Jean 1, 3
C’est par lui que tout est venu à l’existence, et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui.
C’est par lui que tout est venu à l’existence, et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui.
Ou encore: L'Évangéliste veut aller au-devant de cette pensée qu'il y a des choses qui sont faites par le Verbe, et d'autres qui existent par elles-mêmes indépendamment du Verbe, et c'est pour cela qu'il ajoute: «Et sans lui rien n'a été fait», c'est-à-dire, rien n'a été fait en dehors de lui, car il embrasse, contient et conserve toutes choses.
Valentin est aussi tombé dans l'erreur, en disant que le Verbe avait été pour le Créateur la cause de la création du monde. Car si les choses étaient telles qu'il les affirme, l'Évangéliste aurait dû dire: que le Verbe a tout fait par le Créateur, et non que le Créateur a tout fait par le Verbe.
Ou bien encore, si toutes choses ont été faites par le Verbe, et qu'au nombre de ces choses se trouve le mal et tout le malheureux courant du péché, le Verbe serait donc l'auteur du mal et du péché, ce qu'il est impossible d'admettre. Le néant et le non être sont deux termes qui ont la même signification. L'Apôtre lui-même semble appeler le mal le non être, lorsqu'il dit: "Dieu appelle les choses qui sont comme celles qui ne sont pas"; (Rm 4,17) ainsi sous le nom de rien, il faut comprendre le mal qui a été fait sans le Verbe.
Valentin retranche du nombre des choses qui ont été faites par le Verbe, celles qui ont été faites dans les siècles, et dont il fait remonter l'existence avant le Verbe; opinion contraire à toute évidence; car les choses qu'il regarde comme divines ne sont point comprises dans toutes ces choses qui ont été faites par le Verbe, et celles qui, de son avis, sont sujettes à la destruction, en font évidemment partie. Quelques-uns prétendent, mais à tort, que le démon n'est pas une créature de Dieu; ce n'est qu'en tant qu'il est démon, qu'il n'est pas créature de Dieu, mais celui qui a eu le malheur de devenir un démon, est vraiment l'oeuvre de Dieu; ainsi, disons-nous qu'un homicide n'est point l'oeuvre et la créature de Dieu, bien cependant que comme homme il soit véritablement son oeuvre.
Si l'on prend le verbe dans le sens qu'il se trouve en chacun de nous, et qu'il nous a été donné par le Verbe qui était au commencement, ou peut dire que nous ne faisons rien sans ce verbe, en prenant le mot rien dans son sens le plus simple. L'Apôtre dit: "Que sans la loi, le péché était mort, mais que le commandement étant survenu, le péché est ressuscité"; (Rm 7,8-9) car le péché n'est pas imputé, lorsque la loi n'est pas encore. Le péché n'existait pas non plus, avant que le Verbe descendît sur la terre, au témoignage de Notre-Seigneur lui-même: "Si je n'étais pas venu, et que je ne leur eusse point parlé, ils n'auraient pas de péché (Jn 15) En effet, il ne reste aucune excuse à celui qui veut se justifier de ses fautes, alors qu'il a refusé d'obéir au Verbe qui était présent, et qui lui indiquait ce qu'il devait faire. Nous ne devons cependant ni inculper ni accuser le Verbe, pas plus qu'on ne peut accuser un maître dont les leçons ont ôté à son élève tout moyen de rejeter ses fautes sur son ignorance. Donc toutes choses ont été faites par le Verbe, non seulement les choses de la nature, mais tous les êtres privés de raison.
On pouvait dire encore: Le Verbe était au commencement, mais il a pu ne pas exister avant le commencement? Saint Jean répond: «Toutes choses ont été faites par lui». Celui par qui a été fait tout ce qui est fait est un être infini, et comme toutes choses viennent de lui, il est aussi le principe du temps.
Ou encore: Ces paroles: «Toutes choses ont été faites par lui», ont un sens indéterminé. Or, il y a un être qui n'a pas été engendré et qui n'a été fait par personne; il y a un Fils qui a été engendré par celui qui n'a pas eu de naissance, et l'Évangéliste fait nécessairement supposer que le Père est l'auteur de toutes choses, en parlant de celui qui lui est si étroitement associé, et en disant: «Sans lui rien n'a été fait». Car puisque rien n'a été fait sans lui, je conclus nécessairement qu'il n'est pas seul, mais qu'il y eu a un par qui tout a été fait, et un autre sans lequel rien n'a été fait.
Moïse commence l'histoire de l'Ancien Testament, par le récit détaillé de la création des choses extérieures: "Au commencement, dit-il, Dieu fit le ciel et la terre" (Gn 1,1); paroles qu'il fait suivre de la création de la lumière, du firmament, des étoiles et des différentes espèces d'animaux. L'Évangéliste, au contraire, abrège et résume tout ce récit en un seul mot, comme étant connu de ses auditeurs; il entreprend un sujet plus sublime, et consacre tout son Évangile, non aux oeuvres de la création, mais à la gloire du Créateur.
