Matthieu 19, 21
Jésus lui répondit : « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux. Puis viens, suis-moi. »
Jésus lui répondit : « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux. Puis viens, suis-moi. »
2053. JÉSUS LUI DIT : «SI TU VEUX ÊTRE PARFAIT, VA, etc.» Premièrement, l’effort est présenté ; deuxièmement, la voie ; troisièmement, parce que celle-ci est difficile, la récompense est présentée ; quatrièmement, l’accomplissement de la perfection.
2054. [Le Seigneur] dit donc : «SI TU VEUX ÊTRE PARFAIT, VA, VENDS TOUT CE QUE TU POSSÈDES ET DONNE-LE AUX PAUVRES.» Nous devons en effet nous efforcer à la perfection. He 6, 1 : Laissant l’enseignement élémentaire du Christ, élevons-nous à ce qui est parfait. Mais Origène pose une question : la perfection de la loi est l’amour. Or, [le Seigneur] avait dit : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Pourquoi donc a-t-il dit : «SI TU VEUX ÊTRE PARFAIT», alors qu’il était déjà parfait ? Certains disent que, dans certains livres, n’apparaît pas : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Et cela est clair, car cela n’apparaît pas chez Marc. Mais on peut [l’expliquer] autrement : [le Seigneur] a dit cela, mais non dans cet ordre, car dans l’évangile des Nazaréens, [le texte] est le suivant : Le Seigneur dit : «Tu ne commettras pas d’adultère, etc.», jusqu’à ce qui porte sur l’amour. Puis suit : «Tout cela, etc.», et vient ensuite : «Tu aimeras ton prochain, etc.» Toutefois, la solution est simple, car il existe un double amour du prochain, à savoir, l’amour selon la voie commune et l’amour selon [la voie] de la perfection. [Le Seigneur] dit donc : «VA, VENDS TOUT, etc.», non pas une partie, tel que le firent Ananias et Saphire, comme on le lit dans Ac 5, 2, ET DONNE-LE AUX PAUVRES», et non aux riches. 1 Co 13, 3 : Si je distribue mes biens aux pauvres pour les nourrir. Ps 111[112], 9 : Il a distribué, il a donné aux pauvres. Et non pas à un seul pauvre, mais à plusieurs.
2055. Mais que signifie cela ? Est-ce que celui-ci ne serait pas aussitôt parfait ? Il semble que non, car il y a encore des passions en lui. Il n’est donc pas parfait dans la vertu. Origène dit qu’il est devenu aussitôt parfait, comme sont aussitôt parfaits ceux à qui il a distribué ses biens. 2 Co 8,14 : Que votre abondance comble leurs besoins, et que leur abondance vienne au secours de vos besoins. De sorte que leur perfection est passée en lui, comme celui qui accueille un prophète en tant que prophète recevra la récompense d’un prophète, etc., plus haut, 10, 41. De sorte que la voie de la perfection n’est pas dans : «VA ET VENDS TOUT CE QUE TU POSSÈDES», mais seulement dans ce qui suit : «DONNE-LE AUX PAUVRES.» Une autre réponse pour : «SI TU VEUX ÊTRE PARFAIT», est que tu ne seras pas immédiatement parfait, mais tu auras une certaine amorce de la perfection, parce que, déchargé de [ces biens], tu pourras plus facilement contempler les réalités célestes. Augustin dit que «les veilles et les choses de ce genre sont des instruments de la perfection, mais que la perfection se trouve dans ce qui suit : “Suis-moi”». Ainsi, [on lit] plus haut, 4, 20 : Pierre et André, ayant tout abandonné, le suivirent. De même en a-t-il été de Matthieu, plus haut, 9, 9. Mais lorsque tu écartes toutes ces choses, tu en fais meilleur usage en le donnant aux pauvres, et en cela il faut prendre en considération le prochain.
