Jean 1, 17
car la Loi fut donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ.
car la Loi fut donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ.
Ces paroles sont la continuation du témoignage que Jean-Baptiste rend à Jésus-Christ, et on se trompe en attribuant les réflexions qui suivent à saint Jean l'Évangéliste, jusqu'à ces paroles: «Le Fils unique, qui est dans le sein du Père, nous l'a fait connaître». C'est faire violence au texte que de supposer que le discours du Précurseur est interrompu par les réflexions de l'Évangéliste, et l'enchaînement des paroles est ici visible pour qui est capable de le saisir. Jean-Baptiste venait de dire: «Il a été fait plus grand que moi, parce qu'il était avant moi». Or, poursuit-il, je suis porté à croire et à conclure qu'il est avant moi, parce que nous avons reçu, moi, et les prophètes avant moi, une seconde grâce après la première; car l'esprit de Dieu, après les symboles figuratifs, les a conduits jusqu'à la contemplation de la vérité. En recevant ainsi de sa plénitude, nous comprenons que la loi a été donnée par Moïse, et que la grâce et la vérité ont été données ou plutôt ont été faites par Jésus-Christ; car Dieu le Père a donné la loi par Moïse, et il a fait la grâce et la vérité par Jésus-Christ. Mais puisque Jésus a dit: «Je suis la vérité», comment la vérité a-t-elle pu être faite par lui? Nous répondons que la vérité substantielle, la vérité première qui est le principe et le modèle de toutes les vérités qui existent dans l'esprit de ceux qui enseignent la vérité, n'a été faite ni par Jésus-Christ ni par aucun autre; la vérité qui a été faite par Jésus-Christ est donc celle que nous remarquons dans saint Paul et dans les autres Apôtres.
On peut dire encore que saint Jean l'Évangéliste joint ici son témoignage à celui de Jean-Baptiste. Ainsi ces paroles: «Et nous avons reçu tous de sa plénitude», etc., ne sont pas les paroles du Précurseur, mais celles du disciple, et voici quel en est le sens: Et nous autres aussi, les douze Apôtres, et toute la multitude des fidèles présents et futurs, nous avons tous reçu de sa plénitude.
Ou bien, nous avons reçu grâce pour grâce, c'est-à-dire une grâce nouvelle pour la grâce ancienne. De même, en effet, qu'il y a justice et justice, adoption et adoption, circoncision et circoncision, il y a aussi grâce et grâce, la première comme figure, la seconde comme vérité. Jean-Baptiste parle de la sorte pour prouver aux Juifs qu'eux-mêmes n'étaient sauvés que par grâce, et que nous-mêmes, tous tant que nous sommes, nous ne pouvons arriver au salut par une autre voie. Ce fut donc une véritable grâce, et un acte de miséricorde que la loi qui fut donnée aux Juifs. Aussi l'Évangéliste, voulant faire ressortir la grandeur des dons qui ont été faits, ajoute: "La loi a été donnée par Moïse, mais la grâce", etc. Il avait plus haut établi une comparaison entre Jésus-Christ et lui, en disant: "Il a été fait plus grand que moi". Ici saint Jean fait cette comparaison entre Jésus-Christ et Moïse qui fut pour les Juifs l'objet d'une bien plus grande admiration que Jean-Baptiste. Et voyez quelle est ici sa prudence: Il n'établit pas la comparaison entre les personnes, mais entre les choses, et il oppose la grâce et la vérité à la loi, aussi bien que cette expression: "A été donnée", à cette autre: "A été faite". Il dit de la loi qu'elle a été donnée, c'était l'oeuvre d'un serviteur qui transmet ce qu'il a reçu selon l'ordre qui lui a été imposé. Ces paroles, au contraire: "La grâce et la vérité ont été faites", indiquent un roi qui remet tous les péchés par sa puissance, c'est ce que faisait Jésus: "Vos péchés vous sont remis (Mc 2,9), et encore: "Afin que vous sachiez que le Fils de l'homme a le pouvoir de remettre les péchés", etc. (Mc 2,10-11). Vous voyez comme la grâce a été faite par Jésus-Christ, considérez comment la vérité nous est aussi venue de la même manière. Le don du baptême, le bienfait de l'adoption qui nous est donné par le Saint-Esprit, et une multitude d'autres dons sont les preuves et les fruits de la grâce. Quant à la vérité, nous comprendrons mieux comment elle est venue par Jésus-Christ, si nous avons une connaissance parfaite des figures de la loi; car tout ce qui devait s'accomplir dans le Nouveau Testament a été annoncé et figuré dans l'Ancien, et c'est Jésus-Christ qui est venu accomplir toutes ces figures. C'est ainsi que la figure a été donnée par Moïse, et que la vérité a été faite par Jésus-Christ.
