Jean 1, 8
Cet homme n’était pas la Lumière, mais il était là pour rendre témoignage à la Lumière.
Cet homme n’était pas la Lumière, mais il était là pour rendre témoignage à la Lumière.
Il en est qui cherchent à jeter le blâme sur les témoignages que les prophètes ont rendus à Jésus-Christ, et qui prétendent que le Fils de Dieu n'a pas besoin de témoins, et qu'il présente des motifs suffisants de crédulité, soit dans ses enseignements salutaires, soit dans ses miracles tout divins. Moïse lui-même, disent-ils, ne mérita créance que par ses paroles et ses miracles, sans avoir besoin d'être précédé par des témoins. Nous répondons qu'il est un grand nombre de motifs qui peuvent déterminer la foi, mais que tel motif, malgré sa force apparente, ne produira sur quelques-uns aucune impression, tandis que tel autre sera tout-puissant pour les amener à la foi. Or, Dieu a des moyens à l'infini pour amener les hommes à croire qu'un Dieu a daigné se faire homme pour sauver les hommes. Aussi est-ce un fait certain que les oracles des prophètes en ont forcé un grand nombre à croire à la divinité de Jésus-Christ, étonnés qu'ils étaient de voir que tant de prophètes l'avaient annoncé avant son avènement, et prédit d'une manière précise le lieu de sa naissance, et d'autres circonstances semblables. Il faut encore remarquer que les miracles opérés par Jésus-Christ, avaient plus de force pour amener à la foi ceux qui en étaient témoins ou ses contemporains, mais que plusieurs siècles après ils pouvaient n'avoir plus la même puissance, et passer même aux yeux de quelques-uns pour des fables. Donc, lorsqu'un long espace de temps nous sépare de ces miracles, le motif le plus fort de crédibilité, ce sont les prophéties jointes aux miracles. Disons encore, que par ce témoignage rendu à Dieu, plusieurs se sont couverts de gloire. C'est donc vouloir enlever au choeur des prophètes la grâce signalée qui lui a été faite, que de contester l'utilité des témoignages qu'ils ont rendus à Jésus-Christ. Jean est venu se joindre à ces prophètes, en rendant lui-même témoignage à la lumière.
Gardez-vous de croire que cet envoyé de Dieu tienne un langage purement humain, ce n'est point de lui-même qu'il vient parler, toutes ses paroles lui sont dictées par celui qui l'a envoyé; c'est pour cela qu'un prophète lui donne le nom d'ange en parlant de lui: "Voici que j'envoie mon ange" (Ml 3,1), car un ange (ou envoyé), ne dit rien de lui-même, et ne fait que transmettre les ordres de celui qui l'envoie. Ces paroles: "Il fut envoyé", ne signifie pas un acte qui tend à donner l'être, mais qui destine à l'accomplissement d'un ministère. De même qu'Isaïe ne fut pas appelé d'autre part que du monde où il était, et qu'il fut envoyé au peuple du moment qu'il eut vu le Seigneur assis sur un trône sublime et élevé; ainsi Jean fut envoyé du désert pour baptiser, comme il l'atteste lui-même: "Celui qui m'a envoyé baptiser, m'a dit: Celui sur lequel vous verrez", etc.
Ce n'est pas sans doute que la lumière eût besoin de témoignage, mais l'Évangéliste nous apprend le vrai motif de la mission de Jean, dans les paroles suivantes: «Afin que tous crussent par lui». Le Fils de Dieu a pris une chair mortelle pour sauver tous les hommes d'une perte inévitable, et c'est par suite du même dessein qu'il envoie devant lui un homme pour précurseur, afin que cette voix d'un de leurs semblables les déterminât plus facilement à venir à lui.
D'après l'opinion commune, celui qui rend témoignage nous paraît ordinairement supérieur à celui qui est l'objet de son témoignage, et plus digne de foi; aussi l'Évangéliste se hâte de détruire ici ce préjugé en ajoutant: «Il n'était pas la lumière, mais il était venu pour rendre témoignage à la lumière». Si telle n'a pas été son intention en répétant ces paroles: «Pour rendre témoignage à la lumière», ce membre de phrase est complètement superflu. Ce n'est pas un développement de la doctrine, c'est une répétition de mots inutiles.
Et comment pourra-t-il nous dire la vérité en parlant de Dieu? «II fut envoyé de Dieu».
Comment s'appelait-il? «Son nom était Jean».
Pourquoi fût-il envoyé? «Il vint comme témoin pour rendre témoignage à la lumière».
Tout ce qui précède avait pour objet la divinité de Jésus-Christ, qui, en venant à nous, s'est revêtu d'une forme humaine. Mais comme dans le Verbe fait chair, l'humanité cachait un Dieu; un homme extraordinaire fut envoyé devant lui, pour découvrir en lui, par son témoignage, un caractère supérieur à l'homme. Et quel a été cet envoyé? «Il y eut un homme».
L'Évangéliste ne dit pas: Afin que tous crussent en lui, (car maudit est l'homme qui met sa confiance dans l'homme Jr 17,5) mais: "Afin que tous crussent par lui", c'est-à-dire, que tous par son témoignage crussent à cette lumière.
c'est-à-dire, grâce de Dieu ou celui en qui était la grâce de Dieu, c'est-à-dire, celui qui, le premier, a fait connaître Jésus-Christ au monde par son témoignage. Ou bien encore, le nom de Jean signifie il a été donné, parce qu'il lui a été donné par la grâce de Dieu, non seulement d'être le précurseur du Roi des rois, mais de le baptiser.
Ce ne fut pas un ange, pour détruire les idées qu'un grand nombre s'était faites de la nature de Jean-Baptiste.
Que quelques-uns aient refusé de croire, Jean n'en est pas responsable. Si un homme s'enferme dans une maison obscure, et se prive ainsi de voir les rayons du soleil, la faute n'en est pas au soleil mais bien à lui-même; ainsi Jean a été envoyé, afin que tous crussent par lui; si ce but n'a pas été entièrement atteint, le saint précurseur n'en est pas la cause.
