Jean 1, 13
Ils ne sont pas nés du sang, ni d’une volonté charnelle, ni d’une volonté d’homme : ils sont nés de Dieu.
Ils ne sont pas nés du sang, ni d’une volonté charnelle, ni d’une volonté d’homme : ils sont nés de Dieu.
Il en est qui veulent que le Fils unique de Dieu, c'est-à-dire, le Dieu Verbe, qui était en Dieu au commencement, ne soit pas Dieu substantiellement, mais seulement la parole d'une voix qui s'est produite, c'est-à-dire, que le Fils serait pour Dieu le Père, ce que la parole est pour ceux qui la profèrent. Par suite de cette erreur, ils cherchent à nier, par leurs raisonnements insidieux, que le Verbe-Dieu soit né comme homme et comme Christ, en demeurant Dieu. Ils donnent à cette conception et à cette naissance une cause toute naturelle, et refusent de leur reconnaître un caractère mystérieux et divin, de sorte que dans leur sentiment, le Dieu Verbe n'a pas reçu son humanité d'un enfantement virginal, mais il a été simplement dans la personne de Jésus, comme l'esprit de prophétie était dans les prophètes. Ils nous reprochent d'ailleurs de dire que le Christ, dans sa naissance, n'a pas pris un corps et une âme semblables au nôtre, alors que nous professons hautement que le Verbe fait chair a pris en naissant une nature comme à la nôtre, et qu'il est vrai fils de Dieu, en même temps qu'il est né vrai Fils de l'homme. Mais de même qu'il avait reçu de la Vierge un corps qu'il avait lui-même créé, c'est de lui-même aussi que vient l'âme qu'il s'est unie, et qui d'ailleurs n'est jamais donnée à l'homme par voie de génération. Or, puisqu'il est certain qu'il est à la fois Fils de l'homme et Fils de Dieu, n'est-il pas ridicule de supposer en dehors du Fils de Dieu, du Verbe fait chair, je ne sais quel prophète, animé par le Verbe de Dieu, alors qu'il est certain que le Seigneur Jésus-Christ est à la fois Fils de Dieu et Fils de l'homme?
Ces paroles: «Le monde ne l'a point connu», doivent s'entendre des temps qui ont précédé l'incarnation. Celles qui suivent: «Il est venu dans son héritage», se rapportent aux temps de la prédication de l'Évangile.
Esclaves ou hommes libres, grecs ou barbares, savants ou illettrés, hommes ou femmes, enfants ou vieillards, tous ont été rendus dignes du même honneur: «Il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu».
Il ne dit pas qu'il les fit enfants de Dieu, mais qu'il leur à donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, nous apprenant ainsi que ce n'est qu'au prix de grands efforts que nous pouvons conserver sans tache ce caractère de l'adoption qui a été imprimé et gravé dans notre âme par le baptême. Il nous enseigne encore que personne ne peut nous ôter ce pouvoir, si nous-mêmes ne consentons à nous en dépouiller. Ceux à qui les hommes délèguent une partie de leur puissance ou de leur autorité, la possèdent presque à l'égal de ceux qui la leur ont donnée; à plus forte raison en sera-t-il ainsi de nous qui avons reçu cet honneur de Dieu même. Il veut encore nous apprendre que cette grâce n'est donnée qu'à ceux qui la veulent et qui la recherchent; car c'est le concours du libre arbitre et de l'opération de la grâce, qui nous fait enfants de Dieu.
Comme dans la distribution de ces biens ineffables, il appartient à Dieu de donner la grâce, de même qu'il appartient à l'homme de faire acte de foi, saint Jean ajoute: "A ceux qui croient en son nom". Pourquoi ne nous dites-vous pas, saint Évangéliste, quel sera le supplice de ceux qui n'ont pas voulu le recevoir? Mais quel supplice plus grand pour ceux qui ont reçu le pouvoir de devenir enfants de Dieu, que de refuser de le devenir, et de se priver volontairement d'un si grand honneur? Toutefois ce ne sera pas leur seul supplice, ils seront condamnés à un feu qui ne s'éteindra jamais, comme l'Évangéliste le déclarera plus ouvertement dans la suite (Jn 3).
L'Évangéliste, en parlant ainsi, veut nous faire comprendre d'un côté la bassesse de la première génération qui vient du sang et de la volonté de la chair, et l'élévation de la seconde qui vient de la grâce et ennoblit notre nature, afin que nous ayons une haute idée de la grâce qui nous a engendrés, et que nous ne négligions rien pour la conserver.
Il est venu dans son héritage, non pas dans un motif d'intérêt personnel (car Dieu n'a besoin de personne), mais pour combler les siens de bienfaits. Mais d'où a pu venir celui qui remplit tout de son immensité, et qui est présent partout? C'est par un effet de sa grande condescendance qu'il est venu jusqu'à nous; il était au milieu du monde, sans que le monde pensât à sa présence, parce qu'il n'eu était pas connu; il a donc daigné se revêtir d'un corps sensible. C'est cette manifestation et cette condescendance, qu'il appelle sa présence ou son avènement (hom. 11) Or, Dieu, plein de bonté et de miséricorde, ne néglige rien de ce qui peut nous élever à une vertu éminente. Aussi ne veut-il s'attacher personne par force ou par nécessité, et ne veut nous attirer à lui que par la persuasion et par les bienfaits. De là vient que les uns le reçurent, et que les autres refusèrent de le recevoir; car il ne veut pas qu'on soit à son service malgré soi et comme par contrainte; celui qui le sert forcément et de mauvaise grâce, est à ses yeux comme celui qui refuse complètement de le servir: «Et les siens ne l'ont pas reçu». (hom. 9). L'Évangéliste appelle les Juifs les siens, comme étant son peuple privilégié, ou bien tous les hommes comme étant tous ses créatures. Dans l'étonnement où le jetait la conduite insensée du genre humain, il s'est écrié plus haut: «Le monde a été fait par lui, et le monde n'a point connu son Créateur»; ici l'ingratitude des Juifs le remplit d'indignation, et il lance contre eux cette accusation bien plus grave: «Et les siens ne l'ont pas reçu».
Ou bien encore: après avoir dit que ceux qui l'ont reçu ont reçu de Dieu une nouvelle naissance, il fait connaître la cause d'un si grand honneur, c'est que le Verbe s'est fait chair, car le propre Fils de Dieu est devenu le Fils de l'homme, afin de rendre les hommes enfants de Dieu. Lorsque vous entendez dire que le Verbe s'est fait chair, ne vous laissez pas troubler par ces paroles. Il n'a point changé en chair la nature divine (interprétation qui serait une impiété), mais il a pris la forme d'esclave en demeurant ce qu'il est. C'est pour confondre les blasphèmes de ceux qui prétendent que tout ce qui a rapport à l'incarnation était fantastique et imaginaire que l'Évangéliste s'est servi de cette expression: «A été fait», expression qui ne signifie pas un changement de substance, mais l'union du Fils de Dieu à une chair véritable. S'ils viennent nous dire que Dieu étant tout-puissant, a bien pu changer en chair sa nature divine, nous répondrons que Dieu peut tout ce qui n'atteint pas directement son être divin. Or, toute idée de changement est directement opposée à cette nature immuable.
L'Évangéliste détruit par avance la fausse idée que ces paroles: «Le Verbe s'est fait chair», pourraient faire naître dans certains esprits, d'un changement ou d'une transformation de cette nature incorruptible, en ajoutant: «Et il a habité parmi nous». Car celui qui habite n'est pas une même chose avec le lieu qu'il habite, il en diffère. Je parle ici de la différence de nature, car en vertu de l'union étroite qui existe entre les deux natures, le Dieu Verbe fait chair, ne forme qu'une seule personne sans aucune confusion, comme sans destruction de ces deux natures.
