Jean 1, 10

Il était dans le monde, et le monde était venu par lui à l’existence, mais le monde ne l’a pas reconnu.

Il était dans le monde, et le monde était venu par lui à l’existence, mais le monde ne l’a pas reconnu.
Origène
Lorsque celui qui parle cesse de parler, sa voix cesse de se faire entendre; de même si le Père céleste ne faisait plus entendre son Verbe, l'oeuvre du Verbe, c'est-à-dire l'univers qu'il a créé, cesserait d'exister.
Saint Jean Chrysostome
Et encore, comme il était dans le monde, mais sans être contemporain du monde, l'Évangéliste ajoute: «Et le monde a été fait par lui, et il vous élève ainsi jusqu'à l'existence éternelle du Fils unique». En effet, en entendant dire que tout cet univers est son ouvrage, fût-on d'une intelligence bornée, on sera forcé de reconnaître qu'il existait avant son ouvrage.

Quant aux amis de Dieu, ils l'ont connu avant même qu'il eût rendu sa présence sensible, c'est-à-dire avant son avènement en ce monde, comme le prouvent ces paroles du Sauveur: "Abraham, votre père, a tressailli du désir de voir mon jour" (Jn 8,56). Lors donc que les Gentils nous adressent ce reproche: Pourquoi le Sauveur n'est-il venu opérer notre salut que dans les derniers temps, après tant de siècles écoulés, sans qu'il ait pensé à nous? Nous leur répondons, qu'avant même son avènement, il était dans le monde, sa providence s'étendait à toutes ses oeuvres, et il était connu de tous ceux qui en étaient dignes; et si le monde ne l'a pas connu, ceux dont le monde n'était pas digne, ont mérité de le connaître. En disant: "Le monde ne l'a point connu", il a indiqué sommairement la cause de cette ignorance; car le monde ici sont les hommes qui ne sont attachés qu'au monde, qui n'ont de goût et d'affection que pour le monde; or rien ne trouble autant l'âme que l'amour énervant des choses présentes.
Saint Augustin
La lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde, est venue sur la terre sous le voile d'une chair mortelle; car tant qu'elle n'y était que par la divinité, elle était invisible pour les insensés, pour les aveugles et pour les méchants dont saint Jean a dit plus haut: «Les ténèbres ne l'ont point comprise», c'est pour cela qu'il dit ici: «Il était dans le monde».

N'allez pas croire qu'il était dans le monde comme sont dans le monde la terre, les animaux, les hommes, ou comme le ciel, le soleil, les étoiles; il y était comme un ouvrier qui dirige l'ouvrage sorti de ses mains: «Et le monde a été fait par lui». Toutefois il n'a pas créé le monde comme un ouvrier fait son ouvrage, car l'ouvrier est en dehors de l'ouvrage qu'il travaille, Dieu, au contraire, est comme répandu dans le monde qu'il crée, il est présent partout, et il n'est pas un seul être qui soit en dehors de son immensité. C'est donc par la présence de sa divinité, qu'il fait tout ce qu'il crée, et qu'il gouverne tout ce qu'il a créé. Il était donc dans le monde, comme le Créateur du monde.

Que signifient ces paroles: "Le monde a été fait par lui ?" On appelle monde le ciel, la terre, la mer, et tout ce qu'ils contiennent. Dans un autre sens, on donne encore ce nom à ceux qui aiment le monde, et c'est de ce monde qu'il est dit: "Le monde ne l'a point connu". On ne peut dire, en effet, ni du ciel, ni des anges, ni des astres, qu'ils n'ont pas connu le Créateur, dont les démons eux-mêmes confessent la puissance. Toutes les créatures lui ont donc rendu témoignage. Quels sont ceux qui ne l'ont point connu? Ceux qui sont appelés le monde, parce qu'ils aiment le monde, car en aimant le monde, nous habitons de coeur dans le monde; ceux, au contraire, qui n'aiment pas le monde, sont de corps dans le monde, mais ils habitent le ciel par le coeur, suivant ces paroles de l'Apôtre: "Pour nous, nous vivons déjà dans le ciel". (Ph 3,20) C'est donc parce qu'ils ont aimé le monde, qu'ils ont mérité eux-mêmes le nom du monde où ils habitent. Lorsque nous disons d'une maison qu'elle est bonne ou qu'elle est mauvaise, ce n'est point aux murailles que s'adressent notre blâme ou nos louanges, mais à ceux qui l'habitent; c'est ainsi que nous appelons monde ceux qui habitent le monde par leurs affections.
Saint Théophylacte d'Ohrid
Saint Jean confond en même temps l'erreur insensée de Marcion, qui prétendait que c'était un mauvais principe qui avait créé toutes choses, et celle des ariens qui osaient soutenir que le Fils de Dieu était une simple créature.
Saint Thomas d'Aquin
124. Plus haut , l’Evangéliste nous a présenté le Précurseur, le témoin du Verbe incarné; mainte nant il va parler du Verbe incarné Lui-même : de la nécessité de sa venue l’objet de la présente leçon, de la finalité de cette venue pour nous , et enfin du mode de sa venue .

