Matthieu 6, 11
Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour.
Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour.
Le disciple de Jésus-Christ doit donc demander la nourriture divine, et sa prière ne doit pas embrasser un trop long espace de temps, car il y a contradiction et répugnance à demander tout à la fois le prompt avènement du royaume des cieux et une longue vie sur la terre.
Ou bien ce pain au-dessus de toute substance est le pain quotidien.
En effet, le Christ est le pain de vie ; ce pain n'appartient pas à tous, mais il est véritablement notre pain. Nous demandons que ce pain nous soit donné tous les jours, c'est-à-dire que nous tous, qui sommes en Jésus-Christ et qui recevons tous les jours la sainte Eucharistie, nous ne soyons pas éloignés de ce pain céleste par quelque faute grave et séparés ainsi du corps de Jésus-Christ. Nous prions donc Dieu, nous qui avons le bonheur de demeurer en Jésus-Christ, de n'être pas séparés de son corps et de sa grâce sanctifiante.
Nous ne faisons pas à Dieu cette prière : « Donnez-nous aujourd'hui notre pain, » seulement pour recevoir notre nourriture, ce qui est commun aux justes et aux pécheurs, mais pour la recevoir de la main de Dieu, ce qui est le partage exclusif des Saints : car Dieu donne le pain à celui qui se prépare à le recevoir par la justice, et le démon à celui qui ne s'y dispose que par le péché. Ou bien nous demandons que ce pain que Dieu nous donne soit sanctifié lorsque nous le recevons, et c'est pourquoi il est appelé notre, en ce sens : Ce pain que nous nous sommes procuré, donnez-le nous pour qu'il reçoive de vous sa sanctification, de même que le prêtre recevant le pain des mains d'un laïque, le sanctifie, et le lui rend ensuite. Ce pain appartient sans doute à celui qui l'offre, mais la sanctification qu'il reçoit vient du prêtre. Notre-Seigneur l'appelle « nôtre » pour deux raisons : d'abord le dessein de Dieu dans les biens qu'il nous donne, est de les répandre sur les autres par notre entremise, et il veut que nous en donnions une part aux indigents. Celui donc qui refuse de les assister du fruit de son travail ne mange pas seulement son pain, mais le pain des autres. Une seconde raison, c'est qu'il n'y a que celui qui a gagné ce pain par des moyens justes qui mange véritablement son pain ; celui qui ne le doit qu'a des voies coupables, mange le pain des autres.
Remarquons qu'après avoir dit : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel, » Notre-Seigneur s'adressant à des hommes revêtus d'une chair mortelle et qui ne peuvent avoir la même impassibilité que les anges, veut bien condescendre à notre faiblesse qui a besoin de nourriture, Il nous commande donc de demander non pas les richesses, non pas les molles délicatesses de la vie, mais seulement le pain, et le pain quotidien, et non content de cela, il ajoute : « Donnez-nous aujourd'hui, » car il ne veut pas que nous soyons accablés sous le poids des préoccupations du lendemain.
A la première vue d'après ces paroles, ceux qui font cette prière ne devraient avoir aucune réserve pour le lendemain et les jours suivants. S'il fallait l'entendre ainsi, cette prière conviendrait à un bien petit nombre, aux apôtres par exemple, qui voyageaient continuellement pour prêcher l'Évangile, et peut-être ne conviendrait-elle à personne. Or nous devons interpréter la doctrine de Jésus-Christ de manière à ce que la pratique en soit accessible à tous.
Ou bien peut-être ce pain est appelé quotidien parce qu'on doit en le mangeant, obéir aux exigences de la raison, et non pas à l'entraînement des désirs sensuels. Si pour un seul repas vous dépensez autant que demanderait la nourriture de cent jours, ce n'est plus votre pain quotidien que vous mangez, c'est le pain de plusieurs jours.
Nous pouvons encore entendre dans un autre sens ce painsupersubstantiel, c'est-à-dire du pain qui est au-dessus de toutes les substances, qui est supérieur à toutes les créatures, en un mot du corps du Seigneur.