2056. Dès lors, si la perfection ne consiste pas en cela, en quoi consiste-t-elle ? Il faut dire [qu’elle consiste] dans la perfection de la charité. Col 3, 14 : Ayez par-dessus tout la charité, qui est le lien de la perfection. De sorte que l’amour de Dieu est la perfection, mais la liquidation de ses biens est la voie vers la perfection. Et comment ? Augustin, dans le Livre sur les quatre-vingt-trois questions, dit que «l’accroissement de la charité diminue la cupidité, et que la perfection de la charité est l’élimination de la cupidité. Celui-là donc est parfait dans la charité, qui aime Dieu jusqu’au mépris de soi et de ce qui lui appartient». Ainsi, il est difficile et presque impossible que quelqu’un possède des richesses sans y être attaché. Et cela est clair par le cas de Grégoire dont on lit que, «alors qu’il pensait se mettre davantage au service du Christ sous une forme séculière, on se mit à l’écraser sous tant de [biens temporels] qu’il fut absorbé, non pas seulement par ce qu’ils étaient en réalité, [mais par ce qu’ils étaient] en esprit». C’est pourquoi rien ne rend l’esprit aussi libre que de ne pas avoir à s’occuper des richesses, et telle est la voie de la perfection.
2057. C’est donc une chose d’être parfait, et une autre d’être dans l’état de perfection. Quiconque a une charité parfaite allant jusqu’au mépris de soi et de ce qui lui appartient possède la perfection. L’état de perfection est double : celui des prélats et celui des religieux, mais d’une manière équivoque, car l’état des religieux vise l’acquisition de la perfection (c’est pourquoi il fut dit [au jeune homme] : SI TU VEUX ÊTRE PARFAIT, si tu veux accéder à l’état de perfection) ; mais l’état des prélats ne vise pas à l’acquérir pour eux-mêmes, mais à communiquer [la perfection] possédée (ainsi le Seigneur, en Jn 21, 17, dit à Pierre : «Pierre, si tu m’aimes, paix mes brebis», et ne dit pas : «Si tu veux être parfait, etc.»). Il y a donc entre la perfection des religieux et celle des prélats la même différence qu’entre un disciple et un maître. On dit ainsi au disciple : «Si tu veux apprendre, entre à l’école et apprends.» Au maître on dit : «Enseigne et perfectionne.» L’état des religieux est ainsi plus sûr, car l’ignorance ne leur est pas imputée comme elle l’est au prélat. De même donc qu’il serait ridicule qu’un maître ne sache rien, ainsi, etc. Mais, à supposer que chacun fasse ce qui lui revient et fasse bon usage de sa fonction, je dis qu’il n’y a pas de comparaison, si ce n’est comme entre un disciple et un maître. De sorte que le prélat est dans un état plus parfait, même s’il s’agit d’Élie ou de n’importe quel autre.
2058. Mais une question se pose : si le prélat est parfait, n’est-il pas tenu de tout vendre ? Je dis que cela serait la conséquence si la perfection se trouvait dans le fait d’ALLER ET DE VENDRE TOUT CE QUE TU POSSÈDES. Or, tel n’est pas le cas, mais cela est un préambule à l’acquisition de la perfection. Il n’est donc pas nécessaire qu’il vende ce qu’il possède. Mais parce que cela arrive rarement que quelqu’un soit parfait alors qu’il possède des richesses, tout doit être abandonné par celui qui s’oriente vers la perfection. Le Seigneur indique donc ce qui est plus facile. Je dis donc que si un prélat a les qualités requises et assure bien le soin [des fidèles], je dis qu’il serait plus parfait, comme quelqu’un pourrait dire : «Je veux entrer à l’école pour apprendre», mais, puisqu’il ne sait rien, il est présomptueux [pour lui] de dire qu’il veut être maître. Ainsi, dans La cité de Dieu, Augustin dit : «L’état supérieur, sans lequel le peuple ne peut être bien dirigé, même s’il est exercé convenablement, est cependant désiré de manière inconvenante.» De même, c’est autre chose d’être prélat et d’être dans l’état de prélat. Les prêtres de rang inférieur et les curés seraient-ils dans l’état de perfection ? Je dis qu’ils ne sont pas dans cet état parce qu’ils n’ont pas ce qui fait l’état. Tout état est conféré avec une certaine solennité, comme l’ordre de l’épiscopat et [l’état] religieux. Mais lorsqu’une fonction de rang inférieur est conférée, elle n’est pas conférée avec solennité. [Ceux qui la reçoivent] n’ont donc pas l’état de perfection. Ce qui est clair, car à certains sont confiés une charge et l’exercice [de la charge], et s’ils ne sont pas promus, ils peuvent les quitter et se marier, et parfois ils deviennent religieux. Mais l’évêque ne saurait quitter l’épiscopat, sauf par autorisation d’un supérieur ; le curé le peut en entrant en religion. Mais s’il était déjà dans un état supérieur, il déchoirait de son état et ainsi pécherait. Il peut donc posséder la perfection pour ce qui est de l’acte, mais non pour ce qui est de l’état, parce que l’état n’est conféré qu’avec une solennité.
