Luc 22, 42
« Père, si tu le veux, éloigne de moi cette coupe ; cependant, que soit faite non pas ma volonté, mais la tienne. »
« Père, si tu le veux, éloigne de moi cette coupe ; cependant, que soit faite non pas ma volonté, mais la tienne. »
Notre-Seigneur nous fait donc voir en lui deux volontés, la volonté humaine et la volonté divine; la volonté humaine, qui ne voit que la faiblesse de la chair, refuse de souffrir, mais la volonté divine se soumet à la passion avec amour, parce qu'elle sait que le Fils de Dieu ne peut rester enchaîné dans les liens de la mort.
Apollinaire prétend que la nature humaine en Jésus-Christ n'avait pas de volonté propre, et qu'il n'y a en lui qu'une seule volonté, celle du Dieu qui est descendu du ciel. Qu'il nous dise donc quelle est cette volonté dont le Sauveur ne veut point l'accomplissement, car la divinité ne peut renoncer à sa propre volonté.
Mais pourquoi fléchit-il les genoux, selon le récit de l'Évangéliste: «Et s'étant mis à genoux, il priait ?» Les hommes ont coutume de se prosterner ainsi devant les grands pour les supplier, témoignant ainsi par leur attitude, que ceux qu'ils prient leur sont supérieurs. Or, il est évident que la nature humaine n'est rien en comparaison de celle de Dieu, c'est pourquoi dans les devoirs que nous rendons à cette nature incomparable, nous employons les marques d'honneur en usage parmi nous, pour témoigner notre respect à l'égard de ceux qui sont élevés au-dessus de nous. C'est ainsi que celui qui a pris sur lui nos misères, et s'est rendu notre médiateur, fléchit pour prier les genoux de l'humanité dont il s'est revêtu, pour nous apprendre à fuir l'orgueil pendant que nous prions, et à suivre en tout les inspirations de l'humilité; car Dieu résiste aux superbes, et il accorde sa grâce aux humbles. ( Jc 4; 1 P 5).
Il dit donc à Dieu: «Si vous le voulez, éloignez de moi ce calice»; comme homme, il repousse la pensée de la mort; comme Dieu, il maintient la loi qu'il a portée.
Tout homme qui enseigne un art quelconque, doit joindre l'exemple aux paroles; c'est pourquoi Notre-Seigneur qui est venu nous enseigner toutes les vertus, conforme sa conduite à ses enseignements. Il nous fait un devoir de prier pour ne point entrer en tentation, il appuie ce précepte de son exemple: «Il priait, disant: Mon Père, si vous le voulez, éloignez de moi ce calice». Ces paroles: «Si vous le voulez»,ne supposent pas que le Sauveur ignorât que sa prière était agréable à son Père; car cette connaissance n'était pas plus difficile pour lui que la science de la nature du Père, que lui seul connaît dans toute son étendue, ainsi qu'il le déclare lui-même: «Comme mon Père me connaît, ainsi je connais mon Père» ( Jn 10). S'il parle de la sorte, ce n'est pas non plus pour éloigner sa passion, car comment admettre qu'il refusât d'être crucifié, lui qui, voyant un de ses Apôtres s'opposer à ses souffrances, l'avait repris sévèrement jusqu'à l'appeler Satan, après qu'il avait fait un si magnifique éloge de sa foi? ( Mt 16). Pour comprendre la raison de cette prière, considérez combien il était difficile de croire qu'un Dieu ineffable et incompréhensible, ait voulu se renfermer dans le sein d'une vierge, être nourri de son lait, et souffrir toutes les infirmités humaines. Or, comme tous les mystères de sa vie mortelle étaient presque incroyables, il envoya d'abord l es prophètes pour les prédire à l'avance; puis il vint lui-même revêtu d'une chair véritable (pour bien convaincre qu'il n'était pas un fantôme), et il permit que cette chair fût soumise à toutes les infirmités de la nature humaine; à la faim, à la soif, au sommeil, au travail, à la douleur, à l'angoisse, et c'est par suite du même dessein, et pour prouver la vérité de son humanité, qu'il demande à son Père d'éloigner de lui la mort.