L'expression que nous traduisons par au-dessus de toute substance est le mot grec ''''''''', de tous les jours, que les Septante expriment fréquemment par '''''''''', qui signifie égalementau-dessus de toute substance. Si nous examinons le texte hébreu, nous trouvons qu'au mot grec '''''''''' correspond toujours le mot hébreu sogolla, que Symmache traduit par le mot ''''''''', c'est-à-dire, principal ou remarquable, et auquel il donne dans un autre endroit le sens de particulier. Quand donc nous demandons à Dieu ce pain qui nous est propre ou ce pain d'une nature supérieure, nous avons en vue le pain dont le Seigneur a dit dans l'Évangile : Je suis le pain vivant descendu du ciel. »
D'autres expliquant simplement ce texte dans le sens des paroles de saint Paul (1 Tm 6) : « Ayant de quoi nous nourrir et de quoi nous couvrir, nous devons être contents, » disent que les saints ne doivent s'occuper de la nourriture que pour le jour présent. C'est pour cela que plus loin Notre-Seigneur nous donne ce précepte : « Ne vous inquiétez pas pour le lendemain. »
Dans l'Évangile selon les Hébreux, à la place du mot super-substantiel, on trouve l'expression mohar, qui signifie lendemain et donne ce sens à cette demande : « Donnez-nous aujourd'hui notre pain de demain, » c'est-à-dire pour l'avenir.
C'est donc la persévérance que les saints demandent en priant Dieu de les conserver dans cette sainteté qui ne souffre aucun crime.
Les trois choses contenues dans les demandes précédentes se commencent ici-bas et elles se développent en nous a proportion de notre progrès dans la vie spirituelle. Elles ne seront parfaites que lorsque nous les posséderons sans crainte de les perdre, comme nous l'espérons dans l'autre vie. Les quatre demandes suivantes ont pour objet les choses du temps qui nous sont nécessaires pour obtenir les biens éternels. Le pain qui fait l'objet de la première de ces demandes est une nécessité de la vie : « Donnez-nous aujourd'hui notre pain qui est au-dessus de toute substance. »
Ceux qui, dans les églises d'Orient, ne participent pas tous les jours à la cène du Seigneur soulèvent ici une difficulté et ils appuient leur sentiment sur l'autorité ecclésiastique. Cette conduite, disent-ils, ne donne aucun scandale, et ceux qui gouvernent les églises ne s'opposent pas à cette manière d'agir. Mais, sans entreprendre aucune discussion sur cette matière, on verra, pour peu qu'on y réfléchisse, que nous avons reçu du Seigneur lui-même la règle de la prière et qu'il ne nous est pas permis de la transgresser. Qui donc oserait dire que nous ne devons réciter qu'une fois l'Oraison dominicale ou, si nous pouvons la réciter une deuxième et une troisième fois, qu'elle nous est défendue après que nous avons communié au corps du Seigneur ? Car il semble alors que nous ne pourrions plus dire : « Donnez-nous aujourd'hui notre pain, » puisque nous l'aurions déjà reçu. Ou bien il faudrait admettre qu'on pourrait nous forcer de célébrer le sacrifice dans la seconde partie du jour.
Ou bien, ce pain quotidien est un pain spirituel, c'est-à-dire les préceptes divins, que nous devons tous les jours méditer et accomplir.
Nous demandons ici toutes les choses qui nous sont nécessaires dans celle qui passe avant toutes les autres, et nous les renfermons toutes sous le nom de pain.
Peut-être sera-t-on surpris de nous voir demander à Dieu les choses nécessaires au soutien de cette vie, comme la nourriture et le vêtement, alors que le Seigneur nous dit : « Ne vous inquiétez pas comment vous trouverez votre nourriture ou vos vêtements. » Car on ne peut être sans quelque inquiétude à l'égard d'une chose qu'on désire et qu'on demande. Celui qui ne désire que les choses nécessaires à la vie reste dans les limites de la modération et n'est aucunement répréhensible. Nous ne demandons point ce nécessaire pour lui-même, mais pour satisfaire aux besoins de notre corps, aux convenances de notre état, et afin de nous conformer honnêtement aux usages des personnes au milieu desquelles nous vivons. Nous devons prier pour la conservation de ce nécessaire lorsque nous l'avons, et pour l'obtenir si nous ne l'avons pas.
Nous disons : « Notre pain, » et cependant nous prions qu'il nous soit donné, parce qu'il est le pain de Dieu qui nous l'accorde, et qu'il devient notre pain lorsque nous le recevons.
