Matthieu 6, 9
Vous donc, priez ainsi : Notre Père, qui es aux cieux, que ton nom soit sanctifié,
Vous donc, priez ainsi : Notre Père, qui es aux cieux, que ton nom soit sanctifié,
Celui qui nous a donné la vie nous a enseigné aussi à prier, afin qu'en adressant au Père la prière que le Fils nous a lui même apprise, nous soyons plus facilement exaucés. C'est prier Dieu en ami et avec une espèce de familiarité que de se servir de ses propres paroles. Que le Père donc reconnaisse les paroles de son Fils dans nos prières, et puisque ce divin Fils est près du Père l'avocat qui intercède pour nos péchés, lorsque nous venons demander le pardon de nos péchés, empruntons le langage même de notre avocat. Ce ne sont pas cependant les seules paroles dont nous puissions nous servir pour prier ; il en est d'autres qui ont le même sens et qui peuvent également enflammer notre coeur.
Nous ne disons pas : « Mon Père, » mais « Notre Père ; » parce que le Maître de la paix et de l'unité ne veut pas de ces prières individuelles et privées, qui omit pour objet exclusif l'intérêt de celui qui prie. Notre prière a nous doit être publique et commune ; lorsque nous prions, ce n'est pas pour un seul, c'est pour tout le peuple chrétien, car nous ne formons tous qu'un seul peuple, et Dieu a voulu qu'un seul priât pour tous comme il nous a lui-même portés tous en un seul.
Ou bien encore : Nous ne formons pas le souhait que Dieu soit sanctifié par nos prières, mais que son nom soit sanctifié en nous-mêmes. C'est lui qui nous a dit : « Soyez saint comme je suis saint ; » nous le supplions donc, lui qui nous a sanctifiés dans le baptême, de nous faire persévérer dans la sainteté que nous avons reçue.
C'est tous les jours que nous demandons que son nom soit sanctifié, car nous avons besoin de cette sanctification continuelle pour expier les offenses que nous commettons chaque jour de notre vie.
Quel mal peut résulter pour nous de notre parenté d'ici-bas alors que par une alliance bien plus sublime nous ne formons tous qu'une même famille ? Par ce nom seul de Père, nous proclamons le pardon de nos péchés, notre adoption, notre droit à l'héritage, la fraternité qui nous unit au Fils unique, et l'effusion de l'Esprit saint dans nos âmes, car personne ne peut appeler Dieu son Père, s'il n'est en possession de tous ces biens. Notre âme donc se trouve au commencement de la prière élevée tout à la fois et par la dignité de celui qu'elle invoque, et par la grandeur des bienfaits dont elle est comblée.
C'est la nécessité qui nous force de prier pour nous, mais c'est la charité fraternelle qui nous inspire de prier pour les autres. Or la prière qu'inspire l'amour de la fraternité est plus agréable à Dieu que celle qui est dictée par la nécessité.
Notre-Seigneur ajoute : « Qui êtes dans les cieux, » pour nous apprendre ainsi que nous avons un Père céleste et nous faire rougir lorsque nous nous abaissons au niveau des choses de la terre.
En disant : « Qui êtes dans les cieux, » il n'y renferme pas l'immensité divine, mais il détache simplement de la terre celui qui prie pour le transporter dans les régions plus élevées.
Ou bien il veut que dans la prière nous demandions que Dieu soit glorifié par notre vie, comme si nous disions à Dieu : « Accordez-nous de vivre de manière que notre vie soit pour toutes les créatures un sujet de vous louer et de vous glorifier, » car l'expression : « Qu'il soit sanctifié » est la même que celle-ci : Qu'il soit glorifié. Or, pour être digne de Dieu, la prière ne doit rien demander avant la gloire du Père, et doit subordonner tout à ses louanges.
Dans toute prière il faut avant tout se concilier la bienveillance de celui qu'on prie, et lui exposer ensuite l'objet de notre demande. C'est par la louange qu'on se concilie cette bienveillance, et on la place ordinairement au commencement de la prière. La loi contenait bien des préceptes sur la manière dont Dieu devait être loué, mais on n'en trouve aucun qui enjoigne au peuple d'Israël d'appeler Dieu notre Père (cf. Is 1, 2 ; 63, 16 ; 64, 8 ; Ps 81, 6 ; Ml 1, 6 ; Sg 14, 3 ; Si 23, 1.4). Car Dieu ne leur était présenté que comme un maître qui commande à ses serviteurs, et non comme un père plein de tendresse pour ses enfants. Le peuple chrétien au contraire, d'après le témoignage de l'Apôtre a reçu l'esprit d'adoption dans lequel nous crions : « Mon Père, mon Père, » non point sans doute par l'effet de nos mérites, mais par la grâce qui nous fait dire dans la prière : « Mon Père. » Ce nom excite à la fois la charité dans nos coeurs (car qu'y a-t-il de plus cher à des enfants que leur père), un sentiment d'affectueuse supplication, qui nous fait dire à Dieu : « Notre Père, » et l'espérance presque certaine d'obtenir ce que nous demandons. Car que peut-il refuser à ses enfants qui le prient, après le bienfait inestimable de cette filiation divine ? Enfin avec quelle sollicitude celui qui dit : « Notre Père » doit veiller à ne pas se rendre indigne d'une si auguste filiation ? Ceux qui ont les richesses en partage, ou qui se glorifient d'une illustre origine doivent apprendre, du moment qu'ils sont devenus chrétiens, à ne point se conduire avec hauteur à l'égard de ceux qui sont pauvres ou de condition obscure, puisque tous ensemble ils disent à Dieu : « Notre Père, » parole qui ne peut avoir dans leur bouche ni l'accent de la piété, ni celui de la vérité, s'ils ne les reconnaissent pour leurs frères.