La nécessité de la venue du Verbe semble tenir au manque de connaissance de Dieu qui régnait dans le monde. Ainsi, en disant : Si je suis né et si je suis venu dans le monde, c’est pour rendre témoignage à la vérité , le Seigneur indique la nécessité de sa venue. Pour expliquer ce manque de connaissance de Dieu, l’Evangéliste montre d’abord qu’il n’est pas imputable à Dieu ni au Verbe, puis il montre qu’il est imputable aux hommes ET LE MONDE NE L’A PAS CONNU.

Si les hommes ne connaissaient pas Dieu et n’étaient pas illuminés par le Verbe, cela n’était imputable ni à Dieu, ni au Verbe. L’Evangéliste en donne trois raisons. D’abord l’efficacité de la lumière divine : IL ETAIT LA LUMIERE, LA VRAIE, QUI ILLUMINE TOUT HOMME VENANT EN CE MONDE [125]; ensuite la présence de cette divine lumière : IL ETAIT DANS LE MONDE [132]; enfin son évidence : ET LE MONDE A ETE FAIT PAR LUI [136].

Le manque de connaissance de Dieu dans le monde ne provenait donc pas du Verbe, puisqu’Il est efficace. L’Evangéliste montre d’abord en quoi consiste cette efficacité : IL ETAIT LA LUMIERE, LA VRAIE ; puis il montre l’efficacité même du Verbe : Il ILLUMINE TOUT HOMME VENANT EN CE MONDE .

125. L’efficacité illuminative du Verbe divin provient de ce qu’IL EST LA LUMIERE, LA VRAIE. Comment le Verbe est LUMIERE et comment Il est LUMIERE DES HOMMES, il est superflu de le répéter à pré sent : nous l’avons suffisamment expliqué plus haut. Nous devons seulement dire ici en quel sens le Verbe est LA LUMIERE, LA VRAIE.

Pour en avoir l’évidence, il faut remarquer que "vrai'", dans l'Ecriture, a trois opposés. Parfois, "vrai" s’oppose à "faux" : Rejetant le mensonge, dites la vérité parfois, "vrai" s’oppose à ce qui n’est que figure : La Loi a été donnée par Moïse, mais la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ , car la vérité des figures de la Loi a été accomplie par le Christ; enfin, "vrai" s’oppose parfois à ce qui participe, comme il est dit dans la Première épître de Jean : Nous sommes dans son vrai Fils , c’est-à-dire Celui qui n’est pas fils par participation.

Or il y eut, avant l’avènement du Verbe dans le monde, une lumière que les philosophes se vantaient de posséder; mais celle-ci était fausse car, comme le dit l’Apôtre, Ils sont devenus vains dans leurs raisonnements, et leur cœur inintelligent s’est obscurci. Se prétendant sages, ils sont devenus insensés ; et Tout homme devient insensé par sa science Il y eut d’autre part une lumière que les Juifs se glorifiaient de posséder dans les enseignements de la Loi, mais c’était une lumière qui n’était que figure : Ne possédant en effet que l’ombre des biens à venir, non la réalité des choses, la Loi demeure à jamais incapable (...) de rendre parfaits ceux qui s’avancent vers Dieu . Enfin, dans les anges et dans les saints brillait aussi une lumière, puisque la grâce leur avait donné une connaissance plus spéciale de Dieu; mais c’était une lumière participée — Sur qui ne resplendit pas sa lumière? , ce qui revient à dire tous ceux qui sont lumineux brillent dans la mesure où ils participent à sa lumière, c’est-à-dire celle de Dieu. Le Verbe de Dieu, Lui, n’était pas une lumière fausse, ni en figure, ni participée, mais Il était la vraie lumière, c’est-à-dire qu’Il était LA LUMIERE par son essence, et c’est pourquoi l’Evangéliste dit : IL ETAIT LA LUMIERE, LA VRAIE.

