Marc 13, 37

Ce que je vous dis là, je le dis à tous : Veillez ! »

Ce que je vous dis là, je le dis à tous : Veillez ! »
Saint Hilaire de Poitiers
On objecte au Fils unique de Dieu d'ignorer ce jour et cette heure, et on en conclut qu'il n'est point né Dieu de Dieu avec cette nature parfaite que possède Dieu le Père; mais j'en appelle ici au simple jugement du sens commun; peut-on supposer une ignorance quelconque, dans celui qui est pour tous les êtres l'auteur de ce qu'ils sont et de ce qu'ils seront? Comment une seule chose peut-elle être en dehors de la science de sa nature, par laquelle et dans laquelle sont contenues toutes les choses qui doivent exister. Quoi ! il aurait ignoré le jour de son avènement. L'homme, autant que sa nature le lui permet, prévoit d'avance ce qu'il a dessein de faire, et la connaissance de ce qu'il doit faire suit chez lui la volonté d'agir. Comment donc admettre que le Seigneur de gloire, par cette ignorance au jour de son avènement, ait eu une nature si imparfaite que d'être soumise à un avènement nécessaire, sans en avoir aucune connaissance. Mais encore, il y a ici double impiété, si l'on suppose une intention malveillante dans Dieu le Père, qui aurait refusé la connaissance de la béatitude à celui à qui il avait révélé la connaissance de sa mort. Si tous les trésors de la science sont en lui; il ne peut ignorer ce jour, mais nous devons nous rappeler que ces trésors de science sont cachés en lui. L'ignorance dont il parle tient donc uniquement à ce que les trésors de la science restent cachés en lui. Toutes les fois donc que Dieu déclare ignorer quelque chose, il ne s'agit point d'une véritable ignorance, mais il veut nous apprendre, ou qu'il n'est pas temps de parler, ou qu'il n'est pas temps d'agir. L'Ecriture dit de Dieu, qu'il connut qu'Abraham l'aimait, parce qu'il le fit connaître à Abraham lui-même ( Gn 22). Il faut donc dire, par la même raison, que le Père a connu ce jour, parce qu'il l'a révélé à son Fils. Si donc nous lisons que le Fils ne connaît point ce jour, c'est dire d'une manière figurée qu'il ne doit point en parler; au contraire, le Père seul connaît ce jour, parce que c'est à lui de le faire connaître. Gardons-nous donc d'admettre dans le Père ou dans le Fils aucun changement, aucune modification extérieure. Enfin, pour éloigner de lui tout soupçon d'ignorance, il ajoute aussitôt: «Prenez garde, veillez et priez, parce que vous ne savez quand ce temps viendra».
Saint Jérôme
La vigilance est un devoir pour l'âme avant la mort du corps.

Notre-Seigneur conclut tout son discours par ces paroles: «Ce que je vous dis, je le dis à tous», afin que les derniers reçoivent des premiers cette recommandation qui est commune à tous.

Car celui qui dort ne voit que des fantômes et non des corps véritables, et lorsqu'il est réveillé, il ne lui reste de ce qu'il a vu dans son sommeil qu'un souvenir sans réalité. Tels sont ceux qui, pendant cette vie, se laissent entraîner à l'amour du monde, et qui, au moment de la mort, se voient abandonnés de ce que, dans leurs rêves, ils avaient regardé comme des réalités.
Saint Augustin
Il ne s'adressait pas seulement à ceux qui l'écoutaient, mais encore à ceux qui devaient les suivre et nous précéder, à nous-mêmes et à ceux qui viendront après nous jusqu'à son dernier avènement. Est-ce qu'en effet ce jour trouvera tous les hommes encore en vie? Ou bien dira-t-on que c'est aux morts aussi que s'adressent ces paroles: «Veillez, afin que ce jour qui viendra à l'improviste ne vous trouve endormi ?» Pourquoi donc adresse-t-il à tous une recommandation qui ne parait concerner que ceux qui vivront alors, si ce n'est parce qu'elle s'adresse à tous en réalité, comme je l'ai dit. Ce jour vient pour chacun de nous, avec le jour de sa mort, parce qu'il sort de cette vie dans l'état où il sera jugé au dernier jour. Tout chrétien doit donc veiller, afin que ce jour ne le surprenne pas sans être préparé. Or, il surprendra sans préparation celui qui ne se sera point préparé au dernier jour de sa vie.

Notre Dieu viendra manifestement, et il ne se taira pas (Ps 49,3)! En effet, le Seigneur Christ, notre Dieu, le Fils de Dieu, viendra de façon cachée dans son premier avènement, et de façon manifest e dans le second. Quand il est venu caché, il n'a été connu que de ses serviteurs; quand il viendra manifestement, il sera connu des bons et des mauvais. Quand il est venu caché, c'était pour être jugé; quand il viendra manifestement, ce sera pour être le juge.

