Jean 1, 34

Moi, j’ai vu, et je rends témoignage : c’est lui le Fils de Dieu. »

Moi, j’ai vu, et je rends témoignage : c’est lui le Fils de Dieu. »
Saint Jean Chrysostome
Le témoignage que Jean-Baptiste avait rendu à Jésus, qu'il pouvait seul remettre les péchés du monde entier, avait pour objet un mystère si relevé qu'il pouvait jeter dans l'étonnement et la stupeur ceux qui l'entendaient, et c'est pour le rendre plus digne de foi qu'il le fait remonter jusqu'à Dieu et à l'Esprit saint. En effet, on pouvait dire à Jean: «Comment donc l'avez-vous connu ?» C'est, répond-il par l'Esprit saint qui est descendu sur lui: «Et Jean rendit encore ce témoignage: J'ai vu l'Esprit saint descendre sur lui», etc.

Que personne ne pense que Jésus-Christ eut besoin de recevoir l'Esprit saint, comme nous avons besoin de le recevoir nous-mêmes; Jean-Baptiste détruit jusqu'à l'ombre de ce soupçon, en déclarant que l'unique motif de la descente du Saint-Esprit sur Jésus était de le faire connaître: «Et moi je ne le connaissais pas, mais celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau, m'a dit: Celui sur qui tu verras l'Esprit saint descendre et se reposer, c'est lui qui baptise dans l'Esprit saint».

Jean-Baptiste, en disant: «Je ne le connaissais pas», veut parler d'une époque antérieure et non de celle du baptême, où il dit à Jésus: «C'est moi qui dois être baptisé par vous».

Le Père avait fait entendre sa voix pour proclamer son Fils, l'Esprit saint descend des cieux pour fixer les paroles du Père sur la tête de Jésus-Christ, afin que personne ne fût tenté d'attribuer à Jean ce qui ne convenait qu'à Jésus-Christ. Mais comment, me dira-t-on, les Juifs ne crurent-ils pas s'ils ont vu l'Esprit saint descendre sur Jésus? C'est que de telles apparitions n'exigent pas seulement les yeux du corps, mais encore ceux de l'âme. Lorsqu'ils furent témoins des miracles que faisait Jésus, l'envie égara leur raison à ce point qu'ils affirmaient le contraire de ce qu'ils avaient vu; comment donc veut-t-on que la seule apparition de l'Esprit saint ait pu dissiper leur incrédulité? Suivant quelques-uns, tous ne virent pas l'Esprit saint, mais seulement Jean-Baptiste, et ceux dont les dispositions étaient meilleures; car bien qu'il fût possible de voir des yeux du corps l'Esprit saint descendre sous la forme d'une colombe, il n'était pas nécessaire que tous fussent témoins de cette apparition miraculeuse. Le prophète Zacharie (Za 1-6); Daniel (Da 7-10); Ezéchiel (Ez 1 Ez 3 Ez 8 Ez 10-11 Ez 37 Ez 40; etc.), n'eurent-ils pas plusieurs visions sous des formes sensibles, sans qu'aucun autre en fût témoin? Moïse lui-même, n'a-t-il pas vu des choses qui n'ont été révélées à aucun autre? c'est pour cela que Jean-Baptiste ajoute: «J'ai vu et j'ai rendu témoignage que celui-ci est le Fils de Dieu». Il lui avait donné le nom d'Agneau de Dieu, il avait annoncé qu'il baptiserait dans l'Esprit saint, mais jusqu'ici il ne l'avait point appelé Fils de Dieu.
Saint Augustin
Ce n'est pas cependant que Jésus n'ait reçu l'onction de l'Esprit saint, que lorsqu'il descendit sur lui, après son baptême, sous la forme d'une colombe. Le Sauveur daignait alors représenter son corps mystique, c'est-à-dire son Eglise, dans laquelle surtout ceux qui sont baptisés reçoivent l'Esprit saint. Il serait, en effet, de la dernière absurdité de croire que Jésus ne reçut l'Esprit saint qu'à l'âge de trente ans, puisqu'il avait cet âge lorsqu'il fut baptisé et qu'il vint recevoir le baptême de Jean sans aucun péché, mais aussi sans avoir reçu l'Esprit saint. Il est écrit de Jean, son serviteur et son précurseur: «Il sera rempli de l'Esprit saint dès le sein de sa mère» (Lc 1,15), et quoiqu'il eût un homme pour père, il reçut l'Esprit saint dès le sein de sa mère, que devrons-nous donc penser et croire de Jésus-Christ fait homme, lui dont la conception dans le sein de sa mère eut pour principe, non point la chair, mais l'Esprit ?

Nous ne disons pas que Jésus-Christ seul avait un véritable corps, tandis que l'Esprit saint ne se manifesta aux yeux des hommes que sous une apparence trompeuse. Il est aussi indigne de l'Esprit saint que du Fils de Dieu, d'induire les hommes en erreur. Aussi disons-nous que Dieu, qui a créé tout de rien, a pu fort bien créer un véritable corps de colombe sans l'intermédiaire d'aucun oiseau de cette espèce, avec la même facilité qu'il forma un véritable corps dans le sein de la Vierge, sans le concours d'aucun homme.

