Jean 4, 26

Jésus lui dit : « Je le suis, moi qui te parle. »

Jésus lui dit : « Je le suis, moi qui te parle. »
Origène
Il ne faut pas oublier que de même que Jésus a paru au milieu des Juifs, non-seulement en déclarant mais en prouvant qu'il était le Christ, ainsi on vit aussi paraître parmi les Samaritains un certain Dosithée qui prétendait être le Christ prédit par les prophètes.
Saint Jean Chrysostome
Cette femme comme fatiguée par la hauteur de ces sublimes enseignements, reste dans la surprise et dans l'étonnement. Elle lui dit donc : « Je sais que le Messie est sur le point de venir, » etc.

Mais comment les Samaritains pouvaient-ils attendre l'avènement du Christ ? Ils admettaient la loi de Moïse, et c'était dans les écrits de Moïse qu'ils avaient puisé cette espérance. Jacob en effet avait prophétisé l'avènement du Christ en ces termes : Le sceptre ne sera point ôté de Juda, ni le prince de sa postérité jusqu'à ce que celui qui doit être envoyé soit venu. » (Gn 49, 10.) Moïse lui-même n'avait-il pas dit : « Dieu vous suscitera un prophète du milieu de vos frères ? » (Dt 18)

Nôtre-Seigneur ne tarde pas davantage à se révéler à cette femme : « Jésus lui dit : Je le suis, moi qui vous parle. » S'il s'était fait connaître dès le commencement, il eût paru céder à un sentiment de vanité, au contraire, après qu'il a réveillé insensiblement dans l'esprit de cette femme le souvenir du Christ, cette révélation est on ne peut plus opportune. Les Juifs demandèrent un jour au Sauveur : « Si vous êtes le Christ, dites-le nous franchement. » (Jn 10) Mais il ne leur répondit que d'une manière obscure et mystérieuse, parce qu'ils lui faisaient cette demande, non dans le désir de s'instruire et pour croire en lui, mais pour le calomnier, tandis que cette femme parlait dans toute la simplicité de son cœur.
Saint Augustin
Le mot grec Christ qui veut dire en latin oint signifie en hébreu Messie. La Samaritaine savait donc déjà que c'était au Messie de l'instruire, mais elle ne connaissait pas encore que le Messie était précisément celui qui dans ce moment l'instruisait sur ce grave sujet. Voilà pourquoi elle ajouta : « Lors donc qu'il sera venu, il nous instruira de toutes choses. » Elle semble dire : Les Juifs disputent dans l'intérêt de leur temple, et nous en faveur de cette montagne, lorsque le Messie viendra, il rejettera cette montagne, il renversera le temple et nous enseignera comment il faut adorer Dieu en esprit et en vérité.

Peut-être est-ce pour confirmer l'explication allégorique qui fait voir les cinq sens du corps dans les cinq maris de cette femme, qu'après les cinq premières réponses qui sont encore charnelles dans leur objet, elle nomme le Christ à la sixième.
Saint Thomas d'Aquin
575. L’Evangéliste rapporte maintenant l’enseignement spirituel à la Samaritaine; il commence par l’exposer , puis en montre les effets . Voyons d’abord l’exposé. Le Christ commence par donner une sorte de résumé de tout son enseignement , puis Il le développe progressivement .

576. Il dit donc d’abord ceci : "Tu t’étonnes de ce que moi, un Juif, je t’aie demandé à boire, à toi, une Samaritaine; mais tu ne dois pas t’étonner, car c’est pour cela que je suis venu : pour donner à boire même aux Gentils". C’est bien ce qui est dit ici

577. Commençons par ces derniers mots et demandons-nous ce qu’il faut entendre par "l’eau". Par "l’eau", on entend la grâce de l’Esprit Saint, que l’on nomme parfois "feu", parfois "eau", pour montrer qu’elle n’est pas nommée "feu" ou "eau" selon la propriété de sa substance, mais seulement selon une similitude d’action En effet, on dit de la grâce qu’elle est un "feu" parce qu’elle élève le cœur par la ferveur et l’ardeur — Soyez fervents par l’esprit —, et parce qu’elle consume les péchés — Ses lampes sont des lampes de feu et de flammes. D’autre part on l’appelle "eau" parce qu’elle purifie — Je répandrai sur vous une eau pure et vous serez purifiés de toutes vos souillures —, parce qu’elle rafraîchit l’âme] des ardeurs de la tentation — L’eau éteint le jeu ardent — et parce que, en désaltérant, elle ôte la soif de ce qui est terrestre et de tout ce qui est temporel — Vous tous qui avez soif, venez vers les eaux...

