Matthieu 6, 25
C’est pourquoi je vous dis : Ne vous souciez pas, pour votre vie, de ce que vous mangerez, ni, pour votre corps, de quoi vous le vêtirez. La vie ne vaut-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que les vêtements ?
C’est pourquoi je vous dis : Ne vous souciez pas, pour votre vie, de ce que vous mangerez, ni, pour votre corps, de quoi vous le vêtirez. La vie ne vaut-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que les vêtements ?
Ou bien encore, comme les pensées des infidèles sont perverties à l'égard des choses de l'autre vie et qu'ils demandent avec mauvaise foi quelle sera la forme de nos corps à la résurrection, quelle sera leur nourriture pendant l'éternité, le Seigneur met à néant ces questions aussi sottes qu'inutiles par cette réponse : « Est-ce que l'âme n'est pas plus que la nourriture ? » Il ne veut pas que l'espérance que nous avons de la résurrection s'arrête à ces misérables inquiétudes sur le manger, le boire et le vêtement ; il ne veut pas qu'on lui fasse outrage en le croyant incapable de nous accorder ces choses si minimes, alors qu'il nous rendra et notre corps et notre âme.
En parlant ainsi le Sauveur ne suppose pas que l'âme ait besoin de nourriture (car elle est incorporelle), mais il se sert ici d'un langage reçu ; d'ailleurs l'âme ne peut rester dans le corps qu'à la condition pour celui-ci de prendre de la nourriture.
On peut encore établir autrement la liaison des paroles du Sauveur. Comme il venait d'enseigner le mépris des richesses, on pouvait donc dire : « Comment pourrons-nous vivre si nous abandonnons tout ce que nous possédons ? » Il répond en ajoutant : « C'est pourquoi je vous dis : Ne vous laissez pas préoccuper, » etc.
Ce ne sont pas les préoccupations de l'esprit, mais le travail de nos bras qui doit nous procurer notre pain ; Dieu le donne libéralement au travail comme récompense, mais il le retire à la négligence pour la punir. Le Seigneur affermit notre espérance à cet égard, premièrement, par ce raisonnement du plus au moins, en disant : « Est-ce que la vie n'est pas plus que la nourriture et le corps plus que le vêtement ? »
S'il n'avait pas voulu conserver les êtres qui existent, il ne les aurait pas créés. Or, en leur donnant l'existence, il a établi qu'elles se conserveraient au moyen de la nourriture ; il doit donc leur procurer cette nourriture, tant qu'il veut que se prolonge l'existence qu'il leur a donnée.
Dans quelques exemplaires on lit cette addition : « Ni de ce que vous boirez. » Nous ne sommes donc pas délivrés entièrement de tout soin en ce qui concerne les biens que la nature accorde également à tous les êtres, et qui sont communs aux animaux sauvages et domestiques aussi bien qu'aux hommes. Mais Dieu nous défend d'avoir de l'inquiétude à l'égard de notre nourriture. C'est à la sueur de notre front que nous préparons notre pain ; il faut pour cela du travail, mais point de sollicitude. Ce qui est dit ici doit s'entendre de la nourriture et du vêtement de notre corps. Quant aux vêtements et à la nourriture de l'âme, ils doivent être l'objet constant de notre sollicitude.
Il nous est défendu d'avoir de l'inquiétude à l'égard de notre nourriture, car c'est à la sueur de notre front que nous devons assurer notre subsistance. Il faut donc du travail, mais point de sollicitude.
Celui qui vous a donné les choses les plus élevées vous refuserait-il celles qui sont de moindre importance ?
Ou bien l'âme est mise ici pour la vie animale.
On appelle Euchites (''''''') certains hérétiques qui prétendent qu'il n'est pas permis à un moine de travailler pour le soutien de sa vie, et qu'ils n'embrassent eux-mêmes l'état monastique que pour s'affranchir de tout travail.
Notre-Seigneur nous a enseigné plus haut que celui qui veut aimer Dieu et fuir ce qui l'offense, ne doit pas se flatter de pouvoir servir deux maîtres à la fois, dans la crainte que le coeur ne vienne à se partager par la recherche non du superflu, mais du nécessaire, et que pour se le procurer, l'intention ne soit détournée de sa véritable fin, il ajoute : « C'est pourquoi je vous le dis, ne soyez pas inquiets pour votre vie, de ce que vous mangerez, » etc.