L'Esprit saint s'est manifesté aux hommes sous deux formes visibles différentes, sous la forme d'une colombe lorsqu'il descendit sur Notre-Seigneur après son baptême, et sous la forme de langues de feu quand il descendit sur les Apôtres réunis. D'un côté, c'est le symbole de la simplicité, de l'autre, l'emblème de la ferveur. La forme de la colombe apprend à ceux qui ont été sanctifiés par l'Esprit saint, à fuir toute duplicité; et le feu enseigne à la simplicité, à ne point faire ses actions avec froideur. Ne vous étonnez pas que les langues soient divisées. Ne craignez pas la division, reconnaissez dans la colombe le symbole de l'unité. Il fallait que l'Esprit saint descendît sur Notre-Seigneur sous la forme d'une colombe, pour apprendre à tous les chrétiens qu'on reconnaîtra qu'ils ont reçu l'Esprit saint, s'ils ont la simplicité de la colombe et s'ils vivent avec leurs frères dans cette paix véritable que figurent les baisers des colombes. Les corbeaux donnent aussi des baisers, mais en même temps ils déchirent; la colombe ne sait point déchirer, les corbeaux se nourrissent de corps qui ont été mis à mort, ce que ne fait pas la colombe, qui ne se nourrit que des fruits de la terre. Que si la colombe fait entendre des gémissements d'amour, ne soyons pas surpris que l'Esprit saint ait voulu apparaître sous la forme d'une colombe, lui qui prie pour nous par ses gémissements ineffables. (Rm 8,26) Ce n'est point en lui même, mais en nous que l'Esprit saint gémit par les gémissements qu'il nous inspire. Celui qui gémit d'être accablé sous le poids de ce corps mortel, et de vivre éloigné du Seigneur, gémit d'une manière agréable à Dieu. Mais il en est beaucoup qui gémissent d'être privés de la félicité de ce monde, ou d'être brisés par les épreuves, accablés sous le poids écrasant des infirmités du corps, ce ne sont pas là les gémissements de la colombe. Sous quelle forme devait se manifester l'Esprit saint pour représenter l'unité, si ce n'est sous la forme de la colombe, afin de pouvoir dire à l'Eglise, après lui avoir donné la paix; «Ma colombe est unique ?» (Ct 6,8)

Quel symbole plus convenable de l'humilité, que cet oiseau simple et gémissant? La sainte et véritable Trinité apparut toute entière dans cette circonstance; le Père, dans cette voix qui dit: «Vous êtes mon Fils bien-aimé» (Lc 3,22). Le Fils dans celui qui est baptisé, et l'Esprit saint dans la colombe. C'est au nom de cette Trinité, que les Apôtres ont été envoyés pour baptiser au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit (Mt 28,19).

C'était au Fils unique de Dieu, et non point à un Fils adoptif que devait être réservé le pouvoir de baptiser. Les fils adoptifs sont les ministres du Fils unique, le Fils unique a seul le pouvoir du baptême, les fils adoptifs n'eu ont que l'administration.

Mais qui donc a envoyé Jean-Baptiste? Si nous disons: le Père, nous disons vrai; si nous disons: le Fils, nous disons vrai encore, mais beaucoup plus vrai, si nous disons le Père et le Fils. Mais comment pouvait-il ne pas connaître celui qui l'avait envoyé? S'il ne connaissait pas celui des mains duquel il voulait recevoir le baptême, il parlait donc d'une manière inconsidérée, lorsqu'il lui disait: «C'est moi qui dois être baptisé par vous». Il le connaissait donc, pourquoi donc alors affirme-t-il qu'il ne le connaissait pas?

Si nous lisons les autres évangélistes qui se sont étendus davantage sur le baptême du Sauveur, nous y verrons de la manière la plus claire que la colombe est descendue sur le Seigneur, lorsqu'il sortit de l'eau. Or, si la colombe n'est descendue qu'après le baptême, et que Jean-Baptiste ait dit à Jésus avant son baptême: «C'est moi qui dois être baptisé par vous», il le connaissait donc avant son baptême; et comment alors a-t-il pu dire: «Je ne le connaissais pas, mais celui qui m'a envoyé baptiser m'a dit: Celui sur lequel vous verrez descendre l'Esprit saint ?» etc. Sont-ce ces dernières paroles qui lui ont fait connaître celui qu'il ne connaissait pas? Jean-Baptiste savait que le Sauveur était le Fils de Dieu, il savait également qu'il baptiserait dans l'Esprit saint. Car avant que Jésus-Christ se rendît sur les bords du Jourdain, alors que le peuple venait en foule trouver Jean-Baptiste, il leur dit: «Celui qui vient après moi est plus grand que moi, c'est lui qui vous baptisera dans l'eau et dans le feu». Mais que ne savait donc pas Jean-Baptiste? Il ne savait pas que le pouvoir du baptême devait appartenir exclusivement en propre au Seigneur, qui devait le conserver, de manière à ce que ni Pierre ni Paul ne pussent dire: «Mon baptême», comme nous voyons que Paul a dit: «Mon Évangile»; et que l'administration de ce sacrement devait être confié également aux bons et aux mauvais. Que vous importe un mauvais ministre, alors que le Seigneur est bon? On a rebaptisé après le baptême de Jean-Baptiste, on n'a point rebaptisé après le baptême d'un homicide, parce que Jean n'a donné que son baptême, et que l'homicide a donné le baptême de Jésus-Christ, et que la sainteté de ce sacrement est si grande, qu'elle ne peut être souillée par un ministre coupable d'homicide. Le Seigneur aurait pu, s'il avait voulu, donner à l'un de ses serviteurs le pouvoir d'administrer le baptême en son propre nom, et attribuer au sacrement de baptême conféré au nom de son serviteur, une efficacité aussi grande que celle du baptême donné par le Seigneur lui-même. Il ne l'a pas voulu, afin que ceux qui reçoivent son baptême missent toute leur espérance en celui au nom duquel ils reconnaîtraient avoir été baptisés, et il n'a point voulu qu'un serviteur plaçât son espérance dans un autre serviteur. S'il avait transmis ce pouvoir à ses serviteurs, il y aurait autant de baptêmes qu'il y a de serviteurs; et comme on a dit le baptême de Jean, on aurait dit aussi le baptême de Pierre ou de Paul. Ce pouvoir que Jésus-Christ s'est exclusivement réservé, est le fondement de l'unité de l'Eglise, dont il est dit: «Une seule est ma colombe». (Ct 6,8) Il peut se faire que quelqu'un ait reçu le baptême d'un autre que de la colombe, mais il est impossible que ce baptême ait pour lui la moindre efficacité.
Saint Cyrille d'Alexandrie
Jean voit Jésus venir vers lui et il dit: Voici l'Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde (Jn 1,29). Ce n'est plus le temps de dire: Préparez... (Mt 3,3), puisque Celui dont la venue a été préparée se laisse voir, il s'offre désormais aux regards. La nature de l'événement demande un autre discours. Il faut faire connaître Celui qui est là, expliquer pourquoi il est descendu du ciel et venu jusqu'à nous. C'est pourquoi Jean déclare: Voici l'Agneau de Dieu.

