Luc 3, 38
fils d’Énos, fils de Seth, fils d’Adam, fils de Dieu.
fils d’Énos, fils de Seth, fils d’Adam, fils de Dieu.
Après avoir raconté le baptême du Seigneur, l'Évangéliste donne sa généalogie, non point en descendant des pères aux enfants, mais en remontant de Jésus-Christ jusqu'à Dieu même. Or Jésus avait, quand il commença son ministère, environ trente ans. Saint Luc dit qu'il commença, lorsqu'il eut reçu dans le baptême, comme une seconde et mystérieuse naissance, pour vous enseigner la nécessité de détruire la première naissance, afin de renaître mystérieusement une seconde fois.
Le Seigneur, en descendant du ciel sur la terre, s'est soumis en tout à la condition des pécheurs, et a voulu, comme le rapporte saint Matthieu, descendre de Salomon, dont les crimes sont inscrits dans les livres saints, et d'autres rois qui ont fait le mal devant Dieu. Mais quand il monte des eaux du baptême, où il vient de prendre comme une nouvelle naissance, ce n'est point de Salomon que saint Luc le fait descendre, mais de Nathan, qui vint reprocher à son père, David, la mort d'Urie et la naissance de Salomon.
Entrons plus avant dans l'intelligence de ces paroles si tandis que saint Matthieu affirme que Joseph est fils de Jacob, saint Luc, de son côté, affirmait également que Joseph est fils d'Héli, il y aurait quelque difficulté. Mais comme en face de l'affirmation de saint Matthieu, saint Luc ne fait qu'exprimer l'opinion d'un certain nombre de personnes, et non pas la sienne, en disant «Comme l'on croyait», il ne peut y avoir de place pour le doute. En effet, il y avait parmi les Juifs partage d'opinions sur la personne du Christ; tous le faisaient descendre de David par suite des promesses que Dieu lui avait faites; mais la plupart croyaient qu'il devait descendre de David par Salomon et par les autres rois ses successeurs, tandis que d'autres rejetaient cette opinion à cause des crimes énormes dont plusieurs de ces rois s'étaient rendus coupables, et aussi parce que Jérémie avait prédit de Jéchonias, qu'aucun rejeton de sa race ne s'assoierait sur le trône de David ( Jr 21). Or, c'est cette dernière opinion que rapporte saint Luc, bien qu'il sût que la généalogie rapportée par saint Matthieu, fût seule la vraie. A cette première raison nous pouvons en ajouter une plus profonde; saint Matthieu commence son Évangile avant le récit de la conception et de la naissance temporelle de Jésus-Christ; il était donc naturel qu'il fit précéder ce récit, comme dans toute histoire, de la généalogie de ses ancêtres selon la chair. Voilà pourquoi il donne cette généalogie en descendant des ancêtres aux enfants, parce qu'en effet, le Verbe divin est descendu en se revêtant de notre chair. Saint Luc, au contraire, saute comme d'un bond jusqu'à la nouvelle naissance que Jésus semble prendre dans les eaux du baptême, et il dresse une autre généalogie en remontant des derniers aux premiers, des enfants à leurs pères. De plus, il passe sous silence le nom des rois coupables que saint Matthieu avait inséré dans sa généalogie, parce que tout homme qui reçoit de Dieu une nouvelle naissance, devient étranger à ses parents coupables, en qualité d'enfant de Dieu, et il ne fait mention que de ceux qui ont mené une vie vertueuse aux yeux de Dieu. Car ainsi qu'il fut dit à Abraham: «Vous irez rejoindre vos pères», ( Gn 15), non pas vos pères selon la chair, mais vos pères selon Dieu, à cause de la conformité de votre vie avec leurs vertus. Ainsi saint Luc donne à celui qui a reçu de Dieu une nouvelle naissance des ancêtres selon Dieu, à cause de la ressemblance de moeurs qui existe entre les pères et les enfants.
Quelques-uns prétendent qu'il n'y a qu'une seule généalogie de David à Joseph, mais reproduite sous des noms différents par les deux Évangélistes. Mais cette opinion est tout simplement absurde, puisque en tête de cette généalogie, nous voyons deux frères, Nathan et Salomon, tous deux souches de deux générations tout à fait distinctes.
Cependant on doit baptiser les petits enfants s'il y a nécessité, car il vaut mieux recevoir la justification sans en avoir la conscience, que de sortir de cette vie sans être marqué du signe sacré du baptême. Vous me direz peut-être Quoi ! Jésus-Christ qui était Dieu, attend l'âge de trente ans pour se faire baptiser, et vous voulez qu'on se hâte de recevoir le baptême? En reconnaissant que Jésus-Christ était Dieu, vous avez répondu à cette objection. Il n'avait aucun besoin d'être purifié, il ne courait aucun danger en différant de recevoir le baptême; pour vous, au contraire, vous vous exposez au plus grand des malheurs, si vous quittez cette vie avec cette seule naissance qui vous a engendré à une vie de corruption, et sans être revêtu du vêtement incorruptible de la grâce. Sans doute il est bon de conserver l'innocence et la pureté du baptême, mais il vaut mieux s'exposer à quelques légères souillures que d'être entièrement privé de la grâce qui sanctifie.
A partir de David, la succession de la généalogie est la même dans les deux Évangélistes. - Suite. «Qui fut fils de Jessé».
Cette expression, «comme l'on croyait», est très juste, car il ne l'était pas en effet, mais il passait pour l'être, parce que Marie sa mère était l'épouse de Joseph. Mais pourquoi donner la généalogie de Joseph plutôt que celle de Marie, alors que Marie a enfanté Jésus-Christ par l'opération de l'Esprit saint, et que Joseph est tout à fait étranger à cette divine naissance? Nous aurions lieu d'en être surpris, si nous ne savions que c'est la coutume de l'Écriture, de remonter toujours à l'origine du mari plutôt que de la femme, ce qui est ici d'autant plus naturel, que Marie et Joseph avaient une même origine. En effet, comme Joseph était un homme juste, il dut choisir une épouse de sa tribu et de sa famille. Aussi à l'époque du dénombrement, nous voyons Joseph, qui était de la maison et de la famille de David, se rendre à Bethléem pour s'y faire inscrire avec Marie son épouse, qui était enceinte. Puisqu'elle se fait inscrire comme étant de la même tribu et de la même famille, c'est qu'elle en était en effet; voilà donc pourquoi l'Évangéliste nous donne la génération de Joseph et la commence ainsi: «Qui fut fils d'Héli». Mais remarquons que d'après saint Matthieu, Jacob, qui fut père de Joseph, est fils de Nathan, tandis que d'après saint Luc, Joseph, époux de Marie, est fils d'Héli. Or, comment un seul et même homme peut-il avoir deux pères, Héli et Jacob?
