Jean 18, 28

Alors on emmène Jésus de chez Caïphe au Prétoire. C’était le matin. Ceux qui l’avaient amené n’entrèrent pas dans le Prétoire, pour éviter une souillure et pouvoir manger l’agneau pascal.

Alors on emmène Jésus de chez Caïphe au Prétoire. C’était le matin. Ceux qui l’avaient amené n’entrèrent pas dans le Prétoire, pour éviter une souillure et pouvoir manger l’agneau pascal.
Saint Thomas d'Aquin
À propos du premier point, il fait trois choses : il décrit d'abord où eut lieu cette remise du Christ aux Gentils, puis le temps [n° 2330], et enfin le mode [n° 2331].

2329. Le lieu est le PRÉTOIRE, qui est le lieu du jugement. C'est pourquoi, dans l'armée, on avait l'habitude d'appeler « prétoire » le lieu où était la tente du chef ; de là vient qu'ici on appelle « prétoire » la maison du gouverneur. Mais comment Jésus est-il conduit à Caïphe dans le prétoire ? À cela il faut répondre qu'on pourrait dire que Caïphe les avait précédés dans la maison de Pilate pour l'informer du fait que Jésus allait lui être présenté. Dans ce cas, c'est au moment où Caïphe sortait de chez Pilate pour se rendre avec lui au prétoire, que Jésus fut remis à Pilate. Ou bien on peut dire que, Caïphe étant prince des prêtres, il avait des demeures spacieuses, si bien que dans une de leurs parties il pouvait même accueillir le gouverneur. Le sens est alors celui-ci : ILS AMÈNENT DONC JÉSUS à CAÏPHE, c'est-à-dire à sa maison, et cela AU PRÉTOIRE. Ou bien il faut dire, et là le texte grec est meilleur : ILS AMÈNENT DONC JÉSUS DE CHEZ CAÏPHE AU PRÉTOIRE ; ainsi, tout doute est enlevé.

2330. On indique ici le temps. En effet, la fourberie [de ceux qui avaient arrêté Jésus] était si grande qu'ils n'eurent aucun retard à livrer à Pilate celui qui devait être tué - « Malheur à vous qui (...) inventez le mal sur vos lits » : à la lumière du matin ils l'accomplissent, parce que leur main est contre Dieu. - L'homicide se lève de grand matin, il tue l'indigent et le pauvre. Mais à partir de là surgit une question grave. Car les trois autres évangélistes affirment que vers le début de la nuit le Seigneur fut flagellé dans la maison de Caïphe et examiné par lui - Dis-nous si tu es le Christ -, et que de grand matin il fut conduit à Pilate. Mais Jean dit qu'il fut conduit à Caïphe. Là il faut dire, si nous voulons garder notre texte, que Caïphe le vit d'abord quand il était dans la maison d'Anne, de nuit, et qu'alors Jésus put être interrogé par lui. Il reste encore un doute au sujet de ce qu'ils disent, qu'il fut flagellé dans la maison de Caïphe, mais cela est complètement résolu selon ce qu'il y a dans le grec, à savoir qu'ils l'amènent de chez Caïphe au prétoire ; parce qu'alors, selon ce texte, il fut amené de nuit de la maison d'Anne à la maison de Caïphe où il fut flagellé et interrogé, et le matin, il fut conduit de chez Caïphe au prétoire.

2331. Là est indiqué le mode de la remise du Christ aux Gentils. On signale d'abord leur vaine superstition, parce qu'ils n'entrèrent pas dans le prétoire ; en second lieu la déférence de Pilate à leur égard, puisqu'il sortit à leur rencontre. Mais sur ce que dit Jean quant au premier point, à savoir qu'ils n'entrèrent pas pour ne pas être souillés, un doute subsiste. En effet, les autres évangélistes disent que le Christ fut arrêté le soir du jour de la Cène, et c'était alors la Pâque - J'ai désiré d'un grand désir de manger cette Pâque avec vous avant de souffrir. Et que le lendemain, dès le matin, il fût conduit au prétoire. Comment donc Jean affirme-t-il ici : POUR (...) POUVOIR MANGER LA PÂQUE, puisque c'était le lendemain de la Pâque ? Devant cela, certains Grecs modernes disent que cela eut lieu le quatorzième jour après la nouvelle lune et qu'il fut crucifié le jour même où les Juifs célébraient la Pâque. Ils disent que le Christ devança la Pâque d'une journée, sachant que la mort était pour lui imminente, lors de la Pâque des Juifs ; c'est pourquoi il célébra la Pâque le soir du treizième jour après la nouvelle lune. Et ils disent cela parce qu'il était prescrit dans la Loi qu'à partir du quatorzième jour du premier mois jusqu'au vingt et unième jour du premier mois, on ne devait pas trouver de pain fermenté chez les Juifs. Aussi disent-ils que le Christ consacra son corps à partir de pain fermenté.

