Matthieu 4, 18

Comme il marchait le long de la mer de Galilée, il vit deux frères, Simon, appelé Pierre, et son frère André, qui jetaient leurs filets dans la mer ; car c’étaient des pêcheurs.

Comme il marchait le long de la mer de Galilée, il vit deux frères, Simon, appelé Pierre, et son frère André, qui jetaient leurs filets dans la mer ; car c’étaient des pêcheurs.
Saint Thomas d'Aquin
464. MARCHANT, etc. Quand [le Seigneur] eut commencé à prêcher, il voulut avoir des serviteurs de sa prédication ; c’est pourquoi ici il les appelle à lui. Et à cet égard, [Matthieu] fait deux choses, selon que [le Christ] appelle deux paires de serviteurs : premièrement, Pierre et André ; deuxièmement, Jacques et Jean.

465. À propos du premier point, il présente quatre choses : premièrement, la description du lieu de l’appel ; deuxièmement, la condition des appelés, en cet endroit : C’ÉTAIENT DES PÊCHEURS ; troisièmement, l’appel, en cet endroit : ET IL LEUR DIT ; quatrièmement, leur parfaite obéissance, en cet endroit : EUX AUSSITÔT LAISSÈRENT LES FILETS ET LE SUIVIRENT.

466. Il dit donc : MARCHANT LE LONG DE LA MER DE GALILÉE. Lieu adéquat, car, comme dit la Glose, voulant appeler des pêcheurs, il se promène le long de la mer. Quant au sens mystique, il faut savoir que se tenir debout signifie l’éternité de Dieu et son immobilité ; s’il marche, cela signifie sa naissance temporelle. Donc le fait que c’est en marchant qu’il a appelé les disciples signifie que c’est par le mystère de son incarnation qu’il nous a attirés à lui. Ps 7, 7[ 8] : Lève-toi, Seigneur, dans le commandement que tu as confié – c’est-à-dire que tu as ordonné d’accomplir – et l’assemblée des peuples t’entourera. Il dit : DE GALILÉE, et par là on entend l’agitation du monde, Is 57, 20 : Le cœur de l’impie est comme une mer agitée qui ne peut se calmer, et ses flots débordent en piétinement et en fange. Le Christ a eu la ressemblance du pécheur, Rm 8, 3 : Dieu a envoyé son Fils dans la ressemblance de la chair de péché, etc.

467. Ensuite, [Matthieu] décrit la condition des appelés : premièrement, leur nombre ; deuxièmement, leurs noms ; troisièmement, leurs actes ; quatrièmement, leur fonction.

468. Il dit donc : IL VIT DEUX [FRÈRES], non seulement avec l’œil du corps mais avec celui de l’esprit ; car sa vue est le regard de sa miséricorde. Ex 3, 7 : En regardant, j’ai vu l’affliction de mon peuple qui est en Égypte, etc. Et note que la même chose est signifiée par DEUX et par FRÈRES : l’un et l’autre concernent la charité, qui consiste dans l’amour de Dieu et du prochain. Et c’est pourquoi il a choisi des hommes par deux, et il a envoyé prêcher des hommes par deux : par là il a voulu que soit signifiée la charité spirituelle, parce que la charité est renforcée quand elle est basée sur la nature. Ps 132, 1 : Qu’il est bon, qu’il est agréable pour des frères d’habiter ensemble !

469. SIMON, QU’ON APPELLE PIERRE, c’est-à-dire maintenant, pas à ce moment-là, car le Christ lui imposa ce nom plus tard, mais d’abord il le promit, Jn 1, 42 : Tu t’appelleras Céphas, et il l’imposa, Mt 16, 18 : Tu es Pierre. ET ANDRÉ. N’importe quel prédicateur doit avoir ces noms, car Simon se traduit «obéissant», Pierre «celui qui connaît», et André «courage». Et le prédicateur doit être «obéissant», pour pouvoir y inviter les autres, Pr 21, 28 : L’homme obéissant dira des victoires. «Celui qui connaît», pour pouvoir instruire les autres, 1 Co 14, 19 : Je veux dire cinq paroles avec mon intelligence, pour instruire les autres. «Courageux», pour ne pas être terrifié par les menaces, Jr 1, 18 : Aujourd’hui je t’ai établi comme ville fortifiée, colonne de fer et rempart de bronze ; Ez 3, 8 : J’ai rendu ton visage plus énergique que leurs visages, et ton front plus dur que leurs fronts, comme le diamant, et j’ai rendu ton visage comme la pierre.

