Matthieu 27, 46

Vers la neuvième heure, Jésus cria d’une voix forte : « Éli, Éli, lema sabactani ? », ce qui veut dire : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »

Vers la neuvième heure, Jésus cria d’une voix forte : « Éli, Éli, lema sabactani ? », ce qui veut dire : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »
Saint Thomas d'Aquin
2868. ET VERS LA NEUVIÈME HEURE, JÉSUS POUSSA UN GRAND CRI. Ici, [Matthieu] présente le cri du Christ. Premièrement, le cri est présenté ; deuxièmement, son effet, en cet endroit : CERTAINS DE CEUX QUI SE TENAIENT LÀ, etc. [27, 47].

[Matthieu] dit donc : ET VERS LA NEUVIÈME HEURE, JÉSUS POUSSA UN GRAND CRI. Selon Origène, le Christ pousse un grand cri et indique [par là] la multitude des mystères. Is 4, 3 : Les Séraphins se criaient les uns aux autres : «Saint, Saint, Saint, le Seigneur, le Dieu des armées !» Ainsi, celui qui veut comprendre par cela qu’il a crié par dégoût de la mort n’a pas compris le mystère. Il ne faut donc pas l’entendre ainsi ; il a plutôt voulu laisser entendre qu’il était égal au Père. En hébreu, il a dit : ÉLI, ÉLI, LAMMA SABACTHANI ? Il a aussi voulu indiquer que [sa mort] avait été annoncée par les prophètes. Il a donc dit ce que dit le Ps 21[22], 2 : Mon Dieu, jette ton regard sur moi : pourquoi m’as-tu abandonné ? Jérôme dit donc que ceux-là sont impies qui veulent interpréter ce psaume autrement que de la passion du Christ.

2869. Remarquez que certains l’ont mal compris. Ainsi, vous devez savoir qu’il y a eu deux hérésies. L’une ne reconnaissait pas dans le Christ le Verbe uni [à la nature humaine], mais [affirmait] que le Verbe tenait la place de l’âme : c’est ce qu’affirmait Arius. D’autres [ont dit] que le Verbe n’était pas uni [à la nature humaine] selon la nature, mais par grâce, comme c’est le cas dans un juste, par exemple, chez les prophètes : c’est ce que Nestorius [affirmait]. Ils interprétaient donc : MON DIEU, MON DIEU, POURQUOI M’AS-TU ABANDONNÉ ? en disant que le Verbe de Dieu disait cela, et qu’il dit Dieu parce qu’il est la créature [de Dieu], et on en concluait qu’il fit s’unir à lui ce Verbe et, par la suite, l’abandonna. Mais cela est une interprétation impie, car il est toujours avec [ce Verbe]. Ainsi donc, [sa] divinité n’a abandonné ni la chair ni l’âme. Jn 7, 29 : Celui qui m’a envoyé est avec moi.

2870. De quoi s’agit-il donc ? Il faut dire que, par la manière même de parler, il est clair qu’il faut l’entendre du Christ. En effet, il est dit de lui, Jn 21, 17 : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. Il l’appelle Père parce qu’il est Dieu ; il l’appelle Dieu parce qu’il est homme. Ainsi, lorsqu’il dit : MON DIEU, MON DIEU, etc., il est clair qu’il parle comme homme. Il gémit donc afin d’indiquer la grandeur de son affection humaine. Lorsqu’il dit : [POURQUOI] M’AS-TU ABANDONNÉ ? il parle par mode de comparaison, car ce que nous avons, nous le tenons de Dieu. De même donc que, lorsque quelqu’un est exposé à un mal, on dit qu’il est abandonné, de même, lorsque le Seigneur abandonne l’homme qui tombe dans un mal de peine ou de faute, dit-on que [celui-ci] est abandonné. De sorte qu’on dit du Christ qu’il est abandonné non pas selon l’union, ni selon la grâce, mais quant à la souffrance. Is 54, 7 : Un court instant je t’ai délaissé.