126. Cette affirmation écarte deux erreurs. D’abord celle de Photin , qui s’imaginait que le Verbe avait pris son origine de la Vierge. Afin que personne ne puisse le supposer, l’Evangéliste, parlant de l’Incarnation du Verbe, dit : IL ETAIT LA LUMIERE, LA VRAIE, et cela dès l’éternité, non seulement avant la Vierge, mais avant toute créature.

Ces paroles écartent aussi l’erreur d’Arius et d’Origène le Christ, disaient-ils, n’est pas le vrai Dieu, mais Il l’est seulement par participation.

Si c’était vrai, Il ne serait pas LA LUMIERE, LA VRAIE, comme l’affirme l’Evangéliste — Dieu est lumière non par participation, mais la vraie. Si donc le Verbe ETAIT LA LUMIERE, LA VRAIE, il est manifeste qu’Il est le vrai Dieu. Ainsi est manifeste en quoi consiste l’efficacité du Verbe divin, cause en nous de la connaissance de Dieu.

127. Telle est l’efficacité du Verbe, qu’Il ILLUMINE TOUT HOMME VENANT EN CE MONDE. Car tout ce qui est quelque chose par participation dérive de ce qui est tel par son essence; ainsi tout ce qui est enflammé l’est par participation au feu qui est feu par sa nature. Donc, puisque le Verbe est LA VRAIE LUMIERE par son essence, il faut que tout ce qui est lumineux le soit par le Verbe, dans la mesure où il participe de Lui. Il est donc vraiment celui QUI ILLUMINE TOUT HOMME VENANT EN CE MONDE.

128. Pour bien comprendre cette parole, il faut savoir que l’Ecriture envisage le monde de trois points de vue différents. Parfois elle le regarde en tant que créé : le monde a été fait par Lui D’autres fois elle le voit dans la perfection qu’il atteint par le Christ : Dans le Christ, Dieu se réconciliait le monde Parfois enfin elle le considère dans sa perversité : Le monde entier gît au pouvoir du Mauvais . Quant à l’illumination, ou au fait d’être illuminé par le Verbe, elle peut s’entendre de deux façons : soit de la lumière de la connaissance naturelle : Elle a été gravée sur nous, la lumière de ton visage, Seigneur , Soit de la lumière de la grâce : Lève-toi, sois illuminée, Jérusalem .

129. Ces deux distinctions établies, on éclaircira facilement un doute qui peut surgir de ces paroles.

En effet, l’Evangéliste dit du Verbe : IL ILLUMINE TOUT HOMME; cela semble inexact puisque, en ce monde, beaucoup d’hommes sont encore dans les ténèbres. Mais si, nous rappelant les distinctions mention nées, nous regardons le monde du point de vue de sa création, et l’illumination comme la lumière de la raison naturelle, la parole de l’Evangéliste ne contient rien de faux. En effet, si tous les hommes venant en ce monde sensible sont illuminés par la lumière de la raison naturelle, c’est par participation à cette VRAIE LUMIERE dont dérive toute lumière de connaissance naturelle. En disant : VENANT EN CE MONDE, l’Evangéliste utilise une façon de parler; il ne veut pas dire que les hommes auraient vécu un certain temps hors du monde, avant de venir dans le monde, ce qui serait contraire à la pensée de l’Apôtre : Alors que les enfants de Rébecca n’étaient pas encore nés, qu’ils n’avaient fait ni bien ni mal (pour que demeure le dessein de Dieu, dessein de. libre choix, qui dépend non des œuvres mais de Celui qui appelle), il lui fut dit : "L’aîné sera assujetti au plus jeune," ainsi qu’il est écrit : "J’ai aimé Jacob, mais Esaü, je l’ai haï" Puisque ces enfants n’avaient rien fait avant de naître, il est donc clair que l’âme humaine n’existe pas avant son union avec le corps.

