Matthieu 27, 10

et ils les donnèrent pour le champ du potier, comme le Seigneur me l’avait ordonné.

et ils les donnèrent pour le champ du potier, comme le Seigneur me l’avait ordonné.
Origène
Ils jugèrent que le meilleur emploi qu'ils pussent faire de cet argent était de le consacrer aux morts, parce que c'était le prix du sang. Mais comme il y a différents lieux de sépultures pour les morts, ils employèrent le prix du sang de Jésus pour acheter le champ d'un potier, afin d'y ensevelir les étrangers, qui ne pourraient, suivant leurs désirs, être ensevelis dans les tom beaux de leurs aïeux: «Et ayant délibéré là dessus, ils en achetèrent le champ d'un potier pour la sépulture des étrangers.

Ou bien, nous appelons ici étrangers, ceux qui demeurent séparés de Dieu jusqu'à la fin; car si les justes ont été ensevelis avec Jé sus-Christ dans le sépulcre neuf qui a été taillé dans le roc, ceux qui demeurent jusqu'à la fin étrangers à Dieu, sont ensevelis dans le champ de ce potier qui façonne la boue, champ qui a été acheté avec le prix du sang et qui est appelé pour cela le champ du sang: «C'est pourquoi ce champ est encore aujourd'hui appelé haceldama, c'est-à-dire le champ du sang».
Saint Jérôme
Voilà bien les gens qui filtrent et rejettent le moucheron, et qui ne craignent pas d'avaler un chameau ( Mt 23,24 ). Car s'ils n'osent mettre l'argent dans le trésor du temple, avec les offrandes faites à Dieu, sous prétexte qu'il est le prix du sang, pourquoi n'ont-ils pas horreur de répandre ce sang lui-même ?

On peut dire aussi que nous étions étrangers à la loi et aux prophètes, et que les mauvaises dispositions des Juifs ont été pour nous une cause de salut.

On ne trouve aucune trace de cette prophétie dans Jéré mie, mais nous lisons quelque chose de semblable dans Zacharie, le dernier des douze petits prophètes ( Za 11,12 ); c'est-à-dire que le sens est à peu près le même, bien que la contexture de la phrase et les expres sions soient différentes.

J'ai lu dernièrement dans un texte hébreu apocryphe de Jérémie, qu'un juif de la secte des Nazaréens m'avait procuré, et j'y ai trouvé la reproduction littérale de cette citation. Mais il me paraît plus vraisemblable qu'elle a été empruntée au prophète Zacharie, selon la coutume des Évangélistes et des prophètes qui, sans tenir compte de la suite des paroles, ne citent que le sens de l'Ancien Testament à l'appui des faits qu'ils racontent.
Saint Augustin
En reconnaissant qu'ils avaient acheté le sang qu'ils voulaient répandre, les princes des prêtres se condamnèrent par le témoignage de leur propre conscience: «Les princes des prêtres, ayant pris l'argent, dirent: Il ne nous est pas permis de le mettre dans le trésor, parce que c'est le prix du sang».

Je regarde comme un effet par ticulier de la providence divine, que le prix de la vente du Sauveur n'ait pas tourné au profit des pécheurs, mais ait servi à procurer un lieu de repos aux étrangers, pour montrer que Jésus-Christ rachetait ainsi les vivants par le sang de sa passion, et qu'il sauvait aussi les morts au prix du même sang répandu. Le champ du potier est donc acheté avec le prix du sang du Seigneur. Or, nous lisons dans les Écritures que le genre humain tout entier a été racheté par le sang du Sauveur. Par ce champ, il faut donc entendre le monde enfler, et ce potier, qui doit avoir l'empire sur tout l'univers, est celui qui a formé du limon de la terre les vases de notre corps. C'est le champ de ce potier qui a été acheté avec le prix du sang de Jésus-Christ pour les étrangers sans famille, sans patrie, exilés, et errants sur toute la terre, et à qui le sang du Sau veur prépare un lieu de repos. Ces étrangers sont les chrétiens pleins de dévouement qui, re nonçant au siècle, et ne possédant rien dans le monde, trouvent leur repos dans le sang de Jé sus-Christ, car la sépulture de Jésus-Christ est le vrai repos du chrétien. «Nous avons été ensevelis avec lui par le baptême pour la mort du péché, dit l'Apôtre» ( Rm 6,4 ). Nous sommes donc des voyageurs en ce monde, et comme des étrangers sur cette terre.

Loin de nous la pensée qu'on puisse ac cuser d'erreur un fidèle compagnon de Jésus-Christ, qui se préoccupa bien plus du sens dog matique, que des mots et des syllabes.