«Il est venu dans son héritage», parce que toutes choses ont été faites par lui.
Mais si personne absolument ne l'a reçu, personne donc n'est sauvé; car la condition essentielle du salut, c'est de recevoir Jésus-Christ, aussi l'Évangéliste ajoute: «Tous ceux qui l'ont reçu», etc.
Quelle extrême bonté ! il était né Fils unique, et il n'a pas voulu demeurer seul; il n'a pas craint d'avoir des cohéritiers, parce que son héritage ne peut être amoindri par le partage qu'il en fait.
Ceux qui croient en son nom deviennent donc enfants de Dieu et frères de Jésus-Christ, et prennent par là même une nouvelle naissance. Comment, en effet, sans cette seconde naissance pourraient-ils devenir enfants de Dieu? Les enfants dès hommes naissent de la chair et du sang, de la volonté de l'homme et de l'union des époux. Mais comment naissent les enfants de Dieu? Ils ne sont pas nés des sangs, c'est-à-dire, de l'homme et de la femme. Le mot sangs (sanguina ou sanguines) n'est pas latin, mais comme cette expression est au pluriel dans le texte grec, le traducteur aima mieux la rendre de la sorte, sauf à employer un mot peu conforme aux règles de la latinité, pour faire mieux comprendre la vérité aux esprits moins intelligents. En effet, les enfants naissent du mélange du sang de l'homme et de la femme.
Dans les paroles suivantes: «Ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme»; la chair est synonyme de la femme, en souvenir de sa création. Lorsque, en effet, elle eut été créée d'une côte du premier homme, Adam lui dit: «Voici l'os de mes os et la chair de ma chair». Le mot chair signifie donc ici la femme, de même que souvent l'esprit est le symbole du mari, parce que son rôle est de commander, et celui de la femme de servir. Quelle maison plus mal ordonnée, en effet, que celle où la femme commande au mari? Les enfants de Dieu ne sont donc nés ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu.
Cette idée d'une naissance qui vient de Dieu était de nature à inspirer un sentiment d'étonnement mêlé de frayeur, et il pouvait même paraître incroyable que les hommes soient nés de Dieu. Aussi l'Évangéliste s'empresse de nous rassurer, en ajoutant: «Et le Verbe a été fait chair». Qu'y a-t-il d'étonnant que des hommes naissent de Dieu? Considérez Dieu lui-même qui a voulu naître des hommes.
De même que notre Verbe ou notre parole devient en quelque sorte la voix du corps en s'unissant à elle pour se manifester aux sens des hommes, ainsi le Verbe de Dieu s'est fait chair, en s'unissant à elle pour se manifester aussi aux hommes; notre parole devient voix, mais elle n'est pas changée en voix; ainsi le Verbe de Dieu s'est fait chair, mais loin de nous la pensée qu'il ait été changé en chair. Il s'est uni à la chair, mais il ne s'est pas transformé en chair, il s'est fait chair comme notre parole se fait voix.
Vous êtes impressionné de ce qu'il est écrit que le Verbe s'est fait chair, sans qu'il soit question de l'âme? Mais rappelez-vous que la chair est souvent mise pour l'homme tout entier en vertu de cette locution figurée qui emploie la partie pour le tout, comme dans ces paroles: «Toute chair viendra à vous» (Ps 64,3) Et dans ces autres: «Nulle chair ne sera justifiée par les oeuvres de la loi» (Rm 3,20). Ce que l'Apôtre explique plus clairement dans l'Epître aux Galates: «L'homme ne sera point justifié par les oeuvres de la loi» (Ga 2,16). Ces paroles: «Le Verbe s'est fait chair», ont donc la même signification que celles-ci: «Le Verbe s'est fait homme».
Le Verbe s'est fait homme en s'unissant une chair animée d'une âme raisonnable, par une union ineffable et incompréhensible, qui ne fait en lui qu'une seule personne, et il a été appelé Fils de l'homme, non par suite d'une simple union de volonté ou de bon vouloir, ni parce qu'il avait pris la simple personnalité de l'homme, mais par suite de l'union véritable de deux natures différentes qui n'ont formé qu'un seul Christ et qu'un seul Fils, sans que cette union étroite ait détruit la différence des deux natures.
Il est bon aussi de remarquer que dans la sainte Ecriture, le mot sang au pluriel signifie ordinairement le péché, comme dans ce passage du Psaume 50: «Délivrez-moi des sangs (de sanguinibus)
La génération charnelle de tous les hommes tire son origine de l'union des époux, tandis que la génération spirituelle a pour principe la grâce de l'Esprit saint.
Ces paroles: «Le Verbe s'est fait chair», ne doivent pas s'entendre dans un autre sens que celui-ci: Dieu s'est fait homme en prenant un corps et une âme. De même que chacun de nous est un composé d'un corps et d'une âme qui ne forment qu'un seul homme; ainsi Jésus-Christ, depuis son incarnation, ne fait qu'une seule personne formée de la divinité, d'un corps, et d'une âme. La divinité du Verbe a daigné s'unir à cette nature humaine qu'elle avait choisie spécialement pour qu'elle devînt une seule personne en Jésus-Christ. La nature divine n'a subi dans cette union aucune altération, aucun changement, elle s'est simplement unie à la nature humaine qu'elle n'avait pas auparavant.
C'est une vérité incontestable que le Fils de Dieu a pris, non pas la personne, mais la nature humaine pour l'unir à sa personne divine et éternelle; l'homme a comme passé en Dieu, non point par un changement de nature, mais par son union avec la personne divine. Il n'y a donc point deux Christs, il n'y a qu'un seul Christ, Dieu et homme tout à la fois.
Cette union du Verbe avec la chair est tellement ineffable, que pour l'exprimer, nous disons que le Verbe s'est fait chair, quoique le Verbe n'ait pas été changé en chair, et cette chair est appelée Dieu, bien qu'elle ne soit pas elle-même changée en la nature divine.
Nous confessons donc qu'il y a dans la seule personne de Jésus-Christ deux natures unies entre elles par un lien si ineffable, que chacune d'elles conservant ses propriétés, cette sainte et admirable union nous présente, non pas un changement ou une altération de la divinité, mais une élévation sublime pour l'humanité, c'est-à-dire, que Dieu n'a pas été changé en l'homme, mais l'homme glorifié en Dieu, etc.
Nous croyons qu'une âme incorporelle peut être unie à un corps, et que l'union de ces deux substances fait un seul homme; nous devons croire plus facilement que la nature divine qui est incorporelle, s'est unie à une âme jointe à un corps pour former une seule personne, de manière que le Verbe n'a pas été changé en chair, ni la chair dans le Verbe, pas plus que le corps ne se change en âme, ni l'âme en corps.
Ou bien encore: «Il a habité parmi nous», c'est-à-dire, il a vécu et conversé parmi les hommes.
On peut donc entendre ici ou le monde, ou la Judée, qu'il avait choisie pour héritage.
Ou bien encore, il veut parler ici de cette filiation parfaite, dont la résurrection doit nous mettre en possession, d'après ces paroles de l'Apôtre: "Attendant l'effet de l'adoption divine, la rédemption de notre corps". (Rm 8,23) Il nous a donc donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, c'est-à-dire d'obtenir cette grâce dans la vie future.
Apollinaire de Laodicée a voulu appuyer son hérésie sur ces paroles; il prétendait que le Christ n'avait point eu d'âme raisonnable, mais seulement un corps ayant pour âme la divinité qui gouvernait et dirigeait le corps.