2871. Et il dit : POURQUOI ? Non pas par dégoût, mais cela peut indiquer [sa] compassion envers les Juifs. C’est pourquoi il ne le dit qu’après que les ténèbres sont apparues. Il veut donc dire : «Pourquoi as-tu voulu que je sois livré à la passion et que ceux-ci soient couverts par les ténèbres ?» Il montre aussi de l’admiration, car la charité de Dieu est admirable. Rm 5, 8 : La preuve de la charité de Dieu à notre endroit, c’est que le Christ, alors que nous étions encore pécheurs, est mort pour nous.
Louis-Claude Fillion
S. Matthieu passe aux derniers instants du Sauveur, pour signaler un trait douloureux de son agonie. Sous la pression violente d'une angoisse extrêmement vive qui déchirait son âme, Jésus poussa un grand cri et prononça une phrase pleine de désolation. - Eli, Eli … Des sept paroles du Christ mourant, c'est la seule qui ait été conservée dans le premier Évangile. Elle est empruntée au Psaume 21, dont la première partie semblerait écrite après coup par un témoin de la Passion. L'évangéliste la cite d'abord dans l’idiome syro-chaldéen, qui était parlé en Palestine au temps de Jésus et par Jésus lui-même : cela était nécessaire pour faire comprendre le jeu de mots du verset suivant. Dans l'hébreu pur, il y a Lamma hazabthani au lieu de Lamma sabacthani. - Cette exclamation, qui suppose un véritable abîme de douleur dans l'âme de Notre-Seigneur Jésus-Christ, contient un mystère très profond. Comment le Messie a-t-il pu se dire abandonné de Dieu son Père ? Comment concilier en lui cette affreuse angoisse avec la béatitude qui doit nécessairement régner dans le cœur d'un Dieu ? Mais hâtons-nous de dire, malgré les assertions contraires de Celse, de Julien l'Apostat et des rationalistes modernes, que cette désolation n'a rien de commun avec le désespoir. Jésus se plaint sans doute, mais sa plainte est filiale et soumise. Il en appelle à Dieu, mais cela prouve qu'il a confiance en lui, car « celui qui peut parler à Dieu, dit très bien Stier, Reden des Herrn Jesu, in h. l., doit avoir Dieu avec lui ». Aussi, pour expliquer ce cri mystérieux à l'aide d'une image naturelle, « volontiers nous songerions à ces hautes montagnes dont la cime s'élève fière et triomphante au-dessus des nuées qui pèsent sur la terre. Souvent, tandis qu'une lumière vive et pure couronne leur front de majestueuses clartés, une effroyable tempête s'attache à leurs flancs ; mais ni les sombres nuées sillonnées d'éclairs, ni la foudre frappant sans relâche et répandant à leurs pieds l'effroi, la dévastation et l'horreur, ne troublent l'éternelle sérénité qui règne à leur sommet », Fouard, Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, p. 161.
Pape Benoît XVI
ob peut certainement se lamenter devant Dieu pour la souffrance incompréhensible et apparemment injustifiable qui est présente dans le monde. Il parle ainsi de sa souffrance : «Oh ! si je savais comment l’atteindre, parvenir à sa demeure …. Je connaîtrais les termes mêmes de sa défense, attentif à ce qu’il me dirait. Jetterait-il toute sa force dans ce débat avec moi ? … C’est pourquoi, devant lui, je suis terrifié ; plus j’y songe, plus il me fait peur. Dieu a brisé mon courage, le Tout-Puissant me remplit d’effroi» (23, 3. 5-6. 15-16). Souvent, il ne nous est pas donné de connaître la raison pour laquelle Dieu retient son bras au lieu d’intervenir. Du reste, il ne nous empêche pas non plus de crier, comme Jésus en croix: «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?» (Mt 27,46). Dans un dialogue priant, nous devrions rester devant sa face avec cette question: «Jusques à quand, Maître saint et véritable, tarderas-tu ?» (Ap 6, 10). C’est saint Augustin qui donne à notre souffrance la réponse de la foi: «Si comprehendis, non est Deus – Si tu le comprends, alors il n’est pas Dieu». Notre protestation ne veut pas défier Dieu, ni insinuer qu’en Lui il y a erreur, faiblesse ou indifférence. Pour le croyant, il est impossible de penser qu’il est impuissant ou bien qu’ «il dort» (1 R 18, 27). Ou plutôt, il est vrai que même notre cri, comme sur les lèvres de Jésus en croix, est la manière extrême et la plus profonde d’affirmer notre foi en sa puissance souveraine. En effet, les chrétiens continuent de croire, malgré toutes les incompréhensions et toutes les confusions du monde qui les entoure, en la «bonté de Dieu et en sa tendresse pour les hommes» (Tt 3,4). Bien que plongés comme tous les autres hommes dans la complexité dramatique des événements de l’histoire, ils restent fermes dans la certitude que Dieu est Père et qu’il nous aime, même si son silence nous demeure incompréhensible.