Matthieu 19, 12
Il y a des gens qui ne se marient pas car, de naissance, ils en sont incapables ; il y en a qui ne peuvent pas se marier car ils ont été mutilés par les hommes ; il y en a qui ont choisi de ne pas se marier à cause du royaume des Cieux. Celui qui peut comprendre, qu’il comprenne ! »
Il y a des gens qui ne se marient pas car, de naissance, ils en sont incapables ; il y en a qui ne peuvent pas se marier car ils ont été mutilés par les hommes ; il y en a qui ont choisi de ne pas se marier à cause du royaume des Cieux. Celui qui peut comprendre, qu’il comprenne ! »
D'un côté nous voyons la nature dans celui qui est eunuque de naissance, de l'autre, la nécessité dans celui qui l'est devenu de la main des hommes, de l'autre, enfin, la volonté dans celui qui a ré solu de vi vre tel, dans l'espérance du royaume des cieux.
Or, le Seigneur ne répond point que cela est avan tageux, au contraire, il convient avec eux que ce n'est pas avantageux; mais il tient compte en même temps de l'infirmité de la chair, et il ajoute: «Tous ne comprennent pas cette parole», c'est-à-dire tous ne sont pas capables de cette résolution.
Il prouve ensuite la possibilité de cette vertu, en ajoutant: «Il y a des eunuques», etc., paroles dont voici le sens: Pensez à ce que vous feriez si vous étiez devenu eunuque par la main des hommes. Vous seriez privé et de la volupté, et de la récompense de la chasteté.
Car il est plus facile de lutter contre la concupiscence et contre soi-même que contre une mauvaise femme.
Si donc tous ne comprennent pas cette parole, c'est qu'ils ne veulent pas la comprendre. La palme est offerte à tous, que celui qui désire la gloire, ne pense pas à la fatigue, personne ne pourrait remporter la victoire, si tous craignaient le danger. De ce qu'il en est qui ne tiennent pas la résolution qu'ils ont prise d'être chastes, nous ne devons pas en être plus négligents dans la pratique de cette vertu; ainsi ceux qui tombent sur le champ de bataille n'amortissent pas le courage des autres. En s'exprimant de la sorte: «Ceux à qui il a été donné», le Sauveur nous apprend que sans le secours de la grâce, tous nos efforts seraient inutiles. Or, ce secours de la grâce n'est jamais refusé à ceux qui le demandent; car le Seigneur a dit: «Demandez et vous recevrez».
De même que l'action séparée de la volupté ne peut constituer le péché, ainsi l'acte, sans la volonté, ne peut être imputé à justice. La chasteté, vraiment méri toire et glorieuse, n'est donc pas celle qui vient de l'impuissance d'un corps incapable d'enfreindre cette vertu, mais celle qui résulte de la résolution libre et sainte de garder la conti nence.
Qu'il y en ait qui soit eunuques de naissance, on ne peut l'attribuer qu'à la création, de même que ceux qui naissent avec six ou quatre doigts; car si Dieu laissait la nature de chacun des êtres créés suivre d'une manière immuable l'ordre qu'il a établi dès le commencement, les hommes finiraient par oublier l'opération de la toute-puissance divine. C'est pourquoi la nature des choses contrevient de temps en temps aux lois naturelles établies, pour rappeler sans cesse au souvenir des hommes, que Dieu est l'artisan souverain de la nature.
Lorsque le Seigneur dit qu'il en est qui se sont faits eunuques, il ne veut point parler du retranchement d'aucun membre, mais de la mortification des pensées mauvaises; car celui qui se mutile lui-même est soumis à la malédiction, parce qu'il se rend coupable du crime des homicides, donne occasion aux Manichéens de rabaisser la créature, et qu'il imite la conduite des païens qui se mutilent ainsi eux-mêmes; la pensée de se retrancher un membre ne peut venir que d'une tentation du démon. D'ailleurs, en agissant ainsi, on n'éteint pas les feux de la concupiscence, on ne fait que les irriter, puisque le sperme qui est en nous a d'autres sources, et surtout dans les désirs impurs et dans la négligence de l'âme. Si l'âme est mortifiée, elle n'a rien à craindre des mouvements naturels de la concupiscence; de même que cette mutilation d'un membre ne suffit pas pour réprimer les tentations, et pour donner la paix à l'âme, en mettant comme un frein aux pensées mauvaises.