Si l'Évangéliste nomme de préférence la chair, c'est pour nous montrer la condescendance inénarrable de Dieu, et nous faire admirer sa miséricorde qui l'a porté à s'unir pour notre salut, à ce qui est séparé de sa nature par une distance incommensurable, c'est-à-dire la chair. L'âme, en effet, a quelques points de rapprochement avec Dieu. Mais si le Verbe, en s'incarnant, n'avait pas pris une âme humaine, il s'ensuivrait que nos âmes ne seraient ni guéries ni rachetées, car le Sauveur n'a sanctifié que ce qu'il s'est uni. C'est l'âme qui, la première s'est rendue coupable, ne serait-il donc pas ridicule de supposer qu'il se soit uni la chair pour la sanctifier, tandis qu'il aurait délaissé la partie la plus noble de l'homme, comme aussi la plus malade? Ainsi se trouve encore détruite l'hérésie de Nestorius, qui enseignait que ce n'est pas le Verbe-Dieu qui s'est fait homme et qui a été conçu du sang d'une Vierge, mais que la Vierge a enfanté un homme, orné et enrichi de toutes les vertus, et que le Verbe de Dieu s'était uni. Il concluait de là qu'il y avait en Jésus-Christ deux fils, l'un né de la Vierge, qui était homme, l'autre né de Dieu, c'était son luis, qui était uni à cet homme par les liens de la grâce et de la charité. L'Évangéliste lui a répondu d'avance, en affirmant que c'est le Verbe lui-même qui s'est fait homme, et non pas que le Verbe a fait choix d'un homme vertueux pour s'unir à lui.
De ces paroles: «Le Verbe s'est fait chair», nous concluons que le Verbe s'est fait homme, et que tout en demeurant Fils de Dieu, il est devenu fils de la femme, à qui nous donnons le nom distinctif de mère de Dieu, parce qu'elle a véritablement engendré Dieu selon la chair.
142. Après avoir montré la nécessité de l’Incarnation du Verbe, l’Evangéliste manifeste sa finalité pour les hommes.
Il fait connaître en premier lieu la venue de la lumière : IL EST VENU CHEZ LUI ; puis la rencontre des hommes avec cette lumière : ET LES SIENS NE L’ONT PAS REÇU; MAIS A TOUS CEUX QUI L’ONT REÇU ; enfin le fruit de sa venue : IL A DONNE POUVOIR DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU, A CEUX QUI CROIENT EN SON NOM, QUI NE SONT PAS NES DU SANG, NI D’UN VOULOIR DE CHAIR, NI D’UN VOULOIR D’HOMME, MAIS DE DIEU . IL EST VENU CHEZ LUI
143. Selon Jean, cette lumière qui était présente au monde et évidente ou manifeste par ses effets n’était pourtant pas connue du monde. Aussi le Verbe est-Il VENU CHEZ LUI pour se faire connaître. La parole de l'Evangéliste ne doit pas être comprise d’un mouvement local : car venir signifierait alors cesser d’être où l’on était auparavant pour commencer d’être où l’on n’était pas. Pour éviter cette interprétation, l’Evangéliste dit IL EST VENU CHEZ LUI, c’est-à-dire dans ce qui était sien, qu’Il a fait Lui-même, là où Il était déjà — Je suis sorti du Père et je suis venu dans le monde . L’expression CHEZ LUI signifie pour certains la Judée, qui était sienne d’une manière spéciale — Dieu est connu en Judée , et : La vigne du Seigneur des armées, c’est la maison d’Israël . Mais il vaut mieux dire que CHEZ LUI signifie le monde créé par Lui — Au Seigneur, la terre et tout ce qu’elle renferme .
144. Cependant, s’Il était déjà dans le monde, comment a-t-Il pu y venir?
II faut répondre que venir dans un lieu peut s’entendre de deux manières : ou bien de quelqu’un qui va en un lieu où Il ne se trouvait en aucune façon auparavant, ou bien de quelqu’un qui va en un lieu où d’une certaine manière Il était déjà, mais où il commence d’être d’une manière nouvelle. Tel le roi qui, déjà présent par sa puissance dans quelque cité de son royaume, y vient ensuite en personne; on dit qu’il vient là où il était déjà. Là où il était seulement par sa puissance, il est venu par sa substance. Ainsi le Fils de Dieu est venu dans le monde, et pourtant Il était dans le monde. A la vérité, Il y était par son essence, sa puissance et sa présence, mais Il y est venu en assumant la chair; Il y était invisiblement, Il est venu pour y être visiblement.
145. L’Evangéliste parle ici de la rencontre des hommes avec le Verbe : ceux-ci se comportèrent de différentes manières à l’égard de Celui qui venait, car certains Le reçurent, d’autres non, et c’étaient LES SIENS; c’est pourquoi il dit : ET LES SIENS NE L’ONT PAS REÇU. LES SIENS, ce sont tous les hommes parce qu’ils ont été formés par Lui — Le Seigneur forma l’homme de la poussière du sol . Sachez-le, le Seigneur est Dieu et c’est Lui qui nous a faits , et qu’ils ont été faits à son image — Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance .
Cependant il est préférable de dire : LES SIENS, c’est-à-dire les Juifs, NE L’ONT PAS REÇU, par la foi, en croyant en Lui et en L’honorant — Je suis venu au nom de mon Père et vous ne m’avez pas reçu J’honore mon Père et vous, vous me déshonorez Les Juifs sont SIENS en vérité, car Il les a choisis pour son propre peuple — Le Seigneur t’a choisi comme nation qui soit bien à Lui Ils sont SIENS parce qu’ils sont ses parents selon la chair et parce qu’ils ont été élevés par ses bienfaits — Mes fils, je vous ai nourris et exaltés Mais bien qu’ils fussent SIENS, c’est-à-dire Juifs, ils ne L’ont pas reçu.
146. Il n’en manqua cependant pas pour Le recevoir; aussi l’Evangéliste ajoute-t-il : MAIS A TOUS CEUX QUI L’ONT REÇU. L’emploi de l’expression TOUS CEUX montre que l’accomplissement de la pro messe fut plus grand que la promesse elle-même : celle-ci ne s’adressait qu’aux SIENS, c’est-à-dire aux Juifs — Le Seigneur seul est notre législateur, le Seigneur est notre roi; c’est Lui qui nous sauvera ; l’accomplissement, lui, concerna non seulement les SIENS, mais TOUS CEUX QUI L’ONT REÇU, c’est-à-dire tous ceux qui croient en Lui selon l’enseignement de saint Paul : Je l’affirme en effet, le Christ Jésus s’est fait ministre de la circoncision pour montrer la véracité de Dieu en accomplissant les promesses faites à nos pères tandis que les païens glorifient Dieu à cause de sa miséricorde , car Dieu les accueille miséricordieusement.
147. Si Jean a dit : TOUS CEUX, c’est pour montrer que Dieu donne indifféremment sa grâce à tous ceux qui reçoivent le Christ — La grâce de l’Esprit Saint s’est répandue aussi sur les païens . Le Seigneur la donne non seulement aux hommes mais aux femmes également — Il n’y a plus ni Juif ni Grec; il n’y a ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme; vous n’êtes tous qu’un dans le Christ Jésus .
148. L’Evangéliste rapporte le fruit de la venue du Verbe et en expose d’abord la magnificence puis il montre à qui Il donne ce fruit : A CEUX QUI CROIENT EN SON NOM ; enfin comment Il leur a donné ce fruit : QUI NE SONT PAS NES DU SANG, NI D’UN VOULOIR DE CHAIR, NI D’UN VOULOIR D’HOMME, MAIS DE DIEU .
149. Le fruit de la venue du Fils de Dieu est grand car, par elle, les hommes deviennent fils de Dieu — Dieu envoya son Fils, né d’une femme (...) pour faire de nous ses fils adoptifs Ne convenait-il pas que nous qui sommes fils de Dieu par le fait que nous sommes rendus semblables au Fils, nous soyons transformés par ce même Fils?
150. Pour comprendre ces paroles de Jean, il faut savoir que les hommes sont triplement fils de Dieu, par une triple assimilation à Dieu.