Mais la conclusion de ces paroles n'est-elle pas que ni Jean-Baptiste, ni aucun autre saint n'ont été ou ne sont la lumière? Si nous voulons donner à un saint le nom de lumière, il faut employer le mot lumière sans article; si l'on vous demande, par exemple: Jean est-il la lumière? Répondez qu'il est lumière, sans mettre l'article, mais non pas la lumière avec l'article; car il n'est pas la lumière par excellence, et il n'est lumière, que parce qu'il est entré en participation de la vraie lumière.
108. Plus haut, l’Evangéliste a traité de la divinité du Verbe à ; il commence maintenant à traiter de son Incarnation. A ce sujet, il parle d’abord du témoin du Verbe incarné, c’est-à-dire du Précurseur c'est l’objet de la présente leçon; il parlera ensuite de l’avènement du Verbe, quand il dira : Il était la lumière, la vraie, qui illumine tout homme venant en ce monde . Jean décrit en premier lieu le Précurseur comme venant pour témoigner; en second lieu il le montre comme ne suffisant pas à sauver .
L’Evangéliste fait connaître le Précurseur sous quatre aspects : il précise la condition de sa nature : IL Y EUT UN HOMME; son autorité : ENVOYE DE DIEU ; son aptitude à accomplir sa mission : SON NOM ETAIT JEAN ; enfin la dignité de cette mission : CELUI-CI VINT COMME TEMOIN, POUR RENDRE TEMOIGNAGE A LA LUMIERE, AFIN QUE TOUS CRUSSENT PAR LUI .
109. Remarquons tout d’abord que l'Evangéliste n’a plus la même façon de s’exprimer dès qu’il commence à parler d’un événement qui se passe dans le temps. En effet, jusqu’ici, parlant des réalités éternelles, il employait le verbe être à l’imparfait; il montrait par là que l’éternité est sans terme; mais maintenant, puisqu’il parle des réalités temporelles, il emploie le verbe être au passé simple, pour montrer qu’elles ont eu lieu de telle sorte qu’elles sont terminées.
110. L’Evangéliste commence ici par écarter une fausse opinion des hérétiques sur la condition ou la nature de Jean. A cause de la parole du Seigneur à son sujet : C’est de lui qui est écrit : Voici que j’envoie mon ange devant ta face , ils pensèrent que Jean était de nature angélique. Ce qu’exclut l'Evangéliste en disant : IL Y EUT UN HOMME par nature et non un ange — On sait ce qu’est un homme : il ne peut s’attaquer en justice à plus fort que lui . Du reste, il convient que ce soit un homme qu’on envoie à des hommes, car ceux-ci sont davantage attirés par un de leurs semblables — La Loi établit grands-prêtres des hommes sujets à la faiblesse . En effet, Dieu pouvait gouverner les hommes par des anges, mais Il a préféré le faire par des hommes, afin que leur exemple les instruisît davantage. Voilà pourquoi Jean fut un homme et non un ange.
111. Ensuite l’Evangéliste fait connaître Jean par son autorité : Il fut ENVOYE DE DIEU. Si Jean ne fut pas un ange quant à la nature, il le fut cependant quant à la fonction, car il fut envoyé par Dieu. En effet, la fonction propre des anges est d’être les envoyés de Dieu et ses messagers : Ne sont-ils pas tous des esprits chargés d’un ministère, envoyés en service ? C’est pourquoi "ange" traduit "envoyé". Les hommes, envoyés par Dieu pour annoncer quelque chose, peuvent donc être appelés "anges" — Aggée, ange parmi les anges du Seigneur , c’est-à-dire messager parmi les messagers du Seigneur, parla en ces termes au peuple selon le message du Seigneur. Mais pour que quelqu’un rende témoignage à Dieu, il faut qu’il soit envoyé par Lui — Comment prêcheront-ils, s’ils ne sont pas envoyés? Et envoyés par Dieu, ils ne doivent pas chercher leurs intérêts, mais ceux de Dieu — Car ce n’est pas nous-mêmes que nous prêchons, mais le Christ Jésus notre Seigneur . Celui, en revanche, qui est envoyé non par Dieu mais par lui-même, cherche ses intérêts ou ceux des hommes, mais non pas ceux du Christ. Aussi l’Evangéliste dit-il ici : IL Y EUT UN HOMME ENVOYE DE DIEU, pour que tous comprennes que Jean n’a rien annoncé que de divin, qu’il n’a rien annoncé d’humain.
112. Remarquons qu’il y a trois sortes d’envoyés de Dieu. Certains le sont par une inspiration intérieure — Et maintenant le Seigneur m’a envoyé, ainsi que son Esprit , ce qui revient à dire : je suis envoyé de Dieu par une inspiration intérieure de l’Esprit. D’autres sont envoyés par une vision claire et manifeste, soit corporelle soit imaginaire — J’entendis la voix du Seigneur disant : "Qui enverrai-je? Quel sera notre messager?" Je répondis : "Me voici, envoie-moi." Enfin on peut être envoyé par l’injonction d’un supérieur qui tient en cela la place de Dieu — Si j’ai pardonné, c’est par amour pour vous, au nom du Christ . C’est pourquoi ceux qui sont envoyés par un supérieur sont envoyés par Dieu, comme Barnabé et Timothée furent envoyés par l’Apôtre Paul.
Lorsque l’Evangéliste dit ici : IL Y EUT UN HOMME ENVOYE DE DIEU, il faut comprendre que ce fut par une inspiration intérieure; ou peut-être Jean fut-il envoyé par Dieu sur une vision extérieure comme pourraient le suggérer ces paroles : Celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit : Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, c’est Lui qui baptise dans l’Esprit Saint .
113. Quand l’Evangéliste dit : IL Y EUT UN HOMME ENVOYE DE DIEU, il ne faut pas non plus l’entendre à la manière de certains hérétiques, pour qui les âmes des hommes ont été créées avec les anges dès le commencement, mais ne sont envoyées dans le corps qu’au moment de la naissance; de sorte que, d’après eux, l'Evangéliste voudrait dire que Jean fut envoyé à la vie, c’est-à-dire que son âme fut envoyée dans son corps. En réalité, il faut comprendre que Jean fut envoyé pour baptiser et prêcher.
