Jean 2, 4
Jésus lui répond : « Femme, que me veux-tu ? Mon heure n’est pas encore venue. »
Jésus lui répond : « Femme, que me veux-tu ? Mon heure n’est pas encore venue. »
Jésus est invité à ces noces, parce qu'il était très-connu dans la Galilée : « Et trois jours après il se fit des noces à Cana, en Galilée. »
Le Sauveur est invité à ces noces, non pas comme un personnage considérable, mais simplement comme une connaissance ordinaire. C'est ce que semble indiquer l'Evangéliste en ajoutant : « Et la mère de Jésus y était, » c'est-à-dire qu'ils invitèrent le fils, parce qu'ils avaient invité la mère : « Et Jésus fut aussi convié aux noces avec ses disciples. » En se rendant à cette invitation, il ne considère pas les intérêts de sa dignité, mais le bien qui peut en résulter pour nous ; il n'a pas dédaigné de prendre la forme d'esclave, il ne dédaigne pas davantage de se rendre aux noces de ses serviteurs.
Il est important d'examiner d'où venait à la mère de Jésus, cette haute idée qu'elle avait de son Fils, alors qu'il n'avait encore fait aucun miracle, puisque l'Evangéliste fait plus loin cette remarque : « Ainsi Jésus fit à Cana, en Galilée, le premier de ses miracles, » etc. Nous répondons que sa gloire et sa puissance commençaient à se révéler par le témoignage de Jean, et par ce que Jésus lui-même avait dit à ses disciples. D'ailleurs, et bien auparavant, sa conception toute divine, et les prodiges qui entourèrent son berceau, avaient donné à Marie la plus haute idée de l'enfant dont elle était mère. Saint Luc confirme cette explication, lorsqu'il dit : « Et sa mère conservait toutes ces choses dans son cœur. » Pourquoi donc Marie ne l'a-t-elle pressé plus tôt de faire des miracles ? C'est qu'il commençait seulement alors sa vie publique ; jusque-là sa vie extérieure avait été celle d'un homme ordinaire, et sa mère n'avait osé lui faire une demande semblable. Mais dès qu'elle eut appris le témoignage que Jean lui avait rendu, et qu'elle l'eut vu entouré déjà de disciples, elle lui fait cette prière avec confiance.
Voulez-vous savoir le respect profond que Jésus avait pour sa mère ? écoutez saint Luc qui vous dit que « le Sauveur était soumis à ses parents. » Tant que les parents, en effet, ne s'opposent pas à l'accomplissement de ce que Dieu demande de nous, c'est un devoir de leur être soumis. Mais quand leurs exigences sont inopportunes, et tendent à nous arracher à nos devoirs religieux, il n'est plus sûr de leur obéir.
Le Sauveur fait encore cette réponse pour une autre raison, il ne veut pas que ses miracles soient l'objet du moindre soupçon. En effet, c'étaient à ceux qui manquaient du vin, et non à sa mère, de lui faire cette demande. Il veut donc montrer qu'il fait toutes ses actions en temps convenable, avec discernement et sans aucune confusion. C'est pour cela qu'il ajoute : « Mon heure n'est pas encore venue, » c'est-à-dire, je ne suis pas encore connu de ceux qui sont ici ; ils ne savent pas encore que le vin manque, laissez-les donc s'en apercevoir tout d'abord. Celui qui n'a pas éprouvé la nécessité d'un bienfait, n'en comprendra pas non plus l'importance.
Que l'homme rougisse donc de son orgueil, en voyant comment un Dieu pratique l'humilité. Entre autres raisons, le Fils de Dieu assiste à ces noces pour montrer que c'était lui qui, avant son incarnation et lorsqu'il était dans le sein de Dieu le Père, avait institué le mariage.
Jésus, en tant qu'homme, était inférieur à Marie, et il lui était soumis ; mais en tant que Dieu, il était au-dessus de toutes les créatures. C'est donc pour bien distinguer entre l'homme et Dieu, qu'il dît à Marie : « Femme, qu'y a-t-il de commun entre vous et moi ? »
Qu'y a-t-il d'étonnant que le Fils de Dieu se soit rendu à ces noces, lui qui est venu dans le monde pour célébrer des noces toutes divines ? Il a, en effet, une épouse qu'il a rachetée de son sang, à laquelle il a donné l'Esprit saint pour gage, et qu'il s'est unie dans le sein de la Vierge Marie. Le Verbe est lui-même époux, et la nature humaine est sou épouse, et l'un et l'autre forment un seul Fils de Dieu, comme un seul Fils de l'homme. Le sein de la Vierge Marie a été le lit nuptial, d'où il s'avance comme un époux qui sort de sa chambre nuptiale.