Jean dit aussi VENANT EN CE MONDE pour montrer que c’est en tant qu’ils viennent dans le monde, que les hommes sont illuminés par Dieu, c’est-à-dire en tant qu’ils ont une intelligence provenant d’une cause extrinsèque. Car l’homme est constitué d’une nature double corporelle, c’est-à-dire animale ou sensible, et intellectuelle. Selon sa nature corporelle ou sensible, il est éclairé par la lumière corporelle et sensible, et selon son âme et sa nature intellectuelle, il est éclairé par la lumière intellectuelle et spirituelle. Ainsi l’homme, selon sa nature corporelle, ne VIENT pas dans ce monde, il est de ce monde; s'il vient en ce monde, c’est comme il a été dit, selon sa nature intellectuelle qui provient d’une cause extrinsèque, c’est-à-dire de Dieu, par la création ainsi que le rappelle l’Ecclésiaste : Souviens-toi de ton créateur (...) avant que toute chair retourne à son origine, et que l’esprit retourne à Dieu qui l’a créé . Par conséquent, dans l’expression VENANT EN CE MONDE, l’Evangéliste montre que l’illumination concerne ce qui provient d’une extrinsèque, c’est-à-dire l’intelligence.

130. Mais si l’illumination se comprend de la lumière de la grâce, il y a trois manières d’expliquer ces paroles : Le Verbe ILLUMINE TOUT HOMME.

La première, celle d’Origène , nous amène à considérer le monde dans sa perfection, à laquelle l’homme réconcilié avec Dieu est conduit par le Christ. Il est dit alors : le Verbe ILLUMINE TOUT HOMME VENANT, par la foi, EN CE MONDE spirituel, c’est-à-dire l’Eglise, illuminée par la lumière de la grâce.

Chrysostome , lui, regarde le monde en tant que créé et montre comment le Verbe, voulant que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité , ILLUMINE TOUT HOMME VENANT, c’est-à-dire naissant, EN CE MONDE sensible, autant que cela dépend de Lui, puisque de son côté Il ne fait défaut à personne. Si donc quelqu’un n’est pas illuminé, cela vient de lui, parce qu’il se détourne de la lumière qui l’illumine.

Enfin Augustin , dans l’expression ILLUMINE TOUT HOMME, donne au mot TOUT une acception particulière. Le sens n’est pas : Le Verbe ILLUMINE TOUT HOMME en général, mais tout homme qui est illuminé; c’est-à-dire qu’aucun homme n’est illuminé, sinon par le Verbe. Et (toujours selon Augustin ), le monde étant alors considéré sous l’aspect de sa perversité et de sa déficience, l’Evangéliste, en ajoutant VENANT EN CE MONDE, donne la raison pour laquelle l’homme a besoin d’être illuminé; comme s’il disait : l’homme a besoin d’être illuminé, parce qu’il vient dans ce monde enténébré par sa perversité et ses déficiences, et rempli d’ignorance. A propos du monde spirituel du premier homme avant le péché, il est écrit : Il est venu nous visiter d’en haut, le soleil levant, pour illuminer ceux qui sont assis dans les ténèbres et l’ombre de la mort .

131. Les mêmes paroles : Le Verbe ILLUMINE TOUT HOMME VENANT EN CE MONDE, renversent l’erreur des Manichéens pour qui les hommes et le monde avaient été créés par un principe contraire, c’est-à-dire le diable. En effet, si l’homme était une créature du diable, à sa venue dans ce monde il ne serait pas illuminé par Dieu ou par le Verbe, puisque le Christ est venu dans ce monde pour détruire les œuvres du diable .

132. Ainsi donc, l’efficacité du Verbe divin prouve que le manque de connaissance divine chez les hommes ne provient pas du Verbe Lui-même, qui, puisqu’IL EST LA LUMIERE, LA VRAIE, QUI ILLUMINE TOUT HOMME VENANT EN CE MONDE, est capable de les illuminer tous.

Pour qu’on ne croie pas que ce manque vient de l’éloignement ou de l’absence de la véritable lumière, l’Evangéliste ajoute : IL ETAIT DANS LE MONDE — Dieu n’est pas loin de chacun de nous, car c’est en Lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être . En d’autres termes le Verbe divin est efficace et présent dans ce monde pour illuminer.

133. Mais, remarquons-le, on peut être dans le monde de trois façons. Soit comme contenu en lui, à la manière d’un objet localisé dans un lieu; [ainsi le Seigneur dira des Apôtres] : Eux sont dans le monde Soit comme partie dans le tout, puisque toute partie du monde est dans le monde même si elle n’y est pas comme dans un lieu; ainsi les substances spirituelles, bien qu’elles ne soient pas localisées dans le monde, en font néanmoins partie : Dieu a fait le ciel et la terre et tout ce qu’ils renferment.

