Matthieu 26, 44

Les laissant, de nouveau il s’éloigna et pria pour la troisième fois, en répétant les mêmes paroles.

Les laissant, de nouveau il s’éloigna et pria pour la troisième fois, en répétant les mêmes paroles.
Origène
Notre-Seigneur emmène avec lui Pierre, celui de tous qui avait le plus de confiance en lui-même, ainsi que les deux autres Apôtres, qui paraissaient comme lui plus fidèles et plus courageux, afin qu'ils v issent de leurs yeux leur divin Maître prosterné le visage contre terre, et qu'ils apprissent à n'avoir jamais d'eux-mêmes une opinion avantageuse, mais des sentiments pleins d'humilité, et à être moins prompts à promettre et plus empressés de recourir à la prière. C'est pour cela qu'il est dit: «Et s'en allant un peu plus loin». Il ne voulait pas s'éloigner d'eux, mais, au contraire, en être rapproché pour prier, et après leur avoir dit autrefois: «Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur» ( Mt 11,29 ), il confirme cette doctrine par son exemple, en s'humiliant honorablement le premier, et en se prosternant le visage contre terre: «Et il tomba la face contre terre en priant et en disant: Mon Père, s'il est possible, que ce calice s'éloigne de moi».Il fait éclater dans cette prière toute sa piété, et comme le Fils bien-aimé, et qui met toute son affection à obéir aux dispositions de son Père, il ajoute: «Néanmoins, non comme je veux, mais comme vous voulez»,nous enseignant ainsi à deman der que la volonté de Dieu s'accomplisse et non pas la nôtre, il demande que le calice de sa passion s'éloigne, non pas selon sa volonté, mais comme le veut son Père, de la même manière qu'il a commencé à craindre et à s'attrister, c'est-à-dire non pas dans sa nature divine et impas sible, mais dans sa nature humaine et sujette à l'infirmité, car, en se revêtant de cette nature, il en a subi toutes les conditions, pour ne point laisser croire qu'il n'avait que l'apparence et non la réalité d'une chair mortelle. Or, le premier sentiment qu'éprouve l'homme fidèle, c'est d'abord de ne pas vouloir de la douleur, surtout de celle qui peut le conduire à la mort, parce qu'il est revêtu d'une chair mortelle; mais si telle est la volonté de Dieu, il ne demande qu'à s'y conformer, parce qu'il est avant tout plein de foi. Car de même que nous devons nous gar der d'une confiance excessive, pour ne point paraître faire montre de notre force, nous devons également ne pas nous laisser aller à une défiance qui semblerait accuser d'impuissance le Dieu qui est notre soutien. Remarquons que cette circonstance nous est rapportée par saint Marc et par saint Luc; mais saint Jean ne nous dit point que Jésus ait prié son Père que ce calice s'éloignât de lui; ces premiers, en effet, ont insisté davantage, dans leur récit, sur ce qui concernait la nature humaine, et saint Jean sur ce qui faisait ressortir sa nature divine. Dans un autre sens, on peut dire que Jésus, voyant toutes les calamités qui devaient fondre sur les Juifs pour avoir demandé sa mort, s'écrie: «Mon Père, s'il est possible, que ce calice s'éloigne de moi».

Mais il considère de nou veau les immenses avantages que le monde entier devait retirer de sa passion, et il ajoute: «Toutefois, non ma volonté, mais la vôtre», c'est-à-dire si tous ces biens dont ma passion doit être la source peuvent se réaliser sans qu'elle ait lieu, qu'elle s'éloigne de moi, afin que le monde soit sauvé sans que les Juifs expient par leur ruine le crime de m'avoir mis à. mort; mais si le salut d'un grand nombre ne peut avoir lieu sans la perte de quelques-uns, que ce calice ne s'éloigne pas. Or ce calice, qu'il faut boire, est l'expression dont se sert l'Écriture en plusieurs endroits, pour désigner les souffrances, et, en particulier, les souffrances des martyrs, comme dans ce passage du psaume 15: «Je prendrai le calice du salut» ( Ps 16,4 ). Celui qui, pour rendre témoignage à la foi ( He 11,39 ), souffre tous les mauvais traitements qu'on peut lui faire, boit ce calice tout entier; mais celui qui se dérobe à toute souffrance le renverse en le prenant.

Jésus s'étant éloigné tant soit peu de ses disciple, ils ne purent veiller même une heure en son absence; prions donc que Jésus ne nous quitte pas, ne fût-ce que pour un instant. «Il vient ensuite vers ses disciples, et il les trouva endormis».