La tradition nous apprend en effet, que Nathan qui descend de Salomon, eut un fils nommé Jacob, et mourut avant sa femme que Melchi épousa, et dont il eut un fils appelé Héli. Jacob à son tour étant mort sans enfants, Héli épousa sa femme et en eut pour fils Joseph, qui, d'après la loi, est appelé fils de Jacob, parce qu'Héli, conformément aux dispositions de la loi ( Dt 25), donnait des enfants à son frère mort.
Nathan personnifie le symbole de la dignité prophétique; ainsi comme le seul Jésus-Christ réunit toutes les vertus, ces différents genres de vertus ont commencé par briller dans chacun de ses ancêtres.
Le nom du juste Noé ne devait pas être omis dans la généalogie du Seigneur; car puisqu'il venait au monde pour fonder son Église, il était juste qu'il comptât parmi ses ancêtres celui qui avait figuré l'établissement de l'Église dans la construction de l'arche. - Suite. «Qui fut fils de Lamech».
Le nom de Seth, le dernier fils d'Adam, n'est pas omis dans cette généalogie; car comme il y a deux générations de peuples différents, le nom de Seth signifie que le Christ doit faire partie de la seconde génération plutôt que de la première.
Quoi de plus beau et de plus convenable que de commencer cette sainte généalogie par le Fils de Dieu, et de la conduire jusqu'au Fils de Dieu. Ainsi celui qui est créé, précède comme figure celui qui naît ensuite Fils de Dieu en vérité. Nous voyons paraître d'abord celui qui a été fait à l'image de Dieu et pour le salut duquel l'image substantielle de Dieu est descendue s ur la terre. Saint Luc a cru encore devoir faire remonter jusqu'à Dieu l'origine de Jésus-Christ, parce que Dieu a véritablement engendré le Christ, soit dans l'éternelle et véritable génération, soit dans le baptême, où il lui communique comme une nouvelle et mystérieuse naissance. Aussi n'a-t-il point commencé son Évangile par la généalogie du Sauveur, mais il ne la place qu'après le récit de son baptême, pour montrer ainsi qu'il était le Fils de Dieu et par nature, et par la grâce. Et encore, quelle preuve plus évidente de la divine génération de Jésus-Christ que de faire précéder l'exposé de sa généalogie de ces paroles solennelles du Père: «Celui-ci est mon Fils bien-aimé».
Ceux qui ont suivi l'ordre ancien ne sont pas pour cela en contradiction avec notre Évangéliste. Ne soyez pas non plus surpris si d'Abraham à Jésus-Christ vous trouvez dans saint Luc un plus grand nombre de générations que dans saint Matthieu, puisque vous reconnaissez que ces deux Évangélistes donnent la généalogie du Sauveur par des personnages tout différents. Il a pu très bien arriver, en effet, que les personnages d'une généalogie aient vécu plus longtemps, tandis que les personnages de l'autre sont morts dans un âge peu avancé; puisque nous voyons des vieillards vivre assez longtemps pour voir leurs petits enfants, tandis que nous en voyons d'autres mourir presque aussitôt la naissance de leurs propres enfants.
On peut dire encore que Jésus attend pour accomplir toute la loi, l'âge où l'on est capable de tous les péchés, afin qu'on ne pût dire qu'il détruisait la loi parce qu'il ne pouvait l'observer.
On peut dire aussi qu'il reçoit le baptême à trente ans, pour montrer que la régénération spirituelle rend les hommes parfaits en proportion de l'âge spirituel.
Comme cette partie de l'Évangile ne se compose que d'une suite de noms, elle ne paraît offrir à quelques-uns rien de bien important. Pour ne pas tomber dans cette erreur, approfondissons cette partie de l'Évangile, car on peut trouver un riche trésor dans ces noms qui, pour la plupart, renferment de précieuses significations, puisqu'ils nous rappellent la bonté divine et la pieuse reconnaissance des saintes femmes qui donnaient aux enfants qu'ils avaient obtenus un nom commémoratif de la grâce qu'ils avaient reçue.
Saint Matthieu, qui écrivait pour les Juifs, s'est proposé seulement d'établir dans son récit que Jésus-Christ descendait d'Abraham et de David, ce qui devait surtout satisfaire les Juifs. Saint Luc, au contraire, dont l'Évangile s'adressait à tous, poursuit la généalogie jusqu'à Adam. - Suite. «Qui fût fils de Tharé».
Oui bien encore, saint Matthieu descend de David par Salomon jusqu'à Joseph; saint Luc au contraire remonte d'Héli contemporain du Sauveur par la ligne de Nathan fils de David, et il réunit les tribus d'Héli et de Joseph; montrant ainsi qu'ils sont de la même famille, et qu'ainsi le Sauveur n'est pas seulement fils de Joseph, mais d'Héli. Par la même raison, en effet, que le Sauveur est appelé fils de Joseph, il est aussi le fils d'Héli et de tous les ancêtres de la même tribu; vérité que l'Apôtre exprime en ces termes: «Qui ont pour pères les patriarches, et de qui est sorti selon la chair Jésus-Christ».
On peut donner trois différentes explications de cette divergence entre les deux généalogies de saint Matthieu et de saint Luc, ou bien, l'un donne le nom du père de Joseph, l'autre celui de son aïeul maternel ou d'un de ses ancêtres; ou bien d'un côté nous avons le père naturel de Joseph, de l'autre son père adoptif; ou bien encore l'un des deux qui nous sont donnés comme pères de Joseph, étant mort sans enfants, son plus proche parent aura épousé sa femme, selon la coutume des Juifs, et donné ainsi un enfant à celui qui était mort.