114. L’Evangéliste fait ici connaître Jean par ce qui le rendait apte à remplir sa mission.
En effet, la mission du témoin requiert une aptitude. Car si le témoin est inapte, il a beau être envoyé par un autre, son témoignage est insuffisant. Or, c’est par la grâce de Dieu que l’on est rendu apte à accomplir une fonction — C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis C’est Dieu qui nous a rendus capables d’être les ministres de la nouvelle alliance . L’Evangéliste indique donc fort à propos l’aptitude du Précurseur en disant : SON NOM ETAIT JEAN, nom qui signifie "en qui est la grâce". Ce nom ne lui fut pas donné en vain, mais selon la préordination divine avant même sa naissance : Et tu lui donneras le nom de Jean, avait dit l’ange à Zacharie C’est pourquoi il peut dire : Le Seigneur m’a appelé dès le sein de ma mère , et : Celui qui sera, déjà est nommé . C’est ce que l’Evangéliste montre aussi par sa manière de s’exprimer lorsqu’il dit ETAIT, ce qui se réfère à la préordination de Dieu.
115. L’Evangéliste, enfin, nous fait connaître Jean par la dignité de sa mission. Il dit : IL VINT COMME TEMOIN — voilà sa mission —, POUR RENDRE TE MOIGNAGE A LA LUMIERE — voilà en quoi consiste cette mission.
116. La mission de Jean-Baptiste est donc de témoigner. Ici, il faut remarquer que tout ce que Dieu fait — qu’il s’agisse des hommes ou de ses autres œuvres — Dieu le fait pour Lui-même — Le Seigneur a fait toutes ces choses pour Lui-même ; non certes pour s’ajouter à Lui-même quelque chose, car Il n’a pas besoin de nos biens , mais pour manifester sa bonté en toutes ses œuvres, en ce sens que par elles sont rendues visibles à l’intelligence (...) sa puissance éternelle et sa divinité . Toute créature devient donc témoin de Dieu, puisque toute créature est un certain témoignage de la bonté divine. Ainsi la grandeur de la création est un témoignage de la toute-puissance divine; sa beauté, un témoignage de la sagesse divine. Mais certains hommes sont l’objet d’un dessein de Dieu d’une manière spéciale; de sorte que non seulement matériellement, en tant qu’ils sont, mais encore par leurs œuvres bonnes, ils rendent témoignage à Dieu. C’est pourquoi tous les saints sont les témoins de Dieu dans la mesure où, par leurs œuvres bonnes, Dieu est glorifié devant les hommes — Que brille votre lumière devant les hommes, en sorte qu’ils voient vos œuvres bonnes et glorifient votre Père qui est dans les cieux . Cependant, ceux qui, non seulement participent aux dons de Dieu en eux-mêmes en faisant le bien par la grâce de Dieu, mais encore transmettent ces dons aux autres par leur enseignement, leur influence et leurs exhortations, sont plus spécialement les témoins de Dieu — Quiconque invoque mon nom, je l’ai créé pour ma gloire Jean vint donc pour témoigner, c’est-à-dire pour transmettre aux autres les dons de Dieu et annoncer sa louange.
117. Or cette mission de Jean, cet office de témoin, est très grand, car on ne peut témoigner de quelque chose que dans la mesure où on y participe — Nous parlons de ce que nous savons, et nous attestons ce que nous avons vu . C’est pourquoi rendre témoignage à la vérité divine indique que l’on connaît cette vérité. De là vient que le Christ aussi eut cette mission : Si je suis né, et si je suis venu dans le monde, c’est pour rendre témoignage à la vérité. Mais autre est le témoignage du Christ, autre celui de Jean-Baptiste, parce que autre est en chacun d’eux la connaissance de la vérité . Le Christ, en effet, témoignage comme la lumière même qui embrasse tout, bien plus, comme la lumière même subsistante; tandis que Jean témoigne comme celui qui ne fait que participer à la lumière. C’est pourquoi le Christ rend parfaitement témoignage et manifeste parfaitement la vérité, tandis que Jean et les autres saints ne le font que dans la mesure où ils participent à cette vérité divine.
Grande est donc la mission de Jean, et par la participation à la lumière divine, et par sa similitude avec le Christ qui a rempli cette même mission. Voici que je l’ai donné pour témoin aux peuples, pour chef et pour maître aux païens .
118. L’Evangéliste précise ensuite en quoi consiste cette mission. Il dit : IL VINT POUR RENDRE TEMOIGNAGE A LA LUMIERE.
Ici, il faut savoir que l’on peut témoigner de quel que chose pour deux raisons : soit à cause de la réalité même dont on témoigne, par exemple si elle est douteuse et incertaine, soit à cause des auditeurs, par exemple s’ils ont le cœur dur et lent à croire. En ce qui concerne Jean, s’il est venu rendre témoignage, ce n’est pas à cause de la réalité elle-même dont il témoignait, puis qu’elle était la lumière. Aussi l’Evangéliste dit-il : IL VINT RENDRE TEMOIGNAGE A LA LUMIERE, c’est-à-dire non pas à une réalité obscure, mais à une réalité manifeste. S’il vint témoigner, c’est donc à cause de ceux pour qui il témoignait, AFIN QUE TOUS CRUSSENT PAR LUI, c’est-à-dire par Jean. En effet, comme la lumière est non seulement visible en elle-même et par elle-même, mais rend encore visible tout le reste, ainsi le Verbe de Dieu n’est pas seulement lumière en Lui-même : Il est aussi Celui qui manifeste fait connaître tout ce qui est manifesté. Car tout être se manifeste et se fait connaître par sa forme. Or toutes les formes sont par le Verbe, qui est l’Idée contenant parfaitement ce que sont les vivants : Il est donc non seulement la lumière en soi, mais encore la lumière qui manifeste toutes choses — Tout ce qui est manifesté est lumière Et l’Evangéliste appelle à juste titre le Fils "LUMIERE de Dieu", car la LUMIERE est venue pour éclairer les nations . Or, plus haut, Jean a appelé le Fils "Verbe de Dieu", par lequel le Père se dit Lui-même et toute créature. C’est pourquoi, comme le Fils est à proprement parler la LUMIERE des hommes, et que l’Evangéliste en parle ici comme de Celui qui est venu pour opérer le salut de l’homme, c’est à juste titre que, pour parler du Fils, il cesse ici de se servir du nom de Verbe, et emploie le mot LUMIERE.