Et qu'avez-vous donc reçu? «Grâce pour grâce», c'est-à-dire que nous avons reçu de sa plénitude je ne sais quoi d'ineffable, et ensuite grâce pour grâce. Ainsi nous avons reçu de sa plénitude, d'abord la grâce, et nous avons reçu ensuite grâce pour grâce. Quelle est la première grâce que nous avons reçue? La foi, qui est appelée grâce, parce qu'elle est donnée gratuitement. Le pécheur a donc reçu cette première grâce qui a été pour lui le principe de la rémission de ses péchés; et il a de nouveau reçu grâce pour grâce, c'est-à-dire que, pour cette grâce qui nous fait vivre de la foi, nous en recevrons une autre, c'est-à-dire la vie éternelle. Car la vie éternelle est comme la récompensé de la foi, et comme la foi est une grâce, la vie éternelle est aussi une grâce donnée pour une autre grâce. Cette grâce n'existait pas dans l'Ancien Testament, parce que la loi menaçait sans porter secours; elle commandait sans guérir, elle montrait le mal sans le faire disparaître, et se contentait de préparer les hommes à recevoir le médecin qui devait venir avec la grâce et la vérité. Voilà pourquoi l'Évangéliste ajoute: «La loi a été donnée par Moïse, mais la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ», car la mort de votre Seigneur a détruit la mort temporelle et la mort éternelle; et c'est là cette grâce que la loi promettait et ne donnait pas.
Ou bien encore, nous pouvons rapporter la grâce à la science, et la vérité à la sagesse. Parmi les choses qui ont pris naissance dans le cours des temps, la grâce par excellence qui nous a été donnée, c'est que l'homme ait été uni à Dieu en unité de personne; et dans les choses de l'éternité, la vérité suprême et par excellence doit s'entendre du Verbe de Dieu.
200. Les paroles ET DE SA PLENITUDE NOUS AVONS TOUS REÇU peuvent s’entendre d’une double manière, selon qu’on les rattache au verset 15 ou au verset 14.
Selon Origène , elles sont prononcées par Jean-Baptiste qui les ajoute comme preuve de ce qui pré cède, comme pour dire : Il était vraiment avant moi, parce que DE SA PLENITUDE, c’est-à-dire de sa plénitude de grâce, non seulement moi mais TOUS, c’est-à-dire les prophètes, NOUS AVONS REÇU. Donc, avant nous Il était. D’après cette lecture, l'Evangéliste entreprend son récit à partir du verset Jean rend témoignage.
Selon Augustin et Chrysostome , ces paroles sont celles de l’Evangéliste et se rattachent à ce qu’il a dit précédemment du Verbe : plein de grâce et de vérité. Ainsi, après avoir rapporté que le Verbe incarné s’est fait connaître par la vue et par l’ouïe, comme on l’a dit précédemment, l’Evangéliste explique maintenant, en premier lieu, comment le Verbe s’est fait connaître aux Apôtres par la vue, par ce qu’ils ont reçu du Christ; et, en second lieu, comment Jean lui a rendu témoignage : Voici quel fut le témoignage de Jean .
A propos du premier point, l’Evangéliste montre d’abord que le Christ est la source et l’origine de toute grâce spirituelle; il montre ensuite que c’est du Christ que nous proviennent les grâces.
201. Il dit donc d’abord : l’expérience atteste que nous L’avons vu plein de grâce et de vérité, puisque DE SA PLENITUDE NOUS AVONS TOUS REÇU.