2332. Mais cela ne tient pas debout, pour deux raisons. D'abord parce qu'on ne trouve nulle part dans l'Ancien Testament qu'il soit permis à quelqu'un de devancer la célébration de la Pâque ; par contre, si on avait un empêchement, il était permis de la différer jusqu'au mois suivant, comme il est dit au livre des Nombres. Or le Christ n'a rien négligé des observances légales ; ils disent donc quelque chose de faux, ceux qui affirment qu'il a devancé la Pâque. En second lieu, cette interprétation ne tient pas puisqu'il est affirmé expressément en Marc que le Christ vint le jour des azymes, où il était nécessaire d'immoler la Pâque ; et Matthieu dit que le premier jour des azymes, les disciples s'approchèrent de Jésus en lui disant : « Où veux-tu que nous prépanons pour toi [ce qu'il faut] pour manger la Pâque ? » On ne doit donc pas dire que le Christ a devancé la Pâque.

2333. C'est pourquoi Chrysostome dit autrement, à savoir que le Christ, accomplissant la Loi en toutes choses, célébra la Pâque en son temps, à savoir le soir du quatorzième jour après la nouvelle lune ; mais que les Juifs étaient tellement déterminés à tuer le Christ qu'ils ne célébrèrent pas la Pâque à son jour, mais le jour suivant, à savoir le quinzième jour après la nouvelle lune. C'est pourquoi l’Évangéliste dit : POUR NE PAS ÊTRE SOUILLÉS MAIS POUVOIR MANGER LA PÂQUE, qu'ils avaient omise le jour précédent. Mais cela non plus ne tient pas, parce qu'il est dit dans les Nombres que si quelqu'un, à cause d'empêchements, ne peut pas célébrer la Pâque le quatorzième jour après la nouvelle lune du premier mois, il doit la célébrer, non pas le jour suivant, mais le quatorzième jour après la nouvelle lune du second mois.

2334. Il faut donc dire, selon Jérôme, Augustin et d'autres docteurs latins, que le quatorzième jour après la nouvelle lune est le début de la solennité ; et ce n'est pas seulement le soir qu'on appelle la Pâque, c'est toute la durée des sept jours durant lesquels on mangeait des azymes, qui devaient être mangés par les purs. C'est pourquoi les Juifs, qui auraient contracté une impureté en entrant dans le prétoire d'un juge étranger, n'y entrèrent pas, POUR NE PAS ÊTRE SOUILLÉS MAIS POUVOIR MANGER LA PÂQUE, c'est à dire les pains azymes. Mais soyons attentifs à leur aveuglement impie, parce qu'ils craignaient d'être contaminés par un Gentil, un homme païen, alors que le sang de [celui qui était] Dieu et homme, ils ne craignaient pas de le répandre - Tes bâtisseurs vinrent pour te détruire, dévastant ils s'éloignent de toi.

