Matthieu 26, 38
Il leur dit alors : « Mon âme est triste à en mourir. Restez ici et veillez avec moi. »
Il leur dit alors : « Mon âme est triste à en mourir. Restez ici et veillez avec moi. »
Il ne convenait pas que le Sauveur fut pris dans le lieu même où il avait mangé la pâques avec ses disciples. Il fallait aussi qu'il priât avant d'être trahi, et qu'il choisît un lieu convenable et propre à la prière: «Et il dit à ses disciples: Asseyez-vous ici pendant que j'irai là, et que je prierai».
Ou bien, dans un autre sens, ces paroles: «Mon âme est triste jusqu'à la mort», signifient: La tristesse a commencé en moi, non pour toujours, mais jusqu'à l'heure de ma mort, et, lorsque je serai mort au péché, je mourrai à toute espèce de tristesse, dont le com mencement seul a trouvé, place en moi. «Demeurez ici», etc. C'est-à-dire, j'ai commandé aux autres de rester plus loin comme, étant plus faibles, et pour leur épargner la vue de ce triste combat; pour vous, je vous ai pris avec moi, comme étant plus forts, et pour prendre part avec moi aux fatigues de la veille et de la prière. Cependant, demeurez aussi en cet endroit, car il faut que chacun s'arrête au degré de sa vocation, et toute grâce, quelque grande qu'elle soit, en a toujours une qui lui est supérieure.
Mais les hérétiques ne veulent entendre ces paroles: «Il commença à s'attrister et à s'affliger» que dans le sens qui assujettit le Fils de Dieu à la crainte de la mort, parce qu'ils affirment, d'ailleurs, qu'il n'est point né de toute éternité, et qu'il n'est point sorti de la substance infinie de son. Père, mais qu'il a été tiré du néant par le Créateur de toutes choses. Donc, ajoutent-ils, il a été accessible aux angoisses de la douleur, à la crainte de la mort, et, puisqu'il a pu craindre la mort, il a pu mourir; or, s'il a pu mourir, bien qu'il doive maintenant vivre éternellement, il n'est cependant point éternel par sa nais sance dans le passé. Nous leur répondrons que, si la foi leur avait donné l'intelligence des Évangiles, ils auraient appris que le Verbe était Dieu dès le commencement, qu'il était en Dieu dès le commencement, et que celui qui engendre, comme celui qui a été engendré, ont la même éternité. Mais si la chair qu'il a prise a pu vicier, par suite de l'infirmité qui lui est inhérente, la vertu de cette substance incorruptible, jusqu'à la soumettre aux atteintes de la douleur, aux agitations de la crainte, elle devra aussi être soumise à la corruption, et si cette substance éter nelle peut subir un changement qui l'assujettisse à la crainte, elle pourra perdre, dans un mo ment donné, les propriétés qu'elle possède aujourd'hui. Mais Dieu est toujours le même, sans qu'on puisse mesurer son existence, et il est de toute éternité tout ce qu'il est; rien donc en Dieu n'a pu être sujet à la mort, rien en lui n'a pu être accessible à la crainte.
Il en est, ce me semble, qui ne donnent d'autre cause à cette crainte du Sauveur que les approches de sa passion et de sa mort. Mais je demanderai à ceux qui sont dans cette opinion si l'on peut raisonnablement admettre que la crainte de la mort ait pu trou ver place chez celui qui bannissait toute crainte de la mort de l'esprit de ses Apôtres, et les exhortait à conquérir la gloire du martyre? Peut-on d'ailleurs supposer qu'il ait pu envisager la mort avec effroi, lui qui donne la vie pour récompense à ceux qui meurent pour lui. Quelle est encore la douleur qu'il pourrait craindre dans la mort, lui qui ne devait mourir que par un acte librement consenti de sa toute-puissance? Et si enfin ses souffrances devaient être pour lui une source de gloire, comment la crainte de sa passion pouvait-elle l'attrister.
