Marc : Ils tirèrent au sort, c'est-à-dire [pour désigner] qui aurait quoi, c'est-à-dire lequel d'entre eux prendrait la tunique.
2433. Puis il expose la prophétie de l'Écriture quand il dit : AFIN QUE S'ACCOMPLÎT L'ÉCRITURE. D'abord est présentée l'annonce prophétique dans laquelle on remarque la diligence du prophète lorsqu'il annonçait aussi certains événements fâcheux qui allaient survenir concernant le Christ. Il est manifeste aussi que les choses prédites ne sont pas arrivées par hasard.
Et c'est pourquoi il dit AFIN QUE S'ACCOMPLÎT L'ÉCRITURE, c'est-à-dire suite à ce qu'a dit le psaume 21 – Ils se sont partagé mes vêtements - il ne dit pas « mon vêtement » parce qu'il y en avait plusieurs -, et sur mon vêtement, c'est-à-dire ma tunique, ils ont jeté le sort.
Ensuite est exposé l'accomplissement de la prophétie ET C'EST BIEN CE QUE FIRENT LES SOLDATS. Par là nous comprenons que l'Écriture divine s'accomplit aussi dans les petites choses - Pas un iota, pas un trait de la Loi ne passera avant que toutes choses se réalisent. - II faut que s'accomplisse tout ce qui est écnt de moi dans la Loi, les Prophètes et les Psaumes.
Ce qui suit la crucifixion quant aux amis qui se tenaient là.
2434. Jean présente en troisième lieu ce qui suit la crucifixion quant aux amis. Et d'abord il montre la présence des femmes qui se tenaient là ; puis l'attention pleine de sollicitude du Christ à l'égard de sa mère [n° 2439] ; enfin l'obéissance prompte du disciple [n° 2443].
2435. Or les femmes présentes auprès de la croix sont au nombre de trois : SA MÈRE, ET LA SŒUR DE SA MÈRE, MARIE, FEMME DE CLÉOPHAS, ET MARIE DE MAGDALA. Mais remarquons que, alors que les autres évangélistes font mention de nombreuses femmes se tenant auprès du Christ, aucun ne fait mention de la bienheureuse Vierge, excepté Jean. Aussi, à cause du récit des deux autres, surviennent deux doutes.
2436. Le premier parce que Matthieu et Marc disent que les femmes se tenaient à distance, mais Jean, qu'elles se tenaient PRÈS DE LA CROIX.
On peut répondre à cela que, autres étaient ces femmes dont font mémoire Matthieu et Marc, autres celles dont Jean fait mémoire. Mais à cela s'oppose le fait que Marie de Magdala est comptée parmi les femmes dont font mémoire Matthieu et Marc, et Jean également. Et c'est pourquoi il faut comprendre que ces femmes-ci sont les mêmes que celles-là. Et en cela il n'y a pas de contradiction, car « près de » et « à distance » sont dits de manière relative. Et rien n'empêche qu'une chose soit dite d'une certaine manière « à distance » et d'une autre « près ». Il est dit qu'elles étaient « près » parce qu'elles étaient sous le regard de Jésus, mais « à distance » parce qu'entre lui et ces femmes il y avait des intermédiaires.
Ou bien on peut dire que dès le début de la crucifixion elles se tenaient tout près de lui, si bien qu'il pouvait leur parler. Mais ensuite, la multitude des moqueurs arrivant, elles se retirèrent et se tinrent à distance. Jean raconte donc ce qui eut lieu d'abord, les autres ce qui eut lieu ensuite.
2437. La seconde question est que Jean fait mémoire de Marie, femme de Cléophas, mais que Matthieu et Marc font mémoire à sa place de Marie, femme de Jacques, qui était appelé Alphée. Là il faut dire que Marie, femme de Cléophas, que Jean nomme, est la même que Marie, femme d'Alphée, que nomme Matthieu. Elle eut en effet deux maris, à savoir Alphée et Cléophas. Ou bien on peut dire que Cléophas fut son père.
