Jean 14, 30

Désormais, je ne parlerai plus beaucoup avec vous, car il vient, le prince du monde. Certes, sur moi il n’a aucune prise,

Désormais, je ne parlerai plus beaucoup avec vous, car il vient, le prince du monde. Certes, sur moi il n’a aucune prise,
Saint Thomas d'Aquin
1974. Il donne encore une autre cause de consolation concernant son départ, cause qui se prend de celle de la mort. Or il faut savoir que la cause de la mort peut amener soit la douleur, quand quelqu'un est tué pour une faute, soit la consolation, quand quelqu'un meurt pour un bien relevant de la vertu - Qu'aucun de vous ne souffre comme homicide, ou voleur, ou médisant, ou avide du bien dautrui. Mais si c'est comme chrétien, qu'il ne rougisse pas. À propos de cela le Seigneur montre donc en premier lieu que le péché ne fut pas la cause de sa mort, et en second lieu que la cause de celle-ci fut la vertu d'obéissance et de charité [n° 1976].

1975. Il dit donc : JE NE PARLERAI PLUS BEAUCOUP AVEC VOUS, à cause de la brièveté du temps - Petits enfants, pour peu de temps encore je suis avec vous. Ou parce que vous n'êtes pas encore capables - J'ai encore beaucoup à vous dire, mais vous ne pouvez pas le porter maintenant. Ou bien JE NE PARLERAI PLUS BEAUCOUP AVEC VOUS parce qu'en une seule brève parole je vous expliquerai que je ne mourrai pas par suite de ma faute. Et cela il le fait ensuite quand il dit : EN EFFET, IL VIENT LE PRINCE DE CE MONDE, ET SUR MOI IL N'A AUCUN POUVOIR, à savoir le diable qui est dit prince non selon la raison (ratio) de création, ni en vertu d'un pouvoir naturel comme blasphèment les manichéens, mais selon la raison (ratio) de faute, et c'est pourquoi il est dit PRINCE DE CE MONDE, c'est-à-dire de ceux qui aiment le monde et le péché - Nous n'avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les princes et les puissances, contre les dominations de ce monde de ténèbres. Donc il n'est pas le prince des créatures, mais des pécheurs et des ténèbres - C'est lui qui est le roi de tous les fils de l'orgueil.

Ce prince est donc venu pour persécuter : en effet, il est entré dans le cœur de Judas afin qu'il trahisse, et des Juifs afin qu'ils tuent ; mais SUR MOI IL N'A AUCUN POUVOIR : car en nous il n'a de pouvoir qu'à cause du péché - Tout homme qui commet le péché est esclave du péché. Or dans le Christ il n'y avait aucun péché, ni selon son âme - Lui qui n'a pas commis de faute $ -, ni selon sa chair parce qu'il a été conçu de l'Esprit Saint et de la Vierge sans le péché originel - C'est pourquoi l'être saint qui naîtra de toi sera appelé Fils de Dieu. Donc, parce que le diable a attaqué même le Christ sur lequel il n'a aucun droit, il a mérité de perdre ce qu'il possédait avec justice - Qu'importe à moi et à toi, Jésus, Fils du Dieu Très-Haut ? Ainsi donc il est évident que la cause de la mort du Christ ne fut pas la faute, et qu'il n'avait pas de raison de mourir puisqu'il n'a pas de péché.

1976. Ensuite il ajoute la vraie cause qui est le bien relevant de la vertu ; et c'est pourquoi il dit : MAIS AFIN QUE LE MONDE CONNAISSE QUE J'AIME LE PÈRE, ce qui, selon Augustin, est ainsi ponctué : MAIS AFIN QUE LE MONDE CONNAISSE QUE J'AIME LE PÈRE ET COMME LE PÈRE M'EN A DONNÉ LE COMMANDEMENT, AINSI JE FAIS... LEVEZ-VOUS, PARTONS D'ICI !

Là il faut savoir que deux choses ont poussé le Christ à supporter la mort, à savoir l'amour (amor) de Dieu et l'amour (dilectio) du prochain - Marchez dans l'amour. Et il en donne une preuve en indiquant qu'il accomplit ses commandements - Si vous m'aimez, gardez mes commandements . Et quant à cela il dit : MAIS AFIN QUE LE MONDE CONNAISSE QUE J'AIME LE PÈRE, et ceci d'une manière efficace, puisque je meurs. Aussi ajoute-t-il : ET COMME LE PÈRE M'EN A DONNÉ LE COMMANDEMENT, AINSI JE FAIS, c'est-à-dire selon que le Père le pousse à subir la mort, par l'obéissance qui est causée par l'amour. Ce commandement, le Père ne l'a pas donné au Fils de Dieu qui, puisqu'il est le Verbe, est aussi le commandement du Père ; mais il l'a donné au Fils de l'homme, en tant qu'il a inspiré à son âme la nécessité, pour le salut des hommes, que le Christ mourût dans sa nature humaine. Donc AFIN QUE LE MONDE CONNAISSE (...) LEVEZ-VOUS, du lieu où ils avaient pris le repas, et PARTONS vers le lieu où je dois être livré, afin que vous voyiez que ce n'est pas par nécessité, mais par charité et obéissance que je meurs - Avec audace, il court au-devant des hommes armés.