C’est pourquoi nous pouvons dire qu’Il a été "plein" de grâce. Certes, nous lisons dans l’Ecriture que certains ont été pleins de grâce , par exemple la bienheureuse Vierge — je te salue, pleine de grâce, — et Etienne — plein de grâce et de force . Mais la plénitude du Christ est autre que la leur. On dit en effet qu’est "plein" ce en quoi il n’y a aucun vide. La capacité de l’âme peut donc être pleine dans l’ordre de la suffisance, c’est-à-dire de telle sorte que rien ne lui manque de la grâce pour accomplir les actes bons; c’est cette plénitude qui fut en Etienne. La capacité de l’âme peut aussi être pleine non seulement dans l’ordre de la suffisance, mais encore dans l’ordre de la surabondance; et cette plénitude de surabondance fut spécialement, et d’une manière unique, dans le Christ, parce qu’elle a surabondé sur les autres de telle sorte qu’Il fut l’auteur et la source de la grâce. Mais dans la bienheureuse Vierge, la plénitude de grâce fut d’un ordre intermédiaire parce que, bien qu’il y eût en elle la plénitude d’une certaine surabondance, elle ne fut cependant pas auteur de la grâce pour les autres; mais de son âme la grâce surabondait dans la chair. En effet, par la grâce de l’Esprit Saint, non seulement l’esprit de la Vierge fut uni à Dieu par l’amour, mais encore ses entrailles furent fécondées par l’Esprit Saint; c’est pourquoi Gabriel, aussitôt après avoir dit : Je te salue, pleine de grâce, a ajouté, faisant allusion à la plénitude en ses entrailles : le Seigneur est avec toi .
Donc, pour montrer cette plénitude unique de surabondance qui est dans le Christ, l’Evangéliste dit DE SA PLENITUDE NOUS AVONS TOUS REÇU, c’est-à-dire les Apôtres et les fidèles qui furent, sont et seront, ainsi que tous les anges.
202. Remarquons-le, ta préposition latine DE marque parfois l’efficience, parfois la consubstantialité comme lorsqu’on dit : le Fils est "du Père" —, parfois le caractère partiel, comme lorsque je dis : "prends de ceci", c’est-à-dire une partie et non pas le tout. Et elle a bien ces trois sens quand l'Evangéliste dit DE SA PLENITUDE NOUS AVONS TOUS REÇU. En effet, elle indique d’abord dans le Christ l’efficience de la grâce ou l’autorité; car la plénitude de la grâce qui est dans le Christ est cause de toute grâce qui est en toute créature douée d’intelligence. Aussi la Sagesse dit-elle : Venez à moi, vous tous qui me désirez, et de mes fruits, c’est-à-dire de ce qui procède de moi, rassasiez-vous .
La préposition DE marque ici, en second lieu, la consubstantialité parce que, bien que les dons habituels soient en nous autres que dans le Christ, cependant l’Esprit Saint qui est dans le Christ, un et le même, remplit tous les saints. En ce sens, la plénitude du Christ est l’Esprit Saint qui procède de Lui, en Lui étant consubstantiel en nature, en puissance et en majesté.
En effet, bien que les dons habituels soient autres dans l’âme du Christ et en nous, c’est cependant l’unique et même Esprit qui est en Lui et qui remplit tous ceux qui doivent être sanctifiés. Un seul et même Esprit produit tous ces dons dit saint Paul ; Je répandrai mon Esprit sur toute chair . Si quelqu’un n’a pas l’Esprit du Christ, il ne Lui appartient pas , Car l’unité de l’Esprit Saint fait l’unité dans l’Eglise. "L’Esprit du Seigneur remplit toute la terre." .
Enfin, quand l'Evangéliste dit DE SA PLENITUDE NOUS AVONS TOUS REÇU, la préposition DE indique que nous ne recevons qu’une partie. Le Christ, Lui, a eu la plénitude des dons de l’Esprit Saint, qu’Il n’a pas reçu avec mesure ; mais nous, nous recevons en partie parce que nous participons aux dons du Saint-Esprit, puisque nous Le recevons avec mesure : A chacun de nous la grâce a été accordée selon la mesure du don du Christ
203. L’Evangéliste montre ici que les grâces nous viennent du Christ. Il montre d’abord que c’est du Christ, qui en est l’auteur, que nous avons reçu la grâce; puis que c’est de Lui que nous recevons la sagesse qu’Il nous enseigne : Personne n’a jamais vu Dieu. Le Fils unique qui est dans le sein du Père, Lui l’a fait connaître. Jean développe le premier point en deux parties. Il montre d’abord que NOUS AVONS REÇU DE SA PLENITUDE, et montre ensuite la nécessité, pour nous, de la recevoir .