Par le don de la grâce. Quiconque a la grâce sanctifiante est fait fils de Dieu — Car vous n’avez pas reçu un esprit de servitude pour retomber dans la crainte, mais vous avez reçu un esprit d’adoption filiale qui nous fait crier Abba, Père ; Parce que vous êtes enfants de Dieu, Dieu a envoyé dans vos cœurs l’Esprit de son Fils qui crie : Abba, Père .
Par la perfection de nos œuvres. Celui qui accomplit les œuvres de la justice est fils de Dieu : Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent, afin de vous montrer les fils de votre Père qui est dans les cieux, qui fait lever son soleil sur les méchants et les bons, et tomber la pluie sur les justes et les injustes .
Par l’acquisition de la gloire à la fois dans l’âme par la lumière de gloire — Lorsqu’il apparaîtra, nous Lui serons semblables, parce que nous Le verrons tel qu’Il est et dans le corps — Le Seigneur Jésus-Christ transformera notre corps de misère pour le conformer à son corps de gloire avec cette force qu’Il a de pouvoir se soumettre même l’univers entier . C’est bien ce que dit Paul : Nous attendons l’adoption des enfants de Dieu, la rédemption de nos corps .
151. Si donc nous considérons que le POUVOIR DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU se rapporte à la perfection des œuvres ou à l’acquisition de la gloire, le texte de Jean IL LEUR A DONNE POUVOIR n’offre aucune difficulté; on l’entend alors de la puissance de la grâce par laquelle l’homme qui la possède peut accomplir les œuvres de la perfection et acquérir la gloire, car la grâce de Dieu, c’est la vie éternelle . Selon cette interprétation, on dit IL A DONNE, à ceux qui L’ont reçu, le POUVOIR, c’est-à-dire le don de la grâce, DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU, en accomplissant le bien et en acquérant la gloire.
152. Mais si nous entendons le POUVOIR DE DEVE NIR ENFANTS DE DIEU du don même de la grâce, ce que dit l'Evangéliste devient équivoque, car il n’est pas en notre pouvoir de DEVENIR ENFANTS DE DIEU, puisqu’il n’est pas en notre pouvoir de posséder la grâce. IL LEUR A DONNE POUVOIR peut s’entendre alors soit du pouvoir de la nature, et cela ne semble pas être vrai parce que le don de la grâce est au-dessus de notre nature; soit du pouvoir de la grâce, et alors avoir la grâce serait avoir le POUVOIR DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU, et ainsi le Verbe ne leur aurait pas donné le pouvoir de DEVENIR ENFANTS DE DIEU, mais d’être enfants de Dieu.
153. Voici la réponse à cette difficulté : quand Il accorde sa grâce pour la justification, Dieu requiert de l’homme adulte son consentement par le mouvement de son libre arbitre. C’est pourquoi, parce qu’il est au pouvoir de l’homme de donner ou de refuser son consentement, Dieu lui A DONNE POUVOIR de devenir enfant de Dieu.
Dieu a donné aux hommes ce pouvoir de recevoir sa grâce de deux manières. En premier lieu Il les prépare à cette grâce et la leur propose. En effet, de celui qui compose un livre et en présente la lecture à un homme, on dit qu’il donne à l’homme le pouvoir de lire ce livre. De même le Christ, par qui la grâce nous a été communiquée , et qui a opéré le salut au milieu de la terre , nous A DONNE POUVOIR DE DEVENIR EN FANTS DE DIEU par la réception de la grâce.
154. En second lieu, parce que cela ne suffit pas — puisque pour être mû à recevoir la grâce, le libre arbitre a encore besoin du secours de la grâce divine, non certes de la grâce habituelle, mais d’une motion actuelle — Dieu donne ce pouvoir en mouvant le libre arbitre de l’homme à consentir à recevoir la grâce, suivant cette parole : Convertis-nous à toi, Seigneur, en mouvant notre volonté à t’aimer, et nous serons convertis . Et cette motion est appelée appel intérieur, celui dont parle l’Apôtre Ceux qu’Il a appelés, en incitant intérieurement leur volonté à consentir à la grâce, Il les a justifiés, en répandant en eux la grâce .
155. Cependant, par cette grâce, l’homme a le pou voir de se conserver dans la filiation divine; on peut donc dire alors : IL LEUR A DONNE, c’est-à-dire à ceux qui Le reçoivent, le POUVOIR DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU, à savoir la grâce qui leur donne le pouvoir de se conserver dans la filiation divine — Quiconque est né de Dieu ne pèche pas, mais la génération de Dieu, par laquelle nous sommes régénérés en fils de Dieu, LE PROTEGE .
156. Ainsi, par la grâce sanctifiante, par la perfection des œuvres et par l’acquisition de la gloire, le Verbe a donné A CEUX QUI L’ONT REÇU le POUVOIR DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU, en les préparant à recevoir la grâce, en les poussant à y consentir et en la leur conservant.
157. En disant cela l’Evangéliste montre à qui est accordé le fruit de la venue du Verbe. Ces paroles peu vent être comprises comme une explication de ce qui a été dit plus haut, ou bien comme apportant une restriction.
Comme une explication : pour expliciter le sens de TOUS CEUX QUI L’ONT REÇU, pour montrer ce que c’est que Le recevoir, Jean ajoute A CEUX QUI CROIENT EN SON NOM; comme s’il disait : recevoir le Christ, c’est croire en Lui, car le Christ habite dans vos cœurs par la foi . Ceux-là donc L’ONT REÇU, qui CROIENT EN SON NOM.
158. Comme apportant une restriction : selon Origène , les paroles A CEUX QUI CROIENT EN SON NOM doivent s’entendre comme restreignant les précédentes TOUS CEUX QUI LE REÇOIVENT. Beaucoup en effet se disant chrétiens reçoivent le Christ, mais sans devenir pour autant fils de Dieu, parce qu’ils ne croient pas vraiment en son nom, enseignant à son sujet de faux dogmes, c’est-à-dire soustrayant quelque chose soit à sa divinité soit à son humanité — Tout esprit qui divise le Christ n’est pas de Dieu . Aussi l’Evangéliste précise-t-il : IL LEUR A DONNE, c’est-à-dire à ceux qui L’ont reçu par la foi, le POUVOIR DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU, à ceux-là cependant QUI CROIENT EN SON NOM, c’est-à-dire qui gardent intègre le nom du Christ, ne retranchant rien à sa divinité ni à son humanité.
159. On peut aussi rapporter ces paroles à la formation de la foi elles signifient alors : A CEUX QUI CROIENT EN SON NOM, c’est-à-dire qui font des œuvres de salut, grâce à leur foi informée par la charité, le Verbe A DONNE POUVOIR DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU. Ceux qui n’ont qu’une foi informe ne croient pas en son nom, parce qu’ils ne travaillent pas en vue du salut. Cependant la première interprétation est plus appropriée.
