Jean 1, 28

Cela s’est passé à Béthanie, de l’autre côté du Jourdain, à l’endroit où Jean baptisait.

Cela s’est passé à Béthanie, de l’autre côté du Jourdain, à l’endroit où Jean baptisait.
Origène
Quelle autre réponse convenait-il de faire à cette question: «Pourquoi baptisez-vous ?» que de bien définir la nature de son baptême qui était un baptême purement corporel.

Après que Jean-Baptiste eut fait cette réponse aux prêtres et aux lévites, les pharisiens l'interrogèrent de nouveau: «Or, ceux qui avaient été envoyés, étaient des pharisiens.» Autant qu'il est permis de le conjecturer d'après le contexte, ce fut là le troisième témoignage. On peut remarquer que les prêtres et les lévites avaient fait au saint Précurseur une question pleine de convenance et conforme à leur caractère: «Qui êtes-vous ?» Cette question n'est ni insolente ni déplacée, tout y est digne de vrais ministres de Dieu. Mais les pharisiens, justifiant la signification de leurs noms, qui veut diredivisés, importuns et fâcheux, font à Jean-Baptiste, par esprit de division, une question blessante:» Ils l'interrogèrent, et lui dirent: Pourquoi donc baptisez-vous, si vous n'êtes ni le Christ, ni Elie, ni le Prophète ?» Ce n'est point qu'ils désirent eu savoir la raison, ils veulent tout simplement l'empêcher de baptiser. Avec cela, je ne sais quel motif les portait encore à recevoir le baptême de Jean. Pour expliquer cette conduite, il faut dire que les pharisiens venaient recevoir ce baptême sans y croire, par hypocrisie, et par crainte du peuple.

Ou bien encore, après avoir répondu à la première partie de leur question: «Pourquoi baptisez-vous ?» en leur disant: «Moi, je baptise, dans l'eau», il répond à la seconde partie: «Si vous n'êtes pas le Christ», en faisant l'éloge de la nature supérieure et divine du Christ, dont la puissance est si grande qu'il est invisible dans sa divinité, bien qu'il soit présent partout, et comme répandu dans tout ce vaste univers, ce qu'il veut exprimer par ces paroles: «Il y en a un au milieu de vous que vous ne connaissez pas». En effet, il est répandu dans tout cet univers, et en pénètre toutes les parties, tout ce qui est créé ne l'est que par lui; car toutes choses ont été faites par lui. Il était donc évidemment au milieu de ceux qui demandaient à Jean-Baptiste: «Pourquoi baptisez-vous ?» Ou bien encore, ces paroles: «Il y en a un au milieu de vous», doivent s'entendre de nous tous; car il est au milieu de nous, en tant que nous sommes des êtres raisonnables, puisque la partie la plus excellente de notre âme, c'est-à-dire notre coeur, se trouve au milieu de notre corps. Ceux donc qui portent le Verbe au milieu d'eux, mais qui ne connaissaient ni sa nature, ni son origine, ni la manière dont il est en eux, ont le Verbe au milieu d'eux, sans le connaître. Mais pour Jean, ils le connaissent, de là ce reproche qu'il leur fait: «Il y en a un au milieu de vous que vous ne connaissez pas». Les pharisiens qui attendaient la venue du Christ, n'apercevaient en lui rien d'aussi élevé, et le regardaient simplement comme un homme vertueux, voilà pourquoi Jean-Baptiste leur reproche d'ignorer l'excellence et la supériorité du Sauveur. Il leur dit: «Il est, il se tient au milieu de vous», car de même que le Père reste toujours immuable et au-dessus de toute vicissitude, ainsi le Verbe se tient aussi toujours prêt à nous sauver, c'est dans ce but qu'il s'est incarné, et qu'il se tient au milieu des hommes comme invisible et sans en être connu. Et pour ne pas laisser à penser que celui qui est invisible, qui pénètre le coeur de tous les hommes, et l'univers tout entier, est différent de celui qui s'est incarné et qui s'est manifesté sur la terre, Jean-Baptiste ajoute: «C'est lui qui doit venir après moi», c'est-à-dire qui doit se manifester aux hommes après moi. L'expression après, n'a pas ici le même sens que dans ces paroles où Jésus nous invite à marcher après lui (Mt 16 Lc 9). D'un côté, le Sauveur nous ordonne de le suivre, afin de pou voir parvenir jusqu'au Père en marchant sur ses traces; de l'autre, Jean-Baptiste veut nous faire connaître le but et la fin de sa prédication: il est venu pour préparer les hommes, par la foi, à recevoir des enseignements plus parfaits que ceux qu'il leur donnait. - S. Chrys.(hom. préced). Il leur dit donc: «C'est lui qui doit venir après moi», c'est-à-dire: Ne croyez pas que mon baptême contienne et donne toute perfection, s'il en était ainsi, un autre ne viendrait pas après moi pour donner un baptême différent. Mon baptême en est la préparation, il passera comme une ombre et une image pour faire place à la réalité; car il faut que celui qui doit annoncer la vérité, vienne après moi. Si mon baptême était parfait, il n'y aurait pas lieu de lui en substituer un second. Aussi a-t-il soin d'ajouter: «Qui a été fait plus grand que moi», c'est-à-dire qui est plus illustre et plus digne d'honneur et de gloire que moi.