Il est plus probable que saint Luc nous a donné la généalogie des ancêtres adoptifs de Joseph, puisqu'il ne dit pas que Joseph ait été engendré par celui dont il l'appelle le fils. On conçoit mieux, en effet, qu'on puisse appeler un homme le fils de celui qui l'a adopté, que de dire qu'il a été engendré par celui qui n'est pas son père naturel. Saint Matthieu, au contraire, en s'exprimant de la sorte: «Abraham engendra Isaac, Isaac engendra Jacob», et en continuant ainsi jusqu'à la fin de la généalogie, qu'il termine en disant: «Jacob engendra Joseph», nous indique assez clairement qu'il a voulu donner la généalogie des ancêtres naturels de Joseph, plutôt que la généalogie de ses ancêtres adoptifs. Mais supposons même que saint Luc ait dit que Joseph ait été engendré par Héli, il n'y aurait pas de quoi nous troubler; ne peut-on pas dire en effet, sans absurdité, que celui qui adopte un fils l'engendre, non selon la chair, mais par l'affection qu'il lui porte? Or saint Luc nous donne la généalogie des ancêtres adoptifs de saint Joseph, parce que c'est la foi au Fils de Dieu qui nous fait enfants adoptifs de Dieu, tandis que la généalogie naturelle nous apprend plutôt que c'est pour nous que le Fils de Dieu est devenu Fils de l'homme.
Saint Luc, en donnant Joseph comme fils d'Héli, n'a point voulu nous faire entendre qu'il était son fils naturel et véritable, mais son fils adoptif, et une preuve évidente, c'est qu'il dit dans le même sens qu'Adam est fils de Dieu, lorsque chacun sait qu'après avoir été créé de Dieu, Adam fut placé dans le paradis, et qu'il devint comme le Fils de Dieu par un effet de cette grâce, qu'il perdit bientôt par son péché.
Saint Matthieu a voulu surtout nous représenter le Seigneur descendant jusqu'à notre nature faible et mortelle; dans ce dessein, il commence son Évangile par la généalogie de Jésus-Christ en descendant d'Abraham jusqu'à Jésus-Christ. Saint Luc, au contraire, ne donne cette généalogie qu'après le récit du baptême de Jésus-Christ, et il suit un ordre tout différent, c'est-à-dire qu'il remonte des enfants à leurs pères; son but est surtout de faire ressortir dans la personne du Sauveur le caractère du. pontife qui doit effacer les péchés, c'est pourquoi il donne sa généalogie après qu'une voix du ciel a fait connaître ce qu'il était, après que Jean-Baptiste lui a rendu ce témoignage: «Voilà celui qui efface les péchés du monde», et en remontant ainsi des enfants à leurs pères, il arrive jusqu'à Dieu avec lequel nous sommes réconciliés par la grâce qui expie nos crimes et nous en purifie.
C'est par une raison pleine de convenance que saint Luc compte soixante-dix-sept personnes dans sa généalogie, et qu'il suit l'ordre ascendant; il figure ainsi notre élévation vers Dieu, avec lequel nous sommes réconciliés par la rémission de nos péchés; car le baptême remet tous les péchés figurés par ce nombre. En effet, onze fois sept font soixante-dix-sept. Or, le nombre dix exprime le bonheur parfait, donc le nombre supérieur au nombre dix représente le péché qui, par orgueil, veut avoir plus. Ce nombre se trouve multiplié sept fois pour indiquer que cette transgression vient de l'action volontaire de l'homme. En effet, le nombre trois représente dans l'homme la partie immatérielle (cf. Lc 10,27 ); et le nombre quatre, la partie corporelle. Or, le mouvement et l'action ne sont point représentés par les nombres, lorsque nous disons: un, deux, trois; mais bien lorsque nous comptons une fois, deux fois, trois fois; donc la multiplication du nombre sept par onze, signifie que la transgression est le résultat de la volonté de l'homme.
Quoique Jésus-Christ n'eût pas de père selon la chair, on croyait assez généralement qu'il en avait un, c'est cette opinion que l'Évangéliste exprime en disant: «Etant, comme l'on croyait, fils de Joseph».
Considérons quel est celui qui est baptisé, de qui il reçoit le baptême et à quel temps. C'est celui qui est la pureté même, qui reçoit le baptême des mains de Jean, après qu'il a déjà commencé à opérer des miracles, apprenons de là l'obligation de purifier d'abord notre âme, de pratiquer l'humilité, et de ne point nous charger du ministère de la prédication avant d'avoir atteint l'âge parfait aussi bien pour l'esprit que pour le corps. La première de ces leçons s'adresse à ceux qui veulent recevoir le baptême sans aucune disposition, sans y être aucunement préparés, sans y apporter cette vertu solide qui garantit les effets de la justification par la grâce, car le baptême remet sans doute et efface les péchés passés, mais on doit toujours craindre de retourner à son vomissement. La seconde leçon est pour ceux qui se montrent dédaigneux et fiers à l'égard des dispensateurs des saints mystères qu'ils voient plus élevés en dignité. La troisième leçon s'adresse à ceux qui, pleins de confiance dans leur jeunesse, s'imaginent qu'on peut à tout âge se charger de l'enseignement ou des fonctions redoutables de l'épiscopat. Eh quoi ! Jésus s'abaisse jusqu'à se purifier, et vous, vous dédaignez fièrement de le faire. Il s'humilie jusqu'à recevoir le baptême des mains de Jean-Baptiste, et vous affectez vis-à-vis de votre Maître un esprit d'indocilité et d'indépendance? Jésus a trente ans lorsqu'il commence à enseigner, et vous à peine sorti de l'adolescence, vous croyez pouvoir enseigner les vieillards, sans avoir ni l'autorité de l'âge ni celle qui vient de la vertu? M'alléguerez-vous l'exemple de Daniel et d'autres semblables, car celui qui fait mal est toujours prêt à justifier sa conduite. Je vous répondrai, moi, que ce qui arrive rarement, ne fait pas loi dans l'Église; une seule hirondelle ne fait pas le printemps (on n'est pas géomètre pour avoir tracé une seule ligne, on n'est pas bon pilote après une seule navigation).
Ou bien encore, on peut dire que Jacob, pour obéir à la loi, a épousé la femme de son frère Héli, mort sans enfants, et qu'il en eut Joseph, qui était son fils dans l'ordre naturel, mais qui d'après les prescriptions de la loi, était le fils d'Héli.
Enfin on peut dire que Notre-Seigneur a voulu être baptisé à l'âge de trente ans comme figure du mystère de notre baptême, où nous faisons profession de croire à la sainte Trinité et de pratiquer les préceptes du Décalogue.
Ni le nom ni la génération de Cainan ne se trouvent dans le texte hébreu de la Genèse ou du livre des jours, où il est dit qu'Arphaxad fut le père immédiat de Sélaa ou Salé. Saint Luc a pris cette génération intermédiaire dans la version des Septante, où il est écrit qu'Arphaxad, âgé de cent trente-cinq ans, engendra Sélaa. - Suite. «Qui fut fils d'Arphaxad».