Ou bien ces paroles : « Dans les cieux, » veulent dire : Dans les saints et dans les justes, car Dieu ne peut être renfermé dans l'espace. On entend ordinairement par les cieux les parties de cet univers dont la nature est plus parfaite, et si l'on admet qu'elles sont le séjour de Dieu, il faudra dire que les oiseaux sont de meilleure condition que nous, puisqu'ils vivent dans des lieux plus rapprochés de Dieu. Or, il n'est pas écrit : « Le Seigneur est proche des hommes qui habitent les lieux élevés ou les montagnes, » mais : « Il est proche de ceux qui ont le coeur contrit » (Ps 33, 19). Mais de même que le pécheur est appelé terre et que Dieu lui a dit : « Tu es terre et tu retourneras en terre, » ainsi par une raison contraire le nom de ciel convient parfaitement aux justes. C'est donc avec raison que nous disons : « Qui êtes dans les cieux, » c'est-à-dire qui êtes dans les justes, car la distance spirituelle qui sépare les justes des pécheurs est aussi grande que la distance qui, dans le monde visible, sépare le ciel de la terre. C'est pour cela que lorsque nous prions nous nous tournons vers l'orient d'où nous voyons le ciel se lever. Ce n'est pas que Dieu y soit d'une manière particulière, à l'exclusion des autres parties du monde, mais c'est pour rappeler à notre âme qu'elle doit se tourner vers la nature plus parfaite de Dieu, en même temps que notre corps qui est terrestre se tourne vers un corps céleste qui est aussi plus parfait. Il est convenable aussi que tous, les petits comme les grands, se servent de leurs sens pour concevoir des sentiments dignes de Dieu, et pour ceux qui ne peuvent se faire une idée d'un être incorporel, il vaut mieux encore croire que Dieu est dans le ciel que sur la terre.
Le Sauveur nous a fait connaître celui à qui doit s'adresser notre prière et le lieu qu'il habite, voyons maintenant quel doit être l'objet de nos prières. La première de toutes les demandes est celle-ci : « Que votre nom soit sanctifié. » Cette demande ne suppose pas que le nom de Dieu ne soit pas saint par lui-même, mais elle exprime le désir que la sainteté de ce nom soit reconnue par tous les hommes c'est-à-dire que les hommes aient une connaissance si parfaite de Dieu qu'ils n'estiment rien de plus saint que lui.
Mais pourquoi demander cette persévérance à Dieu, si, comme le prétendent les Pélagiens, Dieu ne peut la donner ? N'est-ce pas une dérision que de lui demander ce qu'on sait qu'il ne peut donner, et ce qui est au pouvoir de l'homme sans le concours de sa grâce ?
La Glose
Parmi les enseignements salutaires et les conseils divins que Notre-Seigneur donne à ceux qui croient en lui, il leur propose une formule de prière, et cette formule renferme peu de paroles ; il veut que cette brièveté même qu'il nous commande nous inspire la confiance d'être promptement exaucés. Cette prière commence ainsi : « Notre Père qui êtes dans les cieux. »
Nous disons : « Notre Père, » expression qui est commune à tous les chrétiens, et non pas : « Mon Père, » ce qui n'appartient qu'à Jésus-Christ seul, qui est fils par nature.
893. VOUS PRIEREZ DONC AINSI. Plus haut, le Seigneur a enseigné la manière de prier, à savoir, en évitant la vanité des hypocrites et le bavardage des Gentils ; ici, il enseigne ce que nous devons demander dans la prière, et, à ce sujet, il fait deux choses : premièrement, il présente le titre de la prière ; deuxièmement, il présente la prière.
894. [Le Seigneur] poursuit donc ce qu’il avait dit auparavant : «J’ai dit : “Quand vous priez, ne rabâchez pas, etc.” Donc, pour employer peu de mots, VOUS PRIEREZ AINSI.» Et remarque que le Seigneur ne dit pas : «Vous direz cela», mais : «Vous prierez ainsi». En effet, il n’interdit pas que nous puissions prier en utilisant d’autres mots, mais il enseigne la manière de prier. Ainsi, Augustin [écrit] dans le Livre à Proba sur la prière : «Personne ne prie comme il le doit s’il ne demande pas quelque chose qui se trouve dans la prière du Seigneur.» Car, il convient que nous priions par ces mots parce que, comme le dit Cyprien dans le livre sur la prière du Seigneur : «C’est une prière amicale et familière que de demander au Seigneur ce qui lui appartient.» Et il donne un exemple : c’est l’usage, en effet, chez les avocats de mettre dans la bouche de certaines personnes ce qu’elles doivent dire lors d’un procès. Ainsi, cette prière est la plus sûre, comme si elle avait été formulée par notre avocat, qui est le plus sage, en qui se trouvent tous les trésors [de la sagesse et de la science], Col 2, 3. Cyprien dit donc : «Puisque nous avons le Christ auprès du Père comme avocat pour nos péchés, quel plaisir pour nous que de demander en exprimant les paroles de notre avocat !» 1 Jn 2, 1 : Nous avons un avocat. C’est pourquoi il est dit en He 4, 16 : Approchons-nous avec confiance, etc. Jc 1, 6 : Qu’il demande avec foi.
895. Et cette prière comporte trois éléments : la brièveté, la perfection et l’efficacité. La brièveté, pour deux raisons : d’abord, afin que tous l’apprennent facilement, les petits comme les grands, car Celui-là même qui est le Seigneur de tous est riche, Rm 10, 12 ; en deuxième lieu, afin de donner confiance en la facilité de demander. Elle est aussi parfaite, d’où Is 10, 23 : Une parole brève, et, comme le dit Augustin, «tout ce qui peut être compris dans les autres prières est entièrement compris dans celle-ci». Il dit ainsi que «si nous prions convenablement et correctement, quels que soient les mots que nous disions, nous ne disons rien d’autre que ce qui est présent dans la prière du Seigneur». Dt 32, 4 : Les œuvres de Dieu sont parfaites. Elle est efficace, car «la prière, selon [Jean] Damascène, est la demande à Dieu de ce qui convient». Jc 4, 3 : Vous demandez et vous ne recevez pas. Or, savoir ce qu’il faut demander est très difficile, de même que ce qu’il faut désirer, Rm 8, 26 : Car nous ne savons pas comment prier, mais Lui. Et parce que Dieu a enseigné cette prière, elle est donc la plus efficace ; c’est pourquoi il est dit en Lc 11, 1 : Seigneur, enseigne-nous.
896. Or, dans cette prière, le Seigneur fait deux choses : premièrement, il présente la prière ; deuxièmement, il donne la raison de la prière, en cet endroit : EN EFFET, SI VOUS REMETTEZ [6, 14].