Ils disent donc : ce n'est pas des oeuvres corporelles auxquelles se livrent les laboureurs et les artisans dont l'apôtre a voulu parler lorsqu'il a dit : « Celui qui ne veut pas travailler ne doit pas manger, » (2 Th 2), car il ne pouvait se mettre en contradiction avec ces paroles de l'Évangile : « C'est pourquoi je vous dis ne soyez pas inquiets, » etc. Le travail dont veut parler ici l'Apôtre, ce sont donc les oeuvres spirituelles dont il a dit ailleurs : « J'ai planté, Apollon a arrosé. » Ces hérétiques prétendent ainsi obéir à la fois à la recommandation de l'Évangile et à celle de l'Apôtre en soutenant que l'Évangile nous a commandé de ne point nous inquiéter des besoins matériels de cette vie, et que c'est de la nourriture et des oeuvres spirituelles que l'Apôtre a dit : « Que celui qui ne veut pas travailler ne mange point. » Il faut donc leur démontrer tout d'abord que ce sont des oeuvres corporelles que l'Apôtre recommande aux serviteurs de Dieu. Il venait de leur dire précédemment : « Vous savez vous-mêmes ce qu'il faut faire pour nous imiter, puisque nous n'avons point causé de troubles parmi vous, nous n'avons mangé gratuitement le pain de personne, mais nous avons travaillé nuit et jour pour n'être à charge à aucun de vous, non pas que nous n'en eussions le droit, mais nous avons voulu vous donner en nous un modèle à imiter. » C'est pour cela que lorsque nous étions auprès de vous, nous vous déclarions que celui qui ne veut pas travailler ne doit pas manger. Que peut-on répondre à des paroles si claires, lorsque nous voyons l'Apôtre consacrer cette doctrine par son exemple, c'est-à-dire par le travail de ses mains. Ne le voyons-nous pas en effet travailler des mains dans ce passage desActes des Apôtres (Ac 18), où il est dit : « Il resta auprès d'Aquila et de son épouse Priscilla et travailla chez eux, car leur métier était de faire des tentes ? » Et cependant le Seigneur avait établi que ce grand Apôtre, comme prédicateur de l'Évangile, comme soldat du Christ, comme planteur de la vigne et pasteur du troupeau, devait vivre de l'Évangile. Toutefois, il n'exigea pas le salaire auquel il avait droit, pour donner dans sa personne un exemple sans réplique à ceux qui étaient portés à exiger ce qui ne leur était pas dû.
Qu'ils prêtent donc l'oreille ceux qui n'ont pas le pouvoir dont l'Apôtre était revêtu, et qui ne pouvant présenter aucune oeuvre spirituelle, voudraient manger un pain qu'ils n'ont gagné par aucun travail corporel. Ils ont ce droit, s'ils sont prédicateurs de l'Évangile, ou ministres de l'autel, ou dispensateurs des sacrements. Si du moins ils possédaient dans le monde des biens qui pouvaient les faire vivre facilement sans travail, et qu'au moment de leur conversion, ils les aient distribués aux pauvres, il faut croire à leur faiblesse, y condescendre, et la supporter, sans faire attention à l'endroit qui a profité de leurs dons, puisque les chrétiens ne forment entre eux qu'une seule société. Mais quant à ceux qui viennent des champs, ou de l'atelier, ou d'une profession vulgaire pour se consacrer à Dieu dans l'état religieux, ils n'ont aucune excuse pour se dispenser du travail des mains. Est-il convenable que les artisans restent oisifs là où les sénateurs se livrent au travail ? Convient-il que des campagnards soient délicats là où les possesseurs de grands domaines ne viennent qu'après avoir quitté toutes les jouissances de la terre ? Ainsi lorsque Notre-Seigneur a dit : « Ne soyez pas inquiets, » son dessein n'est pas qu'on ne puisse chercher à se procurer les biens indispensables à une vie honnête, mais il défend d'avoir l'oeil fixé constamment sur ces biens, et que les prédicateurs de l'Évangile n'en fassent le but de leurs travaux évangéliques, car c'est cette intention qu'il avait appelée plus haut l'oeil du corps.
La Glose
Par les soins temporels qui vous détourneraient des biens de l'éternité.
945. De même, quelqu’un pourrait dire : «Je ne place pas ma fin dans la richesse superflue, mais dans celle qui est nécessaire.» Et le Seigneur interdit cela. C’EST POURQUOI JE VOUS DIS : «NE VOUS INQUIÉTEZ PAS POUR VOTRE ÂME, etc.», non pas que l’âme mange, mais parce que [manger] convient à l’homme qui possède une âme. Ou bien : [VOTRE] ÂME, c’est-à-dire pour la vie de votre âme. Et il détruit ici l’erreur des euthychiens, qui disaient que les hommes apostoliques ne devaient pas travailler. Mais Paul le leur reproche en disant, en 2 Th 3, 10 : Celui qui ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas ! Ainsi, selon l’Apôtre, tous sont tenus [de travailler].