2059. VA ET VENDS TOUT CE QUE TU POSSÈDES, ET DONNE-LE AUX PAUVRES, car, pour cela, tu auras une grande récompense, la récompense étant proportionnée au mérite. ET TU AURAS UN TRÉSOR DANS LE CIEL. Dans un trésor, il y a deux choses : la stabilité et l’abondance. Tu auras un trésor et les réalités spirituelles en abondance. Ps 111[112], 3 : Gloire et richesses sont dans sa maison. Is 33, 6 : Et ce sera la sécurité pour tes jours : sagesse et connaissance sont les richesses qui sauvent.
PUIS VIENS ET SUIS-MOI. Ici se trouve la fin de la perfection. De sorte que ceux-là sont parfaits qui suivent Dieu de tout leur cœur. Ainsi, en Gn 17, 1 : Marche devant moi et sois parfait. SUIS-MOI, c’est-à-dire : «Imite la vie du Christ.» Ainsi, plus haut, 16, 24 : Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même. L’imitation se trouve dans le souci de prêcher, d’enseigner et de prendre soin. Ainsi, Chrysostome [dit] : «Il a été dit à Pierre : “Suis-moi”, à savoir, en prenant soin du monde entier.» Jb 23, 11 : Mon pied a suivi ses traces.
2054. [Le Seigneur] dit donc : «SI TU VEUX ÊTRE PARFAIT, VA, VENDS TOUT CE QUE TU POSSÈDES ET DONNE-LE AUX PAUVRES.» Nous devons en effet nous efforcer à la perfection. He 6, 1 : Laissant l’enseignement élémentaire du Christ, élevons-nous à ce qui est parfait. Mais Origène pose une question : la perfection de la loi est l’amour. Or, [le Seigneur] avait dit : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Pourquoi donc a-t-il dit : «SI TU VEUX ÊTRE PARFAIT», alors qu’il était déjà parfait ? Certains disent que, dans certains livres, n’apparaît pas : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Et cela est clair, car cela n’apparaît pas chez Marc. Mais on peut [l’expliquer] autrement : [le Seigneur] a dit cela, mais non dans cet ordre, car dans l’évangile des Nazaréens, [le texte] est le suivant : Le Seigneur dit : «Tu ne commettras pas d’adultère, etc.», jusqu’à ce qui porte sur l’amour. Puis suit : «Tout cela, etc.», et vient ensuite : «Tu aimeras ton prochain, etc.» Toutefois, la solution est simple, car il existe un double amour du prochain, à savoir, l’amour selon la voie commune et l’amour selon [la voie] de la perfection. [Le Seigneur] dit donc : «VA, VENDS TOUT, etc.», non pas une partie, tel que le firent Ananias et Saphire, comme on le lit dans Ac 5, 2, ET DONNE-LE AUX PAUVRES», et non aux riches. 1 Co 13, 3 : Si je distribue mes biens aux pauvres pour les nourrir. Ps 111[112], 9 : Il a distribué, il a donné aux pauvres. Et non pas à un seul pauvre, mais à plusieurs.
2055. Mais que signifie cela ? Est-ce que celui-ci ne serait pas aussitôt parfait ? Il semble que non, car il y a encore des passions en lui. Il n’est donc pas parfait dans la vertu. Origène dit qu’il est devenu aussitôt parfait, comme sont aussitôt parfaits ceux à qui il a distribué ses biens. 2 Co 8,14 : Que votre abondance comble leurs besoins, et que leur abondance vienne au secours de vos besoins. De sorte que leur perfection est passée en lui, comme celui qui accueille un prophète en tant que prophète recevra la récompense d’un prophète, etc., plus haut, 10, 41. De sorte que la voie de la perfection n’est pas dans : «VA ET VENDS TOUT CE QUE TU POSSÈDES», mais seulement dans ce qui suit : «DONNE-LE AUX PAUVRES.» Une autre réponse pour : «SI TU VEUX ÊTRE PARFAIT», est que tu ne seras pas immédiatement parfait, mais tu auras une certaine amorce de la perfection, parce que, déchargé de [ces biens], tu pourras plus facilement contempler les réalités célestes. Augustin dit que «les veilles et les choses de ce genre sont des instruments de la perfection, mais que la perfection se trouve dans ce qui suit : “Suis-moi”». Ainsi, [on lit] plus haut, 4, 20 : Pierre et André, ayant tout abandonné, le suivirent. De même en a-t-il été de Matthieu, plus haut, 9, 9. Mais lorsque tu écartes toutes ces choses, tu en fais meilleur usage en le donnant aux pauvres, et en cela il faut prendre en considération le prochain.
