Jean 3, 21
mais celui qui fait la vérité vient à la lumière, pour qu’il soit manifeste que ses œuvres ont été accomplies en union avec Dieu. »
mais celui qui fait la vérité vient à la lumière, pour qu’il soit manifeste que ses œuvres ont été accomplies en union avec Dieu. »
C'est-à-dire, ils n'ont eu besoin ni de recherches, ni d'efforts pour trouver la lumière, la lumière elle-même est venue vers eux sans qu'ils aient été à sa rencontre : « Et ils ont mieux aimé les ténèbres que la lumière. » Voilà ce qui rend les hommes tout à fait inexcusables. Le Sauveur est venu les arracher aux ténèbres et les conduire à la lumière, comment donc peut-on avoir pitié de celui que la lumière vient trouver et qui refuse de s'approcher de cette lumière ?
Cette haine de la lumière devait paraître une chose incroyable pour plusieurs (car il n'est personne qui préfère les ténèbres à la clarté), il fait donc connaître la cause de cet aveuglement : « Car leurs œuvres, ajoute-t-il, étaient mauvaises. » S'il était venu pour juger les hommes, cette haine de la lumière aurait eu quelque raison, car celui qui a conscience de ses crimes, cherche à fuir le juge qui doit le condamner, mais les coupables se présentent sans crainte devant celui qui n'a pour eux que des paroles de pardon. Quoi de plus naturel donc pour les hommes dont la conscience était chargée de si grands crimes, d'aller au-devant du Sauveur, qui leur apportait le pardon ? C'est ce que plusieurs ont fait, et nous voyons les publicains et les pécheur; venir s'asseoir à la même table que Jésus. Mais il en est dont la mollesse est si grande, que leurs mains tombent de langueur devant les travaux de la vertu, et qu'ils persévèrent dans le mal jusqu'à la fin de leur vie ; Nôtre-Seigneur flétrit ouvertement celte lâcheté: « Quiconque fait le mal, hait la lumière, » ce qui est vrai de ceux qui veulent obstinément persévérer dans le mal.
On ne songe point à reprendre de ses vices celui qui vit dans l'idolâtrie, les dieux qu'il adore sont esclaves des mêmes vices, et ses œuvres sont conformes à ses croyances. Les disciples de Jésus-Christ, au contraire, qui mènent une vie déréglée, sont accusés par tous les gens de bien ; mais y a-t-il des païens qui soient vraiment vertueux ? Je n'en connais point quant à moi. Ne me citez pas, en effet, des hommes qui sont naturellement doux et honnêtes (ce n'est point là de la vertu), mais montrez-moi un homme qui soutient un rude combat contre ses passions, et vit selon les règles de la sagesse, cela vous est impossible. La promesse d'un royaume éternel, la menace de l'enfer, et tant d'autres vérités non moins importantes suffisent à peine pour retenir les hommes dans la pratique du bien, comment voulez-vous que ceux qui n'ont aucune de ces convictions aient quelque ardeur pour la vertu ? Vous rencontrez peut-être chez quelques-uns d'entre eux des vertus apparentes, qui n'ont pour motif que l'amour de la gloire. Aussi dès qu'ils peuvent espérer qu'ils ne seront point découverts, ils ne se font aucun scrupule de suivre tous leurs mauvais désirs. Or, à quoi leur sert d'être tempérants, de ne point ravir le bien d'autrui, s'ils sont esclaves de la vaine gloire ? Ce n'est point là de la vertu, l'esclave de la vaine gloire n'est pas moins coupable que le fornicateur, et cette passion lui fait commettre des fautes, et plus nombreuses et plus graves. Mais admettons qu'il y ait chez les païens quelques hommes vertueux, cela ne contredit nullement ce que nous disons, parce que ces hommes vertueux sont rares et forment l'exception.
Nôtre-Seigneur ne veut point parler ici de ceux qui sont devenus chrétiens dès le commencement, mais uniquement de ceux qui, parmi les Juifs et les Gentils, devaient embrasser la vraie foi, et il veut nous enseigner qu'il est impossible à celui qui vit dans l'erreur, de prendre la résolution d'embrasser la vraie foi, à moins d'être décidé tout d'abord à mener une vie vertueuse et pure.
Lorsque nous célébrons notre maître commun pour toutes sortes de raisons diverses, est-ce que nous ne le célébrons pas surtout en lui rendant gloire à cause de la stupeur qui nous saisit devant la croix, devant cette mort maudite? Saint Paul, à tout propos, ne nous montre-t-il pas la mort du Christ comme le signe de son amour pour nous? La mort qu'il a subie pour les hommes tels qu'ils sont? A tout propos, il rappelle tout ce que le Christ a fait pour nous secourir et nous soulager, et il revient à la croix en disant: Voici comment Dieu a prouvé son amour pour nous: alors que nous étions pécheurs, le Christ est mort pour nous (Rm 5,8). Et par là, il nous fait entrevoir les plus belles espérances en disant: Si, alors que nous étions ennemis, nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils, à plus forte raison, une fois réconciliés, serons-nous sauvés par sa vie (Rm 5,10). Et n'est-ce pas pour cela surtout que lui-même triomphe, s'exalte, bondit et s'envole de joie, en écrivant aux Galates: Que la croix de notre Seigneur Jésus Christ reste mon seul orgueil (Ga 6,14). Pourquoi vous étonner pour cela, si Paul bondit, s'élance et triomphe? Le Christ lui-même, lui qui a supporté ces souffrances, appelle le supplice sa "gloire". Père, dit-il, l'heure est venue, glorifie ton Fils (Jn 17,1). Et le disciple qui a écrit cela disait: L'Esprit Saint n'avait pas encore été donné parce que Jésus n'avait pas encore été glorifié (Jn 7,39). Ce qu'il appelle "gloire", c'est sa croix. Mais, lorsqu'il voulut nous montrer son amour, de quoi parle-t-il? De ses miracles, de ses merveilles, de ses prodiges? Pas du tout. Ce qu'il met en valeur, c'est la croix, lorsqu'il dit: Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique: ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas, mais il obtiendra la vie éternelle (Jn 3,16). Et Paul dit encore: Il n'a pas refusé son propre Fils, il l'a livré pour nous tous: comment pourrait-il avec lui ne pas nous donner tout (Rm 8,32)? Et lorsqu'il nous invite à l'humilité, c'est de là qu'il tire son exhortation: Ayez entre vous les dispositions que l'on doit avoir dans le Christ Jésus: lui qui était dans la condition de Dieu, n'a pas jugé bon de revendiquer son droit d'être traité à l'égal de Dieu; mais au contraire, il se dépouilla lui-même en prenant la condition de serviteur. Devenu semblable aux hommes et reconnu comme un homme à son comportement, il s'est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu'à mourir, et à mourir sur une croix (Ph 2,5-8).
Une autre fois, en exhortant à la charité, il revient sur ce sujet: Vivez dans l'amour comme le Christ nous a aimés, et s'est livré pour nous en offrant à Dieu le sacrifice qui pouvait lui plaire (Ep 5,2).
Et le Christ lui-même a voulu montrer combien la croix était sa plus ardente préoccupation, combien il chérissait la souffrance: écoutez comment il a appelé le premier des Douze, le fondement de l'Église, le coryphée du choeur des Apôtres. Celui-ci lui avait dit, dans son ignorance: Dieu t'en garde, Seigneur! Cela ne t'arrivera pas! Jésus répliqua: Passe derrière moi, Satan, tu es un obstacle sur ma route (Mt 16,22-23). Par l'excès de l'injure et de la réprimande, il montrait l'importance majeure qu'il attachait à la croix.
Une autre fois, en exhortant à la charité, il revient sur ce sujet: Vivez dans l'amour comme le Christ nous a aimés, et s'est livré pour nous en offrant à Dieu le sacrifice qui pouvait lui plaire (Ep 5,2).
Et le Christ lui-même a voulu montrer combien la croix était sa plus ardente préoccupation, combien il chérissait la souffrance: écoutez comment il a appelé le premier des Douze, le fondement de l'Église, le coryphée du choeur des Apôtres. Celui-ci lui avait dit, dans son ignorance: Dieu t'en garde, Seigneur! Cela ne t'arrivera pas! Jésus répliqua: Passe derrière moi, Satan, tu es un obstacle sur ma route (Mt 16,22-23). Par l'excès de l'injure et de la réprimande, il montrait l'importance majeure qu'il attachait à la croix.