119. Mais si cette lumière suffit par elle-même à manifester toutes choses, et non pas seulement elle-même, que lui manquait-il pour qu’il y ait témoignage? Les témoignages de Jean et des prophètes au sujet du Christ ne seraient donc pas nécessaires?
Je réponds que cette objection est celle des Manichéens, qui veulent, réduire à rien ces témoignages. Aussi les saints apportent-ils contre eux de nombreuses raisons pour expliquer que le Christ ait voulu le témoignage des prophètes.
Origène donne trois raisons .
D’abord, Dieu veut avoir des témoins, non qu’Il ait besoin Lui-même de leur témoignage, mais pour ennoblir ceux dont Il fait ses témoins. C’est ce que nous voyons également dans l’ordre de l’univers : Dieu produit certains effets par des causes secondes, non qu’Il soit impuissant à les produire immédiatement, mais parce qu’Il daigne, pour les ennoblir, communiquer à ces causes secondes la dignité de la causalité. Ainsi donc, Dieu aurait pu par Lui-même illuminer tous les hommes et les amener à la connaissance de Lui-même; cependant, pour préserver l’ordre qui doit être dans le monde et ennoblir certains hommes, Il a voulu que la connaissance divine parvînt aux hommes par d’autres hommes — Vous êtes vraiment mes témoins, dit le Seigneur .
La seconde raison pour laquelle le Christ voulut avoir des témoins, c’est qu’Il illumina le monde par des miracles : or ceux-ci, parce qu’ils furent opérés dans le temps, passèrent avec le temps, de sorte qu’ils n’ont pas atteint tous les hommes. Mais les paroles des prophètes, confiées à l’Ecriture, pouvaient parvenir non seulement à ceux qui étaient présents, mais encore aux hommes à venir. Le Seigneur voulut donc que les hommes viennent à la connaissance du Verbe par le témoignage des prophètes : ainsi, non seulement ceux qui étaient présents, mais aussi ceux qui viendraient ensuite seraient illuminés à son sujet; aussi l’Evangéliste dit-il expressément : AFIN QUE TOUS CRUSSENT PAR LUI, non seulement ceux qui étaient présents, mais encore les hommes à venir.
La troisième raison, c’est que les conditions des hommes sont différentes, et qu’ils sont conduits et dis posés de diverses manières à la connaissance de la vérité. En effet, certains sont amenés à la connaissance de la vérité plutôt par les signes et les miracles; d’autres au contraire plutôt par la sagesse. Voilà pourquoi les Juifs demandent des signes et les Grecs sont en quête de la sagesse . Pour montrer à chacun une voie de salut, le Seigneur voulut donc ouvrir l’une et l’autre voie, celle des signes et celle de la sagesse. Ainsi, ceux qui ne seraient pas conduits à la voie du salut par les miracles opérés dans l’Ancien et le Nouveau Testament, pourraient du moins parvenir à la connaissance de la vérité par la voie de la sagesse, exposée par les prophètes et les autres livres de l’Ecriture sainte.
Jean Chrysostome donne une quatrième raison les hommes d’intelligence faible ne peuvent saisir en elles-mêmes la vérité et la connaissance de Dieu. Pour se mettre à leur portée, Dieu a voulu illuminer certains hommes plus que les autres sur les mystères divins; de la sorte, les faibles reçoivent d’eux, d’une manière humaine, la connaissance des mystères divins qu’ils n’avaient pas en eux-mêmes la possibilité d’atteindre. C’est pourquoi l’Evangéliste dit AFIN QUE TOUS CRUS SENT PAR LUI, c’est-à-dire : IL VINT COMME TEMOIN, non pas à cause de LA LUMIERE, mais à cause des hommes, AFIN QUE TOUS CRUSSENT PAR LUI –
Ainsi il est clair que les témoignages des prophètes sont convenables; aussi devons-nous les recevoir, car ils nous sont nécessaires pour connaître la vérité.
120. L’Evangéliste dit AFIN QU’ILS CRUSSENT, parce qu’il y a deux modes de participation à la lumière divine. L’un, parfait, qui a lieu dans la gloire — Dans ta lumière, nous verrons la lumière l’autre, imparfait, que donne la foi, et c’est pour cela qu’IL VINT COMME TEMOIN. A propos de ces deux modes, l’Apôtre dit : Nous voyons maintenant dans un miroir, en énigme, mais alors ce sera face à face; et encore : Maintenant je connais d’une manière partielle, mais alors je connaîtrai comme je suis connu . De ces deux modes, celui de la participation par la foi précède l’autre, parce que c’est par lui qu’on parvient à la vision — Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas . Et l’Apôtre Nous tous qui, le visage découvert, réfléchissons comme en un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés de clarté en clarté en cette même image , c’est-à-dire celle que nous avons perdue. La Glose explique "De la clarté de la foi à la clarté de la vision ".
L’Evangéliste dit donc : AFIN QUE TOUS CRUS SENT PAR LUI; car ce n’est pas "afin que tous aussitôt voient Dieu parfaitement", mais afin que, croyant d’abord par la foi, ils arrivent plus tard à jouir de la vision dans la patrie.