Mais il y a deux sortes d’eau celle qui est vive et celle qui ne l’est pas. L’eau non vive est celle qui n’est pas reliée à son principe, d’où elle jaillit, mais qui, provenant de la pluie ou d’une autre origine, est recueillie et conservée, séparée de son principe, dans des fossés ou des citernes. L’eau vive, au contraire, est celle qui coule en continuité avec son principe. En ce sens la grâce de l’Esprit Saint est justement appelée "eau vive", car la grâce est donnée à l’homme de telle sorte que la source même de la grâce, c’est-à-dire l’Esprit Saint, est donnée; et c’est par Lui que la grâce est donnée — L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné . L’Esprit Saint, en effet, est la source intarissable d’où découlent tous les dons de la grâce — Tous ces dons, c’est un seul et même Esprit qui les opère, les distribuant à chacun comme Il veut . De là vient que, si quelqu’un possède un don de l’Esprit Saint sans avoir l’Esprit Lui-même, il est une eau coupée de son principe, une eau qui est donc morte et non vive — La foi sans les œuvres est morte . On voit ainsi clairement ce qu’il faut entendre par "l’eau".

578. La suite montre que chez les adultes c’est le désir, c’est-à-dire la prière de demande, qui obtient l’eau vive, c’est-à-dire la grâce — Le Seigneur exauce le désir des pauvres — parce que sans la prière de demande et le désir, la grâce n’est donnée à personne. Aussi di sons-nous que la justification de l’impie exige le libre arbitre, pour détester les péchés et désirer la grâce — Demandez et il vous sera donné . Le désir est tellement requis que le Fils Lui-même est invité à demanderDemande-moi, et je te donnerai les nations en héritage, et pour domaine les extrémités de la terre . C’est pourquoi celui qui s’oppose à la grâce ne peut la recevoir sans être d’abord amené à la désirer — Seigneur, que veux-tu que je fasse? , Et c’est pour cela que le Seigneur dit expressément à la Samaritaine : C’EST TOI PEUT ETRE QUI L’EN AURAIS PRIE. Il dit PEUT-ETRE à cause du libre arbitre par lequel l’homme tantôt désire la grâce et la demande, tantôt non

579. Mais, pour demander la grâce, le désir de l’homme est suscité de deux manières : par la connaissance du bien à désirer et par la connaissance de celui qui le donne. C’est pourquoi le Seigneur présente ici les deux choses qu’il faut connaître : d’abord le don lui-même; aussi dit-Il : SI TU SAVAIS LE DON DE DIEU, c’est-à-dire tout bien désirable qui vient de l’Esprit Saint — Je sais que je ne peux être chaste si Dieu ne me donne de l’être Voilà pour le don. Ensuite, le Seigneur présente le donateur en disant : SI TU SAVAIS QUI EST CELUI QUI TE DIT : DONNE-MOI A BOIRE, c’est-à-dire : Si tu connaissais Celui qui peut donner, et que je suis moi-même — Quand viendra le Paraclet, que moi je vous enverrai d’auprès du Père... — Il a donné des dons aux hommes .

Ainsi cet enseignement du Christ porte sur trois points : le don de l’eau vive, la demande de ce don, et son donateur.

580. L’Evangéliste va maintenant traiter explicitement de l’enseignement même du Christ quant au don , puis quant à la demande , enfin quant au donateur .

Dans son enseignement sur le don, le Seigneur montre d’abord la puissance du don , puis sa perfection . Et pour montrer la puissance du don, l’Evangéliste rapporte d’abord l’interrogation de la femme , puis la réponse du Christ .

581. A propos de cette interrogation de la femme, il faut savoir que les paroles que le Seigneur entendait de manière spirituelle, cette femme samaritaine les recevait de manière charnelle, parce qu’elle était charnelle — L’homme naturel n’accueille pas ce qui est de l’Esprit de Dieu C’est pourquoi elle s’efforçait de contredire les paroles dites par le Seigneur comme étant incohérentes et impossibles, au moyen de l’argument suivant : Tu me promets de l’eau vive, donc de l’eau de ce puits ou d’un autre. Or cela ne peut être de ce puits, car TU N’AS RIEN POUR PUISER, ET LE PUITS EST PROFOND. Et il ne semble pas croyable que tu puisses me donner de l’eau d’un autre puits, car TU N’ES PAS PLUS GRAND QUE NOTRE PERE JACOB, QUI NOUS A DONNE CE PUITS.

582. Voyons donc, toujours à propos de l’interrogation de la femme, le premier point deson argument : SEIGNEUR, TU N’AS RIEN POUR PUISER, c’est-à-dire : il te manque l’instrument voulu pour pouvoir tirer l’eau de ce puits, ET LE PUITS EST PROFOND, si bien que, sans instrument, tu ne peux atteindre l'eau avec la main.

Par la hauteur ou profondeur du puits est signifiée la profondeur de la Sainte Ecriture et de la Sagesse divine — combien est grande sa profondeur, et qui la sondera ? Quant à l’instrument avec lequel on puise l’eau de la sagesse qui donne le salut , c’est la prière — Si quelqu’un d’entre vous manque de sagesse, qu’il la demande à Dieu, qui donne à tous généreusement sans faire de blâme, et elle lui sera donnée

583. La Samaritaine montre le second point de son raisonnement en disant : SERAIS-TU PLUS GRAND, TOI, QUE NOTRE PERE JACOB QUI NOUS A DONNE CE PUITS? Comme si elle disait : As-tu une eau meilleure à nous donner que celle que nous a donnée Jacob? Si elle appelle Jacob son père, ce n’est pas que les Samaritains soient de la race de Jacob, comme il ressort de ce qui a été dit plus haut , mais parce qu’ils avaient la Loi de Moïse et qu’ils étaient entrés dans la Terre promise à la descendance de Jacob.