908. [DONNE-NOUS] NOTRE PAIN. Après que Jésus eut enseigné à demander la gloire de Dieu, la vie éternelle et l’opération des vertus par lesquelles nous méritons la vie éternelle, il enseigne ici à demander tout ce qui est nécessaire pour la vie présente. Or, ceci : [DONNE-NOUS] NOTRE PAIN, est interprété de quatre façons. En effet, on peut l’interpréter par rapport au quadruple pain. [En premier lieu], par rapport au pain qui est le Christ, Jn 6, 35 : Je suis le pain, etc., qui est le pain principalement selon qu’il est contenu dans le sacrement de l’autel, Jn 6, 52 : Le pain que je vous donnerai, et aussi [Jn 6, 56] : Ma chair est vraiment une nourriture. Et [Jésus] dit : NOTRE, car il n’appartient pas à n’importe qui, mais aux fidèles, Is 10, 5 : En effet, un enfant [vous] a été donné. Car, par le fait que quelqu’un devient membre du Christ par le baptême, il peut participer à ce pain. C’est pourquoi il ne peut aucunement être donné à des infidèles non baptisés.
909. SUPERSUBSTANTIEL. Jérôme dit que le grec porte épiousion, et Symmaque traduit par «principal» ou «qui sort de l’ordinaire». Mais l’ancienne traduction porte : QUOTIDIEN. Qu’il soit SUPERSUBSTANTIEl, c’est-à-dire supérieur à toutes les substances, cela est clair dans Ep 1, 20 : L’établissant au-dessus de toutes les principautés, etc. [Jésus] dit : QUOTIDIEN, parce qu’il doit être reçu tous les jours, mais non par tous. C’est pourquoi il est dit dans le Livre sur les dogmes de l’Église : «Je ne loue ni ne blâme cela.» Mais il doit être pris chaque jour dans l’église, ou, tout au moins, il doit être pris chaque jour spirituellement par la foi. Dans l’Église orientale, il n’est pas pris chaque jour dans l’église, parce que la messe n’est pas célébrée chaque jour, mais plutôt une fois par semaine. Mais parce que l’Église supplée, il est suffisant qu’ils le prennent chaque jour spirituellement, et non pas sacramentellement. DONNE-NOUS. S’il est nôtre, pourquoi dit-il : DONNE-NOUS ? Cyprien [explique] : «Donne-nous, c’est-à-dire fais-nous vivre de telle manière que nous puissions recevoir ce pain pour notre bien.» Ainsi, celui qui demande cela ne demande rien d’autre que la persévérance dans le bien, à savoir que rien de contraire ne soit mélangé à la sainteté, 1 Co 11, 29 : Car celui qui[mange] indignement, etc.
910. [DONNE-NOUS AUJOURD’HUI] NOTRE PAIN. Augustin soulève ici l’objection que cette prière est dite à toute heure du jour, même à complies. Demandons-nous donc qu’Il nous donne alors ce pain ? Mais il faut dire que AUJOURD’HUI s’entend de deux façons. En effet, parfois cela signifie un jour déterminé, parfois toute la vie présente. He 3, [7] parle d’un AUJOURD’HUI déterminé. Ainsi : «Donne-nous de pouvoir participer à ce pain pendant toute la vie présente.» Et c’est avec raison qu’il dit : DONNE-NOUS AUJOURD’HUI, car ce pain sacramentel n’est nécessaire que durant cette vie, car, lorsque nous Le verrons comme Il est [1 Jn 3, 2], nous n’aurons pas besoin de sacrements et de signes. Ainsi, ce pain singulier et particulier n’est nécessaire que [dans la vie] présente, et c’est maintenant que nous le prenons d’une manière spéciale, mais alors, d’une manière continuelle.
911. En deuxième lieu, par le pain, c’est Dieu qu’on entend, à savoir, la divinité elle-même, Lc 14, 15 : Bienheureux celui qui mangera le pain ; Ps [77[78], 25 : Il a mangé le pain des anges. Ainsi, DONNE LE PAIN SUPERSUBSTANTIEL AUJOURD’HUI, à savoir que nous puissions en jouir selon le mode de la vie présente.