Le prophète Isaïe nous l'a annoncé en disant qu'il est traîné à l'abattoir comme une brebis, comme un agneau muet devant ceux qui le tondent (Is 53,7). La loi de Moïse l'a préfiguré, mais, étant figure et ombre, elle ne procurait qu'un salut incomplet et sa miséricorde ne s'étendait pas à tous les hommes. Or, aujourd'hui, l'Agneau véritable, représenté jadis par des symboles, la victime sans reproche est menée à l'abattoir.

C'est pour chasser le péché du monde, renverser l'Exterminateur de la terre, détruire la mort en mourant pour tous, briser la malédiction qui nous frappe et mettre désormais fin à ceci: Tu es poussière et à la poussière tu retourneras (Gn 3,19). Devenu ainsi le second Adam, d'origine céleste et non terrestre, il est la source de tout bien pour l'humanité, le destructeur de la corruption qui était étrangère à notre nature, le médiateur de la vie éternelle, le garant du retour à Dieu, le principe de la piété et de la justice, la voie qui mène au Royaume des cieux. Car un seul Agneau est mort pour tous, recouvrant pour Dieu le Père tout le troupeau de ceux qui habitent la terre; un seul est mort pour tous, afin de les soumettre tous à Dieu; un seul est mort pour tous afin de les gagner tous, afin que tous désormais n'aient plus leur vie centrée sur eux-mêmes, mais sur lui, qui est mort et ressuscité pour eux (2Co 5,15).

Nous vivions, en effet, dans nos nombreux péchés, et, de ce fait, nous avions à acquitter une dette de mort et de corruption. Aussi le Père a-t-il livré son Fils en rançon pour nous, un seul pour tous, car t outes choses sont en lui et il est au-dessus de tout. Un seul est mort pour tous afin que nous vivions tous en lui, car la mort, qui avait englouti l'Agneau sacrifié pour tous, les a tous restitués en lui et avec lui. En effet, nous étions tous dans le Christ qui est mort pour nous et à notre place, et qui est ressuscité.

Une fois le péché détruit, comment la mort qui a en lui son principe et sa cause, échapperait-elle à la destruction complète? Une fois la racine morte, comment le germe qui en sort pourrait-il encore se conserver? Une fois le péché effacé, pour quelle faute encore devrions-nous mourir? Célébrons donc dans la joie l'immolation de l'Agneau, en disant: O mort, où est ta victoire? O enfer, où est ton dard venimeux (1Co 15,55)?

Comme le chantait le Psalmiste, toute injustice, en effet, fermera sa bouche (Ps 106,42), incapable qu'elle est désormais d'accuser ceux qui pèchent par faiblesse. Car c'est Dieu qui justifie (Rm 8,33). Le Christ nous a rachetés de la malédiction de la Loi, en devenant pour nous objet de malédiction (Ga 3,13), afin que nous échappions à la malédiction du péché.
Saint Grégoire le Grand
Jean-Baptiste ajoute: «Et demeurer sur lui», car l'Esprit descend, il est vrai, dans le coeur de tous les fidèles, mais c'est dans le médiateur seul qu'il demeure d'une manière spéciale, parce qu'il ne s'est jamais séparé de l'humanité de Jésus, de la divinité duquel il procède. Or le Sauveur parlant à ses disciples de cet Esprit, leur dit aussi: «Il demeurera en vous» (Jn 14,17). A quel titre particulier demeure-t-il donc en Jésus-Christ? C'est ce qu'il nous sera facile de reconnaître si nous faisons une distinction entre les dons de l'Esprit saint. S'agit-il des dons sans lesquels il est impossible de parvenir à la vie, comme la douceur, l'humilité, la foi, l'espérance et la charité, l'Esprit saint demeure dans tous les fidèles. Mais quant aux dons qui out pour objet la manifestation de l'Esprit saint, et qui tendent moins à conserver la vie spirituelle en nous qu'à l'établir dans les autres, l'Esprit saint ne demeure pas toujours en ceux qui ont reçu ces dons, et il se dérobe quelquefois à l'éclat des miracles pour rendre plus humbles les vertus qu'il a inspirées; Jésus-Christ, au contraire, a eu toujours et en toutes circonstances l'Esprit saint en lui.
Saint Thomas d'Aquin
253. Dans les versets précédents , Jean, interrogé par les Pharisiens, a rendu témoignage au Christ. Maintenant, c’est en sa présence et spontanément qu’il va rendre un nouveau témoignage au Christ. Il donne d’abord son témoignage, puis le confirme .

L’Evangéliste commence par décrire les circonstances de ce témoignage; ensuite il expose le témoignage lui-même ; enfin il écarte les soupçons que l’on pourrait avoir sur le témoin .

254. La description des circonstances du témoignage porte d’abord sur le temps. L’Evangéliste dit : LE LENDEMAIN, pour mettre en valeur la constance de Jean, qui ne rendit pas témoignage au Christ un jour, ni une fois seulement, mais bien des jours et de nombreuses fois — Chaque jour je bénirai ton Nom Cela met aussi en relief sa croissance; en effet, les jours ne doivent pas se succéder pour nous d’une manière uniforme, mais chacun doit être autre que le précédent, c’est-à-dire meilleur, selon le Psaume Ceux dont la force est en toi marchent avec une vigueur croissante .

Une autre circonstance concerne le mode de témoignage JEAN VIT JESUS. Par là l’Evangéliste montre sa certitude, car le témoignage portant sur ce qu’on a vu est plus certain.

Enfin, une autre circonstance concerne celui à qui le témoignage est rendu : JEAN VIT JESUS VENIR A LUI, c’est-à-dire de Galilée, selon ce que dit Matthieu . Par là il ne faut pas entendre la venue du Christ pour son baptême, dont parlait Matthieu, mais une autre venue auprès de Jean après le baptême, à un moment où Jésus demeura près du Jourdain; autrement Jean- Baptiste n’aurait pas précisé Celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit : Celui sur qui tu verras l’Es prit descendre et demeurer, c’est Lui qui baptise dans l’Esprit Saint. Et moi j’ai vu et j’ai attesté que c’est Lui le Fils de Dieu . II avait donc déjà vu Jésus et l’Es prit descendant sur Lui comme une colombe, ainsi qu’il le dira.

