Matthieu 6, 13

Et ne nous laisse pas entrer en tentation, mais délivre-nous du Mal.

Et ne nous laisse pas entrer en tentation, mais délivre-nous du Mal.
Saint Cyprien
Cette vérité nous apprend que notre ennemi ne peut rien contre nous, à moins que Dieu ne le permette, et c'est ce qui doit nous faire placer en Dieu toute notre crainte comme toute notre affection.

Dieu nous rappelle ainsi notre faiblesse, notre infirmité et nous prémunit contre les prétentions arrogantes de l'orgueil ; et sa bonté exauce volontiers une prière qui est précédée d'un aveu humble et modeste qui reconnaît que tout vient de lui.

Après tout ce qui précède la prière se termine par une demande qui renferme toutes les autres dans sa concise brièveté. En effet que pourrons-nous encore demander après avoir imploré la protection de Dieu contre le mal qui nous menace ? Après avoir obtenu cette protection nous sommes en sûreté contre toutes les entreprises du monde et du démon. Que peut-on craindre en effet du monde, quand on a Dieu pour défenseur contre le monde ?

Qu'y a-t-il d'étonnant que la prière que Dieu lui-même nous a enseignée soit si excellente, alors que par un effet de sa divine sagesse, il a voulu qu'elle renfermât tout ce que nous pouvons demander, dans quelques phrases aussi riches que concises. C'est ce qu'Isaïe avait prédit en ces termes : « Le Seigneur a fait un discours abrégé sur la terre. » (Is 10, 22.) Notre-Seigneur Jésus-Christ est venu pour tous les hommes pour réunir en un seul corps les savants et les ignorants, il a donné aux personnes de tout sexe et de tout âge les préceptes qui doivent les conduire au ciel ; il en a donc fait un abrégé remarquable pour ne pas fatiguer la mémoire de ceux qui voudraient apprendre cette morale céleste et il leur offre les moyens de s'instruire rapidement de ce qui est nécessaire à la simplicité de la foi.
Saint Jean Chrysostome
Notre-Seigneur vient de donner aux hommes de sublimes préceptes, il leur a commandé d'appeler Dieu leur Père, de demander l'avènement de son règne ; aussi croit-il devoir ajouter une leçon d'humilité, en disant : « Et ne nous laissez pas succomber à la tentation. »

Peut-être que dans ce nom de mal il veut désigner le démon, tant à cause de sa malice extrême, malice qui vient de sa volonté et non de sa nature, que parce qu'il nous a déclaré une guerre implacable, c'est pour cela qu'il nous fait dire : « Délivrez-nous du mal. »

Notre-Seigneur avait pu nous attrister par ces paroles : « Délivrez-nous du mal » qui nous rappelaient le souvenir de notre ennemi, il relève donc notre courage par Ces autres paroles que l'on trouve dans quelques exemplaires grecs : « Parce qu'à vous seul appartiennent l'empire, la puissance et la gloire. » En effet si l'empire lui appartient, nous n'avons rien à craindre d'aucune créature puisque celui qui combat contre nous est son sujet. Et comme sa puissance et sa gloire sont infinies, non-seulement il peut nous arracher au mal, mais encore nous combler de gloire.

Cette conclusion peut aussi se rapporter à ce qui précède. Ces paroles : « A vous appartient l'empire, » se rapportent à celles-ci : « Que votre règne arrive, » et préviennent cette objection : Dieu ne règne donc pas sur la terre. Celles qui suivent : « Et la puissance, » se rattachent à cette demande : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel, » et répondent à ceux qui prétendraient que Dieu ne fait pas ce qu'il veut. Enfin cette dernière parole : « Et la gloire, » se rapporte aux demandes suivantes qui sont une manifestation de la gloire de Dieu.
Saint Jérôme
Cet amen qui termine l'Oraison dominicale en est comme le sceau ; Aquila traduit cette expression par fidèlement, ce que nous pouvons rendre par : « En vérité. »
Saint Augustin
Lors donc que nous disons : « Ne nous induisez pas en tentation, » nous devons demander à Dieu de ne pas permettre que délaissés de sa grâce, nous succombions à la tentation, séduits par l'illusion ou vaincus par la souffrance.