Il s'éloigne de ses disciples àla distance d'un jet de pierre, comme pour les avertir par cette figure qu'ils devaient diriger vers lui la pierre, c'est-à-dire conduire jusqu'à lui le sens de la loi qui fut écrite sur la pierre.
Il passait toute la journée dans la ville de Jérusalem, et le soir venu, il se retirait avec ses disciples sur la montagne des Oliviers: «Et ses disciples le suivirent».
Mais ce n'est pas seulement par ses paroles qu'il veut leur être utile; il s'avance donc un peu plus loin, et se met en prière: «Et il s'éloigna d'eux à la distance d'un jet de pierre», etc. Partout vous voyez le Sauveur se retirer à l'écart pour prier, il vous apprend ainsi la nécessité du recueillement de l'esprit et de la paix du coeur pour vous entretenir avec le Dieu très-haut, Or, s'il s'applique ainsi à la prière, ce n'est point qu'il ait besoin d'un secours étranger, lui qui est la vertu toute puissante du Père, mais il veut nous apprendre qu'il ne faut pas s'endormir dans les tentations, mais prier avec plus d'instance.
Ou bien encore, ces paroles: «Éloignez de moi ce calice», ne veulent pas dire: Faites qu'il ne m'arrive pas; car on ne peut l'éloigner que parce qu'il est déjà arrivé. C'est donc lorsque le Sauveur sentit que ce calice était présent, qu'il commença à être affligé et attristé; et c'est lorsqu'il le vit sous ses yeux, qu'il dit à son Père: «Éloignez de moi ce calice», car ce qui passe, ne demeure pas dans le même état, Jésus donc demande à Dieu d'éloigner de lui la tentation qui commence à l'assaillir; et c'est dans ce sens qu'il nous conseille de prier pour ne point entrer en tentation. Or, il nous indique la voie la plus parfaite et la plus sûre pour échapper aux tentations: «Cependant, que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la vôtre».En effet, Dieu est essentiellement étranger au mal, et il veut sincèrement nous combler de biens, au delà même de ce que nous pouvons demander et comprendre. Le Sauveur demande donc que la volonté parfaite du Père qui lui est connue, ait son plein effet, parce que cette volonté est la même que la sienne en tant qu'il est Dieu, et il renonce à l'accomplissement de la volonté humaine, qu'il appelle la sienne, et qui est inférieure à celle de son Père.
Le Sauveur, aux approches de sa passion, a pris la voix de nos infirmités, pour nous apprendre à demander dans notre faiblesse l'éloignement des maux dont nous sommes menacés, tout en ayant la force d'être prêts à dire: Que la volonté de notre Créateur s'accomplisse, fût-elle opposée à la nôtre.
Le Sauveur voyant arriver l'heure où son disciple devait le trahir, se dirige vers l'endroit où il avait coutume de se retirer, pour que ses ennemis le trouvent plus facilement: ce Et étant sorti, il s'en alla, suivant sa coutume, à la montagne des Oliviers».
C'est avec dessein qu'après les avoir nourris des mystères de son corps et de son sang, il les conduit sur la montagne des Oliviers, pour nous apprendre que tous ceux qui ont été baptisés en sa mort, doivent être confirmés par l'onction du Saint-Esprit.
Il est impossible que l'âme de l'homme soit exempte de tentations. Aussi ne leur dit-il pas: Priez afin de n'être point tentés, mais: «Priez, afin de ne point entrer en tentation»; c'est-à-dire afin de n'être pas vaincus dans cette dernière tentation.
Le Sauveur prie seul pour tous les hommes, lui qui devait seul souffrir pour tous, et il nous enseigne par là que sa prière est aussi élevée au-dessus de la nôtre, que sa passion l'est au-dessus de nos souffrances.