Mais LA VRAIE LUMIERE n’était dans le monde ni de l’une ni de l’autre manière, puisqu’elle n’est ni susceptible d’être localisée, ni partie de l’univers. Au con traire, s’il est permis de parler ainsi, c’est tout l’univers, d’une certaine façon, qui en est partie, lui qui ne participe que partiellement à sa bonté. IL ETAIT donc DANS LE MONDE d’une troisième manière, comme sa cause efficiente et conservatrice — Est-ce que le ciel et la terre, moi, je ne les remplis pas?

Cependant il en va autrement du Verbe de Dieu, agent et cause de toutes choses, et des autres agents. Ceux-ci en effet agissent de l’extérieur, et puisque de fait ils n’agissent qu’en mouvant et modifiant de quelque façon ce qui est extrinsèque à la réalité, ils n’opèrent que comme des agents extrinsèques. Mais Dieu opère en toutes les réalités comme agissant de l’intérieur, par ce qu’Il agit en créant. Or créer, c’est donner l’acte d’être à la réalité créée; et puisque l’acte d’être est ce qu’il y a de plus intime en chaque réalité, Dieu, qui en opérant donne l’acte d’être, opère dans les réalités comme agissant de l’intérieur. IL ETAIT donc DANS LE MONDE, comme donnant au monde l’acte d’être.

134. On dit communément que Dieu est en toutes réalités par son essence, sa présence et sa puissance. Pour le comprendre, il faut savoir que quelqu’un est dit être par sa puissance en tous ceux qui sont soumis à sa puissance : comme le roi est dit être par sa puissance dans tout le royaume qui lui est soumis, sans toute fois y être par sa présence ni par son essence. Par sa présence, quelqu’un est dit être en toutes les réalités qui sont sous son regard, comme le roi est dit être par sa présence dans sa demeure. Mais quelqu’un est dit être par son essence dans les réalités en lesquelles est sa substance : comme le roi est [dans sa propre individualité] en un seul lieu déterminé.

Nous disons que Dieu est partout dans le monde par sa puissance, car toutes choses sont soumises à son pouvoir — Si je monte au ciel, tu y es (...) si je prends mes ailes dès l’aurore et que j’aille habiter aux confins de la mer, là encore ta main me conduira et ta droite me saisira . Dieu est aussi partout par sa présence, car tout ce qui est dans le monde est nu et découvert à ses yeux . Enfin Dieu est partout par son essence, car son essence est ce qu’il y a de plus intime en toutes les réalités en effet, chaque agent, en tant qu’il agit, doit nécessairement être conjoint à son effet de façon immédiate, puisque le moteur et ce qui est mû doivent être simultanés. Or Dieu crée et conserve toutes choses selon l’acte d’être de chaque réalité. Et puisque l’acte d’être est ce qu’il y a de plus intime en chaque réalité, il est manifeste que Dieu est dans toutes les réalités par son essence, par laquelle Il les crée.

135. Remarquons-le, l’Evangéliste emploie à dessein le mot ETAIT lorsqu’il dit Le Verbe ETAIT DANS LE MONDE, pour montrer que dès le commencement de la création Il avait toujours été dans le monde, causant et conservant toutes choses; car si Dieu retirait un seul instant des réalités créées sa puissance, elles seraient toutes réduites au néant et cesseraient d’exister. Origène emploie à ce sujet une heureuse comparaison : il y a, dit-il, le même rapport entre la parole sensible et notre verbe, qu’entre toute la création et le Verbe divin.

Comme notre parole est l’effet du verbe conçu dans notre esprit, ainsi toute la création est l’effet du Verbe conçu dans l’esprit divin : Dieu a dit et tout a été créé. Aussi, comme nous voyons notre parole sensible s’arrêter aussitôt que notre verbe fait défaut, de même, si la vertu du Verbe divin était soustraite aux réalités, toutes disparaîtraient à l’instant même; car Dieu sou tient tout par la puissance de son Verbe.

136. Il est donc manifeste que le manque de con naissance de Dieu chez l’homme ne vient pas de l’absence du Verbe, puisqu’IL ETAIT DANS LE MONDE.

