Jean 1, 4
En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes ;
En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes ;
On peut donc sans craindre d'erreur séparer ainsi les deux membres de cette phrase: «Ce qui a été fait en lui, était vie», et voici quel serait le sens: Toutes les choses qui ont été faites par lui et en lui sont vivantes et une même chose en lui. Car elles étaient, c'est-à-dire elles existaient en lui, comme dans leur cause, avant d'exister effectivement en elles-mêmes. Demandera-t-on comment toutes les choses qui ont été faites par le Verbe sont vivantes eu lui, et subsistent en lui d'une manière uniforme comme dans leur cause? La nature des êtres créés vous en offre des exemples. Voyez comment toutes les choses que renferme la sphère de ce monde visible subsistent comme dans leur cause et d'une manière uniforme dans le soleil, qui est le plus grand des astres; comment le nombre infini des végétaux et des fruits est contenu dans chacune des semences; comment les règles multipliées viennent se réduire à l'unité dans l'art de l'ouvrier, et sont comme vivantes dans l'esprit qui les met en ordre; comment enfin le nombre infini des lignes subsiste comme une seule unité dans un seul point. De ces différents exemples puisés dans la nature, vous pourriez vous élever comme sur les ailes de la contemplation du monde physique jusqu'aux oracles du Verbe, pour les considérer avec toute la pénétration de l'esprit, et pour voir autant que cela est donné à des intelligences créées, comment toutes les choses qui ont été faites par le Verbe sont vivantes et ont été faites en lui.
On peut donner encore cette autre explication: Il faut se rappeler que dans le Sauveur certains attributs ne sont point pour lui, mais pour les autres, et certains autres sont tout à la fois pour lui et pour les autres. Comment donc doit-on ici entendre ces paroles: "Ce qui a été fait dans le Verbe, était vie en lui ?" Signifient-elles qu'il était la vie pour lui et pour les autres, ou qu'il ne l'était que pour les autres? et s'il ne l'était que pour les autres, quels sont ces autres? Le Verbe est à la fois vie et lumière. Or, il est la lumière des hommes, il est donc aussi la vie de ceux dont il est la lumière, et ainsi lorsque l'Évangéliste dit qu'il est la vie, ce n'est point pour lui, mais pour ceux dont il est la lumière. Cette vie est inséparable du Verbe de Dieu, et elle existe par lui, aussitôt qu'elle a été faite, il faut, en effet, que la raison ou le Verbe soit comme préexistant dans l'âme pour la purifier, et lui donner une pureté exempte de tout péché, afin que la vie puisse s'introduire et se répandre dans celui qui s'est rendu capable de recevoir le Verbe de Dieu. Aussi l'Évangéliste ne dit pas que le Verbe a été fait au commencement; car on ne peut supposer de commencement où le Verbe de Dieu n'existât point, mais la vie des hommes n'était pas toujours dans le Verbe; cette vie des hommes a été faite, parce que cette vie était la lumière des hommes. En effet, avant que l'homme existât, il n'était pas la lumière des hommes, cette lumière ne pouvant se comprendre que dans ses rapports avec les hommes. C'est pourquoi saint Jean dit: "Ce qui a été fait était vie dans le Verbe", et non pas: Ce qui était dans le Verbe était vie. D'après une autre variante qui n'est pas dénuée de fondement, on lit: "Ce qui a été fait en lui, était vie". Or, si nous comprenons que la vie des hommes qui est dans le Verbe, est celle dont il a dit: "Je suis la vie", (Jn 11,14) nous en conclurons qu'aucun de ceux qui refusent de croire à Jésus-Christ n'a la vie en lui, et que tous ceux qui ne vivent pas en Dieu sont morts.
N'oublions pas de remarquer que le Verbe est la vie avant d'être la lumière des hommes; il eût été peu logique de dire qu'il éclairait ceux qui n'avaient point la vie, et de faire précéder la vie par la lumière. Mais si ces paroles: "La vie était la lumière des hommes", doivent s'entendre exclusivement des hommes, il en faudra conclure que Jésus-Christ n'est la lumière et la vie que des hommes seuls, ce qui est contraire à la foi. Lors donc qu'une chose est affirmée de quelques-uns, ce n'est pas à l'exclusion des autres. Ainsi, il est écrit de Dieu, qu'il est le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob; évidemment, il n'est pas exclusivement le Dieu de ces patriarches. De ce qu'il est la lumière des hommes, il ne s'ensuit donc point qu'il ne soit pas également la lumière pour d'autres. Il en est qui s'appuient sur ces paroles: "Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance" (Gn 1,26), pour soutenir qu'il faut ici comprendre sous le nom d'hommes tous les êtres qui ont été faits à l'image et à la ressemblance de Dieu; et ainsi la lumière des hommes, c'est la lumière qui éclaire toute créature raisonnable.
On peut encore lire et entendre ces paroles d'une autre manière. En entendant l'Évangéliste dire: "Sans lui rien n'a été fait", quelque esprit troublé pourrait dire: II y a donc quelque chose qui a été fait par un autre, et qui cependant n'a pas été fait sans lui, et si quelque chose a été fait par un autre, bien que non sans lui, toutes choses n'ont pas été faites par lui; car il y a une grande différence entre faire soi-même, et s'associer à l'opération d'un autre. L'Évangéliste expose donc que rien n'a été fait sans lui en disant: "Ce qui a été fait en lui", donc ce qui a été fait en lui n'a pas été fait sans lui. Car ce qui a été fait en lui, a été fait aussi par lui, au témoignage de l'Apôtre: "Toutes choses ont été créées par lui et en lui. (Col 1,16). C'est pour lui aussi que toutes choses ont été créées, parce que le Dieu créateur s'est soumis à une naissance temporelle; mais ici rien n'a été fait sans lui de ce qui a été fait en lui, parce que le Dieu qui voulait naître parmi nous était la vie; et celui qui était la vie, n'a pas attendu sa naissance pour devenir la vie. Rien donc de ce qui se faisait en lui, ne se faisait sans lui, parce qu'il est la vie qui produisait ces choses, et le Dieu qui a consenti à naître parmi nous, n'a pas attendu sa naissance pour exister, mais il existait aussi en naissant.
Ou encore dans un autre sens, ne plaçons pas après ces paroles: "Sans lui rien n'a été fait", le point qui termine la phrase, comme font les hérétiques qui prétendent que l'Esprit saint a été créé, et qui lui appliquent celles qui suivent: "Ce qui a été fait en lui, était la vie". En effet, cette explication est inadmissible. D'abord ce n'était pas le moment de parler de l'Esprit saint; mais supposons qu'il soit question de l'Esprit saint, et admettons leur manière de lire le texte, leur explication n'en sera ni moins absurde ni moins inconvenante. Ils prétendent donc que ces paroles: "Ce qui a été fait en lui était la vie", s'appliquent à l'Esprit saint qui est la vie. Mais cette vie est en même temps la lumière, car nous lisons à la suite: "Et la vie était la lumière des hommes". Donc d'après ces hérétiques, c'est l'Esprit saint qui est appelé ici la lumière de tous. Mais ce que l'Évangéliste appelait plus haut le Verbe, c'est ce qu'il appelle ici Dieu, la vie et la lumière. Or, comme le Verbe s'est fait chair, ce sera donc l'Esprit saint qui se sera incarné et non le Fils. Il faut donc renoncer à cette manière de lire le texte, et adopter une lecture et une explication plus raisonnables. Or, voici comme on doit lire: "Toutes choses ont été faites par lui, et sans lui rien n'a été fait de ce qui a été fait", et arrêter là le sens de la phrase, puis recommencer ensuite: "En lui était la vie, comme s'il disait: "Sans lui rien n'a été fait de ce qui a été fait", c'est-à-dire de tout ce qui devait être fait. Vous voyez comment en ajoutant deux mots au premier membre de phrase, on fait disparaître toute difficulté. En effet, en disant: "Sans lui rien n'a été fait", et en ajoutant: "De ce qui a été fait", l'Évangéliste embrasse toutes les créatures visibles et invisibles, et exclut évidemment l'Esprit saint, car l'Esprit saint ne peut être compris parmi les créatures qui pouvaient être faites et appelées à la vie. Ces paroles de saint Jean ont donc pour objet la création de l'univers; il en vient ensuite à l'idée de la Providence dont il parle en ces termes: "En lui était la vie". De même que vous ne pouvez épuiser ni diminuer une de ces sources profondes qui donnent naissance aux grands fleuves et alimentent les mers, ainsi vous ne pouvez supposer la moindre altération dans le Fils unique, quelles que soient les oeuvres que vous croyiez qu'il ait faites. Ces paroles: "En lui était la vie", ne se rapportent pas seulement à la création, mais à la Providence qui conserve l'existence aux choses qui ont été créées. Gardez-vous toutefois de supposer rien de composé ou de créé dans le Fils, en entendant l'Évangéliste tous dire: "En lui était la vie", car "comme le Père a en soi la vie, ainsi a-t-il donné au Fils d'avoir la vie en soi" (Jn 5). Ne supposez donc rien de créé dans le Fils, pas plus que vous ne le supposez dans le Père.
On peut ainsi ponctuer ce texte: «Ce qui a été fait en lui, était vie», et si nous adoptons cette ponctuation, il faut dire: Tout était vie, car qu'y a-t-il qui ne soit fait par lui? Il est la sagesse de Dieu, et nous lisons dans le Psaume 103: «Vous avez tout fait dans la sagesse». Toutes choses ont donc été faites en lui comme elles ont été faites par lui. Mais si tout ce qui a été fait en lui est vie, donc la terre est vie, donc la pierre est vie aussi. Gardons-nous de cette interprétation inconvenante qui nous serait commune avec les manichéens, et nous ferait tenir avec eux ce langage absurde, qu'une pierre, qu'une muraille ont en elles la vie. Essaie-t-on de les reprendre et de les réfuter? ils cherchent à s'appuyer sur les Écritures et nous disent: Pourquoi est-il écrit: «Ce qui a été fait en lui, était vie ?» Il faut donc préférer cette ponctuation: «Ce qui a été fait, était vie en lui». Quel est le sens de ces paroles? La terre a été faite, mais la terre qui a été faite n'est point la vie; ce qui est vie, c'est cette raison, cette pensée éternelle qui existent dans la sagesse de Dieu, et en vertu de laquelle la terre a été faite. Ainsi la vie n'est point dans un meuble quelconque, lorsqu'il est exécuté; ce meuble, ce bâtiment, si l'on veut, est vie dans son plan, parce qu'il est vivant dans la pensée, dans le dessein de l'ouvrier ou de l'architecte; de même comme la sagesse de Dieu, par laquelle toutes choses ont été faites, contient dans ses plans éternels tout ce qui se fait d'après ces plans, bien que ces choses ne soient point en elles-mêmes la vie, elles sont vivantes dans celui qui les a faites.