470. Vient ensuite : JETANT LE FILET DANS LA MER. Chrysostome cherche pourquoi le Seigneur a choisi ce moment, et il dit que c’est pour que soit donné l’exemple que jamais nous ne devons négliger le service de Dieu à cause de nos occupations. Ou bien c’est parce que cet acte préfigurait l’acte des futurs prédicateurs, car par les paroles de ceux qui prêchent, les hommes sont tirés comme par des filets.

471. Il aborde leur fonction : C’ÉTAIENT DES PÊCHEURS. Il faut savoir que parmi tous les hommes, les pêcheurs sont les plus simples, et le Seigneur voulut avoir des hommes de cette condition si simple, et choisir ceux-là afin que ce qui fut fait par leur intermédiaire ne soit pas imputé à la sagesse humaine. 1 Co 1, 26 : Voyez notre appel, frères : il n’y a pas beaucoup de sages selon la chair, pas beaucoup de puissants, pas beaucoup de nobles ; mais Dieu choisit ce qui est inepte dans le monde, pour confondre les sages. Et c’est pourquoi il n’a pas choisi Augustin ou Cyprien l’orateur, mais Pierre le pêcheur, et à partir du pêcheur, il a gagné l’empereur et l’orateur.
Louis-Claude Fillion
Ce verset contient une charmante mise en scène. Mais avant d’en jouir, nous avons à résoudre une question d’harmonie évangélique. L’appel des quatre premiers disciples, tel qu’il nous est raconté ici par S. Matthieu, S. Marc. 1, 16-20, diffère-t-il de celui que nous lisons dans l’Évangile selon S. Luc, v, 1-11 ? ou bien, les trois synoptiques exposent-ils sous des faces diverses un seul et même fait ? Tout d’abord, après une rapide comparaison établie entre les récits, on se sent plus porté à se prononcer dans le premier sens : S. Luc semble en effet relater un événement distinct. Pour lui, l’appel adressé aux disciples se complique d’une pêche miraculeuse et de plusieurs petits incidents à propose desquels les deux autres évangélistes gardent le silence. Aussi divers exégètes, et des meilleurs, ont-ils admis la distinction des faits. Suivant eux, Pierre, André, Jacques et Jean auraient reçu deux appels consécutifs, le premier dans les conditions rapportées par S. Matthieu et par S. Marc, le second un peu plus tard, au milieu des circonstances indiquées par S. Luc. Quoique cette opinion soit parfaitement acceptable, la seconde, qui croit à l’identité des récits, nous paraît beaucoup plus probable après un examen approfondi du texte sacré. Au fond, n’avons-nous point de part et d’autre mêmes détails généraux, mêmes personnages occupés à peu près de la même manière, mêmes résultats obtenus ? Et puis, est-il vraisemblable qu’à quelques jours ou quelques semaines d’intervalle, Jésus ait dit à deux reprises aux quatre pêcheurs : « Je ferai de vous des pêcheurs d'hommes » et que, deux fois de suite, ils aient tout quitté pour le suivre ? Ces raisons nous déterminent à dire, avec la plupart des commentateurs, qu’il n’y eut qu’une seule vocation, bien que son souvenir nous ait été différemment conservé par les synoptiques, S. Matthieu et S. Marc se bornant à esquisser les traits principaux, S. Luc traçant un tableau complet. - Marchant le long de la mer. D’après le troisième Évangile, cette promenade solitaire du Sauveur fut bientôt troublée par la foule qui, avide de l’entendre, l’entoura de tous côtés. Apercevant alors les pêcheurs et leurs barques, il monta dans le bateau de Pierre, fit donner un coup de rame de manière à s’écarter un peu du rivage, et de cette chaire improvisée, il enseigna la foule pendant quelque temps. La pêche miraculeuse eut lieu immédiatement après et se termina par le divin appel. - La mer de Galilée. Lac enchanteur que les géographes, les voyageurs et les historiens de Jésus ont décrit avec amour. Il a porté divers noms durant l’histoire de la Révélation. L’Ancien Testament l’appelle lac de Cinnéreth, soit à cause d’une ville ainsi nommée qui s’élevait autrefois sur sa rive occidentale, soit à cause de sa forme que l’on trouvait assez semblable à celle du Kinnor, sorte de harpe. Les évangélistes le nomment alternativement mer de Galilée, mer de Gennésareth, ou mer de Tibériade. Ces deux dernières appellations