Si l'on prétendait s'autoriser de cette difficulté pour contester l'autorité de l'Évangéliste, nous rappel lerions d'abord qu'on ne lit pas dans tous les exemplaires de l'Évangile, que ces paroles aient été dites «par le prophète Jérémie», mais simplement «par le prophète». Toutefois, je ne puis admettre cette solution, car un grand nombré d'exemplaires, et des plus anciens, portent le nom de Jérémie, et il n'y a aucune raison qui ait pu faire ajouter ce nom et altérer ainsi le texte. On explique parfaitement, au contraire, le retranchement de ce nom, en l'attribuant à une igno rance téméraire, que troublait, peut-être, le passage en question. Or, il a. pu arriver, que tandis que saint Mat thieu écrivait son Évangile, le nom de Jérémie se soit présenté à son esprit à la place de celui de Zacharie, comme il arrive souvent, erreur qu'il aurait certainement corrigée sur l'observation qui a dû lui en être faite de son vivant par les lecteurs de cet Évangile, s'il n'avait pensé que le nom d'un prophète ne s'était pas présenté à son esprit pour un autre au moment où il écrivait sous l'inspiration de l'Esprit saint, sans que Dieu l'eût ainsi voulu. Quel les sont les raisons de cette conduite? La première, c'est que Dieu montrait ainsi que tous les prophètes avaient parlé sous l'inspiration du même esprit, et que l'accord le plus admirable régnait entre eux; prodige bien plus étonnant que si tous les oracles prophétiques avaient été annoncés par un seul homme, et d'où il résulte que l'on doit considérer toutes les paroles que l'Esprit saint a prononcées par leur bouche, comme si chacune d'elles appartenait à tous, et toutes à chacun d'eux. Car, encore aujourd'hui, il peut arriver qu'une personne, qui veut citer les paroles de quelqu'un, les cite sous le nom d'un de ses amis intimes, et que s'apercevant aussitôt de sa méprise, elle se reprenne, en ajoutant toutefois: mais j'ai bien dit, parce qu'elle ne considère que la parfaite union qui existe entre les deux amis. Or, à bien plus forte raison, on doit raisonner ainsi des saints prophètes. Il y a encore une autre raison pour laquelle l'Esprit saint a permis, ou plutôt a voulu positivement que le nom de Jérémie fut conservé à la place de celui de Zacharie. On lit dans Jérémie ( Jr 33 ) qu'il acheta un champ au fils de son frère, et qu'il lui en donna l'argent, mais non pas le même prix des trente pièces d'argent qui se trouve indiqué dans Zacharie ( Jr 32,9 ). Or, il est évident que l'Évangéliste a voulu appliquer la prophétie des trente pièces d'argent à ce fait qui vient de s'accomplir dans la personne du Seigneur. Mais on peut voir aussi au sens spirituel une preuve que la prophétie de Jérémie, à l'occasion du champ qu'il achète, s'applique au même événement, dans le nom de Jérémie qui parle du champ acheté, mis à la place du nom de Zacharie qui précise les trente pièces d'argent. Le dessein de Dieu en cela, est que celui qui lit l'Évangile, et qui, en voyant cité Jé rémie, n'y trouve cependant rien des trente pièces d'argent, mais seulement ce qui concerne le champ qu'il achète, soit amené à comparer les deux prophètes, et à éclaircir le vrai sens de la prophétie en l'appliquant à ce qui s'est accompli dans la personne du Seigneur. Quant à ce que saint Matthieu ajoute à ces paroles «Suivant l'appréciation des enfants d'Israël, et ils les don nèrent pour le champ du potier comme le Seigneur l'a ordonné», on ne le trouve ni dans Jéré mie ni dans Zacharie. D'où nous devons conclure que c'est l'Évangéliste lui-même qui a fait cette addition dans un sens spirituel, parce qu'il connaissait, par une révélation divine, que cette prophétie s'appliquait au prix que Jésus-Christ a été vendu.
La Glose
Ce qu'il faut rapporter au temps où l'Évangéliste écrivait.

Il apporte ensuite à l'appui de ce fait, le témoignage du prophète: «ils ont reçu les trente pièces d'argent, prix de celui qui a été mis à prix suivant l'appréciation des enfants d'Israël, et ils les ont données pour en acheter le champ d'un potier, ainsi que me l'a prescrit le Seigneur».
Saint Thomas d'Aquin
2807. [Matthieu] le confirme ensuite par une autorité : ALORS S’ACCOMPLIT CE QUI A ÉTÉ DIT PAR LE PROPHÈTE JÉRÉMIE.