2438. Le fait que les femmes se tenaient près de la croix alors que les disciples, ayant abandonné le Christ, avaient fui, met en lumière la constance dévouée des femmes- Ma chair étant consumée, mes os s'attachent à ma peau, c'est-à-dire comme si les disciples, désignés par la chair, étaient partis alors que les femmes, signifiées par la peau s'attachèrent.
2439. Ensuite est montrée sa sollicitude envers sa Mère. D'abord est montrée cette sollicitude quant au disciple dont il remit le soin à sa Mère, puis quant à sa mère dont il confia le soin au disciple [n° 2442].
2440. Quant au premier point, il dit : QUAND DONC JÉSUS EUT VU SA MÈRE ET, SE TENANT PRÈS D'ELLE, LE DISCIPLE QU'IL AIMAIT, IL DIT À SA MÈRE : « FEMME, VOICI TON FILS », comme pour dire : Jusqu'à présent j'ai pris soin de toi, aussi je me suis souvenu de toi, je te laisse celui-là. Par là est montrée la dignité de Jean.
Mais sois attentif car plus haut, quand sa mère a dit : Ils n'ont plus de vin, il dit : Mon heure, c'est-à-dire l'heure de la Passion que je souffrirai selon ce que j'ai reçu de toi, n'est pas encore venue ; mais quand cette heure sera venue, alors je te reconnaîtrai. Et c'est pourquoi, à présent, il la reconnaît comme MÈRE. Car faire des miracles ne me convient pas selon ce que j'ai reçu de toi, mais selon que j'ai de mon Père la génération éternelle, c'est-à-dire selon que je suis Dieu.
2441. Et remarque, selon Augustin, que le Christ suspendu à la croix se comporta comme un maître en chaire. C'est aussi pourquoi il nous enseigne qu'il nous faut subvenir à nos parents dans la nécessité et prendre soin d'eux - Honore ton père et ta mère. Et l'Apôtre : Si quelqu'un n'a pas soin des siens et surtout de ceux de sa maison, il n'a plus la foi et il est pire qu'un infidèle.
Mais cependant il est dit : Si quelqu'un vient à moi et ne hait pas son père et sa mère et sa femme et ses fils, et encore sa propre âme, il ne peut être mon disciple. Réponse : il faut dire que, de même que le Seigneur nous commande de haïr nos parents, de même il nous commande de haïr aussi notre âme, et en cela il nous commande d'aimer la nature et de haïr l'iniquité et ce qui détourne de Dieu. Et ainsi nous devons soutenir nos parents, les aimer et les respecter quant à la nature, mais les haïr quant à leurs vices et ce par quoi ils nous détournent de Dieu.
2442. Quant au second point, IL DIT AU DISCIPLE : « VOICI TA MÈRE », c'est-à-dire pour que celui-ci la serve autant qu'un fils sa mère, que celle-ci l'aime comme une mère aime son fils.
2443. Ici est montrée l'obéissance du disciple. Et, selon Bède , il faut dire « pour sienne » (in suam), et ainsi le sens est : LE DISCIPLE, Jean, LA PRIT, c'est-à-dire la mère de Jésus, pour sienne, c'est-à-dire pour mère, assurément, et comme confiée à ses soins.
Mais, selon Augustin, comme on le trouve en grec, on doit dire CHEZ LUI (IN SUA), non pas, certes, dans ses biens, parce qu'il était de ceux qui avaient dit : Voici que nous avons tout quitté pour te suivre - car il est dit que Jacques et Jean, ayant tout quitté, ont suivi Jésus -, mais CHEZ LUI, c'est-à-dire en se mettant à son service, lui obéissant avec empressement et respect.
B. LA MORT DU CHRIST
2444. Après avoir traité de la crucifixion du Christ et des événements qui la suivirent, l'Évangéliste rapporte à présent la mort vénérable du Christ, et montre d'abord l'opportunité de cette mort, puis décrit la mort elle-même [n° 2452]. Enfin, il révèle la blessure faite au mort [n° 2454].
Ce qui suit la crucifixion quant à Pilate.