Si du reste cette expression: "Par lui" vous déconcerte, et que vous vouliez trouver dans l'Ecriture un témoignage que le Verbe a tout fait lui-même, écoutez David: "Au commencement, Seigneur, vous avez créé la terre, et les cieux sont les oeuvres de vos mains" (Ps 101,26). C'est du Fils que le Roi-prophète parle ainsi, comme vous l'apprend l'apôtre saint Paul, qui lui applique ces paroles dans son Epître aux Hébreux (He 1,10). Si vous prétendez que c'est du Père que le Roi-prophète a voulu parler, et que saint Paul applique ces paroles au Fils, notre raisonnement conserve toute sa force, car saint Paul ne les aurait jamais appliquées au Fils, s'il n'avait été profondément convaincu que le Père et le Fils ont la même puissance et la même divinité. Si la préposition par vous parait indiquer une infériorité quelconque, pourquoi saint Paul l'emploie-t-il à l'occasion du Père? "Dieu, écrit-il aux Corinthiens, par lequel vous avez été appelés à la société de son Fils Jésus-Christ, Notre-Seigneur, est fidèle"; (1Co 1,9) et encore: "Paul, Apôtre par la volonté de Dieu ?" (2Co 1,1)
Ces paroles: «Toutes choses ont été faites par lui», ne comprennent pas seulement les êtres dont Moïse nous rapporte la création; aussi saint Jean ajoute-t-il expressément: «Et sans lui rien n'a été fait», soit des choses visibles, soit des invisibles. Ou encore: c'est afin qu'on ne fût point tenté de restreindre aux miracles racontés par les autres évangélistes, ces paroles: «Toutes choses ont été faites par lui», qu'il ajoute: «Et sans lui rien n'a été fait».
Ou bien encore: Ces paroles: «Sans lui rien n'a été fait», éloignent de nous jusqu'à l'idée que le Verbe soit une simple créature. Comment soutenir, en effet, qu'il est une créature, lorsque l'Évangéliste affirme que Dieu n'a rien fait sans lui ?
S'il n'a pas été fait, il n'est pas créature, il a la même nature que son Père, car toute substance qui n'est pas Dieu est créature, et la substance qui n'a pas été créée est nécessairement la nature divine.
Ces paroles: "Toutes choses ont été faites par lui", nous prouvent suffisamment que la lumière elle-même a été faite par lui, lorsque Dieu dit: "Que la lumière soit" (Gn 1,3), de même que tous les autres ouvrages de la création. Mais s'il en est ainsi, puisque le Verbe de Dieu, qui est Dieu lui-même, est coéternel à Dieu le Père, cette parole que Dieu prononce: "Que la lumière soit", est éternelle, bien que la créature n'ait été faite que dans le temps. Ces expressions que nous employons, quand, alors, désignent un temps déterminé, mais quand une chose doit être faite par Dieu, elle est éternelle dans le Verbe de Dieu, et elle est faite au moment où le Verbe a résolu de la faire, car dans ce Verbe, il n'y a aucune de ces successions de temps indiquées par ces expressions quand, alors, parce que le Verbe tout entier est éternel.
Comment donc pourrait-il se faire que le Verbe de Dieu ait été fait, alors que c'est par le Verbe que Dieu a fait toutes choses? Et si ce Verbe a été fait, par quel autre Verbe a-t-il été fait? Si vous dites qu'il est le Verbe du Verbe par lequel il a été fait, moi je l'appelle le Fils unique de Dieu. Mais si vous ne l'appelez pas le Verbe du Verbe, reconnaissez qu'il n'a pas été fait, puisque toutes choses ont été faites par lui.
En effet, le péché n'a point été fait par le Verbe, et il est évident que le péché c'est le rien, ou le non être, et que les hommes tombent dans le rien, lorsqu'ils commettent le péché. L'idole, non plus, n'a pas été faite par le Verbe; elle a bien une forme humaine, et c'est par le Verbe que l'homme a été fait. Mais la forme humaine n'a pas été donnée à l'idole par le Verbe, car il est écrit: "Nous savons qu'une idole n'est rien". (1Co 8) Donc aucune de ces choses n'a été faite par le Verbe, mais il est l'auteur de tout ce qui existe dans la nature, et de tout l'ensemble des créatures depuis l'ange jusqu'au vermisseau.
Il ne faut point s'arrêter à l'opinion absurde de ceux qui prétendent qu'il faut entendre ici le rien d'un certain ordre d'êtres, parce que ce mot rien se trouve placé à la fin de la phrase; ils ne comprennent pas qu'il n'y a aucune différence entre ces deux manières de s'exprimer: «Sans lui, rien n'a été fait», ou: «Sans lui n'a été fait rien».
Après avoir exposé la nature du Fils, l'Évangéliste fait connaître ses oeuvres: «Toutes choses ont été faites par lui», c'est-à-dire, tout ce qui existe comme substance ou comme propriété.
