Matthieu 10, 39
Qui a trouvé sa vie la perdra ; qui a perdu sa vie à cause de moi la trouvera.
Qui a trouvé sa vie la perdra ; qui a perdu sa vie à cause de moi la trouvera.
Ceux en effet qui donneront la préférence à ces affections sur l'amour de Dieu se rendront indignes de l'héritage des biens futurs.
Ou bien encore, ceux qui appartiennent à Jésus-Christ ont crucifié leur corps avec ses vices et ses convoitises (Ga 5), et on est indigne de Jésus-Christ quand on ne marche pas à sa suite en prenant sa croix (par laquelle nous souffrons avec lui, nous mourons avec lui, nous sommes ensevelis avec lui, nous ressuscitons avec lui), pour vivre par ce mystère de la foi dans une sainte nouveauté d'esprit.
C'est ainsi qu'on perd sa vie en voulant la sauver, et qu'on la sauve en consentant à la perdre, car le sacrifice d'une vie qui passe si rapidement nous met en possession d'une vie qui ne finira jamais.
Ne soyez pas étonné si d'ailleurs, saint Paul fait un commandement exprès d'obéir en tout à ses parents : il ne veut parler que de l'obéissance dans les choses qui ne sont pas contraires à la religion ; et c'est en effet un devoir sacré que de rendre alors à nos parents toute sorte d'honneur ; mais s'ils exigent au delà de ce qui leur est dû, il faut s'y refuser. Cette doctrine est conforme à l'Ancien Testament, où Dieu ordonne non-seulement de haïr, mais même de lapider ceux qui adoraient les idoles. (Lv 20.) Nous lisons encore dans le Deutéronome : " Celui qui dira à son père et à sa mère : Je ne vous connais pas, et à ses frères : Je vous ignore, ceux-là auront gardé votre parole. "
Ces paroles pouvaient blesser ceux dont l'amour se trouve ainsi sacrifié à l'amour de Dieu ; Notre-Seigneur, pour leur faire supporter patiemment ce sacrifice, tient un langage plus élevé. En effet, rien n'est plus intime à l'homme que son âme, et cependant si vous ne haïssez votre âme, les plus grands maux vous attendent. Et il ne vous ordonne pas seulement de haïr votre âme, mais encore de la livrer à la mort et aux supplices les plus sanglants. Ainsi nous enseigne-t-il qu'il ne suffit pas d'être prêt à subir une mort quelconque, mais qu'il faut être disposé à souffrir la mort la plus violente, la plus ignominieuse, c'est-à-dire la mort de la croix, et c'est pour cela qu'il ajoute : " Et celui qui ne prend pas sa croix. " Il ne leur a pas encore parlé de sa passion, mais de temps en temps il les prépare à recevoir ce qu'il doit plus tard leur en dire.
Les commandements qu'il fait ici pouvaient paraître accablants ; il en fait donc ressortir les avantages immenses : " Celui qui conserve sa vie le perdra ; et celui qui aura perdu sa vie pour l'amour de moi, la retrouvera. " Comme s'il disait : " Non-seulement ces sacrifices que je vous impose ne vous causeront aucun tort, mais vous en recueillerez les fruits les plus précieux, tandis qu'une conduite opposée vous serait infiniment nuisible. Ici comme partout, le Sauveur prend ses inductions dans ce que les hommes désirent le plus. Pourquoi refusez-vous de faire peu de cas de votre vie ? semble-t-il leur dire. Parce que vous l'aimez. Mais c'est justement pour cela que vous devez la sacrifier, si vous voulez lui procurer les plus grands avantages.
Après avoir dit : " Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive, et séparer l'homme d'avec son père, d'avec sa mère, d'avec sa belle-mère, " Notre-Seigneur, ne voulant pas que les sentiments naturels l'emportent jamais sur la religion, ajoute : " Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi. " Nous lisons dans le Cantique des Cantiques : " Il a réglé en moi la charité. " (Ct 2.) Dans toute affection nous devons conserver cet ordre. Aimez après Dieu votre père et votre mère, aimez après lui vos enfants. Mais si la nécessité vous force de mettre en présence l'amour de vos parents et de vos enfants, et que vous ne puissiez satisfaire en même temps à l'un et à l'autre, rappelez-vous qu'alors la haine pour les siens devient un véritable amour de Dieu. Il ne défend donc pas d'aimer son père ou sa mère, mais il ajoute d'une manière expressive : " plus que moi. "
L'âme ne signifie pas ici la substance même de l'âme, mais la vie présente, et tel est le sens de ces paroles : " Celui qui cherche son âme en cette vie, c'est-à-dire celui qui désire cette vie avec ses attachements et ses plaisirs, et qui cherche à la trouver toujours, parce qu'il veut la conserver toujours, la perdra, c'est-à-dire qu'il prépare son âme à la damnation éternelle.