Trois choses se rapportant à Pilate sont exposées, à savoir l'inscription d'un écriteau, la lecture qu'on en fit, et la conservation de l'inscription.
2419. Quant au premier point, deux choses sont montrées. D'abord l’inscription de l'écriteau : PILATE FIT UNE INSCRIPTION ET LA MIT SUR LA CROIX. Et cela convenait tout à fait afin de se venger des Juifs au moins par ceci : en montrant leur malice, puisqu'ils se soulevaient contre leur roi.
Mais cependant cela convient au mystère car, de même que, lors des triomphes, sur le trophée était posé l'écriteau montrant la victoire, parce que les hommes voulaient illustrer la mémoire de leur nom - Rendons notre nom célèbre avant d'être dispersés à travers toutes les terres -, ainsi le Seigneur voulut-il qu'une inscription fut faite sur la croix afin que sa Passion restât en mémoire - Souviens-toi de ma pauvreté et de l'excès commis contre moi, de l'absinthe et du fiel.
2420. En second lieu est exposé le contenu de l'inscription : IL Y ÉTAIT ÉCRIT : « JÉSUS DE NAZARETH, LE ROI DES JUIFS. » Et certes ces trois mots conviennent bien au mystère de la Croix, car ce qui est écrit, JÉSUS, qui signifie Sauveur, convient à la puissance de la Croix par laquelle s'est réalisé pour nous le salut - Tu lui donneras le nom de Jésus, car c'est lui qui sauvera le peuple de ses péchés. Quant à DE NAZARETH, qui se traduit « en fleur », cela se rapporte à l'innocence de celui qui souffre - Moi la fleur des champs, h lis des vallées. - Une fleur montera de sa racine. Quant à ROI DES JUIFS, cela se rapporte à la puissance de celui qui souffre et au pouvoir qu'il a mérité par sa Passion - C'est pourquoi Dieu l’α exalté. - II régnera, Seigneur, et sera sage . - Il siégera sur le trône de David et sur son royaume.
2421. Mais par la Croix il est non seulement roi des Juifs mais aussi des Gentils - Dieu est-il le Dieu des Juifs seulement ? Ne l'est-il pas aussi des Gentils ? Oui, certes, des Gentils aussi -, c'est pourquoi après avoir dit : Moi j'ai été établi roi sur Sion il ajoute : Demande-moi et je te donnerai les nations en héritage . Pourquoi donc écrit-il seulement : ROI DES JUIFS ?
Réponse : il faut dire que les Gentils ont été introduits dans la sève de l'olivier comme l'olivier sauvage . Et de même que l'olivier sauvage a part à la sève de l'olivier sans que l'olivier ait part à l'amertume de l'olivier sauvage, ainsi les Gentils eux-mêmes convertis à la foi sont devenus par leur confession Juifs en esprit, non pas d'une circoncision de la chair, mais de l'esprit. Et c'est pourquoi dans ce qui est dit - ROI DES JUIFS - sont compris aussi les Gentils convertis.
2422. L'Évangéliste regarde ensuite la lecture qu'on fit de cette inscription. D'abord est montrée la lecture de l'inscription : CETTE INSCRIPTION, BEAUCOUP DE JUIFS LA LURENT, par quoi est signifié que beaucoup sont sauvés par la foi, en lisant la Passion du Christ rapportée par ceux qui la virent - Ces choses ont été écrites afin que vous croyiez.
En second lieu nous est montrée la possibilité de lire ; et celle-ci est double. La première se prend de la proximité du lieu, vers lequel beaucoup affluaient PARCE QUE LE LIEU OÙ JÉSUS AVAIT ÉTÉ CRUCIFIÉ ÉTAIT PROCHE DE LA VILLE. L'autre provient du fait que l'inscription était écrite en plusieurs langues : ET ELLE ÉTAIT ÉCRITE EN HÉBREU, EN GREC ET EN LATIN, afin que nul ne l'ignore et parce que ces trois langues dominaient sur les autres. L'hébreu certes à cause du culte du Dieu unique ; le grec en raison de la sagesse ; le latin à cause de la puissance des Romains. C'est pourquoi ces trois nations revendiquent pour elles la dignité dans la Croix du Christ, comme le dit Augustin. Par là est signifié que, par la Croix du Christ, devaient être soumis les hommes pieux et religieux désignés par l'hébreu, les sages désignés par le grec et les puissants désignés par le latin.