C'est cette vie qui éclaire tous les hommes; les animaux sont privés de cette lumière, parce qu'ils n'ont point d'âmes raisonnables, capables de voir la sagesse. L'homme, au contraire, qui a été fait à l'image de Dieu, est doué d'une âme raisonnable qui lui permet de comprendre la-sagesse. Ainsi cette vie qui a donné l'existence à toutes choses, est en même temps la lumière, qui éclaire non pas indistinctement tous les animaux, mais les hommes raisonnables.
L'Évangéliste vient de dire que toute créature a été faite par le Verbe; mais afin qu'on ne pût supposer dans le Verbe une volonté changeante (comme si par exemple il avait voulu faire une créature à laquelle il n'aurait jamais songé de toute éternité), il prend soin de nous enseigner que la création a eu lieu, il est vrai, dans le temps, mais que le moment et l'objet de la création ont toujours existé dans la pensée de l'éternelle sagesse, vérité qu'expriment ces paroles: «Ce qui a été fait était vie en lui».
L'Évangéliste vient de dire: «En lui était la vie», pour éloigner de vous cette pensée, que le Verbe n'avait point la vie. Il vous enseigne maintenant qu'il est la vie spirituelle et la lumière de tous les êtres raisonnables: «Et la vie était la lumière des hommes»; comme s'il disait: Cette lumière n'est point sensible, c'est une lumière toute spirituelle qui éclaire l'âme elle-même.
Il ne dit pas que cette lumière éclaire seulement les Juifs, c'est la lumière de tous les hommes. Tous les hommes, en effet, par là même qu'ils reçoivent l'intelligence et la raison du Verbe qui les a créés, sont éclairés de cette divine lumière; car la raison qui nous a été donnée, et qui fait de nous des êtres raisonnables, est la lumière qui nous éclaire sur ce que nous devons faire et sur ce que nous devons éviter.
68. Après nous avoir parlé de l’être et de la nature du Verbe divin, autant qu’il est possible de les exprimer, l'Evangéliste poursuit en montrant sa puissance et son opération : sa puissance d’abord à l’égard de tout ce qui vient à l’être c'est l’objet de cette leçon, puis spécialement à l’égard des hommes ce sera l’objet de la suivante : n° 95.
Sur la puissance du Verbe à l’égard de tout ce qui vient à l’être, Jean se sert de trois propositions que nous ne ponctuons pas pour le moment puisqu’il faudra les séparer selon les diverses manières de les comprendre.
69. L’Evangéliste introduit cette première affirmation pour montrer trois choses au sujet du Verbe de Dieu.
En premier lieu, selon Chrysostome In Ioanneni hom., 5, ch. 3, PG 59, col. 56, l’égalité du Verbe avec le Père. Comme nous l’avons dit plus haut Mt 17, 22, Jean avait exclu l’erreur d’Arius en montrant la coéternité du Fils et du Père, par ces paroles : IL ETAIT DANS LE PRINCIPE AUPRES DE DIEU. Il exclut ici la même erreur, mais cette fois en montrant la toute-puissance du Fils, en disant : TOUT A ETE FAIT PAR LUI – En effet, être le principe de tout ce qui a été fait, c’est le propre du Dieu grand et tout-puissant. Tout ce que le Seigneur a voulu, Il l’a fait au ciel et sur la terre . Donc le Verbe, par qui tout a été fait, est "le grand Dieu", égal au Père.
70. En second lieu, selon Hilaire , l’affirmation de l’Evangéliste montre la coéternité du Verbe avec le Père. En effet, parce que Jean a dit précédemment AU COMMENCEMENT ETAIT LE VERBE, on pourrait dire qu’Il a été au commencement des créatures et que cependant il y a eu un temps, avant les créatures, où le Verbe n’était pas. C’est pour exclure cette interprétation que l’Evangéliste a dit : TOUT A ETE FAIT PAR LUI – Si tout été fait par le Verbe, le temps aussi a été fait par lui. D’où l’argument : si tout temps a été fait par Lui, aucun temps n’a été avant Lui, et Lui-même n’a pas été dans un temps ni n’a commencé d’être dans un siècle; Il a donc été, de toute éternité, coéternel au Père.
71. En troisième lieu, selon Augustin , l’affirmation de l’Evangéliste montre la consubstantialité du Verbe avec le Père. En effet, si TOUT A ETE FAIT par le Verbe, on ne peut dire que le Verbe Lui-même ait été fait : car s’Il a été fait, il faut qu’Il ait été fait par un Verbe, puisque TOUT A ETE FAIT par le Verbe. Il faut donc qu’il y ait un autre Verbe, par lequel le Verbe dont nous parlons, ait été fait. Mais ce Verbe-là, par qui celui ci a été fait, je dis qu’Il est le Fils unique de Dieu par qui TOUT A ETE FAIT; or si ce Verbe, par qui TOUT
A ETE FAIT, n’a pas été fait, Il n’est pas une créature; et s’Il n’est pas une créature, il est nécessaire de dire qu’Il est de la même substance que le Père, puisque toute substance, excepté l’essence divine, a été faite. En effet, une substance qui n’est pas une créature, est Dieu. Donc le Verbe par qui TOUT A ETE FAIT est consubstantiel au Père, puisqu’Il n’a pas été fait et n’est pas une créature.
72. Par l’affirmation de l'Evangéliste : TOUT A ETE FAIT PAR LUI, nous connaissons donc l’égalité du Verbe avec le Père, selon Chrysostome; sa coéternité, selon Hilaire; et sa consubstantialité, selon Augustin.
73. Il faut ici prendre garde à trois erreurs. En premier lieu, l’erreur de Valentin. Ces paroles de l’Evangéliste : TOUT A ETE FAIT PAR LE VERBE, furent comprises par Valentin comme si le Verbe avait été pour le Créateur la cause pour laquelle Il aurait créé le monde, de telle sorte que tout serait dit fait par le Verbe, comme si le fait que le Créateur de ce monde visible ait créé ce monde, venait du Verbe. Il semble du reste que cela revienne à l’opinion de ceux qui affirmaient que Dieu a fait le monde pour une cause qui lui est extérieure; ce qui contredit l’Ecriture : LE SEIGNEUR A FAIT TOUTES CHOSES POUR LUI-MEME Mais ce que dit Valentin ici est faux. En effet, comme le dit Origène, si le Verbe avait été pour le Créateur une cause lui donnant matière à créer le monde, l'Evangéliste n’aurait pas dit : TOUT A ETE FAIT PAR LUI, mais à l’inverse : "Tout a été fait par le Créateur à cause du Verbe."
74. Il faut, en second lieu, éviter l’erreur d’Origène qui, en lisant TOUT A ETE FAIT PAR LUI, comprend que l’Esprit aussi est du nombre de toutes ces réalités faites par le Verbe, d’où il suit, et c’est ce que dit aussi Origène, que l’Esprit Saint est Lui-même une créature. Cela est hérétique. L’Esprit Saint, en effet, a la même gloire, la même substance et la même dignité que le Père et le Fils : De toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit; et : Ils sont trois qui rendent témoignage dans le ciel, le Père, le Verbe et l’Eprit Saint, et ces trois sont un . Donc, lorsque l’Evangéliste dit TOUT A ETE FAIT PAR LUI, par ce mot TOUT, il ne faut pas comprendre : TOUT absolument A ETE FAIT PAR LUI, mais seulement ce qui appartient au genre des créatures, des réalités faites. C’est comme si Jean disait : TOUT ce qui a été fait A ETE FAIT PAR LUI – Autrement, si on comprend "tout" d’une manière absolue, le Père aussi aurait été fait par Lui, ce qui est faux. Donc, ni le Père, ni ce, qui est consubstantiel au Père, n’a été fait par le Verbe.
75. Il faut encore éviter une autre erreur du même Origène . Tout, a-t-il prétendu, a été fait PAR le Verbe, à la façon dont une chose est faite par quelqu’un de supérieur au moyen d’un autre qui lui est inférieur, comme si le Fils par qui TOUT A ETE FAIT était inférieur au Père, et son instrument. Mais cela est faux et n’est même pas cohérent, parce que dans l’Ecriture nous lisons, non seulement que certaines choses ont été faites par le Fils, mais encore par le Père. L’Apôtre dit en effet en parlant du Père : Dieu est fidèle, par qui vous avez été appelés à la communion de son Fils Si donc nous avons été appelés par le Père à la communion de son Fils et si celui par qui quelque chose est fait a un agent qui lui est supérieur, le Père aussi aura donc quelqu’un qui lui sera supérieur. Or cela est faux. Donc il est faux que le Fils par qui TOUT A ETE FAIT soit moindre que le Père.
76. Pour rendre cette vérité plus manifeste, il faut savoir ceci : quand on dit que "quelque chose est fait par quelqu’un", la préposition par implique indirectement une causalité qui a rapport à l’opération, mais de diverses manières. En effet, puisque l’opération, selon notre manière de la saisir, est intermédiaire entre celui qui opère et ce qui est opéré — par exemple, lorsque je dis : le bâtisseur bâtit par la hache, l’opération est regardée comme intermédiaire entre celui qui opère et ce qui est opéré —, l’opération peut être considérée de deux manières : soit comme provenant de celui qui opère, soit comme se terminant à ce qui est opéré. La préposition par signifie donc la cause de l’opération tantôt en tant qu’elle provient de celui qui opère, tan tôt en tant qu’elle se termine à ce qui est opéré.