897. Car il faut savoir qu’en tout discours, même dans celui des rhéteurs, [on s’efforce] de gagner la bienveillance avant [de présenter] une demande. Ainsi, comme c’est le cas dans le discours qui est adressé aux hommes, de même doit-il en être dans le discours qui est adressé à Dieu, mais avec une intention différente, car, chez l’homme, on gagne la bienveillance en fléchissant son esprit, mais, chez Dieu, en élevant notre esprit vers Lui.
898. Le Seigneur présente donc deux choses qui sont nécessaires pour que celui qui prie obtienne la bienveillance : en effet, il est nécessaire qu’il croie en celui à qui il fait une demande et que (celui-ci) veuille et puisse donner. Et ainsi, [Jésus] dit : NOTRE PÈRE QUI ES AUX CIEUX. Or, il dit PÈRE pour cinq raisons. Premièrement, pour l’enseignement de la foi : en effet, la foi est nécessaire à celui qui prie. Car la prière a été écartée par trois erreurs, dont deux détruisaient complètement la prière, et la troisième lui accordait plus qu’il ne fallait. Ces [erreurs] sont écartées par le fait que [Jésus] dit : NOTRE PÈRE. Car, certains ont dit que Dieu ne s’occupe pas des choses humaines, Ez 9, 9 : Dieu a abandonné, de sorte que, selon [cette opinion], c’est en vain qu’on demande quelque chose à Dieu. D’autres ont dit que Dieu possède une providence, mais que cette providence impose une nécessité aux choses. La troisième erreur allait plus loin, car elle disait que Dieu dispose de tout par sa providence, mais que, par la prière, la providence divine est changée. Or, ces erreurs sont écartées par le fait que [Jésus] dit : NOTRE PÈRE QUI ES AUX CIEUX., car, s’Il est PÈRE, Il possède une providence, Sg 14, 3 : Et toi, Père. De même, la seconde (erreur) est écartée : en effet, on parle de père par rapport à un fils et de seigneur par rapport à un serviteur. Ainsi, par le fait que nous disons «Père», nous nous disons enfants. Car on ne trouve presque jamais dans la Sainte Écriture que Dieu soit appelé Père des créatures insensibles, bien qu’il en soit autrement en Jb 38, 28 : Qui est le père de la pluie ? On parle de père par rapport au fils et, pour cette raison, nous nous appelons fils. En effet, être fils comporte d’être libres. Il ne nous est donc pas imposé de contrainte. En disant : QUI ES AUX CIEUX, on écarte une attitude changeante. La prière fait donc en sorte que nous croyions que Dieu dispose toutes choses d’une manière qui convient à leur nature. En effet, la providence veut que l’homme atteigne sa fin par ses actes. Ainsi, la prière ne change pas la providence et elle n’échappe pas à la providence, mais elle lui est soumise.
899. [La prière] est donc d’abord faite en vue de l’éducation de la foi. En deuxième lieu, [elle est faite en vue] de l’élévation de l’espérance. En effet, si [Dieu] est PÈRE, il veut donner, car, comme il est dit plus loin, 7, 11, si vous, qui êtes mauvais, etc. Troisièmement, [elle est faite] en vue de stimuler la charité : en effet, il est naturel qu’un père aime son fils, et inversement, Ep 5, 1 : Soyez les imitateurs. En cela, nous sommes donc appelés à l’imitation, car le fils doit imiter le père autant qu’il le peut, Jr 3, 19 : Tu m’appelleras père. Quatrièmement, [par la prière] nous sommes appelés à l’humilité, Ml 1, 6 : Si moi, qui suis père. Cinquièmement, par cela nos sentiments s’orientent vers le prochain, Ml 2, 10 : N’existe-t-il pas un seul père pour tous. Mais pourquoi ne disons-nous pas : «Mon Père» ? Il existe une double raison : en premier lieu, le Christ a voulu se réserver cela en propre parce qu’ils est Fils par nature, et nous, par adoption, ce qui est commun à tous, Jn 20, 17 : Je monte vers mon Père, etc. ; en second lieu, parce que, selon Chrysostome, le Seigneur nous enseigne non pas à faire des prières individuelles, mais à prier collectivement pour tout le peuple, cette prière étant mieux accueillie par Dieu. Chrysostome [écrit donc] : «Aux yeux de Dieu, la prière est plus douce, non pas si elle fait part d’une nécessité, mais si elle est [suscitée] par la charité, etc.»
900. La seconde chose qui se rapporte à l’obtention de la bienveillance est [exprimée par] : QUI ES AUX CIEUX. Ceci comporte une double explication. Premièrement, selon la lettre, en comprenant les cieux corporels, non pas que [Dieu] y soit enfermé, car Jr 23, 24 dit : [Est-ce que je ne remplis pas] les cieux ?, mais [le mot] est utilisé en raison de l’éminence même de cette créature, d’après le dernier chapitre d’Is [56, 1] : Le ciel est mon trône. De plus, ceux qui ne peuvent s’élever au-dessus des choses corporelles sont ainsi informés ; c’est pourquoi Augustin dit que c’est la raison pour laquelle nous adorons tournés vers l’orient, parce que le ciel se lève à l’orient, et autant le ciel est supérieur à notre corps, autant Dieu [l’est] à notre esprit. Il est donc donné à entendre que notre esprit doit se convertir à Dieu lui-même, comme notre corps est tourné vers le ciel quand nous prions. Il dit donc : QUI ES AUX CIEUX, afin que ton intention soit détournée des choses terrestres, 1 P 1, 4 : En vue d’un héritage incorruptible. Ou bien par CIEUX, sont signifiés les saints, selon ce que dit Is 1, 2 : Cieux, écoutez ; Ps [21, 4] : Toi, tu habites le saint, etc. Et il dit cela en vue d’une plus grande confiance d’obtenir, car Il n’est pas loin de nous, Jr 14, 9 : Tu es en nous, Seigneur.
901. QUE [TON NOM] SOIT SANCTIFIÉ. Ici sont présentées les demandes. Parlons d’abord des [demandes] d’une manière générale, et ensuite, d’une manière particulière. Dans ces demandes, nous devons considérer trois choses. En effet, la demande est au service du désir, car nous demandons ce que nous voulons posséder. Or, dans cette prière, tout ce que nous pouvons désirer est inclus. En second lieu, s’y trouve l’ordre selon lequel nous devons désirer. En troisième lieu, ces demandes correspondent aux dons et aux béatitudes.