Tel est le langage que tiennent les Ariens; tout a été fait par le Fils, comme nous disons qu'une porte a été faite avec une scie qui a servi d'instrument à l'ouvrier, c'est-à-dire, qu'il n'a pas agi comme créateur, mais comme instrument. Et ils prétendent que le Fils a été fait pour servir d'instrument à la création des autres êtres. Nous répondons simplement aux auteurs de ce mensonge: Si, comme vous le dites, le Père avait créé le Fils pour s'en servir comme d'un instrument, la nature du Fils serait beaucoup moins noble que celle des autres créatures qui ont été faites par lui. De même qu'une scie est d'un rang inférieur à celui des ouvrages qu'elle sert à faire, puisqu'elle n'existe que pour eux; c'est par le même dessein, disent-ils, que Dieu a créé le Fils, comme si Dieu n'eût jamais produit son Fils, dans l'hypothèse où il n'aurait pas dû créer l'univers. Peut-on tenir un raisonnement plus insensé? Mais, ajoutent-ils, pourquoi l'Évangéliste n'a-t-il pas dit que le Verbe a fait toutes choses, et s'est-il servi de la préposition par: «Toutes choses ont été faites par lui ?» C'est afin que vous ne croyez pas que le Fils n'a pas été engendré, qu'il est sans principe, et comme le créateur de Dieu.
Nous avons contemplé le Verbe intérieur, vivant au sein du Père ; voici maintenant le Verbe se portant
au dehors, se manifestant dans le monde par ses œuvres (Saint Justin, Apol. I.). L’évangéliste indique les
relations du Logos d’abord avec les créatures en général (versets 3 et 4a), puis plus spécialement avec
l’humanité (versets 4b et 5). - Tout : tout ce qui existe en dehors de Dieu, l’univers entier (Cf. verset 10, « le
monde »), dans son ensemble et dans tous ses plus petits détails. Le mot grec sans article est plus expressif
que celui de saint Paul (1 Cor. 8, 6 ; Col. I, 15 ; etc.), parce qu’il n’est limité d’aucune manière. - Par lui :
Dieu le Père est la « cause efficiente » de la création, comme s’expriment les théologiens : aussi ses relations
avec le monde créé sont-elles ordinairement désignées par la préposition « de ». Quand il s’agit du Fils, du
Verbe, ses rapports avec les créatures sont marqués de préférence par deux autres formules, « par » et « en ».
1 Cor. 8, 6. Cf. Hebr. 1, 2. Il est en effet tout ensemble la « causa instrumentalis » et la « causa exemplaris »
de la création ; l’instrument du père ou le bras du père, et un type merveilleux de toutes choses. Voyez Mgr
Ginouilhac, l. c., p.320 et s. - De ce qui a été fait : Quelle différence ! Le Verbe « était » ; les créatures « ont
été faites » ; plus littéralement : « elles sont devenues », expression si fréquemment employée au premier
chapitre de la Genèse. - Et sans lui …L’idée pourtant si claire que nous venons de lire au premier hémistiche
est répétée dans le second, mais sous une forme négative qui est plus expressive encore. C’est là une
particularité du style de saint Jean. Cf. 1, 20 ; 3, 16 ; 10, 5, 8. ; 20, 27 ; 1 Joan. I, 5, 6 ; 2, 4, 10, 11, 27, 28 ;
Apoc. 2, 13 ; 3, 9. Elle rappelle le parallélisme antithétique de la poésie juive... Rien n’a été fait : Le grec dit
avec plus d’énergie, « pas une seule chose » ! Tout ce qui existe a donc passé par la volonté du verbe avant
d’arriver à l’être : atome, brin d’herbe, insecte minuscule, séraphin brillant ; il n’y a pas d’exception. Tout se ressemble sous ce rapport. - De ce qui a été fait : L’aoriste grec se rapportait au fait même de la création, et
nous montrait les créatures passant à l’existence sur un ordre du Verbe ; le parfait grec décrit maintenant la
création comme un résultat acquis et permanent.
Dieu, qui crée (cf. Jn 1, 3) et conserve toutes choses par le Verbe, donne aux hommes dans les choses créées un témoignage incessant sur lui-même (cf. Rm 1, 19-20) ; voulant de plus ouvrir la voie du salut d’en haut, il s’est manifesté aussi lui-même, dès l’origine, à nos premiers parents. Après leur chute, par la promesse d’une rédemption, il les releva dans l’espérance du salut (cf. Gn 3, 15) ; il prit un soin constant du genre humain, pour donner la vie éternelle à tous ceux qui, par la constance dans le bien, recherchaient le salut (cf. Rm 2, 6-7). Au temps fixé, il appela Abraham pour faire de lui un grand peuple (cf. Gn 12, 2) ; après les patriarches, il forma ce peuple par l’intermédiaire de Moïse et par les prophètes, pour qu’il le reconnaisse comme le seul Dieu vivant et vrai, Père prévoyant et juste juge, et qu’il attende le Sauveur promis, préparant ainsi au cours des siècles la voie à l’Évangile.