Mais, puisque nous lisons que Notre-Seigneur a été accablé par la tristesse, recherchons-en les causes. Il avait prévenu plus haut ses disciples que tous seraient scandalisés, et il avait déclaré à Pierre qu'il renierait trois fois son maître. Or, c'est après avoir pris avec lui cet Apôtre, ainsi que Jacques et Jean, qu'il commence à s'attrister. Ce n'est donc point avant de les avoir pris avec lui qu'il est triste; mais toute cette crainte ne paraît en lui qu'après qu'il s'est fait suivre de ses disciples. Cette tristesse ne prend donc point naissance à son sujet, mais à l'occasion de ceux qu'il avait pris avec lui.
Ce n'est pas lui qui est triste, mais son âme, car la tristesse ne peut atteindre la sagesse, la nature divine, mais son âme seulement, car il s'est uni mon âme, il s'est uni mon corps.
Jésus leur fait cette recommandation, parce qu'ils le suivaient sans jamais se séparer de lui; il avait aussi l'habitude de prier sans ses disciples, ce qu'il faisait pour nous apprendre à rechercher le repos et la solitude dans nos prières. Mais puisque la prière est l'élévation de notre âme vers Dieu et la de mande faite à Dieu de choses justes et légitimes, comment le Sauveur pouvait-il prier? Son âme n'avait pas besoin de s'élever à Dieu, unie qu'elle était au Verbe de Dieu en unité de per sonne; il n'avait non plus besoin de rien demander à Dieu, car Jésus-Christ est tout à la fois Dieu et homme. Mais le Sauveur voulut en cela nous donner dans sa personne l'exemple de la conduite que nous devons suivre, nous enseigner à prier Dieu son Père, et à nous élever jus qu'à lui. Lorsqu'il s'est soumis aux souffrances, c'était pour en triompher et nous obtenir d'en triompher nous-mêmes ainsi, lorsqu'il prie, c'est pour nous ouvrir la voie par laquelle nous pouvons nous élever jusqu'à Dieu; c'est encore afin d'accomplir pour nous toute justice, de nous réconcilier avec son Père, de l'honorer comme le principe de toutes choses et de nous montrer qu'il n'est point lui-même contraire à Dieu. - Remi, En priant sur la montagne, Notre-Seigneur nous enseigne à demander à Dieu dans la prière les choses du ciel, et en priant dans cet endroit appelé Gethsémani, il nous apprend à pratiquer toujours avec soin l'humilité dans la prière.
Le nom de Gethsémani veut dire vallée très fertile, et c'est là que Jésus ordonne à ses disciples de se reposer un instant, et d'y attendre qu'il revienne les trouver lorsqu'il aurait prié seul pour tous les hommes.
Pour nous, nous disons que le Fils de Dieu s'est revêtu de notre humanité sujette aux souffrances, mais sans que la divinité ait cessé d'être impassible, car le Fils de Dieu a souffert, non pas d'une manière imaginaire, mais en réalité, tout ce que l'Écriture atteste qu'il a souffert dans la nature qui pouvait souffrir en lui, c'est-à-dire dans la nature humaine dont il s'était revêtu.
Le Seigneur s'attristait donc, non dans la crainte de souffrir, puisque sa passion était l'objet de sa venue sur la terre, et qu'il avait reproché à Pierre son appréhension ( Mt 14,3 ), mais en pensant à l'infortuné Judas, au scandale dont sa mort allait être l'occasion pour tous ses Apôtres, à l'abandon et à la réprobation de tout le peuple juif, et à la ruine de la malheureuse Jérusalem.