Cette ignorance ne vient pas non plus de l’invisibilité du Verbe ou du fait qu’Il se cache, puisqu’Il a produit une œuvre en laquelle sa similitude resplendit de façon évidente : le monde — La grandeur et la beauté des créatures font par analogie connaître leur créateur et : Les perfections invisibles de Dieu (...) sont, depuis la création du monde, rendues visibles à l’intelligence par le moyen de ses œuvres, ainsi que sa puissance éternelle et sa divinité . Voilà pourquoi l’Evangéliste ajoute aussitôt : ET LE MONDE A ETE FAIT PAR LUI, pour montrer que dans le monde, LA LUMIERE elle-même a été manifestée. De même que l’œuvre manifeste l’art de l’artiste, la forme de l’œuvre d’art n’étant autre que la similitude de l’idée qui est dans l’esprit de l’artiste, ainsi le monde entier n’est autre qu’une certaine représentation de la sagesse divine conçue dans l’esprit du Père — Dieu en effet a répandu sa sagesse sur toutes ses œuvres

Il est ainsi manifeste que le manque de connaissance divine ne vient pas du Verbe. En effet, étant LA VRAIE LUMIERE, Il est efficace; Il est présent parce qu’IL ETAIT DANS LE MONDE; et Il est évident puis que LE MONDE A ETE FAIT PAR LUI –

137. En disant cela, l’Evangéliste montre d’où provient ce manque de connaissance de Dieu : ce manque ne vient pas du Verbe mais du MONDE qui NE L’A PAS CONNU. Il dit : LE MONDE NE L’A PAS CONNU, "Lui", de façon personnelle, parce que plus haut il avait dit que le Verbe était non seulement LUMIERE DES HOMMES, mais Dieu : c’est pourquoi en disant "Lui", il entend Dieu. Jean emploie ici le mot "monde" pour l’homme, car les anges L’ont connu par leur intelligence, les éléments L’ont connu en Lui obéissant, mais LE MONDE, c’est-à-dire l’homme, habitant du monde , NE L’A PAS CONNU.

138. Nous pouvons attribuer ce manque de connaissance de Dieu à la nature de l’homme ou bien à sa faute.

A sa nature car, en dépit de tous les secours susdits donnés à l’homme pour l’amener à la connaissance de Dieu, la raison humaine cependant défaille dans cette connaissance : Chacun Le considère de loin. Oui, Dieu est grand, Il surpasse notre science . Et si quelques-uns L’ont connu, ce n’est pas en tant qu’ils furent dans le monde, mais au contraire en tant qu’ils furent au delà du monde et tels que le monde n’était pas digne d’eux , C’est pourquoi, s’ils perçurent dans leur esprit quelque chose d’éternel, ce fut en tant qu’ils n’étaient pas de ce monde.

Mais si on attribue à la faute de l’homme son man que de connaissance divine, les paroles : LE MONDE NE L’A PAS CONNU expriment la raison pour laquelle Dieu n’est pas connu. Dans ce cas le monde est pris pour l’homme qui aime le monde de manière désordonnée. Autrement dit, LE MONDE NE L’A PAS CONNU parce que les hommes aiment le monde; et l’amour du monde, dit Augustin , détourne au plus haut degré de la connaissance de Dieu, car l’amour du monde rend ennemi de Dieu , Or celui qui n’aime pas Dieu ne peut pas Le connaître : L’homme charnel n’accueille pas ce qui est de l’Esprit de Dieu .

139. Ainsi se trouve résolue la vaine question des païens : si c’est depuis peu de temps que le Fils de Dieu s’est fait connaître au monde pour le salut des hommes, il semble qu’avant ce temps Il ait méprisé la nature humaine. Il faut leur répondre : Dieu n’a pas méprisé la nature humaine; Il fut toujours dans le monde et, pour ce qui est de Lui, Il est connaissable par tous. Si quelques-uns ne L’ont pas connu, ce fut de leur faute, parce qu’ils aimaient le monde.

140. II faut remarquer encore que l’Evangéliste parle ici de l’Incarnation du Verbe afin de montrer que c’est le même Verbe qui est incarné, qui était au commencement auprès de Dieu, qui est Dieu.