121. Si l’Evangéliste dit PAR LUI, c’est pour montrer la différence entre Jean-Baptiste et le Christ. Le Christ en effet est venu afin que tous crussent par Lui et en Lui : Celui qui croit en moi, de son sein couleront des fleuves d’eau vive Tandis que Jean est venu afin que tous crussent, non certes en lui, mais dans le Christ, PAR LUI –
On objectera sans doute que tous ne crurent pas par lui. Si donc il est venu AFIN QUE TOUS CRUS SENT PAR LUI, il est venu en vain. A cela je réponds que, autant qu’il dépend de Dieu qui envoya et de Jean qui vint, tous eurent à leur portée un moyen suffisant pour parvenir à la foi; mais que, si tous ne crurent pas, ce fut par la faute de ceux qui décidèrent de tenir leurs yeux baissés vers la terre , et ne voulurent pas voir la lumière.
122. Jean, sur qui on a tant dit et qui fut envoyé par Dieu, est certes grand; néanmoins sa venue ne suffit pas aux hommes pour le salut; car le salut de l’homme consiste à participer à la lumière elle-même. Si donc Jean avait été la lumière, sa venue aurait suffi aux hommes pour le salut; mais lui-même n’était pas la lumière, et c’est pourquoi l’Evangéliste dit : IL N’ETAIT PAS LA LUMIERE. Par suite, la lumière était nécessaire, elle qui devait suffire aux hommes pour le salut.
Ou encore : Jean, on l’a dit, VINT POUR RENDRE TEMOIGNAGE A LA LUMIERE. Or le témoin possède d’ordinaire une autorité plus grande que celui à qui il rend témoignage. L’Evangéliste dit donc ici : IL N’ETAIT PAS LA LUMIERE, MAIS IL DEVAIT RENDRE TE MOIGNAGE A LA LUMIERE, pour qu’on ne croie pas que Jean eût une plus haute autorité que le Christ. Il rend témoignage en effet non parce qu’il est plus grand, mais parce qu’il est plus connu, bien qu’il soit plus petit.
123. Mais une question se pose à propos de ce que dit l’Evangéliste : IL N’ETAIT PAS LA LUMIERE. Car on lit en un sens contraire : Autrefois vous étiez ténèbres, mais à présent vous êtes lumière dans le Seigneur et : Vous êtes la lumière du monde . Ainsi, Jean et les Apôtres, et tous les hommes bons, sont lumière. Je réponds : certains disent que Jean n’était pas "la lumière", avec l’article, car cela est propre à Dieu seul; mais que si l’on prend "lumière" sans article, Jean et tous les autres saints sont lumière. Ce qui peut s’expliciter ainsi le Fils de Dieu est la lumière par essence, mais Jean l’est par participation. Et donc, parce que Jean participait à la vraie lumière, il était vraiment apte à RENDRE TEMOIGNAGE A LA LUMIERE : en effet le feu est manifeste de manière plus appropriée par quelque chose d’enflammé que par tout autre chose, et de même la couleur par le coloré.
L’Evangéliste fait connaître le Précurseur sous quatre aspects : il précise la condition de sa nature : IL Y EUT UN HOMME; son autorité : ENVOYE DE DIEU ; son aptitude à accomplir sa mission : SON NOM ETAIT JEAN ; enfin la dignité de cette mission : CELUI-CI VINT COMME TEMOIN, POUR RENDRE TEMOIGNAGE A LA LUMIERE, AFIN QUE TOUS CRUSSENT PAR LUI .
109. Remarquons tout d’abord que l'Evangéliste n’a plus la même façon de s’exprimer dès qu’il commence à parler d’un événement qui se passe dans le temps. En effet, jusqu’ici, parlant des réalités éternelles, il employait le verbe être à l’imparfait; il montrait par là que l’éternité est sans terme; mais maintenant, puisqu’il parle des réalités temporelles, il emploie le verbe être au passé simple, pour montrer qu’elles ont eu lieu de telle sorte qu’elles sont terminées.
110. L’Evangéliste commence ici par écarter une fausse opinion des hérétiques sur la condition ou la nature de Jean. A cause de la parole du Seigneur à son sujet : C’est de lui qui est écrit : Voici que j’envoie mon ange devant ta face , ils pensèrent que Jean était de nature angélique. Ce qu’exclut l'Evangéliste en disant : IL Y EUT UN HOMME par nature et non un ange — On sait ce qu’est un homme : il ne peut s’attaquer en justice à plus fort que lui . Du reste, il convient que ce soit un homme qu’on envoie à des hommes, car ceux-ci sont davantage attirés par un de leurs semblables — La Loi établit grands-prêtres des hommes sujets à la faiblesse . En effet, Dieu pouvait gouverner les hommes par des anges, mais Il a préféré le faire par des hommes, afin que leur exemple les instruisît davantage. Voilà pourquoi Jean fut un homme et non un ange.
111. Ensuite l’Evangéliste fait connaître Jean par son autorité : Il fut ENVOYE DE DIEU. Si Jean ne fut pas un ange quant à la nature, il le fut cependant quant à la fonction, car il fut envoyé par Dieu. En effet, la fonction propre des anges est d’être les envoyés de Dieu et ses messagers : Ne sont-ils pas tous des esprits chargés d’un ministère, envoyés en service ? C’est pourquoi "ange" traduit "envoyé". Les hommes, envoyés par Dieu pour annoncer quelque chose, peuvent donc être appelés "anges" — Aggée, ange parmi les anges du Seigneur , c’est-à-dire messager parmi les messagers du Seigneur, parla en ces termes au peuple selon le message du Seigneur. Mais pour que quelqu’un rende témoignage à Dieu, il faut qu’il soit envoyé par Lui — Comment prêcheront-ils, s’ils ne sont pas envoyés? Et envoyés par Dieu, ils ne doivent pas chercher leurs intérêts, mais ceux de Dieu — Car ce n’est pas nous-mêmes que nous prêchons, mais le Christ Jésus notre Seigneur . Celui, en revanche, qui est envoyé non par Dieu mais par lui-même, cherche ses intérêts ou ceux des hommes, mais non pas ceux du Christ. Aussi l’Evangéliste dit-il ici : IL Y EUT UN HOMME ENVOYE DE DIEU, pour que tous comprennes que Jean n’a rien annoncé que de divin, qu’il n’a rien annoncé d’humain.