Nous sommes obligés de prier non-seulement pour éloigner de nous le mal dont nous avons été jusqu'ici préservés, mais encore pour être délivrés du mal dans lequel nous sommes tombés. Aussi Notre-Seigneur ajoute : « Mais délivrez-nous du mal. »

Quelques exemplaires portent : « Et ne nous faites pas entrer dans la tentation, » ce qui me paraît présenter le même sens, ces deux variantes étant la traduction littérale du grec. Plusieurs traduisent de cette manière : « Ne souffrez pas que nous entrions en tentation, » et expliquent ainsi dans quel sens nous disons : « Ne nous induisez pas, » car ce n'est pas Dieu qui par lui-même fait entrer en tentation, mais il permet qu'on y entre, en abandonnant l'homme à ses propres forces.

Être induit en tentation, et être tenté sont deux choses différentes : Aucun homme s'il n'a été tenté ne peut passer pour éprouvé à ses propres yeux on aux yeux des autres (cf. Ps 25). Dieu au contraire connaît à fond tous les hommes avant toute espèce de tentation. Nous ne prions donc pas Dieu de nous faire échapper à la tentation, mais de ne pas nous induire en tentation, de même qu'un homme qui devrait être éprouvé par le feu, demanderait non de ne point en être atteint, mais de n'en être pas consumé. En effet nous sommes induits en tentation lorsque la tentation est si forte, que nous ne pouvons y résister.

Lorsque les Saints font cette prière : « Ne nous laissez pas succomber à la tentation, » que demandent-ils si ce n'est la persévérance dans la sainteté ? En effet il n'est aucun saint qui ayant reçu ce don de Dieu (la demande qu'il en fait à Dieu est une preuve que ce don vient de lui), ne persévère jusqu'a la fin dans la sainteté, car on ne cesse de persévérer dans la pratique de la vie chrétienne, qu'après avoir été induit d'abord en tentation. C'est pour prévenir ce malheur que nous demandons de ne pas entrer en tentation, et si nous l'évitons, c'est Dieu qui l'a permis, car tout ce qui se fait, c'est Dieu qui le fait, ou qui le permet. Dieu est donc assez puissant pour détourner la volonté du mal vers le bien, relever celui qui est tombé, et le conduire dans la voie qui lui est agréable, car ce n'est pas en vain que nous lui disons : « Ne nous laissez pas entrer en tentation. » Si on n'est pas exposé aux effets de la tentation par une volonté abandonnée au mal, on n'en sera jamais victime, « car chacun est tenté par sa propre concupiscence. » (Jc 1, 14.) Dieu nous fait donc un devoir de lui demander la grâce de ne point succomber à la tentation, bien qu'il pût nous l'accorder sans nos prières, parce qu'il a voulu nous faire reconnaître ainsi l'auteur des bienfaits dont nous sommes comblés. Que l'Église donc médite attentivement ses prières de tous les jours, elle demande la foi pour les infidèles, c'est donc Dieu qui les convertit à la foi ; elle prie pour la persévérance des fidèles, c'est donc de Dieu que vient la persévérance finale.

Le sens de cette dernière demande de l'Oraison dominicale est tellement étendu, que tout chrétien, dans quelque tribulation qu'il se trouve peut en faire l'interprète de sa douleur, l'auxiliaire de ses gémissements et de ses larmes, commencer et finir par elle sa prière. C'est pour cela que le motamen, ainsi soit-il, vient après comme l'expression du désir de celui qui prie.