Il en est qui osent contredire l'Evangile, affirmer que Jésus n'est point né de la Vierge Marie, et ils cherchent à appuyer leur erreur sur ces paroles de Jésus à Marie. Comment, objectent-ils, regarder comme sa mère celle à qui Jésus ne craint pas de dire : « Qu'y a-t-il de commun entre vous et moi ? » Mais quel est donc celui qui présente ces dernières paroles du Seigneur à notre foi ? c'est Jean l'Evangéliste ; mais n'est-ce pas lui aussi qui vient de nous dire : « Et la mère de Jésus était là ? » Pourquoi s'exprime-t-il de la sorte ? c'est que les deux choses sont vraies. Mais Jésus s'est-il donc rendu à ces noces pour enseigner aux enfants à mépriser leurs mères ?
Ou bien encore, Nôtre-Seigneur répond de la sorte, parce qu'en tant qu'il était Dieu, il n'avait point de mère ; il en avait une en tant qu'homme, mais le miracle qu'il devait opérer était l'œuvre de la divinité, et non de la faible nature humaine. Cependant la mère de Jésus le pressait de faire ce miracle. Mais Jésus, alors qu'il allait accomplir les oeuvres divines, semble méconnaître le sein où il a été conçu, et il dit à sa mère : « Femme, qu'y a-t-il de commun entre vous et moi ? » paroles dont voici le sens : Vous n'avez pas engendré la puissance qui doit en moi opérer ce miracle, c'est-à-dire ma divinité. (Il l'appelle femme, pour désigner son sexe, et non pour l'assimiler aux femmes ordinaires.) Mais comme c'est vous qui avez engendré ce qu'il y a de faible en moi, je vous reconnaîtrai lorsque cette faible nature humaine sera suspendue à la croix. Voilà pourquoi il ajoute : « Mon heure n'est pas encore venue, » c'est-à-dire, je vous reconnaîtrai lorsque cette humanité, dont vous êtes la mère, sera attachée à la croix. C'est alors, en effet, qu'il recommande sa mère à son disciple, parce qu'il allait mourir avant elle, et qu'il devait ressusciter avant sa mort. Remarquez qu'à l'exemple des manichéens qui cherchent un appui à leurs pernicieuses erreurs dans ces paroles : « Qu'y a-t-il de commun entre vous et moi ? » les astrologues veulent autoriser leur système erroné sur ces autres paroles du Sauveur : « Mon heure n'est pas encore venue. » Vous voyez, disent-ils, que Jésus-Christ était assujetti au destin, puisqu'il déclare lui-même que son heure n'est pas encore venue. Qu'ils se rendent donc à ces paroles du Fils de Dieu, lorsqu'il dit : « J'ai le pouvoir de quitter la vie, et de la reprendre ensuite ; » qu'ils cherchent le véritable sens de ces paroles : « Mon heure n'est pas encore venue ; » qu'ils cessent d'asservir au destin le Créateur du ciel, car en supposant même l'influence des astres sur la destinée de l'homme, le Créateur des astres devait être nécessairement affranchi de cette influence. Ajoutez que non-seulement Jésus-Christ ne fut point soumis à cette destinée fatale, ni vous, ni un autre, ni aucun homme que ce soit. Que signifient donc ces paroles : « Mon heure n'est pas encore venue ? » C'est qu'il avait le pouvoir de mourir quand il le voudrait, et que le temps ne lui paraissait pas encore venu d'user de ce pouvoir. Il voulait auparavant appeler ses disciples autour de lui, annoncer le royaume des deux, opérer les prodiges et les miracles qui devaient faire reconnaître sa divinité, et aussi manifester son humilité en se soumettant à toutes les infirmités de notre nature mortelle. Lorsqu'il eut accompli suffisamment ces divers desseins, l'heure vint pour lui, non l'heure de la nécessité, mais celle de sa volonté, non l'heure imposée par la fatalité, mais déterminée par sa puissance.