112. Remarquons qu’il y a trois sortes d’envoyés de Dieu. Certains le sont par une inspiration intérieure — Et maintenant le Seigneur m’a envoyé, ainsi que son Esprit , ce qui revient à dire : je suis envoyé de Dieu par une inspiration intérieure de l’Esprit. D’autres sont envoyés par une vision claire et manifeste, soit corporelle soit imaginaire — J’entendis la voix du Seigneur disant : "Qui enverrai-je? Quel sera notre messager?" Je répondis : "Me voici, envoie-moi." Enfin on peut être envoyé par l’injonction d’un supérieur qui tient en cela la place de Dieu — Si j’ai pardonné, c’est par amour pour vous, au nom du Christ . C’est pourquoi ceux qui sont envoyés par un supérieur sont envoyés par Dieu, comme Barnabé et Timothée furent envoyés par l’Apôtre Paul.
Lorsque l’Evangéliste dit ici : IL Y EUT UN HOMME ENVOYE DE DIEU, il faut comprendre que ce fut par une inspiration intérieure; ou peut-être Jean fut-il envoyé par Dieu sur une vision extérieure comme pourraient le suggérer ces paroles : Celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit : Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, c’est Lui qui baptise dans l’Esprit Saint .
113. Quand l’Evangéliste dit : IL Y EUT UN HOMME ENVOYE DE DIEU, il ne faut pas non plus l’entendre à la manière de certains hérétiques, pour qui les âmes des hommes ont été créées avec les anges dès le commencement, mais ne sont envoyées dans le corps qu’au moment de la naissance; de sorte que, d’après eux, l'Evangéliste voudrait dire que Jean fut envoyé à la vie, c’est-à-dire que son âme fut envoyée dans son corps. En réalité, il faut comprendre que Jean fut envoyé pour baptiser et prêcher.
114. L’Evangéliste fait ici connaître Jean par ce qui le rendait apte à remplir sa mission.
En effet, la mission du témoin requiert une aptitude. Car si le témoin est inapte, il a beau être envoyé par un autre, son témoignage est insuffisant. Or, c’est par la grâce de Dieu que l’on est rendu apte à accomplir une fonction — C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis C’est Dieu qui nous a rendus capables d’être les ministres de la nouvelle alliance . L’Evangéliste indique donc fort à propos l’aptitude du Précurseur en disant : SON NOM ETAIT JEAN, nom qui signifie "en qui est la grâce". Ce nom ne lui fut pas donné en vain, mais selon la préordination divine avant même sa naissance : Et tu lui donneras le nom de Jean, avait dit l’ange à Zacharie C’est pourquoi il peut dire : Le Seigneur m’a appelé dès le sein de ma mère , et : Celui qui sera, déjà est nommé . C’est ce que l’Evangéliste montre aussi par sa manière de s’exprimer lorsqu’il dit ETAIT, ce qui se réfère à la préordination de Dieu.
115. L’Evangéliste, enfin, nous fait connaître Jean par la dignité de sa mission. Il dit : IL VINT COMME TEMOIN — voilà sa mission —, POUR RENDRE TE MOIGNAGE A LA LUMIERE — voilà en quoi consiste cette mission.
116. La mission de Jean-Baptiste est donc de témoigner. Ici, il faut remarquer que tout ce que Dieu fait — qu’il s’agisse des hommes ou de ses autres œuvres — Dieu le fait pour Lui-même — Le Seigneur a fait toutes ces choses pour Lui-même ; non certes pour s’ajouter à Lui-même quelque chose, car Il n’a pas besoin de nos biens , mais pour manifester sa bonté en toutes ses œuvres, en ce sens que par elles sont rendues visibles à l’intelligence (...) sa puissance éternelle et sa divinité . Toute créature devient donc témoin de Dieu, puisque toute créature est un certain témoignage de la bonté divine. Ainsi la grandeur de la création est un témoignage de la toute-puissance divine; sa beauté, un témoignage de la sagesse divine. Mais certains hommes sont l’objet d’un dessein de Dieu d’une manière spéciale; de sorte que non seulement matériellement, en tant qu’ils sont, mais encore par leurs œuvres bonnes, ils rendent témoignage à Dieu. C’est pourquoi tous les saints sont les témoins de Dieu dans la mesure où, par leurs œuvres bonnes, Dieu est glorifié devant les hommes — Que brille votre lumière devant les hommes, en sorte qu’ils voient vos œuvres bonnes et glorifient votre Père qui est dans les cieux . Cependant, ceux qui, non seulement participent aux dons de Dieu en eux-mêmes en faisant le bien par la grâce de Dieu, mais encore transmettent ces dons aux autres par leur enseignement, leur influence et leurs exhortations, sont plus spécialement les témoins de Dieu — Quiconque invoque mon nom, je l’ai créé pour ma gloire Jean vint donc pour témoigner, c’est-à-dire pour transmettre aux autres les dons de Dieu et annoncer sa louange.
117. Or cette mission de Jean, cet office de témoin, est très grand, car on ne peut témoigner de quelque chose que dans la mesure où on y participe — Nous parlons de ce que nous savons, et nous attestons ce que nous avons vu . C’est pourquoi rendre témoignage à la vérité divine indique que l’on connaît cette vérité. De là vient que le Christ aussi eut cette mission : Si je suis né, et si je suis venu dans le monde, c’est pour rendre témoignage à la vérité. Mais autre est le témoignage du Christ, autre celui de Jean-Baptiste, parce que autre est en chacun d’eux la connaissance de la vérité . Le Christ, en effet, témoignage comme la lumière même qui embrasse tout, bien plus, comme la lumière même subsistante; tandis que Jean témoigne comme celui qui ne fait que participer à la lumière. C’est pourquoi le Christ rend parfaitement témoignage et manifeste parfaitement la vérité, tandis que Jean et les autres saints ne le font que dans la mesure où ils participent à cette vérité divine.