Quelles que soient les autres formules dont nous faisons usage avant ou après notre prière, comme expression ou comme aliment de notre piété, nous ne pouvons rien dire que ce que contient l'Oraison Dominicale, si notre prière est conforme à la règle que nous avons reçue. En disant à Dieu : « Faites éclater votre gloire parmi les nations, comme vous l'avez fait éclater parmi nous, » (Qo36) que disons-nous autre chose que : « Votre nom soit sanctifié ? » Cette prière : « Dirigez mes pas selon votre parole, » (Ps 118) ne ressemble-elles pas à celle-ci : « Que votre volonté soit faite ? » Celui qui dit à Dieu : « Montrez-nous votre face et nous serons sauvés, » (Ps 79) fait à Dieu cette demande : « Que votre règne arrive. » Vous dites à Dieu : « Ne me donnez ni la pauvreté ni la richesse, » (Pv30) c'est lui dire équivalemment : « Donnez-nous aujourd'hui notre pain de chaque jour. » Cette prière : « Souvenez-vous Seigneur de David et de toute sa douceur, (Ps 121) et cette autre : « Si j'ai rendu le mal à ceux qui m'en ont fait, »(Ps 7) ne rentrent-elles pas dans celle-ci : « Remettez-nous nos dettes, comme nous les remettons à ceux qui nous doivent ? » Dire à Dieu : « Éloignez de mon coeur les désirs de l'impureté, » (Qo 23) n'est-ce pas lui dire : « Ne nous induisez pas en tentation ? » Enfin ces paroles : « Délivrez-moi de mes ennemis, » (Ps 58) ne reviennent-elles pas à celles-ci : « Délivrez-nous du mal ? » Et si vous examinez en détail toutes les prières dictées par l'Esprit saint, vous n'y trouverez rien qui ne soit contenu dans l'Oraison dominicale. Toute prière en effet qui ne se rapporte pas à cette prière évangélique, est une prière inspirée par la chair, et que j'ose appeler coupable, puisque le Seigneur a enseigné à ceux qui sont régénérés à ne prier qu'en esprit. Celui-là donc qui dans la prière dit à Dieu : « Seigneur, multipliez mes richesses, augmentez mes honneurs, et qui le dit dans un sentiment de pure convoitise, sans se proposer le bien spirituel que les hommes pourraient en retirer, ne trouvera certainement rien dans l'Oraison dominicale qui puisse appuyer sa demande. Qu'il rougisse donc au moins de demander ce qu'il ne rougit pas de désirer ; ou si la passion l'emporte sur la honte qu'il éprouve, la meilleure prière qu'il puisse faire c'est d'être affranchi de ce mal de la cupidité par celui à qui nous disons : « Délivrez-nous du mal. »

Le nombre de demandes dont se compose l'Oraison dominale paraît aussi se rapporter aux sept béatitudes. En effet si c'est la crainte de Dieu, qui rend heureux les pauvres d'esprit, parce que le royaume des cieux leur appartient, demandons que le nom de Dieu soit sanctifié parmi les hommes, à l'aide de cette crainte chaste qui demeure dans les siècles des siècles. Si c'est la piété qui fait le bonheur de ceux qui sont doux, demandons que son règne nous arrive pour nous communiquer cette douceur qui ne connaît point la résistance. Si c'est la science qui donne à ceux qui pleurent le secret du bonheur, prions que sa volonté se fasse sur la terre comme au ciel, car lorsque le corps qui est figuré par la terre sera soumis à l'esprit qui représente le ciel, nous ne serons plus dans les larmes. Si c'est la force qui rend heureux ceux qui ont faim, demandons que Dieu nous donne aujourd'hui notre pain de chaque jour, afin que nous puissions parvenir là où nous serons pleinement rassasiés. Si c'est le conseil qui fait le bonheur de ceux qui sont miséricordieux parce que Dieu leur fera miséricorde, remettons leurs dettes à ceux qui nous doivent, afin que Dieu nous remette ce que nous lui devons. Si c'est l'intelligence qui rend heureux ceux qui ont le coeur pur, demandons à Dieu de ne pas entrer en tentation, pour ne pas tomber dans la duplicité du coeur, en poursuivant les biens terrestres et périssables, qui sont pour nous la source de toutes les tentations. Si c'est enfin la sagesse qui rend heureux les pacifiques parce qu'ils seront appelés les enfants de Dieu, prions pour qu'il nous délivre du mal, car cette délivrance nous établira dans la sainte liberté des enfants de Dieu.
Saint Thomas d'Aquin
922. ET NE NOUS [SOUMETS PAS]. [Le Seigneur] propose ici une autre demande. Une autre version [dit] : ET NE NOUS CONDUIS PAS ; une autre encore : ET NE NOUS LAISSE PAS. En effet, Dieu ne tente personne, bien qu’il permette que l’on soit tenté. Et [le Seigneur] ne dit pas : NE PERMETS PAS QUE [NOUS SOYONS] TENTÉS, car la tentation est utile, et l’on est tenté afin que celui qui est connu de Dieu soit connu de lui-même et des autres, Si 34, 9 : Celui qui n’est pas tenté. Mais [le Seigneur] dit : NE NOUS, c’est-à-dire ne permets pas que nous succombions, comme si quelqu’un disait : «Je veux être réchauffé, mais non pas brûlé par le feu.» 1 Co 10, 13 : Dieu est fidèle qui ne supportera pas. Dans ce récit, l’erreur de Pélage est réfutée sur deux points : il disait en effet que l’homme pouvait se maintenir par le libre arbitre sans l’aide de Dieu, ce qui n’est rien d’autre que de ne pas succomber à la tentation ; il disait aussi qu’il n’appartient pas à Dieu de changer les volontés des hommes. Mais si tel était le cas, [le Seigneur] ne dirait pas : ET NE NOUS [SOUMETS PAS], ce qui est la même chose que : «Fais que nous ne consentions pas.» Il est donc au pouvoir [de Dieu] de changer ou de ne pas changer la volonté, Ph 2, 13 : C’est Dieu qui agit en vous.