Un auteur a donné de ce passage cette interprétation qui a quelque vraisemblance: Je n'ai pas assez d'importance pour que le Fils de Dieu descende pour moi des hauteurs des cieux et se revête d'un corps mortel comme d'une chaussure.

Béthanie signifie encore maison de la préparation, et cette signification se rapporte parfaitement au baptême de Jean, qui avait pour fin de préparer au Seigneur un peuple parfait. Le mot Jourdain veut dire leur descente; or, quel est ce fleuve, si ce n'est notre Sauveur qui purifie tous ceux qui entrent dans le monde, en descendant et en s'humiliant non pour lui-même, mais dans la personne du genre humain. Ce fleuve sépare les terres et les villes données par Moïse, de celles qui ont été données par Josué, et les eaux rapides de ce fleuve portent la joie dans la cité de Dieu (Ps 45,5) De même que le serpent se cache dans le fleuve d'Egypte, ainsi Dieu se cache dans ce fleuve, car le Père est dans le Fils, et ceux qui viennent pour se purifier dans ses eaux, se dépouillent Je l'opprobre de l'Egypte, et se rendent dignes d'avoir part à l'héritage, ils sont purifiés de la lèpre, et ils méritent de recevoir une double grâce et de voir descendre en eux l'Esprit de Dieu, car la colombe spirituelle ne descend point sur un autre fleuve. C'est au-delà du Jourdain que Jean donne son baptême, comme précurseur de celui qui venait appeler non les justes, mais les pécheurs.
Saint Jean Chrysostome
 Jean-Baptiste parlait de la sorte, parce que le Sauveur était mêlé au peuple, comme un homme ordinaire, pour nous apprendre qu'il voulait en tout pratiquer l'humilité. Ces paroles: «Que vous ne connaissez pas», doivent s'entendre d'une connaissance parfaite, qui s'étendit par conséquent à la nature du Sauveur et à son origine divine.

On peut dire encore que les prêtres et les lévites eux-mêmes étaient du nombre des pharisiens; ils n'ont pu triompher de Jean par leurs flatteries, ils cherchent donc à l'accuser pour le forcer de faire un aveu contraire à la vérité: «Et ils l'interrogèrent et lui dirent: Pourquoi baptisez-vous, si vous n'êtes ni le Christ, ni Élie, ni le Prophète ?» Comme si c'était une témérité impardonnable de baptiser, sans être le Christ, ou son précurseur, ou son héraut, c'est-à-dire un prophète.

C'est encore pour un autre motif que l'Évangéliste fait connaître le nom du lieu où Jean baptisait. Il racontait des faits dont la date n'était pas éloignée, et remontaient à quelque temps seulement auparavant; il appelle donc en témoignage de la véracité de son récit ceux qui avaient été les témoins oculaires de ces faits, qu'il confirme par la désignation des lieux où ils se sont passés.

Mais Jean-Baptiste ne veut pas laisser supposer qu'on puisse établir une comparaison entre le Christ et lui, et pour montrer que sa gloire est incomparable, il ajoute: «Je ne suis pas digne de dénouer la courroie de sa chaussure», c'est-à-dire il est tellement élevé au-dessus de moi, que je ne suis pas digne d'être compté au nombre de ses derniers serviteurs, car c'est un des derniers offices, que de dénouer la courroie des chaussures.