Grande est donc la mission de Jean, et par la participation à la lumière divine, et par sa similitude avec le Christ qui a rempli cette même mission. Voici que je l’ai donné pour témoin aux peuples, pour chef et pour maître aux païens .
118. L’Evangéliste précise ensuite en quoi consiste cette mission. Il dit : IL VINT POUR RENDRE TEMOIGNAGE A LA LUMIERE.
Ici, il faut savoir que l’on peut témoigner de quel que chose pour deux raisons : soit à cause de la réalité même dont on témoigne, par exemple si elle est douteuse et incertaine, soit à cause des auditeurs, par exemple s’ils ont le cœur dur et lent à croire. En ce qui concerne Jean, s’il est venu rendre témoignage, ce n’est pas à cause de la réalité elle-même dont il témoignait, puis qu’elle était la lumière. Aussi l’Evangéliste dit-il : IL VINT RENDRE TEMOIGNAGE A LA LUMIERE, c’est-à-dire non pas à une réalité obscure, mais à une réalité manifeste. S’il vint témoigner, c’est donc à cause de ceux pour qui il témoignait, AFIN QUE TOUS CRUSSENT PAR LUI, c’est-à-dire par Jean. En effet, comme la lumière est non seulement visible en elle-même et par elle-même, mais rend encore visible tout le reste, ainsi le Verbe de Dieu n’est pas seulement lumière en Lui-même : Il est aussi Celui qui manifeste fait connaître tout ce qui est manifesté. Car tout être se manifeste et se fait connaître par sa forme. Or toutes les formes sont par le Verbe, qui est l’Idée contenant parfaitement ce que sont les vivants : Il est donc non seulement la lumière en soi, mais encore la lumière qui manifeste toutes choses — Tout ce qui est manifesté est lumière Et l’Evangéliste appelle à juste titre le Fils "LUMIERE de Dieu", car la LUMIERE est venue pour éclairer les nations . Or, plus haut, Jean a appelé le Fils "Verbe de Dieu", par lequel le Père se dit Lui-même et toute créature. C’est pourquoi, comme le Fils est à proprement parler la LUMIERE des hommes, et que l’Evangéliste en parle ici comme de Celui qui est venu pour opérer le salut de l’homme, c’est à juste titre que, pour parler du Fils, il cesse ici de se servir du nom de Verbe, et emploie le mot LUMIERE.
119. Mais si cette lumière suffit par elle-même à manifester toutes choses, et non pas seulement elle-même, que lui manquait-il pour qu’il y ait témoignage? Les témoignages de Jean et des prophètes au sujet du Christ ne seraient donc pas nécessaires?
Je réponds que cette objection est celle des Manichéens, qui veulent, réduire à rien ces témoignages. Aussi les saints apportent-ils contre eux de nombreuses raisons pour expliquer que le Christ ait voulu le témoignage des prophètes.
Origène donne trois raisons .
D’abord, Dieu veut avoir des témoins, non qu’Il ait besoin Lui-même de leur témoignage, mais pour ennoblir ceux dont Il fait ses témoins. C’est ce que nous voyons également dans l’ordre de l’univers : Dieu produit certains effets par des causes secondes, non qu’Il soit impuissant à les produire immédiatement, mais parce qu’Il daigne, pour les ennoblir, communiquer à ces causes secondes la dignité de la causalité. Ainsi donc, Dieu aurait pu par Lui-même illuminer tous les hommes et les amener à la connaissance de Lui-même; cependant, pour préserver l’ordre qui doit être dans le monde et ennoblir certains hommes, Il a voulu que la connaissance divine parvînt aux hommes par d’autres hommes — Vous êtes vraiment mes témoins, dit le Seigneur .
La seconde raison pour laquelle le Christ voulut avoir des témoins, c’est qu’Il illumina le monde par des miracles : or ceux-ci, parce qu’ils furent opérés dans le temps, passèrent avec le temps, de sorte qu’ils n’ont pas atteint tous les hommes. Mais les paroles des prophètes, confiées à l’Ecriture, pouvaient parvenir non seulement à ceux qui étaient présents, mais encore aux hommes à venir. Le Seigneur voulut donc que les hommes viennent à la connaissance du Verbe par le témoignage des prophètes : ainsi, non seulement ceux qui étaient présents, mais aussi ceux qui viendraient ensuite seraient illuminés à son sujet; aussi l’Evangéliste dit-il expressément : AFIN QUE TOUS CRUSSENT PAR LUI, non seulement ceux qui étaient présents, mais encore les hommes à venir.
La troisième raison, c’est que les conditions des hommes sont différentes, et qu’ils sont conduits et dis posés de diverses manières à la connaissance de la vérité. En effet, certains sont amenés à la connaissance de la vérité plutôt par les signes et les miracles; d’autres au contraire plutôt par la sagesse. Voilà pourquoi les Juifs demandent des signes et les Grecs sont en quête de la sagesse . Pour montrer à chacun une voie de salut, le Seigneur voulut donc ouvrir l’une et l’autre voie, celle des signes et celle de la sagesse. Ainsi, ceux qui ne seraient pas conduits à la voie du salut par les miracles opérés dans l’Ancien et le Nouveau Testament, pourraient du moins parvenir à la connaissance de la vérité par la voie de la sagesse, exposée par les prophètes et les autres livres de l’Ecriture sainte.
Jean Chrysostome donne une quatrième raison les hommes d’intelligence faible ne peuvent saisir en elles-mêmes la vérité et la connaissance de Dieu. Pour se mettre à leur portée, Dieu a voulu illuminer certains hommes plus que les autres sur les mystères divins; de la sorte, les faibles reçoivent d’eux, d’une manière humaine, la connaissance des mystères divins qu’ils n’avaient pas en eux-mêmes la possibilité d’atteindre. C’est pourquoi l’Evangéliste dit AFIN QUE TOUS CRUS SENT PAR LUI, c’est-à-dire : IL VINT COMME TEMOIN, non pas à cause de LA LUMIERE, mais à cause des hommes, AFIN QUE TOUS CRUSSENT PAR LUI –
Ainsi il est clair que les témoignages des prophètes sont convenables; aussi devons-nous les recevoir, car ils nous sont nécessaires pour connaître la vérité.