923. MAIS DÉLIVRE-NOUS. Voici la dernière demande : DÉLIVRE-NOUS du mal passé, présent et futur, [du mal] de faute et de peine, et de tout mal. Augustin [écrit] : «Tout chrétien, en quelque tribulation qu’il se trouve, verse des larmes et pousse des cris par ces paroles», Ps 58[59], 2 : Arrache-moi à mes ennemis ; Is 51, 12 : Qui donc es-tu pour craindre ?

924. AMEN, c’est-à-dire «qu’il en soit ainsi». Personne n’a voulu traduire [ce mot], par respect, car le Seigneur l’employait fréquemment. Par [ce mot] est donnée l’assurance d’obtenir, à condition que soit observé ce qui a été dit. Il faut savoir qu’en hébreu trois mots sont ajoutés que Chrysostome interprète. Le premier est : CAR C’EST À TOI QU’APPARTIENT LE RÈGNE, puis : LA PUISSANCE ET LA GLOIRE. AMEN. Et ils semblent correspondre aux trois [mots] employés plus haut : À TOI APPARTIENT LE RÈGNE, à ceci : QUE TON RÈGNE VIENNE ; LA PUISSANCE, à : QUE TA VOLONTÉ SOIT FAITE ; LA GLOIRE, à : NOTRE PÈRE et à tout ce qui est pour l’honneur de Dieu. Ou bien autrement, comme si [on disait] : «Tu peux faire toutes ces autres choses parce que Tu es roi, et c’est pourquoi personne d’autre ne le peut; parce que la puissance T’appartient, et donc Tu peux donner le règne ; parce que la gloire T’appartient, et donc, Ps 103[104], 1 : Non pas à nous, non pas à nous, Seigneur, etc.»

928. QUAND VOUS JEÛNEZ, etc. Ceci est la troisième partie de la section qui commence par : QUAND VOUS FAITES L’AUMÔNE [6, 2], dans laquelle [le Seigneur] écarte du jeûne la recherche de la faveur humaine. En premier lieu, il y écarte du jeûne une manière inappropriée [de jeûner] ; en second lieu, il ajoute la manière appropriée, en cet endroit : LORSQUE TU JEÛNES, etc. [6, 17].

929. Dans la première partie, [le Seigneur] fait trois choses. En premier lieu, il décourage le faux-semblant des hypocrites [6, 15] ; en deuxième lieu, l’intention perverse de leur ostentation, en cet endroit : ILS DEVIENNENT TRISTES [6, 16] ; en troisième lieu, il ajoute leur condamnation, en cet endroit : EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS, ILS ONT DÉJÀ REÇU LEUR RÉCOMPENSE [6, 16].

930. [Le Seigneur] dit donc : QUAND VOUS JEÛNEZ, NE FAITES PAS COMME LES HYPOCRITES. Par le fait qu’il dit : NE FAITES PAS, il interdit non seulement de faire, mais de vouloir [faire], car c’est dans la volonté que se trouve la source du mérite et du démérite. TRISTES : il dit délibérément : ILS DEVIENNENT TRISTES, et non pas : ILS SONT TRISTES, parce que cette tristesse ou simulation n’est qu’apparente. Chrysostome [écrit] : «Alors qu’ils font semblant de jeûner, ils ne sont pas tristes, mais ils le deviennent.»