Mais une question se pose : pourquoi [Matthieu] dit-il : CE QUI A ÉTÉ DIT PAR LE PROPHÈTE JÉRÉMIE, alors que les paroles, telles qu’on les trouve là, n’existent pas dans toute l’Écriture ? On lit cependant quelque chose de semblable en Za 11, 12 : Ils pesèrent mon salaire : trente pièces d’argent ! La question est donc de savoir pourquoi on attribue cela à Jérémie, alors que cela a été dit par Zacharie. Augustin dit qu’on trouve ailleurs que cela a été écrit par un prophète, et non par Jérémie, mais il semble toutefois que ce prophète soit Jérémie, comme on le lit dans le texte. Jérôme donne une solution : les prophètes ont écrit certains livres qui ont été canonisés chez les Juifs. Il y a donc certains livres des prophètes qui ne font pas partie du canon de la Bible, comme Jude en nomme certains dans sa lettre canonique, et même tous les apôtres les ont aussi reçus. Il dit ainsi que quelqu’un lui a apporté un livre de Jérémie dans lequel ces paroles sont écrites mot à mot, et que l’évangéliste a écrit selon ce qu’il a trouvé dans l’apocryphe.

2808. Augustin donne la solution [suivante] : il arrive parfois qu’en voulant donner le nom d’un auteur, se présente le nom d’un autre. Il se peut donc que voulant écrire Zacharie, [Matthieu] ait écrit Jérémie. Mais ceux qui connaissaient la loi étaient alors nombreux : pourquoi ne l’ont-ils pas corrigé ? Parce qu’ils croyaient que cela avait été dicté par Dieu, car tous les prophètes ont parlé par l’Esprit Saint, et les paroles d’un prophètes ne sont efficaces que par l’Esprit Saint. Afin donc d’insinuer ce mystère, on ne l’a pas corrigé. Une autre solution qu’il suggère est que, bien ce ne soient pas les paroles de Jérémie, on trouve cependant chez lui un fait semblable. On lit ainsi, en Jr 32, 6s, qu’il reçut l’ordre d’acheter un champ.