Jean-Baptiste prêchait publiquement les prérogatives du Christ avec une indépendance pleine de dignité, et l'Évangéliste désigne le lieu où il faisait entendre sa voix: «Ceci se passa à Béthanie, au-delà du Jourdain, où Jean baptisait». Ce n'est ni dans l'intérieur d'une maison, ni dans un lieu retiré qu'il annonçait Jésus-Christ, c'était au-delà du Jourdain, au milieu d'une nombreuse multitude, et en présence de ceux qu'il avait baptisés. Quelques exemplaires portent, et peut-être avec plus de raison: «A Bethabara», car Béthanie n'est ni au-delà du Jourdain, ni dans le désert, mais près de Jérusalem.
Saint Augustin
Son humilité le couvrait comme d'un voile qui ne permettait pas de le voir, c'est pour cela qu'il fallut allumer une lampe.

Se juger digne seulement de dénouer la courroie de sa chaussure, eût déjà été dans Jean-Baptiste un grand acte d'humilité.
Saint Grégoire le Grand
Mais l'amour de la bonté dans les saints est à l'épreuve même des questions malveillantes qui leur sont adressées. Aussi Jean-Baptiste ne répond à ces paroles dictées par un sentiment de jalousie, que par les enseignements de la vie: «Il leur répondit: Moi, je baptise dans l'eau»

En effet, Jean-Baptiste ne baptisait pas dans l'esprit, mais dans l'eau, parce que son baptême ne pouvait effacer les péchés; ce baptême lavait dans l'eau les corps de ceux qui venaient le recevoir, mais ne purifiait pas les âmes par le pardon. Pourquoi donc baptise-t-il, puisque son baptême ne peut remettre les péchés? C'était pour remplir encore ici son office de précurseur; sa propre naissance avait précédé la naissance du Seigneur, son baptême devait aussi précéder le baptême du Sauveur. Il avait été le précurseur du Christ en l'annonçant aux Juifs, il était juste qu'il le fût aussi par un baptême qui était la figure du sacrement do baptême, et qu'en baptisant de la sorte, il annonçât le mystère de la rédemption, et déclarât que le Rédempteur se trouvait au milieu d'eux, sans en être connu: «Mais il y en a un au milieu de vous que vous ne connaissez pas». C'est qu'en effet, le Seigneur s'étant manifesté dans un corps sensible, il était visible dans son corps, et invisible dans sa majesté.

Ces paroles: «Il a été fait avant moi», veulent dire, il m'a été préféré. Il vient après moi; parce que sa naissance a suivi la mienne, mais il a été fait avant moi, parce qu'il a été placé au-dessus de moi.

On peut encore donner cette explication. C'était un usage chez les anciens Juifs, que lorsqu'un homme refusait de prendre pour femme celle que la loi lui faisait un devoir d'épouser, celui qui devait l'épouser alors par ordre de parenté, était la chaussure au premier. Or, sous quel titre Jésus-Christ s'est-il surtout manifesté parmi les hommes? comme l'Epoux de la sainte Eglise. C'est donc avec raison que Jean-Baptiste se déclare indigne de dénouer la courroie de sa chaussure, comme s'il faisait ouvertement un aveu: Je ne suis pas digne de déchausser les pieds du Rédempteur, parce que je ne veux pas usurper injustement le titre d'époux. On peut encore l'entendre dans un autre sens. Qui ne sait que les chaussures sont faites de la peau des animaux, que l'on dépouille après leur mort? Or, le Sauveur par son incarnation, apparut comme ayant les pieds couverts d'une chaussure, en unissant sa divinité à notre nature mortelle et corruptible. La courroie de la chaussure est donc comme le lien de cette union mystérieuse. Jean-Baptiste ne peut dénouer la courroie de sa chaussure, parce qu'il ne peut approfondir lui-même le mystère de l'incarnation, et il semble tenir ce langage: Qu'y a-t-il d'étonnant qu'il ait été placé au-dessus de moi, lui qui est né, il est vrai, après moi, mais dont la naissance est pour moi un mystère incompréhensible?
Alcuin d'York
Béthanie signifie maison d'obéissance, ce qui nous apprend que c'est par l'obéissance de la foi, que tous les hommes doivent parvenir au baptême.
Jean Scot Érigène
Comme il est logique, c'est Jean qui introduit Jean dans son discours sur Dieu; l'abîme appelant l'abîme à la voix des mystères divins (cf. ps 41,8): l'Évangéliste raconte l'histoire du Précurseur. Celui qui reçut la grâce de connaître le Verbe au commencement (Jn 1,1) nous renseigne sur celui qui reçut la grâce de venir en avant du Verbe incarné. Il y eut, dit-il. Il ne dit pas simplement: Il y eut un envoyé de Dieu, mais il y eut un homme (Jn 1,6). Il parle ainsi afin de distinguer le Précurseur, qui participe seulement de l'humanité, et l'homme qui, unissant étroitement en lui divinité et humanité, est venu ensuite: afin de séparer la voix qui passe du Verbe qui demeure toujours de façon immuable, afin de suggérer que l'un est l'étoile du matin qui apparaît à l'aube du Royaume des cieux, et de déclarer que l'autre est le soleil de justice qui lui succède. Il distingue le témoin de celui auquel il rend témoignage, celui qui est envoyé de celui qui envoie, la lampe vacillante de la lumière splendide qui remplit l'univers et qui, pour le genre humain tout entier, dissipe les ténèbres de la mort et des péchés.