En remontant du Fils de Dieu baptisé jusqu'à Dieu le Père, saint Luc place comme à dessein le soixante-dixième. Enoch qui fut transporté dans le paradis sans passer par la mort, pour signifier que ceux qui ont été régénérés dans l'eau et l'Esprit saint, par la grâce de l'adoption des enfants, seront reçus dans le repos éternel; car le nombre soixante-dix, à cause du jour du sabbat qui est le septième, figure le repos de ceux qui ont accompli le décalogue de la loi par le secours de la grâce de Dieu.
La Glose
Héli signifie mon Dieu, ou celui qui monte, il fut fils de Mathat, c'est-à-dire qui pardonne les péchés, qui fût fils de Lévi, c'est-à-dire qui est ajouté. Saint Luc ne pouvait faire entrer dans sa généalogie un plus grand nombre des enfants de Jacob, sous peine de s'étendre inutilement dans une série de noms étrangers au but qu'il se proposait; cependant il n'a point voulu passer entièrement sous silence les noms antiques et vénérables des patriarches, et il choisit entre tous les autres, Joseph, Juda, Siméon et Lévi, en qui semblent se personnifier quatre espèces de vertus. Juda, en effet, est la figure prophétique du mystère de la passion du Seigneur; Joseph est le parfait modèle de la chasteté; Siméon, le vengeur de la pudeur outragée, et Lévi, le représentant du ministère sacerdotal. - Suite. Il fut fils de Melchi, c'est-à-dire mon roi; qui le fut de Janné, c'est-à-dire main droite; qui le fut de Joseph, c'est-à-dire accroissement ; qui le fut de Mathathias, c'est-à-dire don de Dieu ou quelquefois; qui le fut d'Amos, c'est-à-dire qui charge ou qui a chargé; qui le fut de Nahum, c'est-à-dire secourez-moi; qui le fut de Mathat, c'est-à-dire désir; qui le fut de Mathathias, même signification que ci-dessus; qui le fut de Séméi, c'est-à-dire obéissant; qui le fut de Joseph, c'est-à-dire accroissement; qui le fut de Juda, c'est-à-dire qui loue; qui le fut de Joanna, c'est-à-dire grâce du Seigneur ou miséricorde du Seigneur; qui le fut de Résa, c'est-à-dire miséricordieux; qui le fut de Zorobabel, c'est-à-dire prince ou maître de Babylone; qui le fut de Salathiel, c'est-à-dire Dieu est l'objet de ma demande; qui le fut de Néri, c'est-à-dire mon flambeau; qui le fut de Melchi, c'est-à-dire mon royaume; qui le fût d'Addi, c'est-à-dire robuste ou violent; qui le fut de Cosan, c'est-à-dire prévoyant; qui le fut d'Her, c'est-à-dire qui est vigilant , ou veille ou séduisant; qui le fut de Jésus, c'est-à-dire Sauveur; qui le fut d'Eliézer, c'est-à-dire mon Dieu est mon secours; qui le fut de Jorim, c'est-à-dire secours de Dieu; qui le fut de Mathath, même signification que ci-dessus; qui le fut de Lévi, comme ci-dessus; qui le fut de Siméon, c'est-à-dire qui a entendu la tristesse ou le signe; qui le fut de Juda, c'est-à-dire qui loue; qui le fut de Jona, c'est-à-dire colombe ou plaintif; qui le fut d'Eliachim, c'est-à-dire résurrection de Dieu; qui le fut de Melcha, c'est-à-dire son roi; qui le fut de Menna, c'est-à-dire mes entrailles; qui le fut de Matha thias, c'est-à-dire don de Dieu; qui le fut de Nathan, c'est-à-dire qui a donné ou qui donne.
David veut dire qui est puissant, et Jessé signifie encens. - Suite. Qui fut fils d'Obed, qui veut dire servitude; qui le fut de Booz, c'est-à-dire fort; qui le fût de Salomon, c'est-à-dire sensible ou pacifique; qui le fut de Naasson, c'est-à-dire augure ou qui tient du serpent; qui le fut d'Aminadab, c'est-à-dire le peuple volontaire; qui le fut d'Aram, c'est-à-dire dressé ou élevé; qui le fut d'Esrom, c'est-à-dire flèche; qui le fut de Pharès, c'est-à-dire division; qui le fut de Juda, c'est-à-dire qui loue; qui le fut de Jacob, c'est-à-dire qui supplante; qui le fut d'Isaac, c'est-à-dire rire ou joie; qui le fut d'Abraham, qui veut dire père de beaucoup de nations ou qui voit le peuple.
Tharé veut dire épreuve ou injustice; qui fut fils de Nachor, c'est-à-dire repos de la lumière; qui le fut de Sarug, c'est-à-dire courroie, ou qui tient les rênes ou perfection; qui le fut de Ragaü, c'est-à-dire malade ou paissant; qui le fut de Pharès, c'est-à-dire qui divise ou qui est divisé; qui le fut d'Héber, c'est-à-dire passage; qui le fut de Salé, c'est-à-dire qui enlève; qui le fut de Cainan, qui veut dire lamentation ou leur possession.
Arphaxad veut dire qui répare la désolation; qui fut fils de Sem, c'est-à-dire nom ou nommé; qui le fut de Noé, c'est-à-dire repos.
Lamech veut dire humilié ou qui frappe, ou qui est frappé ou qui est humble; qui le fut de Mathusalem, c'est-à-dire envoi de la mort ou qui est mort, ou qui interrogea.
Enoch veut dire dédicace; qui fut fils de Jared, c'est-à-dire qui descend ou qui contient; qui le fut de Malalehel, c'est-à-dire loué de Dieu ou louant Dieu; qui le fut de Caïnan, dont la signification est la même que précédemment; qui le fut d'Enos, c'est-à-dire homme, ou désespérant ou violent; qui le fut de Seth, c'est-à-dire position ou qui posa.
Adam veut dire homme ou terrestre, ou qui a besoin.