La préposition par signifie la cause de l’opération en tant qu’elle provient de celui qui opère, quand ce qui est ainsi désigné par cette proposition est, pour celui qui opère, cause efficiente ou cause formelle qu’il opère. Cause formelle : par exemple, puisque le feu chauffe par la chaleur, la chaleur est cause formelle du feu, en ce sens qu’elle est ce par quoi le feu chauffe. Cause motrice, ou efficiente : par exemple, si je dis que le bailli opère par le roi, le roi est pour le bailli cause efficiente de son action. C’est ainsi que Valentin a compris TOUT A ETE FAIT PAR LUI, comme si le Verbe était pour le Créateur cause de l’action par laquelle Il crée toutes choses.
La préposition par désigne la causalité de l’opération en tant qu’elle se termine à son effet, quand ce qui est signifié par la causalité elle-même n’est pas cause pour l’opérant de son opération, mais cause de l’opération en tant qu’elle se termine à l’effet. Par exemple, lorsque je dis : "le menuisier fait le banc par la hache", celle-ci n’est pas cause, pour le menuisier, qu’il opère, mais elle est plutôt cause de ce que le banc est fait par l’ouvrier.
Donc, lorsque Jean dit : TOUT A ETE FAIT PAR LUI, si la préposition PAR indique la cause efficiente qui meut le Père à opérer, il faut dire que le Père ne fait rien PAR le Fils, mais qu’Il fait tout par Lui-même, comme nous l’avons dit. Si au contraire la préposition PAR indique la cause formelle, alors, puisqu’Il opère par sa sagesse, qui est son essence, le Père opère par sa sagesse comme Il opère par son essence; et puisque la sagesse et la puissance du Père sont attribuées au Fils — l’Ecriture dit en effet que le Christ est la puissance de Dieu et la sagesse de Dieu — nous disons par mode d’appropriation que le Père fait toutes choses PAR le Fils, c’est-à-dire par sa sagesse. C’est la raison pour laquelle, à propos du texte : C’est de Dieu, par Lui et en Lui que sont toutes choses , Augustin dit que "De qui sont toutes choses", "par qui sont toutes choses" et "en qui sont toutes choses" sont appropriés aux trois Personnes, c’est-à-dire respectivement au Père, au Fils et à l’Esprit . Cependant, si la pré position PAR désigne la causalité du côté de ce qui est opéré, alors, lorsque nous disons que le Père fait tout le Fils, nous ne disons pas cela du Verbe par appropriation, mais au sens propre, car si le Verbe est cause des créatures, Il le tient d’un autre, c’est-à-dire du Père de qui Il reçoit l’être. Il ne s’ensuit pas pour autant que le Fils soit l’instrument du Père, bien que tout ce qui est mû par un autre pour faire quelque chose ait, d’une façon générale, ce qu’il faut pour être comme un instrument. En effet, dire que quelqu’un agit par une puissance reçue d’un autre peut se comprendre de deux façons. On peut entendre par là que la puissance de celui qui reçoit est absolument la même que la puissance de celui qui donne; et de cette manière celui qui opère par la puissance reçue d’un autre n’est pas inférieur, mais égal à celui dont il la reçoit. Donc, parce que le Père donne au Fils la puissance même qu’Il possède et par laquelle le Fils agit, quand nous disons que le Père agit PAR le Fils, il ne faut pas pour cela en conclure que le Fils soit inférieur au Père, ni qu’Il soit son instrument — comme l’est celui qui reçoit d’un autre, non la même puissance, mais une puissance autre et causée. Ainsi, il est donc évident que l’Esprit Saint n’a pas été fait, que le Fils n’est pas pour le Créateur cause qu’Il opère, et qu’Il n’est du Père ni le ministre ni l’instrument, comme le disait Origène
77. A bien considérer les paroles citées précédemment : TOUT A ETE FAIT PAR LUI, il apparaît avec évidence que l’Evangéliste s’est exprimé dans les termes les plus propres. En effet, quiconque fait une chose doit la concevoir d’abord dans sa sagesse. Car jamais quelqu’un ne ferait quelque chose si ne préexistait une conception actuelle de sa sagesse qui soit forme et idée de la réalité faite; par exemple, la forme du coffre préconçue dans l’esprit de l’artiste est l’idée du coffre qui sera réalisé , Ainsi donc Dieu ne fait rien, si ce n’est par ce que conçoit son intelligence et qui est la Sagesse conçue de toute éternité, c’est-à-dire le Verbe de Dieu et Fils de Dieu; c’est pourquoi il lui est impossible de faire quelque chose si ce n’est par son Fils. C’est ce qui fait dire à Augustin que le Verbe est "l’Idée contenant parfaitement ce que sont les êtres vivants". Ainsi tout ce que le Père fait, A ETE FAIT PAR LUI –
78. Il faut remarquer, selon Chrysostome , que tout ce que Moïse énumère en de nombreuses paroles sur la production des réalités par Dieu, en disant : Dieu dit : Que la lumière soit, et la lumière fut (...) Qu’il y ait un firmament au milieu des eaux (...) Que les eaux s’amassent en une seule masse... , l'Evangéliste, allant bien au-delà, l’embrasse dans cette parole : TOUT A ETE FAIT PAR LUI – La raison en est que Moïse, voulant enseigner l’émanation des créatures à partir de Dieu, les énumère une à une. Mais Jean, se hâtant vers un sujet plus élevé, veut dans ce livre nous mener spécialement à la connaissance du Créateur Lui-même.
79. L énonce ici sa seconde affirmation concernant la puissance du Verbe. Certains, comme le dit Augustin , l’ont mal comprise. En effet, à cause de la construction utilisée ici par Jean, plaçant le mot RIEN [NIHIL] en fin de phrase IPSO FACTUM EST NIHIL, ils ont cru que le mot RIEN était pris affirmativement, comme si RIEN était quelque chose qui aurait été fait sans le Verbe. Aussi ont-ils prétendu que l’Evangéliste avait mis ce membre de phrase pour exclure quelque chose qui n’aurait donc pas été fait par le Verbe. De sorte que, d’après eux, l’Evangéliste, après avoir dit : TOUT A ETE FAIT PAR LUI, ajoute : SANS LUI RIEN N’A ETE FAIT, comme pour dire : "en affirmant que TOUTES CHOSES ONT ETE FAITES PAR LUI, je veux cependant dire que sans Lui quelque chose a été fait, à savoir le RIEN lui-même."
80. De là proviennent trois hérésies. D’abord celle de Valentin qui, selon Origène admet plusieurs principes et affirme que de ces principes procèdent trente siècles. Valentin soutient en effet qu’il y a deux premiers principes : l’Abîme, qu’il appelle Dieu le Père, et le Silence. De ces deux principes procédèrent dix siècles. De l’Abîme et du Silence viennent deux autres principes : l’Intelligence et la Vérité, d’où procédèrent huit siècles. Et de l’Intelligence et de la Vérité viennent encore deux autres principes : le Verbe et la Vie, d’où procédèrent douze siècles, ce qui fait donc en tout trente. Or, du Verbe et de la Vie procédèrent, d’après lui, l’homme-Christ et l'Eglise. Ainsi donc, selon Valentin, il s’est écoulé de nombreux siècles avant que le Verbe soit "dit". Voilà pourquoi il explique : Comme l'Evangéliste avait affirmé TOUT A ETE FAIT PAR LUI, pour qu’on ne comprît pas que les siècles précédents auraient été faits par le Verbe, il ajoute ET SANS LUI [LE] RIEN A ETE FAIT, c’est-à-dire tous les siècles qui préexistent et ce qui les a remplis. L’Evangéliste les nomme RIEN, parce qu’ils dépassent notre raison et que notre intelligence ne peut saisir ce qu’ils sont.
81. Le fait de donner au mot RIEN, dans le texte de Jean, un sens positif, a engendré une seconde erreur celle des Manichéens , qui admettaient deux principes contraires, un pour les réalités corruptibles et un autre pour les incorruptibles. Ils disaient donc que, après avoir dit TOUT A ETE FAIT PAR LUI, Jean, pour que l’on ne risque pas de comprendre que le Verbe serait cause des réalités corruptibles — lesquelles eux proviennent d’un principe contraire — a ajouté ET SANS [LE] LUI RIEN, c’est-à-dire les réalités corruptibles, A ETE FAIT, comme pour dire : Tout ce qui retourne au néant a été fait sans Lui.
82. Une troisième erreur est commise par ceux qui prétendent que RIEN désigne le diable, selon cette parole : Ils habitent dans la tente de leur compagnon, qui n’est pas . Ils affirment donc que TOUT A ETE FAIT par le Verbe, excepté le diable. C’est pourquoi, d’après eux, Jean a ajouté : SANS LUI A ETE FAIT RIEN, c’est-à-dire le diable.
83. En fait ces trois erreurs proviennent d’une même source, à savoir que toutes trois prennent le mot RIEN affirmativement; mais cela même les exclut toutes trois, puisqu’ici le mot RIEN n’a pas un sens affirmatif, mais seulement négatif. SANS LUI RIEN N’A ETE FAIT signifie alors : je dis que TOUT A ETE FAIT PAR LUI de telle sorte que SANS LUI RIEN N’A ETE FAIT.
84. On objectera peut-être que, puisque cela pouvait se comprendre du seul fait qu’il avait dit TOUT A. ETE FAIT PAR LUI, cette fin de phrase négative n’était pas nécessaire : il y a donc une raison spéciale qui légitime cette addition. Selon de nombreux Pères, il y a de multiples manières de comprendre cette addition. En effet, selon Chrysostome , l’Evangéliste, qui avait dit TOUT A ETE FAIT PAR LUI, ajoute SANS LUI RIEN N’A ETE FAIT pour que celui qui lit l’Ancien Testament et n’y voit énumérées par Moïse le récit de la création que des réalités visibles, ne croie pas que celles-ci seulement ont été faites par le Verbe. Voilà pourquoi l’Evangéliste, après avoir affirmé TOUT A ETE FAIT PAR LUI, à savoir tout ce que Moïse énumère, ajoute ET SANS LUI RIEN N’A ETE FAIT, pour dire : RIEN de ce qui est, que ce soit visible ou spirituel, N’A ETE FAIT SANS LE VERBE. L’Apôtre parle de la même manière : Toutes choses, dit-il, ont été créées dans le Christ, au ciel et sur la terre, les visibles et les invisibles ; l’Apôtre fait ici mention spéciale des réalités invisibles, parce que Moïse ne les avait pas explicitement nommées, en raison de la faiblesse et de la grossièreté de l’intelligence des Juifs à qui il transmettait la doctrine.