Ainsi le Précurseur fut l'homme du Seigneur, non pas Dieu; le Seigneur, dont il fut le Précurseur, fut à la fois homme et Dieu. Le Précurseur fut un homme qui deviendrait Dieu par la grâce. Celui dont il prépare la venue était Dieu par nature; il devait se faire homme par humilité, et parce qu'il voulait opérer notre salut et notre rachat.

Un homme fut envoyé. Par qui? Par le Dieu Verbe qu'il a précédé. Sa mission était d'être Précurseur. C'est dans un cri qu'il envoie sa parole devant lui: A travers le désert, une voix crie (Mt 3,3). Le messager prépare l'avènement du Seigneur. Son nom était Jean, signifiant que la grâce lui a été donnée d'être le Précurseur du Roi des rois, le révélateur du Verbe inconnu, le baptiseur en vue de la naissance spirituelle, le témoin, par sa parole et son martyre, de la lumière éternelle.
Saint Théophylacte d'Ohrid
Ou bien le Seigneur était au milieu des pharisiens sans en être connu, parce qu'ils prétendaient savoir les Écritures; comme le Seigneur s'y trouve annoncé, il était au milieu d'eux, c'est-à-dire au milieu de leurs coeurs, mais ils ne le connaissaient pas, parce qu'ils ne comprenaient pas les Écritures. Ou bien encore, Jésus-Christ était au milieu des pharisiens, en tant que médiateur de Dieu et des hommes pour les unir à Dieu, mais les pharisiens ne le connaissaient pas.
Saint Thomas d'Aquin
240. Plus haut Jean-Baptiste, interrogé, a rendu témoignage au Christ en parlant de sa propre personne; ici, il le fait en parlant de son ministère.

A ce sujet, l’Evangéliste traite quatre points : quels sont ceux qui l’interrogent ; leur interrogation ; la réponse de Jean, dans laquelle il rend témoignage au Christ ; enfin le lieu où les choses se sont passées .

241. Ceux qui interrogent sont des Pharisiens. L’Evangéliste le souligne. Or, selon Origène , les paroles rapportées ici relèvent d’un autre témoignage ces envoyés du parti des Pharisiens ne sont pas les mêmes que les prêtres et les lévites envoyés par l’ensemble des Juifs, mais d’autres, envoyés spécialement par les Pharisiens. Selon cette interprétation, l’Evangéliste dit LES ENVOYES, non ceux des Juifs comme furent les prêtres et les lévites, mais d’autres, ETAIENT DES PHARISIENS. Dans la pensée d’Origène, les prêtres et les lévites, personnages instruits et respectueux, interrogent Jean humblement et avec déférence sur sa dignité; ils lui demandent s’il est le Christ, ou Elie, ou le Prophète. Mais ceux-là, Pharisiens et donc, comme l’indique leur nom, gens séparés et acerbes, avancent des propos injurieux pour Jean-Baptiste; aussi lui disent-ils : POURQUOI DONC BAPTISES-TU, SI TU N’ES NI LE CHRIST, NI ELIE, NI LE PROPHETE?

Cependant, selon d’autres, à savoir Grégoire , Chrysostome et Augustin , ces Pharisiens sont les mêmes que les envoyés des Juifs, qui étaient prêtres et lévites. Il y avait en effet parmi les Juifs une secte dont les membres étaient séparés des autres pour des raisons d’observances extérieures : d’où leur nom de "Pharisiens", c’est-à-dire "séparés". Dans cette secte, certains étaient prêtres et lévites, d’autres appartenaient au peuple. Pour que leurs messagers aient plus d’autorité, les Juifs envoyèrent des prêtres et des lévites qui étaient des Pharisiens, à qui ne manquaient par conséquent ni la dignité de l’ordre sacerdotal, ni l’autorité religieuse.