160. En disant cela l’Evangéliste montre de quelle manière ce fruit si magnifique est accordé aux hommes. Il vient de dire que le fruit de la venue de la lumière est le POUVOIR donné aux hommes DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU. Or on dit de quelqu’un qu’il est fils du fait qu’il naît. Mais afin qu’on ne pense pas que les enfants de Dieu naissent par une génération naturelle, l’Evangéliste dit : QUI NE SONT PAS NES DU SANG. Il faut remarquer ici que la génération charnelle implique une double cause, à savoir la cause matérielle et celle qui pousse à l’acte. Or la cause matérielle de la génération est le sang et c’est pourquoi il dit : QUI NE SONT PAS NES DU SANG. Bien que le mot "sang" en latin n’ait pas de pluriel, parce qu’en grec il en a un le traducteur latin a négligé la grammaire pour enseigner parfaitement la vérité. Aussi n’a-t-il pas dit : "Nés du sang", comme les latins, mais : "Nés des sangs". Par cette expression il faut entendre tout ce qui est engendré du sang et concourt comme matière à la génération charnelle. Or la semence, d’après Aristote, est le superflu de la nourriture du sang . Aussi, semence de l’homme ou menstrues de la femme, l’Evangéliste les désigne par le SANG. La cause sous la motion de laquelle s’accomplit l’acte charnel est la volonté de ceux qui s’unissent, c’est-à-dire l’homme et la femme; car, bien que l’acte de la fonction génératrice en tant que tel ne soit pas soumis à la volonté, du moins les préambules lui sont-ils soumis. Aussi Jean dit-il QUI NE SONT PAS NES D’UN VOULOIR DE CHAIR, c’est-à-dire de la femme, NI D’UN VOULOIR D’HOMME, comme cause efficiente, MAIS DE DIEU — comme s’il disait : ils sont devenus enfants de Dieu d’une manière non pas charnelle mais spirituelle.
D’après Augustin la chair, ici, désigne la femme car, de même que la chair obéit à l’esprit, de même la femme doit obéir à l’homme — Celle-ci est os de mes os et chair de ma chair, dit Adam en parlant d’Eve . Et selon la remarque d’Augustin , de même que les riches ses d’une maison sont réduites à rien là où la femme commande et où le mari obéit, de même c’est la ruine pour l’homme en qui la chair domine l’esprit; aussi l’Apôtre dit-il : Nous ne sommes pas débiteurs envers la chair pour vivre selon la chair . Et au sujet de la génération charnelle, nous lisons : J’ai été fait chair dans le sein de ma mère .
161. Ou bien nous pouvons dire que ce qui pousse l’homme à la génération charnelle est double : d’une part, du côté de l’appétit spirituel, la volonté; d’autre part, du côté sensible, la concupiscence. Pour désigner la cause matérielle, Jean dit : NON DU SANG; et pour désigner la cause efficiente, du côté de la concupiscence, il dit : NI D’UN VOULOIR DE CHAIR. Certes c’est d’une manière impropre qu’il parle de volonté à propos de la concupiscence de la chair, mais c’est bien en ce sens qu’il est écrit : La chair convoite contre l’esprit et l’es prit contre la chair; en effet, ils sont opposés l’un à l’autre, de sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez . La volonté s’entend ici de la volonté de la chair, qui est la concupiscence, et de la volonté de l’esprit. Et pour l’appétit spirituel, l’Evangéliste dit : NI D’UN VOULOIR D’HOMME. Ainsi, la génération des enfants de Dieu n’est point charnelle, mais spirituelle, parce qu’ils sont nés de Dieu — Tout ce qui est né de Dieu est vainqueur du monde .
162. Il faut remarquer que la préposition latine a (par) indique toujours la cause qui meut, tandis que la préposition de indique toujours la cause matérielle et efficiente, et même la cause consubstantielle. Nous disons en effet que l’artisan fabrique un couteau de ferro, avec du fer, et que le père engendre son fils de seipso, de lui-même, car quelque chose de lui concourt d’une certaine manière à la génération du fils. Quant à la préposition ex (de), on l’utilise dans un sens plus général; elle désigne la cause matérielle et efficiente, mais non la cause consubstantielle.
Or seul le Verbe est le Fils de Dieu, de la substance du Père; bien plus Il est une seule substance avec le Père, tandis que les autres, les hommes justes, sont fils de Dieu sans toutefois être de sa substance. L’Evangéliste, pour cette raison, se sert de la préposition ex pour dire de ces derniers qu’ils sont nés de Dieu, ex Deo; mais, du Fils selon la nature, on dit d’une manière uni que qu’Il est né de Dieu le Père, de Deo Patre.
163. Remarquons enfin que d’après la dernière explication sur la génération charnelle, nous pouvons reconnaître une autre différence entre cette génération et la génération spirituelle.
En effet celle-là, parce qu’elle vient du sang, est charnelle; et celle-ci, parce qu’elle ne vient pas du sang, est spirituelle — Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’esprit est esprit . Parce qu’elle vient d’un vouloir de chair, c’est-à-dire de la concupiscence, la génération charnelle est impure et engendre des enfants pécheurs — Jadis (...) nous étions par nature enfants de colère . Au contraire, celle qui vient d’un vouloir d’homme, c’est-à-dire de l’esprit, est pure et fait des fils de lumière .
De plus, selon la première explication, la génération charnelle, parce qu’elle vient d’une volonté d’homme, engendre des enfants d’homme; tandis que la génération spirituelle, parce qu’elle vient de Dieu, engendre des enfants de Dieu.
164. Si nous voulons rapporter au baptême, par lequel nous sommes régénérés en enfants de Dieu, les paroles : IL LEUR A DONNE POUVOIR DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU, nous pouvons voir en elles l’ordre requis pour le baptême. Pour celui-ci, en effet, est exigée en premier lieu la foi au Christ; aussi les catéchumènes doivent-ils être d’abord instruits de la foi, afin de croire EN SON NOM et d’être ensuite régénérés par le baptême, [par lequel ils naissent] non certes DU SANG, d’une manière charnelle, MAIS DE DIEU, d’une manière spirituelle.
Il fait connaître en premier lieu la venue de la lumière : IL EST VENU CHEZ LUI ; puis la rencontre des hommes avec cette lumière : ET LES SIENS NE L’ONT PAS REÇU; MAIS A TOUS CEUX QUI L’ONT REÇU ; enfin le fruit de sa venue : IL A DONNE POUVOIR DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU, A CEUX QUI CROIENT EN SON NOM, QUI NE SONT PAS NES DU SANG, NI D’UN VOULOIR DE CHAIR, NI D’UN VOULOIR D’HOMME, MAIS DE DIEU . IL EST VENU CHEZ LUI
143. Selon Jean, cette lumière qui était présente au monde et évidente ou manifeste par ses effets n’était pourtant pas connue du monde. Aussi le Verbe est-Il VENU CHEZ LUI pour se faire connaître. La parole de l'Evangéliste ne doit pas être comprise d’un mouvement local : car venir signifierait alors cesser d’être où l’on était auparavant pour commencer d’être où l’on n’était pas. Pour éviter cette interprétation, l’Evangéliste dit IL EST VENU CHEZ LUI, c’est-à-dire dans ce qui était sien, qu’Il a fait Lui-même, là où Il était déjà — Je suis sorti du Père et je suis venu dans le monde . L’expression CHEZ LUI signifie pour certains la Judée, qui était sienne d’une manière spéciale — Dieu est connu en Judée , et : La vigne du Seigneur des armées, c’est la maison d’Israël . Mais il vaut mieux dire que CHEZ LUI signifie le monde créé par Lui — Au Seigneur, la terre et tout ce qu’elle renferme .
144. Cependant, s’Il était déjà dans le monde, comment a-t-Il pu y venir?
II faut répondre que venir dans un lieu peut s’entendre de deux manières : ou bien de quelqu’un qui va en un lieu où Il ne se trouvait en aucune façon auparavant, ou bien de quelqu’un qui va en un lieu où d’une certaine manière Il était déjà, mais où il commence d’être d’une manière nouvelle. Tel le roi qui, déjà présent par sa puissance dans quelque cité de son royaume, y vient ensuite en personne; on dit qu’il vient là où il était déjà. Là où il était seulement par sa puissance, il est venu par sa substance. Ainsi le Fils de Dieu est venu dans le monde, et pourtant Il était dans le monde. A la vérité, Il y était par son essence, sa puissance et sa présence, mais Il y est venu en assumant la chair; Il y était invisiblement, Il est venu pour y être visiblement.