Ou bien, dans un autre sens, toutes les créatures qui n'existaient pas, et à qui Dieu a donné l'être, ont le désir naturel de l'existence, et fuient natu rellement ce qui pourrait la leur ravir. Donc, Dieu le Verbe, s'étant fait homme, eut aussi ce désir qu'il fit paraître, en recherchant la nourriture, la boisson, le sommeil nécessaires à la conservation de la vie, parce qu'il était soumis, par sa nature humaine, à ces différentes néces sités, et en fuyant, au contraire, tout ce qui pouvait être, pour cette nature, un principe de dis solution. Ainsi, au temps de sa passion qu'il a soufferte par un effet de sa volonté, il fut soumis à une crainte de la mort et à une tristesse qui étaient naturelles, car il est naturel à l'âme de craindre d'être séparée du corps, à cause de l'union intime que le Créateur a établie dès le commencement entre ces deux substances.
Notre-Seigneur, pour prouver la vérité de la nature qu'il avait prise, éprouve une tris tesse réelle; mais pour ne point laisser cette passion dominer dans son âme: «Il commence, dit l'Évangéliste, à s'attrister». Ce n'est pas en effet la même chose d'être triste, ou de com mencer à s'attrister.
Ou bien, on peut dire qu'il ne leur défend pas de se livrer au sommeil, car ce n'en était guère le temps à l'approche de ce moment décisif, mais qu'il veut les prémunir contre l'assoupissement de l'âme et le sommeil de l'infidélité.
Il dit que son âme est triste, non à cause de la mort, mais jusqu'à la mort, jusqu'à ce qu'il ait délivré ses Apôtres par sa passion. Que ceux-là donc qui prétendent que Jésus a pris une âme sans intelligence nous disent comment cette âme a pu s'attrister, et comment elle a pu connaître les heures de la tristesse, car si les animaux sans raison peuvent éprouver de la tristesse, ils ne peuvent cependant en connaître ni les causes, ni le temps, ni le terme.
Nous avons, en effet, les récits des évangélistes, qui nous rapportent que Jésus-Christ est né de la bienheureuse Vierge Marie, qu'il a été pris parles Juifs, flagellé, crucifié, mis à mort et enseveli dans un tombeau, toutes choses qu'on ne peut comprendre dans leur réalité sans qu'il ait eu un corps véritable. Quel est l'homme, si insensé qu'il fût d'ailleurs, qui oserait dire qu'il faut prendre toutes ces choses dans un sens figuré, alors que les évangélistes ont ra conté ces faits d'après leurs propres souvenirs? Si donc ces faits incontestables prouvent jus qu'à l'évidence que Jésus a eu un corps, ces passions, qui ne peuvent exister que dans l'âme, prouvent également qu'il avait une âme véritable, et nous trouvons cette preuve dans le même récit des évangélistes, qui nous disent: «Et Jésus fut dans l'admiration, et il fut irrité, et il s'attrista».
Puisque tous ces faits nous sont racontés dans l'Évangile, ce ne sont point des récits controuvés, et Notre-Seigneur, par l'effet d'une écono mie toute divine, a réellement éprouvé ces sentiments lorsqu'il l'a voulu, de même qu'il s'est fait homme par un acte également libre de sa volonté. Nous éprouvons aussi ces sentiments comme une des infirmités de notre condition humaine; mais il n'en a pas été ainsi du Seigneur Jésus, dont l'infirmité même a été un effet de sa nouvelle puissance.
Toutes nos passions naturelles ont donc existé en Jésus-Christ, naturellement, et d'une manière supérieure à la nature; naturellement, parce qu'il laissait la chair souffrir ce qui était inhérent à sa condition; d'une manière supérieure à la nature, parce que les mouvements de la nature ne précédaient pas en lui la volonté. En effet, rien en Jésus-Christ n'était soumis à la coaction; mais tout était volontaire; ainsi, c'est par un effet de sa volonté qu'il éprouva le besoin de la faim, les sentiments de crainte et de tristesse, sentiments qu'il exprime par ces paroles: «Mon âme est triste jusqu'à la mort».
L'Évangéliste nous a raconté un peu plus haut qu'après avoir dit avec ses disciples l'hymne d'action de grâces, Jésus était allé avec eux vers le mont des Oliviers, et c'est pour désigner l'endroit de cette montagne où il se retira, qu'il ajouté: «Alors Jésus vint avec eux un lieu appelé», etc.