Enfin, quand autrefois il était jugé, il s'est tu, et le prophète avait prédit ce silence: Comme un agneau conduit à l'abattoir, comme une brebis muette devant les tondeurs, il n'ouvre pas la bouche (Is 53,7). Mais Il viendra manifestement, notre Dieu, et il ne se taira pas. S'il s'est tu quand il allait être jugé, il ne se taira pas lorsqu'il viendra comme juge. Et déjà maintenant il ne se tait pas, s'il y a quelqu'un qui veuille l'entendre. Mais le psaume dit: Il ne se taira pas, lorsque ceux qui le méprisent maintenant reconnaîtront sa voix. Car lorsqu'on énonce maintenant les commandements de Dieu, certains les tournent en dérision. Parce que ce qu'il a promis ne se montre pas maintenant, et parce que ce dont il nous menace ne se voit pas maintenant, on se moque de ce qu'il prescrit.

Maintenant ce qu'on appelle le bonheur de ce monde, les méchants le possèdent aussi; et ce qu'on appelle le malheur de ce monde, les bons le possèdent aussi. Si des hommes ne croient qu'aux réalités présentes et ne croient pas aux réalités futures, c'est parce qu'ils observent que les biens et les maux du siècle présent appartiennent indistinctement aux bons et aux mauvais. S'ils ambitionnent les richesses, ils voient qu'elles appartiennent aux pires des hommes aussi bien qu'aux bons. S'ils ont horreur de la pauvreté et des misères de cette vie, ils voient qu'elles font souffrir non seulement les bons, mais aussi les mauvais, et ils disent dans leur coeur: Dieu ne voit pas (Ps 93,7), il ne dirige pas les affaires humaines. Il nous laisse totalement rouler au hasard dans l'abîme profond de ce monde, et il ne nous montre en rien sa providence. Et s'ils méprisent les préceptes de Dieu, c'est parce qu'ils ne voient pas son jugement se manifester.

Cependant, chacun doit remarquer, même maintenant, que Dieu, quand il le veut, regarde et juge, sans attendre une heure. Mais quand il veut, il attend. D'où vient cette différence? Parce que s'il ne jugeait jamais dès maintenant, on ne croirait pas en son existence. Mais s'il jugeait tout dès maintenant, il ne garderait rien pour le jugement. Il réserve donc beaucoup de causes pour ce jugement, mais quelques-unes sont jugées présentement, afin que ceux dont il fait attendre le jugement soient saisis de crainte et se convertissent. Car Dieu n'aime pas condamner mais sauver, et c'est pourquoi il est patient envers les mauvais, pour qu'ils deviennent bons. Cependant l'Apôtre nous dit que la colère de Dieu se révélera contre tout refus de Dieu (Rm 1,18), et qu'il rendra à chacun selon ses oeuvres (Rm 2,6). Il avertit et il reprend l'homme qui le méprise en lui disant: Méprises-tu ses trésors de bonté et de patience (Rm 2,4)? Parce qu'il est bon, parce qu'il est patient avec toi, parce qu'il te fait attendre et ne te détruit pas, tu le méprises et tu juges absolument nul le jugement de Dieu: Refuses-tu de reconnaître que ce don de Dieu te pousse à la conversion? Avec ton coeur endurci, tu accumules la colère contre toi pour le jour de la colère, où sera révélé le juste jugement de Dieu, lui qui rendra à chacun selon ses oeuvres (Rm 2,4-6).
Saint Bède le Vénérable
Cet homme qui part pour un long voyage et quitte sa maison, c'est Jésus-Christ qui, après sa résurrection, remontant vers son Père, vainqueur de la mort, quitte extérieurement l'Eglise, mais sans jamais la priver du secours de sa divine présence. En effet, l'habitation naturelle de la chair est la terre, et le Sauveur l'emmène comme en voyage, lorsqu'il la place dans les cieux. Cet homme assigne à chacun de ses serviteurs la tâche qui lui est propre, c'est-à-dire, que Notre-Seigneur, avec la grâce de l'Esprit saint, leur rend possible la pratique de toutes les bonnes oeuvres. Il recommande au portier de veiller, c'est-à-dire, qu'il fait un devoir à l'ordre des pasteurs, de consacrer tous leurs soins à l'Eglise qui leur est confiée. Cette recommandation n'est pas seulement pour les pasteurs de l'Eglise; n ous devons nous-mêmes veiller, garder soigneusement sur les portes de nos coeurs, les fermer à toute inspiration mauvaise de l'antique ennemi, et prendre garde que le Seigneur ne nous trouve endormis.
Saint Théophylacte d'Ohrid
Le Seigneur veut détourner ses disciples de le questionner sur le jour et l'heure où ces choses arriveront: «Quant à ce jour et à cette heure, leur dit-il, nul ne les sait, ni les auges qui sont dans le ciel, ni le Fils, mais le Père seul». S'il leur avait dit, je le sais, mais je ne veux pas vous le découvrir, il les aurait singulièrement attristés; il agit donc plus sagement, il éloigne leur esprit de toute question de ce genre, et il échappe à toutes leurs difficultés on leur disant: «Ni les anges ne le savent, ni moi-même».