Ou bien par l'hébreu était signifié que le Christ devait régner sur la philosophie théologique, qui est signifiée par l'hébreu parce que c'est aux Juifs qu'a été livrée la connaissance des réalités divines ; mais par le grec était signifié que le Christ devait régner sur la philosophie naturelle et physique, car les Grecs ont peiné sur la spéculation des réalités de la nature ; et par le latin était signifié qu'il devait régner sur la philosophie pratique, parce que chez les Romains prévalait surtout la science morale, afin qu'ainsi réduite en captivité, l'intelligence humaine soit ramenée à l'obéissance au Christ.
2423. Jean présente d'abord la tentative des Juifs pour supprimer l'inscription. En effet les grands prêtres des Juifs disaient à Pilate : N'ÉCRIS PAS : LE ROI DES JUIFS, MAIS QUE LUI-MÊME A DIT : « JE SUIS LE ROI DES JUIFS. » Car par là sont manifestés la proclamation du Christ et l'opprobre des Juifs, parce qu'il est proclamé ROI DES JUIFS. En effet c'est une honte pour les Juifs d'avoir fait crucifier leur roi.
Mais s'il avait été inscrit : LUI-MÊME A DIT : « JE SUIS LE ROI DES JUIFS », cet outrage serait retombé sur le Christ et aurait montré une faute de sa part. Et telle était leur intention, à savoir retirer sa renommée au crucifié à qui, vivant, ils avaient déjà retiré la vie - Ils parlaient contre moi, ceux qui se tenaient à la porte.
2424. En second lieu est présentée la constance de Pilate pour garder cette inscription parce que, voulant les couvrir d'ignominie, il ne voulut pas changer la phrase. Aussi PILATE RÉPONDIT : « CE QUE j'Ai ÉCRIT, JE L'AI ÉCRIT. » Et cela n'a pas été fait par hasard, mais préparé par Dieu longtemps auparavant et prophétisé. Car certains psaumes sont intitulés ainsi : « Ne corromps pas - De David - pour une inscription de titre (...) », psaumes qui, de fait, se rapportent surtout à la Passion du Christ, comme Arrache-moi, Seigneur, à mes ennemis, ainsi que les deux précédents : Pitié pour moi mon Dieu, pitié pour moi, car en toi se confie mon âme et Si c'est bien avec vérité que vous parlez de justice (...)
Aussi les grands prêtres protestaient-ils sottement, car de même qu'on ne peut corrompre ce qu'a dit la Vérité, de même ne peut être détruit ce que Pilate a écrit. En effet, Pilate a dit : « CE QUE J'AI ÉCRIT, JE L'AI ÉCRIT », parce que ce qu'a dit le Seigneur, il l'a dit, comme le dit Augustin.
Ce qui suit la crucifixion quant aux soldats.
2425. L'Évangéliste présente ce qui suivit la crucifixion quant aux soldats ; et d'abord le partage des vêtements, ensuite le tirage au sort de la tunique sans couture [n° 2427] ; enfin il rappelle une annonce prophétique [n° 2433].
2426. Quant au premier point, nous pouvons saisir deux choses, à savoir l'abjection de la mort du Christ par le fait qu'ils l'ont dénudé, ce qui se faisait seulement pour les personnes méprisables ; deuxièmement la rapacité des soldats parce qu'ILS PRIRENT SES VÊTEMENTS (ET ILS EN FIRENT QUATRE PARTS, UNE PART POUR CHAQUE SOLDAT). En effet ce genre d'homme est très rapace, aussi Jean Baptiste leur a-t-il dit : Ne molestez personne (...) contentez-vous de votre solde. - Ils renvoient des hommes tout nus, enlevant les vêtements à ceux qui n’ont pas de quoi se couvrir pendant le froid.