204. L’Evangéliste affirme donc en premier lieu que NOUS AVONS REÇU DE LA PLENITUDE du Christ, ET GRACE SUR GRACE.
Or, dans cette affirmation, nous devons comprendre que DE SA PLENITUDE nous recevons une certaine grâce, mais que sur cette grâce nous en avons reçu une autre; c’est pourquoi il faut voir quelle est la première grâce, et quelle est la seconde.
Selon Chrysostome , la première grâce que reçut tout le genre humain — c’est en effet de tout le genre humain que parle ici l'Evangéliste — fut la grâce de l’Ancien Testament, donnée dans la Loi. Cette grâce fut grande, certes; la Sagesse l’affirme : Je vous accorderai un don excellent Ce fut une grande chose, en effet, que les préceptes aient été donnés par Dieu aux hommes idolâtres, ainsi que la connaissance véritable du seul vrai Dieu — Quel est donc le privilège du Juif, ou quelle est l’utilité de la circoncision? Grands à tous égards. D’abord, c’est à eux qu’ont été confiés les oracles de Dieu Cependant sur cette grâce, c’est-à-dire à sa place, nous en avons reçu une seconde : Il égalera une grâce à sa grâce
La première grâce ne suffisait-elle donc pas? Je réponds : il faut dire que non , et c’est pourquoi il était nécessaire que vînt une autre grâce.
205. Et c’est pourquoi l’Evangéliste ajoute ces paroles, faisant passer devant Moïse le Christ que Jean-Baptiste n’avait fait passer que devant lui. Or Moïse passait pour être le plus grand des prophètes : En Israël il ne s’est pas levé de prophète semblable à Moïse .
En effet, comparé à Moïse du point de vue de ce que l’un et l’autre opère, le Christ passe avant lui; car ce que donne Moïse, c’est la Loi, tandis que le Christ donne la grâce et la vérité. Du point de vue de la manière dont ils opèrent, le Christ l’emporte encore, car LA LOI A ETE DONNEE PAR MOÏSE comme par celui qui la promulgue et non qui la fait, puisque le Seigneur seul est notre législateur ; tandis que LA GRÂCE ET LA VERITE SONT VENUES PAR JESUS-CHRIST, comme de leur maître et auteur.
206. Selon Augustin , la première grâce est justifiante et prévenante , car elle ne nous est pas donnée à cause de nos œuvres — Si c’est par grâce, ce n’est plus en raison des œuvres. Sur cette grâce, encore imparfaite, nous avons reçu une autre grâce, achevée : celle de la vie éternelle. Et bien que la vie éternelle soit acquise par les mérites, ceux-ci ont leur origine en nous dans la grâce prévenante; c’est pourquoi la vie éternelle est appelée grâce c'est le mot de saint Paul : La grâce de Dieu, c’est la vie éternelle . Pour conclure brièvement, l’expression GRÂC E SUR GRÂCE désigne toute grâce qui s’ajoute à la grâce prévenante.