C'est parce qu'il avait été témoin de l'expression de la foi de ses disciples et de leur dévouement à toute épreuve, et qu'il prévoyait leur effroi et leur dispersion qu'il leur ordonne de s'asseoir en ce lieu, car on s'assoie pour se reposer, et il devait leur en coûter bien de la peine pour le renoncer. L'Évangéliste nous apprend comment il s'éloigna d'eux, en ajoutant: «Et ayant pris avec lui Pierre et les deux fils de Zébédée, il commença à être triste et dans l'affliction».Il prend avec lui ceux qu'il avait rendus témoins, sur la montagne, de la splendeur de sa majesté.
Ce passage condamne l'erreur, et des Manichéens, qui ont pré tendu qu'il n'avait pris qu'un corps fantastique, et de ceux qui ont soutenu qu'il n'avait pas eu d'âme véritable, mais que la divinité lui en avait tenu lieu.
C'est par un dessein admirable qu'à la veille de sa passion le Sauveur prie dans la vallée de l'abondance, pour nous montrer que c'était par la vallée de l'humilité et par l'abondance de sa charité qu'il a souffert la mort pour nous. Il nous avertit en même temps de ne point porter en nous un coeur stérile et privé de la fécondité que donne la charité.
Saint Luc dit: «Sur le mont des Oliviers»; saint Jean: «Au delà du torrent de Cédron», ce qui est la même chose que Gethsémani, lieu situé au pied du mont des Oliviers, où se trouve un jardin et où fut bâtie depuis une église.
2707. ALORS IL LEUR DIT : «MON ÂME EST TRISTE À EN MOURIR, etc.» Il ne dit pas : «Je suis triste», car le mot «je» indique la personne. Or, il n’était pas triste en tant que Verbe, mais dans son âme. L’erreur d’Arius comme celle d’Apollinaire est donc écartée ; de même, celle de Manès, qui affirmait qu’il n’avait pas vraiment souffert. On voit donc clairement selon quoi il était attristé.
2708. Mais pourquoi était-il attristé ? Les interprétations des saints varient. Hilaire et plusieurs autres ont dit qu’il n’était pas triste à cause de lui-même, ni à cause de sa mort, mais à cause du scandale de ses disciples. Et il veut démontrer cela par le fait qu’il les prit avec lui. [Jean] Damascène dit qu’il s’attristait sur lui-même. Et pourquoi ? Parce que la tristesse nous habite lorsque nous fait défaut ce que nous aimons naturellement. L’âme veut naturellement être unie au corps, et cela habitait l’âme du Christ, car il a mangé, bu et a eu faim. La séparation [de son âme] allait donc contre le désir naturel. La séparation lui causait donc de la tristesse. Toutefois, nous pouvons comprendre qu’une chose existe dans l’âme selon ce qu’est [cette chose], et une chose existe dans l’âme selon qu’on la compare à autre chose. Ainsi, une potion amère, considérée en elle-même, est douloureuse, mais, mise en rapport avec la fin qu’est notre santé, elle est cause de joie, comme quelque chose appartient à la raison en tant que nature, et quelque chose [appartient] à la raison en tant qu’elle est raison. Ainsi, cette mort du Christ était un sujet de tristesse selon qu’elle était considérée en elle-même ; mais, selon qu’elle était mise en rapport avec [sa] cause, en la mettant en rapport avec [sa] fin, [le Christ] s’en réjouissait. Les paroles d’Hilaire et de Jérôme se comprennent donc par rapport à la fin [de la mort].