Chrysostome indique encore une autre raison. A la lecture, dans les autres Evangiles, des nombreux signes et miracles accomplis par le Christ — par exemple : les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont guéris —, on aurait pu croire, en effet, que ces paroles de l'Evangéliste : TOUT A ETE FAIT PAR LUI devaient s’entendre seulement des miracles rapportés dans les autres Evangiles, et que rien d’autre n’avait été fait par le Verbe. Pour que personne ne fasse cette supposition, l’Evangéliste affirme ensuite : ET SANS LUI, RIEN N’A ETE FAIT, comme pour dire : Non seulement ce que contiennent les Evangiles en fait d’actes du Christ, A ETE FAIT PAR LUI, mais RIEN de ce qui a été fait N’A ETE FAIT SANS LUI – Ainsi, selon Chrysostome , l’Evangéliste introduit ce petit membre de phrase pour montrer que la causalité du Verbe est totale; et ces paroles, ainsi, complètent les précédentes : TOUT A ETE FAIT PAR LUI –
85. Selon Hilaire , l’Evangéliste introduit ce membre de phrase SANS LUI, RIEN N’A ETE FAIT, pour montrer que le Verbe tient sa puissance créatrice d’un autre. En effet, Jean ayant dit : TOUT A ETE FAIT PAR LUI, on pourrait comprendre que le Père est exclu de toute causalité. L’Evangéliste ajoute donc ET SANS LUI, RIEN N’A ETE FAIT, pour dire : TOUT A ETE FAIT PAR LUI, de telle sorte, cependant, que le Père a tout fait avec Lui. Les paroles SANS LUI ne signifient en effet pas autre chose que : "Il n’était pas seul". Le sens est donc le suivant : Le Verbe n’est pas le seul PAR QUI TOUT A ETE FAIT, mais Il est l’autre SANS qui RIEN N’A ETE FAIT, autrement dit : SANS LUI, coopérant avec un autre, à savoir le Père, RIEN N’A ETE FAIT : J’étais avec Lui, réglant toutes choses .
86. Dans une homélie attribuée à Origène , on trouve une autre explication assez belle. Nous y lisons que là où en grec il y a khoris, nous avons SANS. Or le grec khoris équivaut à "en dehors" ou "hors de". Le sens des paroles de Jean est donc : TOUT A ETE FAIT PAR LUI, de telle sorte qu’en dehors de Lui RIEN N’A ETE FAIT. L’Evangéliste s’exprime ainsi pour mon trer que la conservation des réalités dans l’être a lieu par Lui . Certaines réalités, en effet, n’ont besoin d’un agent que pour leur devenir, puisqu’elles peuvent subsister, après avoir été faites, sans l’influx de cet agent : la maison, par exemple, n’a besoin de l’artisan que pour son devenir, mais elle persiste dans son être sans l’in fluence de l’artisan. Donc, pour qu’on ne croie pas que l’action du Verbe sur toutes choses se limite à leur devenir, sans s’étendre à leur conservation dans l’être, Jean a ajouté : ET SANS LUI RIEN N’A ETE FAIT, c’est-à-dire : Rien n’a été fait en dehors de Lui, car Il embrasse toutes choses, en les conservant dans l’être.
87. D’autre part, Augustin , Origène et plusieurs autres, quand ils expliquent ce verset, entendent par RIEN le péché. En effet, lorsque Jean dit : TOUT A ETE FAIT PAR LUI, on pourrait comprendre que le péché et le mal ont été faits par le Verbe. C’est pour quoi il a ajouté. ET qui n’est RIEN, c’est-à-dire le péché, A ETE FAIT SANS LUI – Parce que ce n’est pas le défaut qui provient de l’art, mais la forme. Les défauts, en effet, ne sont pas causés par l’art, ils échappent à l’efficacité de l’art, par exemple du fait d’un man que de disposition de la matière, ou autre chose de ce genre. Et c’est pourquoi, du Verbe, qui est l’Idée contenant parfaitement ce que sont les vivants, ne pro vient rien de désordonné ni aucun mal ou péché, qui sont non-être selon cette parole de l’Apôtre : "Nous savons que l’idole n’est rien dans le monde ". En effet l’idole, en tant qu’elle est péché et mal, n’a pas été faite par le Verbe, bien que la forme de l’idole, en tant qu’elle est une certaine forme, soit par le Verbe.
88. Ainsi l’Evangéliste ajoute les paroles : SANS LE VERBE RIEN N’A ETE FAIT, pour montrer : la causalité universelle du Verbe, selon Chrysostome; l’uni té d’opération avec le Père, selon Hilaire; la puissance du Verbe dans la conservation des créatures, selon Origène; et enfin, selon Augustin, la pureté de sa causalité, parce qu’Il est cause de ce qui est bon, de telle sorte qu’Il n’est pas cause du péché.
89. L’Evangéliste avance ici une troisième affirmation, où il faut éviter la fausse interprétation des Manichéens ces paroles, en effet, les avaient amenés à affirmer que tout ce qui existe vit : par exemple une pierre, du bois, un homme et toute autre réalité existant dans le monde. Et ils ponctuaient ainsi : CE QUI A ETE FAIT EN LUI — ETAIT VIE. Or il n’y a de vie que dans ce qui vit; et donc tout CE QUI A ETE FAIT EN LUI, vit. Ils prétendent aussi que dire EN LUI est la même chose que dire PAR LUI, puisque l’Ecriture emploie souvent EN LUI avec le sens de PAR LUI, comme dans ce texte : En lui, c’est-à-dire par Lui, toutes choses ont été créées . Mais l’expérience même montre que cette interprétation est fausse.
90. On peut cependant, sans commettre d’erreur, expliquer l’affirmation de Jean de bien des manières. L’homélie attribuée à Origène lui donne le sens suivant : CE QUI A ETE FAIT EN LUI, c’est-à-dire par Lui, ETAIT VIE, non pas en soi-même, mais dans sa cause. Car toutes les réalités causées ont ceci de commun que les effets produits par la nature ou par l’intelligence sont dans leur cause, non pas selon leur être propre, mais selon le mode d’être de leur cause en tant que cause. Ainsi, les effets produits sur la terre sont dans le soleil comme dans leur cause, non selon leur être propre, mais selon le mode d’être du soleil comme cause. Donc, puisque la cause de tous les effets produits par Dieu est une Vie et une Idée contenant parfaitement ce que sont les vivants, tout CE QUI A ETE FAIT EN LUI, c’est-à-dire par Lui, ETAIT VIE dans sa cause, à savoir en Dieu même.
91. Augustin , lui, lit ces paroles de Jean en les ponctuant ainsi CE QUI A ETE FAIT EN LUI ETAIT VIE. En effet, on peut considérer les réalités de deux manières : selon qu’elles existent en elles-mêmes et selon qu’elles existent dans le Verbe. Si on les considère selon qu’elles existent en elles-mêmes, alors, toutes les réalités ne sont pas vie, ni même vivantes; certaines manquent de vie et d’autres vivent. Par exemple, la terre, les métaux ont été faits, mais ils ne sont pas vie, ni ne vivent; les animaux, les hommes ont été faits, mais en eux-mêmes ils ne sont pas vie, ils vivent seulement.
Cependant, si on considère les réalités en tant qu’elles sont dans le Verbe, non seulement elles sont vivantes, mais encore elles sont VIE. Car les idées qui existent de manière spirituelle dans la Sagesse de Dieu et par lesquelles les réalités ont été faites par le Verbe, sont vie; de même que le coffre fait par l’artisan, en lui-même certes, ne vit pas et n’est pas vie, tandis que l’idée du coffre qui a précédé dans l’esprit de l’artisan vit, d’une certaine manière, en tant qu’elle a un être intelligible dans l’esprit de l’artisan; et cependant elle n’est pas vie, parce que l’acte d’intelligence de l’artisan n’est pas son essence, ni son être. Au contraire, en Dieu, l’acte d’intelligence est sa vie et son essence; c’est n’est pas son essence, ni son être. Au contraire, en Dieu, non seulement vit, mais est la vie elle-même, puisque tout ce qui est en Dieu est son essence. Par suite, la créature en Dieu est l’essence créatrice. Si donc on considère les réalités selon qu’elles sont dans le Verbe, elles sont VIE .
92. Origène , dans son Commentaire sur Jean, lit autrement les paroles de l’Evangéliste; il les ponctue ainsi : CE QUI A ETE FAIT EN LUI — ETAIT VIE. Il faut remarquer ici que certaines choses sont dites du Fils de Dieu considéré en Lui-même : quand, par exemple, on Le dit Dieu tout-puissant et autres choses semblables; mais que d’autres sont dites de Lui par rapport à nous : quand, par exemple, on Le dit Sauveur et Rédempteur; enfin d’autres Lui conviennent de l’une et l’autre façon : quand, par exemple, on Le dit Sagesse et Justice. Or, dans tout ce qui se dit du Fils considéré en Lui-même et d’une façon absolue, on ne dit pas qu’Il a été fait; ainsi on n’affirme pas : le Fils a été fait Dieu, ou tout-puissant. Mais dans tout ce qui se dit de Lui par rapport à nous, ou de l’une et l’autre manière, on peut ajouter le terme fait; ainsi Paul écrit : Lui, le Christ Jésus, a été fait pour nous, de par Dieu, sages se, justification, sanctification et rédemption . Ainsi, bien qu’Il ait toujours été en Lui-même Sagesse et Justice, on peut cependant dire que, d’une nouvelle manière, Il a été fait pour nous Justice et Sagesse. D’après ce que nous venons de dire, Origène explique ainsi les paroles de l’Evangéliste : Le Verbe, bien qu’il soit vie en Lui-même, a été fait cependant vie pour nous, du fait qu’Il nous a vivifiés, conformément à ces paroles : De même que tous meurent en Adam, ainsi tous revivront dans le Christ . C’est pourquoi l’Evangéliste dit : Ce Verbe qui pour nous a été fait vie, ETAIT LA VIE en Lui-même, précisément afin qu’un jour Il devînt vie pour nous. Aussi ajoute-t-il tout de suite : Et la vie était la lumière des hommes.