Quant à la nécessité de la seconde grâce, elle vient de l’insuffisance de la Loi; c’est pour cela que l’Evangéliste dit : PAR MOISE A ETE DONNEE LA LOI qui prescrivait ce qu’il fallait faire, mais qui n’aidait pas à l’accomplir et c’est pourquoi, occasionnellement, elle entraînait la mort — ce qui explique que l’Apôtre parle d’un "ministère de mort" : si ce ministère de mort, gravé en lettres sur des pierres, a été environné d’une gloire telle que les enfants d’Israël ne pouvaient regarder la face de Moïse, à cause de la gloire de son visage, laquelle devait s’évanouir, comment le ministère de l’Esprit ne serait-il pas plus glorieux? car si le ministère de la condamnation est glorieux, le ministère de justice est beaucoup plus abondant en gloire et encore : or, prenant occasion du commandement, le péché a opéré en moi toute concupiscence; car sans la Loi le péché était mort . De même la Loi promettait le secours de la grâce mais ne le donnait pas, car la Loi n’a amené personne à la perfection . De même, par ses sacrifices et ses cérémonies elle figurait, mais ne manifestait pas; c’est pourquoi il était nécessaire que vînt le Christ, qui fut la source de la grâce en tuant le péché par sa mort et qui, en mourant, mérita la grâce qui nous viendrait en aide dans l’accomplissement des préceptes de Dieu — Notre vieil homme a été crucifié avec Lui, afin que le corps du péché soit détruit et que désormais nous ne soyons plus esclaves du péché . C’est par Lui aussi qu’est venue la vérité, et c’est Lui qui a réalisé les figures et les ombres de la Loi en accomplissant les pro messes faites aux pères — Toutes les promesses de Dieu ont leur oui en Lui . D’une autre manière on peut dire que LA VERITE EST VENUE PAR JESUS, en entendant par là la Sagesse, car Il a enseigné au monde la vérité cachée : J’ai parlé ouvertement au monde; j’ai toujours enseigné dans la synagogue et dans le Temple, où tous les juifs s’assemblent, et en secret je n’ai rien dit . Si je suis né et si je suis venu dans le monde, c’est pour rendre témoignage à la vérité
207. Mais si le Christ Lui-même est la Vérité — Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie — comment LA VERITE est-elle VENUE PAR LUI selon la lettre de la Vulgate, "a été faite" par Lui, puisque rien n’est fait par soi-même?
Il faut dire que le Christ est par son essence la Vérité incréée; celle-ci n’a pas été faite par Lui, mais par Lui ont été faites les vérités participées qui, venant de la Vérité incréée qu’Il est Lui-même, brillent dans les âmes saintes.
Selon Origène , elles sont prononcées par Jean-Baptiste qui les ajoute comme preuve de ce qui pré cède, comme pour dire : Il était vraiment avant moi, parce que DE SA PLENITUDE, c’est-à-dire de sa plénitude de grâce, non seulement moi mais TOUS, c’est-à-dire les prophètes, NOUS AVONS REÇU. Donc, avant nous Il était. D’après cette lecture, l'Evangéliste entreprend son récit à partir du verset Jean rend témoignage.
Selon Augustin et Chrysostome , ces paroles sont celles de l’Evangéliste et se rattachent à ce qu’il a dit précédemment du Verbe : plein de grâce et de vérité. Ainsi, après avoir rapporté que le Verbe incarné s’est fait connaître par la vue et par l’ouïe, comme on l’a dit précédemment, l’Evangéliste explique maintenant, en premier lieu, comment le Verbe s’est fait connaître aux Apôtres par la vue, par ce qu’ils ont reçu du Christ; et, en second lieu, comment Jean lui a rendu témoignage : Voici quel fut le témoignage de Jean .
A propos du premier point, l’Evangéliste montre d’abord que le Christ est la source et l’origine de toute grâce spirituelle; il montre ensuite que c’est du Christ que nous proviennent les grâces.
201. Il dit donc d’abord : l’expérience atteste que nous L’avons vu plein de grâce et de vérité, puisque DE SA PLENITUDE NOUS AVONS TOUS REÇU.
C’est pourquoi nous pouvons dire qu’Il a été "plein" de grâce. Certes, nous lisons dans l’Ecriture que certains ont été pleins de grâce , par exemple la bienheureuse Vierge — je te salue, pleine de grâce, — et Etienne — plein de grâce et de force . Mais la plénitude du Christ est autre que la leur. On dit en effet qu’est "plein" ce en quoi il n’y a aucun vide. La capacité de l’âme peut donc être pleine dans l’ordre de la suffisance, c’est-à-dire de telle sorte que rien ne lui manque de la grâce pour accomplir les actes bons; c’est cette plénitude qui fut en Etienne. La capacité de l’âme peut aussi être pleine non seulement dans l’ordre de la suffisance, mais encore dans l’ordre de la surabondance; et cette plénitude de surabondance fut spécialement, et d’une manière unique, dans le Christ, parce qu’elle a surabondé sur les autres de telle sorte qu’Il fut l’auteur et la source de la grâce. Mais dans la bienheureuse Vierge, la plénitude de grâce fut d’un ordre intermédiaire parce que, bien qu’il y eût en elle la plénitude d’une certaine surabondance, elle ne fut cependant pas auteur de la grâce pour les autres; mais de son âme la grâce surabondait dans la chair. En effet, par la grâce de l’Esprit Saint, non seulement l’esprit de la Vierge fut uni à Dieu par l’amour, mais encore ses entrailles furent fécondées par l’Esprit Saint; c’est pourquoi Gabriel, aussitôt après avoir dit : Je te salue, pleine de grâce, a ajouté, faisant allusion à la plénitude en ses entrailles : le Seigneur est avec toi .