B. PILATE EXAMINE SA CAUSE

2335. L'Évangéliste montre ensuite la déférence de Pilate à l'égard des serviteurs du grand prêtre en disant : PILATE SORTIT DONC VERS EUX AU-DEHORS ; et comment, recevant d'eux le Christ offert (oblatum), il dit : « QUELLE ACCUSATION PORTEZ-VOUS CONTRE CET HOMME ? » II s'agit donc de l'examen du Christ, qui va être d'abord examiné par Pilate en face des accusateurs, et ensuite en privé [n° 2343].
Louis-Claude Fillion
Ces mots se rattachent aux vv. 20 et ss. Le temps présent dramatise la situation. Le sujet du verbe est indiqué par le contexte. Cf. vv. 12, 13, 24 etc. S. Jean condense les faits, sachant bien que ses lecteurs en connaissaient le détail par les évangiles antérieurs. - De chez Caïphe au prétoire. Du palais de Caïphe, situé sur la déclivité du mont Sion, à la citadelle Antonia où la tradition place la résidence temporaire de Pilate et de ses troupes, il n’y avait qu’une assez courte distance. Les Romains donnaient toujours le nom de prétoire au local occupé par un « procurator » ou par un autre officier supérieur. S. Jean est seul à l’employer ici. - C’était le matin. Tout à fait à la première aube du jour. Cf. Marc 15, 1 et Matth. 14, 25. A Rome et dans les provinces de l’empire, les affaires judiciaires se traitaient en effet « dès l’aurore » comme le dit Sénèque, De ira, 2, 7. - Ils n’entrèrent pas eux-mêmes. Détail propre à S. Jean, comme tous les suivants jusqu’à la fin du v. 32. Le narrateur appuie sur le pronom « eux-mêmes », opposant ainsi la victime à ses bourreaux juifs. Jésus, ayant été remis aux soldats romains, fut immédiatement conduit par eux dans l’intérieur du prétoire ; les Sanhédristes et la foule juive demeurèrent à la porte, dans la rue. - Afin de ne pas se souiller. Ils craignaient de contracter une souillure légale, en pénétrant dans une maison païenne qui contenait du pain fermenté et d’autres abominations. Cf. Deut. 16, 4 ; Act. 10, 28 ; 11, 2, 3. Le cas est formellement prévu dans le Talmud, Obol. 18, 7 : « Les habitations des Gentils sont impures ». Ces consciences délicates ne craindront pourtant pas de se souiller en faisant condamner l’innocence même ! « O aveuglement impie ! ils seraient souillés par la demeure d'un étranger, et ils ne le seraient point par leur propre crime ! », S. Augustin Traité 114 sur S. Jean. - Et de pouvoir manger la Pâque. Ces mots fournissent l’une de leurs principales objections aux critiques ou commentateurs d’après lesquels N.-S. Jésus-Christ aurait été crucifié le 14 nisan, veille de la Pâque, et non le 15, comme beaucoup d’autres interprètes l’affirment. D’après eux, en effet, « Pascha » serait synonyme d’agneau pascal, et c’est le soir du 14 que l’agneau était immolé et mangé. Mais leur supposition est erronée, car « Pascha » désigne ici les victimes que l’on sacrifiait et que l’on consommait dans la matinée du 15 nisan. Cela ressort nettement des passages Deut. 16, 2-3, 2 Par. 35, 7-9, et de divers textes rabbiniques qui les commentent. Dans ces passages, il est prescrit d’immoler sous le nom de « Pâque » du gros et du menu bétail ; or, comme le font remarquer les exégètes juifs, le gros bétail, c’est-à-dire les bœufs, les génisses, les veaux, étaient « in sacrificium Chaghigae ». Jamais un gros bétail n’aurait pu être employé comme agneau pascal. De plus, les victimes dites Chaghigae étant mangées vers midi, un impureté contractée le matin du même jour ne pouvait être lavée à temps pour participer à ce repas ; au contraire, s’il s’agissait de l’agneau pascal il n’y avait pas à s’inquiéter, vu que l’on avait jusqu’au soir pour se purifier. Le Talmud est formel là-dessus. « Une personne en deuil se lave et mange sa Pâque (l’agneau pascal, d’après le contexte) le soir », Pesach, c. 8. « Il y avait, à Jérusalem, des soldats qui ont pris un bain de purification et ont mangé leur Pâque le soir », Hieros. Pes. f. 36, 2. Voyez Ligthfoot, Hor. Hebr. et talm. In Marc. 14, 22 ; Wieseler, Chronolog. Synopse der vier Evangelien, p. 384 et ss. ; Patrizi, De Evangel. lib. 3, dissert. 50, n. 28 ; etc.