Les ayant trouvés endormis, il les réveille pour les rendre attentifs à sa parole, et il leur recommande la vigilance: «Veillez et priez, afin de ne point tomber dans la tentation», ainsi nous devons d'abord veiller, et ensuite prier. On pratique la vigilance en faisant de bonnes oeuvres, et en se tenant so igneusement en garde contre toute doctrine de ténèbres, c'est par là que celui qui veille assure le succès de sa prière.

Il nous faut examiner ici si dans tous les hommes la chair est faible de même que l'esprit est prompt; ou bien si tous ont une chair faible, sans que tous aient l'esprit prompt, à l'exception des saints; quant aux infidèles, leur esprit est faible en même temps que leur chair est sans force. Dans un autre sens, on peut dire qu'il n'y a que ceux dont l'esprit est prompt qui aient une chair faible; car leur esprit s'empresse de mortifier les oeuvres de la chair. ( Rm 8,13 ). C'est donc à eux que Jésus commande de veiller et de prier pour ne point entrer en tentation; car plus on est avancé dans la vie spirituelle, et plus on doit être attentif à ne point exposer une si haute vertu à une lourde chute.

Je pense que ce calice devait passer loin de Jésus-Christ, mais avec cette différence, que s'il le buvait, il passait loin de lui, et ensuite loin de tout le genre humain; au contraire, s'il ne le buvait pas, ce calice passait loin de lui, mais ne passait pas loin des hommes. Or, il voulait que ce calice s'éloignât de lui, et qu'il ne fût point obligé d'en goûter l'amertume, si toutefois la justice de Dieu pouvait y consentir; mais si cela n'était pas possible, il aimait mieux épuiser ce calice, et le voir ainsi passer loin de lui et de tout le genre humain, que d'en détourner les lèvres contrairement à la volonté de son Père.

Je pense que c'était moins les yeux de leur corps que ceu x de leur âme qui étaient appesantis; car ils n'avaient pas encore reçu l'Esprit saint, aussi le Sauveur ne leur fait-il point de nouveaux reproches, mais il retourne prier une troisième fois, pour nous enseigner à ne point nous décourager, mais à persévérer dans la prière jusqu'à ce que nous ayons obtenu ce que nous avons commencé à demander. «Et les ayant quittés, il s'en alla de nouveau, et il pria une troisième fois disant les mêmes paroles».
Saint Hilaire de Poitiers
Ou bien encore, dans un autre sens, il ne dit pas: Que ce calice s'éloigne, car ce serait la prière d'un homme qui craint pour lui-même; mais il demande que ce calice passe au delà de lui. Il demande donc, non d'être exempté de le boire, mais de le voir passer à d'autres après qu'il se sera éloigné de lui. Toute la crainte qu'il éprouve se concentre donc sur ceux qui doivent souffrir après lui, et c'est pour eux qu'il adresse à Dieu cette prière: «Que ce calice s'éloigne de moi», c'est-à-dire qu'ils le boivent comme je le bois moi-même, sans aucune défiance, sans aucun sentiment de douleur, sans aucune crainte de la mort, Il dit: «Si cela est possible», parce que la chair et le sang redoutent les souffrances, et qu'il est diffi cile que des corps mortels soient à l'épreuve de leurs cruelles atteintes. Il ajoute: Non comme je veux, mais «comme vous voulez». Il voudrait en effet les affranchir de la nécessité de souffrir, dans la crainte de les voir succomber à la souffrance, si toutefois ils peuvent devenir les cohéritiers de sa gloire, sans passer par la rude épreuve de sa passion. «Non pas comme je le veux, mais comme vous le voulez», parce que la volonté du Père est que la force nécessaire pour boire ce calice passe de Jésus-Christ dans ses Apôtres, car, d'après l'ordre des conseils divins, le démon devait être vaincu directement, plus par les disciples de Jésus-Christ que par Jésus-Christ lui-même.

Lorsqu'il revient trouver ses disciples et qu'il les trouve endormis, c'est à Pierre qu'il adresse particuliè rement ses reproches: «Et il dit à Pierre: Quoi, vous n'avez pu veiller une heure avec moi ?» il fait ce reproche à Pierre plutôt qu'aux deux autres, parce que c'était celui de tous ses Apô tres qui s'était le plus vanté de ne point se laisser scandaliser.

Il leur découvre ensuite les raisons du précepte qu'il leur donne de prier pour ne point tomber dans la tentation; «car l'esprit est prompt, et la chair est faible», paroles qui ne s'appliquent point au Sauveur, puisqu'il s'adresse maintenant à ses disciples.