La démarche pleine de condescendance de Jésus, en assistant à ces noces, confirme la foi des chrétiens, et démontre combien est condamnable l'erreur de Tatien et de Marcion, qui déclarent le mariage illicite. Si le lit nuptial, orné de la pureté requise, et le mariage, contracté avec la chasteté voulue, étaient illicites, le Seigneur n'eût jamais voulu assister à ces noces. La chasteté est bonne, la continence des veuves est meilleure, la perfection virginale est bien supérieure ; Nôtre-Seigneur donc pour approuver le choix de ces divers états de vie, et discerner cependant le mérite de chacun, a daigné naître du sein immaculé de la Vierge Marie ; aussitôt sa naissance, il a voulu recevoir les bénédictions de la prophétesse Anne qui était veuve, et, dans sa jeunesse, il honore de la présence de sa haute vertu les noces auxquelles il est invité.
Ces noces ont lieu trois jours après l'arrivée de Jésus en Galilée ; et cette circonstance n'est pas sans mystère. Le premier âge ou le premier jour du monde, avant la loi, a été éclairé par les exemples éclatants des patriarches ; le second sous la loi, par les oracles des prophètes ; le troisième sous la grâce, par les écrits des Evangélistes, et c'est dans ce troisième jour, que Nôtre-Seigneur a voulu naître dans une chair mortelle. Ces noces ont lieu à Cana, en Galilée, c'est-à-dire (d'après la signification de ces deux mots), dans le zèle de la transmigration, et cette circonstance apprend à ceux qui veulent se rendre dignes de la grâce de Jésus-Christ, qu'ils doivent être enflammés du zèle d'une religion véritable, et passer des vices à la pratique des vertus et des choses de la terre à l'amour des biens célestes. Pendant que le Seigneur prend part au repas des noces , le vin vient à manquer, et il le permet pour faire éclater, par la création d'un vin plus exquis, la gloire qui est comme cachée dans l'Homme-Dieu : « Et le vin, venant à manquer, la mère de Jésus lui dit : Ils n'ont plus de vin. »
La Galilée est une province de la Palestine, dans laquelle se trouve le bourg de Cana.
Marie représente ici la synagogue qui presse Jésus-Christ de faire un miracle ; car les Juifs avaient coutume de faire de semblables demandes.
« Parce que cette réponse du Christ semble comporter quelque chose de répréhensible, ceux
dont la foi n’est pas assurée en ont tiré d’absurdes erreurs », Maldonat, h. l. Combien de fois, en effet, les
hérétiques et les incrédules ont pris plaisir à retourner contre la Très Sainte Vierge ces paroles de Jésus, dont
ils faussaient le sens ! Il faut avouer, comme l’ajoute Maldonat, que les explications des exégètes catholiques
n’ont pas toujours été heureuses, et que nos adversaires se prévalent avec fierté de quelques jugements des
SS. Pères, qui semblent bien sévères pour Marie. C’est ainsi que S. Irénée écrivait (3, 16, 7) : « Marie
voudrait hâter le signe admirable du vin, et partager la coupe de l'eucharistie avant le temps déterminé par le
Père. Le Seigneur repousse cet empressement intempestif, et dit : Qu'y a t-il entre moi et vous, femme ? ». S.