C'est-à-dire, celui qui au temps de la persécution s'exposera, pour confesser mon nom, à perdre cette vie mortelle, ses affections et ses plaisirs, trouvera le salut éternel de son âme.
Le mot croix vient d'un mot latin (cruciatus) qui signifie tourment ; or nous portons la croix du Seigneur de deux manières, ou bien en mortifiant notre corps par la privation, ou par un sentiment de compassion qui nous fait regarder comme nôtres les misères du prochain. Mais il en est quelques-uns qui font profession de mortifier leur chair, non pour plaire à Dieu, mais par un sentiment de vaine gloire ; et d'autres qui témoignent à leur prochain une compassion qui n'a rien de spirituel, mais qui est toute charnelle, et qui, loin de les porter à la vertu, favorise par ce sentiment de fausse pitié leur penchant au vice. Ils semblent porter leurs croix, mais ils ne suivent pas le Seigneur, et c'est pour cela qu'il ajoute : " Et qui me suit. "
Ce qui signifie qu'on est indigne de toute union avec Dieu quand on préfère les affections de la chair et du sang à l'amour spirituel qu'on doit avoir pour Dieu.
Ou bien encore, celui qui cherche à sauver son âme pour l'éternité, n'hésitera pas à la perdre, c'est-à-dire à s'exposer à la mort. Ce qui suit est également favorable à l'un et à l'autre sens. " Et celui qui aura perdu sa vie pour moi la trouvera. "
La Glose
On voit souvent les parents aimer leurs enfants plus qu'ils n'en sont aimés ; aussi Notre-Seigneur va-t-il par degrés, et après avoir enseigné que son amour doit passer avant l'amour des parents, il enseigne naturellement qu'il doit aussi l'emporter sur l'amour des enfants, en ajoutant : " Et celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n'est pas digne de moi. "
1282. QUI A TROUVÉ SON ÂME, LA PERDRA. Or, l’âme s’entend de la vie. Lorsque quelqu’un est en danger de perdre des deniers, il a coutume de dire : «J’ai perdu des deniers» ; et s’il est sauvé du danger, il dit qu’il a trouvé ses deniers. De la même manière, si quelqu’un fait face à un danger corporel et est par chance sauvé, il dit qu’il a trouvé sa vie. «Ainsi donc, celui qui trouve sa vie et se trouve en danger à cause de moi, et me renie pour trouver sa vie, il n’est pas digne de moi.» QUI AURA PERDU SON ÂME, à savoir sa vie, c’est-à-dire, s’il s’est exposé à la mort à cause de moi, [IL] LA TROUVERA. Pr 8, 35 : Celui qui me trouve trouvera la vie et recevra le salut du Seigneur.
Troisième principe. Après avoir préféré Jésus-Christ à sa famille, v. 37, et à son bien-
être personnel, v. 38, le disciple fidèle le préférera même à la vie. - Celui qui conserve sa vie... L’âme représente ici la vie physique dont elle est le principe. Conserver sa vie, pour le chrétien, c’est la perdre ; la
perdre, c’est la conserver. Pensée féconde qui reviendra aussi souvent que la précédente sur les lèvres du
Sauveur, Cf. 16, 25 ; Luc. 17, 33 ; Joan. 12, 25 ; mais pensée bien paradoxale en apparence, car perdre ne
diffère-t-il pas essentiellement de trouver ? Jésus-Christ joue sur la double signification du mot Vie : il y a en
effet la vie supérieure et la vie inférieure, la vie spirituelle et la vie naturelle, la vie éternelle et la vie
temporelle. S’attacher trop à la seconde de ces vies, vouloir la conserver à tout prix lorsque le sacrifice en est
devenu nécessaire pour demeurer fidèle à Jésus, c’est s’exposer à perdre à tout jamais les biens infinis que
nous réserve la première. Il arrive parfois au prédicateur de l’Évangile de se trouver dans cette alternative :
perdre la vie du temps et gagner celle de l’éternité, ou bien gagner quelques années de vie en ce monde au
prix d’une lâche apostasie et perdre en même temps le bonheur sans fin de l’autre monde. Quiconque n’est
pas capable de sacrifier au besoin la vie inférieure à la vie supérieure, finira par les perdre toutes les deux. S.