931. ILS PRENNENT UNE MINE DÉFAITE. Voilà l’intention perverse, parce qu’ils prennent une mine défaite, c’est-à-dire, selon Augustin et Raban, qu’ils offrent l’aspect des limites propres à la condition humaine. LEURS VISAGES, par lesquels ils paraissent plutôt bons. Augustin [écrit] : «De même qu’ils s’enorgueillissent de la blancheur de leurs vêtements, de même [le font-ils] de leur pâleur et de leur maigreur.» AFIN DE PARAÎTRE JEÛNER, c’est-à-dire d’être abstinents. AUX YEUX DES HOMMES, qui ne voient que l’extérieur, 1 R [1 S] 16, 7. Isidore [écrit] dans son commentaire d’Amos : «Ceux qui s’abstiennent de nourriture et se comportent mal imitent les démons, qui pèchent et ne se nourrissent pas.» Chrysostome [écrit] : «Si quelqu’un jeûne et se rend triste, il est hypocrite. Combien plus méchant est celui qui ne jeûne pas, mais, par certains signes de son visage, feint une pâleur empruntée !»

932. EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS. Ici est ajoutée leur condamnation. Ainsi, [le Seigneur] dit : EN VÉRITÉ, c’est-à-dire : VRAIMENT, JE VOUS LE DIS, ILS ONT REÇU LEUR RÉCOMPENSE, mais non pas de Dieu, la louange qu’ils recherchaient. Grégoire [écrit] dans ses homélies : «La chair est inutilement affaiblie si l’âme ne met pas un frein à ses voluptés.»
Louis-Claude Fillion
Ce verset contient les deux dernières demandes et la conclusion de l’Oraison dominicale. - Sixième demande : Et ne nous abandonnez pas... Le souvenir de nos fautes passées, qui vient d’être excité vivement dans notre esprit, produit à son tour le sentiment de notre effrayante faiblesse. Nous avons péché, nous pouvons pécher encore, car le mal est toujours là qui nous harcèle au dedans et au dehors, sous mille formes diverses, se servant de tout pour nous tenter et nous perdre. Comment lui résister, sinon en recourant à notre Père ? Nous le prions donc de ne nous pas induire dans la tentation. Qu’est-ce à dire ? Cela signifie-t-il qu’il est lui-même l’auteur des tentations qui nous assaillent ? Non certainement, « lui... ne tente personne », Jac. 1, 13 ; il faut, pour devenir tentateur, une malice intrinsèque incompatible avec sa perfection souveraine. Sa Providence peut bien permettre que nous soyons tentés, mais alors elle aura soin de nous munir de secours suffisants pour assurer notre victoire. Cf. 1 Cor. 10, 13. Cela signifie-t-il que nous souhaitons l’éloignement absolu de toute tentation ? Pas davantage, un pareil souhait serait irréalisable en cette vie. Il reste donc à traduire comme nous le faisons en français : « Ne nous laissez pas succomber à la tentation ». - Septième demande : Mais libérez-nous du mal. Nous retrouvons, touchant le mot « mal », l’incertitude et la discussion accoutumées ; Cf. v. 37 et l’explication. Est-il au masculin de manière à représenter le démon, l’être mauvais par excellence (« le malin », dit une vieille traduction française) ? Est-il au neutre et désigne-t-il le mal envisagé comme une terrible puissance qui nous menace de toutes parts ? Les Pères grecs et quelques commentateurs à leur suite favorisent le premier sentiment, et c’est ainsi qu’ils parviennent à confondre la sixième et la septième demande en une seule. Après avoir parlé de la tentation, Jésus montrerait du doigt son auteur principal. Mais non, cette phrase n’est pas une simple variante de la précédente : elle a une extension beaucoup plus considérable. C’est ce que nous apprend l’Église dans la belle prière « Délivrez-nous » qu’elle fait réciter au prêtre immédiatement après le « Pater ». Reprenant la dernière parole du Sauveur pour en fixer le sens par un développement authentique, « Délivre-nous de tout mal, Seigneur, et donne la paix à notre temps ; par ta miséricorde, libère-nous du péché ». Délivrez-nous du mal, quel qu’il soit, parce que, sous ses apparitions multiples, il agit toujours à l’encontre de votre royaume ; du mal passé, ou de nos péchés d’autrefois qui ont laissé en nous des traces funestes, quoique pardonnés, des ennemis de tout genre qui nous pressent dans le présent, de vos châtiments futurs que nous n’avons que trop encourus, des peines innombrables qui nous accablent. On le voit, c’est par une pétition universelle quoique négative dans sa forme, c’est par un désir ardent et général de la rédemption messianique que s’achève la prière qui nous a été enseignée par Jésus. - Vient enfin un court épilogue, Amen, que S. Jérôme appelle le « cachet de l'oraison dominicale ». En vérité ! Cf. v. 18, c’est-à-dire que nos demandes se réalisent (d’après les 70), ainsi -soit-il ! - Dans le texte grec, avant cet amen final, on lit encore la Doxologie suivante : « Car c'est à toi qu'appartiennent le règne, la puissance et la gloire, pendant les siècles ! ». Quand même Euthymius n’affirmerait pas expressément que c’est là « une conclusion solennelle ajoutée par les saintes lumières et les chefs de l’Église », il y aurait des raisons très sérieuses de mettre en doute son authenticité. 