Nôtre-Seigneur dit que les œuvres de celui qui vient à la lumière sont faites en Dieu, parce qu'il comprend que sa justification est l'œuvre, non de ses mérites, mais de la grâce de Dieu.
Les hommes ne peuvent souffrir d'être trompés, et ils veulent tromper, voilà pourquoi ils aiment la lumière quand elle se découvre, et la détestent quand elle les découvre eux-mêmes. La juste punition de cet aveuglement sera que la lumière les mettra en évidence malgré eux, pendant qu'elle-même leur sera cachée. Ils aiment donc la lumière de la vérité, mais ils ne peuvent souffrir ses censures : « Et il ne vient point à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient découvertes. »
Mais si Dieu a trouvé mauvaises toutes les œuvres des hommes, comment se fait-il que quelques-uns ont obéi à la vérité, et sont venus à la lumière qui est Jésus-Christ ? « Ils ont mieux aimé, dit plus haut le Sauveur, les ténèbres que la lumière, » là est le point important. Il en est beaucoup qui ont aimé leurs péchés, il en est beaucoup qui les ont confessés. Dieu accuse vos péchés, si vous les accusez vous-même, vous faites cause commune avec Dieu. Il faut que vous haïssiez en vous ce qui est votre œuvre, et que vous aimiez en vous l'œuvre de Dieu. Le commencement des bonnes actions, c'est de confesser les mauvaises : alors vous faites la vérité, vous ne vous écoutez pas, vous ne vous flattez pas ; vous approchez volontiers de la lumière, car jamais votre péché ne vous déplairait, si Dieu ne faisait briller sa lumière à vos yeux et ne vous découvrait sa vérité. Or, on peut se placer dans la vérité de la confusion et s'approcher de la lumière par la pratique des bonnes œuvres, même quand il ne s'agit que de ces péchés légers de paroles ou de pensées, ou de l'usage immodéré des choses permises, parce qu'en effet, ces péchés légers, s'ils se multiplient et qu'on n'y fasse aucune attention, donnent la mort. Bien petites sont les gouttes d'eau qui remplissent le fleuve, bien petits sont les grains de sable, et cependant, ayez à porter une masse de grains de sable, c'est un poids qui vous écrasera. Une ouverture qu'on néglige dans la cale d'un vaisseau, produit les mêmes effets qu'une masse d'eau qui fait irruption ; cette eau entre peu à peu dans la cale, mais à force d'entrer sans qu'on songe à l’épuiser, elle coule à fond le vaisseau. Or, au sens moral, épuiser l'eau c'est empêcher par nos bonnes oeuvres, par nos gémissements, nos jeûnes, nos aumônes, le pardon des injures, que nous ne soyons accablés sous le poids écrasant de nos fautes.
Cette lumière, c'est Nôtre-Seigneur lui-même, dont l'Evangéliste a dit plus haut : « Il était la vraie lumière, » etc. (Jean, 1.) Les ténèbres sont les péchés.
Dans le sens moral, ceux qui préfèrent les ténèbres à la lumière, sont ceux qui poursuivent de leur haine et de leurs calomnies, les prédicateurs qui leur enseignent la saine doctrine.
Nôtre-Seigneur fait connaître à la fois la cause de l'incrédulité des hommes et celle de leur condamnation : « Or, la cause de cette condamnation est que la lumière est venue dans le monde, » etc.
« Tout homme qui fait le mal hait la lumière, c'est-à-dire, que celui qui est dans la résolution de pécher, qui aime le péché, hait par-là même la lumière qui découvre le péché.
476. Plus haut , le Seigneur a attribué la cause de la régénération spirituelle à la descente du Fils de Dieu et à l’exaltation du Fils de l’homme, et Il en a fait connaître le fruit la vie éternelle. Mais ce fruit, cette éternité de vie, semblait incroyable à des hommes nécessairement voués à la mort. C’est pourquoi le Seigneur en dévoile la raison ultime, d’abord en expliquant la grandeur de ce fruit par la grandeur de l’amour divin , puis en excluant une objection .
"
477. Comprenons ici que la cause de tous nos biens est l’amour divin. En effet, aimer quelqu’un, c’est proprement vouloir pour lui le bien; or la volonté de Dieu est cause des réalités; donc, le bien nous vient de ce que Dieu nous aime. L’amour de Dieu est certes la cause du bien de la nature — Tu aimes tout ce qui existe, et tu ne hais rien de ce que tu as fait —, et il est aussi la cause du bien de la grâce — D’un amour éternel je t’ai aimé, c’est pourquoi je t’ai attiré , attiré par la grâce; mais que Dieu nous donne aussi le bien de la gloire, cela provient d’un très grand amour . C’est pourquoi le Christ montre ici que cet amour est le plus grand qui soit. Il le montre de quatre points de vue différents, regardant successivement :
1° la personne de celui qui aime; c’est Dieu qui aime, et immensément DIEU A TELLEMENT AIME... Il a aimé les peuples; tous les saints sont dans sa main .
2° La condition de celui qui est aimé : c’est l’homme qui est aimé, l’homme de ce monde, l’homme de chair, et même l’homme vivant dans le péché — Dieu prouve ainsi son amour envers nous : (...) alors que nous étions ennemis, nous avons été réconciliés avec par la mort de son Fils . — Qu’est-ce que l’homme, pour que tu te souviennes de lui, et le fils de l’homme, pour que tu le visites? Voilà ce que veut exprimer le Christ lorsqu’Il dit que Dieu a aimé LE MONDE.
3° La grandeur du don. L’amour, en effet, se manifeste par le don; car, comme le dit Grégoire, "l’amour se prouve par des actes ". Or Dieu nous a fait le plus grand des dons, puisque, comme le dit ici le Christ, IL A DONNE SON FILS UNIQUE — Il n’a pas épargné son propre Fils, mais Il L’a livré pour nous tous Et le Christ dit SON Fils, c’est-à-dire celui qui est Fils par nature, qui Lui est consubstantiel, et non un fils adoptif, comme ceux dont il est parlé dans le psaume : J’ai dit Vous êtes des dieux, et tous les fils du Très-Haut . Ces paroles du Christ font apparaître clairement l’erreur d’Ariusbis. Car si le Fils de Dieu était une créature, comme Arius le prétendait, Il ne pourrait pas manifester l’immensité de l’amour divin en vivant en Lui la bonté infinie, qu’aucune créature ne peut recevoir. Le Christ dit aussi : son Fils UNIQUE, pour montrer que Dieu ne partage pas son amour entre plusieurs fils, mais que tout son amour est dans son Fils, ce Fils qu’Il a donné pour prouver l’immensité de son amour — Le Père aime le Fils et il Lui montre tout ce qu’il fait
4° Enfin, la grandeur du fruit, puisque par Lui nous avons la vie éternelle :... afin que quiconque croit en Lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle, vie qu’Il nous a acquise par la mort de la Croix .
478. Dieu a-t-Il donc donné son Fils pour qu’Il mourût sur la Croix? Assurément Il L’a donné pour la mort de la Croix , en tant qu’Il Lui a donné la volonté d’y souffrir, et cela de deux manières. Car d’une part, de qualité de Fils de Dieu, Il a eu de toute éternité la volonté de prendre chair et de souffrir pour nous; et cette volonté, Il la tenait du Père; et, d’autre part, c’est Dieu qui inspira à l’âme du Christ la volonté de souffrir.
479. Remarquons que plus haut , le Seigneur, parlant de la descente qui convient au Christ selon sa divinité, L’a nommé Fils de l’homme, cela parce qu’il n’y a qu’un seul suppôt dans deux natures, comme on l’a dit , ce qui nous permet d’attribuer ce qui est divin au suppôt de la nature humaine et ce qui est humain au suppôt de la nature divine, mais non pas, toute fois, selon la même nature : ce qui est divin est attribué selon la nature divine, et ce qui est humain selon la nature humaine. Et si, alors qu’Il s’est nommé plus haut Fils de l’homme, le Seigneur, ici, parlant de Lui en tant qu’Il est voué à la mort, se nomme FILS DE DIEU, c’est pour une raison spéciale parce que Lui-même a voulu communiquer ce don en signe de l’amour divin, amour par lequel nous vient le fruit de la vie éternelle. Un tel nom était bien dû à Celui à qui il appartenait de manifester la puissance qui réalise la vie éternelle, puissance qui ne se trouve pas dans le Christ en tant que Fils de l’homme, mais en tant que Fils de Dieu C’est Lui qui est le vrai Dieu et la vie éternelle . En Lui était la vie .