912. En troisième lieu, on peut entendre les commandements de Dieu qui sont le pain de la sagesse, Pr 9, 5 : Venez, mangez. En effet, celui-là mange qui observe les commandements de la sagesse, Jn 4, 34 : Ma nourriture est… Ces commandements divins sont maintenant un pain, car ils sont rompus avec une certaine difficulté dans leur examen et leur mise en œuvre, mais, par la suite, ils seront un breuvage parce qu’ils restaureront sans difficulté.
913. En quatrième lieu, [le pain] est entendu du pain corporel au sens littéral. En effet, le Seigneur aurait dit : QUE TA VOLONTÉ, et il aurait voulu que nous soyons célestes par l’accomplissement de la volonté divine ; mais, se rappelant notre fragilité, il enseigne de demander même les choses temporelles qui sont nécessaires pour soutenir notre vie. Ainsi, il n’enseigne pas de demander des choses magnifiques et superflues, mais [les choses] nécessaires, 1 Tm 6, 8 : Ayant de quoi [vous] nourrir. Ainsi Jacob demande, dans Gn 28, 20 : Si tu me donnes du pain à manger. [Jésus] dit NOTRE pour deux raisons : afin que personne ne s’approprie les choses temporelles, selon Chrysostome, d’abord, parce que personne ne doit manger le pain [qui vient] du vol, mais de son propre travail ; ensuite, parce que nous devons recevoir les biens temporels, qui sont donnés pour [répondre aux] besoins, de manière à les partager avec les autres, Jb 31, 17 : Ai-je mangé seul mon morceau de pain ? Et Augustin dit dans le Livre à Proba sur la prière que, parlant de ce qui est le meilleur et le principal parmi toutes les choses particulières, [le pain] signifie l’ensemble de nos biens. En effet, le pain est ce qu’il y a de plus nécessaire à l’homme, Si 29, 28[21] : La première chose pour vivre, [c’est l’eau, le pain, le vêtement et une maison]. Et cela est SUPERSUBSTANTIEL, parce que cela concerne principalement les choses nécessaires. Mais si tu dis : QUOTIDIEN, il y a alors une double raison, selon Cyprien. Premièrement, afin que tu ne cherches pas longtemps les choses temporelles, car autrement tu agirais à l’encontre de toi-même. En effet, tu as dit : QUE TON RÈGNE VIENNE ; mais aussi longtemps que nous sommes dans ce corps, nous vivons loin du Seigneur, 2 Co 5, 6. Ainsi, en disant : QUE TON RÈGNE VIENNE, et en demandant une longue vie, tu vas à l’encontre de toi-même. Ou bien [Jésus] dit : QUOTIDIEN, à l’encontre des prodigues qui dépensent de manière superflue et n’utilisent pas le pain quotidien qui suffit à la nourriture d’une seule journée.
914. Mais si [ce pain] est nôtre, pourquoi dit-il : DONNE-NOUS ? Pour deux raisons, selon Chrysostome. Premièrement, parce que les biens temporels sont donnés aux bons et aux méchants, mais de manière différente : aux bons, pour leur bien ; aux mauvais, pour leur condamnation parce qu’ils les utilisent mal. Ainsi, [le pain] n’est pas donné aux méchants parce qu’ils abusent, et cela est le fait non pas de Dieu, mais du Diable. Et [Chrysostome] dit que cela serait comme si quelqu’un offrait un pain au prêtre pour qu’il le sanctifie et le lui réclamait par la suite. Il pourrait dire : «Donne-moi le pain qui m’appartient en propre, donne-le à sanctifier.» [Jésus] dit AUJOURD’HUI, parce qu’il n’a pas voulu que nous demandions pendant longtemps.
915. Mais Augustin soulève une question, car le Seigneur enseigne par la suite qu’il ne faut pas se soucier des choses temporelles : Ainsi, ne vous inquiétez pas, etc. [Mt 6, 25]. Il semble donc qu’il ne faille pas prier pour les choses temporelles. Et il répond que nous pouvons prier pour ce qui est désirable et légitime, car nous attendons de Dieu ce qui est désirable, et ce que nous attendons de Dieu, nous pouvons le demander. Et cela, non pas seulement dans l’extrême nécessité, mais aussi en fonction de l’état qui nous convient. Une chose est de désirer, une autre de s’inquiéter de quelque chose comme de la fin ultime, car le Seigneur interdit cela, comme il sera dit plus loin [6, 25s].