145. L’Evangéliste parle ici de la rencontre des hommes avec le Verbe : ceux-ci se comportèrent de différentes manières à l’égard de Celui qui venait, car certains Le reçurent, d’autres non, et c’étaient LES SIENS; c’est pourquoi il dit : ET LES SIENS NE L’ONT PAS REÇU. LES SIENS, ce sont tous les hommes parce qu’ils ont été formés par Lui — Le Seigneur forma l’homme de la poussière du sol . Sachez-le, le Seigneur est Dieu et c’est Lui qui nous a faits , et qu’ils ont été faits à son image — Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance .
Cependant il est préférable de dire : LES SIENS, c’est-à-dire les Juifs, NE L’ONT PAS REÇU, par la foi, en croyant en Lui et en L’honorant — Je suis venu au nom de mon Père et vous ne m’avez pas reçu J’honore mon Père et vous, vous me déshonorez Les Juifs sont SIENS en vérité, car Il les a choisis pour son propre peuple — Le Seigneur t’a choisi comme nation qui soit bien à Lui Ils sont SIENS parce qu’ils sont ses parents selon la chair et parce qu’ils ont été élevés par ses bienfaits — Mes fils, je vous ai nourris et exaltés Mais bien qu’ils fussent SIENS, c’est-à-dire Juifs, ils ne L’ont pas reçu.
146. Il n’en manqua cependant pas pour Le recevoir; aussi l’Evangéliste ajoute-t-il : MAIS A TOUS CEUX QUI L’ONT REÇU. L’emploi de l’expression TOUS CEUX montre que l’accomplissement de la pro messe fut plus grand que la promesse elle-même : celle-ci ne s’adressait qu’aux SIENS, c’est-à-dire aux Juifs — Le Seigneur seul est notre législateur, le Seigneur est notre roi; c’est Lui qui nous sauvera ; l’accomplissement, lui, concerna non seulement les SIENS, mais TOUS CEUX QUI L’ONT REÇU, c’est-à-dire tous ceux qui croient en Lui selon l’enseignement de saint Paul : Je l’affirme en effet, le Christ Jésus s’est fait ministre de la circoncision pour montrer la véracité de Dieu en accomplissant les promesses faites à nos pères tandis que les païens glorifient Dieu à cause de sa miséricorde , car Dieu les accueille miséricordieusement.
147. Si Jean a dit : TOUS CEUX, c’est pour montrer que Dieu donne indifféremment sa grâce à tous ceux qui reçoivent le Christ — La grâce de l’Esprit Saint s’est répandue aussi sur les païens . Le Seigneur la donne non seulement aux hommes mais aux femmes également — Il n’y a plus ni Juif ni Grec; il n’y a ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme; vous n’êtes tous qu’un dans le Christ Jésus .
148. L’Evangéliste rapporte le fruit de la venue du Verbe et en expose d’abord la magnificence puis il montre à qui Il donne ce fruit : A CEUX QUI CROIENT EN SON NOM ; enfin comment Il leur a donné ce fruit : QUI NE SONT PAS NES DU SANG, NI D’UN VOULOIR DE CHAIR, NI D’UN VOULOIR D’HOMME, MAIS DE DIEU .
149. Le fruit de la venue du Fils de Dieu est grand car, par elle, les hommes deviennent fils de Dieu — Dieu envoya son Fils, né d’une femme (...) pour faire de nous ses fils adoptifs Ne convenait-il pas que nous qui sommes fils de Dieu par le fait que nous sommes rendus semblables au Fils, nous soyons transformés par ce même Fils?
150. Pour comprendre ces paroles de Jean, il faut savoir que les hommes sont triplement fils de Dieu, par une triple assimilation à Dieu.
Par le don de la grâce. Quiconque a la grâce sanctifiante est fait fils de Dieu — Car vous n’avez pas reçu un esprit de servitude pour retomber dans la crainte, mais vous avez reçu un esprit d’adoption filiale qui nous fait crier Abba, Père ; Parce que vous êtes enfants de Dieu, Dieu a envoyé dans vos cœurs l’Esprit de son Fils qui crie : Abba, Père .
Par la perfection de nos œuvres. Celui qui accomplit les œuvres de la justice est fils de Dieu : Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent, afin de vous montrer les fils de votre Père qui est dans les cieux, qui fait lever son soleil sur les méchants et les bons, et tomber la pluie sur les justes et les injustes .
Par l’acquisition de la gloire à la fois dans l’âme par la lumière de gloire — Lorsqu’il apparaîtra, nous Lui serons semblables, parce que nous Le verrons tel qu’Il est et dans le corps — Le Seigneur Jésus-Christ transformera notre corps de misère pour le conformer à son corps de gloire avec cette force qu’Il a de pouvoir se soumettre même l’univers entier . C’est bien ce que dit Paul : Nous attendons l’adoption des enfants de Dieu, la rédemption de nos corps .
151. Si donc nous considérons que le POUVOIR DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU se rapporte à la perfection des œuvres ou à l’acquisition de la gloire, le texte de Jean IL LEUR A DONNE POUVOIR n’offre aucune difficulté; on l’entend alors de la puissance de la grâce par laquelle l’homme qui la possède peut accomplir les œuvres de la perfection et acquérir la gloire, car la grâce de Dieu, c’est la vie éternelle . Selon cette interprétation, on dit IL A DONNE, à ceux qui L’ont reçu, le POUVOIR, c’est-à-dire le don de la grâce, DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU, en accomplissant le bien et en acquérant la gloire.
152. Mais si nous entendons le POUVOIR DE DEVE NIR ENFANTS DE DIEU du don même de la grâce, ce que dit l'Evangéliste devient équivoque, car il n’est pas en notre pouvoir de DEVENIR ENFANTS DE DIEU, puisqu’il n’est pas en notre pouvoir de posséder la grâce. IL LEUR A DONNE POUVOIR peut s’entendre alors soit du pouvoir de la nature, et cela ne semble pas être vrai parce que le don de la grâce est au-dessus de notre nature; soit du pouvoir de la grâce, et alors avoir la grâce serait avoir le POUVOIR DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU, et ainsi le Verbe ne leur aurait pas donné le pouvoir de DEVENIR ENFANTS DE DIEU, mais d’être enfants de Dieu.
153. Voici la réponse à cette difficulté : quand Il accorde sa grâce pour la justification, Dieu requiert de l’homme adulte son consentement par le mouvement de son libre arbitre. C’est pourquoi, parce qu’il est au pouvoir de l’homme de donner ou de refuser son consentement, Dieu lui A DONNE POUVOIR de devenir enfant de Dieu.
Dieu a donné aux hommes ce pouvoir de recevoir sa grâce de deux manières. En premier lieu Il les prépare à cette grâce et la leur propose. En effet, de celui qui compose un livre et en présente la lecture à un homme, on dit qu’il donne à l’homme le pouvoir de lire ce livre. De même le Christ, par qui la grâce nous a été communiquée , et qui a opéré le salut au milieu de la terre , nous A DONNE POUVOIR DE DEVENIR EN FANTS DE DIEU par la réception de la grâce.
154. En second lieu, parce que cela ne suffit pas — puisque pour être mû à recevoir la grâce, le libre arbitre a encore besoin du secours de la grâce divine, non certes de la grâce habituelle, mais d’une motion actuelle — Dieu donne ce pouvoir en mouvant le libre arbitre de l’homme à consentir à recevoir la grâce, suivant cette parole : Convertis-nous à toi, Seigneur, en mouvant notre volonté à t’aimer, et nous serons convertis . Et cette motion est appelée appel intérieur, celui dont parle l’Apôtre Ceux qu’Il a appelés, en incitant intérieurement leur volonté à consentir à la grâce, Il les a justifiés, en répandant en eux la grâce .