93. Quant à Hilaire , il ponctue ce passage ainsi ET SANS LUI RIEN N’A ET. E FAIT, QUI N’AIT ETE FAIT EN LUI, pour dire ensuite IL ETAIT LA VIE. Comme il le dit en effet, les paroles SANS LUI RIEN N’A ETE FAIT pourraient susciter le doute suivant outre ce qui a été fait par le Verbe, peut-être certaines choses n’ont pas été faites PAR Lui, bien qu’elles n’aient pas été faites SANS Lui; mais pour ces choses, Il s’est associé à Celui qui les a faites. Jean aurait alors ajouté ET SANS LUI RIEN N’A ETE FAIT, pour corriger les paroles précédentes : TOUTES CHOSES ONT ETE FAITES PAR LUI – Pour écarter cette ambiguïté, l’Evangéliste, après avoir dit : TOUT A ETE FAIT PAR LUI, ajoute donc : ET SANS LUI RIEN N’A ETE FAIT, qui cependant N’AIT ETE FAIT EN LUI, c’est-à-dire par Lui; et la raison en est qu’Il ETAIT LA VIE.
Il est manifeste en effet, d’après cette interprétation, que Jean dit : TOUT A ETE FAIT PAR LE VERBE, en tant que le Verbe procédant du Père est Dieu. Supposons qu’un père ait un fils qui ne soit pas parfaitement capable d’agir en homme, mais le devienne peu à peu; il est clair que le père fera bien des choses, non par son fils lui-même, mais pas non plus sans lui. Donc, parce que le Fils de Dieu a de toute éternité, du fait qu’Il est Fils, la vie parfaite, la même que le Père — Comme le Père a la vie en Lui-même, ainsi Il a donné au Fils d’avoir la vie en Lui-même — on ne peut dire que Dieu le Père, bien qu’Il n’ait rien fait sans le Fils, ait cependant fait quelque chose sans que ce soit PAR Lui, parce qu’IL ETAIT LA VIE. En effet, dans la réalité vivante, il peut arriver qu’une vie imparfaite précède la vie parfaite; mais pour celui qui est la vie par soi et d’une manière absolue, il n’y a en aucune manière une vie imparfaite antérieure. Donc, parce que le Verbe est la vie par soi, la vie en Lui ne fut jamais imparfaite, mais toujours parfaite. C’est pourquoi RIEN N’A ETE FAIT SANS LUI, qui n’ait ETE FAIT EN LUI, c’est-à-dire par Lui.
94. Chrysostome , lui, lit ce texte d’une autre manière et le ponctue ainsi : ET SANS LUI RIEN N’A ETE FAIT DE CE QUI A ETE FAIT. En effet, quelqu’un pour rait croire que l’Esprit Saint a été fait par le Verbe. C’est pourquoi, voulant exclure cela, l’Evangéliste, après les paroles SANS LUI RIEN N’A ETE FAIT, ajoute celles-ci : DE CE QUI A ETE FAIT, car l’Esprit Saint n’est pas quelque chose qui ait été fait. Vient ensuite EN LUI ETAIT LA VIE. Jean ajoute ces paroles pour deux raisons.
D’abord pour montrer qu’après la production de toutes réalités, il n’y a aucune déficience d’influence ou de causalité; et cela non seulement à l’égard des réalités déjà produites, mais encore à l’égard de celles qui doivent être produites. Cela revient à dire EN LUI ETAIT LA VIE, une vie par laquelle non seulement Il a pu produire toutes choses, mais encore une vie qui a, pour produire de façon continue les réalités, un flux sans déficience et une causalité que n’affaiblit aucun changement, comme une source vive dont le flux continu ne baisse pas; tandis que l’eau recueillie et non vive d'une citerne insuffisamment alimentée, baisse et vient à manquer. Voilà pourquoi il est écrit En toi est la source de la vie .
De plus, Jean dit : LE VERBE ETAIT LA VIE, pour montrer que le gouvernement des réalités se fait par le Verbe. En effet, par ces paroles, il fait voir que le Verbe n’a pas produit les réalités par une nécessité de nature, mais par la volonté et l’intelligence, et qu’Il gouverne les réalités qu’Il a produites. On lit en effet dans l’Epître aux Hébreux : La parole de Dieu est vivante .
Et parce que chez les Grecs l’autorité de Chrysostome dans ses commentaires est telle que, là où il a expliqué un passage de l'Ecriture sainte, ils n’admettent aucune autre explication que la sienne, dans aucun livre grec on ne trouve ce texte ponctué d’une autre manière que la sienne, c’est-à-dire : SANS LUI RIEN N’A ETE FAIT DE CE QUI A ETE FAIT.
Sur la puissance du Verbe à l’égard de tout ce qui vient à l’être, Jean se sert de trois propositions que nous ne ponctuons pas pour le moment puisqu’il faudra les séparer selon les diverses manières de les comprendre.
69. L’Evangéliste introduit cette première affirmation pour montrer trois choses au sujet du Verbe de Dieu.
En premier lieu, selon Chrysostome In Ioanneni hom., 5, ch. 3, PG 59, col. 56, l’égalité du Verbe avec le Père. Comme nous l’avons dit plus haut Mt 17, 22, Jean avait exclu l’erreur d’Arius en montrant la coéternité du Fils et du Père, par ces paroles : IL ETAIT DANS LE PRINCIPE AUPRES DE DIEU. Il exclut ici la même erreur, mais cette fois en montrant la toute-puissance du Fils, en disant : TOUT A ETE FAIT PAR LUI – En effet, être le principe de tout ce qui a été fait, c’est le propre du Dieu grand et tout-puissant. Tout ce que le Seigneur a voulu, Il l’a fait au ciel et sur la terre . Donc le Verbe, par qui tout a été fait, est "le grand Dieu", égal au Père.
70. En second lieu, selon Hilaire , l’affirmation de l’Evangéliste montre la coéternité du Verbe avec le Père. En effet, parce que Jean a dit précédemment AU COMMENCEMENT ETAIT LE VERBE, on pourrait dire qu’Il a été au commencement des créatures et que cependant il y a eu un temps, avant les créatures, où le Verbe n’était pas. C’est pour exclure cette interprétation que l’Evangéliste a dit : TOUT A ETE FAIT PAR LUI – Si tout été fait par le Verbe, le temps aussi a été fait par lui. D’où l’argument : si tout temps a été fait par Lui, aucun temps n’a été avant Lui, et Lui-même n’a pas été dans un temps ni n’a commencé d’être dans un siècle; Il a donc été, de toute éternité, coéternel au Père.
71. En troisième lieu, selon Augustin , l’affirmation de l’Evangéliste montre la consubstantialité du Verbe avec le Père. En effet, si TOUT A ETE FAIT par le Verbe, on ne peut dire que le Verbe Lui-même ait été fait : car s’Il a été fait, il faut qu’Il ait été fait par un Verbe, puisque TOUT A ETE FAIT par le Verbe. Il faut donc qu’il y ait un autre Verbe, par lequel le Verbe dont nous parlons, ait été fait. Mais ce Verbe-là, par qui celui ci a été fait, je dis qu’Il est le Fils unique de Dieu par qui TOUT A ETE FAIT; or si ce Verbe, par qui TOUT
A ETE FAIT, n’a pas été fait, Il n’est pas une créature; et s’Il n’est pas une créature, il est nécessaire de dire qu’Il est de la même substance que le Père, puisque toute substance, excepté l’essence divine, a été faite. En effet, une substance qui n’est pas une créature, est Dieu. Donc le Verbe par qui TOUT A ETE FAIT est consubstantiel au Père, puisqu’Il n’a pas été fait et n’est pas une créature.
72. Par l’affirmation de l'Evangéliste : TOUT A ETE FAIT PAR LUI, nous connaissons donc l’égalité du Verbe avec le Père, selon Chrysostome; sa coéternité, selon Hilaire; et sa consubstantialité, selon Augustin.
73. Il faut ici prendre garde à trois erreurs. En premier lieu, l’erreur de Valentin. Ces paroles de l’Evangéliste : TOUT A ETE FAIT PAR LE VERBE, furent comprises par Valentin comme si le Verbe avait été pour le Créateur la cause pour laquelle Il aurait créé le monde, de telle sorte que tout serait dit fait par le Verbe, comme si le fait que le Créateur de ce monde visible ait créé ce monde, venait du Verbe. Il semble du reste que cela revienne à l’opinion de ceux qui affirmaient que Dieu a fait le monde pour une cause qui lui est extérieure; ce qui contredit l’Ecriture : LE SEIGNEUR A FAIT TOUTES CHOSES POUR LUI-MEME Mais ce que dit Valentin ici est faux. En effet, comme le dit Origène, si le Verbe avait été pour le Créateur une cause lui donnant matière à créer le monde, l'Evangéliste n’aurait pas dit : TOUT A ETE FAIT PAR LUI, mais à l’inverse : "Tout a été fait par le Créateur à cause du Verbe."
74. Il faut, en second lieu, éviter l’erreur d’Origène qui, en lisant TOUT A ETE FAIT PAR LUI, comprend que l’Esprit aussi est du nombre de toutes ces réalités faites par le Verbe, d’où il suit, et c’est ce que dit aussi Origène, que l’Esprit Saint est Lui-même une créature. Cela est hérétique. L’Esprit Saint, en effet, a la même gloire, la même substance et la même dignité que le Père et le Fils : De toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit; et : Ils sont trois qui rendent témoignage dans le ciel, le Père, le Verbe et l’Eprit Saint, et ces trois sont un . Donc, lorsque l’Evangéliste dit TOUT A ETE FAIT PAR LUI, par ce mot TOUT, il ne faut pas comprendre : TOUT absolument A ETE FAIT PAR LUI, mais seulement ce qui appartient au genre des créatures, des réalités faites. C’est comme si Jean disait : TOUT ce qui a été fait A ETE FAIT PAR LUI – Autrement, si on comprend "tout" d’une manière absolue, le Père aussi aurait été fait par Lui, ce qui est faux. Donc, ni le Père, ni ce, qui est consubstantiel au Père, n’a été fait par le Verbe.
