Jean 20, 25
Les autres disciples lui disaient : « Nous avons vu le Seigneur ! » Mais il leur déclara : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas ! »
Les autres disciples lui disaient : « Nous avons vu le Seigneur ! » Mais il leur déclara : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas ! »
En apprenant de la bouche de Marie-Madeleine la nouvelle de la résurrection, les disciples devaient ou refuser d'y croire, ou en y ajoutant foi, s'attrister de ce que le Seigneur ne les avait pas jugés dignes de le voir eux-mêmes ressuscité. Jésus ne les laisse pas une seule journée dans ces pensées, et comme la nouvelle qu'ils avaient apprise qu'il était ressuscité, partageait leur esprit entre le désir de le voir et la crainte, lorsque le soir fut venu, il se présenta au milieu d'eux: «Sur le soir du même jour, qui était le premier de la semaine, les portes du lieu où les disciples se trouvaient rassemblés, étant fermées», etc.
Il est surprenant que la pensée ne soit point venue aux disciples que c'était un fantôme, mais Marie-Madeleine, en leur annonçant que Jésus était ressuscité, avait animé et développé leur foi. Il se manifesta lui-même ensuite à leurs yeux, et par ses paroles il affermit leur âme encore chancelante: «Et il leur dit: La paix soit avec vous», c'est-à-dire, ne vous troublez point. Il rappelle ici ce qu'il leur avait dit avant sa passion: «Je vous donne ma paix»; et encore: «C'est en moi que vous aurez la paix».
Il accomplit la prédiction qu'il leur avait faite avant sa passion: «Je vous verrai de nouveau, et votre coeur se réjouira». Aussi l'Évangéliste remarque, «qu'ils furent remplis de joie voyant le Seigneur».
Toutes ces circonstances donnaient à leur foi une certitude absolue; mais comme ils devaient avoir à soutenir contre les Juifs une lutte acharnée, il leur souhaite du nouveau la paix: «Il l eur dit de nouveau: La paix soit avec vous».
Il nous montre en même temps l'efficacité de la croix qui a dissipé toutes les causes de tristesse et a été pour nous la source de tous les biens, et c'est là la véritable paix. C'est ainsi qu'il avait fait porter précédemment aux saintes femmes ces paroles de joie, parce que ce sexe était comme dévoué à la tristesse par suite de cette malédiction prononcée contre lui: «Vous enfanterez dans la douleur» ( Gn 3). Mais maintenant que tous les obstacles sont renversés et toutes les difficultés aplanies, le Sauveur ajoute: «Comme mon Père m'a envoyé, moi-même je vous envoie».
C'est ainsi qu'il relève leur courage par la pensée des événements qui ont eu lieu et de la dignité de celui qui les envoie. Il n'adresse plus ici de prière à son Père, c'est de sa propre autorité qu'il leur communique une puissance toute divine: «Ayant dit ces paroles, il souffla sur eux et leur dit: Recevez l'Esprit saint».
Quelques-uns prétendent que Notre-Seigneur n'a point donné l'Esprit saint à ses disciples, mais qu'il les prépara, en soufflant sur eux, à recevoir l'Esprit saint. En effet, si à la vue seule d'un ange Daniel fut saisi d'effroi, que n'auraient pas éprouvé les disciples en recevant ce don ineffable, si Jésus n'avait pris soin de les y préparer? On ne se trompera point du reste en disant qu'ils reçurent alors la puissance d'une grâce toute spirituelle, non point pour ressusciter les morts et faire des miracles, mais pour remettre les péchés, comme paraissent l'indiquer les paroles suivantes: «Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez».
Tous les disciples étant rassemblés, Thomas seul manquait, depuis le moment où ils s'étaient tous dispersés. «Or Thomas, un des douze, appelé Didyme, n'était pas avec eux lorsque Jésus vint».
Le prêtre qui se contente de bien régler sa vie personnelle, mais ne prend point un soin vigilant de la vie des autres, est condamné au feu de l'enfer avec les impies. En considérant la grandeur du danger auquel les prêtres sont exposés, ayez donc pour eux beaucoup debienveillance et d'égards, quand même ils ne seraient point de condition très élevés, car il n'est pas juste qu'ils soient jugés sévèrement par ceux qui sont soumis à leur pouvoir. Quand même leur vie serait souverainement coupable, vous n'avez aucun dommage à craindre dans la distribution des grâces dont ils sont les dispensateurs, car dans les dons qui viennent de Dieu, ce n'est point le prêtre, ce n'est ni un ange, ni un archange qui peuvent agir; c'est du Père, du Fils et du Saint-Esprit que découlent toutes les grâces. Le prêtre ne fait que prêter sa langue et sa main. Il n'eût pas été juste, en effet, que par suite de la conduite criminelle des ministres de Dieu, les sacrements de notre salut perdissent de leur efficacité pour ceux qui ont embrassé la foi.