902. Car il faut savoir que l’homme désire naturellement deux choses, à savoir, obtenir le bien et éviter le mal. Or, quatre biens qui doivent être désirés sont ici présentés. Car le désir s’oriente d’abord vers la fin, plutôt que vers ce qui est ordonné à cette fin. Or, la fin ultime de toutes choses est Dieu. En conséquence, la première chose désirable doit être l’honneur de Dieu, 1 Co 10, 31 : Faites tout pour l’honneur de Dieu. Et c’est cela que nous demandons en premier lieu, en cet endroit : QUE TON NOM SOIT SANCTIFIÉ. Parmi les choses qui nous concernent, la fin ultime est la vie éternelle, et c’est cela que nous demandons lorsque nous disons : QUE TON RÈGNE VIENNE. La troisième chose que nous devons demander concerne ce qui est ordonné à la fin, à savoir, que nous ayons la vertu et de bons mérites, et c’est cela [qui est exprimé] en cet endroit : QUE TA VOLONTÉ [SOIT FAITE]. Et ce que nous demandons à propos des vertus n’est rien d’autre que cela. Ainsi, notre béatitude est ordonnée à Dieu, et les vertus à la béatitude. Mais il est nécessaire de recevoir une aide temporelle ou spirituelle, tels les sacrements de l’Église, et nous le demandons en cet endroit : [DONNE-NOUS] NOTRE PAIN, soit [le pain] extérieur, soit [le pain] sacramentel.
903. Dans ces quatre choses, tout le bien est inclus. Mais l’homme évite le mal dans la mesure où [celui-ci] empêche le bien. Or, le premier bien, à savoir, l’honneur de Dieu, ne peut être empêché, car si la justice [survient], Dieu est honoré, mais si le mal [survient], il est aussi honoré par le fait qu’Il le punit, bien qu’Il ne soit pas honoré par le fait qu’Il est dans celui qui pèche. Or, le péché empêche la béatitude. C’est pourquoi [le Seigneur] l’écarte, en premier lieu, lorsqu’il dit : PARDONNE-NOUS. Le bien des vertus s’oppose à la tentation ; nous demandons donc : ET NE NOUS [SOUMETS PAS À LA TENTATION]. Tout ce qui rend défaillant [s’oppose] à ce qui est nécessaire à la vie ; c’est cela [qu’il dit] : MAIS DÉLIVRE-NOUS [DU MAL].
904. Il est donc clair que tout ce qui est désiré, la prière du Seigneur l’inclut. Et il faut savoir que les dons du Saint-Esprit peuvent être appliqués à ces demandes, mais de manière différente, en montant et en descendant. En montant, de sorte que la première demande soit appliquée à la crainte, qui donne la pauvreté en esprit et fait rechercher la gloire de Dieu. C’est pourquoi nous disons : QUE [TON NOM] SOIT SANCTIFIÉ. En descendant, de sorte que nous disions que le dernier don, à savoir, la sagesse qui rend fils de Dieu, est appliqué à cette demande.
905. Mais il faut s’occuper de cette demande, car elle semble inconvenante. En effet, le nom de Dieu est toujours saint. Et il faut savoir que ceci est expliqué de diverses façons par les saints. D’abord, par Augustin, et je crois que [son explication] est plus littérale : QUE SOIT SANCTIFIÉ, c’est-à-dire que le nom qui est toujours saint apparaisse saint aux hommes, et c’est cela honorer Dieu. En effet, la gloire de Dieu n’augmente pas de ce fait, mais la connaissance de celle-ci, Si 36, 4 : Comme à nos yeux, etc. Et c’est d’une manière assez convenable que, après : NOTRE PÈRE QUI ES AUX CIEUX, [le Seigneur] dit : QUE [TON NOM] SOIT SANCTIFIÉ, car rien ne démontre autant qu’on est fils de Dieu. En effet, le bon fils manifeste l’honneur de son père. Selon Chrysostome, QUE [TON NOM] SOIT SANCTIFIÉ, par nos œuvres, comme s’il disait : «Fais-nous vivre de manière que ton nom apparaisse saint par nos œuvres», 1 P 3, 15. Ou bien, selon Cyprien : QUE [TON NOM] SOIT SANCTIFIÉ, c’est-à-dire : «Sanctifie-nous dans ton nom», Jn 17, 17 : Sanctifie-les dans ton nom ; Is 8, 14 : Et il sera pour vous. Et il faut savoir que : QUE SOIT SANCTIFIÉ est d’abord entendu au sens où ceux qui ne sont pas saints deviennent saints. En effet, cette prière est faite pour tout le genre humain. En deuxième lieu, QUE SOIT SANCTIFIÉ, c’est-à-dire qu’ils persévèrent dans la sainteté. En troisième lieu, QUE SOIT SANCTIFIÉ [soit entendu] au sens où si quelque chose est mêlé à la sainteté, cela soit enlevé. En effet, nous avons besoin tous les jours de sanctification en raison des péchés quotidiens.
894. [Le Seigneur] poursuit donc ce qu’il avait dit auparavant : «J’ai dit : “Quand vous priez, ne rabâchez pas, etc.” Donc, pour employer peu de mots, VOUS PRIEREZ AINSI.» Et remarque que le Seigneur ne dit pas : «Vous direz cela», mais : «Vous prierez ainsi». En effet, il n’interdit pas que nous puissions prier en utilisant d’autres mots, mais il enseigne la manière de prier. Ainsi, Augustin [écrit] dans le Livre à Proba sur la prière : «Personne ne prie comme il le doit s’il ne demande pas quelque chose qui se trouve dans la prière du Seigneur.» Car, il convient que nous priions par ces mots parce que, comme le dit Cyprien dans le livre sur la prière du Seigneur : «C’est une prière amicale et familière que de demander au Seigneur ce qui lui appartient.» Et il donne un exemple : c’est l’usage, en effet, chez les avocats de mettre dans la bouche de certaines personnes ce qu’elles doivent dire lors d’un procès. Ainsi, cette prière est la plus sûre, comme si elle avait été formulée par notre avocat, qui est le plus sage, en qui se trouvent tous les trésors [de la sagesse et de la science], Col 2, 3. Cyprien dit donc : «Puisque nous avons le Christ auprès du Père comme avocat pour nos péchés, quel plaisir pour nous que de demander en exprimant les paroles de notre avocat !» 1 Jn 2, 1 : Nous avons un avocat. C’est pourquoi il est dit en He 4, 16 : Approchons-nous avec confiance, etc. Jc 1, 6 : Qu’il demande avec foi.
