Jean 11, 33

Quand il vit qu’elle pleurait, et que les Juifs venus avec elle pleuraient aussi, Jésus, en son esprit, fut saisi d’émotion, il fut bouleversé,

Quand il vit qu’elle pleurait, et que les Juifs venus avec elle pleuraient aussi, Jésus, en son esprit, fut saisi d’émotion, il fut bouleversé,
Louis-Claude Fillion
Lorsqu’il la vit pleurer comme au verset 31. - Et… les Juifs qui étaient venus avec elle pleurer. Encore la même expression. Les Juifs aussi pleurent à haute voix, gagnés par la contagion des larmes. Tableau bien simple, mais infiniment touchant. - A cette vue, Jésus lui-même est saisi par une émotion violente, que l’évangéliste a essayé de retracer par la locution ἐνεβριμήσατο τῷ πνεύματι, il frémit en son esprit de la Vulgate. Le verbe ἐνεβριμᾶσθαι (racine : bourdonner, ronfler, avec harmonie imitative), n’est employé que cinq fois dans le Nouveau Testament : Joan. 11, 33, 38 ; Matth. 9, 30 ; Marc. 1, 43 ; 14, 5 (voyez nos commentaires de ces trois derniers passages), et toujours il exprime, comme dans les classiques et dans la traduction des Septante, le mécontentement, et même la colère, l’indignation. Voyez H. Étienne, Thesaurus graecae linguae ; Grimm, Lexic. graec. lat., s.v. infremo (“Je frémis, j’éprouve une violente colère, et je m’indigne”), et l’excellente dissertation de Gumlich dans les Theolog. Studien u. Kritiken, 1862, p. 260-268. Grotius, Lücke, Tholuck, Ewald en affaiblissent la signification d’une manière notable, quand ils ne lui font exprimer ici qu’une explosion de vive sympathie et de chagrin. Notre version latine l’a très bien traduit, et la plupart des commentateurs lui donnent d’ailleurs son sens légitime. - Le substantif en son esprit qui lui est adjoint localise pour ainsi dire, et restreint à l’âme de N.-S. Jésus-Christ le mouvement de la passion : il équivaut à « Aux (ou par les) sens de l’âme » (Corluy, d’après Maldonat). Cf. verset 38. - Et se troubla n’est pas une simple périphrase pour « fut troublé », 13, 21 : c’est une expression d’une parfaite exactitude théologique, choisie à dessein par le narrateur, dans le but de montrer qu’il n’y avait rien de purement passif dans la sainte âme du Sauveur, mais que toutes ses émotions demeuraient constamment sous son contrôle. Cf. S. Thom. Aq., Summ. Theol. p. 3, q. 18, a. 6. D’après quelques interprètes, ce trouble volontaire ne devrait pas être confondu avec le sentiment d’indignation mentionné plus haut ; c’eût été un ébranlement physique, un frisson passager. Cf. Euthymius, Meyer, etc., h. l. - Mais pour quel motif spécial Jésus s’indigne-t-il ? Les opinions n’ont pas manqué sur ce point délicat. Notre-Seigneur s’irriterait, a-t-on dit, à l’occasion des larmes de Marie, dans lesquelles il voyait un signe d’incrédulité (Lampe, etc.) ; ou bien, à cause de la douleur affectée et hypocrite des Juifs (Meyer, Watkins, Plummer, etc.) ; ou parce qu’il se voyait un objet de haine pour un grand nombre, et que ses meilleurs amis ne le comprenaient pas assez (Brückner) ; plus spécialement, en prévision du redoublement de rage que la résurrection de Lazare, le plus glorieux de ses miracles, allait exciter dans les cœurs de ses ennemis (Godet, Abbott, etc.) ; ou encore, à cause de sa propre émotion humaine que sa divinité ne pouvait souffrir (Origène et d’autres auteurs anciens ou modernes). Nous préférons dire avec S. Augustin, Nicolas de Lyre, Cornelius a Lap., Tolet, Luc de Bruges, et un grand nombre de commentateurs contemporains, que Jésus, ému par la douleur qui éclatait autour de lui, s’indigne en ce moment contre les puissances soit infernales, soit naturelles (le démon, le péché, le mort), qui avaient apporté sur la terre tant de maux et tant de tristesses. En toute hypothèse, le voilà comme un divin guerrier qui s’excite au combat contre la mort et le tombeau. Aussi, dit S. Augustin, « Dans la voix de celui qui frémit apparaît l’espoir de celui qui reprend vie ». Pour consoler Marthe, il avait eu recours à la parole ; il consolera Marie par l’action.
Pape Francois
45. L’Évangile ne cache pas les sentiments de Jésus à l’égard de Jérusalem, la ville bien-aimée : « Quand Il fut proche, à la vue de la ville, Il pleura sur elle » (Lc 19, 41) et exprima son plus grand regret : « Si en ce jour tu avais compris, toi aussi, le message de paix ! » (19, 42). Les évangélistes, tout en le montrant parfois puissant ou glorieux, ne manquent pas de révéler ses sentiments face à la mort et à la souffrance des amis. Avant de raconter que « Jésus pleura » (Jn 11, 35) sur le tombeau de Lazare, l’Évangile explique qu’« Il aimait Marthe et sa sœur et Lazare » (Jn 11, 5) et que, voyant Marie et ses compagnes pleurer, « Il frémit en son esprit et se troubla » (Jn 11, 33). Le récit ne laisse aucun doute sur le fait qu’il s’agit de pleurs sincères provenant d’un trouble intérieur. Enfin, l’angoisse de Jésus face à sa mort violente de la main de ceux qu’Il aime tant n’est pas non plus cachée : « Il commença à ressentir effroi et angoisse » (Mc 14, 33), au point de dire : « Mon âme est triste à en mourir » (Mc 14, 34). Ce trouble intérieur s’exprime avec toute sa force dans le cri du Crucifié : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mc 15, 34).