Gardons-nous de penser qu'en disant: «Ceux à qui il a été donné», le Sauveur ait voulu parler du destin ou du hasard, en ce sens que ceux qui ont reçu le don de la virginité, n'en soient redevables qu'au hasard; car ce don est accordé à ceux qui l'ont demandé à Dieu, qui l'ont voulu, et qui ont fait des efforts pour l'obtenir.
C'est un lourd fardeau qu'une épouse, s'il n'est point permis de s'en séparer, sauf le cas d'adultère. Eh quoi ! si elle est sujette à l'ivrognerie, à la colère, si elle est de moeurs licen cieuses, faudra-t-il donc la garder? C'est en considérant ce joug pesant du mariage, que les Apôtres expriment leur sentiment: Ses disciples lui dirent: «Si la condition d'un homme est telle à l'égard de sa femme, il n'est pas avantageux de se marier».
Il établit donc trois genres d'eunuques, deux dans le sens matériel, et le troisième dans le sens spirituel: les uns sont nés ainsi dès le sein de leur mère; les autres sont ceux que la captivité a rendu tels, ou qui ont été mutilés pour le plaisir des personnes de qualité; les troi sièmes sont ceux qui se sont faits eunuques eux-mêmes pour le royaume des cieux, et qui, pouvant être des hommes jouissant de la virilité, se sont faits eunuques par amour pour Jésus-Christ; c'est à ces derniers qu'il promet la récompense; mais les autres, pour qui la chasteté est une nécessité et non pas un sacrifice volontaire, n'ont rien à espérer.
Nous pouvons donner une autre explication: Ceux qui sont eunuques dès le sein de leur mère sont ceux qui sont d'un tempérament froid et sans inclination pour le plaisir; ceux qui le sont par le fait des hommes, sont ceux que les médecins ont faits eunuques ou à qui on fait prendre les moeurs efféminées des femmes pour servir au culte des idoles; ou bien ceux qui, à la persuasion des hérétiques, simulent la chasteté pour se couvrir des dehors trompeurs de la vraie religion. Or, aucun d'eux n'obtiendra le royaume des cieux, à l'exception de ceux qui se sont rendus eunuques pour Jésus-Christ. C'est pour cela que le Sauveur ajoute: «Qui peut comprendre ceci le comprenne». C'est-à-dire que chacun interroge ses forces pour voir s'il peut remplir les devoirs qu'impose la virginité et la pureté. La chasteté a des charmes natu rels, elle attire à soi tout le monde, mais il faut que chacun examine ses forces, et que celui qui peut comprendre comprenne». C'est la parole du Seigneur qui exhorte ses soldats, et les ap pelle à conquérir la palme de la chasteté, et il leur tient ce langage: «Que celui qui peut com battre, ne refuse pas le combat, qu'il remporte la victoire et qu'il triomphe».