916. Mais, de nouveau, on s’interroge sur DONNE-NOUS AUJOURD’HUI, car il semble que nous ne devions désirer que pour un seul jour. Ainsi, tous ceux qui désirent autrement pèchent, et alors la vie humaine périra, car personne ne fera la moisson l’été afin de manger pendant l’hiver. Et il faut dire que le Seigneur n’a pas l’intention d’interdire qu’on pense à l’avenir, mais il interdit qu’on s’abandonne à l’inquiétude avant le temps. En effet, si survient maintenant un sujet d’inquiétude, tu dois t’en occuper, mais non pas de celui qui pourrait survenir avant le temps.
909. SUPERSUBSTANTIEL. Jérôme dit que le grec porte épiousion, et Symmaque traduit par «principal» ou «qui sort de l’ordinaire». Mais l’ancienne traduction porte : QUOTIDIEN. Qu’il soit SUPERSUBSTANTIEl, c’est-à-dire supérieur à toutes les substances, cela est clair dans Ep 1, 20 : L’établissant au-dessus de toutes les principautés, etc. [Jésus] dit : QUOTIDIEN, parce qu’il doit être reçu tous les jours, mais non par tous. C’est pourquoi il est dit dans le Livre sur les dogmes de l’Église : «Je ne loue ni ne blâme cela.» Mais il doit être pris chaque jour dans l’église, ou, tout au moins, il doit être pris chaque jour spirituellement par la foi. Dans l’Église orientale, il n’est pas pris chaque jour dans l’église, parce que la messe n’est pas célébrée chaque jour, mais plutôt une fois par semaine. Mais parce que l’Église supplée, il est suffisant qu’ils le prennent chaque jour spirituellement, et non pas sacramentellement. DONNE-NOUS. S’il est nôtre, pourquoi dit-il : DONNE-NOUS ? Cyprien [explique] : «Donne-nous, c’est-à-dire fais-nous vivre de telle manière que nous puissions recevoir ce pain pour notre bien.» Ainsi, celui qui demande cela ne demande rien d’autre que la persévérance dans le bien, à savoir que rien de contraire ne soit mélangé à la sainteté, 1 Co 11, 29 : Car celui qui[mange] indignement, etc.
910. [DONNE-NOUS AUJOURD’HUI] NOTRE PAIN. Augustin soulève ici l’objection que cette prière est dite à toute heure du jour, même à complies. Demandons-nous donc qu’Il nous donne alors ce pain ? Mais il faut dire que AUJOURD’HUI s’entend de deux façons. En effet, parfois cela signifie un jour déterminé, parfois toute la vie présente. He 3, [7] parle d’un AUJOURD’HUI déterminé. Ainsi : «Donne-nous de pouvoir participer à ce pain pendant toute la vie présente.» Et c’est avec raison qu’il dit : DONNE-NOUS AUJOURD’HUI, car ce pain sacramentel n’est nécessaire que durant cette vie, car, lorsque nous Le verrons comme Il est [1 Jn 3, 2], nous n’aurons pas besoin de sacrements et de signes. Ainsi, ce pain singulier et particulier n’est nécessaire que [dans la vie] présente, et c’est maintenant que nous le prenons d’une manière spéciale, mais alors, d’une manière continuelle.
911. En deuxième lieu, par le pain, c’est Dieu qu’on entend, à savoir, la divinité elle-même, Lc 14, 15 : Bienheureux celui qui mangera le pain ; Ps [77[78], 25 : Il a mangé le pain des anges. Ainsi, DONNE LE PAIN SUPERSUBSTANTIEL AUJOURD’HUI, à savoir que nous puissions en jouir selon le mode de la vie présente.
912. En troisième lieu, on peut entendre les commandements de Dieu qui sont le pain de la sagesse, Pr 9, 5 : Venez, mangez. En effet, celui-là mange qui observe les commandements de la sagesse, Jn 4, 34 : Ma nourriture est… Ces commandements divins sont maintenant un pain, car ils sont rompus avec une certaine difficulté dans leur examen et leur mise en œuvre, mais, par la suite, ils seront un breuvage parce qu’ils restaureront sans difficulté.