Les années de Mathusalem sont comptées avant le déluge; car Jésus-Christ n'ayant été soumis dans sa vie à aucunes vicissitudes de l'âge, ne devait point non plus ressentir les effets du déluge dans ses ancêtres. «Qui fut fils d'Enoch». Enoch est un signe éclatant de la sainteté du Seigneur et de sa divinité, en ce que le Seigneur n'a pas été soumis à la mort, et qu'il est remonté au ciel, de même qu'Enoch, un de ses ancêtres avait été enlevé dans le ciel. Nous voyons par là que Jésus-Christ aurait pu ne pas mourir, mais qu'il a voulu mourir à cause des grands avantages que devait nous procurer sa mort. Enoch fut enlevé dans le ciel de peur que le mal ne vînt à changer les dispositions de son coeur ( Sg 4, 11 ; He 11, 5). Mais quant au Seigneur, qui était inaccessible à la méchanceté du siècle, il est remonté par un effet de sa puissance divine dans le lieu d'où il était descendu.
L'Évangéliste poursuit la généalogie jusqu'à Dieu, qui la termine, et il nous apprend ainsi, d'abord que Jésus-Christ élèvera jusqu'à Dieu les personnages qui en forment la succession intermédiaire, et qui deviendront ainsi fils de Dieu; secondement, il veut nous convaincre que la génération du Christ était toute en dehors des voies naturelles, comme s'il disait: Si vous ne pouvez croire que la génération du second Adam n'est point due aux causes naturelles, remontez jusqu'au premier Adam, et vous trouverez que Dieu lui a donné l'existence sans avoir besoin de ces causes naturelles.
Quatrième phase : d'Abraham à
Adam. Le premier Cainan (v. 36) occasionne une assez grosse difficulté, car aucun patriarche de ce nom
n'est mentionné dans le texte hébreu entre Arphaxad et Sale (comp. Gen. 11, 12-15), non plus que dans le
Pentateuque samaritain, le Targum chaldéen, la version syriaque et la Vulgate. D'un autre côté, il doit avoir
fait partie très anciennement de la nomenclature de S. Luc, car on le trouve dans tous les manuscrits du
Nouveau Testament (à part un seul, le Cod. D), dans les meilleures versions (Vulg., Ital., syr., éthiop.) et dans
les Pères. Tout s'explique si l'on consulte le texte des Septante au passage de la Genèse cité plus haut ; on y
lit en effet en termes exprès le nom de Caïnan. Il est donc vraisemblable que, de la version d'Alexandrie, ce
nom aura passé de bonne heure, par le fait d'un copiste, dans la liste de S. Luc. Voyez du reste les
commentaires sur la Genèse, l. c. - Mathusalé du v. 37 est la forme hébraïque du nom de Mathusalem
(Méthouschélach). - Adam, qui le fut de Dieu. Les Juifs appliquaient volontiers à Adam le titre de fils de
Dieu, qui lui convenait si bien, puisqu'il était sorti directement des mains du Créateur. Titre en outre si
glorieux pour toute l'humanité. Cfr. Act. 17, 28. « Qu’est-ce qui a pu se produire de plus beau qu’une
génération sainte qui commence par le Fils de Dieu, et qui conduit jusqu’au Fils de Dieu ? » Saint
Ambroise. Voici donc l'histoire abrégée de quarante siècles.
Nous avons maintenant à étudier la liste généalogique de S. Luc dans ses rapports avec celle de S. Matthieu. Ce n'est pas un problème d'une solution facile. Il y a longtemps que les incrédules de toute nuance profitent
de l'obscurité qui l'environne pour essayer de miner la véracité, l'authenticité des SS. Évangiles. Le païen
Celse et le manichéen Faustus (cfr. August. contr. Faust. 3, 1) furent des premiers à lancer cette objection
aisée. Mais il y a longtemps aussi que les apologistes et les exégètes croyants s'efforcent de l'éclaircir. Voyez
la lettre de Jules l'Africain ap. Euseb. Hist. Eccl. 1, 7 (cfr. A. Mai, Script. vet. nov. Collect. t. 1, p. 21 et ss.) ;
S. Augustin, de Consensu Evangel. 2, 2 et 3 (cfr. Sermo 51 ; Quaest. Evang. 2, 5). Les meilleurs travaux des
temps modernes ou contemporains sont ceux de D. Calmet, Dissertation où l'on essaye de concilier S. Matth.
Avec S. Luc sur la généalogie de Jésus-Christ ; de P. Schleyer, Ueb. Die von Matth. und Luk. Mitgetheilten
Genealog. Jesu Christi (Tübing. Theolog. Quartalschrift, 1836, n. 3, p. 403 et ss., n. 4, pp. 539 et ss.) ; du
Docteur Mill, Vindication of our Lord's Genealogy ; de Lord A. C. Hervey, Genealogies of our Lord
Jesus-Christ, Lond. 1855 ; du P. Patrizi, de Evangeliis lib. 3, dissert 9. Voyez aussi H. Wallon, De la croyance
due à l'Évangile, Paris 1858, pp. 160 et ss. ; Wieseler, Beitraege zur richtig. Würdigung der Evangelien, p.
133 et ss. ; l'article Genealogy of Jesus-Christ dans Kitto, Cyclopaedia of the Bible ; Glaire, Les Livres saints
vengés, Paris 1845, t. 2, pp. 273 et ss. ; Dehaut, l'Évangile expliqué, défendu, t. 1, pp. 248 et s. de la 5è édit. ;
Le Camus, Préparation exégétique à la Vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ, Paris 1869, pp. 318 et ss., etc.
Assurément, on ne saurait affirmer sans exagération que les différentes solutions données au problème sont
de nature à satisfaire l'esprit d'une manière complète. « Le dernier mot de la difficulté n'a pas été dit, et
probablement ne le sera jamais » (Le Camus, l. c., p. 342) ; les données nous manquent pour cela. Aussi bien
n'est-il pas nécessaire que nous en arrivions à ce degré de clarté. « Notre position est de beaucoup meilleure
que celle de nos adversaires. Ils s'efforcent de mettre en relief les contradictions des deux arbres
généalogiques ; mais tant qu'ils n'ont pas établi une impossibilité absolue de les concilier, ils n'ont rien
avancé contre nous. Une simple hypothèse que l'apologiste démontre possible et acceptable renverse toutes
leurs argumentations. Ils se brisent, comme disait Théodore de Bèze, contre une enclume qui a usé d'autres
marteaux ». Ibid. p. 333.
