Marc 12, 34
Jésus, voyant qu’il avait fait une remarque judicieuse, lui dit : « Tu n’es pas loin du royaume de Dieu. » Et personne n’osait plus l’interroger.
Jésus, voyant qu’il avait fait une remarque judicieuse, lui dit : « Tu n’es pas loin du royaume de Dieu. » Et personne n’osait plus l’interroger.
Ce doute, commun à tous ceux qui étaient versés dans la connaissance de la loi, venait de ce qu'elle paraissait imposer des commandements différents dans l'Exode , le Lévitique et le Deutéronome . Notre-Seigneur déclare donc qu'il y a non pas un seul commandement, mais deux commandements distincts qui sont comme les deux mamelles placées sur le sein de l'épouse pour nourrir notre enfance ( Ct 4, 5; 7, 7): «Le premier commandement est celui-ci: Ecoutez, Israël, le Seigneur votre Dieu est le seul Dieu». Il appelle le plus grand des commandements le premier de tous, c'est-à-dire celui que nous devons tous placer dans notre coeur comme le fondement unique de la piété, et qui consiste dans la connaissance, dans la confession de l'unité divine jointe à la pratique des bonnes oeuvres, qui sont le fruit de l'amour de Dieu et du prochain: «Et vous aimerez le Seigneur votre Dieu», etc.
Ou bien il n'était pas loin, parce qu'il venait avec une espèce de calcul; car l'ignorance est plus éloignée du royaume de Dieu que la science. Aussi Notre-Seigneur fait-il plus haut ce reproche aux sadducéens: «Vous êtes dans l'erreur, parce que vous ne comprenez ni les Écritures, ni la puissance de Dieu». «Et depuis ce temps-là personne n'osait plus lui faire de questions.
Peu importe que saint Matthieu dise qu'il est venu avec l'intention de tenter Jésus. Ne peut-on pas supposer qu'il est venu avec cette intention, il est vrai, mais que la réponse du Sauveur l'a fait changer de dessein? Ou bien il est venu pour le tenter, non point dans la mauvaise acception du mot, comme un ennemi qui veut absolument tromper, mais avec la circonspection d'un esprit qui veut éprouver un homme qu'il ne connaît pas entièrement.
Ce qu'il dit, que l'amour de Dieu vaut mieux que tous les holocaustes et t ous les sacrifices, est une preuve qu'entre les scribes et les pharisiens s'agitait cette grave question: Quel était le premier et le plus grand commandement de la loi divine. Les uns mettaient au premier rang les victimes et les sacrifices; les autres donnaient la préférence aux oeuvres de la foi et de la charité, parce qu'avant la loi, la foi, qui opère par la charité ( Ga 5,6), avait suffi par rendre les patriarches agréables àDieu, n'était, on le voit, le sentiment de ce docteur de la loi.
Or, il mérita cet éloge de n'être pas loin du royaume de Dieu, parce qu'il se déclare le partisan d'une vérité qui est propre au Nouveau Testament et à la perfection de l'Évangile.
Après avoir été ainsi déjoués et confondus dans leurs questions, ils n'osent plus l'interroger, mais ils cherchent à s'emparer de lui pour le livrer ouvertement à la puissance romaine, preuve que l'envie peut être vaincue, mais qu'elle ne peut que difficilement rester en repos.
La Glose
Notre-Seigneur a réduit au silence et les pharisiens et les sadducéens qui étaient venus le tenter, voyons maintenant comment il répond à la question d'un docteur de la loi: «Alors l'un des docteurs de la loi s'approcha de lui et lui demanda: Quel est le premier de tous les commandements ?» etc.
Il ajoute: «De toutes vos forces», ce qui peut se rapporter aux forces corporelles.
«Voici le second qui est semblable au premier: Vous aimerez votre prochain comme vous-même». Le second commandement est semblable au premier, dans ce sens que ces deux commandements ont entre eux une parfaite corrélation et une liaison des plus étroites. En effet, celui qui aime Dieu étend nécessairement cet amour à ses oeuvres. Or, une des oeuvres de Dieu les plus importantes, c'est l'homme. Donc celui qui aime Dieu, doit aimer tous les hommes; et celui qui aime son prochain, cause si fréquente pour lui de scandales, doit aimer à bien plus forte raison celui de qui il ne reçoit que des bienfaits; ci c'est à cause du lien étroit qui unit ces deux commandements, que le Sauveur ajoute: «Aucun autre commandement n'est plus grand que celui-ci».
Voyez comme Notre-Seigneur énumère ici toutes les forces de l'âme. La première est la force vitale qu'il exprime, lorsqu'il dit: «De toute votre âme», et à laquelle se rattachent la colère et le désir, passions que nous devons consacrer toutes à l'amour de Dieu. Il y a une autre force qu'on appelle naturelle, à laquelle est jointe la faculté de se nourrir et de se développer, et il faut également la donner toute entière à Dieu, elle est caractérisée par ces paroles «De tout votre coeur». Il y a enfin la force raisonnable, qu'il désigne sous le nom d'esprit, et il faut encore l'offrir à Dieu dans toute son étendue.