913. En quatrième lieu, [le pain] est entendu du pain corporel au sens littéral. En effet, le Seigneur aurait dit : QUE TA VOLONTÉ, et il aurait voulu que nous soyons célestes par l’accomplissement de la volonté divine ; mais, se rappelant notre fragilité, il enseigne de demander même les choses temporelles qui sont nécessaires pour soutenir notre vie. Ainsi, il n’enseigne pas de demander des choses magnifiques et superflues, mais [les choses] nécessaires, 1 Tm 6, 8 : Ayant de quoi [vous] nourrir. Ainsi Jacob demande, dans Gn 28, 20 : Si tu me donnes du pain à manger. [Jésus] dit NOTRE pour deux raisons : afin que personne ne s’approprie les choses temporelles, selon Chrysostome, d’abord, parce que personne ne doit manger le pain [qui vient] du vol, mais de son propre travail ; ensuite, parce que nous devons recevoir les biens temporels, qui sont donnés pour [répondre aux] besoins, de manière à les partager avec les autres, Jb 31, 17 : Ai-je mangé seul mon morceau de pain ? Et Augustin dit dans le Livre à Proba sur la prière que, parlant de ce qui est le meilleur et le principal parmi toutes les choses particulières, [le pain] signifie l’ensemble de nos biens. En effet, le pain est ce qu’il y a de plus nécessaire à l’homme, Si 29, 28[21] : La première chose pour vivre, [c’est l’eau, le pain, le vêtement et une maison]. Et cela est SUPERSUBSTANTIEL, parce que cela concerne principalement les choses nécessaires. Mais si tu dis : QUOTIDIEN, il y a alors une double raison, selon Cyprien. Premièrement, afin que tu ne cherches pas longtemps les choses temporelles, car autrement tu agirais à l’encontre de toi-même. En effet, tu as dit : QUE TON RÈGNE VIENNE ; mais aussi longtemps que nous sommes dans ce corps, nous vivons loin du Seigneur, 2 Co 5, 6. Ainsi, en disant : QUE TON RÈGNE VIENNE, et en demandant une longue vie, tu vas à l’encontre de toi-même. Ou bien [Jésus] dit : QUOTIDIEN, à l’encontre des prodigues qui dépensent de manière superflue et n’utilisent pas le pain quotidien qui suffit à la nourriture d’une seule journée.
914. Mais si [ce pain] est nôtre, pourquoi dit-il : DONNE-NOUS ? Pour deux raisons, selon Chrysostome. Premièrement, parce que les biens temporels sont donnés aux bons et aux méchants, mais de manière différente : aux bons, pour leur bien ; aux mauvais, pour leur condamnation parce qu’ils les utilisent mal. Ainsi, [le pain] n’est pas donné aux méchants parce qu’ils abusent, et cela est le fait non pas de Dieu, mais du Diable. Et [Chrysostome] dit que cela serait comme si quelqu’un offrait un pain au prêtre pour qu’il le sanctifie et le lui réclamait par la suite. Il pourrait dire : «Donne-moi le pain qui m’appartient en propre, donne-le à sanctifier.» [Jésus] dit AUJOURD’HUI, parce qu’il n’a pas voulu que nous demandions pendant longtemps.
915. Mais Augustin soulève une question, car le Seigneur enseigne par la suite qu’il ne faut pas se soucier des choses temporelles : Ainsi, ne vous inquiétez pas, etc. [Mt 6, 25]. Il semble donc qu’il ne faille pas prier pour les choses temporelles. Et il répond que nous pouvons prier pour ce qui est désirable et légitime, car nous attendons de Dieu ce qui est désirable, et ce que nous attendons de Dieu, nous pouvons le demander. Et cela, non pas seulement dans l’extrême nécessité, mais aussi en fonction de l’état qui nous convient. Une chose est de désirer, une autre de s’inquiéter de quelque chose comme de la fin ultime, car le Seigneur interdit cela, comme il sera dit plus loin [6, 25s].
916. Mais, de nouveau, on s’interroge sur DONNE-NOUS AUJOURD’HUI, car il semble que nous ne devions désirer que pour un seul jour. Ainsi, tous ceux qui désirent autrement pèchent, et alors la vie humaine périra, car personne ne fera la moisson l’été afin de manger pendant l’hiver. Et il faut dire que le Seigneur n’a pas l’intention d’interdire qu’on pense à l’avenir, mais il interdit qu’on s’abandonne à l’inquiétude avant le temps. En effet, si survient maintenant un sujet d’inquiétude, tu dois t’en occuper, mais non pas de celui qui pourrait survenir avant le temps.