Athanase parle dans le même sens, Sermo 3 contr. Arian., 41. S. Jean Chrysostome, Hom. 21 in Joan., va
encore plus loin, et ne craint pas d’attribuer à Marie un sentiment de vaine gloire. « Ces paroles de
Chrysostôme vont trop loin », a dit S. Thomas, Summa, p. 3, q. 27, art. 4. Le concile de Trente a du reste implicitement condamné, au 23e canon de la 6ème session, toute interprétation défavorable à la Très Sainte
Vierge. « Si quelqu'un dit que l'homme ... peut, durant toute sa vie, éviter tous les péchés, même véniels, si ce
n'est par un privilège spécial de Dieu accordé, selon le sentiment de l’Église, à la bienheureuse Vierge, qu'il
soit anathème ». Maldonat et Tolet essaient d’adoucir la scène, en la présentant comme une feinte à laquelle
Jésus aurait eu recours pour notre instruction. « Il faisait semblant de faire des reproches à sa mère, alors
qu’il ne lui reprochait rien, pour montrer que ce n’était pas à cause des liens de parenté, mais par la seule
charité qu’il faisait des miracles, et pour déclarer qui il était », Maldonat. Rien toutefois n’autorise cette
supposition. Aujourd’hui, on envisage avec assez de calme la réponse de Jésus à sa Mère, et même plus d’un
auteur protestant ou rationaliste sait déterminer impartialement la véritable interprétation. - La phrase qu’y
a-t-il entre moi et vous ? paraît froide, dure même, au premier abord. Mais c’est la faute de nos langages
modernes, qui ne peuvent la traduire littéralement avec toutes les nuances qu’elle était susceptible de
recevoir. Elle correspond aux formules des Hébreux, qu’on rencontre à plusieurs reprises soit dans l’Ancien
Testament (Cf. Jos. 22, 24 ; Jud. 11, 12 ; 2 Reg. 16, 10 ; 19, 22 ; 3 Reg. 17, 18 ; 4 Reg. 3, 13 ; 2 Par. 35, 21),
soit dans le Nouveau (Matth. 8, 29 ; Marc. 1, 24 ; Luc. 8, 28 ; etc), et qui n’étaient pas inconnues des
classiques. Sans doute, ces formules indiquaient toujours, et parfois même d’une manière très énergique, une
divergence de vues, la non-acceptation d’une solidarité, le refus d’une proposition ; mais leur sens spécial
dépendait des circonstances du moment, et nous verrons que les circonstances du moment enlevèrent toute
rudesse aux mots « Qu'y a t-il entre moi et vous ». Aussi M. Farrar (Life of Christ, 23e édit., t. 1, p. 165),
trouve-t-il à bon droit cette expression “conciliable avec la courtoisie la plus délicate et avec le plus vif
respect ». Nous adoptons volontiers la traduction qu’en donne M. Reuss : « Laissez-moi faire, ma mère ! ».
Notre-Seigneur signifiait donc par là que, sa mission officielle ayant désormais commencé, il devait plutôt
agir en Fils de Dieu qu’en fils de Marie, qu’il était indépendant de sa mère pour ses œuvres messianiques.
Aussi sa parole actuelle n’est-elle pas sans analogie avec celle qu’il avait prononcée dans le temple à l’âge de
douze ans, Luc. 2, 49 (voyez le commentaire). « Notre-Seigneur Jésus-Christ était Dieu et homme tout
ensemble. En tant que Dieu, il n’avait pas de mère, en tant qu’homme il en avait une. Elle était donc la mère
de son corps, la mère de son humanité, la mère de l’infirmité qu’il a prise à cause de nous. Or, le miracle
qu’il allait faire, il allait le faire selon sa divinité, et non selon son humanité; en tant qu’il était Dieu, et non
en tant qu’il était né dans la faiblesse, etc. ». S ; August. Tract. 8 in Joan. 9. On ne saurait traduire « Qu'y a
t-il entre moi et vous », avec Euthymius et Tolet, par cette périphrase : « Le vin sera fourni en abondance non
pour moi ni pour vous, mais pour les époux qui ont invité ». Ce serait aller tout à fait contre le contexte. -
Femme. « Il faut espérer, dit M. Watkins, Commentary for Schools, p. 60, que le jour est maintenant passé
où l’on associerait à ce titre de Femme autre chose que des pensées d’honneur et de respect, surtout sur les
lèvres de Celui qui a daigné revendiquer comme une gloire l’identité avec notre nature, et qui s’adressait
alors à la mère à laquelle il avait été soumis ». En effet, l’appellation n’a ici absolument rien de raide ni de
sévère. Jésus l’emploiera plus tard sur la croix pour tenir à sa mère le langage de la plus filiale tendresse.
Joan. 19, 26. Il l’emploiera de même à l’égard de Marie-Madeleine, après sa résurrection, Joan. 20, 15. Elle
était d’ailleurs très usuelle, non seulement chez les Juifs (Cf. Joan. 4, 21 ; 8, 10 ; Matth. 15, 28 ; Luc. 13, 12,
passages où elle est toujours prononcée d’une manière douce et aimable », mais aussi chez les classiques.