Ou bien encore, en faveur de ses disciples, qui devaient passer par les souffrances, il a pris sur lui toutes les faiblesses de notre corps, il a cloué à la croix toutes nos infirmités; et c'est pourquoi ce calice ne peut s'éloigner de lui sans qu'il le boive, parce que nous ne pouvons souffrir qu'en vertu de sa passion.
Saint Jean Chrysostome
Car la nuit était profonde, et d'ailleurs leurs yeux étaient appesantis par la tristesse.

Mais comme ils avaient fait tous la même promesse, il leur reproche justement à tous leur faiblesse; car après avoir pris la résolution de mourir tous ensemble avec Jésus-Christ, ils n'eurent même pas la force de veiller avec lui.

En priant une deuxième et une troisième fois, sous l'impression de l'infirmité humaine qui lui f aisait craindre la mort, il atteste qu'il s'était réellement fait homme. Car lorsqu'un acte se répète une deuxième et une troisième fois, c'est dans le langage des Écritures la plus haute démonstration de la vérité, voilà pourquoi Joseph dit à Pharaon: «Quant au songe que vous avez eu en second lieu, et qui a le même sens, c'est un signe certain qu'il aura son effet». ( Gn 41,32 )
Saint Jérôme
C'est d'une manière significative qu'il dit: «Ce calice», c'est-à-dire le ca lice du peuple Juif, qui ne peut s'excuser sur son ignorance en me mettant à mort, puisqu'il a entre les mains la loi et les prophètes qui m'ont annoncé.

Il est impossible que l'âme humaine soit exempte de tentation; aussi le Sauveur ne dit pas: Veillez et priez pour ne pas être tentés, mais: «Pour ne pas tomber dans la tentation», c'est-à-dire pour n'en être pas victime.

Il condamne ici la conduite de ces esprits téméraires qui pensent pouvoir obtenir tout ce qu'ils croient et ce qu'ils espèrent. Que la fragilité de notre chair nous inspire donc autant de crainte que la ferveur de notre âme nous inspire de confiance.

Or, Jésus-Christ est le seul qui prie pour tous les hommes, de même qu'il est le seul qui souffre pour tous sans exception. «Et il vint de nouveau, et il les trouva endormis; car leurs yeux étaient appesantis». Les Apôtres étaient comme atteints de langueur, et leurs yeux étaient accablés par les approches de leur renoncement.

Il pria une troisième fois, comme pour se conformer à ce précepte des livres saints: «Que tout soit assuré par la déposition de deux ou trois témoins ( Dt 19,15 Mt 18,16 , et 2Co 13,1 ).

Ou bien, il prie une seconde fois, pour témoigner à Dieu que si Ninive, c'est-à-dire la Gentilité, ne peut être sauvée, qu'à la condition que l'arbrisseau se dessèche ( Jon 4,7 ), il consent que la volonté de son Père soit faite, volonté qui n'est pas contraire à celle du Fils, selon ces paroles du Roi-prophète; «Je suis venu pour faire votre volonté, c'est aussi, mon Dieu, ce que j'ai voulu» ( Ps 40,8-9 )
Saint Augustin
Et pour ne point paraître diminuer la puissance de son Père, il ne dit point: Si vous le pouvez, mais «Si cela se peut faire», ou «Si cela est possi ble», c'est-à-dire, Si vous le voulez. En effet, tout ce qu'il veut est possible, et c'est ce que saint Luc exprime d'une manière plus claire, car il ne dit pas: Si cela est possible, mais «Si vous voulez».

Jésus-Christ, revêtu de notre humanité, fit donc paraître en lui une volonté particulière à l'homme, et qui figurait à la fois sa volonté et la nôtre, puisqu'il était notre chef en disant: «Que ce calice s'éloigne de moi»,car c'était là. l'expression de la vo lonté humaine, qui a des désirs qui lui sont propres; mais comme elle veut en même temps que la justice règne dans l'homme, et qu'il ait toujours Dieu en vue, elle ajoute: «Cependant, non pas comme je veux, mais comme vous le voulez», c'est-à-dire: Ne considérez que vous en moi, car la volonté humaine peut avoir des désirs personnels qui soient contraires à la volonté de Dieu, et que Dieu pardonne à la fragilité humaine.

Cette parole de notre chef est le salut de tout le corps; cette voix a instruit tous les fidèles, enflammé tous les confesseurs, et a couronné tous les martyr s, car qui pourrait braver les haines, de ce monde, les orages des tentations, les terreurs des persécutions, si Jésus-Christ ne disait en tous et pour tous à son Père: «Que votre volonté soit faite». Que tous les enfants de l'Église ap prennent donc à répéter cette parole, afin que, lorsque l'adversité vient fondre sur eux comme une violente tempête, ils puissent triompher de la crainte qu'elle inspire et se montrer animés du courage nécessaire pour la supporter.