2056. Dès lors, si la perfection ne consiste pas en cela, en quoi consiste-t-elle ? Il faut dire [qu’elle consiste] dans la perfection de la charité. Col 3, 14 : Ayez par-dessus tout la charité, qui est le lien de la perfection. De sorte que l’amour de Dieu est la perfection, mais la liquidation de ses biens est la voie vers la perfection. Et comment ? Augustin, dans le Livre sur les quatre-vingt-trois questions, dit que «l’accroissement de la charité diminue la cupidité, et que la perfection de la charité est l’élimination de la cupidité. Celui-là donc est parfait dans la charité, qui aime Dieu jusqu’au mépris de soi et de ce qui lui appartient». Ainsi, il est difficile et presque impossible que quelqu’un possède des richesses sans y être attaché. Et cela est clair par le cas de Grégoire dont on lit que, «alors qu’il pensait se mettre davantage au service du Christ sous une forme séculière, on se mit à l’écraser sous tant de [biens temporels] qu’il fut absorbé, non pas seulement par ce qu’ils étaient en réalité, [mais par ce qu’ils étaient] en esprit». C’est pourquoi rien ne rend l’esprit aussi libre que de ne pas avoir à s’occuper des richesses, et telle est la voie de la perfection.
2057. C’est donc une chose d’être parfait, et une autre d’être dans l’état de perfection. Quiconque a une charité parfaite allant jusqu’au mépris de soi et de ce qui lui appartient possède la perfection. L’état de perfection est double : celui des prélats et celui des religieux, mais d’une manière équivoque, car l’état des religieux vise l’acquisition de la perfection (c’est pourquoi il fut dit [au jeune homme] : SI TU VEUX ÊTRE PARFAIT, si tu veux accéder à l’état de perfection) ; mais l’état des prélats ne vise pas à l’acquérir pour eux-mêmes, mais à communiquer [la perfection] possédée (ainsi le Seigneur, en Jn 21, 17, dit à Pierre : «Pierre, si tu m’aimes, paix mes brebis», et ne dit pas : «Si tu veux être parfait, etc.»). Il y a donc entre la perfection des religieux et celle des prélats la même différence qu’entre un disciple et un maître. On dit ainsi au disciple : «Si tu veux apprendre, entre à l’école et apprends.» Au maître on dit : «Enseigne et perfectionne.» L’état des religieux est ainsi plus sûr, car l’ignorance ne leur est pas imputée comme elle l’est au prélat. De même donc qu’il serait ridicule qu’un maître ne sache rien, ainsi, etc. Mais, à supposer que chacun fasse ce qui lui revient et fasse bon usage de sa fonction, je dis qu’il n’y a pas de comparaison, si ce n’est comme entre un disciple et un maître. De sorte que le prélat est dans un état plus parfait, même s’il s’agit d’Élie ou de n’importe quel autre.