480. Notons encore l’expression : AFIN QUE TOUT HOMME QUI CROIT EN LUI NE PERISSE PAS. Périr, ou se perdre , c’est être empêché de parvenir à la fin à laquelle on est ordonné. Or l’homme est ordonné à une fin qui est la vie éternelle; et, aussi longtemps qu’il pèche, il se détourne de cette fin. Certes, tant qu’il vit, il ne périt pas tout à fait, au point de ne pouvoir être ramené à la vie; mais s’il meurt dans le péché, il périt se perd alors tout à fait Le chemin des impies se perdra .
Enfin, les paroles QU’IL AIT LA VIE ETERNELLE révèlent l’immensité de l’amour divin : car en donnant la vie éternelle, Il se donne Lui-même. La vie éternelle, en effet, n’est rien d’autre que jouir de Dieu; et se donner soi-même est le signe du plus grand amour : Dieu, qui est riche en miséricorde, à cause de l’amour extrême dont Il nous a aimés, et alors que nous étions morts par nos péchés, nous a fait revivre avec le Christ , c’est-à-dire qu’Il nous a donné d’avoir en Lui la vie éternelle.
481. Le Seigneur exclut ici une objection "que l’on pourrait faire". Dans l’ancienne loi, en effet, il avait été promis que le Seigneur viendrait pour juger : Le Seigneur viendra pour le jugement On pourrait donc dire que le Fils de Dieu n’était pas venu pour donner la vie éternelle, mais pour juger le monde. Aussi le Seigneur, pour écarter cette objection, montre d’abord en quel sens. Il n’est pas venu pour juger, puis Il le prouve (n° ).
482. Il dit donc que le Fils de Dieu n’est pas venu pour juger, car Dieu n’a pas envoyé son Fils, lors de son premier avènement, POUR JUGER LE MONDE, MAIS POUR QUE LE MONDE SOIT SAUVE PAR LUI – De même Il dira plus loin Je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour sauver le monde . Or le salut de l’homme consiste à parvenir jusqu’à Dieu : En Dieu est mon salut et ma gloire et parvenir jusqu’à Dieu, c’est obtenir la vie éternelle. Etre sauvé est donc la même chose qu’avoir la vie éternelle. Et il ne faut pas, sous prétexte que le Seigneur a dit : Je ne suis pas venu pour juger le monde, être paresseux et abuser de la miséricorde de Dieu en se donnant licence de pécher; car si, lors de son premier avènement, Il n’est pas venu pour juger mais pour remettre les péchés, lors de son second avènement Il viendra pour juger et non pour remettre les péchés, comme le dit Chrysostome — Au temps que j’aurai fixé, je rendrai le juste jugement .
483. Mais le Seigneur ne dit-Il pas plus loin : C’est pour un jugement que je suis venu dans le monde ? A cette objection il faut répondre qu’il y a deux sortes de jugement. Il y a un jugement de discernement, et c’est pour celui-là que le Fils de l’homme est venu lors de son premier avènement; en effet, à sa venue, un discernement s’est opéré parmi les hommes, selon l’aveuglement des uns et la lumière de grâce des autres. Et il y a un jugement de condamnation; mais le Seigneur, au tant qu’il dépendait de Lui, n’est pas venu pour celui-là.
484. Le Christ prouve ici ce qu’Il a dit plus haut; Il le fait en utilisant un procédé de division Quiconque sera jugé sera ou croyant, ou incroyant; mais je ne suis pas venu juger les croyants, parce qu’ils ne sont pas jugés, ni pour juger les incroyants, parce qu’ils sont déjà jugés. Dieu n’a donc pas envoyé en premier lieu son Fils pour juger le monde.
Le Christ montre donc en premier lieu que les croyants ne sont pas jugés et ensuite que ceux qui ne croient pas ne sont pas jugés non plus .
485. Le Christ dit ici qu’Il n’est pas venu POUR JUGER LE MONDE, parce qu’Il n’est pas venu pour juger les croyants, puisque CELUI QUI CROIT EN LUI N’EST PAS JUGE — entendons d’un jugement de condamnation. En effet, aucun de ceux qui croient en Lui d’une foi formée n’est passible d’un tel jugement — Celui qui écoute ma parole et croit à Celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle et il ne vient pas en jugement, mais il est passé de la mort à la vie —, mais il sera jugé d’un jugement de récompense et d’approbation, ce jugement dont parle l’Apôtre : Celui qui me juge, c’est le Seigneur .
486. Mais qu’en est-il des nombreux croyants qui sont pécheurs? Ne seront-ils pas condamnés? A cette question certains hérétiques ont répondu qu’aucun croyant, si grand pécheur soit-il, ne sera condamné, mais qu’il sera sauvé par le mérite du fondement, c’est-à-dire de la foi, bien qu’il ait à souffrir une certaine peine. Ces hérétiques appuient leur erreur sur ces paroles de l’Apôtre : Personne ne peut poser d’autre fondement que celui qui a été posé et qui est le Christ Jésus; et si l’œuvre quelqu’un aura bâtie sur ce fondement brûle, il en subira la perte; lui pourtant sera sauvé, mais comme à travers le feu .
Mais cette interprétation s’oppose manifestement à ce que l’Apôtre enseigne aux Galates : Les œuvres de la chair sont manifestes : ce sont la fornication, l’impureté, la débauche, l’idolâtrie, la sorcellerie, les inimitiés, les querelles, la jalousie (...) et autres choses semblables au sujet desquelles je vous préviens, comme je vous ai déjà prévenus : ceux qui commettent de telles choses n’hériteront pas du Royaume de Dieu .
Il faut donc répondre que le fondement, c’est-à-dire la foi au Christ, doit être sauf, mais que ce fondement n’est pas la foi informe : il est la foi formée, celle qui opère par la charité . Aussi le Seigneur dit-Il expressément, non pas que "celui qui Le croit", mais que CELUI QUI CROIT EN LUI — c’est-à-dire qui, en croyant, tend vers Lui par la charité — celui-là N’EST PAS JUGE, parce qu’il ne pèche pas mortellement — ce qui fait dis paraître le fondement. Ou bien il faut dire, avec Chrysostome que quiconque agit mal ne croit pas — Ils f ont profession de connaître Dieu, mais par leurs œuvres ils Le renient — mais que celui qui agit bien de la foi — Je te montrerai ma foi par les œuvres — et que celui-là n’est pas jugé, c’est-à-dire n’est pas condamné pour n’avoir pas cru.
487. Le Seigneur montre maintenant que ceux qui ne croient pas ne sont pas jugés. Il commence par l’affirmer , après quoi Il explicitera son affirmation .
488. En ce qui concerne l’affirmation elle-même, il faut noter que, selon Augustin, le Christ ne dit pas que CELUI QUI NE CROIT PAS est jugé, mais qu’il n’est pas jugé parce qu’il A DEJA ETE JUGE — ce que l’on peut expliquer de trois manières. Selon Augustin, en effet, CELUI QUI NE CROIT PAS n’est pas jugé parce qu’il A DEJA ETE JUGE, non dans la réalité , mais dans la prescience de Dieu, c’est-à-dire que Dieu, à l’avance, sait qu’il sera condamné : Le Seigneur connaît ceux qui sont à Lui . Chrysostome donne une autre interprétation . Pour lui, CELUI QUI NE CROIT PAS A DEJA ETE JUGE en ce sens que le fait même qu’il ne croie pas le condamne. Ne pas croire, en effet, c’est ne pas adhérer à la lumière, autrement dit être dans les ténèbres ; et c’est là la grande condamnation. Ils avaient tous été liés d’une même chaîne de ténèbres. — Quelle joie aurai-je encore, moi qui suis assis dans les ténèbres et ne vois pas la lumière du ciel? Troisième interprétation, encore selon Chrysostome CELUI QUI NE CROIT PAS n’est pas jugé en ce sens qu’il est déjà con damné, c’est-à-dire qu’il y a déjà en lui un motif manifeste de condamnation; comme si, de quelqu’un qui, visiblement, est tout proche de la mort, on disait qu’il est déjà mort, avant même que soit prononcée sur lui la sentence de mort.
