Luc 12, 46
alors quand le maître viendra, le jour où son serviteur ne s’y attend pas et à l’heure qu’il ne connaît pas, il l’écartera et lui fera partager le sort des infidèles.
alors quand le maître viendra, le jour où son serviteur ne s’y attend pas et à l’heure qu’il ne connaît pas, il l’écartera et lui fera partager le sort des infidèles.
Il ne dit pas qu'il trouvera agissant par hasard, mais «agissant ainsi»; car il ne suffit pas de vaincre, il faut encore combattre suivant les règles: c'est-à-dire faire chacune de ses actions, comme Dieu nous l'ordonne.
Le corps n'est pas divisé, en ce sens qu'une partie soit soumise au châtiment, tandis que l'autre partie en serait exempte; car c'est une opinion fausse et contraire à toute justice, qu'une partie seulement du corps soit punie, quand le corps a péché tout entier. L'âme non plus ne sera pas divisée; car elle est unie tout entière à la conscience coupable, et partage avec le corps la complicité du mal; cette division n'est donc autre chose que l'éternelle séparation de l'âme avec l'Esprit saint. En effet, dans la vie présente, bien que la grâce de ce divin Esprit ne réside pas dans les âmes, qui en sont indignes, elle paraît cependant être près d'elles en quelque sorte, attendant la conversion qui doit les conduire au salut, mais alors cette grâce sera complètement retranchée de l'âme coupable. Le Saint-Esprit est donc tout à la fois la récompense des justes et la première condamnation des pécheurs, parce que les indignes en seront dépouillés à jamais.
Ou bien dans un autre sens, les préceptes qu'il vient de donner, s'adressent à tous, mais celui qu'il donne par la comparaison suivante s'adresse spécialement aux dispensateurs, c'est-à-dire aux prêtres: «Et le Seigneur lui répondit: Quel est à votre avis le dispensateur fidèle et prudent que le maître a établi sur tous ses serviteurs, pour leur distribuer, dans le temps, leur mesure de froment ?»
Le Sauveur fait cette question, non pas qu'il ignore quel est le dispensateur fidèle et prudent, mais il veut nous faire entendre la rareté de la chose, et l'importance de cet emploi.
Ce n'est pas seulement par la promesse de la récompense réservée aux bons, mais par la menace du châtiment qui attend les mauvais, que Notre-Seigneur excite à la vigilance ceux qui l'écoutent: «Que si ce serviteur dit en lui-même: Mon maître n'est pas près de venir», etc.
Il dit: «La mesure de froment», parce que la capacité varie suivant les auditeurs.
Les âmes fortes sont faites pour ce qu'il y a de plus difficile et de plus élevé dans les commandements de Dieu, mais pour ceux qui n'ont point encore atteint ce haut degré de vertu, ils ne peuvent accomplir que des préceptes plus faciles. Aussi le Seigneur se sert d'une comparaison des plus claires, pour bien établir que les commandements qui précèdent s'adressent à ceux qu'il a élevés à la dignité de ses disciples: «Le Seigneur lui répondit Quel est à votre avis le dispensateur fidèle et prudent ?»etc.
Si donc le serviteur fidèle et prudent distribue en son temps avec prudence aux serviteurs leur nourriture, c'est-à-dire les aliments spirituels, il sera heureux suivant la promesse du Sauveur, c'est-à-dire qu'il obtiendra un emploi supérieur, et recevra la récompense réservée aux amis. «Je vous le dis en vérité; qu'il l'établira sur tous les biens qu'il possède».
Il ajoute: «Dans le temps», parce qu'un bienfait qui ne vient pas en son temps, est rendu inutile, et perd le nom de bienfait; de même que le pain est désirable pour celui qui a faim, tandis qu'il l'est très-peu pour celui qui est rassasié. Quant à la récompense de ce dispensateur fidèle et prudent, la voici: «Heureux ce serviteur que le maître, lorsqu'il viendra, trouvera agissant ainsi».