242. C’est pourquoi l’Evangéliste ajoute ces paroles LES ENVOYES ETAIENT DES PHARISIENS. Il le dit d’abord pour indiquer le motif de leur question sur le baptême de Jean, question pour laquelle ils n’avaient pas été envoyés. En d’autres termes : ils avaient été envoyés pour demander à Jean qui il était; mais s’ils lui posent cette autre question : POURQUOI DONC BAPTISES-TU? c’est qu’ils faisaient partie des Pharisiens, que leur situation religieuse rendait hardis.

Jean dit encore que c’étaient des Pharisiens pour — selon Grégoire — montrer dans quelle intention ils demandèrent à Jean : QUI ES-TU? Les Pharisiens, en effet, parmi tous les autres Juifs, se comportaient à l’égard du Christ d’une manière perfide et calomnieuse. Ainsi dirent-ils du Seigneur : Cet homme chasse les démons par Beelzéboul, le prince des démons. Les mêmes encore se concertèrent avec les Hérodiens pour Le prendre en défaut dans ses paroles . C’est pourquoi, en affirmant LES ENVOYES ETAIENT DES PHARISIENS, l’Evangéliste indique qu’ils L’interrogeaient d’une manière calomnieuse, et poussés par l’envie.

243. Leur interrogation concerne le ministère du baptême. Remarquons-le, ils ne cherchent pas à s'instruire mais à dresser un obstacle : en effet, voyant la multitude du peuple courir vers Jean-Baptiste à cause du rite nouveau du baptême, étranger à celui des Pharisiens et de la Loi, ils jalousaient Jean et s’efforçaient de tout leur pouvoir d’empêcher son baptême. Voilà pourquoi, incapables de se contenir, ils manifestent leur jalousie et disent : POURQUOI BAPTISES-TU, SI TU N’ES NI LE CHRIST, NI ELIE, NI LE PROPHETE? Ce qui veut dire : "Tu ne dois pas baptiser, puisque tu as dit n’être aucun des trois personnages en qui le baptême a été préfiguré; si tu n’es pas le Christ qui sera la fontaine pour laver les péchés, si tu n’es pas Elie, ni le Prophète, c’est-à-dire Elisée, qui l’un et l’autre ont traversé le Jourdain à pied sec , comment oses-tu baptiser?"

Les envieux leur ressemblent, qui empêchent le progrès des âmes et disent aux voyants : "Ne voyez pas", et aux prophètes : "Ne nous prophétisez pas la vérité"

244. La réponse de Jean est vraie. Il répond d’abord en parlant de son ministère, puis en parlant du Christ . Il leur dit : MOI, JE BAPTISE DANS L’EAU, autrement dit : n’allez donc pas vous étonner si je baptise, alors que je ne suis ni le Christ, ni Elie, ni le Prophète : mon baptême ne mène pas à la perfection, il est imparfait. En effet, pour qu’un baptême soit parfait, il lui faut laver le corps et l’âme; or l’eau, par nature, lave le corps, mais l’âme ne peut être lavée que par l’esprit. C’est pourquoi Jean-Baptiste dit : MOI, JE BAPTISE DANS L’EAU, c’est-à-dire je lave le corps par une réalité corporelle; un autre viendra qui baptisera d’une manière parfaite, dans l’eau et l’Esprit Saint; Il sera Dieu et homme, Il lavera le corps avec l’eau, l’esprit avec l’Esprit, de telle sorte que la sanctification de l’es prit rejaillira sur le corps — Jean a baptisé dans l’eau, mais vous, sous peu de jours, vous serez baptisés dans l’Esprit Saint .

245. Après avoir parlé de son ministère, Jean rend témoignage au Christ; d’abord par rapport aux Juifs : AU MILIEU DE VOUS SE TIENT QUELQU’UN QUE VOUS NE CONNAISSEZ PAS; ensuite par rapport à lui-même : IL EST CELUI QUI DOIT VENIR APRES MOI... .

246. Jean situe ici le Christ par rapport aux Juifs. Ses précédentes paroles revenaient à dire : "Moi, j’ai fait une œuvre imparfaite; mais il y en a un autre qui parachèvera mon œuvre". Or cet autre, ajoute-t-il, SE TIENT AU MILIEU DE VOUS. On peut expliquer cette dernière parole de multiples manières.