provenaient l’une d’une plaine gracieuse et fertile qu’il baigne à l’O., l’autre de la cité célèbre de Tibériade, bâtie un peu plus au Sud. Aujourd’hui encore il est appelé par les Arabes « Bahr Tubaryeh ». Par suite d’une dépression volcanique qu’a d’ailleurs subie le Jourdain presque tout entier, le bassin du lac de Galilée est à environ 535 pieds au-dessous du niveau de la mer ; il semble même beaucoup plus profondément encaissé quand on le contemple du haut des collines environnantes. Josèphe fixait sa longueur à 140 stades et sa largeur à 40 ; Pline comptait de son côté 16 milles de long sur 6 de large, ce qui revient à environ 9 lieues pour la longueur, et à 3 ou 4 de largeur. La limpidité de l’atmosphère orientale le fait paraître plus petit qu’il n’est en réalité. Son apparence générale est celle d’un ovale assez régulier. Le Jourdain y entre par le Nord et en sort par le Sud, après l’avoir traversé dans toute son étendue. Les montagnes qui lui servent de cadre et de digue ont à l’Est et à l’Ouest des physionomies très distinctes. Celles de l’Est sont plus élevées et plus compactes ; elles forment un mur gigantesque, haut de 2000 pieds, qui épaule le plateau de Basan et qui court indéfiniment vers le Sud. Leur sommet uni et régulier ressemble à une ligne droite qui coupe l’horizon. Celles de l’Ouest sont plus variées, plus pittoresques : séparées, découpées, elles s’échelonnent les unes derrière les autres de manière à former une complication très intéressante, telle qu’on en aperçoit rarement en Palestine. Au printemps, toutes ces hauteurs de gauche et de droite sont revêtues d’un frais gazon ; mais, les arbres ayant depuis longtemps disparu, elles ne présentent, durant la plus grande partie de l’année, que des cimes chauves et des flancs décharnés. Leur pied s’arrête toujours à une certaine distance du lac, de manière à laisser tout autour une plage plus ou moins considérable que longeait autrefois une route très fréquentée. Les eaux du lac sont fraîches, agréables au goût, limpides aussi, ce qui surprend, car le Jourdain à son entrée est un fleuve sale et boueux. Par suite de la dépression que nous signalions plus haut, le climat des bords du lac est vraiment tropical : un Européen vivrait difficilement en été dans ce brasier ardent. Mais en revanche l’hiver s’y fait à peine sentir ; quand la neige tombe jusque sur le rivage, ce qui est rare, elle fond aussitôt tandis qu’on la voit fréquemment blanchir le sommet des montagnes voisines. La végétation, comme le climat, rappelle les tropiques. Nous voyons dans ces parages, vivant très à l’aise, des plantes qui ne tarderaient pas à périr sur les plateaux de la Galilée et même dans la plaine d’Esdrelon. Le Nabk, espèce d’arbre épineux qui aime les grandes chaleurs, et le laurier-rose croissent partout le long des rives ; les melons y mûrissent un mois plus tôt qu’à Damas. Quelle ne devait pas être autrefois la fécondité de cet heureux pays, alors qu’il était cultivé par des mains nombreuses, actives et intelligentes ! Une végétation abondante tempérait les ardeurs excessives du soleil et cette contrée, que Josèphe appelle merveilleuse, était assurément l’une des plus bénies de la terre, indépendamment du séjour qu’y daigne faire le Sauveur. Aujourd’hui, elle porte les marques évidentes de la malédiction que Jésus fut obligé de lancer contre elle et dont nous décrirons plus tard les effets ; Cf. 11, 27 et ss. Néanmoins, il lui reste encore assez de splendeurs pour justifier le tribut perpétuel de louanges qu’on lui paie largement. - Vit deux frères. Ce n’était pas la première fois qu’il les voyait. S. Jean nous racontera, 1, 35 et ss., comment ils étaient devenus les amis de Jésus ; S. Matthieu va nous dire de quelle manière eut lieu leur appel officiel. Il importe en effet de distinguer ces deux choses pour répondre au reproche de contradiction que les rationalistes adressent ici encore à l’Évangile. En embrouillant les faits à leur guise, en ne tenant aucun compte des différences de temps et de lieux, il est facile à ces pseudo-critiques de porter le désordre