Luc 22, 62

Il sortit et, dehors, pleura amèrement.

Il sortit et, dehors, pleura amèrement.
Saint Ambroise
Ces infortunés ne comprirent point le mystère de cette guérison, et n'eurent aucun égard pour ce sentiment de bonté et de clémence, qui ne peut souffrir que ses ennemis mêmes soient blessés: «S'étant donc saisis de lui, ils l'amenèrent», etc. Lorsque nous lisons qu'ils se saisirent de Jésus, gardons-nous de l'entendre de sa divinité, ou de croire que ce fut malgré lui, et par suite de sa faiblesse; ils ne s'emparent de lui et ne le chargent de chaînes qu'en tant qu'il est revêtu d'un corps véritable semblable au nôtre.

Remarquez cependant qu'il le suivait de loin, parce qu'il allait bientôt le renier; car il n'eût pu se rendre coupable de ce crime, s'il se fût tenu plus près de Jésus-Christ. Toutefois il est digne d'éloges pour n'avoir point abandonné le Sauveur, malgré la crainte qu'il éprouvait; cette crainte était un sentiment naturel, mais son zèle était l'effet de son amour.

Or, on avait allumé du feu dans la maison du prince des prêtres: «Après avoir allumé du feu au milieu de la cour, ils s'assirent autour, et Pierre s'assit parmi eux». Pierre s'approcha pour se réchauffer, parce qu'à la vue du Seigneur chargé de chaînes, la chaleur de son âme s'était déjà refroidie.

Pourquoi est-ce une servante qui découvre la première la présence de Pierre, alors que c'était bien plutôt aux hommes à la reconnaître? N'est-ce point que Dieu permit que ce sexe ne se rendît coupable dans la passion du Seigneur, pour qu'il eût part aussi à la grâce de la rédemption par sa passion? Pierre étant reconnu, renie son Maître; je préfère voir Pierre renier Jésus, plutôt que de dire que le Seigneur s'est trompé: «Et Pierre le nia, disant: Femme, je ne le connais point».

Or, Pierre a renié Jésus, parce que sa promesse a été présomptueuse. Il ne le renie pas sur la montagne, ni dans le temple, ni dans sa maison, mais dans le prétoire des Juifs, il renie Jésus là où il est enchaîné, là où ne se trouve point la vérité. Il le renie en disant «Je ne le connais point»; il eût été téméraire, en effet, de dire qu'il connaissait celui que l'esprit humain ne peut comprendre: «Car personne ne connaît le Fils, si ce n'est le Père» ( Mt 11, 47). Bientôt il renie Jésus une seconde fois: «Un peu après, un autre le voyant, lui dit: Vous aussi, vous êtes de ces gens là».

Il aime mieux se renier lui-même que de renier Jésus-Christ; ou encore, c'est en niant qu'il soit de la société de Jésus, qu'il se renie lui-même.

La même question est répétée à Pierre une troisième fois: «Une heure environ s'était écoulée, lorsqu'un autre vint dire avec assurance: Certainement cet homme était avec lui».

C'est-à-dire, je ne connais point vos discours sacrilèges. Nous cherchons à excuser Pierre, mais lui-même ne s'excusa point, c'est qu'en effet, ce n'est pas avec une réponse vague que l'on peut confesser Jésus-Christ, il faut une déclaration claire et formelle; aussi ne peut-on dire que Pierre ait eu dessein de répondre dans ce sens, puisque bientôt le. souvenir de son reniement lui fit verser des larmes amères.