2709. On se demande aussi comment la tristesse s’est abattue sur le Christ. Il faut donc remarquer que parfois la tristesse survient comme une passion, parfois, comme une propassion. Comme une passion, lorsqu’on est affecté et changé ; mais lorsqu’on est affecté sans être changé, on a alors une propassion. Mais parfois les choses de ce genre nous affectent au point que la raison est changée, et alors il s’agit de passions complètes ; mais parfois la raison n’est pas changée, et alors il s’agit d’une propassion. Or, dans le Christ, la raison ne fut jamais changée. Il s’agissait donc de propassion, et non de passion. C’est pourquoi l’évangéliste dit d’une manière spécifique : IL COMMENÇA À RESSENTIR DE LA TRISTESSE.
2710. Augustin dit aussi que nous connaissons la tristesse en tant qu’elle a été contractée, mais le Christ [l’a connue] en tant qu’elle est assumée. En effet, on contracte ce qu’on reçoit d’origine en naissant, mais le Christ a assumé notre nature comme il l’a voulu. Ainsi, il n’était pas nécessaire qu’il reçoive la capacité de souffrir, telle la tristesse, mais [il l’a assumée] volontairement. Il faut aussi remarquer ce que dit [Jean] Damascène : chez nous, le mouvement de la passion vient avant la raison, car il y a parfois en nous passion et parfois propassion. Mais, dans le Christ, il n’y avait que propassion, et jamais un mouvement des puissances inférieures de l’âme ne s’est produit chez le Christ ; bien au contraire, les puissances inférieures étaient entièrement soumises à la raison et, lorsqu’il le voulait, il permettait aux puissances inférieures d’agir comme il leur était naturel. Ainsi, un autre évangéliste a dit qu’il se troubla, car ces mouvements n’auraient pu se produire que dans la mesure où il l’a voulu.
2711. ALORS IL LEUR DIT : «MON ÂME EST TRISTE À EN MOURIR.» Remarquez qu’il dit : «À EN MOURIR, par quoi je réparerai ce scandale et les autres.» Ou bien, selon une autre interprétation : «Ne croyez pas que cela doive durer éternellement, mais aussi longtemps que [mon] corps sera susceptible de souffrir, c’est-à-dire jusqu’à la mort MON ÂME EST TRISTE, puis elle sera glorifiée.»
Puis, il écarte les autres : DEMEUREZ ICI ET VEILLEZ AVEC MOI.
2708. Mais pourquoi était-il attristé ? Les interprétations des saints varient. Hilaire et plusieurs autres ont dit qu’il n’était pas triste à cause de lui-même, ni à cause de sa mort, mais à cause du scandale de ses disciples. Et il veut démontrer cela par le fait qu’il les prit avec lui. [Jean] Damascène dit qu’il s’attristait sur lui-même. Et pourquoi ? Parce que la tristesse nous habite lorsque nous fait défaut ce que nous aimons naturellement. L’âme veut naturellement être unie au corps, et cela habitait l’âme du Christ, car il a mangé, bu et a eu faim. La séparation [de son âme] allait donc contre le désir naturel. La séparation lui causait donc de la tristesse. Toutefois, nous pouvons comprendre qu’une chose existe dans l’âme selon ce qu’est [cette chose], et une chose existe dans l’âme selon qu’on la compare à autre chose. Ainsi, une potion amère, considérée en elle-même, est douloureuse, mais, mise en rapport avec la fin qu’est notre santé, elle est cause de joie, comme quelque chose appartient à la raison en tant que nature, et quelque chose [appartient] à la raison en tant qu’elle est raison. Ainsi, cette mort du Christ était un sujet de tristesse selon qu’elle était considérée en elle-même ; mais, selon qu’elle était mise en rapport avec [sa] cause, en la mettant en rapport avec [sa] fin, [le Christ] s’en réjouissait. Les paroles d’Hilaire et de Jérôme se comprennent donc par rapport à la fin [de la mort].