Ainsi que nous le faisions observer dans notre commentaire sur S. Matthieu, p. 40, la généalogie de
Notre-Seigneur d'après S. Luc diffère et quant à la forme et quant au fond de celle qu'on lit dans le premier
Évangile. Voici les principales divergences de forme : 1° S. Matthieu suit une marche descendante : il part de
la souche et va de branche en branche jusqu'à Jésus, le dernier rejeton. S. Luc remonte au contraire le cours
des générations. L'ordre suivi par S. Matthieu est le plus naturel : c'est celui des registres publics. L'ordre
qu'a suivi S. Luc semble avoir été préféré par les Grecs. Du reste, nul doute que les deux évangélistes ne se
soient conformés aux documents qu'ils avaient sous les yeux. 2° S. Matthieu a partagé les ancêtres du Christ
en trois groupes symétriques qui correspondent à trois époques distinctes de l'histoire juive ; aussi, pour
obtenir cette division régulière, a-t-il omis plusieurs noms moins célèbres. Il entremêle en outre à sa
nomenclature des détails historiques et chronologiques. S. Luc se contente, à la façon d'un strict rapporteur,
de mentionner les personnages les uns à la suite des autres : sa liste n'a donc rien de subjectif, mais elle est
très complète. 3° Le premier arbre généalogique n'établit la filiation de Notre-Seigneur Jésus-Christ qu'à
partir d'Abraham, tandis que le second la poursuit jusqu'à Adam, jusqu'à Dieu. Cette différence a pour cause
la diversité des buts que se proposaient les deux évangélistes. S. Matthieu écrivait pour des Juifs ; or, à des
Juifs, il suffisait de prouver que Jésus descendait de David et d'Abraham. S. Luc s'adressait à des païens
convertis ; il lui importait donc de montrer que Jésus était le Rédempteur de tous les hommes, et qu'il
n'appartenait pas seulement à une race spéciale, mais à la grande race humaine, issue toute entière d'Adam.
Les différences matérielles sont autrement considérables. Le tableau ci-joint permettra au lecteur de les
embrasser d'un seul coup d’œil. Les noms des personnages communs aux deux listes sont imprimés en
caractères italiques.
S. MATTHIEU S. LUC
Adam
Seth
Hénos
Caïnan
Malaléel
Jared
Hénoch
Mathusalé
Lamech
Noé
Sem
Arphaxad
Caïnan
Salé
Héber
Phaleg
Ragau
Sarug
Nachor
Tharé
Abraham Abraham
Isaac Isaac
Jacob Jacob
Juda Juda
Pharès Pharès
Eston Eston
Aram Aram
Aminadab Aminadab
Naasson Naasson
Salmon Salmon
Booz Booz
Obed Obed
Jessé Jessé
David David
Salomon Nathan
Roboam Mathatha
Abia Menna
Asa Méléa
Josaphat Eliakim
Joram Jona
Joseph
(trois noms omis) Juda
Siméon
Ozias Lévi
Joathan Mathat
Achaz Jorim
Ezéchias Eliézer
Manassès Jésus
Amon Her
Josias Elmadan
(un nom omis) Cosan
Jéchonias Addi
Melchi
Néri
Salathiel Salathiel
Zorobabel Zorobabel
Abiud Résa
Joanna
Eliacim Juda
Joseph
Azor Séméi
Mathatias
Sadoc Mahath
Naggé
Achim Hesti
Nahum
Eliud Amos
Mathathias
Joseph
Eléazar Janné
Melchi
Mathan Lévi
Mathat
Jacob Héli
Joseph Joseph
Jésus Jésus
Il résulte de cette juxtaposition 1° que les ancêtres de Notre-Seigneur sont notablement plus nombreux dans
la seconde liste que dans la première, 2° qu'entre David et S. Joseph nous ne trouvons que des noms
différents, à part ceux de Salathiel et de Zorobabel.
La difficulté qui provient de la divergence des nombres se résout encore assez aisément. Quoi d'étonnant
d'abord qu'il n'y ait d'une part que 41 noms, tandis qu'il y en a de l'autre jusqu'à 77 (onze fois 7, le nombre
sacré, observent les auteurs mystiques ; S. Irénée, qui réduit ce chiffre à 72, on ignore par quel procédé, fait
un rapprochement entre les 72 aïeux du Christ et les 72 subdivisions de la Table des peuples, Gen. 10),
puisque le point de départ n'est pas le même ! Si nous comparons les époques partielles nous arrivons au
résultat suivant : d'Abraham à David, 14 générations de part et d'autre ; de David à la captivité, 14
générations d'après S. Matthieu, 20 d'après S. Luc ; de la captivité à Jésus-Christ, 14 et 21 générations. Ou
encore : de David à S. Joseph, 41 noms dans S. Luc, 27 seulement dans S. Matthieu ; ce qui fait en moyenne
25 and d'un coté et 40 de l'autre pour une génération. Mais il faut se souvenir que S. Matthieu a éliminé
plusieurs noms. De plus, des phénomènes analogues se présentent fréquemment dans les branches diverses
d'une même famille. Le vrai nœud de la difficulté consiste dans la différence des noms cités par les
évangélistes. S. Matthieu et S. Luc prétendent nous livrer l'un et l'autre l'arbre généalogique authentique de
Notre-Seigneur Jésus-Christ, et voici que celui-là rattache Jésus à David par Salomon, tandis que celui-ci l'en
fait descendre par Nathan ! Celui-ci donne Néri, celui-là Jéchonias pour père à Salathiel. D'après celui-là S.
Joseph est fils de Jacob ; d'après celui-ci il est fils d'Héli. Comment tout cela peut-il être vrai en même
temps ? Les systèmes imaginés par les exégètes pour établir l'harmonie entre les deux écrivains sacrés
peuvent se ramener à quatre principaux.
1. Le premier système a pour base ce qu'on nommait chez les Juifs la loi du Lévirat. D'après cette loi, quand
un homme, après avoir été marié, mourait sans laisser de postérité, son frère, ou même son plus proche
parent, était tenu d'épouser la veuve, si elle était encore en âge de devenir mère. Les enfants qui naissaient de ces secondes noces étaient censés appartenir au défunt, dont ils étaient comme la descendance légale. Comp.