Ou encore, il demande à Dieu d'éloigner de lui ce calice, non par crainte des souffrances, mais par un sentiment de miséricorde pour son ancie n peuple, des mains duquel il ne voudrait pas recevoir ce calice. Aussi ne dit-il pas: Éloignez de moi le calice, mais: «Éloignez de moi ce calice», c'est-à-dire le calice que me prépare le peuple juif, qui ne peut alléguer son ignorance pour excuser son crime, s'il me met à mort, puisqu'il a entre les mains la loi et les prophètes qui lui parlent tous les jours de moi.
Après le repas, le Seigneur ne se laisse aller ni à l'oisiveté, ni aux douceurs du repos, ni au sommeil, mais il s'applique à la prière et à l'enseignement: ce Lorsqu'il fut arrivé en ce lieu, il leur dit: Priez», etc.
La prière de Jésus est exposée avec de légères
variantes dans nos trois récits parallèles. - Père, si vous le voulez. « Il s’est abaissé, devenant obéissant
jusqu’à la mort, et la mort de la croix », Phil. 2, 8. L'obéissance fut le mobile perpétuel, unique, de Jésus. Cfr.
Joan. 5, 30 ; 6, 38. - Éloignez ce calice de moi. Voyez l'Evang. selon S. Matthieu, p. 514. - Que ce ne soit pas
ma volonté qui se fasse, mais la tienne… Cfr. Matth. 1, 19 et le commentaire.
La soumission de Jésus à sa mère et son père légal accomplit parfaitement le quatrième commandement. Elle est l’image temporelle de son obéissance filiale à son Père céleste. La soumission de tous les jours de Jésus à Joseph et à Marie annonçait et anticipait la soumission du Jeudi Saint : " Non pas ma volonté... " (Lc 22, 42). L’obéissance du Christ dans le quotidien de la vie cachée inaugurait déjà l’œuvre de rétablissement de ce que la désobéissance d’Adam avait détruit (cf. Rm 5, 19).
Quand l’Heure est venue où Il accomplit le Dessein d’amour du Père, Jésus laisse entrevoir la profondeur insondable de sa prière filiale, non seulement avant de se livrer librement (" Abba... non pas ma volonté, mais la tienne " : Lc 22, 42), mais jusque dans ses dernières paroles sur la Croix, là où prier et se donner ne font qu’un : " Mon Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font " (Lc 23, 34) ; " En vérité, je te le dis, dès aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis " (Lc 24, 43) ; " Femme, voici ton fils " – " Voici ta mère " (Jn 19, 26-27) ; " J’ai soif ! " (Jn 19, 28) ; " Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? " (Mc 15, 34 ; cf. Ps 22, 2) ; " Tout est achevé " (Jn 19, 30) ; " Père, je remets mon esprit entre tes mains " (Lc 23, 46), jusqu’à ce " grand cri " où il expire en livrant l’esprit (cf. Mc 15, 37 ; Jn 19, 30b).
C’est dans le Christ, et par sa volonté humaine, que la Volonté du Père a été parfaitement et une fois pour toutes accomplie. Jésus a dit en entrant dans ce monde : " Voici, je viens faire, ô Dieu, ta volonté " (He 10, 7 ; Ps 40, 7). Jésus seul peut dire : " Je fais toujours ce qui Lui plaît " (Jn 8, 29). Dans la prière de son agonie, il consent totalement à cette Volonté : " Que ne se soit pas ma volonté qui se fasse, mais la tienne ! " (Lc 22, 42 ; cf. Jn 4, 34 ; 5, 30 ; 6, 38). Voilà pourquoi Jésus " s’est livré pour nos péchés selon la volonté de Dieu " (Ga 1, 4). " C’est en vertu de cette volonté que nous sommes sanctifiés par l’oblation du Corps de Jésus Christ " (He 10, 10).