2427. Quant au deuxième point, il nous donne d'abord la description de la tunique, puis rapporte son tirage au sort [n° 2430].
2428. Il dit donc : ET SA TUNIQUE qu'ils prirent en même temps que les autres vêtements. OR LA TUNIQUE ÉTAIT SANS COUTURE, TISSÉE D'UNE SEULE PIÈCE À PARTIR DU HAUT. Et cela, il le dit pour montrer la raison pour laquelle on ne la divisa pas. À cause de cela, comme certains le disent, on peut deviner le grand prix de la tunique.
Mais Chrysostome au contraire dit que l'Évangéliste, en disant cela, suggère de manière cachée le peu de valeur du vêtement. Car en Palestine il existe un genre de vêtement pour les pauvres, fait de plusieurs pièces de tissu assemblées les unes aux autres comme une seule pièce - En effet nous connaissons la grâce de Notre-Seigneur Jésus Christ qui riche en tout s'est fait indigent (egenus) pour nous.
2429. Au sens mystique, cela peut se rapporter au Corps mystique du Christ ; et ainsi, les vêtements sont répartis en quatre parts parce que l'Église s'est répandue aux quatre coins du monde -Je suis vivant, moi, dit le Seigneur : de tous ceux-ci, comme d'un ornement, tu seras revêtue, et tu t'en pareras comme une épouse.
LA TUNIQUE (...) SANS COUTURE qui n'est pas divisée signifie la charité, parce que les autres vertus ne sont pas unies en elles-mêmes, mais sont unies par autre chose, dans la mesure où toutes se rassemblent dans la fin ultime, à laquelle seule la charité unit. Car même si la foi met en évidence la fin ultime et que l'espérance nous fait tendre vers elle, cependant seule la charité nous y unit - Gardant par-dessus tout la charité, qui est le lien de la perfection. Et il est dit qu'elle est TISSÉE (...) À PARTIR DU HAUT parce que la charité est au-dessus de toutes les autres vertus - Je vais vous montrer une voie encore plus excellente. - Connaître l'amour du Christ qui surpasse toute connaissance, afin que vous soyez comblés de toute la plénitude de Dieu. Ou bien parce que la charité ne vient pas de nous-mêmes mais de l'Esprit Saint - La chanté de Dieu a été répandue dans nos cœurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné.
Cela peut encore se rapporter au vrai corps du Christ, et ainsi elle est TISSÉE (...) À PARTIR DU HAUT parce que le corps du Christ a été formé par une puissance venue d'en haut, à savoir celle de l'Esprit Saint - Ce qui est né en elle vient de l'Esprit Saint.
2430. Il existe en effet un sort divinatoire, et celui-ci, parce qu'il n'a pas de nécessité, est illicite. Il existe aussi un autre sort permettant de diviser ; et celui-ci est licite pour les réalités du monde mais non pour les réalités spirituelles, en ce sens que les réalités que les hommes ne sont pas aptes à diviser selon leur propre jugement, ils les confient au jugement et au conseil divins - Les sorts se jettent dans le pli du vêtement, mais c'est par le Seigneur qu'ils sont dirigés, et encore : Le sort apaise la contradiction et décide entre les puissants.
2431. Cependant, on voit en Matthieu qu'ils tirèrent au sort ses vêtements. Réponse : il faut dire que Matthieu ne dit pas qu'ils les tirèrent tous au sort mais que, tandis qu'ils se partagèrent les autres vêtements, ils tirèrent au sort la tunique.
2432. En outre, Marc insiste encore davantage : Ils tirèrent au sort ce que chacun prendrait, donc toutes les parts. Réponse : il faut, selon Augustin, comprendre et présenter ainsi les paroles de Marc : Ils tirèrent au sort, c'est-à-dire [pour désigner] qui aurait quoi, c'est-à-dire lequel d'entre eux prendrait la tunique.
2433. Puis il expose la prophétie de l'Écriture quand il dit : AFIN QUE S'ACCOMPLÎT L'ÉCRITURE. D'abord est présentée l'annonce prophétique dans laquelle on remarque la diligence du prophète lorsqu'il annonçait aussi certains événements fâcheux qui allaient survenir concernant le Christ. Il est manifeste aussi que les choses prédites ne sont pas arrivées par hasard.