255. Une des causes pour lesquelles le Christ vint à Jean après son baptême, c’est qu’Il voulait confirmer le témoignage du Précurseur. Jean, en effet, avait dit du Christ : Il est Celui qui doit venir après moi . Donc, pour qu’on puisse reconnaître sans se tromper Celui qui devait venir au moment où Il serait là, Jésus vint à Jean pour être montré du doigt : VOICI L’AGNEAU DE DIEU.

Une autre raison fut d’empêcher une erreur. En effet, on aurait pu croire que le Christ, quand Il vint trouver Jean la première fois pour son baptême, l’avait fait pour être lavé de ses péchés. Afin d’exclure cette interprétation, le Christ vint de nouveau trouver Jean après son baptême, et c’est pourquoi Jean dit expressément : VOICI CELUI QUI ENLEVE LES PECHES DU MONDE, comme s’il disait : Il ne vient pas pour être purifié de ses péchés, puisqu’Il n’a fait aucun péché, mais Il vient enlever le péché. Il vient aussi pour donner un exemple d’humilité, car il est écrit : Humilie-toi en toutes choses d’autant plus que tu es grand .

Remarquons que, de même qu’après la conception du Christ, lorsque la Vierge sa mère monta en hâte dans le haut pays pour visiter Elisabeth, mère de Jean, celui-ci, encore dans le sein de sa mère et incapable de parler, tressaillit pour exprimer au Christ son respect et ses transports de joie, de même maintenant, au Christ qui vient à lui par humilité, Jean rend témoignage et exprime son respect en s’exclamant : VOICI L’AGNEAU DE DIEU.

256. L’Evangéliste expose ici le témoignage de Jean, où sont montrées la puissance du Christ et sa dignité .

Le Précurseur montre la puissance du Christ à l’ai de d’une figure qu’il explique ensuite : VOICI CELUI QUI ENLEVE LES PECHES DU MONDE .

257. Il faut savoir que, dans l’Ancienne Loi, comme le rappelle Origène , la coutume était d’offrir au temple cinq espèces d’animaux : trois qui vivent sur la terre, le bœuf, la chèvre et le mouton (c’est-à-dire, sous ce nom, le bélier, la brebis et l’agneau), deux qui vivent dans les airs, la tourterelle et la colombe. Tous étaient la préfiguration de la vraie victime, le Christ, qui s’est offert Lui-même en oblation à Dieu .

Pourquoi donc le Baptiste, rendant témoignage au Christ, L’a-t-il désigné spécialement par le nom d’AGNEAU? La raison se trouve dans le Livre des Nombres. On y voit qu’à certains jours on offrait dans le temple certains sacrifices; cependant il y en avait un qui était quotidien : c’était l’offrande perpétuelle matin et soir, d’un agneau. Ce sacrifice ne changeait jamais, on l’accomplissait comme le rite principal, les autres venant s’y joindre. C’est ainsi que l’agneau, qui était le sacrifice principal, représente le Christ, qui est le sacrifice principal. Car, bien que tous les saints qui ont souffert pour la foi au Christ contribuent au salut des fidèles, cependant ils ne le font que dans la mesure où ils sont immolés sur l’oblation de l’Agneau, comme une oblation étroitement liée au sacrifice principal.

L’agneau était offert matin et soir, parce que le Christ nous a ouvert l’accès à la contemplation et à la jouissance de ce que nous pouvons saisir des réalités divines, ce qui appartient à la "connaissance matutinale" , et qu’Il nous a instruits de la manière d’user des biens terrestres sans nous souiller par le péché, ce qui appartient à la "connaissance vespertinale". Aussi Jean dit-il VOICI L’AGNEAU DE DIEU, c’est-à-dire Celui dont l’agneau était le signe.

Il dit AGNEAU DE DIEU, car dans le Christ il y a deux natures, l’humaine et la divine; et s’Il a la puissance de satisfaire les péchés et de purifier des péchés, c’est en vertu de la divinité — C’était Dieu, en effet, qui dans le Christ se réconciliait le monde

VOICI L’AGNEAU DE DIEU signifie encore : voici l’Agneau offert par Dieu, c’est-à-dire par le Christ Lui-même qui est Dieu : ainsi appelle-t-on" offrande de l’homme" celle qu’offre l’homme.

AGNEAU DE DIEU peut vouloir dire aussi "Agneau du Père"; car le Père Lui-même a donné à l’homme de pouvoir offrir pour les péchés un sacrifice suffisant, sacrifice que l’homme lui-même était incapable d’offrir. Voilà pourquoi, lorsqu’Isaac demanda à son père Abraham : "Où est la victime pour l’holocauste?", celui-ci répondit : "Dieu pourvoira Lui-même à la victime pour l’holocauste" Dieu, en effet, n’a pas épargné son propre Fils, mais L’a livré pour nous tous

258. Le Christ est aussi appelé AGNEAU à cause de sa pureté — agneau pascal, figure du Christ sera sans tache. Ce sera un mâle, il n’aura qu’un an Ce n’est point par des choses corruptibles, or ou argent, que vous avez été rachetés dit saint Pierre ; à cause de sa douceur — Comme un agneau devant le tondeur, il resta muet ; à cause de ce qu’Il nous apporte, car Il est vêtement — Les agneaux sont pour vous vêtir ;

Revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ et nourriture — Le pain que moi je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde C’est pourquoi Isaïe disait : Seigneur, envoie l’agneau dominateur de la terre .

259. Jean explique ensuite la figure dont il s’est servi : CELUI QUI ENLEVE LES PECHES DU MONDE. Ni la Loi, ni l’agneau, ni les autres sacrifices ne pouvaient enlever les péchés, parce qu’il est impossible que le sang des boucs et des taureaux enlève les péchés

L’Agneau, Lui, ENLEVE, c’est-à-dire efface, LES PECHES DU MONDE — efface toute iniquité ou bien Il ENLEVE, c’est-à-dire prend sur Lui, LES PECHES DU MONDE entier, car Il a porté nos péchés sur son corps Lui-même, Il a porté nos douleurs et Il s’est chargé de nos langueurs .

Selon la Glose, Jean dit : "Il a enlevé le péché", et non LES PECHES, afin de montrer, en se servant d’un terme universel, que le genre tout entier du péché est enlevé — Il est lui-même victime de propitiation pour nos péchés Ou bien encore, Jean dit : "Il a enlevé LE PECHE", pour souligner que le Christ est mort pour un seul péché, le péché originel — Par un homme le péché est entré dans le monde .