Viennent les
supplications proprement dites. Maintenant que nous avons payé notre dette à la gloire de Dieu, Jésus nous
permet, dans la seconde partie de sa prière, de développer nos propres besoins. « Sur la terre comme au ciel »
: ces mots du suppliant servent de transition entre les deux moitiés du « Notre-Père ». Le chrétien, qui s’était
élevé jusqu’au séjour du Père céleste, est rappelé sur la terre par le sentiment de ses nécessités multiples ; du
moins peut-il les exprimer en toute simplicité et liberté devant l’auteur de tout don parfait. Il commence, à la
façon d’un humble mendiant, par demander à Dieu le pain destiné à soutenir sa vie matérielle : Notre pain
quotidien... « C’est ici, dit Bossuet, le vrai discours d’un enfant qui demande en confiance à son père tous se
besoins, jusqu’aux moindres », Médita. sur l’Evang. 25ème jour. Par ce mot « pain », il faut entendre,
conformément à l’usage oriental, tout ce qui est nécessaire à la vie du corps, tous nos besoins matériels,
comme s’exprime S. Jacques, 2, 16. Nous demandons bien peu, et ce peu nous le demandons avec la plus
grande modération, laissant les détails entre les mains de la Providence toujours aimable pour ses enfants.
D'ailleurs, « Si nous avons de quoi manger et nous habiller, sachons nous en contenter », 1 Tim. 6, 8. -
Quotidien. En latin : supersubstantialem On a beaucoup discuté sur la signification de cet adjectif, qui sert à
déterminer davantage l’objet de la quatrième demande du « Pater », ou plutôt sur son équivalent grec. Malgré
les pages nombreuses qui ont été écrites à propos de cette expression, on n’a pas encore réussi à lever tout-à-
fait le voile obscur qui la couvre. Elle ne se rencontre nulle part dans la littérature profane ; elle n’existe
qu’en deux endroits de la Bible, ici et au passage parallèle de S. Luc, 11, 3 ; aussi Origène, de Orat. § 27,
croit-il que les évangélistes l’ont eux-mêmes inventée. Traduite dans le troisième Évangile par « quotidien »,
elle l’est ici par « supersubstantialem » ; encore S. Jérôme, Comm. in h. l., a-t-il soin de nous dire que
jusqu’à lui on lisait également « quotidien » dans la version latine de l’Évangile selon S. Matthieu. Cette
correction, exacte mais calquée trop servilement sur le grec, est son fait. Ce qualificatif peut dériver de « je
suis dedans, je suis dessus », ou de « je succède, je suis » (verbe suivre). Dans un premier cas, il se rapproche
beaucoup du substantif, « substance, subsistance », et peut désigner la nourriture nécessaire à notre
subsistance, ou qui nous fait vivre en se transformant en notre substance. Telle est l’étymologie et par suite
l’interprétation qu’ont adoptée la plupart des Pères grecs : S. Jean Chrys., Origène, Théophylacte, etc. Dans
le second cas, il devient synonyme de « du lendemain », et figure le pain du lendemain, pour employer les
paroles de S. Grégoire de Nysse, c’est-à-dire en général du pain pour notre vie à venir. Ainsi traduisent
encore les versions éthiopienne et arabe, S. Athanase, etc. S. Jérôme fait à ce sujet un aveu qui ne manque
pas d’importance « Dans l'Evangile appelé "Selon les Hébreux", j'ai trouvé mahar en référence au pain
surnaturel pour signifier de demain ». Les choses en sont là et il est probable qu’elles n’avanceront jamais
plus loin. S’il faut choisir entre les deux opinions, nous dirons que la seconde nous paraît plus difficilement
soutenable ; car, outre qu’elle contient une antithèse peu naturelle, « donnez-nous aujourd’hui notre pain de
demain », elle semble contredire d’avance une recommandation sur laquelle Jésus insistera bientôt, « Ne
vous inquiétez pas du lendemain », 6, 34. La première explication ne présente aucun inconvénient de ce
genre. Quoiqu’il en soit, la leçon « quotidien », adoptée par la traduction latine du troisième Évangile, dans
la liturgie catholique et dans la plupart des versions modernes, rend très bien la pensée du Sauveur, un pain