Il nous recommande à la fois ces deux choses: la vigilance et la prière, car il en est beaucoup qui veillent, mais qui passent les nuits dans les excès de la débauche. C'est pour nous enseigner cette vérité qu'il amène la comparaison suivante: «Il en sera comme d'un homme qui, s'en allant faire un voyage».

Remarquez qu'il ne dit pas: Je ne sais quand ce temps viendra, mais «vous ne savez». C'est dans notre intérêt que Notre-Seigneur nous a caché ce jour, car si maintenant que nous l'ignorons, nous ne pensons pas à notre fin, qu'aurions-nous fait si nous l'avions su? Hélas ! nous prolongerions nos iniquités jusqu'au dernier jour de notre vie. Pesons bien ici chacune des expressions du Sauveur. La fin arrive sur le soir pour celui qui meurt dans la vieillesse; au milieu de la nuit pour celui qui meurt au milieu de la jeunesse; au chant du coq, lorsqu'on quitte la vie à l'âge où la raison dirige nos actions. En effet, lorsque l'enfant commence à régler sa vie d'après les inspirations de la raison, c'est comme le chant du coq qui élève la voix et le réveille du sommeil de la vie des sens. Le matin, c'est l'enfance. Il nous faut donc à tout âge prévoir notre fin et veiller à ce que l'enfant même ne sorte point de cette vie sans baptême.
Geoffroy d'Admont
Voyez, veillez et priez (cf. Mc 13,33; 14,38). Par ces paroles, le Seigneur notre Sauveur n'a pas averti seulement ses disciples auxquels il parlait physiquement, mais en outre, par ces mêmes paroles, il a révélé clairement à nous-mêmes ce que nous devons faire, comment nous devons veiller. Cette triple parole indique nettement comment doit se sauver chacun de nous qui, oubliant tout ce qui est en arrière, désire se lancer vers l'avenir (cf. Ph 3,14), voudrait saisir le sommet de la perfection auquel il tend.

Celui qui, saisi par l'inspiration divine, aura décidé de renoncer au monde et à ses convoitises, selon l'avertissement que la parole divine nous a donné au début de la lecture d'évangile, (Mc 13,33), doit avoir les yeux ouverts pour comprendre d'emblée, avec sagesse, ce qu'il doit faire ou ce qu'il doit éviter.

Mais, pour quiconque vient à la conversion, il ne suffit pas, pour devenir parfait, de comprendre ce qui est bien, s'il ne cherche ensuite à veiller pour agir de même. C'est pourquoi le Seigneur, après avoir exhorté ses disciples à voir, ajoute aussitôt: Veillez et priez (Mc 13,33). Il est prescrit à chacun de veiller, c'est-à-dire de s'appliquer à réaliser effectivement ce qu'il a bien compris, et de repousser la paresse d'une vie oisive dans laquelle il se trouvait jusque-là, par la recherche vigilante d'une activité vertueuse. A celui qui veille ainsi, par le zèle d'une vie fervente, le Seigneur indique une voie encore supérieure, puisqu'il ajoute aussitôt: et priez.

Priez est donc prescrit à tous les élus, c'est-à-dire qu'en désirant les biens éternels, on doit rechercher le fruit de son effort fervent dans la seule espérance de la récompense céleste. Il semble que saint Paul prescrivait à ses disciples cette obstination dans la prière, quand il disait: Priez sans relâche (1Th 5,17). En effet, nous prions sans relâche s i, lorsque nous faisons le bien, nous ne recherchons pour cela aucune gloire terrestre, mais nous nous préoccupons uniquement de désirer les biens éternels.

Voyez, veillez et priez. Voyez ce qu'il faut faire, en comprenant ce qui est juste; veillez en faisant le bien; priez en désirant les biens éternels. Pourquoi il est si important pour nous de voir, de veiller et de prier, on le voit clairement par les paroles qui suivent: Car vous ne savez pas quand viendra le moment (Mc 13,33). Donc, parce que no us ignorons quand sera le moment de cette visite, il nous faut veiller et prier sans cesse, c'est-à-dire préparer à cette grâce, par un zèle vigilant, le fond de notre coeur.
Louis-Claude Fillion
Je le dis à tous. « Il n'a pas seulement parlé ainsi pour ceux qui avaient le bonheur de l'entendre, mais aussi pour ceux qui furent de ce monde après ses disciples et avant nous, et pour nous-mêmes et pour ceux qui viendront après nous jusqu'au dernier avènement » [503]. — Veillez. Dans la rédaction de S. Marc, le discours eschatologique se termine par cette parole vigoureusement accentuée. Les premiers chrétiens, afin de s’exciter plus vivement à mettre en pratique la recommandation de Jésus, aimaient à prendre des noms qui la leur rappellent sans cesse. De là ces Vigilius, ces Gregorius (d’un verbe grec signifiant « veiller ») si souvent mentionnés dans les inscriptions des Catacombes.