2709. On se demande aussi comment la tristesse s’est abattue sur le Christ. Il faut donc remarquer que parfois la tristesse survient comme une passion, parfois, comme une propassion. Comme une passion, lorsqu’on est affecté et changé ; mais lorsqu’on est affecté sans être changé, on a alors une propassion. Mais parfois les choses de ce genre nous affectent au point que la raison est changée, et alors il s’agit de passions complètes ; mais parfois la raison n’est pas changée, et alors il s’agit d’une propassion. Or, dans le Christ, la raison ne fut jamais changée. Il s’agissait donc de propassion, et non de passion. C’est pourquoi l’évangéliste dit d’une manière spécifique : IL COMMENÇA À RESSENTIR DE LA TRISTESSE.
2710. Augustin dit aussi que nous connaissons la tristesse en tant qu’elle a été contractée, mais le Christ [l’a connue] en tant qu’elle est assumée. En effet, on contracte ce qu’on reçoit d’origine en naissant, mais le Christ a assumé notre nature comme il l’a voulu. Ainsi, il n’était pas nécessaire qu’il reçoive la capacité de souffrir, telle la tristesse, mais [il l’a assumée] volontairement. Il faut aussi remarquer ce que dit [Jean] Damascène : chez nous, le mouvement de la passion vient avant la raison, car il y a parfois en nous passion et parfois propassion. Mais, dans le Christ, il n’y avait que propassion, et jamais un mouvement des puissances inférieures de l’âme ne s’est produit chez le Christ ; bien au contraire, les puissances inférieures étaient entièrement soumises à la raison et, lorsqu’il le voulait, il permettait aux puissances inférieures d’agir comme il leur était naturel. Ainsi, un autre évangéliste a dit qu’il se troubla, car ces mouvements n’auraient pu se produire que dans la mesure où il l’a voulu.
2711. ALORS IL LEUR DIT : «MON ÂME EST TRISTE À EN MOURIR.» Remarquez qu’il dit : «À EN MOURIR, par quoi je réparerai ce scandale et les autres.» Ou bien, selon une autre interprétation : «Ne croyez pas que cela doive durer éternellement, mais aussi longtemps que [mon] corps sera susceptible de souffrir, c’est-à-dire jusqu’à la mort MON ÂME EST TRISTE, puis elle sera glorifiée.»
Puis, il écarte les autres : DEMEUREZ ICI ET VEILLEZ AVEC MOI.
Jésus ne peut s'empêcher de faire aux amis qui l'accompagnent l'humble aveu de l'immense
douleur qui pèse sur son cœur. - Mon âme est triste : dans le grec, « ayant de la tristesse tout autour de soi ».
- A en mourir. Être triste jusqu'à la mort, c'est être en proie à un chagrin supérieur aux forces humaines et
capable de faire mourir. D'autres, avant Notre-Seigneur Jésus-Christ, avaient usé de cette locution pour
représenter la tristesse parvenue à son degré suprême ; Cf. Jon. 4, 9 ; Jud. 16, 16 ; Eccli. 37, 2 ; mais, si
c'était pour eux une hyperbole, c'était pour Jésus une entière réalité. Un homme ordinaire eût infailliblement
succombé sous un si lourd fardeau. « Ah ! Seigneur, s'écrie Bourdaloue, 1er Sermon sur la Passion, 1re
partie, votre douleur est comme une vaste mer, dont on ne peut sonder le fond, ni mesurer l'immensité. Ce fut
pour grossir et enfler cette mer que tous les péchés des hommes, ainsi que parle l'Écriture, entrèrent comme
autant de fleuves dans l'âme du Fils de Dieu... Faut-il s'étonner si tout cela, suivant la métaphore du Saint-Esprit, ayant formé un déluge d'eaux dans cette âme bienheureuse, elle en demeure comme absorbée , »
- Demeurez ici : synonyme de « asseyez vous ici » du v. 36, « restez ici ». - Et veillez avec moi. Même les
plus intimes parmi les intimes ne devaient pas être les témoins immédiats de l'agonie du Sauveur : pour de
tels combats et de telles souffrances on a besoin de solitude. La pensée que ses trois meilleurs Apôtres
veillent à quelque distance sera une consolation pour le cœur de Jésus.