2058. Mais une question se pose : si le prélat est parfait, n’est-il pas tenu de tout vendre ? Je dis que cela serait la conséquence si la perfection se trouvait dans le fait d’ALLER ET DE VENDRE TOUT CE QUE TU POSSÈDES. Or, tel n’est pas le cas, mais cela est un préambule à l’acquisition de la perfection. Il n’est donc pas nécessaire qu’il vende ce qu’il possède. Mais parce que cela arrive rarement que quelqu’un soit parfait alors qu’il possède des richesses, tout doit être abandonné par celui qui s’oriente vers la perfection. Le Seigneur indique donc ce qui est plus facile. Je dis donc que si un prélat a les qualités requises et assure bien le soin [des fidèles], je dis qu’il serait plus parfait, comme quelqu’un pourrait dire : «Je veux entrer à l’école pour apprendre», mais, puisqu’il ne sait rien, il est présomptueux [pour lui] de dire qu’il veut être maître. Ainsi, dans La cité de Dieu, Augustin dit : «L’état supérieur, sans lequel le peuple ne peut être bien dirigé, même s’il est exercé convenablement, est cependant désiré de manière inconvenante.» De même, c’est autre chose d’être prélat et d’être dans l’état de prélat. Les prêtres de rang inférieur et les curés seraient-ils dans l’état de perfection ? Je dis qu’ils ne sont pas dans cet état parce qu’ils n’ont pas ce qui fait l’état. Tout état est conféré avec une certaine solennité, comme l’ordre de l’épiscopat et [l’état] religieux. Mais lorsqu’une fonction de rang inférieur est conférée, elle n’est pas conférée avec solennité. [Ceux qui la reçoivent] n’ont donc pas l’état de perfection. Ce qui est clair, car à certains sont confiés une charge et l’exercice [de la charge], et s’ils ne sont pas promus, ils peuvent les quitter et se marier, et parfois ils deviennent religieux. Mais l’évêque ne saurait quitter l’épiscopat, sauf par autorisation d’un supérieur ; le curé le peut en entrant en religion. Mais s’il était déjà dans un état supérieur, il déchoirait de son état et ainsi pécherait. Il peut donc posséder la perfection pour ce qui est de l’acte, mais non pour ce qui est de l’état, parce que l’état n’est conféré qu’avec une solennité.
2059. VA ET VENDS TOUT CE QUE TU POSSÈDES, ET DONNE-LE AUX PAUVRES, car, pour cela, tu auras une grande récompense, la récompense étant proportionnée au mérite. ET TU AURAS UN TRÉSOR DANS LE CIEL. Dans un trésor, il y a deux choses : la stabilité et l’abondance. Tu auras un trésor et les réalités spirituelles en abondance. Ps 111[112], 3 : Gloire et richesses sont dans sa maison. Is 33, 6 : Et ce sera la sécurité pour tes jours : sagesse et connaissance sont les richesses qui sauvent.
PUIS VIENS ET SUIS-MOI. Ici se trouve la fin de la perfection. De sorte que ceux-là sont parfaits qui suivent Dieu de tout leur cœur. Ainsi, en Gn 17, 1 : Marche devant moi et sois parfait. SUIS-MOI, c’est-à-dire : «Imite la vie du Christ.» Ainsi, plus haut, 16, 24 : Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même. L’imitation se trouve dans le souci de prêcher, d’enseigner et de prendre soin. Ainsi, Chrysostome [dit] : «Il a été dit à Pierre : “Suis-moi”, à savoir, en prenant soin du monde entier.» Jb 23, 11 : Mon pied a suivi ses traces.
Le Sauveur, après l’avoir excité,
préparé, consent enfin à lui indiquer la voie parfaite sur laquelle il désire s’élancer généreusement à la
conquête du salut éternel. - Si tu veux être parfait. Si c’est une volonté réelle qui agite en ce moment votre
cœur, si votre demande est sincère. « Est parfait ce à quoi il ne manque rien », Bengel. Si vous voulez être
quelqu’un à qui il ne manque rien sous le rapport spirituel. - Va, retournez dans votre demeure pour un
temps. - Vends ce que tu as : c’est le conseil évangélique de la pauvreté volontairement embrassée pour
l’amour de Dieu. Peu d’instants auparavant, vv. 11, 12, Jésus avait proposé un autre conseil évangélique,
celui de la virginité. - Si Notre-Seigneur recommande tout d’abord à son interlocuteur un complet
renoncement, ce n’est pas qu’il suffise, pour être parfait, de vendre ses biens et de les donner aux pauvres ;
c’est là du moins un commencement de perfection. Tant qu’on est trop vivement attaché aux biens terrestres,
le perfectionnement moral est d’une impossibilité absolue, et tel était précisément l’état de ce jeune homme.