Car il y a. Ce verset
explique le précédent, surtout les dernières paroles, « ceux à qui cela a été donné ». - Eunuque est un mot
calqué sur le grec, qui désignait d’après l’étymologie « cubile, lectus », et « curo », les serviteurs ou esclaves
préposés dans l’Orient au service du gynécée. Ici, Jésus l’emploie dans un sens général pour représenter les
hommes qui ne se marient pas. Il distingue trois catégories d’eunuques : il y a les eunuques de nature, ceux
qui sont devenus tels par la malignité des hommes, ceux qui le sont pour un motif surnaturel. La première
catégorie, qui sont nés tels, comprend tous les hommes qui, pour des raisons physiques de divers genre, sont
nés incapables de mariage : leur virginité n’a rien de méritoire, car elle a lieu indépendamment de leur
volonté. Dans la seconde classe, qui ont été faits par les hommes, Jésus place les malheureux castrats,
comme on les appelait à Rome, qui n’étaient alors que trop nombreux dans tout l’Orient. Comme ils étaient
destinés la plupart du temps à la garde des femmes, on prenait des mesures honteuses et cruelles pour
s’assurer de leur continence : mais c’était une virginité forcée, qui avait lieu le plus souvent contre le gré de
la volonté et qui n’atteignait nullement le cœur. Les Rabbins distinguent aussi dans le Talmud l'eunuque né,
et l'eunuque fait. Après avoir nommé ceux qui ne se marient point pour des motifs humains, Jésus range dans
une troisième catégorie les hommes qui gardent le célibat en vue de Dieu et pour sa gloire, qui se sont
eux-mêmes rendus tels, au moral bien entendu ; car, cette troisième espèce de chasteté ne provient point
d’une cause involontaire ou forcée : elle est librement, volontairement embrassée, et en cela consiste
précisément sa supériorité sur les deux autres. Il s’agit donc d’eunuques spirituels, qui sont devenus tels par
un conflit vigoureux de l’esprit contre la chair et par la grâce toute-puissante de Dieu, comme l’indiquait le v.
11. On sait qu’Origène, prenant à la lettre ces paroles du Christ, se mutila de ses propres mains : sa conduite
a été justement réprouvée, la bonne foi seule put l’excuser ; Cf. le Dictionn. encyclop. de la Théologie cathol.
de Wetzer et Welte, art. Origène. - A cause du royaume des cieux. Ces mots expriment le but et le motif
principal de la virginité chrétienne : on va au-devant d’elle pour s’assurer le royaume des cieux, pour y arriver plus facilement en évitant les encombres et les dangers inséparables du mariage. C’est ce que
développe admirablement S. Paul : « Celui qui n’est pas marié a le souci des affaires du Seigneur, il cherche
comment plaire au Seigneur. Celui qui est marié a le souci des affaires de ce monde, il cherche comment
plaire à sa femme, et il se trouve divisé », 1 Cor. 7, 32-33. - Que celui qui peut comprendre... Cf. 11, 15 ; 13,
43. « Que chacun interroge ses forces pour voir s'il peut remplir les devoirs qu'impose la virginité et la
pureté. La chasteté a des charmes naturels, elle attire à soi tout le monde, mais il faut que chacun examine ses
forces, et que celui qui peut comprendre comprenne. C'est la parole du Seigneur qui exhorte ses soldats, et
les appelle à conquérir la palme de la chasteté, et il leur tient ce langage: «Que celui qui peut combattre, ne
refuse pas le combat, qu'il remporte la victoire et qu'il triomphe », S. Jérôme ; Cf. Bellarm. de Monachis, 2,
31. Voilà l’étendard de la virginité levé bien haut par Notre-Seigneur Jésus-Christ. Des milliers de saintes
âmes ne tarderont pas à se grouper autour de lui, car si l’époux abandonne son père et sa mère pour s’attacher
à son épouse, l’âme virginale sait tout quitter aussi et même avec un empressement plus vif encore, pour
adhérer à son divin fiancé ; Cf. Ps. 44, 11. 12.
Il y en a qui se sont rendus, etc. Ce sont ceux qui ont renoncé pour toujours aux plaisirs des sens, pour servir avec une plus grande liberté de cœur Dieu et la justice, et mériter ainsi le bonheur éternel.
La chasteté « pour le Royaume des cieux » (Mt 19, 12), dont les religieux font profession, doit être regardée comme un don éminent de la grâce. Elle libère singulièrement le cœur de l’homme (cf. 1 Co 7, 32-35) pour qu’il brûle de l’amour de Dieu et de tous les hommes ; c’est pourquoi elle est un signe particulier des biens célestes, ainsi qu’un moyen très efficace pour les religieux de se consacrer sans réserve au service divin et aux œuvres de l’apostolat. Ils évoquent ainsi aux yeux de tous les fidèles cette admirable union établie par Dieu et qui doit être pleinement manifestée dans le siècle futur, par laquelle l’Église a le Christ comme unique époux.