895. Et cette prière comporte trois éléments : la brièveté, la perfection et l’efficacité. La brièveté, pour deux raisons : d’abord, afin que tous l’apprennent facilement, les petits comme les grands, car Celui-là même qui est le Seigneur de tous est riche, Rm 10, 12 ; en deuxième lieu, afin de donner confiance en la facilité de demander. Elle est aussi parfaite, d’où Is 10, 23 : Une parole brève, et, comme le dit Augustin, «tout ce qui peut être compris dans les autres prières est entièrement compris dans celle-ci». Il dit ainsi que «si nous prions convenablement et correctement, quels que soient les mots que nous disions, nous ne disons rien d’autre que ce qui est présent dans la prière du Seigneur». Dt 32, 4 : Les œuvres de Dieu sont parfaites. Elle est efficace, car «la prière, selon [Jean] Damascène, est la demande à Dieu de ce qui convient». Jc 4, 3 : Vous demandez et vous ne recevez pas. Or, savoir ce qu’il faut demander est très difficile, de même que ce qu’il faut désirer, Rm 8, 26 : Car nous ne savons pas comment prier, mais Lui. Et parce que Dieu a enseigné cette prière, elle est donc la plus efficace ; c’est pourquoi il est dit en Lc 11, 1 : Seigneur, enseigne-nous.
896. Or, dans cette prière, le Seigneur fait deux choses : premièrement, il présente la prière ; deuxièmement, il donne la raison de la prière, en cet endroit : EN EFFET, SI VOUS REMETTEZ [6, 14].
897. Car il faut savoir qu’en tout discours, même dans celui des rhéteurs, [on s’efforce] de gagner la bienveillance avant [de présenter] une demande. Ainsi, comme c’est le cas dans le discours qui est adressé aux hommes, de même doit-il en être dans le discours qui est adressé à Dieu, mais avec une intention différente, car, chez l’homme, on gagne la bienveillance en fléchissant son esprit, mais, chez Dieu, en élevant notre esprit vers Lui.
898. Le Seigneur présente donc deux choses qui sont nécessaires pour que celui qui prie obtienne la bienveillance : en effet, il est nécessaire qu’il croie en celui à qui il fait une demande et que (celui-ci) veuille et puisse donner. Et ainsi, [Jésus] dit : NOTRE PÈRE QUI ES AUX CIEUX. Or, il dit PÈRE pour cinq raisons. Premièrement, pour l’enseignement de la foi : en effet, la foi est nécessaire à celui qui prie. Car la prière a été écartée par trois erreurs, dont deux détruisaient complètement la prière, et la troisième lui accordait plus qu’il ne fallait. Ces [erreurs] sont écartées par le fait que [Jésus] dit : NOTRE PÈRE. Car, certains ont dit que Dieu ne s’occupe pas des choses humaines, Ez 9, 9 : Dieu a abandonné, de sorte que, selon [cette opinion], c’est en vain qu’on demande quelque chose à Dieu. D’autres ont dit que Dieu possède une providence, mais que cette providence impose une nécessité aux choses. La troisième erreur allait plus loin, car elle disait que Dieu dispose de tout par sa providence, mais que, par la prière, la providence divine est changée. Or, ces erreurs sont écartées par le fait que [Jésus] dit : NOTRE PÈRE QUI ES AUX CIEUX., car, s’Il est PÈRE, Il possède une providence, Sg 14, 3 : Et toi, Père. De même, la seconde (erreur) est écartée : en effet, on parle de père par rapport à un fils et de seigneur par rapport à un serviteur. Ainsi, par le fait que nous disons «Père», nous nous disons enfants. Car on ne trouve presque jamais dans la Sainte Écriture que Dieu soit appelé Père des créatures insensibles, bien qu’il en soit autrement en Jb 38, 28 : Qui est le père de la pluie ? On parle de père par rapport au fils et, pour cette raison, nous nous appelons fils. En effet, être fils comporte d’être libres. Il ne nous est donc pas imposé de contrainte. En disant : QUI ES AUX CIEUX, on écarte une attitude changeante. La prière fait donc en sorte que nous croyions que Dieu dispose toutes choses d’une manière qui convient à leur nature. En effet, la providence veut que l’homme atteigne sa fin par ses actes. Ainsi, la prière ne change pas la providence et elle n’échappe pas à la providence, mais elle lui est soumise.
899. [La prière] est donc d’abord faite en vue de l’éducation de la foi. En deuxième lieu, [elle est faite en vue] de l’élévation de l’espérance. En effet, si [Dieu] est PÈRE, il veut donner, car, comme il est dit plus loin, 7, 11, si vous, qui êtes mauvais, etc. Troisièmement, [elle est faite] en vue de stimuler la charité : en effet, il est naturel qu’un père aime son fils, et inversement, Ep 5, 1 : Soyez les imitateurs. En cela, nous sommes donc appelés à l’imitation, car le fils doit imiter le père autant qu’il le peut, Jr 3, 19 : Tu m’appelleras père. Quatrièmement, [par la prière] nous sommes appelés à l’humilité, Ml 1, 6 : Si moi, qui suis père. Cinquièmement, par cela nos sentiments s’orientent vers le prochain, Ml 2, 10 : N’existe-t-il pas un seul père pour tous. Mais pourquoi ne disons-nous pas : «Mon Père» ? Il existe une double raison : en premier lieu, le Christ a voulu se réserver cela en propre parce qu’ils est Fils par nature, et nous, par adoption, ce qui est commun à tous, Jn 20, 17 : Je monte vers mon Père, etc. ; en second lieu, parce que, selon Chrysostome, le Seigneur nous enseigne non pas à faire des prières individuelles, mais à prier collectivement pour tout le peuple, cette prière étant mieux accueillie par Dieu. Chrysostome [écrit donc] : «Aux yeux de Dieu, la prière est plus douce, non pas si elle fait part d’une nécessité, mais si elle est [suscitée] par la charité, etc.»