Donc, pour montrer cette plénitude unique de surabondance qui est dans le Christ, l’Evangéliste dit DE SA PLENITUDE NOUS AVONS TOUS REÇU, c’est-à-dire les Apôtres et les fidèles qui furent, sont et seront, ainsi que tous les anges.
202. Remarquons-le, ta préposition latine DE marque parfois l’efficience, parfois la consubstantialité comme lorsqu’on dit : le Fils est "du Père" —, parfois le caractère partiel, comme lorsque je dis : "prends de ceci", c’est-à-dire une partie et non pas le tout. Et elle a bien ces trois sens quand l'Evangéliste dit DE SA PLENITUDE NOUS AVONS TOUS REÇU. En effet, elle indique d’abord dans le Christ l’efficience de la grâce ou l’autorité; car la plénitude de la grâce qui est dans le Christ est cause de toute grâce qui est en toute créature douée d’intelligence. Aussi la Sagesse dit-elle : Venez à moi, vous tous qui me désirez, et de mes fruits, c’est-à-dire de ce qui procède de moi, rassasiez-vous .
La préposition DE marque ici, en second lieu, la consubstantialité parce que, bien que les dons habituels soient en nous autres que dans le Christ, cependant l’Esprit Saint qui est dans le Christ, un et le même, remplit tous les saints. En ce sens, la plénitude du Christ est l’Esprit Saint qui procède de Lui, en Lui étant consubstantiel en nature, en puissance et en majesté.
En effet, bien que les dons habituels soient autres dans l’âme du Christ et en nous, c’est cependant l’unique et même Esprit qui est en Lui et qui remplit tous ceux qui doivent être sanctifiés. Un seul et même Esprit produit tous ces dons dit saint Paul ; Je répandrai mon Esprit sur toute chair . Si quelqu’un n’a pas l’Esprit du Christ, il ne Lui appartient pas , Car l’unité de l’Esprit Saint fait l’unité dans l’Eglise. "L’Esprit du Seigneur remplit toute la terre." .
Enfin, quand l'Evangéliste dit DE SA PLENITUDE NOUS AVONS TOUS REÇU, la préposition DE indique que nous ne recevons qu’une partie. Le Christ, Lui, a eu la plénitude des dons de l’Esprit Saint, qu’Il n’a pas reçu avec mesure ; mais nous, nous recevons en partie parce que nous participons aux dons du Saint-Esprit, puisque nous Le recevons avec mesure : A chacun de nous la grâce a été accordée selon la mesure du don du Christ
203. L’Evangéliste montre ici que les grâces nous viennent du Christ. Il montre d’abord que c’est du Christ, qui en est l’auteur, que nous avons reçu la grâce; puis que c’est de Lui que nous recevons la sagesse qu’Il nous enseigne : Personne n’a jamais vu Dieu. Le Fils unique qui est dans le sein du Père, Lui l’a fait connaître. Jean développe le premier point en deux parties. Il montre d’abord que NOUS AVONS REÇU DE SA PLENITUDE, et montre ensuite la nécessité, pour nous, de la recevoir .
204. L’Evangéliste affirme donc en premier lieu que NOUS AVONS REÇU DE LA PLENITUDE du Christ, ET GRACE SUR GRACE.
Or, dans cette affirmation, nous devons comprendre que DE SA PLENITUDE nous recevons une certaine grâce, mais que sur cette grâce nous en avons reçu une autre; c’est pourquoi il faut voir quelle est la première grâce, et quelle est la seconde.