Et c'est pourquoi il dit AFIN QUE S'ACCOMPLÎT L'ÉCRITURE, c'est-à-dire suite à ce qu'a dit le psaume 21 – Ils se sont partagé mes vêtements - il ne dit pas « mon vêtement » parce qu'il y en avait plusieurs -, et sur mon vêtement, c'est-à-dire ma tunique, ils ont jeté le sort.
Ensuite est exposé l'accomplissement de la prophétie ET C'EST BIEN CE QUE FIRENT LES SOLDATS. Par là nous comprenons que l'Écriture divine s'accomplit aussi dans les petites choses - Pas un iota, pas un trait de la Loi ne passera avant que toutes choses se réalisent. - II faut que s'accomplisse tout ce qui est écnt de moi dans la Loi, les Prophètes et les Psaumes.
Ce qui suit la crucifixion quant aux amis qui se tenaient là.
2434. Jean présente en troisième lieu ce qui suit la crucifixion quant aux amis. Et d'abord il montre la présence des femmes qui se tenaient là ; puis l'attention pleine de sollicitude du Christ à l'égard de sa mère [n° 2439] ; enfin l'obéissance prompte du disciple [n° 2443].
2435. Or les femmes présentes auprès de la croix sont au nombre de trois : SA MÈRE, ET LA SŒUR DE SA MÈRE, MARIE, FEMME DE CLÉOPHAS, ET MARIE DE MAGDALA. Mais remarquons que, alors que les autres évangélistes font mention de nombreuses femmes se tenant auprès du Christ, aucun ne fait mention de la bienheureuse Vierge, excepté Jean. Aussi, à cause du récit des deux autres, surviennent deux doutes.
2436. Le premier parce que Matthieu et Marc disent que les femmes se tenaient à distance, mais Jean, qu'elles se tenaient PRÈS DE LA CROIX.
On peut répondre à cela que, autres étaient ces femmes dont font mémoire Matthieu et Marc, autres celles dont Jean fait mémoire. Mais à cela s'oppose le fait que Marie de Magdala est comptée parmi les femmes dont font mémoire Matthieu et Marc, et Jean également. Et c'est pourquoi il faut comprendre que ces femmes-ci sont les mêmes que celles-là. Et en cela il n'y a pas de contradiction, car « près de » et « à distance » sont dits de manière relative. Et rien n'empêche qu'une chose soit dite d'une certaine manière « à distance » et d'une autre « près ». Il est dit qu'elles étaient « près » parce qu'elles étaient sous le regard de Jésus, mais « à distance » parce qu'entre lui et ces femmes il y avait des intermédiaires.
Ou bien on peut dire que dès le début de la crucifixion elles se tenaient tout près de lui, si bien qu'il pouvait leur parler. Mais ensuite, la multitude des moqueurs arrivant, elles se retirèrent et se tinrent à distance. Jean raconte donc ce qui eut lieu d'abord, les autres ce qui eut lieu ensuite.
2437. La seconde question est que Jean fait mémoire de Marie, femme de Cléophas, mais que Matthieu et Marc font mémoire à sa place de Marie, femme de Jacques, qui était appelé Alphée. Là il faut dire que Marie, femme de Cléophas, que Jean nomme, est la même que Marie, femme d'Alphée, que nomme Matthieu. Elle eut en effet deux maris, à savoir Alphée et Cléophas. Ou bien on peut dire que Cléophas fut son père.
2438. Le fait que les femmes se tenaient près de la croix alors que les disciples, ayant abandonné le Christ, avaient fui, met en lumière la constance dévouée des femmes- Ma chair étant consumée, mes os s'attachent à ma peau, c'est-à-dire comme si les disciples, désignés par la chair, étaient partis alors que les femmes, signifiées par la peau s'attachèrent.
2439. Ensuite est montrée sa sollicitude envers sa Mère. D'abord est montrée cette sollicitude quant au disciple dont il remit le soin à sa Mère, puis quant à sa mère dont il confia le soin au disciple [n° 2442].