Ceux sur lesquels Jésus daigne ainsi jeter un regard, pleurent amèrement leurs fautes: «Et Pierre se ressouvint de la parole que le Seigneur lui avait dite: «Avant que le coq chante, tu me renieras trois fois. Et Pierre étant sorti, pleura amèrement». Quelle fut la cause de ses larmes? la faute qu'il avait commise. Je lis bien que Pierre a pleuré; je ne vois point qu'il ait cherché à s'excuser; ses larmes effacent le crime qu'il avait honte d'avouer. Il avait renié son divin Maître une première et une seconde fois, mais sans verser de larmes, parce que le Seigneur ne l'avait pas encore regardé; il le renie une troisième fois, Jésus le regarde, et il pleure amèrement. Si donc vous voulez mériter votre pardon, vous aussi lavez vos fautes dans vos larmes.
Saint Jean Chrysostome
Il fut conduit dans la maison du grand-prêtre, pour que tout se fit de son consentement et par son ordre; car c'est là qu'ils s'étaient tous réunis pour attendre Jésus. Pierre donne ici une preuve de son ardent amour, il a vu tous les disciples prendre la fuite, et ne les a point imités: «Et Pierre le suivait de loin».

Admirez la tendre sollicitude du Sauveur, il est chargé de chaînes et il veille avec amour sur son disciple, et d'un seul regard, il le touche et lui fait verser un torrent de larmes: «Et le Seigneur, se retournant, regarda Pierre».
Saint Augustin
Cependant Jésus fut conduit premièrement chez Anne, beau-père de Caïphe, selon le récit plus circonstancié de saint Jean, et non chez Caïphe, comme le raconte saint Matthieu. Saint Marc et saint Luc ne disent pas le nom du grand-prêtre.

Pierre avait reçu les clefs du royaume des cieux, et devait avoir la charge d'une multitude innombrable de peuples encore ensevelis dans leurs péchés. Mais il avait encore quelque dureté dans le caractère, comme il le fait voir en coupant l'oreille au serviteur du grand-prêtre. Or, avec cette sévérité et cette dureté, quelle indulgence aurait-il eue pour les peuples qui devaient lui être confiés, s'il avait reçu le privilège de l'impeccabilité? La Providence divine permit donc qu'il tombât le premier dans le péché, pour que le souvenir de sa propre chute modérât la sévérité de ses jugements à l'égard des pécheurs. Comme il était près du feu pour se chauffer, une jeune fille s'approcha de lui: «Une servante qui le vit assis devant le feu, l'ayant considéré attentivement», etc.

Que faites-vous, Pierre? votre langage est tout à coup changé; votre bouche, pleine de foi et d'amour, ne laisse plus sortir que des paroles de haine et de perfidie? Vous n'avez encore à craindre ni violences, ni tortures; aucun de ceux qui vous interrogent, n'a assez d'autorité pour vous faire trembler; une femme vous fait une simple question, sans intention peut-être d'abuser de votre réponse pour vous faire connaître; que dis-je, ce n'est pas une femme, c'est une jeune fille chargée de garder la porte, c'est une humble servante.

Lors de ce second reniement, Pierre fut interpellé par deux personnes; par cette servante dont parlent saint Matthieu et saint Marc, et par une autre personne, dont fait mention saint Luc. Au moment dont saint Luc dit: «Un peu après», Pierre était déjà sorti, et le coq avait chanté pour la première fois, comme le raconte saint Marc, puis il était rentré (selon le récit de saint Jean), et se tenait devant le feu près de renier Jésus pour la seconde fois. En effet, écoutez-le: «Pierre répondit: Mon ami, je n'en suis point».

Saint Luc précise l'intervalle qui s'écoula entre le deuxième et le troisième renoncement: «Une heure environ s'était écoulée», intervalle dont saint Matthieu et saint Marc ne parlent qu'en ces termes généraux: «Un peu après», saint Jean n'en fait point mention. De même saint Matthieu et saint Marc parlent au pluriel de ceux qui adressaient ces questions à Pierre, tandis que saint Luc et saint Jean ne font mention que d'un seul. Il est facile de résoudre cette contradiction apparente en disant: ou bien que saint Matthieu et saint Marc ont suivi l'usage souvent adopté de mettre le pluriel pour le singulier; ou bien qu'un seul surtout affirmait avoir vu Pierre, et que tous les autres insistaient en s'appuyant sur son témoignage. D'un autre côté, saint Matthieu raconte qu'un de ceux qui étaient présents dit à saint Pierre: «Certainement vous êtes aussi de ces gens-là; car votre langage même vous trahit», et saint Jean qu'un autre lui dit également: «Est-ce que je ne vous ai pas vu dans le jardin ?» tandis que selon saint Marc et saint Luc, ils s'entretenaient de Pierre à peu près dans les mêmes termes. On peut adopter l'opinion de ceux qui croient que d'après tous les Évangélistes Pierre fut interpellé directement (car parler de lui devant lui-même, n'était-ce pas la même chose que lui parler à lui-même), ou bien qu'on s'est servi de ces deux manières de parler, et que les Évangélistes n'en ont raconté qu'une seule des deux.