260. Ce n’est plus maintenant en montrant sa puissance que le Baptiste rend témoignage au Christ, mais en montrant sa dignité, ce qu’il fait en se comparant à Lui d’une triple manière.

D’abord dans l’ordre de la prédication; c’est pour quoi il dit, en Le montrant du doigt : CELUI-CI, c’est-à-dire l’Agneau, EST CELUI DONT J’AI DIT en son absence : UN HOMME VIENT APRES MOI, pour prêcher et baptiser, qui vient APRES MOI par la naissance. Il appelle le Christ UN HOMME en raison de son âge parfait car, quand Il commença à enseigner après son baptême, Il était déjà dans l’âge parfait, puisqu’Il avait environ trente ans et également en raison de la perfection de toutes les vertus qui étaient en Lui. L’Ecriture dit en effet : Sept femmes, c’est-à-dire les sept vertus, saisiront un homme, c’est-à-dire le Christ par fait ; et : Voici un homme dont le nom est orient , car Il est, pour Lui-même et pour les autres, origine de toutes les vertus. De même il appelle le Christ HOMME en raison du fait qu’Il s’engage comme époux, car le Christ Lui-même est l’époux de l’Eglise — En ce jour-là, dit le Seigneur, tu m’appelleras : "Mon époux" l’Apôtre disait en effet : Je vous ai fiancés à un époux unique .

261. Jean se compare ensuite au Christ dans l’ordre de la dignité en disant : IL EST PASSE DEVANT MOI, comme s’il disait : bien qu’Il soit venu après moi pour prêcher, cependant AVANT MOI IL ETAIT, c’est-à-dire Il a été placé devant moi en dignité — Le voici, Il vient, bondissant sur les montagnes, sautant sur les collines .

Jean-Baptiste fut une colline que le Christ dépassa; Jean dit en effet, plus loin : Il faut que Lui croisse et que moi je diminue .

262. Enfin, Jean se compare au Christ dans l’ordre de la durée en disant AVANT MOI IL ETAIT, comme s’il disait : il n’est pas étonnant qu’Il me dépasse en dignité car, bien qu’Il soit venu après moi dans le temps, Il est avant moi par l’éternité, car AVANT MOI IL ETAIT.

Par ces paroles, Jean écarte deux erreurs. D’abord celle d’Arius . De fait le Baptiste ne dit pas : "Avant moi Il a été fait", comme s’Il était une créature, mais AVANT MOI IL ETAIT, dès l’éternité, avant toute créature — Avant toutes les collines, c’est-à-dire avant tous les saints et avant toute créature, le Seigneur m’a engendré . Il écarte aussi l’erreur de Paul de Samosate , car il dit AVANT MOI IL ETAIT afin de montrer que le Christ ne tire pas son origine de Marie; en effet, s’Il avait pris de la Vierge le principe de son être, Il n’aurait certes pas existé avant le Précurseur qui, selon la génération humaine, précédait le Christ de six mois.

263. Jean prévient ici une fausse interprétation de son témoignage. On pourrait dire en effet qu’il rendait témoignage au Christ à cause de l’affection, de l’inti mité unique qu’il avait avec le Christ; c’est pourquoi, écartant cette supposition, Jean dit : ET MOI JE NE LE CONNAISSAIS PAS. Depuis son enfance, en effet, il avait vécu dans le désert. Les nombreux miracles qui avaient eu lieu à la naissance du Christ, par exemple ceux concernant les mages, l’étoile et d’autres sembla bles, n’étaient pas connus de Jean, parce qu’il était alors trop petit, et qu’ensuite, s’étant retiré au désert, il n’avait pas vécu dans l’intimité du Christ.

D’autre part, dans l’intervalle de temps allant de sa nativité à son baptême, Jésus n’opéra aucun miracle; mais sa vie était comparable à celle des autres hommes et sa puissance demeurait inconnue de tous.

264. Que le Christ, dans cet intervalle, n’ait pas fait de miracles jusqu’à l’âge de trente ans, est certain; car L'évangéliste, parlant du miracle de Cana, dira : Ce fut le premier des signes de Jésus . D’où apparaît la fausseté du livre L’enfance du Sauveur. Jésus ne fit pas de miracle durant cette période; si, enfant, Il ne s’était pas comporté comme les autres, on aurait pu penser que le mystère de l’Incarnation n’était qu’apparence. C’est pourquoi Il remit la manifestation de sa science et de sa puissance au temps où d’ordinaire les autres hommes jouissent de science et de puissance. Luc dit en effet : L’enfant croissait en sagesse, en taille et en grâce , non qu’Il reçut alors un accroissement de puissance et de sagesse qu’Il n’aurait pas possédées auparavant, puisqu’Il fut parfait en puissance et en sagesse dès le premier instant de sa conception, mais sa puissance et sa sagesse se dévoilaient davantage aux hommes — Vraiment, tu es un Dieu caché .

265. Jean ne connaissait donc pas le Christ parce qu’il ne L’avait pas encore vu accomplir de signes, et Jésus ne s’était pas fait connaître à d’autres par des signes. Aussi le Précurseur ajoute : MAIS C’EST POUR QU’IL FUT MANIFESTE A ISRAEL QUE JE SUIS VENU BAPTISER DANS L’EAU, comme s’il disait : tout mon ministère est pour Le manifester — n’était pas la lumière, mais il devait rendre témoignage à la lumière

266. Jean dit : Je suis venu BAPTISER DANS L’EAU, pour montrer la différence de son baptême et de celui du Christ; parce que le Christ n’a pas baptisé seulement dans l’eau, mais dans l’Esprit, en donnant la grâce. Le baptême de Jean fut donc seulement un signe, il n’avait pas la capacité de réaliser ce qu’il signifiait.

Le baptême de Jean servit à manifester le Christ de trois manières.

D’abord par la prédication de Jean. En effet, bien que le Précurseur eût pu, même sans son baptême, simplement en prêchant, préparer la voie au Seigneur et conduire les foules au Christ, cependant, en raison de la nouveauté de son ministère on accourait vers lui en plus grand nombre que s’il avait prêché sans baptiser.

