Jean 4, 12
Serais-tu plus grand que notre père Jacob qui nous a donné ce puits, et qui en a bu lui-même, avec ses fils et ses bêtes ? »
Serais-tu plus grand que notre père Jacob qui nous a donné ce puits, et qui en a bu lui-même, avec ses fils et ses bêtes ? »
C'est une vérité des mieux établies en effet que les grâces divines ne sont accordées qu'à ceux qui les désirent et les recherchent. Ainsi le Père fait un commandement au Sauveur de lui demander ce qu'il désire obtenir : « Demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour héritage. » (Ps 2) Nôtre-Seigneur lui-même nous en fait un précepte : « Demandez, et vous recevrez ; » (Mt 7, Lc 11) et voilà pourquoi il dit ici : « Peut-être lui en auriez-vous demandé, et il vous aurait donné une eau vive.»
Dans le sens mystique, le puits de Jacob, ce sont les maintes Ecritures, ceux qui sont versés dans la connaissance de ces saintes lettres, boivent comme Jacob et ses enfants ; les esprits simples et ignorants boivent comme les troupeaux du patriarche.
Comme le Sauveur paraissait aller contre le commandement qu'il avait fait en parlant aux Samaritains, l'Evangéliste nous donne plusieurs raisons de la conversation qu'il eut avec cette femme. D'abord il n'était point venu dans le dessein premier de s'entretenir avec des Samaritains. Mais fallait-il pour cela repousser cette femme qui venait à lui, comme le remarque l'Evangéliste : « Or, une femme de Samarie vint puiser de l'eau ? » Vous voyez que cette femme vient puiser de l'eau à cause de la chaleur.
Nôtre-Seigneur non-seulement affronte courageusement les difficultés delà route, mais se montre plein d'indifférence pour la nourriture, car ses disciples ne portaient point de vivres avec eux, comme nous le voyons par la suite du récit : « Ses disciples étaient allés dans la ville acheter de quoi manger. » L'Evangéliste nous fait encore ressortir l'humilité de Jésus qui consentait à ce qu'on le laissât seul. Il aurait pu s'il avait voulu, ou en garder quelques-uns près de lui, ou a leur défaut, avoir d'autres serviteurs, il ne le voulut pas, pour apprendre à ses disciples à fouler aux pieds tout orgueil. On me dira, peut-être, quoi d'étonnant que les disciples fussent humbles eux qui n'étaient que de simples pécheurs et des fabricants de tentes ? Mais ne sont-ils pas devenus tout d'un coup plus dignes de vénération que tous les rois, eux les amis et les intimes du Seigneur de l'univers entier ? Ne voit-on pas en effet ceux qui sortent d'une condition obscure et qui sont élevés à quelque dignité, être plus accessibles à l'orgueil, et comme incapables de supporter le poids d'un si grand honneur ? Le Seigneur donc, en maintenant ses disciples dans les mêmes sentiments d'humilité, leur apprenait à se modérer en toutes choses. Or, cette femme trouve dans ces paroles du Sauveur : « Donnez-moi à boire, » une occasion tout naturel de lui faire cette question : « Comment vous qui êtes Juif, me demandez-vous à boire à moi qui suis Samaritaine ? » Elle présuma qu'il était Juif à sa figure et à son langage. Mais voyez la circonspection de cette femme, car si Jésus devait se garder de tout commerce avec elle, elle n'avait point les mêmes raisons d'éviter tout rapport avec lui. L'Evangéliste en effet ne dit point que les Samaritains n'ont point de commerce avec les Juifs, mais que les Juifs n'ont point de commerce avec les Samaritains. Depuis le retour de la captivité, les Juifs étaient en garde contre les Samaritains et les regardaient comme des étrangers et des ennemis, car ils ne recevaient pas toutes les Ecritures, et n'admettaient que le livre de Moïse, sans tenir beaucoup de compte des prophètes. Ils prétendaient avoir part à la noblesse du peuple juif qui les avait en horreur à l'égal des autres nations infidèles.