Deut. 25, 6. Or, on suppose que Jacob et Héli étaient frères utérins, c'est-à-dire qu'ils provenaient de la même
mère quoique de pères distincts (Mathan et Mathat). De plus, Héli serait mort sans enfants. Jacob, ayant alors
épousé la veuve de son frère, en aurait eu un fils, nommé Joseph. Même hypothèse à propos de Jéchonais
(père réel), de Néri son frère utérin (père légal), et de son fils Salathiel. Cela posé, on conçoit que les
généalogies soient si dissemblables, puisque l'une d'elles, celle de S. Matthieu, cite les pères naturels, tandis
que l'autre, celle de S. Luc, mentionne les pères selon la Loi. Les séries devaient nécessairement diverger
d'une manière notable, quoiqu'elles se rencontrent à deux reprises. Il n'y a rien d'impossible à ce que la loi du
Lévirat ait été ainsi appliquée deux fois dans une même famille durant un intervalle de mille ans (entre David
et S. Joseph). - Telle est l'opinion adoptée en substance par la plupart des Pères et des commentateurs, depuis
Jules l'Africain qui en donna le premier la formule, jusque vers la fin du 15ème siècle (« Cette sentence est
commune. Elle tire son autorité de la tradition de l’Église, du consentement unanime des pères, et de
l’approbation des plus graves théologiens ». Sylveira). S. Ambroise, S. Jérôme, S. Augustin (il parle, il est
vrai, d'une adoption et non d'un mariage de lévirat ; mais cela revient à peu près au même), S. Grégoire de
Nazianze, S. Thomas, Salméron, Maldonat, le Dr Hug comptent parmi ses plus illustres défenseurs.
2. Les deux généalogies sont encore celles de S. Joseph, mais on en explique les divergences par un autre
procédé. Le premier Évangile indiquerait le droit de succession au trône, le troisième la descendance réelle.
Voici quelques détails. La branche aînée, issue de David par Salomon, s'étant éteinte après Jéchonias, une
branche collatérale, celle de Nathan, hérita (peut-être par adoption) de la succession royale dans la personne
de Salathiel. Plus tard encore, nouvelle extinction de la branche aînée (ou d'Abiud) dans la personne de
Jacob, et nouvelle transmission des droits royaux à la branche cadette (ou de Résa) sur la tête de Joseph, fils
d'Héli.
S. MATTHIEU S. LUC
David
Salomon Nathan
... ...
Jéchonias Néri
Salathiel
Zorobabel
Abiud Résa
... …
Jacob Héli
Joseph
D'après ce sentiment, dont les principaux défenseurs sont Grotius, Possinus, le Dr Mill, Lord Hervey, M.
Schegg, etc. nous aurions donc dans S. Luc la généalogie privée de S. Joseph, la série de ses aïeux naturels et
réels, dans S. Matthieu sa généalogie en tant qu'héritier légal et officiel du trône, c'est-à-dire la série des rois
légitimes de la théocratie. Par exemple, dit avec esprit M. Trollope, The Gospel according to S. Luke,
Cambridge 1877, p. 144, si l'on voulait tracer la généalogie complète de la reine d'Angleterre, il faudrait, 1°
pour établir ses droits au trône du Royaume uni, passer par Georges Ier, les Stuarts, les Tudors et remonter
jusqu'à Guillaume le Conquérant, 2° pour donner sa descendance naturelle, passer encore par Georges Ier
mais quitter aussitôt la ligne des monarques anglais et suivre celle des ducs de Brunswick.
3. D'après Corneille de Lapierre, nos deux listes contiendraient l'arbre généalogique non de S. Joseph,
comme dans les systèmes qui précèdent, mais de la Très Sainte Vierge. Seulement, les ancêtres de Marie
seraient cités du côté maternel dans la nomenclature de S. Matthieu, du côté paternel dans celle de S. Luc.
Les choses se seraient passées de la manière suivante : Sainte Anne, épouse d'Héli, et mère de Marie, était la
sœur de Jacob, la fille de Mathan ; de la sorte, Joseph, fils de Jacob, se trouve avoir été neveu de sainte Anne,
et par conséquent le cousin germain de la Sainte Vierge en même temps que son époux.
S. MATTHIEU S. LUC
David
Salomon Nathan
... ...
Mathan Mathat
Jacob Anne femme d'
Héli
Joseph Marie
Fr. Luc de Bruges admet également cette hypothèse avec quelques modifications. Peut-être se
demandera-t-on comment on peut la concilier avec la croyance de l'Église, d'après laquelle le père de Marie
se serait appelé Joachim et non Héli. Mais il existe une très grande analogie entre ces deux noms, et on les
trouve employés l'un pour l'autre dans la Bible, par exemple au livre de Judith, où le même grand-prêtre,
appelé d'abord Eliachim 4, 5, 11, apparaît ensuite, 15, 9 sous la dénomination de Joachim. Eli est en effet une
abréviation de Eliachim ; or, Eliachim et Joachim ont une signification presque identique (« Dieu soutient » ,
ou « Jéhovah soutient »). D'ailleurs, même d'après la tradition juive, Marie aurait eu un Héli pour père.
« Miriam fille d'Héli », lisons-nous dans le Talmud, Hieros. Chagigah, fol. 77, 4. Comp. Lightfoot, Hor.
Hebr. in Luc 3, 23.
4. Des deux listes généalogiques, l'une (S. Matth.) se rapporte à S. Joseph, l'autre (S. Luc) à la Sainte Vierge,
conformément au tableau suivant :
S. MATTHIEU S. LUC
David
Salomon Nathan
... ...
Jéchonias Néri
Salathiel
Zorobabel
Abiud Résa
... …
Jacob Héli
Joseph Marie = Joseph
Ce système s'appuie, de même que le premier, sur la loi mosaïque, mais d'une autre manière. Il suppose que
Marie était fille unique, et par suite fille héritière, ce qui l'obligeait, d'après Num. 36, 5-8, à se marier dans sa
propre tribu. Or dans ce cas le mari, ne faisant qu'une seule personne morale avec sa femme, recueillait tous
les titres de celle-ci : il avait en quelque sorte deux pères, son père naturel et son père légal (son beau-père).
C'est pour cela que S. Joseph est appelé d'une part fils de Jacob, de l'autre fils d'Héli. Sans doute il eût été
plus clair de nommer directement Marie ; mais il était contraire à l'usage antique d'établir en termes exprès la
généalogie d'une femme (« La lignée du père est appelé lignée; la lignée de la mère n’est pas appelé
lignée », Baba bathra, fol. 110, 1); S. Luc l'a donc établie d'une manière indirecte, en substituant S. Joseph à
la Sainte Vierge. On prouve que Marie était fille héritière soit par la tradition, qui l'a fréquemment affirmé,
soit à l'aide du récit même de S. Luc, 2, 4 et ss. Pourquoi la Mère de Jésus va-t-elle à Bethléem avec S.