Aussi Grégoire dit-il qu’il y a deux procédures possibles dans le jugement de ceux qui doivent être condamnés . Certains, en effet, seront jugés après examen, car il y a en eux quelque chose qui s’oppose à leur condamnation : le bien de la foi; ce sont les croyants pécheurs. Mais ceux qui ne croient pas, dont la condamnation est évidente, sont condamnés sans examen; et c’est d’eux qu’il est dit ici CELUI QUI NE CROIT PAS A DEJA ETE JUGE. Les impies, dit le psaume, ne ressusciteront pas au jugement c’est-à-dire pour l’examen de leur cause.
489. Ajoutons qu’être jugé a ici le même sens qu’être condamné, et qu’être condamné, c’est être privé du salut, auquel on ne parvient que par une seule voie qui est le NOM DU FILS UNIQUE DE DIEU : car il n’est pas sous le ciel d’autre Nom donné aux hommes, par lequel nous devions être sauvés . — O Dieu, sauve-moi par ton Nom . Ceux donc qui ne croient pas dans le Fils de Dieu se privent du salut, et il y a en eux un motif manifeste de condamnation.
490. Le Seigneur explicite ici son affirmation en montrant que le motif de la condamnation est manifeste chez ceux qui ne croient pas. Pour cela Il propose d’abord un symbole capable de l’expliciter , puis Il montre la convenance de ce symbole .
491. A travers ce symbolisme le Christ fait ressortir trois choses le don de Dieu, la perversité d’esprit de ceux qui ne croient pas, et enfin la cause de cette perversité.
Le Christ dit donc ceci : Il est manifeste que CELUI QUI NE CROIT PAS A DEJA ETE JUGE. Le don de Dieu — LA LUMIERE EST VENUE DANS LE MONDE — le montre clairement. Les hommes, en effet, étaient dans les ténèbres de l’ignorance, et ces ténèbres, Dieu les a dissipées en envoyant la lumière dans le monde afin que les hommes connaissent la vérité Je suis la lumière du monde : celui qui me suit ne marche pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie . — Il est venu nous visiter d’en haut, le soleil levant, pour illuminer ceux qui sont assis dans les ténèbres et l’ombre de la mort . Mais cette lumière EST VENUE DANS LE MONDE parce que l’homme ne pouvait y avoir accès, car Dieu habite une lumière inaccessible, que nul homme n’a vue ni ne peut voir .
Que CELUI QUI NE CROIT PAS ait DEJA ETE JUGE, la perversité d’esprit de ceux qui ne croient pas le montre également : car ils ONT MIEUX AIME LES TENEBRES QUE LA LUMIERE, autrement dit ils ont préféré rester dans les ténèbres de l’ignorance, plutôt que d’être instruits par le Christ. Ils ont été rebelles à la lumière — Malheur à ceux qui (...) font des ténèbres la lumière et de la lumière les ténèbres .
Et la cause de cette perversité, c’est que LEURS ŒUVRES ETAIENT MAUVAISES, ces œuvres qui sont en désaccord avec la lumière et qui cherchent les ténèbres. Rejetons les œuvres des ténèbres , dira Paul, c’est-à-dire les péchés, qui cherchent les ténèbres : Ceux qui dorment, dorment la nuit , et l’œil de l’adultère guette le crépuscule . Si quelqu’un ne croit pas à la lumière, c’est qu’il s’oppose à elle et s’en écarte.
492. Mais tous les incroyants font-ils des œuvres mauvaises? Il semble que non; car beaucoup de païens, Caton par exemple, et de nombreux autres, ont agi selon la vertu.
A cela il faut répondre, selon Chrysostome , qu’autre chose est de bien agir par vertu, autre chose de le faire grâce à une aptitude qui nous y dispose naturellement. Il y a en effet des hommes qui agissent bien par disposition naturelle, simplement parce que leurs dispositions ne les poussent pas à faire le contraire. Et même des incroyants ont pu agir bien de cette manière : tel, par exemple, a vécu chastement parce qu’il n’avait pas à lutter contre la concupiscence. Mais ceux-là agissent bien par vertu qui, malgré un penchant au vice contraire, ne s’écartent pourtant pas de la vertu, cela grâce à la rectitude de leur raison et à la bonté de leur volonté; et c’est le propre des croyants.
On peut dire encore que, s’ils faisaient le bien, les incroyants ne le faisaient cependant pas par amour de la vertu, mais par vaine gloire; et que, du reste, ils n’agissaient pas bien dans tous les domaines, puisqu’ils ne rendaient pas à Dieu le culte qui Lui est dû.
493. Le Seigneur montre ici la convenance du symbole qu’Il vient de donner, d’abord en ce qui concerne les méchants , puis en ce qui concerne les bons .
494. Le Christ dit donc ceci : S’ils n’ont pas aimé la lumière, c’est parce que LEURS ŒUVRES ETAIENT MAUVAISES. Cela est évident, puisque QUICONQUE AGIT MAL HAIT LA LUMIERE. Il ne dit pas "a agi", mais AGIT; car si quelqu’un a mal agi mais s’en repent et, voyant qu’il a mal fait, s’en afflige, il VIENT A LA LUMIERE. Au contraire QUICONQUE AGIT MAL, c’est-à-dire persévère dans le mal, ne s’en afflige pas et ne vient pas à la lumière, mais il la hait, non en tant qu’elle est une vérité manifeste, mais en tant que par elle le péché de l’homme est manifesté. Car l’homme mauvais aime connaître la lumière et la vérité; mais il déteste être dénoncé par elle Si soudain paraît l’aurore, ils la prennent pour l’ombre de la mort . Celui qui AGIT MAL ne vient donc pas à la lumière, et cela DE PEUR QUE SES ŒUVRES NE SOIENT REPROUVEES. Nul homme, en effet, s’il est décidé à ne pas renoncer au mal, ne veut être blâmé; il fuit le blâme au contraire, et le hait Ils ont haï celui qui réprimande à la Porte, et celui qui parle avec intégrité, ils l’ont eu en horreur — L’homme pernicieux n’aime pas celui qui le reprend
495. Le Christ montre ensuite la convenance du symbole qu’Il a donné en ce qui concerne les bons. La vérité, en effet, ne réside pas seulement dans les pensées et les paroles, mais aussi dans les actes : CELUI QUI FAIT LA VERITE VIENT A LA LUMIERE.
Mais quelqu’un a-t-il agi ainsi avant le Christ? Il semble que non; car qui FAIT LA VERITE? Celui qui ne pèche pas. Or, avant le Christ, tous ont péché .
A cela je réponds, en suivant Augustin , que celui-là FAIT LA VERITE en lui-même, à qui déplaît le mal qu’il a fait et qui, après avoir abandonné les ténèbres, se garde du péché et, regrettant ses fautes passées, VIENT A LA LUMIERE, afin que SES ŒUVRES SOIENT MANIFESTEES d’une manière spéciale c’est-à-dire comme celles d’un pécheur repentant.
496. On objectera sans doute que nul ne doit donner en spectacle le bien qu’il fait, et que le Seigneur blâme les Pharisiens d’agir ainsi. A cela il faut répondre distinguant diverses manières de manifester ses œuvres. Vouloir les manifester devant Dieu pour qu’Il les approuve, cela est permis, car ce n’est pas celui qui se recommande lui-même qui est un homme éprouvé, mais celui que Dieu recommande . Voici, dit Job, que dans le ciel est mon témoin Il est également permis à tous, et il n’est pas répréhensible, de vouloir manifester ses œuvres à sa propre conscience afin de s’en réjouir Ce qui fait notre gloire, c’est ce témoignage de notre conscience, que nous nous sommes comportés dans ce monde (...) dans la simplicité du cœur et la sincérité de Dieu, non pas avec une sagesse charnelle, mais avec la grâce de Dieu Mais manifester devant les hommes, pour sa propre gloire, le bien qu’on fait, voilà qui est répréhensible. Néanmoins les hommes saints désirent que le bien qu’ils font soit, pour l’honneur de Dieu et au profit de la foi, manifesté aux hommes : Que votre lumière brille devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux . S’ils viennent à la lumière pour que leurs œuvres soient manifestées, c’est PARCE QU’ELLES ONT ETE FAITES EN DIEU, c’est-à-dire selon le commandement de Dieu ou par la grâce de Dieu. En effet, tout ce que nous faisons de bien, que ce soit en évitant le péché, en regrettant les fautes que nous avons commises ou en accomplissant des œuvres bonnes, tout vient de Dieu, comme le dit Isaïe Seigneur, tu nous donneras la paix, car toutes nos œuvres, c’est toi qui les as accomplies pour nous .