155. Cependant, par cette grâce, l’homme a le pou voir de se conserver dans la filiation divine; on peut donc dire alors : IL LEUR A DONNE, c’est-à-dire à ceux qui Le reçoivent, le POUVOIR DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU, à savoir la grâce qui leur donne le pouvoir de se conserver dans la filiation divine — Quiconque est né de Dieu ne pèche pas, mais la génération de Dieu, par laquelle nous sommes régénérés en fils de Dieu, LE PROTEGE .
156. Ainsi, par la grâce sanctifiante, par la perfection des œuvres et par l’acquisition de la gloire, le Verbe a donné A CEUX QUI L’ONT REÇU le POUVOIR DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU, en les préparant à recevoir la grâce, en les poussant à y consentir et en la leur conservant.
157. En disant cela l’Evangéliste montre à qui est accordé le fruit de la venue du Verbe. Ces paroles peu vent être comprises comme une explication de ce qui a été dit plus haut, ou bien comme apportant une restriction.
Comme une explication : pour expliciter le sens de TOUS CEUX QUI L’ONT REÇU, pour montrer ce que c’est que Le recevoir, Jean ajoute A CEUX QUI CROIENT EN SON NOM; comme s’il disait : recevoir le Christ, c’est croire en Lui, car le Christ habite dans vos cœurs par la foi . Ceux-là donc L’ONT REÇU, qui CROIENT EN SON NOM.
158. Comme apportant une restriction : selon Origène , les paroles A CEUX QUI CROIENT EN SON NOM doivent s’entendre comme restreignant les précédentes TOUS CEUX QUI LE REÇOIVENT. Beaucoup en effet se disant chrétiens reçoivent le Christ, mais sans devenir pour autant fils de Dieu, parce qu’ils ne croient pas vraiment en son nom, enseignant à son sujet de faux dogmes, c’est-à-dire soustrayant quelque chose soit à sa divinité soit à son humanité — Tout esprit qui divise le Christ n’est pas de Dieu . Aussi l’Evangéliste précise-t-il : IL LEUR A DONNE, c’est-à-dire à ceux qui L’ont reçu par la foi, le POUVOIR DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU, à ceux-là cependant QUI CROIENT EN SON NOM, c’est-à-dire qui gardent intègre le nom du Christ, ne retranchant rien à sa divinité ni à son humanité.
159. On peut aussi rapporter ces paroles à la formation de la foi elles signifient alors : A CEUX QUI CROIENT EN SON NOM, c’est-à-dire qui font des œuvres de salut, grâce à leur foi informée par la charité, le Verbe A DONNE POUVOIR DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU. Ceux qui n’ont qu’une foi informe ne croient pas en son nom, parce qu’ils ne travaillent pas en vue du salut. Cependant la première interprétation est plus appropriée.
160. En disant cela l’Evangéliste montre de quelle manière ce fruit si magnifique est accordé aux hommes. Il vient de dire que le fruit de la venue de la lumière est le POUVOIR donné aux hommes DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU. Or on dit de quelqu’un qu’il est fils du fait qu’il naît. Mais afin qu’on ne pense pas que les enfants de Dieu naissent par une génération naturelle, l’Evangéliste dit : QUI NE SONT PAS NES DU SANG. Il faut remarquer ici que la génération charnelle implique une double cause, à savoir la cause matérielle et celle qui pousse à l’acte. Or la cause matérielle de la génération est le sang et c’est pourquoi il dit : QUI NE SONT PAS NES DU SANG. Bien que le mot "sang" en latin n’ait pas de pluriel, parce qu’en grec il en a un le traducteur latin a négligé la grammaire pour enseigner parfaitement la vérité. Aussi n’a-t-il pas dit : "Nés du sang", comme les latins, mais : "Nés des sangs". Par cette expression il faut entendre tout ce qui est engendré du sang et concourt comme matière à la génération charnelle. Or la semence, d’après Aristote, est le superflu de la nourriture du sang . Aussi, semence de l’homme ou menstrues de la femme, l’Evangéliste les désigne par le SANG. La cause sous la motion de laquelle s’accomplit l’acte charnel est la volonté de ceux qui s’unissent, c’est-à-dire l’homme et la femme; car, bien que l’acte de la fonction génératrice en tant que tel ne soit pas soumis à la volonté, du moins les préambules lui sont-ils soumis. Aussi Jean dit-il QUI NE SONT PAS NES D’UN VOULOIR DE CHAIR, c’est-à-dire de la femme, NI D’UN VOULOIR D’HOMME, comme cause efficiente, MAIS DE DIEU — comme s’il disait : ils sont devenus enfants de Dieu d’une manière non pas charnelle mais spirituelle.
D’après Augustin la chair, ici, désigne la femme car, de même que la chair obéit à l’esprit, de même la femme doit obéir à l’homme — Celle-ci est os de mes os et chair de ma chair, dit Adam en parlant d’Eve . Et selon la remarque d’Augustin , de même que les riches ses d’une maison sont réduites à rien là où la femme commande et où le mari obéit, de même c’est la ruine pour l’homme en qui la chair domine l’esprit; aussi l’Apôtre dit-il : Nous ne sommes pas débiteurs envers la chair pour vivre selon la chair . Et au sujet de la génération charnelle, nous lisons : J’ai été fait chair dans le sein de ma mère .
161. Ou bien nous pouvons dire que ce qui pousse l’homme à la génération charnelle est double : d’une part, du côté de l’appétit spirituel, la volonté; d’autre part, du côté sensible, la concupiscence. Pour désigner la cause matérielle, Jean dit : NON DU SANG; et pour désigner la cause efficiente, du côté de la concupiscence, il dit : NI D’UN VOULOIR DE CHAIR. Certes c’est d’une manière impropre qu’il parle de volonté à propos de la concupiscence de la chair, mais c’est bien en ce sens qu’il est écrit : La chair convoite contre l’esprit et l’es prit contre la chair; en effet, ils sont opposés l’un à l’autre, de sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez . La volonté s’entend ici de la volonté de la chair, qui est la concupiscence, et de la volonté de l’esprit. Et pour l’appétit spirituel, l’Evangéliste dit : NI D’UN VOULOIR D’HOMME. Ainsi, la génération des enfants de Dieu n’est point charnelle, mais spirituelle, parce qu’ils sont nés de Dieu — Tout ce qui est né de Dieu est vainqueur du monde .
162. Il faut remarquer que la préposition latine a (par) indique toujours la cause qui meut, tandis que la préposition de indique toujours la cause matérielle et efficiente, et même la cause consubstantielle. Nous disons en effet que l’artisan fabrique un couteau de ferro, avec du fer, et que le père engendre son fils de seipso, de lui-même, car quelque chose de lui concourt d’une certaine manière à la génération du fils. Quant à la préposition ex (de), on l’utilise dans un sens plus général; elle désigne la cause matérielle et efficiente, mais non la cause consubstantielle.
Or seul le Verbe est le Fils de Dieu, de la substance du Père; bien plus Il est une seule substance avec le Père, tandis que les autres, les hommes justes, sont fils de Dieu sans toutefois être de sa substance. L’Evangéliste, pour cette raison, se sert de la préposition ex pour dire de ces derniers qu’ils sont nés de Dieu, ex Deo; mais, du Fils selon la nature, on dit d’une manière uni que qu’Il est né de Dieu le Père, de Deo Patre.
163. Remarquons enfin que d’après la dernière explication sur la génération charnelle, nous pouvons reconnaître une autre différence entre cette génération et la génération spirituelle.
En effet celle-là, parce qu’elle vient du sang, est charnelle; et celle-ci, parce qu’elle ne vient pas du sang, est spirituelle — Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’esprit est esprit . Parce qu’elle vient d’un vouloir de chair, c’est-à-dire de la concupiscence, la génération charnelle est impure et engendre des enfants pécheurs — Jadis (...) nous étions par nature enfants de colère . Au contraire, celle qui vient d’un vouloir d’homme, c’est-à-dire de l’esprit, est pure et fait des fils de lumière .