Il atteste par là même qu'il n'est pas encore arrivé à la perfection; car il ne lui dit pas: Vous êtes dans le royaume du Dieu, mais: «Vous n'êtes pas loin du royaume de Dieu».
Comme Dieu créa l'homme à son image et ressemblance (Gn 1,26), aussi a-t-il ordonné un amour pour l'homme à l'image et ressemblance de l'amour qui est dû à sa Divinité: Tu aimeras, dit-il, le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur; c'est le premier et le plus grand commandement. Or le second est semblable à lui: T u aimeras ton prochain comme toi-même (Mt 22,37-39). Pourquoi aimons-nous Dieu, (Théotime)? "La cause pour laquelle on aime Dieu", dit saint Bernard (De l'amour de Dieu, début), "c'est Dieu même"; comme s'il disait que nous aimons Dieu parce qu'il est la très souveraine et très infinie bonté. Pourquoi nous aimons-nous nous-mêmes en charité? Certes, c'est parce que nous sommes l'image et ressemblance de Dieu. Et puisque tous les hommes ont cette même dignité, nous les aimons aussi comme nous-mêmes, c'est-à-dire en qualité de très saintes et vivantes images de la Divinité. Car c'est en cette qualité-là, (Théotime), que nous appartenons à Dieu d'une si étroite alliance et d'une si aimable dépendance, qu'il ne fait nulle difficulté de se dire notre Père et nous nommer ses enfants (cf. 1Jn 3,1-2); c'est en cette qualité que nous sommes capables d'être unis à sa divine essence par la jouissance de sa souveraine bonté et félicité; c'est en cette qualité que nous recevons sa grâce et que nos esprits sont associés au sien très saint, rendus, par manière de dire, participants de sa divine nature (2P 1,4), comme dit saint Léon. Et c'est donc ainsi que la même charité qui produit les actes de l'amour de Dieu produit également ceux de l'amour du prochain: et tout ainsi que Jacob vit qu'une même échelle touchait le ciel et la terre, servant également aux anges pour descendre comme pour monter (cf. Gn 28,12), nous savons aussi qu'une même dilection s'étend à chérir Dieu et le prochain, nous élevant à l'union de notre esprit avec Dieu et nous ramenant à l'amoureuse société des prochains; en sorte toutefois que nous aimons le prochain en tant qu'il est à l'image et ressemblance de Dieu, créé pour communiquer avec la divine Bonté, participer à sa grâce et jouir de sa gloire.
(Théotime), aimer le prochain par charité, c'est aimer Dieu en l'homme ou l'homme en Dieu; c'est chérir Dieu seul pour l'amour de lui-même, et la créature pour l'amour de lui. <> Quand nous voyons un prochain créé à l'image et ressemblance de Dieu, ne devrions-nous pas dire les uns aux autres: "Tenez, voyez cette créature, comme elle ressemble au Créateur?" Ne devrions-nous pas nous jeter sur son visage, la caresser et pleurer d'amour pour elle? Ne devrions-nous pas lui donner mille et mille bénédictions? Et quoi donc? Pour l'amour d'elle? Non certes, car nous ne savons pas si elle est digne d'amour ou de haine (Si 9,1). Et pourquoi donc? (O Théotime), pour l'amour de Dieu qui l'a formée à son image et ressemblance, et par conséquent rendue capable de participer à sa bonté en la grâce et en la gloire; pour l'amour de Dieu, dis-je, de qui elle est, à qui elle est, par qui elle est, en qui elle est, pour qui elle est, et qu'elle ressemble d'une façon toute particulière. Et c'est pourquoi non seulement le divin amour commande maintes fois l'amour du prochain, mais il le produit et répand lui-même dans le coeur humain comme sa ressemblance et son image; puisque tout ainsi que l'homme est image de Dieu, de même l'amour sacré de l'homme envers l'homme est la vraie image de l'amour céleste de l'homme envers Dieu.
(Théotime), aimer le prochain par charité, c'est aimer Dieu en l'homme ou l'homme en Dieu; c'est chérir Dieu seul pour l'amour de lui-même, et la créature pour l'amour de lui. <> Quand nous voyons un prochain créé à l'image et ressemblance de Dieu, ne devrions-nous pas dire les uns aux autres: "Tenez, voyez cette créature, comme elle ressemble au Créateur?" Ne devrions-nous pas nous jeter sur son visage, la caresser et pleurer d'amour pour elle? Ne devrions-nous pas lui donner mille et mille bénédictions? Et quoi donc? Pour l'amour d'elle? Non certes, car nous ne savons pas si elle est digne d'amour ou de haine (Si 9,1). Et pourquoi donc? (O Théotime), pour l'amour de Dieu qui l'a formée à son image et ressemblance, et par conséquent rendue capable de participer à sa bonté en la grâce et en la gloire; pour l'amour de Dieu, dis-je, de qui elle est, à qui elle est, par qui elle est, en qui elle est, pour qui elle est, et qu'elle ressemble d'une façon toute particulière. Et c'est pourquoi non seulement le divin amour commande maintes fois l'amour du prochain, mais il le produit et répand lui-même dans le coeur humain comme sa ressemblance et son image; puisque tout ainsi que l'homme est image de Dieu, de même l'amour sacré de l'homme envers l'homme est la vraie image de l'amour céleste de l'homme envers Dieu.