Joseph, à l'occasion du recensement ordonné par Auguste, sinon parce qu'elle était tenue de se présenter en
personne devant les officiers impériaux ? Or, elle ne pouvait être astreinte à cette obligation que parce qu'elle
représentait une tige de la famille de David. En elle se terminait la branche de Nathan, de même que celle de
Salomon aboutissait à S. Joseph. Cette hypothèse est adoptée par la plupart des exégètes modernes et
contemporains (Surenhusius, Ligthfoot, Bengel, Rosenmüller, Wieseler, MM. Von Burger, Behrmann,
Arnoldi, Godet, Bisping, van Oosterzee, Le Camus, Arnoldi, Plumptre, Ewald, J. P. Lange, Riggenbach,
etc.) : elle est actuellement aussi populaire que la première l'était dans l'antiquité, et nous inclinons à lui
donner aussi nos préférences, parce qu'elle nous semble résoudre de la manière la plus simple et la plus
naturelle le problème des généalogies évangéliques. En effet, 1° si les deux listes se rapportent à S. Joseph,
c'est-à-dire à un père putatif, Jésus n'a été l'héritier de David que par adoption, en d'autres termes par une
sorte de fiction légale. Supposé que cela ait suffi aux lecteurs juifs de S. Matthieu, puisque c'était conforme
aux principes théocratiques, les lecteurs païens de S. Luc auraient bien pu ne pas s'en contenter : il fallait
pour eux la preuve d'une descendance réelle, et la généalogie de Jésus par Marie contenait seule cette
démonstration d'une manière absolue. - 2° Depuis le commencement de son récit, S. Luc a toujours mis S.
Joseph à l'arrière-plan : Marie a été constamment pour lui le personnage principal. Il ne s'est pas lassé de
montrer que, si Jésus avait daigné prendre une mère ici-bas, aucun homme ne pouvait le revendiquer comme
fils dans le sens propre de cette expression. Bien plus, au début même de sa nomenclature, il oppose la réalité
historique à l'opinion du vulgaire (« comme on le croyait, fils de Joseph »). Serait-il conséquent avec
lui-même s'il identifiait, immédiatement après cette réflexion, les ancêtres de Jésus avec ceux de Joseph ? -
3° Le texte grec de S. Luc (v. 23) se ramène sans trop de peine à notre interprétation ; car, en premier lieu, si
les mots « qui le fut de Dieu » désignent une filiation improprement dite, pourquoi n'en serait-il pas de même
quand il s'agit des rapports de S. Joseph et d'Héli ? En second lieu, d'assez nombreux interprètes croient
pouvoir traduire le v. 23 de la manière suivant : « Jésus était fis d'Héli, Mathat, etc. », c'est-à-dire qu'ils
rattachent à Jésus tous les génitifs de la liste, de manière à mettre S. Joseph tout à fait en dehors de l'arbre
généalogique. Nous avouons cependant que cet expédient nous paraît un peu forcé. - 4° Plusieurs Pères, sans
affirmer directement que la généalogie donnée par S. Luc est celle de Marie, semblent le supposer d'une
manière indirecte, par exemple S. Irénée, adv. Haer. 3, 29, Tertullien, de Carne Christi, c. 21 et 22, S.
Athanase, contr. Apollin. 1, 4. Voir Kitto, Cyclopaedia, s. v. Genealogy of J. C.
Le premier système a également une grande valeur, soit à cause de son antiquité et des graves autorités sur
lesquelles il s'appuie, soit parce que les évangélistes, si on prend toutes leurs expressions à la lettre, semblent
dire qu'ils se proposent de donner l'un et l'autre la généalogie de S. Joseph. Mais il multiplie les hypothèses,
et on peut lui reprocher d'être assez compliqué. Le second et le troisième présentent, à notre avis, moins de
garanties ; celui-là parce qu'il prend le verbe « engendra » dans un sens figuré qui ne saurait lui convenir,
celui-ci parce que l'une des deux listes, celle de S. Matthieu, se rapporte évidemment à S. Joseph. Au reste,
comme Marie, aussi bien que son saint époux, appartenait à la famille de David (voyez l'Evang. selon S.
Matth., p. 40), en toute hypothèse sa généalogie est au moins implicitement contenue dans celle de Joseph. Résumons et concluons. Deux évangélistes ont conservé la généalogie du Sauveur, et il se trouve que leurs
listes varient étonnamment. Toutefois, même abstraction faite de l'inspiration, il n'est pas croyable qu'ils se
soient trompés ou qu'ils aient voulu tromper. Les documents généalogiques abondaient chez les Juifs, comme
on le voit par les livres des Paralipomènes, d'Esdras, de Néhémie et de l'écrivain Josèphe (cfr. Vita, c. 1 ;
contr. App. 1, 7), et il était aisé de les consulter. Des écrivains sensés auraient-ils bien inséré dans leurs
narrations des pièces erronées, qu'il eût été facile d'attaquer et de réfuter ? Puisqu'ils nous ont laissé des
catalogues si distincts, S. Matthieu et S. Luc avaient donc quelques raisons de s'écarter l'un de l'autre. Nous
en avons suggéré plusieurs, qui sont parfaitement plausibles ; cela suffit. Vraisemblablement, c'est une table
de rois que nous trouvons dans le premier Évangile, et une table d'ancêtres dans le troisième : ici Jésus nous
apparaît comme « semen mulieris », là nous le saluons comme héritier du trône théocratique. Quoi qu'il en
soit, les deux listes aboutissent glorieusement au Messie, en qui revit à jamais la race de David, ainsi que le
Seigneur l'avait promis. Voyez dans Derenbourg, Essai sur l'histoire et la géographie de la Palestine, Paris
1867, p. 349, une importante confirmation de la descendance royale du Sauveur par le Talmud.
L'art chrétien s'est occupé aussi, et avec moins de sécheresse que la science apologétique, de « l'arbre de
Jessé » ou de la généalogie de Notre-Seigneur Jésus-Christ. On le trouve partout représenté, surtout au
moyen-âge : les vitraux des églises, les vignettes des manuscrits, les tapisseries, les tableaux, les sculptures le
reproduisent avec un grand mélange de grâce et d'originalité. Voyez aussi un beau poème de Lowth, inséré
dans la traduction française de ses Leçons sur la poésie sacrée des Hébreux.
Qui fut de Dieu. « Ce simple mot, jeté là sans commentaire et sans réflexion, pour raconter la création, l’origine, la nature, les fins et le mystère de l’homme, est de la plus grande sublimité. » (E. LEFRANC.)