C'est la marque d'un esprit léger de croire trop facilement et sans examen, mais c'est le caractère d'un esprit peu intelligent de porter ses recherches au delà de toute mesure et de vouloir trop approfondir, et c'est en quoi Thomas se rendit coupable. Les apôtres lui disent: «Nous avons vu le Seigneur», et il refuse de le croire, moins encore par défiance de ce qu'ils lui disaient que parce qu'il regardait la chose comme impossible. «Les autres disciples lui dirent donc: Nous avons vu le Seigneur. Il leur répondit: Si je ne vois dans ses mains la marque des clous qui les ont percées, et si je ne mets mon doigt dans le trou des clous et ma main dans la plaie de son côté, je ne le croirai point». Son esprit, plus grossier que celui des autres, voulait arriver à la foi par le sens le plus matériel, c'est-à-dire par le toucher. Le témoignage de ses yeux ne lui suffisait même pas; aussi ne se contente-t-il pas de dire: Si je ne vois, mais il ajoute: «Si je ne mets mon doigt», etc.
Il en est quelques-uns que ce fait étonne au point de mettre leur foi en péril, ils opposent aux miracles divins les préjugés de leurs raisonnements, et argumentent ainsi: Si c'était vraiment un corps, si le corps qui a été attaché à la croix est véritablement sorti du sépulcre, comment a-t-il pu traverser les portes qui étaient fermées? Si vous compreniez le comment, ce ne serait plus un miracle, là où la raison fait défaut, la foi commence à s'élever.
Les portes fermées ne purent faire obstacle à un corps où habitait la Divinité, et celui dont la naissance laissa intacte la virginité de sa Mère, put entrer dans ce lieu sans que les portes fussent ouvertes.
Les clous avaient percé ses mains, la lance avait ouvert son côté, et il avait voulu conserver les cicatrices de ses blessures pour guérir de la plaie du doute le coeur de ses disciples.
Cette gloire éclatante comme le soleil dont les justes brilleront dans le royaume de leur Père ( Mt 13), demeura voilée dans le corps de Jésus-Christ ressuscité, mais n'en fut point séparée. La faiblesse des yeux de l'homme n'aurait pu le considérer dans cet éclat, et il suffisait d'ailleurs alors à ses disciples de le voir de manière à pouvoir le reconnaître.
Nous savons que le Fils est égal à son Père, mais nous reconnaissons à ces paroles le langage du Médiateur. Il nous montre en effet qu'il est Médiateur en leur disant: «Mon Père m'a envoyé, et moi je vous envoie».
Ce souffle extérieur ne fut point la substance de l'Esprit saint, mais une figure propre à nous faire comprendre que l'Esprit saint procédait non-seulement du Père, mais aussi du Fils. Car, qui serait assez dénué de raison pour prétendre que l'Esprit saint que Jésus donna à ses disciples en soufflant sur eux est différent de celui qu'il leur a envoyé après sa résurrection?
La charité de l'Eglise que l'Esprit saint répand dans nos coeurs ( Rm 5) remet les péchés de ceux qui entrent en participation de cette divine charité, mais elle les retient à ceux qui n'y ont aucune part. C'est pour cela qu'après avoir dit: «Recevez l'Esprit saint», le Sauveur parle aussitôt du pouvoir de remettre et du retenir les péchés.
Comme la foi de ses disciples avait encore quelque doute sur la vérité du corps qu'ils avaient devant les yeux, Notre-Seigneur, ajoute l'Évangéliste, leur montra aussitôt ses mains et son côté.
Le Père a envoyé son Fils lorsqu'il a décrété qu'il s'incarnerait pour la rédemption du genre humain. C'est pour cela qu'il dit à ses disciples: «Comme mon Père m'a envoyé, moi-même je vous envoie». C'est-à-dire en vous envoyant au milieu de tous les pièges que vous tendront les persécuteurs, je vous aime du même amour dont mon Père m'a aimé lorsqu'il m'a envoyé pour supporter toutes les souffrances que j'ai eu à endurer.
Mais pourquoi le donne-t-il d'abord étant sur la terre à ses disciples, avant de le leur envoyer du ciel? C'est parce qu'il y a deux préceptes de la charité, le précepte de la charité de Dieu, le précepte de la charité du prochain. L'Esprit saint nous est donné sur la terre pour nous porter à l'amour du prochain; il nous est envoyé du haut du ciel pour nous inspirer l'amour de Dieu. De même que la charité est une, bien qu'elle ait deux préceptes pour objet, ainsi il n'y a qu'un seul esprit donné dans deux circonstances différentes, la première fois par le Sauveur, lorsqu'il était encore sur la terre; la seconde fois lorsqu'il fut envoyé du ciel, car c'est l'amour du prochain qui nous apprend à nous élever jusqu'à l'amour de Dieu.