946. Mais je pose la question : est-ce un conseil ou un commandement ? Si c’est un commandement, tous y sont tenus ; si c’est un conseil, il est clair que tous ne le sont pas, car seuls les parfaits sont tenus [d’observer] les conseils. Je dis qu’une chose est un commandement par soi, et une autre en raison d’autre chose : comme lorsque quelqu’un a pris la croix pour aller outre-mer, il est tenu d’aller outre-mer, mais il ne peut y aller qu’en cherchant un navire ; il est donc nécessaire pour lui de chercher un navire. Ainsi, tous sont tenus de conserver [leur] vie, à savoir qu’ils sont tenus de faire tout ce qu’ils font pour cette fin ; de sorte que quiconque n’a pas ce qu’il faut pour conserver [sa] vie est tenu de travailler pour la conserver. Que dit donc [le Seigneur] lorsqu’il dit : NE VOUS INQUIÉTEZ PAS, etc. ? Il faut dire que l’inquiétude désigne une prévoyance accompagnée d’un effort. Or, l’effort est une application intense de l’esprit. Ainsi, dans cette application intense, il peut y avoir péché, à savoir, lorsque l’âme s’applique comme s’il s’agissait de sa fin. Et ainsi ne devons-nous pas être inquiets. C’est pourquoi on lit en Pr 11, 7 : L’espoir de ceux qui s’inquiètent sera anéanti. De même, il peut arriver que l’esprit cherche à acquérir des choses superflues ; et cela est défendu, comme on le voit en Qo 2, 1 : J’ai dit en mon cœur : «J’irai et je serai comblé de richesses.» De même, l’inquiétude peut exister parce que l’esprit s’inquiète trop d’acquérir les choses temporelles et nécessaires ; et c’est de cela qu’il est question en 1 Co 2. De même, certains s’inquiètent avec une certaine crainte et un certain désespoir, car ils craignent le manque, et cette inquiétude est défendue.
947. Vient ensuite : L’ÂME N’EST-ELLE PAS PLUS QUE LA NOURRITURE ? [Le Seigneur] a enseigné d’éviter l’inquiétude même pour les choses nécessaires. Il en donne les raisons. Et la première : que celui qui a donné les grandes choses, donnera [aussi] les petites. Or, Dieu a donné l’âme et le corps. Celui donc qui a donné ces choses pourvoira aux autres.
946. Mais je pose la question : est-ce un conseil ou un commandement ? Si c’est un commandement, tous y sont tenus ; si c’est un conseil, il est clair que tous ne le sont pas, car seuls les parfaits sont tenus [d’observer] les conseils. Je dis qu’une chose est un commandement par soi, et une autre en raison d’autre chose : comme lorsque quelqu’un a pris la croix pour aller outre-mer, il est tenu d’aller outre-mer, mais il ne peut y aller qu’en cherchant un navire ; il est donc nécessaire pour lui de chercher un navire. Ainsi, tous sont tenus de conserver [leur] vie, à savoir qu’ils sont tenus de faire tout ce qu’ils font pour cette fin ; de sorte que quiconque n’a pas ce qu’il faut pour conserver [sa] vie est tenu de travailler pour la conserver. Que dit donc [le Seigneur] lorsqu’il dit : NE VOUS INQUIÉTEZ PAS, etc. ? Il faut dire que l’inquiétude désigne une prévoyance accompagnée d’un effort. Or, l’effort est une application intense de l’esprit. Ainsi, dans cette application intense, il peut y avoir péché, à savoir, lorsque l’âme s’applique comme s’il s’agissait de sa fin. Et ainsi ne devons-nous pas être inquiets. C’est pourquoi on lit en Pr 11, 7 : L’espoir de ceux qui s’inquiètent sera anéanti. De même, il peut arriver que l’esprit cherche à acquérir des choses superflues ; et cela est défendu, comme on le voit en Qo 2, 1 : J’ai dit en mon cœur : «J’irai et je serai comblé de richesses.» De même, l’inquiétude peut exister parce que l’esprit s’inquiète trop d’acquérir les choses temporelles et nécessaires ; et c’est de cela qu’il est question en 1 Co 2. De même, certains s’inquiètent avec une certaine crainte et un certain désespoir, car ils craignent le manque, et cette inquiétude est défendue.