D’après Grégoire, Chrysostome et Augustin, elle a trait à la vie commune du Christ avec les hommes par ce que, selon la nature humaine, Il apparut semblable aux autres hommes — Lui qui était de condition divine, ne se prévalut pas d’être l’égal de Dieu, mais Il s’anéantit Lui-même, prenant condition d’esclave et se faisant semblable aux hommes. Il a paru comme un simple homme , C’est en ce sens que Jean dit : AU MILIEU DE VOUS SE TIENT QUELQU’UN, c’est-à-dire : Il a partagé votre vie bien des fois, comme étant l’un des vôtres — Je suis au milieu de vous comme celui qui sert , VOUS NE LE CONNAISSEZ PAS, c’est-à-dire : que Dieu se soit fait homme, vous ne pouvez pas le comprendre. De même, vous ignorez combien Il est grand selon la nature divine, qui se cachait en Lui — Oui, Dieu est si grand qu’Il dépasse notre science , Aussi, comme le dit Augustin , "une lampe, c’est-à-dire Jean, fut allumée pour que les hommes trouvent le Christ" — J’ai préparé une lampe à mon Christ .

Origène propose deux autres explications D’après la première, les paroles de l’Evangéliste se rapportent à la divinité du Christ et doivent s’entendre ainsi : AU MILIEU DE VOUS, c’est-à-dire au milieu de toutes les réalités, SE TIENT QUELQU’UN, c’est-à-dire le Christ, car en tant que Verbe de Dieu Il a rempli toute la création depuis son commencement — Est-ce que le ciel et la terre, je ne les remplis pas, moi? dit le Seigneur Cependant VOUS NE LE CONNAISSEZ PAS, parce que, comme l’Evangéliste le dit plus haut, Il était dans le monde (...) et le monde ne l’a pas connu .

D’après la seconde explication d’Origène, ces paroles se rapportent au fait que le Verbe est cause de la sagesse humaine, et il est dit : QUELQU’UN SE TIENT AU MILIEU DE VOUS, c’est-à-dire qu’Il brille dans toutes les intelligences, parce que tout ce qui est lumière et sagesse dans les hommes leur vient de leur participation au Verbe. Et Jean dit AU MILIEU, parce qu’au milieu du corps de l’homme se trouve le cœur; or on attribue au cœur sagesse et intelligence, de sorte que, bien que l’intelligence n’ait pas d’organe corporel, le cœur, parce qu’il est l’organe principal, est pris habituellement pour l’intelligence. L’Evangéliste dit donc, selon cette comparaison, que le Verbe SE TIENT AU MILIEU, en tant qu’Il illumine tout homme venant en ce monde; cependant VOUS NE LE CONNAISSEZ PAS, parce que, comme l’Evangéliste l’a dit plus haut, la lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas étreinte .

Enfin, selon une quatrième explication, ces paroles se rapportent à l’annonce prophétique du Christ. La réponse s’adresse spécialement aux Pharisiens : ils ne cessaient de consulter les écrits de l’Ancien Testament qui annonçaient le Christ, et pourtant ils ne Le con naissaient pas. D’après cette interprétation, le Précurseur dit AU MILIEU DE VOUS SE TIENT QUELQU’UN, c’est-à-dire dans la Sainte Ecriture que vous ruminez sans cesse — Vous scrutez les Ecritures — et cependant VOUS NE LE CONNAISSEZ PAS, parce que votre cœur est endurci à cause de votre infidélité, et vos yeux sont aveuglés de sorte que vous ne reconnaissez pas présent Celui dont vous croyez qu’Il va venir.

247. Jean considère ici le Christ par rapport à lui-même. Il affirme d’abord l’éminence du Christ par rap port à lui, et montre ensuite l’immensité de cette éminence .

248. Jean-Baptiste montre l’éminence du Christ par rapport à lui-même à la fois dans l’ordre de la prédication et dans l’ordre de la dignité. En premier lieu dans l’ordre de la prédication; c’est pour cela qu’il déclare.

Il est Celui qui vient après moi, pour prêcher, baptiser et mourir — Tu marcheras devant la face du Seigneur pour préparer ses voies . Mais Jean précède le Christ comme l’imparfait précède le parfait, et comme la dis position précède la forme, selon ce que dit l’Apôtre.

Ce n’est pas le spirituel qui paraît d’abord, mais ce qui est charnel . En effet, toute la vie de Jean a été une préparation au Christ. C’est pourquoi il a dit plus haut

Je suis la voix de celui qui crie dans le désert. Mais le Christ a précédé Jean et nous tous, comme le parfait pré cède l’imparfait et le modèle son image. Il dit Lui-même : Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renon ce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive et Pierre écrit : Le Christ a souffert pour nous, vous laissant un exemple, afin que vous suiviez ses traces .