Le chant du coq se fit entendre après le triple reniement de Pierre, comme saint Marc le dit expressément.

Il faut examiner attentivement dans quel sens il faut entendre ces paroles. En effet, d'après saint Matthieu, «Pierre était assis au dehors dans la cour», et il ne se fût pas exprimé de la sorte, si Notre-Seigneur n'eût été alors dans l'intérieur de la maison. Saint Marc, de son côté, nous dit que «Pierre était en bas, dans la cour», paroles qui indiquent que les faits qui concernent Jésus, et font l'objet de son récit, se passaient non seulement dans l'intérieur, mais dans le haut de la maison. Comment donc le Seigneur a-t-il regardé Pierre? Ce ne fut pa s des yeux du corps, puisque Pierre alors se trouvait en dehors, dans la cour, avec ceux qui se chauffaient, pendant que tout le reste se passait dans l'intérieur de la maison. Il est donc ici question d'un regard tout divin, tel que celui qu'implorait le Psalmiste, lorsqu'il disait: «Regardez-moi, et exaucez-moi»; ( Ps 13) et encore «Tournez-vous vers moi, et délivrez mon âme»; ( Ps 6) et c'est dans ce sens qu'il faut entendre ces paroles: «Et le Seigneur, se retournant, regarda Pierre».
Saint Cyrille d'Alexandrie
Cependant Pierre n'osait pleurer publiquement, de peur que ses larmes ne le fissent découvrir, mais il sortit dehors pour donner un libre cours à ses larmes. Or, il pleurait non par crainte du châtiment qu'il avait mérité, mais parce qu'il avait renié son Maître bien-aimé, pensée plus accablante pour lui que tous les supplices.
Saint Bède le Vénérable
Le prince des prêtres était Caïphe, qui était grand-prêtre pour cette année.

Pierre, suivant de loin le Seigneur qui se dirige vers le lieu de ses souffrances, est la figure de l'Église, qui suit, il est vrai, c'est-à-dire qui doit imiter la passion du Sauveur, mais d'une manière bien différente; car l'Église souffre pour elle-même, tandis que Jésus-Christ souffre pour l'Église.

Ce reniement de Pierre nous apprend qu'on ne renie pas seulement Jésus-Christ en soutenant qu'il n'est pas le Christ, mais en niant qu'on soit chrétien, lorsqu'on l'est en effet.

On ajoute: «Car il est aussi Galiléen», non pas sans doute que les Galiléens eussent une langue différente de celle des habitants de Jérusalem (qui étaient aussi des hébreux), mais parce que chaque province et chaque pays ayant ses usages propres, ne pouvait éviter, en parlant, l'accent qui lui était particulier.

L'Écriture sainte a coutume de caractériser le mérite des faits par les différentes circonstances des temps; ainsi Pierre, qui avait renié son divin Maître au milieu de la nuit, se repentit de son péché au chant du coq: «Et aussitôt, comme il parlait encore, le coq chanta», le souvenir de la vraie lumière lui fait expier le crime qu'il a commis dans les ténèbres de l'oubli.

Dans le sens figuré, ce coq représente les docteurs qui excitent les âmes languissantes et engourdies, en leur adressant ces paroles de l'Apôtre: Justes, tenez-vous dans la vigilance, et gardez-vous du péché» ( 1Co 15,34 ).

En effet, pour Jésus, regarder, c'est faire miséricorde, et cette miséricorde nous est nécessaire non seulement pour faire pénitence, mais même pour en concevoir la résolution.