2809. Ou bien, l’Esprit Saint a suggéré à Matthieu le même fait qu’à Jérémie. Mais, si nous le voulons, nous pouvons accepter les paroles de Jérôme, dans son livre sur la meilleure façon d’interpréter, où il dit qu’«on ne peut attribuer à un disciple du Christ aucun signe de fausseté : en effet, la fonction d’un bon interprète n’est pas de considérer les mots, mais le sens». Ainsi, [Matthieu] a-t-il donné le sens de certaines choses écrites par Jérémie et de certaines [écrites] par Zacharie, comme on lit en Marc qu’il a attribué une autorité à Isaïe, alors qu’une partie était de Malachie et une autre d’Isaïe. De même Matthieu a-t-il combiné deux phrases, dont l’une a été écrite par Zacharie et l’autre par Jérémie, 32, 6. En effet, ce qu’on lit chez Zacharie, à savoir qu’ils lui donnèrent (c’est-à-dire lui enlevèrent) trente pièces d’argent, ne se trouve pas chez Jérémie ; mais [s’y trouve] le fait qu’on ait acheté un champ, ce qui indiquait le fait pour tout le peuple. Comme me l’a ordonné le Seigneur : cela se lit expressément là où [le Seigneur] a ordonné à Jérémie d’acheter un champ. Ainsi, on trouve la première partie chez Zacharie, et la seconde chez Jérémie.
Louis-Claude Fillion
Dans l'emploi fait par les princes des prêtres des trente deniers qui avaient été remis à Judas, S. Matthieu voit la réalisation d'une prophétie importante de l'Ancien Testament, et il la signale, conformément à son but, pour montrer que Jésus est vraiment le Christ promis aux Juifs. - Ce qui avait été prédit par le prophète Jérémie : Le nom de Jérémie, que l'on rencontre dans la plupart des manuscrits et des versions, crée en cet endroit de très sérieuses difficultés, car on ne trouve dans les écrits de ce prophète rien qui ressemble au passage cité par S. Matthieu. D'un autre côté, Zacharie a quelques lignes qui sont à peu près identiques à celles que l'évangéliste attribue à Jérémie ; cf. Zach. 11, 12-13. Comment expliquer cet état de choses ? Origène s'en préoccupait déjà et tous ceux qui, depuis lui, ont étudié le premier Évangile ont dû s'en préoccuper à leur tour. Jansénius, Comment. in Harmon. Evang., c. 140, comptait dix opinions qui s'étaient formées sur ce point délicat. Aujourd'hui, il faudrait peut-être en compter vingt si l'on voulait être complet ; mais nous nous restreindrons aux plus sérieuses. Les manuscrits 33 et 157, les versions syriaque, persane, etc., omettant le nom de Jérémie, plusieurs auteurs ont pensé qu'il s'était glissé dans le récit par suite d'une interpolation. Ils rétablissent donc ce qui était suivant eux le texte primitif en supprimant le mot Jérémie. D'autres, qui croient la leçon actuelle authentique (Origène, S. Augustin, de Cons. Evang. 3, 7, S. Jérôme, affirment expressément qu'elle l'est en réalité), supposent que S. Matthieu mentionne soit une prédiction orale de Jérémie, restée inédite jusque là, soit un passage de ses écrits qui se serait perdu (Berlepsch, Ewald, etc.), ou qui aurait été supprimé à dessein par les Juifs (S. Jean Chrysostôme), soit un texte de quelque ouvrage apocryphe faussement attribué au prophète (Origène ; S. Jérôme est hésitant). Lightfoot qui prétend prouver, à l'aide de diverses traditions juives, que le livre de Jérémie a occupé pendant quelque temps la première place dans la Bible hébraïque, conclut de là que S. Matthieu a voulu désigner tous les écrits prophétiques en nommant Jérémie. Tout cela est assez arbitraire. Il reste une conjecture qui nous semble mériter assez de confiance. Elle consiste à dire que S. Matthieu, usant d'une liberté dont on trouve plus d'un exemple chez les vieux écrivains juifs, aurait combiné, amalgamé ensemble plusieurs passages prophétiques, tirés en partie de Jérémie, en partie de Zacharie, et donné au texte ainsi produit le nom du plus célèbre des deux prophètes. Plusieurs passages de Jérémie, en particulier 189, 2 et ss., 32, 8-14, peuvent se prêter à une combinaison de ce genre. Le prophète d'Anathoth y parle d'un champ, et même d'un champ de potier situé dans la vallée d'Hinnom, que le Seigneur ordonna d'acheter. Dans la prédiction de Zacharie, il n'est pas question de champ ; mais les trente pièces d'argent y sont nettement déterminées. Pourquoi S. Matthieu, éclairé par l'Esprit-Saint et envisageant les prédictions antiques au brillant reflet de l'histoire de Jésus, n'aurait-il pas composé un alliage qui manifestait mieux la pensée des Prophètes ? D'ailleurs, nous l'avons vu, dès les premières pages de son Évangile (cf. 2, 23 et le commentaire ; voir aussi Marc. 1, 2, 3 et l'explication), extraire de tous les prophètes réunis un texte qu'aucun d'eux pris à part n'avait écrit : « Il sera appelé Nazaréen ». C'est un résumé, analogue, quoique moins extraordinaire, qu'il fait à sa dernière page. (On trouvera dans Hengstenberg, Christologie des A. Test. t. 2, p. 257 et ss., des preuves détaillées de cette opinion qui remonte du reste jusqu'à Sanctius). Mais comme sa citation se rattache davantage au texte de Zacharie, pour l'expliquer nous aurons plus spécialement recours aux paroles de ce prophète. Dans son douzième chapitre, Zacharie agit au nom de Jéhovah, et représente d'une manière symbolique l'ingratitude de la nation juive à l'égard de son Dieu. Il est pasteur d'un troupeau qui figure Israël ; fatigué des ennuis que lui causent ses brebis, il demande son compte pour se retirer ensuite. On lui offre le prix dérisoire de trente deniers ; mais Dieu lui commande de jeter cet argent dans le Temple. « Et je saisis, raconte-t-il d'après le texte hébreu, les trente deniers ». Jéhovah lui dit : « Jette-le au potier, ce prix magnifique auquel ils m'ont estimé ». Il obéit aussitôt à cet ordre : « Et je les jetai au potier dans la maison du Seigneur ». D'après S. Matthieu, les trente pièces d'argent prophétisaient la somme pour laquelle Jésus-Christ, le bon pasteur, fut livré à ses ennemis. C'est à ce vil prix qu'il fut taxé par les princes des prêtres, comme autrefois Zacharie, représentant de Jéhovah. L'évangéliste cite librement, à la façon des Targums, afin de rendre l'application plus sensible. De là les changements de personnes, les insertions de mots nouveaux et les autres modifications qu'il introduit dans le texte prophétique. Mais il ne change rien à la substance de la prédiction. - Dans le champ du potier. C'est Jérémie qui a prêté cette idée à S. Matthieu, du moins d'une manière complète. Dans Zacharie, nous lisons communément « au potier ». Mais Jérémie ayant été chargé par le Seigneur d'acheter le champ d'un potier, ce qui était évidemment un symbole, l'évangéliste a rapproché cette action de celle de Zacharie et il a obtenu de la sorte une paraphrase typique qui coïncide exactement avec l'histoire de Jésus. Grâce à S. Matthieu, nous pouvons donc mieux comprendre comment d'anciennes prophéties, après s'être réalisées une première fois à une époque déjà éloignée, ont obtenu au moment de la Passion du Sauveur un second accomplissement qui était en réalité le principal, bien qu'il fût demeuré caché jusque là dans les plans mystérieux de la Providence.