dans le texte sacré et d’en rejeter ensuite la faute sur les évangélistes. Il n’y avait pourtant pas là matière à une objection sérieuse. L’entrevue dont parle S. Jean eut lieu sur les bords du Jourdain, dans la Pérée méridionale ; celle que raconte S. Matthieu se passa en Galilée, au milieu d’un concours de circonstances toutes nouvelles, et cinq ou six mois plus tard. La vocation de plusieurs d’entre les apôtres fut donc graduelle et progressive : elle eut jusqu’à trois actes ou degrés distincts. L’appel préliminaire et préparatoire que nous lisons dans S. Jean fit d’eux des disciples « in lato sensu » ; après le second appel, dont la description nous occupe en ce moment, ils furent disciples de Jésus d’une manière stricte et définitive ; plus tard enfin, nous les verrons élevés solennellement à l’apostolat. Avant d’être apôtres, ils durent ainsi passer par les emplois de catéchumènes et de novices. - Simon. Simon est un nom hébreu ; sa forme primitive était Siméon. - Appelé Pierre, ou mieux Céphas, Cf. Joan., 1, 42, dans la langue syrochaldaïque que parlaient alors les Juifs de Palestine. Relativement à l’origine de ce surnom, comparez Joan., 1, 42 ; Matth., 16, 18. - André dérive directement du grec. On sait qu’à cette époque les dénominations grecques avaient envahi la Terre-Sainte et spécialement la Galilée : nous en trouverons d’autres dans l’Évangile et même dans le collège apostolique. - Les deux frères avaient été les disciples de Jean-Baptiste avant de s’attacher à Jésus. Ils étaient de Bethsaïda. Après avoir suivi le Sauveur pendant quelques mois, ils avaient repris leurs occupations accoutumées ; mais l’heure est venue où ils doivent quitter leur humble métier pour se préparer aux sublimes fonctions que la Providence leur destine. Qu jetaient leurs filets : détail graphique ; de même « réparant leurs filets » au v. 21. D’après le texte grec qui est ici plus exact, Pierre et André se servaient alors d’un grand filet double ; Jacques et Jean de filets simples et plus petits. - Car ils étaient pêcheurs. Les pêcheurs du lac de Tibériade formaient alors une classe très nombreuse. Il se faisait un commerce considérable de poissons dans les villes riveraines et bien au-delà ; deux d’entre elles tiraient même leur nom (Bethsaïda, maison de pêche) de leur célèbres pêcheries. Les eaux de la mer de Galilée étaient réputées si poissonneuses que Josué, au dire des Rabbins, lorsqu’il partagea la Palestine entre les douze tribus, accorda à tous les Israélites sans exception le droit d’y pêcher, sachant bien qu’elles ne couraient aucun risque d’être dépeuplées. Aujourd’hui encore le poisson du lac est très abondant : les pêcheurs arabes emploient, pour le saisir, deux méthodes des plus primitives qui consistent l’une à le guetter patiemment et à jeter sur lui, dès qu’on l’aperçoit, une filoche qu’on tient à la main, l’autre à l’empoisonner avec des miettes de pain trempées dans du bichloride de mercure et à recueillir les corps qui surnagent. - « Ce sont des pêcheurs et des illettrés qui sont envoyés prêcher, pour que la foi des croyants ne paraisse pas provenir de l’éloquence ou de la science, mais de la puissance de Dieu », S. Jérôme. « Ceux qui ont appris à supporter de pénibles travaux et à s’exposer à toutes sortes de périls sont mieux préparés pour devenir les compagnons et les disciples de Jésus », Henry and Scott. Nous reviendrons plus loin, 10. 2 et 3, sur l’humble condition des Apôtres.
Pape Francois
39. L’Évangile nous raconte qu’un homme riche vint à lui, rempli d’idéaux mais manquant de force pour changer de vie. Alors, « Jésus fixa sur lui son regard » (Mc 10, 21). Peut-on imaginer cet instant, cette rencontre entre le regard de cet homme et le regard de Jésus ? Lorsqu’Il t’appelle, te convoque pour une mission, Il commence par te regarder, Il pénètre au plus profond de ton être. Il perçoit et connaît tout ce qui est en toi, Il pose son regard sur toi : « Comme Il cheminait sur le bord de la mer de Galilée, Il vit deux frères [...]. En avançant plus loin et Il vit deux autres frères » (Mt 4, 18.21).