900. La seconde chose qui se rapporte à l’obtention de la bienveillance est [exprimée par] : QUI ES AUX CIEUX. Ceci comporte une double explication. Premièrement, selon la lettre, en comprenant les cieux corporels, non pas que [Dieu] y soit enfermé, car Jr 23, 24 dit : [Est-ce que je ne remplis pas] les cieux ?, mais [le mot] est utilisé en raison de l’éminence même de cette créature, d’après le dernier chapitre d’Is [56, 1] : Le ciel est mon trône. De plus, ceux qui ne peuvent s’élever au-dessus des choses corporelles sont ainsi informés ; c’est pourquoi Augustin dit que c’est la raison pour laquelle nous adorons tournés vers l’orient, parce que le ciel se lève à l’orient, et autant le ciel est supérieur à notre corps, autant Dieu [l’est] à notre esprit. Il est donc donné à entendre que notre esprit doit se convertir à Dieu lui-même, comme notre corps est tourné vers le ciel quand nous prions. Il dit donc : QUI ES AUX CIEUX, afin que ton intention soit détournée des choses terrestres, 1 P 1, 4 : En vue d’un héritage incorruptible. Ou bien par CIEUX, sont signifiés les saints, selon ce que dit Is 1, 2 : Cieux, écoutez ; Ps [21, 4] : Toi, tu habites le saint, etc. Et il dit cela en vue d’une plus grande confiance d’obtenir, car Il n’est pas loin de nous, Jr 14, 9 : Tu es en nous, Seigneur.
901. QUE [TON NOM] SOIT SANCTIFIÉ. Ici sont présentées les demandes. Parlons d’abord des [demandes] d’une manière générale, et ensuite, d’une manière particulière. Dans ces demandes, nous devons considérer trois choses. En effet, la demande est au service du désir, car nous demandons ce que nous voulons posséder. Or, dans cette prière, tout ce que nous pouvons désirer est inclus. En second lieu, s’y trouve l’ordre selon lequel nous devons désirer. En troisième lieu, ces demandes correspondent aux dons et aux béatitudes.
902. Car il faut savoir que l’homme désire naturellement deux choses, à savoir, obtenir le bien et éviter le mal. Or, quatre biens qui doivent être désirés sont ici présentés. Car le désir s’oriente d’abord vers la fin, plutôt que vers ce qui est ordonné à cette fin. Or, la fin ultime de toutes choses est Dieu. En conséquence, la première chose désirable doit être l’honneur de Dieu, 1 Co 10, 31 : Faites tout pour l’honneur de Dieu. Et c’est cela que nous demandons en premier lieu, en cet endroit : QUE TON NOM SOIT SANCTIFIÉ. Parmi les choses qui nous concernent, la fin ultime est la vie éternelle, et c’est cela que nous demandons lorsque nous disons : QUE TON RÈGNE VIENNE. La troisième chose que nous devons demander concerne ce qui est ordonné à la fin, à savoir, que nous ayons la vertu et de bons mérites, et c’est cela [qui est exprimé] en cet endroit : QUE TA VOLONTÉ [SOIT FAITE]. Et ce que nous demandons à propos des vertus n’est rien d’autre que cela. Ainsi, notre béatitude est ordonnée à Dieu, et les vertus à la béatitude. Mais il est nécessaire de recevoir une aide temporelle ou spirituelle, tels les sacrements de l’Église, et nous le demandons en cet endroit : [DONNE-NOUS] NOTRE PAIN, soit [le pain] extérieur, soit [le pain] sacramentel.
903. Dans ces quatre choses, tout le bien est inclus. Mais l’homme évite le mal dans la mesure où [celui-ci] empêche le bien. Or, le premier bien, à savoir, l’honneur de Dieu, ne peut être empêché, car si la justice [survient], Dieu est honoré, mais si le mal [survient], il est aussi honoré par le fait qu’Il le punit, bien qu’Il ne soit pas honoré par le fait qu’Il est dans celui qui pèche. Or, le péché empêche la béatitude. C’est pourquoi [le Seigneur] l’écarte, en premier lieu, lorsqu’il dit : PARDONNE-NOUS. Le bien des vertus s’oppose à la tentation ; nous demandons donc : ET NE NOUS [SOUMETS PAS À LA TENTATION]. Tout ce qui rend défaillant [s’oppose] à ce qui est nécessaire à la vie ; c’est cela [qu’il dit] : MAIS DÉLIVRE-NOUS [DU MAL].
904. Il est donc clair que tout ce qui est désiré, la prière du Seigneur l’inclut. Et il faut savoir que les dons du Saint-Esprit peuvent être appliqués à ces demandes, mais de manière différente, en montant et en descendant. En montant, de sorte que la première demande soit appliquée à la crainte, qui donne la pauvreté en esprit et fait rechercher la gloire de Dieu. C’est pourquoi nous disons : QUE [TON NOM] SOIT SANCTIFIÉ. En descendant, de sorte que nous disions que le dernier don, à savoir, la sagesse qui rend fils de Dieu, est appliqué à cette demande.
905. Mais il faut s’occuper de cette demande, car elle semble inconvenante. En effet, le nom de Dieu est toujours saint. Et il faut savoir que ceci est expliqué de diverses façons par les saints. D’abord, par Augustin, et je crois que [son explication] est plus littérale : QUE SOIT SANCTIFIÉ, c’est-à-dire que le nom qui est toujours saint apparaisse saint aux hommes, et c’est cela honorer Dieu. En effet, la gloire de Dieu n’augmente pas de ce fait, mais la connaissance de celle-ci, Si 36, 4 : Comme à nos yeux, etc. Et c’est d’une manière assez convenable que, après : NOTRE PÈRE QUI ES AUX CIEUX, [le Seigneur] dit : QUE [TON NOM] SOIT SANCTIFIÉ, car rien ne démontre autant qu’on est fils de Dieu. En effet, le bon fils manifeste l’honneur de son père. Selon Chrysostome, QUE [TON NOM] SOIT SANCTIFIÉ, par nos œuvres, comme s’il disait : «Fais-nous vivre de manière que ton nom apparaisse saint par nos œuvres», 1 P 3, 15. Ou bien, selon Cyprien : QUE [TON NOM] SOIT SANCTIFIÉ, c’est-à-dire : «Sanctifie-nous dans ton nom», Jn 17, 17 : Sanctifie-les dans ton nom ; Is 8, 14 : Et il sera pour vous. Et il faut savoir que : QUE SOIT SANCTIFIÉ est d’abord entendu au sens où ceux qui ne sont pas saints deviennent saints. En effet, cette prière est faite pour tout le genre humain. En deuxième lieu, QUE SOIT SANCTIFIÉ, c’est-à-dire qu’ils persévèrent dans la sainteté. En troisième lieu, QUE SOIT SANCTIFIÉ [soit entendu] au sens où si quelque chose est mêlé à la sainteté, cela soit enlevé. En effet, nous avons besoin tous les jours de sanctification en raison des péchés quotidiens.