"
477. Comprenons ici que la cause de tous nos biens est l’amour divin. En effet, aimer quelqu’un, c’est proprement vouloir pour lui le bien; or la volonté de Dieu est cause des réalités; donc, le bien nous vient de ce que Dieu nous aime. L’amour de Dieu est certes la cause du bien de la nature — Tu aimes tout ce qui existe, et tu ne hais rien de ce que tu as fait —, et il est aussi la cause du bien de la grâce — D’un amour éternel je t’ai aimé, c’est pourquoi je t’ai attiré , attiré par la grâce; mais que Dieu nous donne aussi le bien de la gloire, cela provient d’un très grand amour . C’est pourquoi le Christ montre ici que cet amour est le plus grand qui soit. Il le montre de quatre points de vue différents, regardant successivement :
1° la personne de celui qui aime; c’est Dieu qui aime, et immensément DIEU A TELLEMENT AIME... Il a aimé les peuples; tous les saints sont dans sa main .
2° La condition de celui qui est aimé : c’est l’homme qui est aimé, l’homme de ce monde, l’homme de chair, et même l’homme vivant dans le péché — Dieu prouve ainsi son amour envers nous : (...) alors que nous étions ennemis, nous avons été réconciliés avec par la mort de son Fils . — Qu’est-ce que l’homme, pour que tu te souviennes de lui, et le fils de l’homme, pour que tu le visites? Voilà ce que veut exprimer le Christ lorsqu’Il dit que Dieu a aimé LE MONDE.
3° La grandeur du don. L’amour, en effet, se manifeste par le don; car, comme le dit Grégoire, "l’amour se prouve par des actes ". Or Dieu nous a fait le plus grand des dons, puisque, comme le dit ici le Christ, IL A DONNE SON FILS UNIQUE — Il n’a pas épargné son propre Fils, mais Il L’a livré pour nous tous Et le Christ dit SON Fils, c’est-à-dire celui qui est Fils par nature, qui Lui est consubstantiel, et non un fils adoptif, comme ceux dont il est parlé dans le psaume : J’ai dit Vous êtes des dieux, et tous les fils du Très-Haut . Ces paroles du Christ font apparaître clairement l’erreur d’Ariusbis. Car si le Fils de Dieu était une créature, comme Arius le prétendait, Il ne pourrait pas manifester l’immensité de l’amour divin en vivant en Lui la bonté infinie, qu’aucune créature ne peut recevoir. Le Christ dit aussi : son Fils UNIQUE, pour montrer que Dieu ne partage pas son amour entre plusieurs fils, mais que tout son amour est dans son Fils, ce Fils qu’Il a donné pour prouver l’immensité de son amour — Le Père aime le Fils et il Lui montre tout ce qu’il fait
4° Enfin, la grandeur du fruit, puisque par Lui nous avons la vie éternelle :... afin que quiconque croit en Lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle, vie qu’Il nous a acquise par la mort de la Croix .
478. Dieu a-t-Il donc donné son Fils pour qu’Il mourût sur la Croix? Assurément Il L’a donné pour la mort de la Croix , en tant qu’Il Lui a donné la volonté d’y souffrir, et cela de deux manières. Car d’une part, de qualité de Fils de Dieu, Il a eu de toute éternité la volonté de prendre chair et de souffrir pour nous; et cette volonté, Il la tenait du Père; et, d’autre part, c’est Dieu qui inspira à l’âme du Christ la volonté de souffrir.
479. Remarquons que plus haut , le Seigneur, parlant de la descente qui convient au Christ selon sa divinité, L’a nommé Fils de l’homme, cela parce qu’il n’y a qu’un seul suppôt dans deux natures, comme on l’a dit , ce qui nous permet d’attribuer ce qui est divin au suppôt de la nature humaine et ce qui est humain au suppôt de la nature divine, mais non pas, toute fois, selon la même nature : ce qui est divin est attribué selon la nature divine, et ce qui est humain selon la nature humaine. Et si, alors qu’Il s’est nommé plus haut Fils de l’homme, le Seigneur, ici, parlant de Lui en tant qu’Il est voué à la mort, se nomme FILS DE DIEU, c’est pour une raison spéciale parce que Lui-même a voulu communiquer ce don en signe de l’amour divin, amour par lequel nous vient le fruit de la vie éternelle. Un tel nom était bien dû à Celui à qui il appartenait de manifester la puissance qui réalise la vie éternelle, puissance qui ne se trouve pas dans le Christ en tant que Fils de l’homme, mais en tant que Fils de Dieu C’est Lui qui est le vrai Dieu et la vie éternelle . En Lui était la vie .
480. Notons encore l’expression : AFIN QUE TOUT HOMME QUI CROIT EN LUI NE PERISSE PAS. Périr, ou se perdre , c’est être empêché de parvenir à la fin à laquelle on est ordonné. Or l’homme est ordonné à une fin qui est la vie éternelle; et, aussi longtemps qu’il pèche, il se détourne de cette fin. Certes, tant qu’il vit, il ne périt pas tout à fait, au point de ne pouvoir être ramené à la vie; mais s’il meurt dans le péché, il périt se perd alors tout à fait Le chemin des impies se perdra .
Enfin, les paroles QU’IL AIT LA VIE ETERNELLE révèlent l’immensité de l’amour divin : car en donnant la vie éternelle, Il se donne Lui-même. La vie éternelle, en effet, n’est rien d’autre que jouir de Dieu; et se donner soi-même est le signe du plus grand amour : Dieu, qui est riche en miséricorde, à cause de l’amour extrême dont Il nous a aimés, et alors que nous étions morts par nos péchés, nous a fait revivre avec le Christ , c’est-à-dire qu’Il nous a donné d’avoir en Lui la vie éternelle.
481. Le Seigneur exclut ici une objection "que l’on pourrait faire". Dans l’ancienne loi, en effet, il avait été promis que le Seigneur viendrait pour juger : Le Seigneur viendra pour le jugement On pourrait donc dire que le Fils de Dieu n’était pas venu pour donner la vie éternelle, mais pour juger le monde. Aussi le Seigneur, pour écarter cette objection, montre d’abord en quel sens. Il n’est pas venu pour juger, puis Il le prouve (n° ).
482. Il dit donc que le Fils de Dieu n’est pas venu pour juger, car Dieu n’a pas envoyé son Fils, lors de son premier avènement, POUR JUGER LE MONDE, MAIS POUR QUE LE MONDE SOIT SAUVE PAR LUI – De même Il dira plus loin Je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour sauver le monde . Or le salut de l’homme consiste à parvenir jusqu’à Dieu : En Dieu est mon salut et ma gloire et parvenir jusqu’à Dieu, c’est obtenir la vie éternelle. Etre sauvé est donc la même chose qu’avoir la vie éternelle. Et il ne faut pas, sous prétexte que le Seigneur a dit : Je ne suis pas venu pour juger le monde, être paresseux et abuser de la miséricorde de Dieu en se donnant licence de pécher; car si, lors de son premier avènement, Il n’est pas venu pour juger mais pour remettre les péchés, lors de son second avènement Il viendra pour juger et non pour remettre les péchés, comme le dit Chrysostome — Au temps que j’aurai fixé, je rendrai le juste jugement .
483. Mais le Seigneur ne dit-Il pas plus loin : C’est pour un jugement que je suis venu dans le monde ? A cette objection il faut répondre qu’il y a deux sortes de jugement. Il y a un jugement de discernement, et c’est pour celui-là que le Fils de l’homme est venu lors de son premier avènement; en effet, à sa venue, un discernement s’est opéré parmi les hommes, selon l’aveuglement des uns et la lumière de grâce des autres. Et il y a un jugement de condamnation; mais le Seigneur, au tant qu’il dépendait de Lui, n’est pas venu pour celui-là.