Selon Chrysostome , la première grâce que reçut tout le genre humain — c’est en effet de tout le genre humain que parle ici l'Evangéliste — fut la grâce de l’Ancien Testament, donnée dans la Loi. Cette grâce fut grande, certes; la Sagesse l’affirme : Je vous accorderai un don excellent Ce fut une grande chose, en effet, que les préceptes aient été donnés par Dieu aux hommes idolâtres, ainsi que la connaissance véritable du seul vrai Dieu — Quel est donc le privilège du Juif, ou quelle est l’utilité de la circoncision? Grands à tous égards. D’abord, c’est à eux qu’ont été confiés les oracles de Dieu Cependant sur cette grâce, c’est-à-dire à sa place, nous en avons reçu une seconde : Il égalera une grâce à sa grâce
La première grâce ne suffisait-elle donc pas? Je réponds : il faut dire que non , et c’est pourquoi il était nécessaire que vînt une autre grâce.
205. Et c’est pourquoi l’Evangéliste ajoute ces paroles, faisant passer devant Moïse le Christ que Jean-Baptiste n’avait fait passer que devant lui. Or Moïse passait pour être le plus grand des prophètes : En Israël il ne s’est pas levé de prophète semblable à Moïse .
En effet, comparé à Moïse du point de vue de ce que l’un et l’autre opère, le Christ passe avant lui; car ce que donne Moïse, c’est la Loi, tandis que le Christ donne la grâce et la vérité. Du point de vue de la manière dont ils opèrent, le Christ l’emporte encore, car LA LOI A ETE DONNEE PAR MOÏSE comme par celui qui la promulgue et non qui la fait, puisque le Seigneur seul est notre législateur ; tandis que LA GRÂCE ET LA VERITE SONT VENUES PAR JESUS-CHRIST, comme de leur maître et auteur.
206. Selon Augustin , la première grâce est justifiante et prévenante , car elle ne nous est pas donnée à cause de nos œuvres — Si c’est par grâce, ce n’est plus en raison des œuvres. Sur cette grâce, encore imparfaite, nous avons reçu une autre grâce, achevée : celle de la vie éternelle. Et bien que la vie éternelle soit acquise par les mérites, ceux-ci ont leur origine en nous dans la grâce prévenante; c’est pourquoi la vie éternelle est appelée grâce c'est le mot de saint Paul : La grâce de Dieu, c’est la vie éternelle . Pour conclure brièvement, l’expression GRÂC E SUR GRÂCE désigne toute grâce qui s’ajoute à la grâce prévenante.
Quant à la nécessité de la seconde grâce, elle vient de l’insuffisance de la Loi; c’est pour cela que l’Evangéliste dit : PAR MOISE A ETE DONNEE LA LOI qui prescrivait ce qu’il fallait faire, mais qui n’aidait pas à l’accomplir et c’est pourquoi, occasionnellement, elle entraînait la mort — ce qui explique que l’Apôtre parle d’un "ministère de mort" : si ce ministère de mort, gravé en lettres sur des pierres, a été environné d’une gloire telle que les enfants d’Israël ne pouvaient regarder la face de Moïse, à cause de la gloire de son visage, laquelle devait s’évanouir, comment le ministère de l’Esprit ne serait-il pas plus glorieux? car si le ministère de la condamnation est glorieux, le ministère de justice est beaucoup plus abondant en gloire et encore : or, prenant occasion du commandement, le péché a opéré en moi toute concupiscence; car sans la Loi le péché était mort . De même la Loi promettait le secours de la grâce mais ne le donnait pas, car la Loi n’a amené personne à la perfection . De même, par ses sacrifices et ses cérémonies elle figurait, mais ne manifestait pas; c’est pourquoi il était nécessaire que vînt le Christ, qui fut la source de la grâce en tuant le péché par sa mort et qui, en mourant, mérita la grâce qui nous viendrait en aide dans l’accomplissement des préceptes de Dieu — Notre vieil homme a été crucifié avec Lui, afin que le corps du péché soit détruit et que désormais nous ne soyons plus esclaves du péché . C’est par Lui aussi qu’est venue la vérité, et c’est Lui qui a réalisé les figures et les ombres de la Loi en accomplissant les pro messes faites aux pères — Toutes les promesses de Dieu ont leur oui en Lui . D’une autre manière on peut dire que LA VERITE EST VENUE PAR JESUS, en entendant par là la Sagesse, car Il a enseigné au monde la vérité cachée : J’ai parlé ouvertement au monde; j’ai toujours enseigné dans la synagogue et dans le Temple, où tous les juifs s’assemblent, et en secret je n’ai rien dit . Si je suis né et si je suis venu dans le monde, c’est pour rendre témoignage à la vérité
207. Mais si le Christ Lui-même est la Vérité — Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie — comment LA VERITE est-elle VENUE PAR LUI selon la lettre de la Vulgate, "a été faite" par Lui, puisque rien n’est fait par soi-même?