Dès les temps apostoliques, des vierges (cf. 1 Co 7, 34-36) et des veuves chrétiennes (cf. Jean-Paul II, exh. ap. Vita Consecrata, 7), appelées par le Seigneur à s’attacher à Lui sans partage dans une plus grande liberté de cœur, de corps et d’esprit, ont pris la décision, approuvée par l’Église, de vivre, respectivement, dans l’état de la virginité ou de la chasteté perpétuelle " à cause du Royaume des cieux " (Mt 19, 12).
Tous les ministres ordonnés de l’Église latine, à l’exception des diacres permanents, sont normalement choisis parmi les hommes croyants qui vivent en célibataires et qui ont la volonté de garder le célibat " en vue du Royaume des cieux " (Mt 19, 12). Appelés à se consacrer sans partage au Seigneur et à " ses affaires " (cf. 1 Co 7, 32), ils se donnent tout entier à Dieu et aux hommes. Le célibat est un signe de cette vie nouvelle au service de laquelle le ministre de l’Église est consacré ; accepté d’un cœur joyeux, il annonce de façon rayonnante le Règne de Dieu (cf. PO 16).
Il y a des eunuques qui le sont de naissance, dès le sein de leur mère ; il y a aussi des eunuques qui le sont devenus par la main des hommes ; et il y en a qui se sont faits eunuques eux-mêmes à cause du Royaume des cieux. Que celui qui peut comprendre, comprenne (Mt 19, 12).
Dans ce même chapitre de l'Evangile de Matthieu (19, 3-10), lorsqu'il interprète la Loi mosaïque sur le mariage, Jésus refuse le droit à la répudiation, en invoquant le « principe » le plus ancien et le plus autorisé par rapport à la Loi de Moïse ; le dessein premier de Dieu sur l'homme est un dessein auquel l'homme est devenu non conforme à la suite du péché : « C'est en raison de votre dureté de cœur que Moïse vous a permis de répudier vos femmes, mais dès l'origine il n'en fut pas ainsi » (Mt 19, 8). Le rappel du « principe » effraie les disciples qui commentent en ces termes : « Si telle est la condition de l'homme envers la femme, il vaut mieux ne pas se marier » (Mt 19, 10). En se référant de manière spécifique au charisme du célibat « à cause du Royaume des cieux » (Mt 19, 12), tout en énonçant une règle générale, Jésus renvoie à la nouvelle et surprenante possibilité offerte à l'homme par la grâce de Dieu : « Il leur dit : " Tous ne comprennent pas ce langage, mais ceux-là à qui c'est donné " » (Mt 19, 11).
En même temps, à l'exemple de Marie, l'Eglise reste la vierge fidèle à son époux: «Elle aussi est vierge, ayant donné à son Epoux sa foi, qu'elle garde intègre et pure». L'Eglise est en effet l'épouse du Christ, comme il apparaît dans les Lettres de Paul (cf. Ep 5, 21-33; 2 Co 11, 2) et dans le nom que Jean lui donne: «l'Epouse de l'Agneau» (Ap 21, 9). Si l'Eglise, comme épouse, «garde la foi donnée au Christ», cette fidélité, tout en étant devenue l'image du mariage dans l'enseignement de l'Apôtre (cf. Ep 5, 23-33), possède aussi une autre valeur: c'est l'exemple même de la donation totale à Dieu dans le célibat «à cause du Royaume des cieux», c'est-à-dire de la virginité consacrée à Dieu (cf. Mt 19, 11-12; 2 Co 11, 2). Et précisément cette virginité, à l'exemple de la Vierge de Nazareth, est la source d'une fécondité spirituelle spéciale: c'est la source de la maternité dans l'Esprit Saint.