Il reprend ici ce qu’il avait dit auparavant au sujet du Verbe Le Verbe était la lumière des hommes; ici il dit : IL ETAIT LA LUMIERE, LA VRAIE. Plus haut il avait dit : tout a été fait par Lui; ici il dit ET LE MONDE A ETE FAIT PAR LUI – Plus haut il avait affirmé : sans Lui rien n’a été fait, c’est-à-dire, selon une interprétation, toutes choses sont conservées par Lui; ici il dit : IL ETAIT DANS LE MONDE, créant et conservant toutes choses. Là il avait affirmé Et les ténèbres ne l’ont pas étreinte; ici : ET LE MON DE NE L’A PAS CONNU. Tout ce qui est dit à la suite de ce verset : IL ETAIT LA LUMIERE, LA VRAIE, est donc comme une explicitation des versets précédents.

141. Tout ce qui précède nous permet de découvrir trois motifs pour lesquels Dieu a voulu s’incarner.

Le premier est la perversité de la nature humaine, que sa propre malice avait plongée dans les ténèbres des vices et de l’ignorance. C’est pourquoi l’Evangéliste avait dit de la lumière : Les ténèbres ne l’ont pas étreinte. Dieu est donc venu dans la chair pour que les ténèbres puissent saisir la lumière, c’est-à-dire parvenir à sa connaissance : Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière .

Le second motif de l’Incarnation est l’insuffisance du témoignage des prophètes : Les prophètes en effet étaient venus, mais ils ne pouvaient éclairer suffisamment les hommes, car il pouvait dire de chacun d’eux comme de Jean lui-même : IL N’ETAIT PAS LA LUMIERE. C’est pourquoi il était nécessaire qu’après la prédiction des prophètes, après la venue de Jean, LA LUMIERE elle-même vînt et livrât au monde la connaissance d’elle-même; c’est ce que dit l’Apôtre : Après avoir à bien des reprises et de bien des manières parlé jadis à nos Pères par les prophètes, Dieu, en ces temps qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils et Pierre : Ainsi nous tenons d’autant plus ferme la parole prophétique à laquelle vous faites bien de prêter attention (...) jusqu’à ce que le jour vienne à poindre et que l’étoile du matin se lève dans vos cœurs .

Le troisième motif de l’Incarnation est la déficience des créatures. En effet les créatures n’étaient pas suffisantes pour conduire à la connaissance du Créateur

LE MONDE A ETE FAIT PAR LUI, ET LE MONDE NE L’A PAS CONNU. Il était donc nécessaire que le Créateur Lui-même vînt dans le monde par la chair et qu’Il se fît connaître par Lui-même : Puisqu’en effet le monde, par le moyen de la sagesse, n’a pas reconnu Dieu dans la sagesse de Dieu, c’est par la folie du message qu’il a plu à Dieu de sauver les croyants
Louis-Claude Fillion
Phrase analogue à celle du verset 1 : de part et d’autre trois propositions courtes, solennelles, simplement juxtaposées. - Il était dans le monde. On admet communément que l’évangéliste se reporte aux temps qui précédaient l’Incarnation. Cf. versets 4 et 5. Même avant de se manifester aux hommes comme l’un d’entre eux, le verbe vivait au milieu du monde, et il était aisé de le reconnaître dans ses œuvres. L’expression « monde », l’une des plus fréquemment employées par saint Jean (quatre-vingts fois dans son évangile, vingt-deux fois dans sa première épître), désigne ici d’une manière plus spéciale le monde païen, par opposition au peuple théocratique, verset 11. - Et le monde a été fait par lui, Cf. verset 3 et le commentaire. - Et le monde ne l'a pas connu. Nous retrouvons le ton tragique plus encore qu’au verset 5. Le narrateur avait admirablement mis en relief les circonstances qui semblaient devoir préparer au verbe l’accueil le plus favorable de la part du monde. Le monde, où il attestait de tant de manières sa présence bienfaisante ; le monde, où il continuait d’exercer son action créatrice. Et cependant l’incrédulité, quoique impossible en apparence, a été le grand crime de ce monde ingrat : il n’a pas voulu acquérir la connaissance du Verbe. « Au Dieu inconnu » : c’est, hélas ! l’inscription qu’on lit de toutes parts au milieu du monde. Cf. Act. 17, 23.
Concile œcuménique
4. Par le fait même, l’esprit humain, moins esclave des choses, peut plus facilement s’élever à l’adoration et à la contemplation du Créateur. Bien plus, il est préparé à reconnaître, sous l’impulsion de la grâce, le Verbe de Dieu qui, avant de se faire chair pour tout sauver et récapituler en lui, « était déjà dans le monde » comme la « vraie lumière qui éclaire tout homme » (Jn 1, 9-10).