Dans la parole adressée au Scribe
par Notre-Seigneur, Tu n’es pas loin du royaume de Dieu, de Wette et d’autres interprètes veulent voir une
litote, mais à tort ; en effet, ce Docteur de la Loi, bien qu’il eût manifesté des sentiments très sympathiques à
la personne de Jésus, ne croyait pas encore en son caractère messianique et divin, ce qui était nécessaire pour
faire partie du Royaume de Dieu. Néanmoins la scène qui précède a suffisamment montré qu’il était sur le
seuil de l’Église, et qu’il n’avait plus qu’un pas à faire pour devenir un citoyen du Royaume des cieux. De là
cette parole encourageante, par laquelle Jésus le presse d’acquérir ce qui lui manque et de devenir un
chrétien complet. « Si tu n’es pas un étranger, entre. Autrement, cela prouvera que tu en es un ». — Arrivons
maintenant à la difficulté que nous avons annoncée au début de cet épisode. S. Matthieu et S. Marc ne se
contredisent-ils pas ? D’après le premier Évangile, le Scribe nous est ouvertement présenté comme un
ennemi de Jésus : « Les Pharisiens, apprenant que Jésus avait réduit les Sadducéens au silence, se réunirent,
et l’un d’eux, Docteur de la Loi, l’interrogea pour le tenter ». Matth. 22, 34-35. Dans le second Évangile au
contraire, non seulement ce Scribe ne paraît avoir eu aucune intention hostile, mais il admire Notre-Seigneur,
v. 28, il le comble d’éloges, v. 32, et mérite d’en être loué à son tour. N’est-ce pas le oui et le non sur un
même point ? Assurément, pour quiconque cherche et veut trouver quand même des contradictions dans les
récits évangéliques, les variantes que nous venons de signaler en fourniront une qu’on peut faire valoir sans
beaucoup de peine ; mais nous nions qu’elle existe pour les esprits sérieux, impartiaux, non imbus de
préjugés dogmatiques. On concilie aisément les deux récits en disant que les Évangélistes envisagent
l’incident à deux points de vue distincts. Ce qui a frappé surtout S. Matthieu, c’est le motif qui conduisit le
Scribe auprès de Jésus : de fait, il se présentait pour tendre un piège à Notre-Seigneur ; nous le voyons agir
tout d’abord comme le champion des Pharisiens, quoiqu’il ne partageât ni toute leur haine contre Jésus, ni
toutes leurs idées étroites en fait de religion. C’est précisément ce côté recommandable du Docteur, son
impartialité, le courage avec lequel il reconnut la vérité, que S. Marc a voulu mettre en relief. De là les
couleurs différentes des deux narrations. Mais, en réunissant ces traits épars, on obtient un tableau très
unique, où tout s’accorde parfaitement. — Et personne n’osait plus lui adresser de question… Tel fut le
résultat de ces nombreuses attaques dirigées coup sur coup contre le Sauveur par ses ennemis. Elles aboutirent pour eux à un échec complet. Naguère si audacieux, les voilà maintenant intimidés, réduits au
silence. Qui aurait osé désormais se mesurer avec Celui qui avait ainsi triomphé des prêtres et des rabbins ?
Bien des actes et des paroles de Jésus ont donc été un " signe de contradiction " (Lc 2, 34) pour les autorités religieuses de Jérusalem, celles que l’Évangile de S. Jean appelle souvent " les Juifs " (cf. Jn 1, 19 ; 2, 18 ; 5, 10 ; 7, 13 ; 9, 22 ; 18, 12 ; 19, 38 ; 20, 19), plus encore que pour le commun du Peuple de Dieu (cf. Jn 7, 48-49). Certes, ses rapports avec les Pharisiens ne furent pas uniquement polémiques. Ce sont des Pharisiens qui le préviennent du danger qu’il court (cf. Lc 13, 31). Jésus loue certains d’entre eux comme le scribe de Mc 12, 34 et il mange à plusieurs reprises chez des Pharisiens (cf. Lc 7, 36 ; 14, 1). Jésus confirme des doctrines partagées par cette élite religieuse du Peuple de Dieu : la résurrection des morts (cf. Mt 22, 23-34 ; Lc 20, 39), les formes de piété (aumône, jeûne et prière, cf. Mt 6, 18) et l’habitude de s’adresser à Dieu comme Père, le caractère central du commandement de l’amour de Dieu et du prochain (cf. Mc 12, 28-34).