484. Le Christ prouve ici ce qu’Il a dit plus haut; Il le fait en utilisant un procédé de division Quiconque sera jugé sera ou croyant, ou incroyant; mais je ne suis pas venu juger les croyants, parce qu’ils ne sont pas jugés, ni pour juger les incroyants, parce qu’ils sont déjà jugés. Dieu n’a donc pas envoyé en premier lieu son Fils pour juger le monde.
Le Christ montre donc en premier lieu que les croyants ne sont pas jugés et ensuite que ceux qui ne croient pas ne sont pas jugés non plus .
485. Le Christ dit ici qu’Il n’est pas venu POUR JUGER LE MONDE, parce qu’Il n’est pas venu pour juger les croyants, puisque CELUI QUI CROIT EN LUI N’EST PAS JUGE — entendons d’un jugement de condamnation. En effet, aucun de ceux qui croient en Lui d’une foi formée n’est passible d’un tel jugement — Celui qui écoute ma parole et croit à Celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle et il ne vient pas en jugement, mais il est passé de la mort à la vie —, mais il sera jugé d’un jugement de récompense et d’approbation, ce jugement dont parle l’Apôtre : Celui qui me juge, c’est le Seigneur .
486. Mais qu’en est-il des nombreux croyants qui sont pécheurs? Ne seront-ils pas condamnés? A cette question certains hérétiques ont répondu qu’aucun croyant, si grand pécheur soit-il, ne sera condamné, mais qu’il sera sauvé par le mérite du fondement, c’est-à-dire de la foi, bien qu’il ait à souffrir une certaine peine. Ces hérétiques appuient leur erreur sur ces paroles de l’Apôtre : Personne ne peut poser d’autre fondement que celui qui a été posé et qui est le Christ Jésus; et si l’œuvre quelqu’un aura bâtie sur ce fondement brûle, il en subira la perte; lui pourtant sera sauvé, mais comme à travers le feu .
Mais cette interprétation s’oppose manifestement à ce que l’Apôtre enseigne aux Galates : Les œuvres de la chair sont manifestes : ce sont la fornication, l’impureté, la débauche, l’idolâtrie, la sorcellerie, les inimitiés, les querelles, la jalousie (...) et autres choses semblables au sujet desquelles je vous préviens, comme je vous ai déjà prévenus : ceux qui commettent de telles choses n’hériteront pas du Royaume de Dieu .
Il faut donc répondre que le fondement, c’est-à-dire la foi au Christ, doit être sauf, mais que ce fondement n’est pas la foi informe : il est la foi formée, celle qui opère par la charité . Aussi le Seigneur dit-Il expressément, non pas que "celui qui Le croit", mais que CELUI QUI CROIT EN LUI — c’est-à-dire qui, en croyant, tend vers Lui par la charité — celui-là N’EST PAS JUGE, parce qu’il ne pèche pas mortellement — ce qui fait dis paraître le fondement. Ou bien il faut dire, avec Chrysostome que quiconque agit mal ne croit pas — Ils f ont profession de connaître Dieu, mais par leurs œuvres ils Le renient — mais que celui qui agit bien de la foi — Je te montrerai ma foi par les œuvres — et que celui-là n’est pas jugé, c’est-à-dire n’est pas condamné pour n’avoir pas cru.
487. Le Seigneur montre maintenant que ceux qui ne croient pas ne sont pas jugés. Il commence par l’affirmer , après quoi Il explicitera son affirmation .
488. En ce qui concerne l’affirmation elle-même, il faut noter que, selon Augustin, le Christ ne dit pas que CELUI QUI NE CROIT PAS est jugé, mais qu’il n’est pas jugé parce qu’il A DEJA ETE JUGE — ce que l’on peut expliquer de trois manières. Selon Augustin, en effet, CELUI QUI NE CROIT PAS n’est pas jugé parce qu’il A DEJA ETE JUGE, non dans la réalité , mais dans la prescience de Dieu, c’est-à-dire que Dieu, à l’avance, sait qu’il sera condamné : Le Seigneur connaît ceux qui sont à Lui . Chrysostome donne une autre interprétation . Pour lui, CELUI QUI NE CROIT PAS A DEJA ETE JUGE en ce sens que le fait même qu’il ne croie pas le condamne. Ne pas croire, en effet, c’est ne pas adhérer à la lumière, autrement dit être dans les ténèbres ; et c’est là la grande condamnation. Ils avaient tous été liés d’une même chaîne de ténèbres. — Quelle joie aurai-je encore, moi qui suis assis dans les ténèbres et ne vois pas la lumière du ciel? Troisième interprétation, encore selon Chrysostome CELUI QUI NE CROIT PAS n’est pas jugé en ce sens qu’il est déjà con damné, c’est-à-dire qu’il y a déjà en lui un motif manifeste de condamnation; comme si, de quelqu’un qui, visiblement, est tout proche de la mort, on disait qu’il est déjà mort, avant même que soit prononcée sur lui la sentence de mort.
Aussi Grégoire dit-il qu’il y a deux procédures possibles dans le jugement de ceux qui doivent être condamnés . Certains, en effet, seront jugés après examen, car il y a en eux quelque chose qui s’oppose à leur condamnation : le bien de la foi; ce sont les croyants pécheurs. Mais ceux qui ne croient pas, dont la condamnation est évidente, sont condamnés sans examen; et c’est d’eux qu’il est dit ici CELUI QUI NE CROIT PAS A DEJA ETE JUGE. Les impies, dit le psaume, ne ressusciteront pas au jugement c’est-à-dire pour l’examen de leur cause.
489. Ajoutons qu’être jugé a ici le même sens qu’être condamné, et qu’être condamné, c’est être privé du salut, auquel on ne parvient que par une seule voie qui est le NOM DU FILS UNIQUE DE DIEU : car il n’est pas sous le ciel d’autre Nom donné aux hommes, par lequel nous devions être sauvés . — O Dieu, sauve-moi par ton Nom . Ceux donc qui ne croient pas dans le Fils de Dieu se privent du salut, et il y a en eux un motif manifeste de condamnation.
490. Le Seigneur explicite ici son affirmation en montrant que le motif de la condamnation est manifeste chez ceux qui ne croient pas. Pour cela Il propose d’abord un symbole capable de l’expliciter , puis Il montre la convenance de ce symbole .
491. A travers ce symbolisme le Christ fait ressortir trois choses le don de Dieu, la perversité d’esprit de ceux qui ne croient pas, et enfin la cause de cette perversité.
Le Christ dit donc ceci : Il est manifeste que CELUI QUI NE CROIT PAS A DEJA ETE JUGE. Le don de Dieu — LA LUMIERE EST VENUE DANS LE MONDE — le montre clairement. Les hommes, en effet, étaient dans les ténèbres de l’ignorance, et ces ténèbres, Dieu les a dissipées en envoyant la lumière dans le monde afin que les hommes connaissent la vérité Je suis la lumière du monde : celui qui me suit ne marche pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie . — Il est venu nous visiter d’en haut, le soleil levant, pour illuminer ceux qui sont assis dans les ténèbres et l’ombre de la mort . Mais cette lumière EST VENUE DANS LE MONDE parce que l’homme ne pouvait y avoir accès, car Dieu habite une lumière inaccessible, que nul homme n’a vue ni ne peut voir .
Que CELUI QUI NE CROIT PAS ait DEJA ETE JUGE, la perversité d’esprit de ceux qui ne croient pas le montre également : car ils ONT MIEUX AIME LES TENEBRES QUE LA LUMIERE, autrement dit ils ont préféré rester dans les ténèbres de l’ignorance, plutôt que d’être instruits par le Christ. Ils ont été rebelles à la lumière — Malheur à ceux qui (...) font des ténèbres la lumière et de la lumière les ténèbres .
Et la cause de cette perversité, c’est que LEURS ŒUVRES ETAIENT MAUVAISES, ces œuvres qui sont en désaccord avec la lumière et qui cherchent les ténèbres. Rejetons les œuvres des ténèbres , dira Paul, c’est-à-dire les péchés, qui cherchent les ténèbres : Ceux qui dorment, dorment la nuit , et l’œil de l’adultère guette le crépuscule . Si quelqu’un ne croit pas à la lumière, c’est qu’il s’oppose à elle et s’en écarte.