Ainsi… vous... « Ainsi » et « vous » sont emphatiques. L’adverbe « ainsi » n’est
cependant pas synonyme de « plus brièvement, plus simplement », ni même de « dans ce sens » ; il signifie
plutôt « de la façon suivante ». En effet, bien que Jésus-Christ n’oblige aucunement ses disciples à employer
toujours l’Oraison dominicale à l’exclusion des autres prières, il leur propose toutefois ici non seulement un
modèle de supplication, mais une véritable formule qu’ils ne sauraient redire trop souvent. Ainsi l’a compris
l’Église, qui a inséré de très bonne heure le « Pater » dans sa liturgie ; ainsi l’a compris le sentiment chrétien
pour lequel il n’existe pas de prière plus douce ou plus chère. - Nous trouverons dans le troisième Évangile,
Luc. 11, 2-4, une édition abrégée du « Notre Père », donnée par Notre-Seigneur à une époque plus tardive de
sa vie et parmi des circonstances toutes différentes. Il est vrai que plusieurs exégètes ont essayé d’établir
l’unité entre les deux récits ; mais ils ont travaillé en pure perte, les évangélistes montrant de la façon la plus
claire qu’ils rapportent des faits totalement distincts. Rien ne s’oppose du reste à ce que Jésus ait enseigné
deux fois cette prière à ses disciples. - Il est inutile d’insister sur la beauté admirable du « Pater ». Il nous a
été révélé par le Verbe incarné, qui connaît par expérience ce qui convient à Dieu auquel s’adresse l’Oraison
dominicale, ce qui est nécessaire à l’homme qui la prononce : que pourrait-on dire de plus pour en faire
l’éloge ? Il est simple et sublime en même temps ; c’est la prière de tous et tous la redisent avec bonheur sans
jamais se lasser, parce qu’elle correspond à toutes les aspirations, parce qu’elle exprime toutes les nécessités,
celles du temps et du monde visible, comme celles du monde invisible et de l’éternité. Quelle richesse sous
cette forme condensée ! Quelle plénitude inépuisable de saints désirs et de grande idées ! Tertullien a pu
l’appeler sans exagération un « abrégé de tout l'Évangile ». On a prétendu parfois, à la suite de Wetstein, que
« Toute cette oraison a été tirée des formules des Hébreux » : c'est une erreur. En fouillant dans tous les écrits
rabbiniques anciens et modernes, et jusque dans les rituels juifs les plus récents, on n’a trouvé entre les
prières israélites et l’Oraison dominicale que des ressemblances peu nombreuses qui s’expliquent d’ailleurs
par des emprunts faits de part et d’autre à l’Ancien Testament. - Un mot de la structure intime du « Pater ». Il
se compose d’une courte invocation, d’une prière proprement dite et d’une conclusion. La prière, qui forme
le corps de la composition, comprend deux parties dont la première regarde Dieu, tandis que la seconde
concerne les hommes, de telle sorte qu’on pourrait distinguer deux tables dans le « Notre Père » comme dans
la loi du Sinaï. Il y a trois demandes dans la première partie, quatre dans la seconde, du moins d’après la
division communément adoptée dans l’Église latine. Les Pères grecs ne comptent que trois demandes dans
chaque partie ; car ils réunissent sous un seul titre « Ne nous abandonnez pas... » et « Libérez-nous du mal ».
L’âme du suppliant commence donc par s’élancer vers Dieu, afin de le louer et de faire des vœux ardents
pour sa gloire ; puis elle redescend humblement sur elle-même à la vue de ses nombreuses nécessités, et
conjure le Seigneur de lui venir en aide. David, ce grand maître dans l’art de prier, suit habituellement une
marche analogue dans ceux de ses Psaumes qui ont la demande pour but principal. La distinction entre les
deux parties est nettement accentuée, surtout par la répétition des pronoms possessifs, qui est du plus bel
effet, soulignant d’abord les vœux, puis les supplications. « Votre Nom, votre règne, votre volonté ; donnez
nous... notre pain, remettez nous nos dettes..., ne nous abandonnez pas..., libérez nous... ». Le désir du
royaume messianique, qui forme le fond de cette magnifique prière, en relie tous les éléments, de manière à
en faire une seule note jetée amoureusement vers Dieu. - Terminons ce préambule par une excellente
réflexion de S. Cyprien : « Celui qui a fait vivre a enseigné aussi à prier… et quand nous parlons au Père
avec la prière et l’oraison que le Fils nous a enseignée, il nous écoute plus facilement…La prière amicale et
familière consiste à prier Dieu avec ce qui lui appartient, à monter jusqu’à ses oreilles avec la prière du
Christ ». Nous passons maintenant à l’explication détaillée de l’Oraison dominicale. Les mots Notre Père qui
êtes aux cieux en constituent l’exorde ou prologue. « La prière du Seigneur possède sa rhétorique propre »,
dit fort bien Maldonat. Ce nom de Père placé en tête n’est-il pas, en effet, selon la réflexion de S. Thomas
d’Aquin, une véritable « recherche de bienveillance » ? C’est un puissant appel adressé dès le début à la
bonté et à la puissance du Dieu que nous invoquons ; c’est en même temps pour nous-mêmes, au moment où
nous commençons à prier, une parole d’encouragement qui excite notre confiance. « Le nom de père suscite
en nous l’amour, la confiance voulue pour supplier, et l’assurance présomptueuse de tout obtenir; car que
ne donne-t-il pas aux fils celui qui leur a donné d’être fils ? », S. Aug. l.c. Et ce nom qui s’échappe de nos
cœurs n’est pas une vaine figure ; Dieu est réellement notre Père et nous sommes réellement ses enfants. « Vous n’avez pas reçu de nouveau un esprit de servitude dans la crainte », dit saint Paul comparant l’état des
chrétiens à celui des Juifs, « mais vous avez reçu un esprit d’adoption de fils dans lequel nous crions : Abba,
Père ! », Rom. 8, 15 ; Gal. 4, 5 et 6. Nous sommes des fils de Dieu par droit d’adoption et c’est l’Esprit -Saint
lui-même qui nous inspire ce cri filial par lequel nous recourons à Dieu comme à notre Père. Et pourtant
quelle audace, comme le dit l’Église ! « Avertis par les préceptes du salut, et formés par un enseignement
divin, nous osons dire : Notre Père... ». Sans cette institution divine, sans cette pression intime de
l’Esprit-Saint, nous eussions fait comme les Israélites qui, bien que fils de Dieu et sachant qu’ils l’étaient, Cf.