2440. Quant au premier point, il dit : QUAND DONC JÉSUS EUT VU SA MÈRE ET, SE TENANT PRÈS D'ELLE, LE DISCIPLE QU'IL AIMAIT, IL DIT À SA MÈRE : « FEMME, VOICI TON FILS », comme pour dire : Jusqu'à présent j'ai pris soin de toi, aussi je me suis souvenu de toi, je te laisse celui-là. Par là est montrée la dignité de Jean.
Mais sois attentif car plus haut, quand sa mère a dit : Ils n'ont plus de vin, il dit : Mon heure, c'est-à-dire l'heure de la Passion que je souffrirai selon ce que j'ai reçu de toi, n'est pas encore venue ; mais quand cette heure sera venue, alors je te reconnaîtrai. Et c'est pourquoi, à présent, il la reconnaît comme MÈRE. Car faire des miracles ne me convient pas selon ce que j'ai reçu de toi, mais selon que j'ai de mon Père la génération éternelle, c'est-à-dire selon que je suis Dieu.
2441. Et remarque, selon Augustin, que le Christ suspendu à la croix se comporta comme un maître en chaire. C'est aussi pourquoi il nous enseigne qu'il nous faut subvenir à nos parents dans la nécessité et prendre soin d'eux - Honore ton père et ta mère. Et l'Apôtre : Si quelqu'un n'a pas soin des siens et surtout de ceux de sa maison, il n'a plus la foi et il est pire qu'un infidèle.
Mais cependant il est dit : Si quelqu'un vient à moi et ne hait pas son père et sa mère et sa femme et ses fils, et encore sa propre âme, il ne peut être mon disciple. Réponse : il faut dire que, de même que le Seigneur nous commande de haïr nos parents, de même il nous commande de haïr aussi notre âme, et en cela il nous commande d'aimer la nature et de haïr l'iniquité et ce qui détourne de Dieu. Et ainsi nous devons soutenir nos parents, les aimer et les respecter quant à la nature, mais les haïr quant à leurs vices et ce par quoi ils nous détournent de Dieu.
2442. Quant au second point, IL DIT AU DISCIPLE : « VOICI TA MÈRE », c'est-à-dire pour que celui-ci la serve autant qu'un fils sa mère, que celle-ci l'aime comme une mère aime son fils.
2443. Ici est montrée l'obéissance du disciple. Et, selon Bède , il faut dire « pour sienne » (in suam), et ainsi le sens est : LE DISCIPLE, Jean, LA PRIT, c'est-à-dire la mère de Jésus, pour sienne, c'est-à-dire pour mère, assurément, et comme confiée à ses soins.
Mais, selon Augustin, comme on le trouve en grec, on doit dire CHEZ LUI (IN SUA), non pas, certes, dans ses biens, parce qu'il était de ceux qui avaient dit : Voici que nous avons tout quitté pour te suivre - car il est dit que Jacques et Jean, ayant tout quitté, ont suivi Jésus -, mais CHEZ LUI, c'est-à-dire en se mettant à son service, lui obéissant avec empressement et respect.
B. LA MORT DU CHRIST
2444. Après avoir traité de la crucifixion du Christ et des événements qui la suivirent, l'Évangéliste rapporte à présent la mort vénérable du Christ, et montre d'abord l'opportunité de cette mort, puis décrit la mort elle-même [n° 2452]. Enfin, il révèle la blessure faite au mort [n° 2454].
Pilate répondit. Lâche
auparavant, Pilate refuse dans les termes les plus catégoriques d’obtempérer à cette demande. Il a cédé sur
tout le reste, il se montre inflexible sur un petit détail, la Providence le permettant pour affirmer que Jésus « Le Seigneur a établi son règne par le bois ». Du reste, le « procurator » savait qu’il n’avait en cela rien à
craindre pour ses intérêts privés. - Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit. Dans le grec, deux parfaits coup sur coup,
« le temps du fait accompli » (Godet) et sur lequel il n’y a plus à revenir.