492. Mais tous les incroyants font-ils des œuvres mauvaises? Il semble que non; car beaucoup de païens, Caton par exemple, et de nombreux autres, ont agi selon la vertu.
A cela il faut répondre, selon Chrysostome , qu’autre chose est de bien agir par vertu, autre chose de le faire grâce à une aptitude qui nous y dispose naturellement. Il y a en effet des hommes qui agissent bien par disposition naturelle, simplement parce que leurs dispositions ne les poussent pas à faire le contraire. Et même des incroyants ont pu agir bien de cette manière : tel, par exemple, a vécu chastement parce qu’il n’avait pas à lutter contre la concupiscence. Mais ceux-là agissent bien par vertu qui, malgré un penchant au vice contraire, ne s’écartent pourtant pas de la vertu, cela grâce à la rectitude de leur raison et à la bonté de leur volonté; et c’est le propre des croyants.
On peut dire encore que, s’ils faisaient le bien, les incroyants ne le faisaient cependant pas par amour de la vertu, mais par vaine gloire; et que, du reste, ils n’agissaient pas bien dans tous les domaines, puisqu’ils ne rendaient pas à Dieu le culte qui Lui est dû.
493. Le Seigneur montre ici la convenance du symbole qu’Il vient de donner, d’abord en ce qui concerne les méchants , puis en ce qui concerne les bons .
494. Le Christ dit donc ceci : S’ils n’ont pas aimé la lumière, c’est parce que LEURS ŒUVRES ETAIENT MAUVAISES. Cela est évident, puisque QUICONQUE AGIT MAL HAIT LA LUMIERE. Il ne dit pas "a agi", mais AGIT; car si quelqu’un a mal agi mais s’en repent et, voyant qu’il a mal fait, s’en afflige, il VIENT A LA LUMIERE. Au contraire QUICONQUE AGIT MAL, c’est-à-dire persévère dans le mal, ne s’en afflige pas et ne vient pas à la lumière, mais il la hait, non en tant qu’elle est une vérité manifeste, mais en tant que par elle le péché de l’homme est manifesté. Car l’homme mauvais aime connaître la lumière et la vérité; mais il déteste être dénoncé par elle Si soudain paraît l’aurore, ils la prennent pour l’ombre de la mort . Celui qui AGIT MAL ne vient donc pas à la lumière, et cela DE PEUR QUE SES ŒUVRES NE SOIENT REPROUVEES. Nul homme, en effet, s’il est décidé à ne pas renoncer au mal, ne veut être blâmé; il fuit le blâme au contraire, et le hait Ils ont haï celui qui réprimande à la Porte, et celui qui parle avec intégrité, ils l’ont eu en horreur — L’homme pernicieux n’aime pas celui qui le reprend
495. Le Christ montre ensuite la convenance du symbole qu’Il a donné en ce qui concerne les bons. La vérité, en effet, ne réside pas seulement dans les pensées et les paroles, mais aussi dans les actes : CELUI QUI FAIT LA VERITE VIENT A LA LUMIERE.
Mais quelqu’un a-t-il agi ainsi avant le Christ? Il semble que non; car qui FAIT LA VERITE? Celui qui ne pèche pas. Or, avant le Christ, tous ont péché .
A cela je réponds, en suivant Augustin , que celui-là FAIT LA VERITE en lui-même, à qui déplaît le mal qu’il a fait et qui, après avoir abandonné les ténèbres, se garde du péché et, regrettant ses fautes passées, VIENT A LA LUMIERE, afin que SES ŒUVRES SOIENT MANIFESTEES d’une manière spéciale c’est-à-dire comme celles d’un pécheur repentant.
496. On objectera sans doute que nul ne doit donner en spectacle le bien qu’il fait, et que le Seigneur blâme les Pharisiens d’agir ainsi. A cela il faut répondre distinguant diverses manières de manifester ses œuvres. Vouloir les manifester devant Dieu pour qu’Il les approuve, cela est permis, car ce n’est pas celui qui se recommande lui-même qui est un homme éprouvé, mais celui que Dieu recommande . Voici, dit Job, que dans le ciel est mon témoin Il est également permis à tous, et il n’est pas répréhensible, de vouloir manifester ses œuvres à sa propre conscience afin de s’en réjouir Ce qui fait notre gloire, c’est ce témoignage de notre conscience, que nous nous sommes comportés dans ce monde (...) dans la simplicité du cœur et la sincérité de Dieu, non pas avec une sagesse charnelle, mais avec la grâce de Dieu Mais manifester devant les hommes, pour sa propre gloire, le bien qu’on fait, voilà qui est répréhensible. Néanmoins les hommes saints désirent que le bien qu’ils font soit, pour l’honneur de Dieu et au profit de la foi, manifesté aux hommes : Que votre lumière brille devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux . S’ils viennent à la lumière pour que leurs œuvres soient manifestées, c’est PARCE QU’ELLES ONT ETE FAITES EN DIEU, c’est-à-dire selon le commandement de Dieu ou par la grâce de Dieu. En effet, tout ce que nous faisons de bien, que ce soit en évitant le péché, en regrettant les fautes que nous avons commises ou en accomplissant des œuvres bonnes, tout vient de Dieu, comme le dit Isaïe Seigneur, tu nous donneras la paix, car toutes nos œuvres, c’est toi qui les as accomplies pour nous .
Mais celui qui agit… C’est un contraste. Jésus
introduit une autre catégorie humaine bien distincte de la précédente. Le texte grec employant ici, pour
exprimer l’action « ποιῶν » au lieu de « πράσσῶν » du verset 20, les exégètes ont souvent essayé
d’indiquer les motifs de ce changement : ποιῶν indiquerait le bon résultat de l’activité, πράσσῶν une simple
agitation, etc. Ces distinctions nous paraissent subtiles, et nous ne croyons pas qu’il faille attacher tant
d’importance à l’emploi de ces deux synonymes. - Le substantif La vérité mérite davantage notre attention,
car il paraît extraordinaire au premier regard, étant opposé aux œuvres mauvaises (verset 20). « Faire la
vérité » est en effet une expression remarquable, qui devient claire pourtant si l’on se ressouvient que « toute
bonne action est une pensée vraie réalisée », effectuée. Il s’agit d’ailleurs plutôt de la vérité morale que de la
vérité intellectuelle. Comparez des locutions semblables dans 1 Cor. 13, 6 ; 1 Joan. 1, 6 ; 2 Joan. 4 ; 3 Joan.
3, 4 - Vient à la lumière, afin que ses actions soient manifestées. Celui qui accomplit des actions vraies et
bonnes n’a rien à redouter de la lumière, tout au contraire ; il traite donc ses œuvres à la façon dont l’aigle
traite, d’après la légende antique, ses aiglons nouvellement éclos. Il leur montre le soleil en face : point par
ostentation assurément, car il est prêt à les condamner lui-même si elles apparaissent alors vaines ou
mauvaises ; mais il veut connaître leur nature réelle, que l’éclat de la lumière manifeste en plein. Euripide dit
semblablement la lumière de la vérité, par opposition aux hommes pervers, qui aiment la nuit (Iphig. in Taur.
1066). - Parce que c’est en Dieu qu'elles sont faites. Cette dernière parole explique pourquoi les bons
s’approchent volontiers de la lumière. Ils ont agi en union avec Dieu, de concert avec lui ; il y a donc du
divin dans leurs actes : pourquoi en craindraient-ils la manifestation ? La phrase tout entière est très
énergique, spécialement dans le grec (littéralement : elles sont ayant été faites ; d’où il suit qu’étant
entièrement accomplies, elles ne peuvent plus être gâtées désormais). - Tel est ce magnifique entretien, qui,
de degré en degré, s’est successivement élevé aux vérités les plus hautes. M. Reuss s’étonne de le voir finir si
brusquement. Selon lui, l’évangéliste aurait dû signaler au moins le départ de Nicodème et le résultat de
l’entrevue : de ce silence il tire, à la façon de Baur (voyez la note du verset 1), un argument contre le
caractère historique de la narration. Nous opposerons à M. Reuss l’autorité d’un autre rationaliste, B.