Ensuite, le baptême de Jean servit à manifester l’humilité du Christ qui voulut être baptisé par lui; Matthieu dit en effet : Le Christ vint à Jean pour être baptisé par lui . En cela précisément Il offrit un exemple d’humilité pour que nul, si grand soit-il, ne dédaigne de recevoir les sacrements de n’importe quel ministre ordonné en vue de cela.

Enfin, au baptême conféré au Christ par Jean sont présents la puissance du Père dans la voix, et l’Esprit Saint dans la colombe, par où furent pleinement manifestées la puissance et la dignité du Christ — Et la voix du Père retentit : Voici mon Fils bien-aimé .

267. Les grandes choses dont Jean a témoigné au sujet du Christ, à savoir que seul Jésus enlève les péchés de tout l’univers, il les confirme par l’autorité de Dieu en exposant sa vision, en en expliquant le sens et en montrant ce qu’il a saisi de cette vision .

268. Le Baptiste expose ici sa vision. Jean l’Evangéliste ne précise pas quand cela se passa, mais Matthieu et Luc disent que ce fut lorsque le Christ fut baptisé par Jean. Certes, pour Celui qui était baptisé, comme pour le baptême, il convenait que l’Esprit Saint fût pré sent. Cela convenait pour Celui qui était baptisé car, de même que le Fils, existant par le Père, Le manifeste — Père, j’ai manifesté ton nom de même l’Esprit Saint, existant par le Fils, manifeste ce dernier — Lui me glorifiera car Il prendra de moi . Cela convenait aussi pour le baptême, parce que le baptême reçu par le Christ est l’ébauche et la consécration de notre baptême. Notre baptême, en effet, est consacré par l’invocation de la Sainte Trinité — De toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit . Donc ceux que nous invoquons à notre baptême furent présents au baptême du Christ : le Père dans la voix, l’Esprit Saint dans la colombe et le Fils dans la nature humaine.

269. Jean dit : J’AI VU L’ESPRIT DESCENDRE, parce que le mouvement de descente a deux termes : un commencement, en haut, et un aboutissement, en bas, et que de ces deux points de vue l’expression convient au baptême.

Il y a en effet deux esprits, l’un qui est du monde et l’autre qui est de Dieu. L’esprit du monde, c’est l’amour du monde; il ne vient pas d’en haut, mais monte d’en bas vers l’homme et le fait descendre; mais l’Esprit de Dieu, c’est l’amour de Dieu : il descend d’en haut vers l’homme et le fait monter — Or nous avons reçu non l’esprit du monde, mais l’Esprit de Dieu . Parce que cet Esprit vient d’en haut, Jean dit : J’AI VU L’ESPRIT DESCENDRE.

De la même façon, comme il est impossible à une créature de recevoir la bonté de Dieu dans toute la plénitude qui convient à Dieu, ainsi la dérivation de sa bonté en nous est comme une descente — Tout don excellent, toute grâce parfaite vient d’en haut et descend du Père des lumières .

270. Mais parce que l’Esprit Saint ne peut être vu dans sa nature même — comme il est dit plus loin : Le vent souffle où il veut, tu entends sa voix, mais tu ne sais d’où Il vient ni où Il va — et que, de plus, le propre de l’Esprit n’est pas de descendre mais de monter — L’Esprit me souleva —, voilà pourquoi l’Evangéliste expose le mode de sa vision et de la descente de l’Esprit Saint en disant que l’Esprit Saint ne fut pas ici selon sa nature, mais sous la forme d’une colombe, forme sous laquelle Il apparut; et c’est pour quoi il dit COMME UNE COLOMBE. Il convenait certes que le Fils de Dieu, rendu visible par la chair, fût manifesté par l’Esprit Saint sous la forme visible d’une colombe. Cependant l’Esprit Saint n’assuma pas cette colombe dans l’unité de sa personne, comme le Fils de Dieu assuma la nature humaine. C’est que le Fils n’apparut pas seulement pour manifester, mais pour sauver. Aussi fallait-il, dit saint Léon , qu’Il fût Dieu et homme : Dieu pour apporter la guérison, homme pour donner l’exemple. Mais l’Esprit Saint apparut seulement pour manifester : or, pour manifester, il suffisait qu’Il assume une forme corporelle destinée seulement à être un symbole.

271. La colombe était-elle un véritable animal? Existait-elle avant l’apparition? A vrai dire, il est plus conforme à la raison d’affirmer que ce fut une vraie colombe. Car l’Esprit Saint vint pour manifester le Christ qui, étant la vérité, ne devait être manifesté que par la vérité.

A la seconde question — existait-elle avant l’apparition? — il faut répondre : non, elle fut formée alors par la puissance divine sans l’accouplement d’un mâle et d’une femelle, comme le corps du Christ fut conçu par la puissance de l’Esprit, et non à partir de la semence de l’homme. Cependant, ce fut une vraie colombe car, dit Augustin , "Au Dieu tout-puissant qui a fait de rien toutes les créatures, il n’était pas difficile de former un vrai corps de colombe sans le concours d’autres colombes, comme il ne Lui fut pas difficile de façonner un vrai corps dans le sein de la bien heureuse Vierge sans une semence naturelle". Et saint Cyprien écrit "L’Esprit Saint vint sous la forme d’une colombe parce que cet oiseau est simple et pur, sans colères amères, sans morsures cruelles, qu’il ne fait de mal ni du bec ni de l’ongle; il aime la demeure des hommes et se plaît à demeurer dans une seule mai son. Quand ils engendrent des petits, ils les élèvent de compagnie; rassemblés, ils volent en bande; ils passent leur vie en commerce familier; les baisers de leurs becs montrent leur paix harmonieuse et ils observent en tout point la loi de la concorde".

272. Pourquoi l’Esprit Saint apparut-Il sous la forme d’une colombe, plutôt que sous une autre forme? A cela on peut assigner de multiples raisons.

Premièrement, à cause de la simplicité de la colombe, car la colombe est simple — Soyez prudents comme des serpents et simples comme des colombes . Or l’Esprit Saint, parce qu’Il fait regarder l’Un, c’est-à-dire Dieu, rend simple; c’est pourquoi Il apparut sous la forme d’une colombe. Selon Augustin , Il apparut encore sous forme de feu au-dessus des disciples réunis parce que certains sont simples mais tièdes, et d’autres fervents mais fourbes. Aussi, pour que ceux que sanctifie l’Esprit Saint fuient toute duplicité, Celui-ci se montre sous la forme d’une colombe; et, afin que la simplicité n’engendre pas la froideur, Il se montre sous la forme du feu.