75. Il faut encore éviter une autre erreur du même Origène . Tout, a-t-il prétendu, a été fait PAR le Verbe, à la façon dont une chose est faite par quelqu’un de supérieur au moyen d’un autre qui lui est inférieur, comme si le Fils par qui TOUT A ETE FAIT était inférieur au Père, et son instrument. Mais cela est faux et n’est même pas cohérent, parce que dans l’Ecriture nous lisons, non seulement que certaines choses ont été faites par le Fils, mais encore par le Père. L’Apôtre dit en effet en parlant du Père : Dieu est fidèle, par qui vous avez été appelés à la communion de son Fils Si donc nous avons été appelés par le Père à la communion de son Fils et si celui par qui quelque chose est fait a un agent qui lui est supérieur, le Père aussi aura donc quelqu’un qui lui sera supérieur. Or cela est faux. Donc il est faux que le Fils par qui TOUT A ETE FAIT soit moindre que le Père.
76. Pour rendre cette vérité plus manifeste, il faut savoir ceci : quand on dit que "quelque chose est fait par quelqu’un", la préposition par implique indirectement une causalité qui a rapport à l’opération, mais de diverses manières. En effet, puisque l’opération, selon notre manière de la saisir, est intermédiaire entre celui qui opère et ce qui est opéré — par exemple, lorsque je dis : le bâtisseur bâtit par la hache, l’opération est regardée comme intermédiaire entre celui qui opère et ce qui est opéré —, l’opération peut être considérée de deux manières : soit comme provenant de celui qui opère, soit comme se terminant à ce qui est opéré. La préposition par signifie donc la cause de l’opération tantôt en tant qu’elle provient de celui qui opère, tan tôt en tant qu’elle se termine à ce qui est opéré.
La préposition par signifie la cause de l’opération en tant qu’elle provient de celui qui opère, quand ce qui est ainsi désigné par cette proposition est, pour celui qui opère, cause efficiente ou cause formelle qu’il opère. Cause formelle : par exemple, puisque le feu chauffe par la chaleur, la chaleur est cause formelle du feu, en ce sens qu’elle est ce par quoi le feu chauffe. Cause motrice, ou efficiente : par exemple, si je dis que le bailli opère par le roi, le roi est pour le bailli cause efficiente de son action. C’est ainsi que Valentin a compris TOUT A ETE FAIT PAR LUI, comme si le Verbe était pour le Créateur cause de l’action par laquelle Il crée toutes choses.
La préposition par désigne la causalité de l’opération en tant qu’elle se termine à son effet, quand ce qui est signifié par la causalité elle-même n’est pas cause pour l’opérant de son opération, mais cause de l’opération en tant qu’elle se termine à l’effet. Par exemple, lorsque je dis : "le menuisier fait le banc par la hache", celle-ci n’est pas cause, pour le menuisier, qu’il opère, mais elle est plutôt cause de ce que le banc est fait par l’ouvrier.
Donc, lorsque Jean dit : TOUT A ETE FAIT PAR LUI, si la préposition PAR indique la cause efficiente qui meut le Père à opérer, il faut dire que le Père ne fait rien PAR le Fils, mais qu’Il fait tout par Lui-même, comme nous l’avons dit. Si au contraire la préposition PAR indique la cause formelle, alors, puisqu’Il opère par sa sagesse, qui est son essence, le Père opère par sa sagesse comme Il opère par son essence; et puisque la sagesse et la puissance du Père sont attribuées au Fils — l’Ecriture dit en effet que le Christ est la puissance de Dieu et la sagesse de Dieu — nous disons par mode d’appropriation que le Père fait toutes choses PAR le Fils, c’est-à-dire par sa sagesse. C’est la raison pour laquelle, à propos du texte : C’est de Dieu, par Lui et en Lui que sont toutes choses , Augustin dit que "De qui sont toutes choses", "par qui sont toutes choses" et "en qui sont toutes choses" sont appropriés aux trois Personnes, c’est-à-dire respectivement au Père, au Fils et à l’Esprit . Cependant, si la pré position PAR désigne la causalité du côté de ce qui est opéré, alors, lorsque nous disons que le Père fait tout le Fils, nous ne disons pas cela du Verbe par appropriation, mais au sens propre, car si le Verbe est cause des créatures, Il le tient d’un autre, c’est-à-dire du Père de qui Il reçoit l’être. Il ne s’ensuit pas pour autant que le Fils soit l’instrument du Père, bien que tout ce qui est mû par un autre pour faire quelque chose ait, d’une façon générale, ce qu’il faut pour être comme un instrument. En effet, dire que quelqu’un agit par une puissance reçue d’un autre peut se comprendre de deux façons. On peut entendre par là que la puissance de celui qui reçoit est absolument la même que la puissance de celui qui donne; et de cette manière celui qui opère par la puissance reçue d’un autre n’est pas inférieur, mais égal à celui dont il la reçoit. Donc, parce que le Père donne au Fils la puissance même qu’Il possède et par laquelle le Fils agit, quand nous disons que le Père agit PAR le Fils, il ne faut pas pour cela en conclure que le Fils soit inférieur au Père, ni qu’Il soit son instrument — comme l’est celui qui reçoit d’un autre, non la même puissance, mais une puissance autre et causée. Ainsi, il est donc évident que l’Esprit Saint n’a pas été fait, que le Fils n’est pas pour le Créateur cause qu’Il opère, et qu’Il n’est du Père ni le ministre ni l’instrument, comme le disait Origène
77. A bien considérer les paroles citées précédemment : TOUT A ETE FAIT PAR LUI, il apparaît avec évidence que l’Evangéliste s’est exprimé dans les termes les plus propres. En effet, quiconque fait une chose doit la concevoir d’abord dans sa sagesse. Car jamais quelqu’un ne ferait quelque chose si ne préexistait une conception actuelle de sa sagesse qui soit forme et idée de la réalité faite; par exemple, la forme du coffre préconçue dans l’esprit de l’artiste est l’idée du coffre qui sera réalisé , Ainsi donc Dieu ne fait rien, si ce n’est par ce que conçoit son intelligence et qui est la Sagesse conçue de toute éternité, c’est-à-dire le Verbe de Dieu et Fils de Dieu; c’est pourquoi il lui est impossible de faire quelque chose si ce n’est par son Fils. C’est ce qui fait dire à Augustin que le Verbe est "l’Idée contenant parfaitement ce que sont les êtres vivants". Ainsi tout ce que le Père fait, A ETE FAIT PAR LUI –
78. Il faut remarquer, selon Chrysostome , que tout ce que Moïse énumère en de nombreuses paroles sur la production des réalités par Dieu, en disant : Dieu dit : Que la lumière soit, et la lumière fut (...) Qu’il y ait un firmament au milieu des eaux (...) Que les eaux s’amassent en une seule masse... , l'Evangéliste, allant bien au-delà, l’embrasse dans cette parole : TOUT A ETE FAIT PAR LUI – La raison en est que Moïse, voulant enseigner l’émanation des créatures à partir de Dieu, les énumère une à une. Mais Jean, se hâtant vers un sujet plus élevé, veut dans ce livre nous mener spécialement à la connaissance du Créateur Lui-même.
79. L énonce ici sa seconde affirmation concernant la puissance du Verbe. Certains, comme le dit Augustin , l’ont mal comprise. En effet, à cause de la construction utilisée ici par Jean, plaçant le mot RIEN [NIHIL] en fin de phrase IPSO FACTUM EST NIHIL, ils ont cru que le mot RIEN était pris affirmativement, comme si RIEN était quelque chose qui aurait été fait sans le Verbe. Aussi ont-ils prétendu que l’Evangéliste avait mis ce membre de phrase pour exclure quelque chose qui n’aurait donc pas été fait par le Verbe. De sorte que, d’après eux, l’Evangéliste, après avoir dit : TOUT A ETE FAIT PAR LUI, ajoute : SANS LUI RIEN N’A ETE FAIT, comme pour dire : "en affirmant que TOUTES CHOSES ONT ETE FAITES PAR LUI, je veux cependant dire que sans Lui quelque chose a été fait, à savoir le RIEN lui-même."
80. De là proviennent trois hérésies. D’abord celle de Valentin qui, selon Origène admet plusieurs principes et affirme que de ces principes procèdent trente siècles. Valentin soutient en effet qu’il y a deux premiers principes : l’Abîme, qu’il appelle Dieu le Père, et le Silence. De ces deux principes procédèrent dix siècles. De l’Abîme et du Silence viennent deux autres principes : l’Intelligence et la Vérité, d’où procédèrent huit siècles. Et de l’Intelligence et de la Vérité viennent encore deux autres principes : le Verbe et la Vie, d’où procédèrent douze siècles, ce qui fait donc en tout trente. Or, du Verbe et de la Vie procédèrent, d’après lui, l’homme-Christ et l'Eglise. Ainsi donc, selon Valentin, il s’est écoulé de nombreux siècles avant que le Verbe soit "dit". Voilà pourquoi il explique : Comme l'Evangéliste avait affirmé TOUT A ETE FAIT PAR LUI, pour qu’on ne comprît pas que les siècles précédents auraient été faits par le Verbe, il ajoute ET SANS LUI [LE] RIEN A ETE FAIT, c’est-à-dire tous les siècles qui préexistent et ce qui les a remplis. L’Evangéliste les nomme RIEN, parce qu’ils dépassent notre raison et que notre intelligence ne peut saisir ce qu’ils sont.
81. Le fait de donner au mot RIEN, dans le texte de Jean, un sens positif, a engendré une seconde erreur celle des Manichéens , qui admettaient deux principes contraires, un pour les réalités corruptibles et un autre pour les incorruptibles. Ils disaient donc que, après avoir dit TOUT A ETE FAIT PAR LUI, Jean, pour que l’on ne risque pas de comprendre que le Verbe serait cause des réalités corruptibles — lesquelles eux proviennent d’un principe contraire — a ajouté ET SANS [LE] LUI RIEN, c’est-à-dire les réalités corruptibles, A ETE FAIT, comme pour dire : Tout ce qui retourne au néant a été fait sans Lui.
