Luc 2, 51
Il descendit avec eux pour se rendre à Nazareth, et il leur était soumis. Sa mère gardait dans son cœur tous ces événements.
Il descendit avec eux pour se rendre à Nazareth, et il leur était soumis. Sa mère gardait dans son cœur tous ces événements.
La divinité, qui avait si visiblement resplendi en Jésus, rentre
dans l'ombre après cet éclat momentané. La gracieuse fleur de Nazareth s'était entr'ouverte et avait laissé
échapper quelques-uns de ses parfums ; mais voici qu'elle se referme pour de longues années, pour dix-huit
années entières, que S. Luc a résumées en deux versets. Il est vrai que ce résumé est d'une richesse
inépuisable. - Il leur était soumis. « Je suis saisi d'étonnement à cette parole, écrivait Bossuet, 8è Élévat. De
la 20° semaine. Est-ce donc là tout l'emploi d'un Jésus-Christ, du Fils de Dieu ? Tout son exercice est d'obéir
à deux de ses créatures ». Comp. Phil. 2, 7. Quel admirable tableau dans ces trois mots : « Il leur était
soumis ». - Sa mère conservait toutes ces choses… Au v. 19, S. Luc avait déjà signalé cette perpétuelle
contemplation de Marie en face des mystères de Jésus ; toutefois, il use ici d'une expression plus énergique.
La divine Mère méditait donc jour et nuit les paroles et les actions de son Fils. Cette retraite de Nazareth fut
pour elle une époque de joies bien douces, que rien ne vint troubler depuis l'épisode du temple, si ce n'est la
mort de S. Joseph, arrivée, selon toute vraisemblance, quelque temps avant le ministère public de
Notre-Seigneur. Comp. Joan 2, 12, où le saint patriarche n'est pas même mentionné dans un dénombrement très exact de la famille humaine du Sauveur.
Jésus ne les reprend pas de l’avoir cherché, mais il déclare qu’il a, comme Fils de l’Eternel, des devoirs supérieurs à remplir (saint Bède). ― Jésus obéit pour nous apprendre que l’obéissance est la voie de la perfection (saint Grégoire de Nysse).
Cette union de la Mère avec son Fils dans l’œuvre du salut est manifeste dès l’heure de la conception virginale du Christ jusqu’à sa mort ; et d’abord quand Marie, partant en hâte pour visiter Élisabeth, est saluée par elle du nom de bienheureuse pour avoir cru au salut promis, tandis que le Précurseur tressaillait au sein de sa mère (cf. Lc 1, 41-45) ; lors de la Nativité ensuite, quand la Mère de Dieu présenta dans la joie aux pasteurs et aux mages son Fils premier-né, dont la naissance était non la perte mais la consécration de son intégrité virginale. Puis lorsque, dans le Temple, après avoir fait l’offrande des pauvres, elle présenta son Fils au Seigneur, elle entendit Siméon prophétiser en même temps que le Fils serait un signe de contradiction, et que l’âme de la mère serait transpercée d’un glaive : ainsi se révéleraient les pensées intimes d’un grand nombre (cf. Lc 2, 34-35). Ayant perdu l’Enfant Jésus et l’ayant cherché avec angoisse, ses parents le trouvèrent au Temple occupé dans la maison de son Père, et la parole du Fils ne fut pas comprise par eux. Sa mère cependant gardait tout cela dans son cœur et le méditait (cf. Lc 2, 41-51).
Toute la vie du Christ est mystère de Rédemption. La Rédemption nous vient avant tout par le sang de la Croix (cf. Ep 1, 7 ; Col 1, 13-14 ; 1 P 1, 18-19), mais ce mystère est à l’œuvre dans toute la vie du Christ : dans son Incarnation déjà, par laquelle, en se faisant pauvre, il nous enrichit par sa pauvreté (cf. 2 Co 8, 9) ; dans sa vie cachée qui, par sa soumission (cf. Lc 2, 51), répare notre insoumission ; dans sa parole qui purifie ses auditeurs (cf. Jn 15, 3) ; dans ses guérisons et ses exorcismes, par lesquels " il a pris nos infirmités et s’est chargé de nos maladies " (Mt 8, 17 ; cf. Is 53, 4) ; dans sa Résurrection, par laquelle il nous justifie (cf. Rm 4, 25).