Dans ce qui précède, Notre-Seigneur avait donné deux avertissements distincts, qu'il viendrait à l'improviste et qu'ils devaient être toujours prêts à le recevoir. Or, il est difficile de dire, si Pierre a en vue ces deux vérités ou l'une des deux seulement, quand il fait cette question, et quels sont ceux qu'il met en opposition avec lui et avec ses compagnons quand il dit: «Est-ce pour nous que vous dites cette parabole, ou pour tout le monde ?» Les expressions nous et tous ne peuvent guère désigner que les Apôtres et les continuateurs de leur ministère, et le reste des fidèles, ou les chrétiens et les infidèles, ou ceux qui meurent successivement et un à un, et qui acceptent volontiers ou à contre coeur l'avènement de leur juge, et ceux qui seront encore vivants, lors du jugement universel. Or, il serait étrange que Pierre ait pu douter que nous devions tous vivre avec tempérance, piété et justice ( Tt 2, 12), en attendant la félicité que nous espérons, ou que l'heure du jugement viendrait pour tous à l'improviste. Donc puisque ces deux choses lui étaient parfaitement connues, il faut nécessairement admettre que sa question a pour objet les choses qu'il ne savait pas, c'est-à-dire, si les préceptes sublimes d'une vie plus parfaite, comme de vendre ce qu'on possède, se faire des bourses qui ne s'usent pas, avoir les reins ceints et porter des lampes allumées, s'adressent aux Apôtres et à ceux qui remplissent le même ministère, ou à tous les chrétiens en général.
Il y a une grande différence de mérites entre les bons auditeurs et les bons docteurs, cette différence existera également dans les récompenses. Pour les premiers, s'il les trouve attentifs à veiller, il les fera mettre à table, mais pour les dispensateurs fidèles et prudents, il les établira sur tout ce qu'il possède, c'est-à-dire sur toutes les joies du royaume des cieux, non pas pour qu'ils en aient la possession exclusive, mais pour qu'ils en jouissent plus pleinement pendant l'éternité que les autres saints.
Ou bien encore, il le divisera en le retranchant de la société des fidèles, et en le rangeant parmi ceux qui n'ont jamais eu la foi: «Et il lui donnera son lot parmi les serviteurs infidèles». Car, dit l'Apôtre: «Si quelqu'un n'a pas soin des siens, et particulièrement de ceux de sa maison, il a renoncé à la foi, et il est pire qu'un infidèle». ( 1Tm 5,8 ).
Remarquez qu'au nombre des vices de ce mauvais serviteur, le Sauveur met la pensée où il était que son maître tarderait à venir, tandis qu'il ne met point au nombre des vertus du bon serviteur qu'il espérait le prompt retour de son maître, mais simplement qu'il a rempli fidèlement son devoir. Le mieux pour nous est donc de supporter patiemment l'ignorance où nous sommes de ce que nous ne pouvons savoir, et de nous appliquer seulement à être trouvés dignes de la récompense qui nous est préparée.
Dans la condamnation de ce mauvais serviteur, il faut voir celle de tous les mauvais supérieurs qui, sans crainte aucune de Dieu, non seulement mènent une vie criminelle, mais accablent de mauvais traitements ceux qui leur sont soumis. Dans le sens figuré, «frapper les serviteurs et les servantes», peut signifier corrompre les âmes faibles par de mauvais exemples; comme «manger, boire et s'enivrer»,signifie être esclave des séductions et des plaisirs coupables du monde, qui font perdre la raison à l'homme. Or, voici que lle sera la peine de ce mauvais serviteur: «Le maître de ce serviteur viendra au jour où il ne l'attend pas, et à l'heure qu'il ne sait point (c'est-à-dire à l'heure de la mort et du jugement), et il le divisera».