947. Vient ensuite : L’ÂME N’EST-ELLE PAS PLUS QUE LA NOURRITURE ? [Le Seigneur] a enseigné d’éviter l’inquiétude même pour les choses nécessaires. Il en donne les raisons. Et la première : que celui qui a donné les grandes choses, donnera [aussi] les petites. Or, Dieu a donné l’âme et le corps. Celui donc qui a donné ces choses pourvoira aux autres.
Après avoir déraciné l’avarice, Jésus-Christ empêche de
craindre démesurément la pauvreté. - Tout ce passage est admirable ; c’est assurément l’un des plus beaux,
des plus consolants de l’Évangile. Le prédicateur y trouve la matière de développements aussi riches
qu’utiles ; mais la parole de Jésus est ici tellement claire et populaire qu’il suffit à l’exégète de quelques
lignes pour l’expliquer. - « C'est pourquoi », parce qu’il est impossible de servir à la fois Dieu et Mammon. -
Ne vous inquiétez pas. Le grec est plus énergique, et la rédaction de S. Luc l’est davantage encore : « Pour
que vous soyez prévoyants sans angoisse, diligents sans préoccupation, sans anxiété et sans stress. », Cornelius a Lap. Jésus-Christ n’exclut pas une prévoyance modérée, mais seulement l’agitation de l’esprit,
une anxiété pleine de trouble, qui se défie de la Providence. Il faut travailler sans doute pour subvenir à ses
besoins, « Aide-toi ! ». Mais, comme le dit S. Jean Chrysostôme, il faut savoir rejeter toute inquiétude
excessive qui serait une injure envers la bonté de Dieu. « Il faut savoir trimer dur sans inquiétude », S.
Augustin, in h. l. En effet, « le ciel t’aidera ! ». - Pour votre vie : datif de la cause ; représente l’ « anima
vitalis » ou le principe de vie dans l’homme et non pas l’âme proprement dite. - De ce que vous mangerez ; le
grec ajoute « et ce que vous boirez ». - Bien que ces mots, rapprochés de « anima », semblent d’abord former
une singulière association, tout étonnement disparaît si l’on rend à ce substantif, comme nous venons de le
faire, sa vraie signification. La conservation de notre vie dépendant du boire et du manger, et la vie
s’identifiant avec le principe vital, les Hébreux avaient inventé la locution bizarre « manger pour son âme »,
Cf. Ps. 77, 18. - Ce dont vous serez vêtus. Après les vivres, les vêtements : les deux grandes nécessités de
l’homme et, par suite, ses deux sources principales d’inquiétude. « Corps » est au datif pour le même motif
que « anima ». - Selon sa coutume, Jésus complète son instruction en ajoutant les motifs qui l’établissent.
Premier motif : La vie n'est elle pas... La conclusion est sous-entendue, mais on la supplée sans peine : Si la
vie est plus précieuse que la nourriture, si le corps a plus de valeur qu’un vêtement, l’auteur de notre vie, le
créateur de notre corps, ne saura-t-il pas nous donner tout ce qui est nécessaire pour les soutenir ?
Que chacun d’eux, dans sa tâche, se sente astreint à la loi commune du travail et, tout en se procurant ainsi le nécessaire pour leur entretien et leurs œuvres, qu’ils rejettent tout souci excessif et se confient à la providence du Père des cieux (cf. Mt 6, 25).
Le Seigneur se lamente sur les riches, parce qu’ils trouvent dans la profusion des biens leur consolation (Lc 6, 24). " L’orgueilleux cherche la puissance terrestre, tandis que le pauvre en esprit recherche le Royaume des Cieux " (S. Augustin, serm. Dom. 1, 1, 3 : PL 34, 1232). L’abandon à la Providence du Père du Ciel libère de l’inquiétude du lendemain (cf. Mt 6, 25-34). La confiance en Dieu dispose à la béatitude des pauvres. Ils verront Dieu.
" Notre pain ". Le Père, qui nous donne la vie, ne peut pas ne pas nous donner la nourriture nécessaire à la vie, tous les biens " convenables ", matériels et spirituels. Dans le Sermon sur la montagne, Jésus insiste sur cette confiance filiale qui coopère à la Providence de notre Père (cf. Mt 6, 25-34). Il ne nous engage à aucune passivité (cf. 2 Th 3, 6-13) mais veut nous libérer de toute inquiétude entretenue et de toute préoccupation. Tel est l’abandon filial des enfants de Dieu :