Pendant la plus grande partie de sa vie, Jésus a partagé la condition de l’immense majorité des hommes : une vie quotidienne sans apparente grandeur, vie de travail manuel, vie religieuse juive soumise à la Loi de Dieu (cf. Ga 4, 4), vie dans la communauté. De toute cette période il nous est révélé que Jésus était " soumis " à ses parents et qu’" il croissait en sagesse, en taille et en grâce devant Dieu et devant les hommes " (Lc 2, 51-52).
Il leur était soumis (Lc 2, 51).
Pendant les années de la vie cachée de Jésus dans la maison de Nazareth, la vie de Marie, elle aussi, est «cachée avec le Christ en Dieu» (cf Col 3, 3) dans la foi. En effet, la foi est un contact avec le mystère de Dieu. Constamment, quotidiennement, Marie est en contact avec le mystère ineffable de Dieu fait homme, mystère qui dépasse tout ce qui a été révélé dans l'Ancienne Alliance. Dès le moment de l'Annonciation, l'esprit de la Vierge-Mère a été introduit dans la «nouveauté» radicale de la révélation que Dieu fait de lui-même, et elle a pris conscience du mystère. Elle est la première de ces «petits» dont Jésus dira un jour: «Père, ... tu as caché cela aux sages et aux intelligents et tu l'as révélé aux tout-petits» (Mt 11, 25). En effet, «nul ne connaît le Fils si ce n'est le Père» (Mt 11, 27). Comment Marie peut-elle donc «connaître le Fils»? Elle ne le connaît certes pas comme le Père; et pourtant elle est la première de ceux auxquels le Père «a voulu le révéler» (cf. Mt 11, 26-27; 1 Co 2, 11). Néanmoins si, dès le moment de l'Annonciation, le Fils, lui dont seul le Père connaît la vérité entière, lui a été révélé comme celui que le Père engendre dans l'éternel «aujourd'hui» (cf. Ps 2, 7), Marie, sa Mère, est au contact de la vérité de son Fils seulement dans la foi et par la foi! Elle est donc bienheureuse parce qu'elle «a cru» et parce qu'elle croit chaque jour, à travers toutes les épreuves et les difficultés de la période de l'enfance de Jésus, puis au cours des années de la vie cachée à Nazareth où il «leur était soumis» (Lc 2, 51): soumis à Marie, et à Joseph également, parce que ce dernier lui tenait lieu de père devant les hommes; c'est pourquoi le Fils de Marie était considéré par les gens comme «le fils du charpentier» (Mt 13, 55).
S'éloigne-t-il par là de celle qui l'a mis au monde selon la chair? Voudrait-il la maintenir dans l'ombre de la discrétion qu'elle a elle-même choisie? Si l'on s'en tient au premier sens de ces paroles, il peut sembler en être ainsi, mais on doit observer que la maternité nouvelle et différente dont Jésus parle à ses disciples concerne précisément Marie de manière toute spéciale. Marie n'est-elle pas la première de «ceux qui écoutent la Parole de Dieu et la mettent en pratique»? Dans ces conditions, la bénédiction prononcée par Jésus en réponse aux paroles de la femme anonyme ne la concerne-t-elle pas avant tout? Assurément Marie est digne d'être bénie, du fait qu'elle est devenue la Mère de Jésus selon la chair («Heureuses les entrailles qui t'ont porté et les seins qui t'ont nourri de leur lait!»), mais aussi et surtout parce que dès le moment de l'Annonciation elle a accueilli la Parole de Dieu, parce qu'elle a cru, parce qu'elle a obéi à Dieu, parce qu'elle «conservait» la Parole et «la méditait dans son cœur» (cf. Lc 1, 38. 45; 2, 19. 51) et l'accomplissait par toute sa vie. Nous pouvons donc affirmer que la bénédiction prononcée par Jésus ne contredit pas, malgré les apparences, celle que formule la femme inconnue, mais elle la rejoint dans la personne de la Mère-Vierge qui ne s'est dite que «la servante du Seigneur» (Lc 1, 38). S'il est vrai que «toutes les générations la diront bienheureuse» (cf. Lc 1, 48), on peut dire que cette femme anonyme a été la première à confirmer à son insu ce verset prophétique du Magnificat de Marie et à inaugurer le Magnificat des siècles.