Mais comment Jésus peut-il lui demander à boire, malgré la défense de la loi ? Dira-t-on qu'il prévoyait bien qu'elle n'accéderait pas à sa demande ? C'était une raison de ne pas la faire. Disons donc qu'il lui demande à boire parce que le temps était venu où l'on pouvait sans se rendre coupable, laisser de côté de telles observances.
L'Ecriture sainte donne à la grâce de l'Esprit saint tantôt le nom d'eau, tantôt le nom de feu, ce qui est une preuve que ces noms ne sont pas l'expression de la nature de cette personne divine, mais de son action. Le feu est l'emblème de l'efficacité et de la ferveur de la grâce pour effacer et détruire le péché, et l'eau est la figure de l'action purifiante de l'Esprit saint, et le rafraîchissement divin qu'il donne aux âmes qui le reçoivent.
Le Sauveur a déjà modifié l'opinion que cette femme avait d'abord de lui, en le regardant comme un homme ordinaire ; elle le traite avec plus d'égards, et lui donne le nom de Seigneur : « Cette femme lui dit : Seigneur, vous n'avez pas avec quoi puiser, et le puits est profond ; d'où auriez-vous donc de l'eau vive ? »
Voyez comme cette femme prétend ouvertement partager l'honneur de la nation juive. Les Samaritains, en effet, regardaient Abraham comme leur ancêtre, parce qu'il était chaldéen d'origine, et ils appelaient Jacob leur père, parce qu'il était le petit-fils d'Abraham.
Voici le sens de ces paroles : « Vous ne pouvez pas dire que Jacob nous a donné ce puits, il est vrai, mais qu'il a fait usage d'un autre. Car lui aussi bien que ses enfants ont bu de cette eau, ce qu'ils n'eussent pas fait, s'ils avaient eu une source meilleure et plus pure. Vous ne pouvez donc prétendre avoir une fontaine meilleure que celle-ci, à moins que vous ne vous donniez comme un personnage plus grand que Jacob. Mais d'où ferez-vous venir cette eau que vous me promettez ?
Cette femme est la figure de l'Eglise qui n'est pas encore justifiée, mais qui n'est pas loin de la justification. C'est comme symbole de ce qui doit arriver, qu'elle vient du milieu des étrangers. Car les Samaritains étaient des étrangers pour les Juifs quoique habitant une contrée voisine. Or, l'Eglise aussi devait venir du milieu des nations et d'une race étrangère à celle des Juifs.
Les Juifs n'auraient voulu à aucun prix se servir des vases qui étaient à l'usage des Samaritains ; aussi cette femme qui portait un vase pour puiser de l'eau, s'étonnait qu'un Juif lui demandât à boire, ce que ne faisaient jamais les Juifs.
Celui qui lui demandait à boire avait soif de la foi de cette femme. Aussi « Jésus lui répondit : Si vous connaissiez le don de Dieu, » etc.
Il cherche à lui faire comprendre que l'eau qu'il lui demandait n'était pas celle qu'elle entendait, mais qu'il avait soif de sa foi et qu'elle eût soif elle-même de l'Esprit saint qu'il désirait lui donner. Car cette eau vive, si nous la comprenons bien, c'est le don de Dieu, comme le Sauveur dit expressément : « Si vous connaissiez le don de Dieu. »
On donne ordinairement le nom d'eau vive à celle qui jaillit d'une source ; car pour l'eau de pluie qu'on recueille dans des fossés et dans des citernes, ce n'est point de l'eau vive. De même on ne peut appeler de l'eau vive l'eau qui vient d'une source, mais qu'on a recueillie dans un réservoir où ne coule pas la source d'où elle provient, et dont le cours se trouve interrompu de manière à séparer cette eau de la source qui l'a produite.