On peut encore raisonnablement admettre que le Seigneur a prié par trois fois en vue de la triple tentation de sa passion; car de même qu'il y a trois tentations de la concupiscence, la crainte nous tente ainsi de trois manières différentes. Ainsi à la concu piscence des yeux ou de la curiosité, correspond la crainte de la mort; car de même que la première est un désir ardent de connaître toutes choses, de même la seconde est la crainte de perdre cette connaissance. A la concupiscence ou au désir de l'honneur et de la louange, correspond la crainte de l'ignominie et des outrages, et à la concupiscence du plaisir, la crainte de la douleur.
Saint Rémi
Ou bien, il prie par trois fois pour les Apôtres, et surtout pour Pierre qui devait le renier trois fois,

Ou bien encore, le Sauveur prouve par ces paroles qu'il a pris une chair véri table dans le sein de la Vierge Marie, et qu'il a eu aussi une âme véritable, et c'est dans ce sens qu'il dit que son esprit est prompt pour souffrir, mais que sa chair faible appréhende les dou leurs de sa passion.
Rabanus Maurus
Ou bien, le Seigneur prie à trois reprises différentes, pour nous apprendre à demander à Dieu le pardon de nos péchés passés, la délivrance de nos maux présents, et la protection divine contre les dangers à venir. Il nous enseigne encore à adresser toutes nos prières au Père, au Fils et au Saint-Esprit, et à leur demander de conserver sans tache notre esprit, notre âme et notre corps. ( 1Th 5,23 )
Saint Thomas d'Aquin
2724. IL LES LAISSA ET S’EN ALLA DE NOUVEAU PRIER UNE TROISIÈME FOIS. Ici, il est question de la troisième prière, et [Matthieu] fait deux choses : il présente en premier lieu le déroulement de la prière ; en second lieu, la permission de dormir, en cet endroit : ALORS IL VINT VERS LES DISCIPLES, etc. [26, 45].

[Matthieu] dit : IL LES LAISSA ET S’EN ALLA DE NOUVEAU PRIER UNE TROISIÈME FOIS EN TENANT LE MÊME LANGAGE. Mais que signifie qu’il ait prié trois fois ? Il a prié trois fois pour nous libérer des maux passés, présents et à venir. Aussi, afin de nous enseigner à orienter notre prière vers le Père, le Fils et le Saint-Esprit. C’est pourquoi, dans les prières de l’Église, on dit toujours : «Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit.» C’était aussi pour délivrer du triple reniement de Pierre par une triple prière. Lc 22, 32 : J’ai prié pour toi, Pierre, afin que ta foi ne défaille pas.

2725. Il a aussi prié contre les trois peurs. En effet, la crainte s’oppose à la concupiscence. Or, il existe trois concupiscences : celles de la curiosité, de l’orgueil et de la chair, et cette triple [concupiscence] est abordée en 1 Jn 2, 16 : Tout ce qui existe dans le monde est soit concupiscence de la chair, concupiscence des yeux ou orgueil de la vie. À cette triple concupiscence répond une triple crainte : à la concupiscence de la chair, la crainte de la souffrance ; à la concupiscence des yeux, la crainte de la pauvreté ; à la concupiscence de l’orgueil, la crainte du rejet et de l’humiliation. Et le Christ les a souffertes, non pas parce qu’il en avait besoin, mais pour nous.
Louis-Claude Fillion
Il ne les réveille pas ; mais, renonçant aux témoignages d'affection par lesquels il espérait soulager un peu sa douleur, il gagne pour la troisième fois sa profonde retraite du jardin. - Il pria pour la troisième fois. Tant que dure la lutte intérieure, il prie. C'est ce que S. Luc exprime admirablement : « Étant en agonie, il priait plus instamment ... », 22, 44. Voir dans le récit de ce même évangéliste les détails relatifs à l'apparition de l'ange et à la sueur de sang du Sauveur. - En disant les mêmes paroles. Jésus répète la seconde formule, v. 42, qui exprimait, son cœur le lui disait, le sentiment le plus conforme aux circonstances et aux divins décrets. De nouveau il acquiesce donc à tout sans hésiter. Après ce troisième assaut, sa victoire est complète : les souffrances pourront tomber sur lui sous les formes les plus cruelles et les plus variées, il les subira avec un courage invincible. Relevons en passant la leçon morale qui se dégage pour nous de cette admirable scène. « Jésus-Christ nous apprend, par son exemple, dans l'agonie de l'âme et du corps, à prier ; il prendra pitié de nous, quand même la défaillance ne nous laisserait que la force de répéter les mêmes paroles ». Fouard, Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, p. 30.