Deuxièmement , à cause de l’unité de la charité, car la colombe brûle d’un grand amour — Unique est ma colombe . Afin donc de montrer l’unité de l’Eglise, l’Esprit Saint apparaît sous la forme d’une colombe. Aussi, ne te trouble pas de ce qu’à la descente du Saint Esprit sur chacun des disciples soient apparues des langues de feu qui se partagèrent entre eux, parce que l’Esprit se montre partagé selon les divers ministères, et cependant Il unit par la charité; et c’est pourquoi Il apparaît d’une part sous forme de langues divisées — Il y a certes répartition des dons —, et d’autre part sous la forme d’une colombe — mais c’est le même Esprit .

Troisièmement, à cause du gémissement. En effet la colombe a pour chant un gémissement. Ainsi l’Esprit Saint, comme le dit saint Paul, intercède pour nous en des gémissements ineffables ; et, comme le dit le prophète : Ses servantes gémissent, telle la voix de la colombe .

Quatrièmement, à cause de la fécondité. La colombe en effet est un animal très fécond; c’est pourquoi l’Esprit Saint apparut sous la forme d’une colombe, pour désigner la fécondité de la grâce spirituelle dans l’Eglise. Voilà pourquoi, dans l’Ancien Testament, le Seigneur commanda qu’on Lui offrît les petits des colombes .

Cinquièmement, à cause du caractère avisé de la colombe : car elle siège aux bords des eaux, elle y regarde, aperçoit le vol du faucon et se met à l’abri — Ses yeux sont des colombes au bord des ruisseaux puisque, dans le baptême, l’Esprit Saint est notre garde et notre défense, il convient qu’Il apparaisse sous la forme d’une colombe.

Que l’Esprit Saint soit descendu du ciel comme une colombe cela répond enfin à une figure de l’Ancien Testament . En effet, de même que la colombe, en rapportant un rameau d’olivier, donna un signe de la clémence de Dieu à ceux qui avaient été préservés des eaux du déluge, de même l’Esprit Saint, venant sous la forme d’une colombe lors du baptême du Christ, donne un signe de la clémence divine qui remet les péchés et confère la grâce aux baptisés.

273. Jean ajoute que l’Esprit Saint EST DEMEURE SUR LUI, parce que le fait de demeurer implique le repos. Que l’Esprit Saint ne demeure pas en quelqu’un, cela peut avoir lieu pour deux raisons. L’une provient du péché. Tous les hommes, excepté le Christ, sont déchirés par les blessures du péché mortel qui fait fuir l’Esprit Saint, ou sont ternis par la tache du péché véniel qui empêche certaines opérations du Saint-Esprit. Or, dans le Christ, il n’y eut de péché ni mortel, ni véniel, ni originel; c’est pourquoi en Lui le repos de l’Esprit Saint ne fut pas troublé, mais IL EST DEMEURE SUR LUI, c’est-à-dire : Il s’est reposé sur Lui.

Que l’Esprit ne demeure pas en quelqu’un, cela peut s’entendre aussi des grâces charismatiques. Les saints, en effet, n’en ont pas toujours le pouvoir à leur dis position. Ainsi ils n’ont pas toujours celui de faire des miracles, et l’esprit de prophétie n’assiste pas toujours les prophètes. Le Christ au contraire eut toujours le pouvoir d’opérer tous les miracles et d’exercer tous les charismes; et c’est pour l’exprimer qu’il est dit : IL EST DEMEURE SUR LUI – Voilà pourquoi ce fut là le signe propre permettant de reconnaître le Christ, comme le dit la Glose à propos du texte d’Isaïe : L’Esprit du Seigneur reposera sur Lui ; ce qu’il faut entendre du Christ selon qu’Il est homme, par où Il est moindre que le Père et l’Esprit Saint.

274. Ici, Jean interprète sa vision. Selon certains hérétiques comme les Ebionites , le Christ ne fut pas Christ dès sa naissance, ni Fils de Dieu, mais commença de l’être quand, à son baptême, Il fut oint de l’huile de l’Esprit Saint. Cette opinion est erronée, puisqu’à l’heure même de la nativité l’ange dit aux bergers : Aujourd’hui vous est né un sauveur, qui est le Christ Seigneur dans la cité de David . Afin donc qu’on ne s’imagine pas que l’Esprit Saint était descendu sur le Christ lors de son baptême parce qu’Il aurait eu un besoin actuel de l’Esprit pour sa sanctification, le Baptiste montre la cause de cette descente en disant qu’elle n’était pas nécessaire au Christ, mais qu’elle était pour nous, afin que sa grâce nous soit manifestée. C’est pourquoi il dit : ET MOI JE NE LE CONNAISSAIS PAS, MAIS C’EST POUR QU’IL FUT MANIFESTE A ISRAEL QUE JE SUIS VENU BAPTISER DANS L’EAU.

275. Mais ici surgit une, question. Jean dit en effet : CELUI QUI M’A ENVOYE BAPTISER DANS L’EAU. Si nous disons que c’est le Père qui L’envoya, cela est vrai; de même, si nous affirmons que c’est le Fils, c’est encore plus manifeste, puisqu’on dit que le Père et le Fils l’envoyèrent; en effet Jean n’est pas de ceux dont il est dit : Je n’ai pas envoyé ces prophètes et ils courent, je ne leur ai pas parlé et ils prophétisent . Dès lors, comment Jean peut-il affirmer : MOI JE NE LE CONNAISSAIS PAS, si le Fils l’a envoyé? Si on dit que, bien qu’il Le connût selon la divinité, cependant il ne Le connaissait pas selon l’humanité, et ne Le connut ainsi qu’après avoir vu descendre sur Lui l’Esprit Saint, je réplique que l’Esprit Saint descendit sur le Christ à son baptême et que Jean a connu le Christ avant de Le baptiser; autrement il n’aurait pas dit : C’est moi qui dois être baptisé par toi, et tu viens à moi .

Il faut donc dire qu’on peut répondre à la question de trois manières.