Il faut dire que le Christ est par son essence la Vérité incréée; celle-ci n’a pas été faite par Lui, mais par Lui ont été faites les vérités participées qui, venant de la Vérité incréée qu’Il est Lui-même, brillent dans les âmes saintes.
A la façon de S. Paul, l’évangéliste établit un rapide et frappant contraste entre l’Ancien
Testament et le Nouveau, pour mettre en relief la haute supériorité de ce dernier. - Car la loi a été donnée
par Moïse : la loi par excellence. Tous les mots portent, Moïse avait donné une loi ; loi sublime, sans doute,
qui avait été pour Israël un précieux avantage ; mais rigoureuse et difficile à accomplir. De plus, il ne l’avait
pas donnée de son propre fond, mais comme un simple médiateur. Cf. Gal. 3, 19. - La grâce et la vérité (Cf.
verset 14), ces deux biens incomparables, voilà ce que nous tenons directement de N.-S. Jésus-Christ.
L’omission de toute particule au début de la seconde proposition rend le contraste plus saillant. - Par
Jésus-Christ. S. Jean écrit ici pour la première fois ce beau nom. Maintenant que le Verbe divin, le Fils de
Dieu, s’est incarné, on lui donne sa dénomination historique, sous laquelle il demeure plus connu et à jamais
adoré. - Ont été apportées. La grâce et la vérité « devinrent », prirent naissance en quelque sorte avec
l'Incarnation ; car, auparavant, elles n'existaient que d'une manière imparfaite. Ainsi donc, le Nouveau
Testament a de toutes façons la prééminence sur l'Ancien. Il l'emporte par la nature du bienfait accordé : la
grâce et la vérité en place d’une législation sévère. Il l’emporte sous le rapport des médiateurs : d’une part un
homme , cet homme fût-il Moïse ; de l’autre le Logos fait chair. Il l’emporte par le mode dont fut conféré le
bienfait : là Moïse reçoit des mains de Dieu les institutions théocratiques pour les communiquer aux Juifs.
Ici, « Jean dit que le Christ a non seulement donné, mais encore fait la grâce… Le Christ n'a pas reçu la
grâce, il l'a faite, car il est lui même fontaine de grâce ». Maldonat, h.l.
Quand nous disons " notre " Père, nous reconnaissons d’abord que toutes ses Promesses d’amour annoncées par les Prophètes sont accomplies dans la nouvelle et éternelle Alliance en son Christ : nous sommes devenus " son " Peuple et il est désormais " notre " Dieu. Cette relation nouvelle est une appartenance mutuelle donnée gratuitement : c’est par l’amour et la fidélité (cf. Os 2, 21-22 ; 6, 1-6) que nous avons à répondre à " la grâce et à la vérité " qui nous sont données en Jésus-Christ (Jn 1, 17).
L'amour et la vie selon l'Evangile ne peuvent pas être envisagés avant tout sous la forme du précepte, car ce qu'ils requièrent va au-delà des forces humaines. Ils ne peuvent être vécus que comme le fruit d'un don de Dieu qui guérit et transforme le cœur de l'homme par la grâce : « Car la Loi fut donnée par Moïse ; la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ » (Jn 1, 17). De ce fait, la promesse de la vie éternelle est liée au don de la grâce, et le don de l'Esprit que nous avons reçu constitue déjà « les arrhes de notre héritage » (Ep 1, 14).