Jean montre encore l’éminence de Jésus dans l’ordre de la dignité, en disant : IL EXISTAIT AVANT MOI, c’est-à-dire : Il a été placé devant moi et Il me devance en dignité parce que, comme il est dit plus loin : Il faut que Lui croisse et que moi je diminue .

249. Puis Jean indique l’immensité de l’éminence du Christ en disant : ET MOI JE NE SUIS PAS DIGNE DE DELIER LA COURROIE DE SA CHAUSSURE. C’est-à-dire ne pensez pas qu’Il me dépasse en dignité comme un homme doit être préféré à un autre, mais d’une manière si éminente que je ne suis rien en comparaison de Lui. C’est évident, puisque JE NE SUIS PAS DIGNE DE DELIER LA COURROIE DE SA CHAUSSURE, ce qui est le plus humble des services que l’on puisse rendre aux hommes.

Il ressort de là que Jean était très avancé dans la connaissance de Dieu, en ce sens que la considération de l’infinie grandeur de Dieu le faisait se mépriser totalement et se compter pour rien. De même Abraham, lors qu’il eut reconnu Dieu, disait Je parlerai à mon Seigneur, moi qui suis poussière et cendre . Et Job, après avoir vu le Seigneur, s’écria : Maintenant mon œil te voit, c’est pourquoi je m’accuse moi-même, et je fais pénitence dans la poussière et la cendre .

Quant à Isaïe, après avoir vu la gloire de Dieu, il dit : Toutes les nations sont devant Lui comme si elles n’existaient pas . Cette lecture est littérale.

250. Cependant il y a aussi un sens mystique. Selon Grégoire , par la chaussure qui est faite avec des peaux d’animaux morts, il faut entendre la nature humaine mortelle que le Christ a prise — J’étendrai ma chaussure en Idumée . La courroie de la chaussure est l’union même de la divinité et de l’humanité, que ni Jean ni aucun autre ne peut dénouer, ni n’a pu pleinement scruter, puisque cette union était telle qu’elle faisait de l’homme un Dieu et de Dieu un homme. C’est pourquoi Jean dit : JE NE SUIS PAS DIGNE DE DELIER LA COURROIE DE SA CHAUSSURE, c’est-à-dire d’expliquer le mystère de l’Incarnation, etc., — entendons au sens plénier et parfait; car, d’une certaine manière, Jean et les autres prédicateurs, bien qu’imparfaitement, dénouent la courroie de sa chaussure.

Voici une autre lecture mystique selon l’ancienne Loi, lorsque quelqu’un mourait sans enfant, le frère du défunt était tenu de prendre l’épouse du défunt et de donner, de cette épouse, une descendance à son frère. Si celui-ci ne voulait pas la prendre pour épouse, alors un proche parent du défunt, qui acceptait d’épouser la veuve, devait enlever au frère sa chaussure, signifiant par là le désistement de ce dernier; il prenait alors la veuve pour épouse, et la maison du premier devait s’appeler maison du déchaussé . Se référant à cela, Jean dit : JE NE SUIS PAS DIGNE DE DELIER LA COURROIE DE SA CHAUSSURE, c’est-à-dire : Je ne suis pas digne d’avoir pour épouse celle qui est due au Christ, l’Eglise. C’est comme s’il disait : je ne suis pas digne d’être appelé l’époux de l’Eglise, elle qui est consacrée au Christ dans le baptême de l’Esprit; moi je baptise seulement dans l’eau — Celui qui a l’épouse est l’époux; mais l’ami de l’époux, qui se tient là et qui l’entend, est ravi de joie à la voix de l’époux : cette joie qui est mienne est donc à son comble .

251. L’Evangéliste signale ensuite le lieu où ces choses se sont passées.

A ce propos une question se pose : alors que Béthanie est sur le mont des Oliviers, situé près de Jérusalem, comme le dit Jean l’Evangéliste , ainsi que Marc et Luc comment Jean peut-il dire ici que CELA SE PASSA AU DELA DU JOURDAIN, qui était très éloigné de Jérusalem? Voici la réponse que donnent Origène et Chrysostome il ne faut pas lire Béthanie, mais Béthabora, ville située au delà du Jourdain; le fait que le texte dise "Béthanie" serait dû à une erreur des copistes. Cependant, les manuscrits grecs et latins portent communément "Béthanie"; il faut donc répondre autrement et dire qu’il y a deux Béthanie, l’une qui est près de Jérusalem, sur le flanc du mont des Oliviers, l’autre au delà du Jourdain, où Jean baptisait.