De plus, selon la première explication, la génération charnelle, parce qu’elle vient d’une volonté d’homme, engendre des enfants d’homme; tandis que la génération spirituelle, parce qu’elle vient de Dieu, engendre des enfants de Dieu.
164. Si nous voulons rapporter au baptême, par lequel nous sommes régénérés en enfants de Dieu, les paroles : IL LEUR A DONNE POUVOIR DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU, nous pouvons voir en elles l’ordre requis pour le baptême. Pour celui-ci, en effet, est exigée en premier lieu la foi au Christ; aussi les catéchumènes doivent-ils être d’abord instruits de la foi, afin de croire EN SON NOM et d’être ensuite régénérés par le baptême, [par lequel ils naissent] non certes DU SANG, d’une manière charnelle, MAIS DE DIEU, d’une manière spirituelle.
Beau développement des mots «enfants de Dieu » (verset 12) . La filiation divine, à laquelle ont droit tous
ceux qui croient à N.-S. Jésus-Christ , ne s’obtient pas par la génération humaine, ainsi que le pensaient les
Juifs ; comme son nom l’indique, elle provient directement de Dieu. Ces deux idées sont mises en opposition
de la manière la plus expressive. La première, sur laquelle S. Jean insiste davantage, est répétée coup sur
coup jusqu’à trois fois, au moyen de synonymes énergiques placés en gradation ascendante. - Qui ne sont
pas nés du sang. « non comme le fils d'un mortel, mais comme un rejeton de la race divine », Tite Live, 38,
58. Le sang était regardé chez les anciens comme le centre de la vie physique. Cf. Gen. 9, 4 ; Lev. 17, 1, 14 ;
Deut. 12, 23, etc. D’après quelques commentateurs, le pluriel grec désignerait le sang du père et celui de la
mère, communiqué à leurs enfants. D’autres le regardent comme un hébraïsme. On voit plus communément
aujourd’hui dans l’expression « du sang » un pluriel idiomatique, et désignant les particules multiples dont
le sang, comme tout autre liquide, est composé. - Ni de la volonté de la chair. Par chair, il faut entendre,
d’après de nombreux passages du Nouveau Testament et surtout de S. Paul, l’homme animal et ses appétits
inférieurs, sensuels. - Ni de la volonté de l’homme. Troisième assertion, qui reprend et résume les deux
autres. La gradation est marquée en ces termes par S. Thomas : « Du sang, donc d'une cause matérielle ; de la
volonté de la chair, donc d'une cause liée à la concupiscence ; de la volonté de l'homme, donc d'une cause
d'ordre intellectuel ». La « volonté de l’homme », c’est la personnalité supérieure à l’instinct aveugle. - Mais
de Dieu. Contraste saisissant. Un seul mot opposé aux trois qui précèdent ; une naissance toute spirituelle en
face de l’origine charnelle et matérielle ; une seconde humanité qui vient remplacer la première. « Notre
naissance est une naissance virginale. Dieu seul nous fait naître de nouveau comme ses enfants », Bossuet. -
Sont nés. « ont été engendrés » en grec. Fait étrange ! S. Irénée et Tertullien protestent contre le pluriel ; ils
réclament le singulier comme la vraie leçon, et appliquent ce mot au Verbe de Dieu. C’est une erreur
évidente, que le contexte réfute suffisamment, sans parler de tous les documents anciens. Quelle beauté dans
ce titre de « fils de Dieu » ainsi conféré aux croyants ! Nous le trouvons parfois dans les écrits de l’Ancien
Testament pour désigner les relations d’Israël avec Jéhova ; mais il est loin d’avoir la même signification que
sous la nouvelle Alliance. Là il exprime seulement une affection, une tendresse particulières, mais jamais une adoption proprement dite. Cf. Ex. 4, 22 et s. ; Deut. 14, 1 ; 32, 11 ; Is. 43, 1, 15 ; 45, 11 ; 63, 16 ; 64, 7 ; Jer.
31, 9, 20 ; Mal. 1, 6 ; 2, 10, etc.
La chair et le sang indiquent, dans l’Ecriture, la nature humaine qui s’oppose à la grâce.
La parole qui sort de nos lèvres et dont nous faisons usage dans nos rapports avec les autres hommes, est une parole incorporelle qui n'est sensible ni à la vue, ni au toucher; mais lorsqu'elle s'est comme revêtue de lettres et de formes extérieures, elle devient visible et accessible à la vue comme au toucher. De même le Verbe de Dieu qui, par sa nature, est invisible, est devenu visible; il est incorporel aussi par sa nature, et il a pris un corps accessible au toucher.
Mais le célibat a de multiples convenances avec le sacerdoce. La mission du prêtre, est de se consacrer tout entier au service de l’humanité nouvelle que le Christ, vainqueur de la mort, fait naître par son Esprit dans le monde, et qui tire son origine, non pas « du sang, ni d’un pouvoir charnel, ni d’un vouloir d’homme, mais de Dieu » (Jn 1, 13). En gardant la virginité ou le célibat pour le Royaume des cieux, les prêtres se consacrent au Christ d’une manière nouvelle et privilégiée, il leur est plus facile de s’attacher à lui sans que leur cœur soit partagé, ils sont plus libres pour se consacrer, en lui et par lui, au service de Dieu et des hommes, plus disponibles pour servir son Royaume et l’œuvre de la régénération surnaturelle, plus capables d’accueillir largement la paternité dans le Christ. Ils témoignent ainsi devant les hommes qu’ils veulent se consacrer sans partage à la tâche qui leur est confiée : fiancer les chrétiens à l’époux unique comme une vierge pure à présenter au Christ ; ils évoquent les noces mystérieuses voulues par Dieu, qui se manifesteront pleinement aux temps à venir : celles de l’Église avec l’unique époux qui est le Christ. Enfin, ils deviennent le signe vivant du monde à venir, déjà présent par la foi et la charité, où les enfants de la résurrection ne prennent ni femme ni mari.
Jésus, le Nouvel Adam, inaugure par sa conception virginale la nouvelle naissance des enfants d’adoption dans l’Esprit Saint par la foi. " Comment cela se fera-t-il ? " (Lc 1, 34 ; cf. Jn 3, 9). La participation à la vie divine ne vient pas " du sang, ni du vouloir de chair, ni du vouloir d’homme, mais de Dieu " (Jn 1, 13). L’accueil de cette vie est virginal car celle-ci est entièrement donnée par l’Esprit à l’homme. Le sens sponsal de la vocation humaine par rapport à Dieu (cf. 2 Co 11, 2) est accompli parfaitement dans la maternité virginale de Marie.
Ainsi, S. Ignace d’Antioche (début IIe siècle) : " Vous êtes fermement convaincus au sujet de notre Seigneur qui est véritablement de la race de David selon la chair (cf. Rm 1, 3), Fils de Dieu selon la volonté et la puissance de Dieu (cf. Jn 1, 13), véritablement né d’une vierge, (...) il a été véritablement cloué pour nous dans sa chair sous Ponce Pilate (...) il a véritablement souffert, comme il est aussi véritablement ressuscité " (Smyrn. 1-2).
La vie que le Fils de Dieu est venu donner aux hommes ne se réduit pas à la seule existence dans le temps. La vie, qui depuis toujours est « en lui » et constitue « la lumière des hommes » (Jn 1, 4), consiste dans le fait d'être engendré par Dieu et de participer à la plénitude de son amour: « A tous ceux qui l'ont accueilli, il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom, eux qui ne furent engendrés ni du sang, ni d'un vouloir de chair, ni d'un vouloir d'homme, mais de Dieu » (Jn 1, 12-13).