Brückner, d’après lequel ce même silence « démontre, au contraire, que S. Jean voulait uniquement raconter
la réalité historique » (Kurzgefasstes exeget. Handbuch zum N. T., von de Wette, 5e éd., p. 75). « Chaque trait
est vrai, continue cet auteur, et s’harmonise avec le précédent ; et un pareil portrait, qui est d’ailleurs plutôt
esquissé que décrit, ne doit pas seulement avoir une base historique vague et générale ; il doit avoir un
fondement qui lui corresponde de la façon la plus exacte, c'est-à-dire la personne même de Nicodème ».
Baumgarten-Crusius l’a dit aussi en termes très justes, « si l’évangéliste n’ajoute rien de plus, et n’a pas
même un mot pour exposer le résultat immédiat du discours, c’est une preuve en faveur de sa simplicité et de
sa loyauté historique ». Les écrivains sacrés procèdent souvent de cette sorte ; car c’est avant tout l’histoire
de N.-S. Jésus-Christ qu’ils veulent raconter, et non celle des personnages accessoires. Du reste, S. Jean fera
plus tard quelques allusions fort nettes à Nicodème et à cet entretien intime. Cf. 7, 50 ; 19, 39. - Sur l’immense portée dogmatique des versets 3-21, dont nos notes éparses ont pu donner au moins quelque idée,
voyez Corluy, Commentar. in evang. Joannis, p. 87. Nous verrons de plus en plus S. Jean mériter l’épithète
de « théologien », qui lui a été si légitimement appliquée par les premiers Pères. Voyez la Préface, § 3. Sur la
nature particulière des discours de N.-S. Jésus-Christ dans le quatrième Évangile, voyez aussi la Préface, §
5. - Nous avons renvoyé ici, pour ne pas trop troubler la suite du commentaire, une discussion assez vive qui
s’est élevée dans les temps modernes à propos des versets 16-21. Les paroles que renferme ce passage
sont-elles la continuation pure et simple du discours de Jésus ? ou bien ne doit-on pas les regarder comme
des réflexions personnelles, rattachées par l’évangéliste à l’allocution du divin Maître ? Érasme semble être
l’auteur de ce second sentiment, qui a trouvé depuis un assez grand nombre d’adeptes (Kuinoel, Paulus,
Tholuck, Olshausen, Milligan, Westcott, et même des interprètes catholiques, tels que A. Maier, Klofutar,
Bisping). Voici les principaux arguments sur lesquels on l’appuie. 1° Plusieurs des expressions employées
dans ce passage notamment « fils unique », versets 16 et 18. Cf. 1, 14, 18 ; 1 Joan. 4, 9), « croire au nom »
(verset 18. Cf. 1, 12 ; 2, verset 3 ; 1 Joan. 5, 13) et « faire la vérité » (verset 21 ; Cf. Joan 1, 6), sont
exclusivement propres à la diction de S. Jean, et n’apparaissent nulle part ailleurs sur les lèvres de Jésus. 2°
Au verset 19, les formes verbales passées « est venue », « ont mieux aimé », « marquent évidemment une
crise déjà accomplie et appartiennent à la position occupée par S. Jean, mais non à celle où était alors le
Sauveur, puisque la révélation de sa personne et de son œuvre n’avait pas encore été présentée ouvertement
au monde » (Westcott). Ces temps passés désigneraient donc un laps de temps assez considérable, écoulé
depuis l’inauguration du ministère de Notre-Seigneur, et ne sauraient lui convenir directement. 3° La forme
dialoguée a cessé tout à fait, et le discours ressemble désormais à une série de réflexions du narrateur. 4°
C’est précisément la manière de S. Jean d’agir ainsi, c'est-à-dire de greffer en quelque sorte ses
considérations privées sur les idées du divin Maître, qui sont par là même récapitulées, commentées. - Il est
aisé de répondre à ces allégations diverses. 1° Pourquoi les locutions indiquées n’auraient-elles pas été au
service de N.-S. Jésus-Christ ? De telles raisons ne prouvent rien parce qu’elles tendent à prouver trop. 2°
Nous avons montré dans le commentaire que l’attitude des Juifs à l’égard du Sauveur justifiait suffisamment
l’emploi du temps passé ; la connaissance prophétique que Jésus avait de l’avenir rendait au reste, en toute
hypothèse, son langage parfaitement plausible. 3° Cela encore prouve trop, puisque la forme dialoguée a
cessé dès le verset 13. Voyez le commentaire, où la vraie raison du silence de Nicodème a été exposée. 4° On
se borne à nous citer 12, 37-41, passage qui n’a ici aucune valeur, l’écrivain sacré y montrant de la façon la
plus évidente qu’il prend lui-même la parole. « Ce qui est contraire à son usage constant. Car quand il
intercale ses réflexions dans des phrases d’autrui, ou quand il fait des commentaires sur ce qui a été énoncé,
il l’indique toujours clairement », Knapp, Opusc. ap. Hengstenberg, h. l. Ajoutons que rien n’indique une
transition de ce genre ; que le lecteur serait, par suite, induit inévitablement en erreur, n’ayant reçu aucun
avertissement préalable ; que S. Jean (ni aucun autre évangéliste) ne pouvait se permettre de telles libertés à
l’égard des paroles de Jésus ; que le verset 15 ne termine aucunement l’entretien ; que les versets 16-21
contiennent des pensées non moins importantes que nouvelles, bien loin d’être un simple développement des
versets antérieurs ; enfin que « la cohésion de toutes les parties est trop étroite pour autoriser l’idée d’une
distinction entre la part revenant à Jésus et celle de l’évangéliste » (Godet). Ainsi donc, cet étrange
sentiment n’a aucun fondement sérieux (voyez Meyer, Luthardt, Baumgarten-Crusius, Stier, J.-P. Lange,
Keil, etc.) ; et, si nous avons voulu le réfuter à fond, c’est à cause des dangers qu’il présente, et parce que
nous le retrouverons bientôt sur notre route (verset 31).
C'est donc à partir de la parole, de l'action, de la personne même de Jésus que la possibilité est donnée à l'homme de « connaître » la vérité tout entière sur la valeur de la vie humaine; c'est de cette « source » qu'il reçoit notamment la capacité de « faire » parfaitement la vérité (cf. Jn 3, 21), ou d'assumer et d'exercer pleinement la responsabilité d'aimer et de servir la vie humaine, de la défendre et de la promouvoir.
En résumant ce qui est au cœur du message moral de Jésus et de la prédication des Apôtres, et en reprenant dans une admirable synthèse la grande tradition des Pères d'Orient et d'Occident — de saint Augustin en particulier —, saint Thomas a pu écrire que la Loi nouvelle est la grâce de l'Esprit Saint donné par la foi au Christ Les commandements extérieurs, dont l'Evangile parle aussi, prédisposent à cette grâce ou en déploient les effets dans la vie. De fait, la Loi nouvelle ne se contente pas de dire ce qui doit se faire, mais elle donne aussi la force de « faire la vérité » (cf. Jn 3, 21). Dans le même sens, saint Jean Chrysostome a fait observer que la Loi nouvelle fut promulguée précisément quand l'Esprit Saint est venu du ciel le jour de la Pentecôte et que les Apôtres « ne descendirent pas de la montagne en portant, comme Moïse, des tables de pierre dans leurs mains, mais qu'ils s'en retournaient en portant l'Esprit Saint dans leurs cœurs, devenus par sa grâce une loi vivante et un livre vivant »
Dans les paroles de Jésus rappelées plus haut, nous trouvons également l'appel à former la conscience et à la rendre objet d'une conversion continuelle à la vérité et au bien. Il faut lire de manière analogue l'exhortation de l'Apôtre à ne pas se conformer à la mentalité de ce monde, mais à se transformer en renouvelant notre jugement (cf. Rm 12, 2). En réalité, c'est le « cœur » tourné vers le Seigneur et vers l'amour du bien qui est la source des jugements vrais de la conscience. En effet, « pour pouvoir discerner la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui lui plaît, ce qui est parfait » (Rm 12, 2), la connaissance de la Loi de Dieu est certes généralement nécessaire, mais elle n'est pas suffisante : il est indispensable qu'il existe une sorte de «connaturalité » entre l'homme et le bien véritable Une telle connaturalité s'enracine et se développe dans les dispositions vertueuses de l'homme lui-même : la prudence et les autres vertus cardinales, et d'abord les vertus théologales de foi, d'espérance et de charité. C'est en ce sens que Jésus a dit : « Celui qui fait la vérité vient à la lumière » (Jn 3, 21).