Deut. 32, 6 ; Ps. 102, 13 ; Is. 63, 16 et de nombreux passages du Talmud, n’osaient presque jamais
l’interpeller par ce titre, notre Père. Même dans les relations les plus familières, c’était d’un côté Jéhova, le
Seigneur, de l’autre ses serviteurs ; « un esprit de servitude dans la crainte ». - « Notre Père » et point « mon
Père », parce que « la prière de l'Église est commune, et non pas individuelle », Maldonat. En récitant
l’Oraison dominicale, nous ne parlons pas en notre propre et privé nom ; nous parlons comme membres de la
grande famille chrétienne, par conséquent en communion d’esprit et de cœur avec tous nos frères spirituels.
Au seul « fils naturel » de Dieu il appartenait de dire « Mon Père », Cf. Matth. 26, 42. - « Qui êtes aux
cieux ». Quoique présent partout, c’est dans les cieux que Dieu fait briller les rayons les plus éclatants de son
immensité ; notre prière va naturellement le trouver dans ce bienheureux séjour.
« O notre Père, qui es dans les cieux,
non circonscrit, mais parce que là ton amour
s’épand avec plus d’abondance sur ceux que tu créas, les premiers
Dante, Purgatoire 11
Les écrivains sacrés de l’Ancien Testament, et plus tard les Rabbins, ajoutaient volontiers au nom de Dieu
cette épithète empruntée au lieu de sa résidence principale ; Cf. Lightfoot in h. l. Ici, elle a pour but de nous
montrer la distance qui existe entre nos pères terrestres et notre Père céleste, entre notre Père céleste et nous.
- Que votre Nom soit sanctifié. Vient la prière proprement dite, qui se compose, avons-nous dit, de trois
souhaits relatifs à la gloire divine, et de quatre suppliques personnelles. La phrase « soit sanctifié... », forme
la première demande de la première partie. « Digne prière », s’écrie saint Jean Chysostome, « que celle qui
appelle Dieu père. Elle ne peut rien demander d’autre que la gloire du Père ». Le Seigneur, parlant par la
bouche du prophète Malachie, avait adressé aux Juifs ingrats cette apostrophe indignée : « Si je suis Père, où
est l’honneur qu’on me témoigne ? » Mal. 1, 6. Le chrétien, après avoir dit : Notre Père, ajoute aussitôt,
conformément au divin désir : Que votre nom soit sanctifié ! Appliqué à ce qui n’est pas saint, signifie
purifier, rendre saint ; appliqué à ce qui est déjà saint, ce même verbe signifie reconnaître comme tel, c’est-à-
dire glorifier. Le nom de Dieu étant saint de toute éternité, et infiniment saint, Cf. Ps.110, 9 ; Luc. 1, 49, que
pouvons-nous souhaiter à son égard sinon qu’il soit toujours et partout traité selon son auguste nature ? Le
nom de Dieu n’est pas seulement son appellation telle que nos lèvres la prononcent, c’est aussi et
principalement l’idée que nous y attachons, en d’autres termes, l’essence divine elle-même autant qu’elle
nous a été révélée ; souhaiter la glorification du saint nom de Dieu revient, par conséquent, à souhaiter la
glorification de Dieu lui-même.
« Notre Père. Dès ce premier mot de l’oraison dominicale le cœur se fond en amour. Dieu veut être notre Père par une adoption particulière. Il a un Fils unique qui lui est égal, en qui il a mis sa complaisance ; il adopte les pécheurs. Les hommes n’adoptent des enfants que lorsqu’ils n’en ont point ; Dieu qui avait un tel Fils, nous adopte encore. L’adoption est un effet de l’amour ; car on choisit celui qu’on adopte ; la nature donne les autres enfants, l’amour seul fait les adoptifs. Dieu qui aime son Fils unique de tout son amour, et jusqu’à l’infini, étend sur nous l’amour qu’il a pour lui. ― Notre Père qui êtes dans les cieux. Vous êtes partout, mais vous êtes dans les cieux comme dans le lieu où vous rassemblez vos enfants, où vous vous montrez à eux, où vous leur manifestez votre gloire, où vous leur avez assigné leur héritage. » (BOSSUET.)
C'est aussi pour nous inspirer un vif désir de parvenir à cette région où nous reconnaissons qu'habite notre Père.
De tous les attributs divins, seule la Toute-Puissance de Dieu est nommée dans le Symbole : la confesser est d’une grande portée pour notre vie. Nous croyons qu’elle est universelle, car Dieu qui a tout créé (cf. Gn 1, 1 ; Jn 1, 3), régit tout et peut tout ; aimante, car Dieu est notre Père (cf. Mt 6, 9) ; mystérieuse, car seule la foi peut la discerner lorsqu’ " elle se déploie dans la faiblesse " (2 Co 12, 9 ; cf. 1 Co 1, 18).
" Un jour, quelque part, Jésus priait. Quand il eut fini, l’un de ses disciples lui demanda : ‘Seigneur, apprends-nous à prier, comme Jean l’a appris à ses disciples’ " (Lc 11, 1). C’est en réponse à cette demande que le Seigneur confie à ses disciples et à son Église la prière chrétienne fondamentale. S. Luc en donne un texte bref (de cinq demandes : cf. Lc 11, 2-4), S. Matthieu une version plus développée (de sept demandes : cf. Mt 6, 9-13). C’est le texte de S. Matthieu que la tradition liturgique de l’Église a retenu (Mt 6, 9-13).