120. L’Evangéliste dit AFIN QU’ILS CRUSSENT, parce qu’il y a deux modes de participation à la lumière divine. L’un, parfait, qui a lieu dans la gloire — Dans ta lumière, nous verrons la lumière l’autre, imparfait, que donne la foi, et c’est pour cela qu’IL VINT COMME TEMOIN. A propos de ces deux modes, l’Apôtre dit : Nous voyons maintenant dans un miroir, en énigme, mais alors ce sera face à face; et encore : Maintenant je connais d’une manière partielle, mais alors je connaîtrai comme je suis connu . De ces deux modes, celui de la participation par la foi précède l’autre, parce que c’est par lui qu’on parvient à la vision — Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas . Et l’Apôtre Nous tous qui, le visage découvert, réfléchissons comme en un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés de clarté en clarté en cette même image , c’est-à-dire celle que nous avons perdue. La Glose explique "De la clarté de la foi à la clarté de la vision ".
L’Evangéliste dit donc : AFIN QUE TOUS CRUS SENT PAR LUI; car ce n’est pas "afin que tous aussitôt voient Dieu parfaitement", mais afin que, croyant d’abord par la foi, ils arrivent plus tard à jouir de la vision dans la patrie.
121. Si l’Evangéliste dit PAR LUI, c’est pour montrer la différence entre Jean-Baptiste et le Christ. Le Christ en effet est venu afin que tous crussent par Lui et en Lui : Celui qui croit en moi, de son sein couleront des fleuves d’eau vive Tandis que Jean est venu afin que tous crussent, non certes en lui, mais dans le Christ, PAR LUI –
On objectera sans doute que tous ne crurent pas par lui. Si donc il est venu AFIN QUE TOUS CRUS SENT PAR LUI, il est venu en vain. A cela je réponds que, autant qu’il dépend de Dieu qui envoya et de Jean qui vint, tous eurent à leur portée un moyen suffisant pour parvenir à la foi; mais que, si tous ne crurent pas, ce fut par la faute de ceux qui décidèrent de tenir leurs yeux baissés vers la terre , et ne voulurent pas voir la lumière.
122. Jean, sur qui on a tant dit et qui fut envoyé par Dieu, est certes grand; néanmoins sa venue ne suffit pas aux hommes pour le salut; car le salut de l’homme consiste à participer à la lumière elle-même. Si donc Jean avait été la lumière, sa venue aurait suffi aux hommes pour le salut; mais lui-même n’était pas la lumière, et c’est pourquoi l’Evangéliste dit : IL N’ETAIT PAS LA LUMIERE. Par suite, la lumière était nécessaire, elle qui devait suffire aux hommes pour le salut.
Ou encore : Jean, on l’a dit, VINT POUR RENDRE TEMOIGNAGE A LA LUMIERE. Or le témoin possède d’ordinaire une autorité plus grande que celui à qui il rend témoignage. L’Evangéliste dit donc ici : IL N’ETAIT PAS LA LUMIERE, MAIS IL DEVAIT RENDRE TE MOIGNAGE A LA LUMIERE, pour qu’on ne croie pas que Jean eût une plus haute autorité que le Christ. Il rend témoignage en effet non parce qu’il est plus grand, mais parce qu’il est plus connu, bien qu’il soit plus petit.
123. Mais une question se pose à propos de ce que dit l’Evangéliste : IL N’ETAIT PAS LA LUMIERE. Car on lit en un sens contraire : Autrefois vous étiez ténèbres, mais à présent vous êtes lumière dans le Seigneur et : Vous êtes la lumière du monde . Ainsi, Jean et les Apôtres, et tous les hommes bons, sont lumière. Je réponds : certains disent que Jean n’était pas "la lumière", avec l’article, car cela est propre à Dieu seul; mais que si l’on prend "lumière" sans article, Jean et tous les autres saints sont lumière. Ce qui peut s’expliciter ainsi le Fils de Dieu est la lumière par essence, mais Jean l’est par participation. Et donc, parce que Jean participait à la vraie lumière, il était vraiment apte à RENDRE TEMOIGNAGE A LA LUMIERE : en effet le feu est manifeste de manière plus appropriée par quelque chose d’enflammé que par tout autre chose, et de même la couleur par le coloré.
Il n’était pas… . […] Ce n’est pas lui qui était la lumière. Comparez 2, 21 ; 5, 19, 35, 46, 47 ; 6, 29 ; 8, 42,
44 ; 9, 9, 11, 25, 36, etc. Cet usage est encore caractéristique des écrits de S. Jean. - La lumière, Cf. v. 4.
Quelque grand que fût Jean-Baptiste, il n’était pas lui-même source de lumière , mais simplement il
réfléchissait la lumière qu'il recevait ; ou, pour employer les expressions de Jésus lui-même (5, 35), « la
lampe qui brûle et qui brille » (voyez le commentaire). S. Augustin le dit avec son énergie ordinaire : « Qui
était-il pour rendre témoignage de la lumière? C’était quelque chose de grand, grand mérite, grande grâce,
grande élévation! Admirez-le, oui, admirez-le, mais admirez-le comme une montagne. Or, une montagne
demeure dans les ténèbres, à moins que la lumière ne vienne l’éclairer de ses rayons », Tract. 2, 5. - Mais
envoyé pour rendre témoignage…Le narrateur insiste d’une manière étonnante sur cette idée : Jean-Baptiste est un témoin du Verbe, pas davantage. Comme on l’a souvent répété, il le fait évidemment dans un but
polémique, pour réfuter les erreurs qui avaient cours, même à la fin du premier siècle, sur la personnalité et
le rôle du Précurseur. Voyez l’épisode significatif du livre des Actes, 19, 1-6. Cf. Clement. Recognitiones, 1,
54, 60. Jean avait été pourtant si fidèle à sa mission de témoin du Christ ! Voyez dans notre Synopsis
evangelica, p. 9-15, la belle série de ses témoignages.