1° Elle fait défaut dans presque toutes les anciennes versions et dans les manuscrits grecs les plus importants au point de vue de la critique ou de l’antiquité ; tous les Pères latins et plusieurs Pères grecs l’omettent semblablement dans leurs citations. 2° Comme elle est en conformité parfaite avec l’esprit de l’Oraison dominicale, sa disparition demeurerait inexplicable, dans le cas où elle aurait existé dans le texte primitif de S. Matthieu. 3° Ajoutée par les autorités ecclésiastiques comme une de ces terminaisons générale qui concluent toutes les prières liturgiques, elle obtint aisément droit de cité dans quelques manuscrits et versions.
Fulcran Vigouroux
« Ne nous induisez point en tentation. On ne prie par seulement pour s’empêcher de succomber à la tentation, mais pour la prévenir, conformément à cette parole : Veillez et priez, de peur que vous n’entriez en tentation. Non seulement de peur que vous n’y succombiez, mais de peur que vous n’y entriez. Il faut entendre par ces paroles la nécessité de prier en tout temps, et quand le besoin presse, et avant qu’il ne presse. N’attendez pas la tentation ; car alors le trouble et l’agitation de l’esprit vous empêcheront de prier. Priez avant la tentation et prévenez l’ennemi. ― Délivrez-nous du mal. L’Eglise explique : Délivrez-nous de tout mal passé, présent et à venir. Le mal passé, mais qui laisse de mauvais restes, c’est le péché commis ; le mal présent, c’est le péché où nous sommes encore ; le mal à venir, c’est le péché que nous avons à craindre. Tous les autres maux ne sont rien qu’autant qu’ils nous portent au péché par le murmure et l’impatience. C’est principalement en cette vue que nous demandons d’être délivrés des autres maux. Délivrez-nous du mal. Délivrez-nous du péché et de toutes les suites du péché, par conséquent de la maladie, de la douleur, de la mort ; afin que nous soyons parfaitement libres. Alors aussi nous serons souverainement heureux. » (BOSSUET.)
Pape Benoît XVI
Le développement a besoin de chrétiens qui aient les mains tendues vers Dieu dans un geste de prière, conscients du fait que l’amour riche de vérité, caritas in veritate, d’où procède l’authentique développement, n’est pas produit par nous, mais nous est donné. C’est pourquoi, même dans les moments les plus difficiles et les situations les plus complexes, nous devons non seulement réagir en conscience, mais aussi et surtout nous référer à son amour. Le développement suppose une attention à la vie spirituelle, une sérieuse considération des expériences de confiance en Dieu, de fraternité spirituelle dans le Christ, de remise de soi à la Providence et à la Miséricorde divine, d’amour et de pardon, de renoncement à soi-même, d’accueil du prochain, de justice et de paix. Tout cela est indispensable pour transformer les «cœurs de pierre » en « cœurs de chair » (Ez 36, 26), au point de rendre la vie sur terre « divine » et, par conséquent, plus digne de l’homme. Tout cela vient à la fois de l’homme, parce que l’homme est le sujet de son existence, et de Dieu, parce que Dieu est au principe et à la fin de tout ce qui a de la valeur et qui libère: « Le monde et la vie et la mort, le présent et l’avenir: tout est à vous ! Mais vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu » (1 Co 3, 22-23). Le chrétien désire ardemment que toute la famille humaine puisse appeler Dieu « Notre Père ! ». Avec le Fils unique, puissent tous les hommes apprendre à prier le Père et à Lui demander, avec les mots que Jésus lui-même nous a enseignés, de savoir Le sanctifier en vivant selon Sa volonté, et ensuite d’avoir le pain quotidien nécessaire, d’être compréhensifs et généreux à l’égard de leurs débiteurs, de ne pas être mis à l’épreuve à l’excès et d’être délivrés du mal (cf. Mt 6, 9-13) !