nécessaire à notre subsistance, un pain qu’on demande chaque jour pour le lendemain devant être
évidemment un pain quotidien. Mais peut-on dire avec S. Augustin, S. Cyprien, S. Ambroise et S. Jérôme
que le « panis supersubstantialis » que nous implorons de la bonté divine est un pain spirituel et mystique,
par exemple la sainte Eucharistie, la grâce, la vie du Verbe dans nos âmes ? On le peut, sans doute, mais à la condition de ne rien exagérer et de ne pas rejeter à l’arrière-plan le sens naturel et obvie qui doit garder la
première place dans l’interprétation des paroles de Jésus. Dans la quatrième demande du « Pater », il s’agit
directement de la satisfaction de nos besoins temporels ; et, bien que « la nourriture qui périt » suggère
aussitôt à l’âme chrétienne la pensée de « la nourriture qui dure éternellement », Joan. 6, 27, néanmoins,
d’après l’avis commun des exégètes, le pain céleste de l’Eucharistie ou de la grâce ne peut être mentionné ici
que d’une manière accessoire et secondaire. - Donne-nous aujourd'hui ; d’après S. Luc, jour par jour. C’est
la même pensée. - L’indigence, le souci des choses temporelles sont ordinairement de grands obstacles à
l’acquisition de la sainteté et à l’établissement du royaume de Dieu dans les cœurs ; Cf. Matth. 13, 22 : c’est
donc très légitimement que l’on peut conjurer le Seigneur d’écarter ces obstacles. Mais dans quel sens le
riche dira-t-il : Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien ? « J’ose dire, répond saint Augustin, que le
riche a besoin de ce pain quotidien. Pourquoi possède-t-il toute chose en abondance ? Pourquoi, si ce n’est
parce que Dieu le lui a donné. Qu’auras-tu si Dieu retire sa main ? N’y a-t-il pas un grand nombre d’hommes
qui se sont endormis riches et qui se sont réveillés pauvres ? ».
« Donnez-nous aujourd’hui notre pain de chaque jour. C’est ici le vrai discours d’un enfant qui demande en confiance à son père tous ses besoins jusqu’aux moindres. O notre Père, vous nous avez donné un corps mortel ; vous ne l’avez pas fait tel d’abord ; mais nous vous avons désobéi, et la mort est devenue notre partage. Le corps infirme et mortel a besoin tous les jours de nourriture ; ou il tombe en défaillance, ou il périt. Donnez-la nous simple, donnez-la nous autant qu’elle est nécessaire. Que nous apprenions en la demandant que c’est vous qui la donnez, de jour à jour. Vous donnez à vos enfants, à vos serviteurs, à vos soldats, si on veut qu’ils combattent sous vos étendards, vous leur donnez chaque jour leur pain. Que nous le demandions avec confiance ; que nous le recevions comme de votre main avec action de grâce ! » (BOSSUET.)
Cette expression « aujourd'hui » nous apprend que ce pain doit être mangé tous les jours et que nous devons faire cette prière en tout temps, car il n'est aucun jour dans la vie où nous ne devions fortifier par cet aliment le coeur de l'homme intérieur.
Aujourd'hui peut aussi s'entendre de la vie présente, c'est-à-dire : « Donnez-nous ce pain tant que nous sommes dans cette vie. »
Lorsque l’Église célèbre le mystère du Christ, il est un mot qui scande sa prière : Aujourd’hui ! , en écho à la prière que lui a apprise son Seigneur (cf. Mt 6, 11) et à l’appel de l’Esprit Saint (cf. He 3, 7 – 4, 11 ; Ps 95, 7). Cet " aujourd’hui " du Dieu vivant où l’homme est appelé à entrer est " l’Heure " de la Pâque de Jésus qui traverse et porte toute l’histoire :
Nous apprenons à prier à certains moments en écoutant la Parole du Seigneur et en participant à son Mystère pascal, mais c’est en tout temps, dans les événements de chaque jour, que son Esprit nous est offert pour faire jaillir la prière. L’enseignement de Jésus sur la prière à notre Père est dans la même ligne que celui sur la Providence (cf. Mt 6, 11. 34) : le temps est entre les mains du Père ; c’est dans le présent que nous le rencontrons, ni hier ni demain, mais aujourd’hui : " Aujourd’hui, puissiez vous écouter sa voix ; n’endurcissez pas vos cœurs " (Ps 95, 7-8).