82. Une troisième erreur est commise par ceux qui prétendent que RIEN désigne le diable, selon cette parole : Ils habitent dans la tente de leur compagnon, qui n’est pas . Ils affirment donc que TOUT A ETE FAIT par le Verbe, excepté le diable. C’est pourquoi, d’après eux, Jean a ajouté : SANS LUI A ETE FAIT RIEN, c’est-à-dire le diable.
83. En fait ces trois erreurs proviennent d’une même source, à savoir que toutes trois prennent le mot RIEN affirmativement; mais cela même les exclut toutes trois, puisqu’ici le mot RIEN n’a pas un sens affirmatif, mais seulement négatif. SANS LUI RIEN N’A ETE FAIT signifie alors : je dis que TOUT A ETE FAIT PAR LUI de telle sorte que SANS LUI RIEN N’A ETE FAIT.
84. On objectera peut-être que, puisque cela pouvait se comprendre du seul fait qu’il avait dit TOUT A. ETE FAIT PAR LUI, cette fin de phrase négative n’était pas nécessaire : il y a donc une raison spéciale qui légitime cette addition. Selon de nombreux Pères, il y a de multiples manières de comprendre cette addition. En effet, selon Chrysostome , l’Evangéliste, qui avait dit TOUT A ETE FAIT PAR LUI, ajoute SANS LUI RIEN N’A ETE FAIT pour que celui qui lit l’Ancien Testament et n’y voit énumérées par Moïse le récit de la création que des réalités visibles, ne croie pas que celles-ci seulement ont été faites par le Verbe. Voilà pourquoi l’Evangéliste, après avoir affirmé TOUT A ETE FAIT PAR LUI, à savoir tout ce que Moïse énumère, ajoute ET SANS LUI RIEN N’A ETE FAIT, pour dire : RIEN de ce qui est, que ce soit visible ou spirituel, N’A ETE FAIT SANS LE VERBE. L’Apôtre parle de la même manière : Toutes choses, dit-il, ont été créées dans le Christ, au ciel et sur la terre, les visibles et les invisibles ; l’Apôtre fait ici mention spéciale des réalités invisibles, parce que Moïse ne les avait pas explicitement nommées, en raison de la faiblesse et de la grossièreté de l’intelligence des Juifs à qui il transmettait la doctrine.
Chrysostome indique encore une autre raison. A la lecture, dans les autres Evangiles, des nombreux signes et miracles accomplis par le Christ — par exemple : les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont guéris —, on aurait pu croire, en effet, que ces paroles de l'Evangéliste : TOUT A ETE FAIT PAR LUI devaient s’entendre seulement des miracles rapportés dans les autres Evangiles, et que rien d’autre n’avait été fait par le Verbe. Pour que personne ne fasse cette supposition, l’Evangéliste affirme ensuite : ET SANS LUI, RIEN N’A ETE FAIT, comme pour dire : Non seulement ce que contiennent les Evangiles en fait d’actes du Christ, A ETE FAIT PAR LUI, mais RIEN de ce qui a été fait N’A ETE FAIT SANS LUI – Ainsi, selon Chrysostome , l’Evangéliste introduit ce petit membre de phrase pour montrer que la causalité du Verbe est totale; et ces paroles, ainsi, complètent les précédentes : TOUT A ETE FAIT PAR LUI –
85. Selon Hilaire , l’Evangéliste introduit ce membre de phrase SANS LUI, RIEN N’A ETE FAIT, pour montrer que le Verbe tient sa puissance créatrice d’un autre. En effet, Jean ayant dit : TOUT A ETE FAIT PAR LUI, on pourrait comprendre que le Père est exclu de toute causalité. L’Evangéliste ajoute donc ET SANS LUI, RIEN N’A ETE FAIT, pour dire : TOUT A ETE FAIT PAR LUI, de telle sorte, cependant, que le Père a tout fait avec Lui. Les paroles SANS LUI ne signifient en effet pas autre chose que : "Il n’était pas seul". Le sens est donc le suivant : Le Verbe n’est pas le seul PAR QUI TOUT A ETE FAIT, mais Il est l’autre SANS qui RIEN N’A ETE FAIT, autrement dit : SANS LUI, coopérant avec un autre, à savoir le Père, RIEN N’A ETE FAIT : J’étais avec Lui, réglant toutes choses .
86. Dans une homélie attribuée à Origène , on trouve une autre explication assez belle. Nous y lisons que là où en grec il y a khoris, nous avons SANS. Or le grec khoris équivaut à "en dehors" ou "hors de". Le sens des paroles de Jean est donc : TOUT A ETE FAIT PAR LUI, de telle sorte qu’en dehors de Lui RIEN N’A ETE FAIT. L’Evangéliste s’exprime ainsi pour mon trer que la conservation des réalités dans l’être a lieu par Lui . Certaines réalités, en effet, n’ont besoin d’un agent que pour leur devenir, puisqu’elles peuvent subsister, après avoir été faites, sans l’influx de cet agent : la maison, par exemple, n’a besoin de l’artisan que pour son devenir, mais elle persiste dans son être sans l’in fluence de l’artisan. Donc, pour qu’on ne croie pas que l’action du Verbe sur toutes choses se limite à leur devenir, sans s’étendre à leur conservation dans l’être, Jean a ajouté : ET SANS LUI RIEN N’A ETE FAIT, c’est-à-dire : Rien n’a été fait en dehors de Lui, car Il embrasse toutes choses, en les conservant dans l’être.
87. D’autre part, Augustin , Origène et plusieurs autres, quand ils expliquent ce verset, entendent par RIEN le péché. En effet, lorsque Jean dit : TOUT A ETE FAIT PAR LUI, on pourrait comprendre que le péché et le mal ont été faits par le Verbe. C’est pour quoi il a ajouté. ET qui n’est RIEN, c’est-à-dire le péché, A ETE FAIT SANS LUI – Parce que ce n’est pas le défaut qui provient de l’art, mais la forme. Les défauts, en effet, ne sont pas causés par l’art, ils échappent à l’efficacité de l’art, par exemple du fait d’un man que de disposition de la matière, ou autre chose de ce genre. Et c’est pourquoi, du Verbe, qui est l’Idée contenant parfaitement ce que sont les vivants, ne pro vient rien de désordonné ni aucun mal ou péché, qui sont non-être selon cette parole de l’Apôtre : "Nous savons que l’idole n’est rien dans le monde ". En effet l’idole, en tant qu’elle est péché et mal, n’a pas été faite par le Verbe, bien que la forme de l’idole, en tant qu’elle est une certaine forme, soit par le Verbe.
88. Ainsi l’Evangéliste ajoute les paroles : SANS LE VERBE RIEN N’A ETE FAIT, pour montrer : la causalité universelle du Verbe, selon Chrysostome; l’uni té d’opération avec le Père, selon Hilaire; la puissance du Verbe dans la conservation des créatures, selon Origène; et enfin, selon Augustin, la pureté de sa causalité, parce qu’Il est cause de ce qui est bon, de telle sorte qu’Il n’est pas cause du péché.
89. L’Evangéliste avance ici une troisième affirmation, où il faut éviter la fausse interprétation des Manichéens ces paroles, en effet, les avaient amenés à affirmer que tout ce qui existe vit : par exemple une pierre, du bois, un homme et toute autre réalité existant dans le monde. Et ils ponctuaient ainsi : CE QUI A ETE FAIT EN LUI — ETAIT VIE. Or il n’y a de vie que dans ce qui vit; et donc tout CE QUI A ETE FAIT EN LUI, vit. Ils prétendent aussi que dire EN LUI est la même chose que dire PAR LUI, puisque l’Ecriture emploie souvent EN LUI avec le sens de PAR LUI, comme dans ce texte : En lui, c’est-à-dire par Lui, toutes choses ont été créées . Mais l’expérience même montre que cette interprétation est fausse.
90. On peut cependant, sans commettre d’erreur, expliquer l’affirmation de Jean de bien des manières. L’homélie attribuée à Origène lui donne le sens suivant : CE QUI A ETE FAIT EN LUI, c’est-à-dire par Lui, ETAIT VIE, non pas en soi-même, mais dans sa cause. Car toutes les réalités causées ont ceci de commun que les effets produits par la nature ou par l’intelligence sont dans leur cause, non pas selon leur être propre, mais selon le mode d’être de leur cause en tant que cause. Ainsi, les effets produits sur la terre sont dans le soleil comme dans leur cause, non selon leur être propre, mais selon le mode d’être du soleil comme cause. Donc, puisque la cause de tous les effets produits par Dieu est une Vie et une Idée contenant parfaitement ce que sont les vivants, tout CE QUI A ETE FAIT EN LUI, c’est-à-dire par Lui, ETAIT VIE dans sa cause, à savoir en Dieu même.
91. Augustin , lui, lit ces paroles de Jean en les ponctuant ainsi CE QUI A ETE FAIT EN LUI ETAIT VIE. En effet, on peut considérer les réalités de deux manières : selon qu’elles existent en elles-mêmes et selon qu’elles existent dans le Verbe. Si on les considère selon qu’elles existent en elles-mêmes, alors, toutes les réalités ne sont pas vie, ni même vivantes; certaines manquent de vie et d’autres vivent. Par exemple, la terre, les métaux ont été faits, mais ils ne sont pas vie, ni ne vivent; les animaux, les hommes ont été faits, mais en eux-mêmes ils ne sont pas vie, ils vivent seulement.
Cependant, si on considère les réalités en tant qu’elles sont dans le Verbe, non seulement elles sont vivantes, mais encore elles sont VIE. Car les idées qui existent de manière spirituelle dans la Sagesse de Dieu et par lesquelles les réalités ont été faites par le Verbe, sont vie; de même que le coffre fait par l’artisan, en lui-même certes, ne vit pas et n’est pas vie, tandis que l’idée du coffre qui a précédé dans l’esprit de l’artisan vit, d’une certaine manière, en tant qu’elle a un être intelligible dans l’esprit de l’artisan; et cependant elle n’est pas vie, parce que l’acte d’intelligence de l’artisan n’est pas son essence, ni son être. Au contraire, en Dieu, l’acte d’intelligence est sa vie et son essence; c’est n’est pas son essence, ni son être. Au contraire, en Dieu, non seulement vit, mais est la vie elle-même, puisque tout ce qui est en Dieu est son essence. Par suite, la créature en Dieu est l’essence créatrice. Si donc on considère les réalités selon qu’elles sont dans le Verbe, elles sont VIE .