Pierre à qui le Sauveur avait déjà confié le soin de l'Église (cf. Mt 16,19 ), agit comme s'il en avait déjà la responsabilité, et demande à son divin Maître si cette parabole s'adressait à tous: «Alors Pierre lui dit: Seigneur est-ce pour nous que vous dites cette parabole, ou pour tout le monde ?»
La parabole précédente s'adressait à tous les fidèles, mais écoutez ce qui vous regarde particulièrement, vous qui êtes apôtres ou docteurs. Je demande donc où l'on pourra trouver un dispensateur qui réunisse tout à la fois la fidélité et la prudence. Dans l'administration des biens de la terre, l'imprudence même avec la fidélité, ou la prudence avec l'infidélité, amènent également la ruine de la fortune du maître; il en est de même dans les choses divines qui demandent tout à la fois de la fidélité et de la prudence. J'ai connu un grand nombre de bons et fidèles serviteurs de Dieu, mais qui, incapables de traiter avec prudence les affaires ecclésiastiques, non seulement perdaient les biens de l'Église, mais encore les âmes elles-mêmes, en exerçant à l'égard des pécheurs un zèle indiscret, soit en leur imposant des pénitences exagérées, soit en ayant pour eux une douceur inopportune.
Tout dispensateur fidèle et prudent doit donc se mettre à la tête des serviteurs de son maître, pour leur donner dans le temps convenable la mesure de froment, c'est-à-dire l'enseignement de la doctrine qui est la nourriture des âmes, ou l'exemple des bonnes oeuvres pour être la règle de la vie.
Le dispensateur infidèle mérite en effet le sort des infidèles, puisqu'il n'a pas eu la véritable foi.
Ou bien, «il l'établira sur tous ses biens», non seulement sur sa maison, mais il soumettra à son commandement les créatures du ciel et de la terre. Tel fut Josué fils de Nave ( Si 46, 1; Jos 10, 12; 3 R 17, 2; 18, 24; Jc 5, 17.18), tel fut encore Élie, l'un commandant au soleil, l'autre aux nuées du ciel; de même tous les saints usent des créatures com me des amis de Dieu. Tel est encore tout homme dont la vie est vertueuse, et qui gouverne sagement ses serviteurs, c'est-à-dire la colère et la concupiscence, et qui donne à chacun dans son temps la mesure de froment, à la colère, en tournant ses efforts contre les ennemis de Dieu; à la concupiscence, en réglant sur la nécessité l'usage des choses extérieures, et en le rapportant à Dieu. Celui qui agira de la sorte, sera établi sur tous les biens que possède le Seigneur, et méritera de contempler toute vérité par l'oeil éclairé de son intelligence.
On se laisse aller à une multitude de fautes, parce qu'on ne pense pas à sa dernière heure; car si nous avions toujours présent à l'esprit que le Se igneur doit venir, et que le terme de notre vie approche, nous commettrions moins facilement le péché. Voyez, en effet, la suite: «Et qu'il se mette à battre les serviteurs et les servantes, à manger, à boire et à s'enivrer».
Voyez S. Matthieu, 24, 48-51 et l'explication. Quel triste contraste ! Nous
entendons ici l'odieux soliloque d'un majordome infidèle qui, spéculant sur l'absence prolongée de son
maître, abuse indignement de l'autorité qu'on lui a confiée. Mais aussi, comme il sera châtié quand le père de
famille, rentrant au moment où on l'attendra le moins, surprendra le coupable en flagrant délit ! Il sera
condamné au plus affreux de tous les supplices (car les maîtres avaient sur leurs esclaves le droit de vie et de
mort), celui de l'écartèlement : tel est le sens probable du verbe retranchera. Mais les mots et lui donnera sa
part avec les infidèles représentent une peine plus terrible encore d'après ce passage parallèle de
l'Apocalypse, 21, 8 : « la part qui leur revient, c’est l’étang embrasé de feu et de soufre, qui est la seconde
mort. ».