1977. Mais selon Chrysostome il faut lire autrement : AINSI JE FAIS est la fin de la phrase, et LEVEZ-VOUS, PARTONS D'ICI est le commencement de l'autre phrase, de sorte que le sens est : Je ne meurs pas, comme si le prince de ce monde avait sur moi quelque pouvoir, mais c'est parce QUE J'AIME LE PÈRE que je fais cela. Mais vous, LEVEZ-VOUS, PARTONS D'ICI ! En effet, il voyait qu'ils avaient peur, à la fois à cause du moment, parce que la nuit était profonde, et à cause du lieu, parce qu'ils se trouvaient manifestement dans une maison et tournaient toujours les yeux vers la porte comme s'attendant à ce que des ennemis les envahissent, et qu'à cause de cela ils n'étaient pas attentifs aux choses qui leur étaient dites. Et c'est pourquoi, afin qu'ils comprennent mieux les paroles qu'il allait leur dire, il les conduit dans un autre lieu secret afin que, s'estimant en sécurité, ils écoutent plus attentivement les choses qu'il leur dirait - Je la conduirai dans la solitude, et je parlerai à son cœur.
Louis-Claude Fillion
Je ne vous parlerai plus beaucoup... Le temps va manquer à Jésus pour ces douces conversations avec les apôtres. Ils n'auront plus ensemble que de rares entretiens après la résurrection. - Le prince de ce monde. Sur ce nom de Satan, voyez 12, 31 et le commentaire. Il était l'agent principal dans la passion de Jésus ; c'est pour cela qu'il est mentionné au lieu des instruments secondaires. - Vient… Le Sauveur indique sous une forme relevée ce qui mettra une si prompte fin à leurs relations mutuelles. Le verbe est au présent. En cet instant même on tramait activement la ruine de N.-S. Jésus-Christ. - Et il n’a aucun droit sur moi. Nouvelle et vigoureuse protestation d'une parfaite innocence. Cf. 8, 29,46. Quoique Satan exerce pour un temps une certaine puissance contre N.-S. Jésus-Christ, son action est purement extérieure et superficielle : au fond, il n'y a rien, absolument rien dans le Sauveur (négation si forte), que le démon puisse revendiquer comme sien.
Fulcran Vigouroux
Vient, pour exercer sa cruauté contre moi. ― Et il n’a, etc. Et il ne trouvera rien en moi qui lui appartienne.
Catéchisme de l'Église catholique
La victoire sur le " prince de ce monde " (Jn 14, 30) est acquise, une fois pour toutes, à l’Heure où Jésus se livre librement à la mort pour nous donner sa Vie. C’est le jugement de ce monde et le prince de ce monde est jeté bas (cf. Jn 12, 31 ; Ap 12, 10). " Il se lance à la poursuite de la Femme " (cf. Ap 12, 13-16), mais il n’a pas de prise sur elle : la nouvelle Eve, " pleine de grâce " de l’Esprit Saint, est préservée du péché et de la corruption de la mort (Conception immaculée et Assomption de la très sainte Mère de Dieu, Marie, toujours vierge). " Alors, furieux de dépit contre la Femme, il s’en va guerroyer contre le reste de ses enfants " (Ap 12, 17). C’est pourquoi l’Esprit et l’Église prient : " Viens, Seigneur Jésus " (Ap 22, 17. 20) puisque sa Venue nous délivrera du Mauvais.

C’est précisément dans la Passion où la miséricorde du Christ va le vaincre, que le péché manifeste le mieux sa violence et sa multiplicité : incrédulité, haine meurtrière, rejet et moqueries de la part des chefs et du peuple, lâcheté de Pilate et cruauté des soldats, trahison de Judas si dure à Jésus, reniement de Pierre et abandon des disciples. Cependant, à l’heure même des ténèbres et du Prince de ce monde (cf. Jn 14, 30), le sacrifice du Christ devient secrètement la source de laquelle jaillira intarissablement le pardon de nos péchés.