Il faut remarquer que ceux qui ont reçu d'abord l'Esprit saint pour vivre dans l'innocence et prêcher d'une manière utile à quelques-uns, ont reçu ensuite visiblement ce même Esp rit, pour que les effets de leur zèle fussent moins restreints et s'étendissent à un plus grand nombre. J'aime à considérer à quel degré de gloire Jésus élève ceux qu'il avait appelé à de si grands devoirs d'humilité. Voici que non-seulement il leur donne toute espèce de sécurité pour eux-mêmes, mais ils reçoivent en partage la magistrature du jugement suprême et le pouvoir de remettre les péchés aux uns et de les retenir aux autres. Les évêques qui sont appelés au gouvernement de l'Eglise tiennent maintenant leur place et ont aussi le pouvoir de lier et de délier. C'est un grand honneur, mais c'est en même temps un bien lourd fardeau, car quelle charge plus pénible pour celui qui ne sait tenir les rênes de sa propre vie, de prendre en main la direction de la vie des autres !
Nous avons ici une preuve de la grande timidité des Apôtres qui les tient rassemblés les portes fermées de peur des Juifs, dont la crainte les avait déjà dispersés: «Jésus vint et se tint au milieu d'eux». Il leur apparaît le soir, parce que leur crainte devait alors être plus grande encore.
Ce souhait redoublé est une confirmation de la paix qu'il leur souhaite; et il le répète à deux fois parce que la vertu de charité a un double objet, ou bien parce que c'est lui «qui des deux peuples n'en a fait qu'un» ( Ep 2, 14).
On peut demander pourquoi saint Jean nous dit que Thomas était alors absent, tandis que saint Luc rapporte que les deux disciples qui revenaient d'Emmaüs à Jérusalem trouvèrent les onze réunis. Cette difficulté s'explique en admettant qu'il y eut un intervalle pendant lequel Thomas sortit pour un instant, et que ce fut alors que Jésus se présenta au milieu de ses disciples.
Le mot grec Didyme veut dire double en latin, et ce disciple est ainsi appelé à cause de ses doutes dans la foi. Le mot Thomas signifie abîme, parce qu'il a pénétré ensuite avec une foi certaine les profondeurs de la divinité. Or, ce n'était point par l'effet du hasard que ce disciple était alors absent, car la conduite de la divine bonté paraît ici d'une manière merveilleuse, elle voulait que ce disciple incrédule, en touchant les blessures du corps du Sauveur, guérît en nous les blessures de l'incrédulité. En effet, l'incrédulité de Thomas nous a plus servi pour établir en nous la foi que la foi elle-même des disciples qui crurent sans hésiter. L'exemple de ce disciple qui revient à la foi en touchant le corps du Sauveur chasse de notre âme toute espèce de doute et nous affermit à jamais dans la foi.
Peut-être aussi voulut-il attendre ce moment pour les trouver tous réunis. Il entre les portes fermées, pour leur montrer qu'il était ressuscité de la même manière, en traversant la pierre qui recouvrait le sépulcre.
Les autres disciples lui
dirent… « dirent » n'est pas une traduction exacte ; « disaient » marque mieux l'insistance que mettaient les
autres disciples à témoigner devant leur frère incrédule de la résurrection du Christ. - Nous avons vu le
Seigneur. Et, à ce fait général, ils ajoutaient tous les détails de l'apparition. - Mais il leur dit. Le changement
de temps est remarquable. Après avoir écouté quelque peu, S. Thomas se mit à fixer une bonne fois, en
termes résolus, comme un homme qui n'a pas deux manières de penser, les conditions qu'il mettait à sa foi. -
Première condition : Si je ne vois pas... Il veut voir à son tour de ses propres yeux. Ses amis lui avaient
naturellement parlé du geste aimable de Jésus, v. 20 ; il en veut tout autant pour se convaincre. - Dans ses
mains le trou des clous. Dans le grec, chaque substantif est accompagné de l'article, ce qui donne une
singulière énergie au langage de S. Thomas. Voyez, dans l’Évangile selon S. Matth., p. 548, la conclusion
« ridicule » (Godet) que divers écrivains rationalistes ont tirée de ce que les blessures des pieds ne sont
mentionnés ni dans ce verset ni au 20e. - Deuxième condition : Si je ne mets pas mon doigt à la place des
clous. S. Thomas se hâte d'ajouter que voir ne lui suffira pas ; il veut une démonstration palpable, passer son
doigt à la place des clous. - Troisième condition : Si je ne mets pas ma main dans son côté... Les paroles sont
parfaitement appropriées aux circonstances : le doigt pour les cicatrices de la main, la main entière pour la
plaie profonde qu'avait creusée le fer de la lance. - Je ne croirai pas. On devine l'énergie farouche du
désespoir avec laquelle ces mots de la fin durent être prononcés. Quelle obstination rigide ! « L'horrible
tableau du Calvaire était resté vivant dans l'imagination du disciple, toujours aimant, quoique incrédule, et
d'autant plus découragé qu'il était plus aimant », Le Camus, Vie de N.-S. Jésus-Christ, t. 2, p. 726.