Marie n'a pas reçu directement cette mission apostolique. Elle n'était pas parmi ceux que Jésus envoya pour «faire des disciples de toutes les nations» (cf. Mt 28, 19), lorsqu'il leur conféra cette mission. Mais elle était dans le Cénacle où les Apôtres se préparaient à assumer cette mission grâce à la venue de l'Esprit de Vérité: elle était avec eux. Au milieu d'eux, Marie était «assidue à la prière» en tant que «Mère de Jésus» (cf. Ac 1, 13-14), c'est-à-dire du Christ crucifié et ressuscité. Et le premier noyau de ceux qui regardaient «avec la foi vers Jésus auteur du salut» 62 savait bien que Jésus était le Fils de Marie et qu'elle était sa Mère, et que, comme telle, elle était depuis le moment de la conception et de la naissance, un témoin unique du mystère de Jésus, de ce mystère qui s'était dévoilé et confirmé sous leurs yeux par la Croix et la Résurrection. Dès le premier moment, l'Eglise «regardait» donc Marie à travers Jésus, comme elle «regardait» Jésus à travers Marie. Celle-ci fut pour l'Eglise d'alors et de toujours un témoin unique des années de l'enfance de Jésus et de sa vie cachée à Nazareth, alors qu'«elle conservait avec soin toutes ces choses, les méditant en son cœur» (Lc 2, 19; cf. Lc 2, 51).
Mais l'Eglise garde aussi la foi reçue du Christ: à l'exemple de Marie, qui gardait et méditait en son cœur (cf. Lc 2, 19. 51) tout ce qui concernait son divin Fils, elle s'efforce de garder la Parole de Dieu, d'en approfondir les richesses avec discernement et prudence pour en donner en tout temps un fidèle témoignage à tous les hommes.
Marie, la Mère qui a pris soin de Jésus, prend soin désormais de ce monde blessé, avec affection et douleur maternelles. Comme, le cœur transpercé, elle a pleuré la mort de Jésus, maintenant elle compatit à la souffrance des pauvres crucifiés et des créatures de ce monde saccagées par le pouvoir humain. Totalement transfigurée, elle vit avec Jésus, et toutes les créatures chantent sa beauté. Elle est la Femme « enveloppée de soleil, la lune est sous ses pieds, et douze étoiles couronnent sa tête » (Ap 12, 1). Élevée au ciel, elle est Mère et Reine de toute la création. Dans son corps glorifié, avec le Christ ressuscité, une partie de la création a atteint toute la plénitude de sa propre beauté. Non seulement elle garde dans son cœur toute la vie de Jésus qu’elle conservait fidèlement (cf. Lc 2, 51.51), mais elle comprend aussi maintenant le sens de toutes choses. C’est pourquoi, nous pouvons lui demander de nous aider à regarder ce monde avec des yeux plus avisés.
19. Le cœur est également capable d’unifier et d’harmoniser l’histoire personnelle, qui semble fragmentée en mille morceaux mais où tout peut avoir un sens. C’est ce que l’Évangile exprime avec Marie qui regardait avec le cœur. Elle savait dialoguer avec les expériences conservées en y réfléchissant dans son cœur, en leur donnant du temps, les méditant et les conservant intérieurement pour se souvenir. Dans l’Évangile, la meilleure expression de ce que pense le cœur est représentée par les deux passages de saint Luc qui nous disent que Marie « gardait (syneterei) toutes ces choses, les méditant (symballousa) dans son cœur » (cf. Lc 2, 19 ; cf. 2, 51). Le verbe symballein (d’où le terme “symbole”) signifie méditer, unir deux choses dans son esprit, et aussi s’examiner soi-même, réfléchir, dialoguer avec soi-même. En Lc 2, 51 dieterei signifie “conserver avec soin”, et ce qu’elle conservait n’était pas seulement “la scène” qu’elle voyait, mais aussi ce qu’elle ne comprenait pas encore, mais qui était présent et vivant dans l’attente de tout rassembler dans son cœur.