Pour lui, le premier cas consistait donc à se défaire de ses richesses : cela fait, la divine société de Jésus eût
promptement enrichi son âme de toutes les vertus chrétiennes. Le Sauveur se borne à mettre le doigt sur la
plaie principale. - Donne-le aux pauvres, avec sagesse et la joie d’une sainte charité. « Le Christ n'a pas dit,
donne à à tes parents, ou à des amis riches (S. Remi), car cela est un acte d'amour humain, par lequel tu ne
renies pas tes richesses, mais tu les conserves sous ta garde : ainsi tu ne renonces pas à l'esprit du monde...
mais, donne aux pauvres, de qui tu n'attends aucune contrepartie ; Dieu seul te récompensera, car c'est un
acte pur de donner l'aumône aux pauvres et de renoncer aux richesses », Corn. a Lap. in h. l. - Et tu auras un
trésor dans le ciel. Admirable et sainte rhétorique de Jésus, qui sait entourer de fleurs et de promesses les
œuvres difficiles qu’il prescrit, afin de rendre ainsi l’obéissance moins pénible à la nature ! « Comme il était
ici question des richesses de la terre, et que Notre-Seigneur exhortait ce jeune homme à s'en dépouiller, il lui
montre que la récompense qu'il accordera sera plus grande que ce sacrifice, et le surpassera de toute la
distance qui sépare le ciel de la terre: «Et vous aurez, ajoute-t-il, un trésor dans le ciel»; car un trésor
annonce la richesse et la durée de la récompense », S. Jean Chrysost. l. c. C’est du reste la doctrine du
Discours sur la Montagne appliquée à un cas particulier ; Cf. 5, 12 ; 6, 20. - Puis viens : littéralement, « et
ici ! ». Après cet acte préparatoire, hâtez-vous de venir me rejoindre pour vivre habituellement avec moi
comme l’un de mes disciples privilégiés. Tel est en effet le sens des mots suis-moi ; Cf. 9, 9 ; 8, 22. Quelle
grâce pour cet heureux jeune homme ! Mais, hélas ! il ne sut pas en profiter, ni réaliser l’espoir que nous
avions conçu de lui au début de cette narration.
Que les religieux donc, fidèles à leur profession, abandonnant tout pour le Christ (cf. Mc 10, 28) le suivent lui comme l’unique nécessaire (cf. Lc 10, 42 ; Mt 19, 21), écoutant ses paroles (cf. Lc 10, 39), préoccupés de ce qui le concerne (cf. 1 Co 7, 32).
Les instituts eux-mêmes s’efforceront, compte tenu de la diversité des lieux, de fournir en quelque sorte un témoignage collectif de pauvreté ; volontiers ils prendront de leurs biens pour subvenir aux autres besoins de l’Église et soutenir les indigents que tous les religieux doivent aimer dans le cœur du Christ (cf. Mt 19, 21 ; 25, 34-46 ; Jc 2, 15-16 ; 1 Jn 3, 17). Les provinces et les maisons des instituts doivent partager les unes avec les autres leurs biens matériels, les plus aisées secourant les plus démunies.
A cette première réponse, une seconde vient s’ajouter : " Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor aux cieux ; puis viens, suis-moi " (Mt 19, 21). Elle n’annule pas la première. La suite de Jésus Christ comprend l’accomplissement des commandements. La Loi n’est pas abolie (cf. Mt 5, 17), mais l’homme est invité à la retrouver en la Personne de son Maître, qui en est l’accomplissement parfait. Dans les trois évangiles synoptiques, l’appel de Jésus adressé au jeune homme riche, de le suivre dans l’obéissance du disciple et dans l’observance des préceptes, est rapproché de l’appel à la pauvreté et à la chasteté (cf. Mt 19, 6-12. 21. 23-29). Les conseils évangéliques sont indissociables des commandements.
Le dialogue de Jésus avec le jeune homme riche, rapporté au chapitre 19 de l'Evangile de saint Matthieu, peut constituer une trame utile pour réentendre, de manière vivante et directe, l'enseignement moral de Jésus : « Et voici qu'un homme s'approcha et lui dit : " Maître, que dois-je faire de bon pour obtenir la vie éternelle ? " Il lui dit : " Qu'as-tu à m'interroger sur ce qui est bon ? Un seul est le Bon. Si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements " — " Lesquels ? " lui dit-il. Jésus reprit : " Tu ne tueras pas, tu ne commettras pas d'adultère, tu ne voleras pas, tu ne porteras pas de faux témoignage, honore ton père et ta mère, et tu aimeras ton prochain comme toi-même ". " Tout cela, lui dit le jeune homme, je l'ai observé ; que me manque-t-il encore ? Jésus lui déclara : " Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux ; puis viens, suismoi " » (Mt 19, 16-21)
Mais si Dieu seul est le Bien, aucun effort humain, pas même l'observance la plus rigoureuse des commandements, ne réussit à « accomplir » la Loi, c'est-à-dire à reconnaître le Seigneur comme Dieu et à lui rendre l'adoration qui n'est due qu'à lui (cf. Mt 4, 10). « L'accomplissement » ne peut venir que d'un don de Dieu : il est l'offrande d'une participation à la bonté divine qui se révèle et qui se communique en Jésus, celui que le jeune homme riche appelle « bon Maître » (Mc 10, 17 ; Lc 18, 18). Ce que, pour l'instant, le jeune homme ne réussit peut-être qu'à pressentir, sera pleinement révélé à la fin par Jésus lui-même dans son invitation : « Viens et suis-moi » (Mt 19, 21).