« Chez les Grecs, cet expression était usitée pour s'adresser aux femmes les plus dignes de considération »
(Rosenmüller), et on l’adressait même à des reines. Cf. Dio Cass., hist. 51, 12 ; Xénophon, Cyrop. 5, 1, 6 ;
Hom. 2, 3, 204. Aujourd’hui même, en Espagne, « mujer », femme, est souvent un nom de tendresse, que les
amies , les proches parentes se donnent mutuellement. - Mon heure n’est pas encore venue. L’heure de Jésus,
dans le quatrième Évangile, c’est souvent le temps de sa passion (Cf. 7, 30 ; 8, 20 ; 12, 23, 27 ; 13, 1 ; 17, 1) ;
ici néanmoins cette expression doit être prise dans un autre sens : elle désigne, d’après le v. 11, le moment
précis, déterminé d’avance par le plan divin, où Notre-Seigneur devait manifester par un premier miracle son
caractère de Christ. Cf. S. Irénée, Haer. ; 3, 16 et 18. Jésus affirme que le moment n’est pas encore venu, et
pourtant il va presque aussitôt faire ce que Marie lui demandait ! Mais il n’y pas d’opposition réelle entre ces
deux choses. On l’a fort bien dit : « Un changement de conditions morales et spirituelles ne se mesure point à
la longueur du temps » (Westcott). Ainsi, « le temps (que sa mère demandait) n'était pas encore venu ; mais
le temps qu'il allait inaugurer venait, quoiqu'avec un léger intervalle », Maldonat. Cette ponctualité
minutieuse de Jésus aux ordres de son Père est d’un grand exemple pour nous.
Femme. Ce mot ne renfermait jamais chez les Hébreux une idée de mépris comme en français. Jésus attaché à la croix s’en sert, lorsqu’il recommande, de la manière la plus tendre, sa mère à son disciple bien-aimé. Les Romains et les Grecs donnaient le titre de femme à des princesses et à des reines, en leur adressant la parole. ― « Plusieurs traduisent, sur le latin : « Que nous importe à l’un et à l’autre ? » Mais la plupart entendent ces mots autrement : « Qu’avons-nous à faire ou à concerter ensemble ? Laissez-moi la liberté que demande mon ministère. » Ce second sens paraît mieux en harmonie avec l’acception de ces mots dans la Bible et avec l’esprit du quatrième évangile. Puisque saint Jean écrit pour prouver que Jésus-Christ est le Fils de Dieu, il doit plutôt relever en lui un sentiment qui implique la conscience de sa divinité qu’un autre, où l’on verrait seulement un indice de sa nature humaine. « Un miracle, semble-t-il dire à sa Mère, est une œuvre toute divine : la chair et le sang n’y doivent avoir aucune part. C’est comme homme que je suis votre fils ; c’est comme Dieu que je dois agir en ce moment. » En parlant ainsi, Notre-Seigneur ne fait que répéter ce qu’il a déjà dit, en sortant du temple : que la volonté de son Père était la seule règle qu’il eût à suivre dans l’exercice de son ministère. Du reste, il n’y a dans ces paroles aucun reproche ni aucun blâme pour Marie, qui partage les sentiments de son Fils et qui entre dans sa pensée ; mais pour ceux qui l’entendaient, pour les Apôtres surtout, il y a une instruction importante : c’est que le Sauveur n’est pas avec sa Mère dans les mêmes rapports qu’un enfant ordinaire ; c’est que, dans l’exercice de leur ministère, les ministres de Dieu ne doivent avoir aucun égard aux inspirations de la chair et du sang. ― Quant au mot : « Femme, » c’est en hébreu comme en grec une appellation respectueuse, qui n’a rien de dur ni de dédaigneux. Sans exclure la tendresse filiale, elle réserve au Sauveur l’indépendance que son œuvre réclame. Il n’en emploiera pas d’autre quand il cherchera à consoler sa Mère au Calvaire, ni lorsqu’il se révélera à Madeleine, après sa résurrection. » (L. BACUEZ.)