92. Origène , dans son Commentaire sur Jean, lit autrement les paroles de l’Evangéliste; il les ponctue ainsi : CE QUI A ETE FAIT EN LUI — ETAIT VIE. Il faut remarquer ici que certaines choses sont dites du Fils de Dieu considéré en Lui-même : quand, par exemple, on Le dit Dieu tout-puissant et autres choses semblables; mais que d’autres sont dites de Lui par rapport à nous : quand, par exemple, on Le dit Sauveur et Rédempteur; enfin d’autres Lui conviennent de l’une et l’autre façon : quand, par exemple, on Le dit Sagesse et Justice. Or, dans tout ce qui se dit du Fils considéré en Lui-même et d’une façon absolue, on ne dit pas qu’Il a été fait; ainsi on n’affirme pas : le Fils a été fait Dieu, ou tout-puissant. Mais dans tout ce qui se dit de Lui par rapport à nous, ou de l’une et l’autre manière, on peut ajouter le terme fait; ainsi Paul écrit : Lui, le Christ Jésus, a été fait pour nous, de par Dieu, sages se, justification, sanctification et rédemption . Ainsi, bien qu’Il ait toujours été en Lui-même Sagesse et Justice, on peut cependant dire que, d’une nouvelle manière, Il a été fait pour nous Justice et Sagesse. D’après ce que nous venons de dire, Origène explique ainsi les paroles de l’Evangéliste : Le Verbe, bien qu’il soit vie en Lui-même, a été fait cependant vie pour nous, du fait qu’Il nous a vivifiés, conformément à ces paroles : De même que tous meurent en Adam, ainsi tous revivront dans le Christ . C’est pourquoi l’Evangéliste dit : Ce Verbe qui pour nous a été fait vie, ETAIT LA VIE en Lui-même, précisément afin qu’un jour Il devînt vie pour nous. Aussi ajoute-t-il tout de suite : Et la vie était la lumière des hommes.
93. Quant à Hilaire , il ponctue ce passage ainsi ET SANS LUI RIEN N’A ET. E FAIT, QUI N’AIT ETE FAIT EN LUI, pour dire ensuite IL ETAIT LA VIE. Comme il le dit en effet, les paroles SANS LUI RIEN N’A ETE FAIT pourraient susciter le doute suivant outre ce qui a été fait par le Verbe, peut-être certaines choses n’ont pas été faites PAR Lui, bien qu’elles n’aient pas été faites SANS Lui; mais pour ces choses, Il s’est associé à Celui qui les a faites. Jean aurait alors ajouté ET SANS LUI RIEN N’A ETE FAIT, pour corriger les paroles précédentes : TOUTES CHOSES ONT ETE FAITES PAR LUI – Pour écarter cette ambiguïté, l’Evangéliste, après avoir dit : TOUT A ETE FAIT PAR LUI, ajoute donc : ET SANS LUI RIEN N’A ETE FAIT, qui cependant N’AIT ETE FAIT EN LUI, c’est-à-dire par Lui; et la raison en est qu’Il ETAIT LA VIE.
Il est manifeste en effet, d’après cette interprétation, que Jean dit : TOUT A ETE FAIT PAR LE VERBE, en tant que le Verbe procédant du Père est Dieu. Supposons qu’un père ait un fils qui ne soit pas parfaitement capable d’agir en homme, mais le devienne peu à peu; il est clair que le père fera bien des choses, non par son fils lui-même, mais pas non plus sans lui. Donc, parce que le Fils de Dieu a de toute éternité, du fait qu’Il est Fils, la vie parfaite, la même que le Père — Comme le Père a la vie en Lui-même, ainsi Il a donné au Fils d’avoir la vie en Lui-même — on ne peut dire que Dieu le Père, bien qu’Il n’ait rien fait sans le Fils, ait cependant fait quelque chose sans que ce soit PAR Lui, parce qu’IL ETAIT LA VIE. En effet, dans la réalité vivante, il peut arriver qu’une vie imparfaite précède la vie parfaite; mais pour celui qui est la vie par soi et d’une manière absolue, il n’y a en aucune manière une vie imparfaite antérieure. Donc, parce que le Verbe est la vie par soi, la vie en Lui ne fut jamais imparfaite, mais toujours parfaite. C’est pourquoi RIEN N’A ETE FAIT SANS LUI, qui n’ait ETE FAIT EN LUI, c’est-à-dire par Lui.
94. Chrysostome , lui, lit ce texte d’une autre manière et le ponctue ainsi : ET SANS LUI RIEN N’A ETE FAIT DE CE QUI A ETE FAIT. En effet, quelqu’un pour rait croire que l’Esprit Saint a été fait par le Verbe. C’est pourquoi, voulant exclure cela, l’Evangéliste, après les paroles SANS LUI RIEN N’A ETE FAIT, ajoute celles-ci : DE CE QUI A ETE FAIT, car l’Esprit Saint n’est pas quelque chose qui ait été fait. Vient ensuite EN LUI ETAIT LA VIE. Jean ajoute ces paroles pour deux raisons.
D’abord pour montrer qu’après la production de toutes réalités, il n’y a aucune déficience d’influence ou de causalité; et cela non seulement à l’égard des réalités déjà produites, mais encore à l’égard de celles qui doivent être produites. Cela revient à dire EN LUI ETAIT LA VIE, une vie par laquelle non seulement Il a pu produire toutes choses, mais encore une vie qui a, pour produire de façon continue les réalités, un flux sans déficience et une causalité que n’affaiblit aucun changement, comme une source vive dont le flux continu ne baisse pas; tandis que l’eau recueillie et non vive d'une citerne insuffisamment alimentée, baisse et vient à manquer. Voilà pourquoi il est écrit En toi est la source de la vie .
De plus, Jean dit : LE VERBE ETAIT LA VIE, pour montrer que le gouvernement des réalités se fait par le Verbe. En effet, par ces paroles, il fait voir que le Verbe n’a pas produit les réalités par une nécessité de nature, mais par la volonté et l’intelligence, et qu’Il gouverne les réalités qu’Il a produites. On lit en effet dans l’Epître aux Hébreux : La parole de Dieu est vivante .
Et parce que chez les Grecs l’autorité de Chrysostome dans ses commentaires est telle que, là où il a expliqué un passage de l'Ecriture sainte, ils n’admettent aucune autre explication que la sienne, dans aucun livre grec on ne trouve ce texte ponctué d’une autre manière que la sienne, c’est-à-dire : SANS LUI RIEN N’A ETE FAIT DE CE QUI A ETE FAIT.
Quelle sorte de vie ? La
vie sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations, selon les divers degrés et propriétés des
créatures : vie physique, vie intellectuelle et vie morale ; vie naturelle et surnaturelle ; vie du temps et de
l’éternité. Nous n’avons aucune restriction à faire. A tous les points de vue le Verbe est une source de vie. Cf.
5, 26 ; 14, 6. Et il le fallait bien, puisque « toutes choses ont été faites par lui », verset 3. La formule « en
lui » dit plus que « par lui ». - Continuant de redescendre le « fleuve du temps », l’écrivain sacré passe des
relations générales du Logos avec l’univers à ses relations plus spéciales avec l’homme. Il se rapproche ainsi
rapidement de son sujet spécial. Le Verbe « touche tous les êtres, mais d’une manière inégale. Il a des
contacts qui donnent seulement l’existence sans la vie ni le sentiment ; d’autres qui donnent l’existence, la
vie, le sentiment et l’intelligence ». S. Grégoire-le Grand. Le contact du verbe avec sa créature privilégiée,
l’homme, porte ici le beau nom de lumière : et la vie était la lumière des hommes, la lumière par excellence,
lumière idéale et essentielle (S. Cyr. d’Alexandrie). Magnifique symbole, que les pères et les théologiens
catholiques ont si bien fait valoir. Jésus s’en fera plus tard une application personnelle (8, 12. Cf. 1 Joan. I,
5). - Des hommes, au pluriel, pour montrer qu’il s’agit sans exception de tous les membres de la grande
famille humaine. « Tout être raisonnable, dit encore S. Cyrille, est comme un beau vase que le grand Artiste
de l’univers a formé pour le remplir de cette divine lumière ».
La coupe de la Nouvelle Alliance, que Jésus a anticipée à la Cène en s’offrant lui-même (cf. Lc 22, 20), il l’accepte ensuite des mains du Père dans son agonie à Gethsémani (cf. Mt 26, 42) en se faisant " obéissant jusqu’à la mort " (Ph 2, 8 ; cf. He 5, 7-8). Jésus prie : " Mon Père, s’il est possible que cette coupe passe loin de moi... " (Mt 26, 39). Il exprime ainsi l’horreur que représente la mort pour sa nature humaine. En effet celle-ci, comme la nôtre, est destinée à la vie éternelle ; en plus, à la différence de la nôtre, elle est parfaitement exempte du péché (cf. He 4, 15) qui cause la mort (cf. Rm 5, 12) ; mais surtout elle est assumée par la personne divine du " Prince de la Vie " (Ac 3, 15), du " Vivant " (Ap 1, 17 ; cf. Jn 1, 4 ; 5, 26). En acceptant dans sa volonté humaine que la volonté du Père soit faite (cf. Mt 26, 42), il accepte sa mort en tant que rédemptrice pour " porter lui-même nos fautes dans son corps sur le bois " (1 P 2, 24).
La vie que le Fils de Dieu est venu donner aux hommes ne se réduit pas à la seule existence dans le temps. La vie, qui depuis toujours est « en lui » et constitue « la lumière des hommes » (Jn 1, 4), consiste dans le fait d'être engendré par Dieu et de participer à la plénitude de son amour: « A tous ceux qui l'ont accueilli, il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom, eux qui ne furent engendrés ni du sang, ni d'un vouloir de chair, ni d'un vouloir d'homme, mais de Dieu » (Jn 1, 12-13).