252. Le fait que l’Evangéliste fasse mention du lieu a une signification littérale et une signification mystique. Voici la signification littérale, selon Chrysostome lors que Jean écrivait son Evangile, peut-être des contemporains de ces événements vivaient-ils encore, qui avaient vu ce lieu; et, pour donner une plus grande certitude, il les fait témoins de ce qu’ils avaient vu.

Selon la signification mystique, ces lieux conviennent au baptême. En effet, si on lit BETHANIE, qui se traduit "maison d’obéissance", cela signifie que l’obéissance de la foi est nécessaire pour parvenir au baptême — ainsi l’Epître aux Romains dit : Nous, nous avons reçu mission d’Apôtre pour amener tous les païens à l’obéissance de la loi . Mais si on lit "Béthabora", qui se traduit "maison de la préparation", cela signifie que, par le baptême, nous sommes préparés à la vie éternelle.

Et que Béthanie soit AU DELA DU JOURDAIN n’est pas sans signification cachée. JOURDAIN, en effet, veut dire "leur descente" et, selon Origène , signifie le Christ qui descendit des cieux, comme Il le dit Lui-même : Je suis descendu du ciel pour faire (...) la volonté de mon Père . C’est pourquoi la Sagesse dit d’elle-même : Je suis comme un canal issu d’un fleuve . Il convient en effet que par le Christ soient purifiés tous ceux qui entrent dans ce monde, selon cette affirmation de l’Apocalypse : Il nous a lavés de nos péchés dans son sang .

Le Jourdain peut aussi signifier le baptême. Il for me en effet la frontière entre ceux qui, d’un côté, ont reçu de Moïse leur héritage, et ceux qui, de l’autre, l’ont reçu de Josué ainsi le baptême forme une sorte de frontière entre les Juifs et les païens qui s’y rendent pour se laver en venant au Christ, afin de déposer la honte du péché. De même, en effet, que les fils d’Israël au moment de leur entrée dans la terre promise ont eu à franchir le Jourdain, de même c’est par le baptême qu’il faut pour entrer dans la patrie céleste.

L’Evangéliste dit : AU DELA DU JOURDAIN, pour faire comprendre que Jean prêchait son baptême de pénitence même aux transgresseurs de la Loi et aux pécheurs; c’est pourquoi le Seigneur dit pareillement : Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs
Louis-Claude Fillion
Cette note, par laquelle l’évangéliste termine son premier récit, ne lui fut « certainement pas dictée par un intérêt géographique ; elle est inspirée par la solennité de la scène précédente, et par la gravité extraordinaire de ce témoignage officiel, adressé aux représentants du Sanhédrin et de la nation tout entière » (Godet, h. l.). Elle n’est pas sans célébrité dans l’histoire de la critique du texte sacré, à cause de la discussion soulevée depuis l’époque d’Origène touchant le mot Béthanie. Origène raconte qu’ayant cherché sur les bords du Jourdain une localité de ce nom, il n’en trouva pas, mais qu’en revanche il en rencontra une autre, appelée Béthabara, qu’on lui dit être sur l’emplacement où le Précurseur avait autrefois baptisé. Il pourrait se faire que Béthabara soit identique à Béthanie, ainsi qu’on l’a depuis longtemps conjecturé ; car, d’un côté, il existe entre ces deux mots une assez grande analogie dans la langue hébraïque, (beth onyah), signifiant « maison du lac », et (beth habarah), « maison du passage » ; d’un autre côté, les bouleversements politiques firent disparaître ou modifièrent bien des noms en Palestine durant les deux premiers siècles de notre ère. - Au-delà du Jourdain. Le narrateur mentionne ces détails pour empêcher ses lecteurs, peu au courant de la géographie palestinienne, de confondre la Béthanie des bords du Jourdain avec la bourgade habitée par Lazare. Cette dernière était située en Judée, non loin de Jérusalem (Cf. XI, 18) : l’autre était en Pérée, on ignore en quel endroit précis, mais plus probablement vers le sud-ouest. - Où Jean baptisait. Cette construction est souvent employée par les évangélistes pour marquer des actes réitérés, des situations qui se prolongent.
Fulcran Vigouroux
Béthanie, sur la rive orientale du Jourdain, à un endroit où le fleuve était guéable et qui, d’après plusieurs, s’appelait Bethabara ou maison du passage.