Matthieu 6, 4

afin que ton aumône reste dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra.

afin que ton aumône reste dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra.
Saint Ambroise
Toute la morale chrétienne se réduit à la miséricorde et à la piété, et c'est pour cela que le Sauveur place l'aumône en premier lieu : « Lorsque vous faites l'aumône, ne faites point sonner la trompette devant vous. »
Saint Jean Chrysostome
Il oppose trois vertus d'une force toute divine (l'aumône, le jeûne, la prière), aux trois vices contre lesquels il a soutenu lui-même les assauts de la tentation. Le Sauveur a combattu pour nous, en effet, contre la sensualité dans le désert, contre l'avarice sur la montagne, contre la vaine gloire sur le haut du temple. L'aumône qui aime à répandre ses biens (cf. Ps 111, 8) est opposée à l'avarice qui amasse, le jeûne à la sensualité, dont il est le contraire, la prière à la vaine gloire, parce que la vaine gloire est le seul vice qui tire son origine du bien, tandis que tous les autres maux sont le produit d'un principe mauvais ; aussi, loin de la détruire, la vertu lui sert d'aliment. Il n'y a donc d'autre remède contre la vaine gloire que la prière seule.

La trompette c'est toute parole dite, toute oeuvre faite avec un extérieur d'ostentation visible ; par exemple, voici un homme qui, avec intention, fait l'aumône devant témoins ou par l'entremise d'un autre, ou à une personne honorable qui pourra s'acquitter envers lui ; dans d'autres circonstances, il n'en fait pas, ou bien s'il fait l'aumône en secret, il la fait pour s'attirer des louanges, c'est toujours la trompette.

Il est impossible que Dieu laisse dans l'obscurité une seule bonne oeuvre : dans la vie présente il se contente de la produire au grand jour, et il la glorifiera dans l'autre vie, parce qu'il est la gloire de Dieu. Par la même raison, le démon met le mal en évidence parce que le mal fait éclater la puissance de sa méchanceté. Mais à proprement parler, Dieu ne dévoile les bonnes oeuvres que dans cette vie, où les biens ne sont pas communs aux bons et aux méchants ; tous ceux que Dieu y comble de biens peuvent les considérer comme la récompense méritée de leur justice ; sur la terre, au contraire, on ne peut distinguer clairement cette récompense, parce que les richesses y sont le partage des méchants comme des bons.

Ces paroles sont dites par hyperbole et reviennent à celles-ci : S'il est possible, appliquez-vous avec le plus grand soin à vous ignorer vous-mêmes, et à vous cacher l'oeuvre de vos propres mains.

Voici l'interprétation que les Apôtres donnent de ces paroles dans le livre des Canons : La droite est le peuple chrétien qui est à la droite du Christ ; la gauche, le peuple qui est à gauche ; Notre-Seigneur veut donc que le chrétien qui est la droite ne se laisse pas voir lorsqu'il fait l'aumône par l'infidèle qui est à la gauche.

Si vous voulez des spectateurs de vos actions, voici non-seulement les anges et les archanges, mais encore le Dieu souverain maître de toutes choses.
Saint Jérôme
Celui qui sonne de la trompette en faisant l'aumône est un hypocrite, et c'est pour cela qu'il ajoute : « Comme font les hypocrites. »

Ce n'est pas la récompense de Dieu, mais leur récompense ; ils ont fait leurs bonnes oeuvres pour les hommes, ils ont obtenu les louanges des hommes.
Saint Augustin
Les hypocrites, c'est-à-dire les comédiens, jouent le rôle des personnages qu'ils veulent imiter sans qu'ils le soient en effet (celui qui joue le rôle d'Agamemnon n'est pas Agamemnon, mais s'efforce de le paraître). Ainsi, parmi les chrétiens, celui qui dans toute sa vie veut paraître ce qu'il n'est pas est un hypocrite, car il se couvre de l'extérieur du juste sans l'être en réalité, lui qui ne veut que la louange des hommes pour tout fruit de ses bonnes oeuvres.