Nous nous trouvons ainsi au centre même de l'accomplissement de la promesse incluse dans le protévangile: «Le lignage de la femme écrasera la tête du serpent» (cf. Gn 3, 15). De fait, par sa mort rédemptrice, Jésus Christ vainc à sa racine même le mal du péché et de la mort. Il est significatif que, s'adressant à sa Mère du haut de la Croix, il l'appelle «femme» et lui dit: «Femme, voici ton fils». D'ailleurs, il avait aussi employé le même mot pour s'adresser à elle à Cana (cf. Jn 2, 4). Comment douter qu'ici spécialement, sur le Golgotha, cette parole n'atteigne la profondeur du mystère de Marie, en faisant ressortir la place unique qu'elle a dans toute l'économie du salut? Comme l'enseigne le Concile, avec Marie, «la fille de Sion par excellence, après la longue attente de la promesse, s'accomplissent les temps et s'instaure l'économie nouvelle, lorsque le Fils de Dieu prit d'elle la nature humaine pour libérer l'homme du péché par les mystères de sa chair» 49.
Parmi les saints, il y a par excellence Marie, Mère du Seigneur et miroir de toute sainteté. Dans l’Évangile de Luc, nous la trouvons engagée dans un service de charité envers sa cousine Élisabeth, auprès de laquelle elle demeure «environ trois mois» (1, 56), pour l’assister dans la phase finale de sa grossesse. «Magnificat anima mea Dominum», dit-elle à l’occasion de cette visite – «Mon âme exalte le Seigneur» – (Lc 1, 46). Elle exprime ainsi tout le programme de sa vie: ne pas se mettre elle-même au centre, mais faire place à Dieu, rencontré tant dans la prière que dans le service du prochain – alors seulement le monde devient bon. Marie est grande précisément parce qu’elle ne veut pas se rendre elle-même grande, mais elle veut rendre Dieu grand. Elle est humble: elle ne veut être rien d’autre que la servante du Seigneur (cf. Lc 1, 38. 48). Elle sait qu’elle contribue au salut du monde, non pas en accomplissant son œuvre, mais seulement en se mettant pleinement à la disposition des initiatives de Dieu. Elle est une femme d’espérance: uniquement parce qu’elle croit aux promesses de Dieu et qu’elle attend le salut d’Israël; l’ange peut venir chez elle et l’appeler au service décisif de ces promesses. C’est une femme de foi: «Heureuse celle qui a cru», lui dit Élisabeth (Lc 1, 45). Le Magnificat – portrait, pour ainsi dire, de son âme – est entièrement brodé de fils de l’Écriture Sainte, de fils tirés de la Parole de Dieu. On voit ainsi apparaître que, dans la Parole de Dieu, Marie est vraiment chez elle, elle en sort et elle y rentre avec un grand naturel. Elle parle et pense au moyen de la Parole de Dieu; la Parole de Dieu devient sa parole, et sa parole naît de la Parole de Dieu. De plus, se manifeste ainsi que ses pensées sont au diapason des pensées de Dieu, que sa volonté consiste à vouloir avec Dieu. Étant profondément pénétrée par la Parole de Dieu, elle peut devenir la mère de la Parole incarnée. Enfin, Marie est une femme qui aime. Comment pourrait-il en être autrement ? Comme croyante qui, dans la foi, pense avec les pensées de Dieu et veut avec la volonté de Dieu, elle ne peut qu’être une femme qui aime. Nous le percevons à travers ses gestes silencieux, auxquels se réfèrent les récits des Évangiles de l’enfance. Nous le voyons à travers la délicatesse avec laquelle, à Cana, elle perçoit les besoins dans lesquels sont pris les époux et elle les présente à Jésus. Nous le voyons dans l’humilité avec laquelle elle accepte d’être délaissée durant la période de la vie publique de Jésus, sachant que son Fils doit fonder une nouvelle famille et que l’heure de sa Mère arrivera seulement au moment de la croix, qui sera l’heure véritable de Jésus (cf. Jn 2, 4; 13, 1). Alors, quand les disciples auront fui, elle demeurera sous la croix (cf. Jn 19, 25-27); plus tard, à l’heure de la Pentecôte, ce seront les disciples qui se rassembleront autour d’elle dans l’attente de l’Esprit Saint (cf. Ac 1, 14).