Vous voyez que la Samaritaine n'entendait par eau vive que celle qui était dans le puits, et qu'elle semble dire à Nôtre-Seigneur : Vous voulez me donner de l'eau vive, mais j'ai seule le vase nécessaire pour la puiser, et vous ne l'avez pas; vous ne pouvez donc pas me donner cette eau vive, puisque vous n'avez pas de quoi la puiser. Peut-être me promettez-vous l'eau d'une autre source, mais êtes-vous plus puissant que notre père Jacob, qui nous a donné ce puits, et en a bu lui-même, aussi bien que ses enfants et ses troupeaux ? »
Ou bien, elle appelle Jacob son père, parce qu'elle avait vécu sous la loi de Moïse, et que la nation possédait l'héritage que Jacob avait donné à son fils Joseph.
La discussion avec cette femme commence très à-propos à l'occasion de la soif qu'éprouvait le Sauveur : « Jésus lui dit : Donnez-moi a boire. » Il avait soif en effet dans sa nature humaine par suite de la fatigue et de la chaleur. — S. AUG. (Quest.83, quest. 64.) Jésus avait soif aussi de la foi de cette femme, car il a soif de la foi de tous les hommes pour lesquels il a répandu son sang.
Il appelle la grâce de l'Esprit saint une eau vive, rafraîchissante et active, car la grâce de l'Esprit saint dirige et conduit celui qui fait le bien et dispose dans son cœur les degrés, par lesquels il s'élève jusqu'à Dieu.
Elle ajoute : « Et ses troupeaux, » pour montrer combien ces eaux étaient abondants, et comme si elle disait : Cette eau est si bonne, que Jacob en a bu ainsi que ses enfants ; et elle est si abondante, qu'elle a suffi pour abreuver les nombreux troupeaux du patriarche.
Ces paroles furent sans doute prononcées « avec
un sourire d'incrédulité et d'orgueil national » (Farrar). Il y a une emphase manifeste dans le pronom et dans
le comparatif. Comment cet homme, qui n'est en apparence qu'un pauvre voyageur, peut-il afficher la
prétention de faire ce que le grand patriarche lui-même n'avait pu opérer ? Espère-t-il donner de l'eau vive,
quand Jacob a dû se borner à creuser un puits ? - Notre père Jacob. Elle appelle Jacob l'ancêtre des
Samaritains, et pourtant nous avons vu que leur origine n'était rien moins que juive : c'est tout au plus (quoi
que disent de nos jours en sens contraire plusieurs interprètes d'Allemagne), si quelques éléments israélites
s'étaient peu à peu fondus avec les races païennes déportées du Nord-Est. N.-S. Jésus-Christ lui-même les
appelle des étrangers relativement à sa nation (Luc. 17, 18), et l'on a observé que leur physionomie, assez
intéressante, n'a rien de commun avec celle des vrais enfants de Jacob. Voyez Wilson, Lands of the Bible, p.
327 ; et notre Atlas d'histoire naturelle de la Bible, pl. 112, fig. 1. Mais on conçoit qu'il leur fût agréable de
s'attribuer ce glorieux privilège; surtout, comme le dit l'historien Josèphe d'une manière piquante, lorsque
tout prospérait chez les Juifs (Ant. 9, 14, 3; 11, 8, 6, etc.). Aujourd'hui encore leurs prêtres se targuent d'être
issus de Lévi. A nous, ses héritiers naturels. - Qui nous a donné. Les détails suivants sont plein de charmes
dans leur naïveté : ils comptent parmi ceux qu'un faussaire ne saurait inventer après coup. Le sens est que le
puits de Jacob avait suffi aux besoins d'une nombreuse famille de pasteurs : que pourrait-on demander ou
donner en sus? Le mot grec employé dans ce seul passage du Nouveau Testament, désigne aussi parfois les
esclaves ; mais on admet qu'il est beaucoup mieux traduit ici par « troupeaux ».