Grégoire-le-Grand fait un rapprochement admirable à l’occasion de ce passage : « On dit à un fidèle comme
on dirait à un cultivateur : si tu conserves le froment, tu le perds; si tu sèmes, tu renouvelles. Car qui ne sait
pas que le froment devenu semence est perdu de vue, et se décompose dans la terre ? Mais quand il est
réduit en poussière, il reverdit de nouveau », Hom. 37 in Evang. On connaît cette autre parole du même saint
Docteur : « La vie temporelle comparée à la vie éternelle ne mérite pas le nom de vie », ibid.
Celui qui sauvera sa vie (Qui invenit animam suam) ; c’est-à-dire qui tient beaucoup à sa vie, qui tient par-dessus tout à la conserver. Le mot vie (âme en grec et en latin), désigne la vie passagère du corps et la vie éternelle de l’âme. Notre-Seigneur joue ici et dans les passages parallèles sur ces deux sens. Dans l’Ecriture, le mot âme (anima), ou substance spirituelle, se prend en effet aussi pour la vie et les biens de ce monde, et pour la personne même, le soi.
Bien sûr, cette conversion est à comprendre comme une conversion initiale ; elle est suffisante cependant pour que l’homme se rende compte que, détourné du péché, il est introduit dans le mystère de l’amour de Dieu, qui l’appelle à nouer des rapports personnels avec lui dans le Christ. En effet, sous l’action de la grâce de Dieu, le nouveau converti entreprend un itinéraire spirituel par lequel, communiant déjà par la foi au mystère de la mort et de la résurrection, il passe du vieil homme au nouvel homme qui a sa perfection dans le Christ (cf. Col 3, 5-10 ; Ep 4, 20-24). Ce passage, qui entraîne avec lui un changement progressif de la mentalité et des mœurs, doit devenir manifeste avec ses conséquences sociales et se développer peu à peu pendant le temps du catéchuménat. Comme le Seigneur en qui il croit est un signe de contradiction (cf. Lc 2, 34 ; Mt 10, 34-39), il n’est pas rare que le converti fasse l’expérience de ruptures et de séparations, mais aussi connaisse les joies que Dieu donne sans les mesurer (cf. 1 Th 1, 6).
Cela fait partie des développements de l'amour vers des degrés plus élevés, vers ses purifications profondes, de l'amour qui cherche maintenant son caractère définitif, et cela en un double sens : dans le sens d’un caractère exclusif – «cette personne seulement» – et dans le sens d’un «pour toujours». L’amour comprend la totalité de l’existence dans toutes ses dimensions, y compris celle du temps. Il ne pourrait en être autrement, puisque sa promesse vise à faire du définitif : l’amour vise à l’éternité. Oui, l’amour est «extase», mais extase non pas dans le sens d’un moment d’ivresse, mais extase comme chemin, comme exode permanent allant du je enfermé sur lui-même vers sa libération dans le don de soi, et précisément ainsi vers la découverte de soi-même, plus encore vers la découverte de Dieu : «Qui cherchera à conserver sa vie la perdra. Et qui la perdra la sauvegardera» (Lc 17, 33), dit Jésus – une de ses affirmations qu’on retrouve dans les Évangiles avec plusieurs variantes (cf. Mt 10, 39; 16, 25; Mc 8, 35; Lc 9, 24; Jn 12, 25). Jésus décrit ainsi son chemin personnel, qui le conduit par la croix jusqu’à la résurrection; c’est le chemin du grain de blé tombé en terre qui meurt et qui porte ainsi beaucoup de fruit. Mais il décrit aussi par ces paroles l’essence de l’amour et de l’existence humaine en général, partant du centre de son sacrifice personnel et de l’amour qui parvient en lui à son accomplissement.