Selon cette interprétation, il semble qu'il n'y aurait aucun mal à vouloir plaire aux fidèles, et cependant il nous est défendu de nous proposer comme fin de nos bonnes oeuvres la louange des hommes quels qu'ils soient. Cependant si vous cherchez à leur plaire dans vos actions pour les porter à vous imiter, ce n'est pas seulement en présence des fidèles, mais aussi des infidèles que vous devez accomplir vos bonnes oeuvres. Si avec d'autres auteurs vous entendez par la gauche votre ennemi, et que le sens de ces paroles soit que votre ennemi doit ignorer que vous faites l'aumône, comment expliquer que le Seigneur, dans sa miséricorde, ait guéri les malades, entouré des Juifs ses plus cruels ennemis ? Comment, d'ailleurs, accorder ce commandement avec celui qui nous est imposé de faire l'aumône, même à notre ennemi ? « Si votre ennemi a faim, donnez-lui à manger » (Rm 12, 20 ; Pv 21, 21). Quant à la troisième opinion, qui prétend que la gauche signifie l'épouse, elle est ridicule. Comme dans le mariage, disent-ils, les femmes laissent difficilement échapper l'argent de leurs mains, les maris, pour éviter les querelles domestiques, doivent leur cacher ce qu'ils donnent aux pauvres. Mais ce précepte n'est pas donné pour les hommes seuls ; il concerne aussi les femmes. Ainsi, la femme étant obligée de cacher ses aumônes à sa main gauche, dira-t-on que l'homme est la gauche de sa femme ? Si on admet qu'il y a obligation pour eux de se gagner réciproquement à la vertu par le spectacle de leurs bonnes oeuvres, ils ne doivent point se les cacher l'un à l'autre, encore moins commettre un vol pour être agréables à Dieu. Accordons même que la faiblesse de l'un force l'autre de lui dérober la connaissance d'une oeuvre dont il ne pourrait supporter la vue, il n'y a rien en cela d'illicite, mais on ne peut en conclure que la gauche signifie la femme, alors que tout l'ensemble du chapitre s'oppose à cette interprétation. Que vous est-il donc défendu ? De faire ce que le Sauveur condamne dans les hypocrites qui recherchent les louanges des hommes. La gauche nous paraît donc signifier le désir des louanges, et la droite l'intention d'accomplir les commandements de Dieu. Lorsque le désir de la gloire humaine se glisse dans votre âme au moment où vous faites l'aumône, votre gauche devine les secrets de votre droite. Laissez donc votre gauche dans l'ignorance, c'est-à-dire que le désir des louanges des hommes ne trouve point de place dans votre âme. Mais Notre-Seigneur nous défend bien plus sévèrement de laisser la gauche agir seule en nous, que de lui permettre de se mêler aux oeuvres de la droite. Quant au but qu'il s'est proposé dans ce précepte, il nous le fait connaître en ajoutant : « Afin que votre aumône soit dans le secret. » C'est-à-dire dans une bonne conscience qui ne s'ouvre pas aux regards des hommes, ni à leurs discours si souvent mensongers. Votre conscience seule vous suffit pour mériter votre récompense, si vous l'attendez de celui qui seul pénètre dans la conscience, et c'est ce qu'enseignent les paroles suivantes : « Votre Père qui voit dans le secret vous le rendra lui-même. » Un grand nombre d'exemplaires latins portent : « Vous le rendra en public. »

Le Seigneur, en disant à ses disciples : « Prenez garde que votre justice, » etc., n'a parlé de cette vertu que d'une manière générale ; il va maintenant en parcourir les divers degrés.

Ces paroles : « Ne faites pas sonner la trompette devant vous, » se rapportent à ce qu'il a dit plus haut : « Prenez garde de ne pas faire vos bonnes oeuvres devant les hommes. »

Or, ceux qui se rendent coupables d'hypocrisie n'ont à attendre de Dieu, qui examine le fond du coeur, d'autre récompense que le châtiment de leur fourberie ; c'est pour cela qu'il ajoute : « Je vous le dis en vérité, ils ont reçu leur récompense. »

Ces paroles se rapportent à celles qu'il a dites plus haut : « Autrement vous n'aurez pas la récompense de votre Père. » Il ajoute : « Pour vous, lorsque vous faites l'aumône, que votre main gauche ignore ce que fait votre main droite, » et vous ordonne ainsi de faire l'aumône, non pas comme ils la font mais comme il veut qu'elle soit faite. »

Dans les exemplaires grecs, qui sont antérieurs aux latins, on ne trouve pas le mot palam, en public.
Saint Grégoire le Grand
Il en est cependant qui ont l'extérieur de la sainteté, mais qui ne peuvent en atteindre toute la perfection ; on ne doit pas les ranger parmi les hypocrites, car on ne peut assimiler celui qui pèche par faiblesse à celui qui pèche par hypocrisie.
Saint Isidore
Le nom d'hypocrite vient des acteurs qui, dans les spectacles, ont l'habitude de dissimuler leurs traits naturels en appliquant sur leur visage diverses couleurs pour prendre le teint de la personne qu'ils veulent représenter, tantôt un homme, tantôt une femme, le tout pour faire illusion aux spectateurs dans les jeux publics.
La Glose
Peut-être agissaient-ils ainsi pour rassembler le peuple et pour attirer tout le monde à ce spectacle.

C'est pour cela que le Sauveur désigne les lieux fréquentés par le public : « Dans les synagogues et dans les carrefours, et qu'il ajoute : « Pour être honoré des hommes, » marquant ainsi le but qu'on se propose.
Saint Thomas d'Aquin
869. AFIN QUE TON AUMÔNE SOIT SECRÈTE, c’est-à-dire dans le secret de la conscience, selon la Glose. On dit que l’aumône est faite à l’intérieur de la conscience lorsqu’elle est faite pour Dieu, et non parce qu’elle est parfois cachée des hommes. Ainsi, Chrysostome [écrit] : «Celui qui fait l’aumône pour Dieu ne voit personne dans son cœur que Dieu pour qui il la fait ; à l’opposé, il se peut que personne ne soit présent, mais, dans son cœur, il suscite des personnes devant lesquelles il veut s’enorgueillir. L’aumône est faite dans le secret lorsqu’elle n’est pas mélangée aux ténèbres ; la lumière est intérieure, les ténèbres sont extérieures.»