Premièrement, selon Chrysostome ces paroles de Jean doivent s’entendre d’une connaissance de l’humanité du Christ. Ainsi, lorsque Jean dit : MOI, JE NE LE CONNAISSAIS PAS, il faut entendre : d’une manière intime. Si l’on objecte qu’il a dit au Christ : C’est moi qui dois être baptisé par toi, il faut répondre que ces deux affirmations se réfèrent à deux moments différents : MOI, JE NE LE CONNAISSAIS PAS se rapporte à un moment bien antérieur au baptême, alors qu’il n’avait aucune intimité avec le Christ, et c’est moi qui dois être baptisé par toi se rapporte au moment où le Christ fut baptisé, quand le Christ lui était déjà intime pour l’avoir fréquemment visité.

Selon Jérôme, il faut dire que le Christ était le Fils de Dieu et le Sauveur du monde, mais que Jean ignorait que Jésus serait sauveur du monde par le baptême; voilà pourquoi il a ajouté ce qu’il ignorait, c’est-à-dire que C’EST LUI QUI BAPTISE DANS L’ESPRIT SAINT.

Mais il vaut mieux dire avec Augustin que Jean sut une chose et en ignora une autre, et qu’il ajoute ce qu’il a ignoré, à savoir que Jésus a gardé pour Lui seul le pouvoir de baptiser qu’Il pouvait communiquer à ses fidèles; c’est le sens des paroles de Jean : CELUI QUI M’A ENVOYE BAPTISER DANS L’EAU M’A DIT : CELUI SUR QUI TU VERRAS L’ESPRIT DESCENDRE ET DEMEURER, C’EST LUI particulièrement, et Lui seul, QUI BAPTISE DANS L’ESPRIT SAINT, parce qu’Il a gardé pour Lui seul ce pouvoir.

276. Notons cependant que le baptême implique un triple pouvoir. L’un est le pouvoir d’efficience par lequel le Christ purifie intérieurement l’âme de la tache du péché; ce pouvoir, le Christ ne le communique à personne.

L’autre pouvoir est celui du ministère, pouvoir qu’Il a communiqué aux fidèles : Baptisez toutes les nations au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit . C’est pourquoi les prêtres, comme ministres, ont le pouvoir de baptiser; quant au Christ en tant qu’homme, Il est bien appelé "ministre" par l’Apôtre mais en réalité Il est le chef de tous les ministres de l'Eglise.

Et, comme chef, le Christ possède dans les sacrements un pouvoir singulier et éminent, dont l’éminence se manifeste de quatre manières. Premièrement dans l’institution des sacrements. En effet, de par leur institution, les sacrements donnent la grâce invisible; or il appartient à Dieu seul de donner la grâce; c’est donc au seul vrai Dieu qu’il appartient d’instituer des sacrements. Deuxièmement dans l’efficacité des mérites du Christ, car c’est des mérites de la passion du Christ que les sacrements tiennent leur puissance — Nous tous qui avons été baptisés dans le Christ Jésus, c’est en sa mort que nous avons été baptisés . Troisièmement dans le fait que le Christ peut accorder l’effet du baptême sans le sacrement, ce qui appartient à Lui seul. Quatrièmement, dans le fait que pendant un certain temps on conféra le baptême à la seule invocation du nom du Christ;, mais maintenant il n’en est plus ainsi.

Le Seigneur n’a communiqué à personne ces quatre modalités d’éminence; pourtant Il aurait pu le faire pour certaines d’entre elles : que ce fût par exemple au nom de Pierre ou de quelque autre que fût conféré le baptême ou un des autres sacrements. Mais Il ne le fit pas pour éviter tout schisme dans l’Eglise, et pour éviter que des baptisés mettent leur espoir en ceux au nom desquels ils auraient été baptisés. Voilà pourquoi Jean apprit, par la descente du Saint-Esprit sur le Christ, que Lui seul par sa propre puissance baptise intérieurement .

278. Enfin le Baptiste montre ce qu’il a compris dans cette vision, c’est-à-dire que le Christ est le Fils de Dieu : ET MOI J’AI VU, c’est-à-dire l’Esprit descendant sur Lui, ET J’AI ATTESTE QUE LUI, le Christ, EST LE FILS DE DIEU, le Fils véritable et engendré par nature. En effet les fils adoptifs, eux, sont à la ressemblance du Fils de Dieu engendré par nature — Car ceux qu’Il a connus d’avance, Dieu les a prédestinés à reproduire l’image de son Fils Celui-là, donc, doit faire des fils de Dieu, qui baptise dans l’Esprit Saint par qui sont adoptés les fils — Car vous n’avez pas reçu un esprit de servitude (...) mais vous avez reçu un esprit d’adoption filiale Et donc, parce que le Christ est Celui qui baptise dans l’Esprit Saint, le Baptiste en conclut à juste titre qu’Il est véritablement et absolument le Fils de Dieu — Afin que nous soyons en son vrai Fils Jésus-Christ .

279. Mais si d’autres ont vu l’Esprit Saint descendre sur Lui, pourquoi n’ont-ils pas cru? Je réponds qu’ils n’y étaient pas disposés, ou peut-être que Jean-Baptiste fut le seul à qui cette vision fut accordée.
Louis-Claude Fillion
Et j’ai vu. Il y a, dans ces trois mots, comme un accent de triomphe. Un signe m’avait été promis : ce signe, je l’ai vu, je l’ai vu de mes propres yeux, et j’ai cru. Cf. verset 32. - Le Précurseur se hâte d’ajouter qu’il s’est mis aussitôt à accomplir sa tâche : « et j’ai rendu témoignage » ; et à cet instant même il l’accomplissait fidèlement encore. - Le Fils de Dieu. Il est incontestable que Jean-Baptiste emploie la locution « fils de Dieu » dans le sens strict, pour représenter Jésus comme le Verbe fait chair, et pas simplement dans le sens large, en tant qu’elle est parfois synonyme de Messie. Le Précurseur se fait donc l’écho de la voix céleste qui, au baptême de Notre-Seigneur, avait hautement proclamé sa divinité. Il n’y a rien dans tout cet épisode (versets 29-34) qui ne cadre à merveille avec la narration des synoptiques ; d’après la parole très juste de Luthardt, ceux qui prétendent y trouver des antilogies doivent faire violence aux textes pour justifier leurs assertion.