La réponse rappelant les commandements ne satisfait pas le jeune homme qui interroge Jésus : « Tout cela, je l'ai observé ; que me manque-t-il encore ? » (Mt 19, 20). Il n'est pas facile de dire avec bonne conscience « tout cela, je l'ai observé », si l'on comprend à peine la portée effective des exigences contenues dans la Loi de Dieu. Cependant, s'il lui est possible de donner une réponse semblable, s'il a aussi suivi l'idéal moral avec sérieux et avec générosité depuis son enfance, le jeune homme riche sait qu'il est encore loin du but ; face à la personne de Jésus, il saisit que quelque chose lui manque encore. C'est en fonction de cette prise de conscience d'insuffisance que Jésus s'adresse à lui dans sa dernière réponse : en saisissant la nostalgie d'une plénitude qui dépasse l'interprétation légaliste des commandements, le bon Maître invite le jeune homme à entrer dans le chemin de la perfection : « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux ; puis viens, suis-moi » (Mt 19, 21).
La voie et, en même temps, le contenu de cette perfection consistent dans la suite du Christ, dans le fait de suivre Jésus après avoir renoncé à ses biens particuliers et à soi-même. C'est précisément la conclusion du dialogue entre Jésus et le jeune homme : « Puis viens, suis-moi » (Mt 19, 21). La merveilleuse profondeur de cette invitation sera pleinement perçue par les disciples après la résurrection du Christ, quand l'Esprit Saint les introduira dans la vérité tout entière (cf. Jn 16, 13).
Il n'est pas douteux que la doctrine morale chrétienne, par ses racines bibliques, reconnaît l'importance particulière d'un choix fondamental qui qualifie la vie morale et qui engage radicalement la liberté devant Dieu. Il s'agit du choix de la foi, de l'obéissance de la foi (cf. Rm 16, 26), « par laquelle l'homme s'en remet tout entier et librement à Dieu dans " un complet hommage d'intelligence et de volonté " » Cette « foi, opérant par la charité » (Ga 5, 6), vient du centre de l'homme, de son « cœur » (cf. Rm 10, 10), et elle est appelée, à partir de là, à fructifier dans les œuvres (cf. Mt 12, 33-35 ; Lc 6, 43-45 ; Rm 8, 5-8 ; Ga 5, 22). Dans le Décalogue, on trouve, en tête des différents commandements, l'expression fondamentale : « Je suis le Seigneur, ton Dieu... » (Ex 20, 2) qui, donnant leur sens authentique aux prescriptions particulières, multiples et variées, confère à la morale de l'Alliance sa cohérence, son unité et sa profondeur. Le choix fondamental d'Israël concerne alors le commandement fondamental (cf. Jos 24, 14-25 ; Ex 19, 3-8 ; Mi 6, 8). La morale de la Nouvelle Alliance est, elle aussi, dominée par l'appel fondamental de Jésus à venir à sa « suite » — ainsi qu'il le dit au jeune homme : « Si tu veux être parfait... viens et suis-moi » (Mt 19, 21) — : à cet appel, le disciple répond par une décision et un choix radicaux. Les paraboles évangéliques du trésor et de la perle précieuse, pour laquelle on vend tout ce qu'on possède, sont des images par- lantes et vivantes du caractère radical et inconditionnel du choix qu'exige le Royaume de Dieu. Le caractère absolu du choix de suivre Jésus est admirablement exprimé par ses paroles : « Qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi et de l'Evangile la sauvera » (Mc 8, 35).