870. ET TON PÈRE. Voilà le quatrième point, à savoir, la promesse faite à celui qui fait [l’aumône]. Ainsi, il dit : ET TON PÈRE QUI VOIT DANS LE SECRET, c’est-à-dire qui est juge des intentions, He 4, [12], et 1 R [1 S] 16, 7 : L’homme voit ce qui paraît à l’extérieur, mais Dieu scrutera le cœur. TE LA RENDRA, c’est-à-dire la récompense, Si 5, 4 : Le Très-Haut est un débiteur patient. Chrysostome [écrit] : «Il est impossible que Dieu laisse cachée une bonne œuvre, car elle est sa gloire. Ainsi donc, si tu veux voir où tu vas, cache-les. En effet, si tu t’efforces de les cacher maintenant, Dieu les proclamera glorieusement en présence de toute la terre.»
Louis-Claude Fillion
Motif pour lequel il faut fuir la publicité dans ses aumônes. Dans le secret : notre bonne œuvre demeurera cachée aux hommes, il est vrai, mais Dieu, pour qui tout se passe au grand jour, la verra et il saura nous en récompenser. - Te le rendra : ce sera une véritable restitution, car, selon le bel axiome populaire : Qui donne aux pauvres prête à Dieu. Cf. Eccli. 39, 15. A la fin de ce verset la Recepta ajoute « en public », de même aux vv. 6 et 18 ; Cf. Luc. 14, 4 : quelque juste que soit l’idée, ce n’en est pas moins une interpolation, comme le prouve l’absence de tout témoin sérieux. - Les Chinois disent au contraire : Répands tes aumônes durant le jour, ta récompense viendra pendant la nuit.
Pape Saint Jean-Paul II
Comment ne pas rappeler, en outre, tous les gestes quotidiens d'accueil, de sacrifice, de soins désintéressés qu'un nombre incalculable de personnes accomplissent avec amour dans les familles, dans les hôpitaux, dans les orphelinats, dans les maisons de retraite pour personnes âgées et dans d'autres centres ou communautés qui défendent la vie? En se laissant inspirer par l'exemple de Jésus « bon Samaritain » (cf. Lc 10, 29-37) et soutenue par sa force, l'Eglise a toujours été en première ligne sur ces fronts de la charité: nombreux sont ses fils et ses filles, spécialement les religieuses et les religieux qui, sous des formes traditionnelles ou renouvelées, ont consacré et continuent à consacrer leur vie à Dieu en l'offrant par amour du prochain le plus faible et le plus démuni. Ils construisent en profondeur la « civilisation de l'amour et de la vie », sans laquelle l'existence des personnes et de la société perd son sens le plus authentiquement humain. Même si personne ne les remarquait et s'ils restaient cachés aux yeux du plus grand nombre, la foi nous assure que le Père, « qui voit dans le secret » (Mt 6, 4), non seulement saura les récompenser, mais les rend féconds dès maintenant en leur faisant porter des fruits durables pour le bien de tous.
Pape Francois
Celui qui ne vit pas la gratuité fraternelle fait de son existence un commerce anxieux ; il est toujours en train de mesurer ce qu’il donne et ce qu’il reçoit en échange. Dieu, en revanche, donne gratuitement au point d’aider même ceux qui ne sont pas fidèles, et « il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons » (Mt 5, 45). Ce n’est pas pour rien que Jésus recommande : « Pour toi, quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite, afin que ton aumône soit secrète » (Mt 6, 3-4). Nous avons reçu la vie gratuitement, nous n’avons pas payé pour l’avoir. Alors nous pouvons tous donner sans rien attendre en retour, faire du bien sans exiger autant de cette personne qu’on aide. C’est ce que Jésus disait à ses disciples : « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (Mt 10, 8).

Cette conversion suppose diverses attitudes qui se conjuguent pour promouvoir une protection généreuse et pleine de tendresse. En premier lieu, elle implique gratitude et gratuité, c’est-à-dire une reconnaissance du monde comme don reçu de l’amour du Père, ce qui a pour conséquence des attitudes gratuites de renoncement et des attitudes généreuses même si personne ne les voit ou ne les reconnaît : « Que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite [...] et ton Père qui voit dans le secret, te le rendra » (Mt 6, 3-4). Cette conversion implique aussi la conscience amoureuse de ne pas être déconnecté des autres créatures, de former avec les autres êtres de l’univers une belle communion universelle. Pour le croyant, le monde ne se contemple pas de l’extérieur mais de l’intérieur, en reconnaissant les liens par lesquels le Père nous a unis à tous les êtres. En outre, en faisant croître les capacités spécifiques que Dieu lui a données, la conversion écologique conduit le croyant à développer sa créativité et son enthousiasme, pour affronter les drames du monde en s’offrant à Dieu « comme un sacrifice vivant, saint et agréable » (Bm 12, 1). Il ne comprend pas sa supériorité comme motif de gloire personnelle ou de domination irresponsable, mais comme une capacité différente, lui imposant à son tour une grave responsabilité qui naît de sa foi.