Cette femme fait valoir ce puits pour trois raisons. D’abord à cause de l’autorité de celui qui l’a donné : NOTRE PERE JACOB, QUI NOUS A DONNE CE PUITS.

Ensuite parce que l’eau de ce puits était de l’eau douce; c’est pour cela qu’elle dit que Jacob lui-même en a bu, ainsi que ses fils, car si l’eau n’avait pas été douce, ils n’en auraient pas bu, mais l’auraient laissée à leurs troupeaux. Enfin à cause de l’abondance de l’eau : leurs troupeaux aussi en ont bu. En effet, puisque c’était de l’eau douce, ils n’en auraient pas donné à leurs troupeaux si elle n’avait pas été très abondante.

De même la Sainte Ecriture est grande en vertu de son autorité, parce qu’elle a été donnée par l’Esprit Saint; délectable par sa douceur — Que tes paroles sont douces à mon palais et féconde par son abondance, car elle est communiquée non seulement aux sages, mais aussi aux insensés

584. L’Evangéliste expose ici la réponse du Seigneur, réponse où Il explicite le pouvoir de son enseignement, en référence à ce qu’Il avait dit précédemment, à savoir que cet enseignement est une eau et qu’il est une eau vive .

585. Le Seigneur montre donc en premier lieu que son enseignement est la meilleure des eaux puisqu’il a les effets de l’eau, c’est-à-dire qu’il enlève la soif, et qu’il l’enlève bien mieux que cette eau matérielle. En cela le Christ montre qu’Il est plus grand que Jacob. Tel est en effet le sens de sa réponse : Toi, tu dis que Jacob vous a donné ce puits, mais moi je donnerai une eau meilleure, car QUICONQUE BOIRA DE CETTE EAU, c’est-à-dire de l’eau matérielle ou de l’eau du désir et de la concupiscence charnelle, s’il assouvit son appétit pour un temps, AURA ENCORE SOIF, car insatiable est l’appétit du plaisir — Quand me réveillerai-je et trouverai-je encore du vin? MAIS CELUI QUI BOIRA DE L’EAU spirituelle QUE MOI JE LUI DONNERAI N’AURA PLUS JAMAIS SOIF — Voici que mes serviteurs boiront, et vous, vous aurez soif .

586. Cependant il est dit dans l’Ecclésiastique : Ceux qui me boivent auront encore soif . Comment donc n’au ra-t-il plus jamais soif, celui qui aura bu de cette eau qu’est la divine Sagesse, alors que la Sagesse dit elle-même : Ceux qui me boivent auront encore soif?

Il faut répondre que les deux sont vrais, et cela pour deux raisons. En effet, celui qui boit de l’eau que donne le Christ, à la fois a encore soif et n’a plus soif, alors que celui qui boit de l’eau matérielle, lui, aura encore soif. D’abord parce que l’eau matérielle et sensible n’est pas perpétuelle et que sa cause non plus ne l’est pas, car il n’est pas nécessaire qu’elle existe; il faut donc aussi que son effet cesse — Toutes ces choses ont passé comme une ombre . L’eau spirituelle, au contraire, a une cause qui dure toujours : c’est l’Esprit Saint, qui est source de vie , une source qui ne tarit jamais. Voilà pourquoi celui qui boit de cette eau n’aura plus jamais soif, comme n’aurait jamais soif celui qui aurait en son sein une source d’eau vive.

La seconde raison est qu’il y a une différence entre réalité spirituelle et réalité temporelle. Toutes deux engendrent la soif, mais de manière tout autre : une réalité temporelle possédée donne soif, non d’elle-même, mais d’une autre; tandis qu’une réalité spirituelle supprime la soif d’une autre réalité et donne soif d’elle-même. La raison en est que la réalité temporelle, avant d’être possédée, est estimée de grand prix et suffisante pour apaiser le désir; mais que, une fois qu’elle est possédée, on ne la trouve ni si grande, ni suffisante pour apaiser le désir, et c’est pourquoi elle ne rassasie pas le désir au point de l’empêcher de se porter vers la possession d’autre chose. La réalité spirituelle, au contraire, n’est connue que quand elle est possédée — Nul ne connaît le nom nouveau hormis celui qui le reçoit . C’est pourquoi, avant d’être possédée, elle ne meut pas le dé sir; mais dès qu’elle est possédée et connue, alors elle réjouit la volonté aimante et meut le désir, non certes pour qu’il se porte vers la possession d’autre chose, mais parce que, imparfaitement saisie à cause de l’imperfection de celui qui la reçoit, elle le meut afin d’être elle-même possédée parfaitement. C’est de cette soif qu’il est dit : Mon âme a soif de Dieu, source vive Or cette soif n’est jamais enlevée totalement en ce monde, parce que nous ne pouvons, en cette vie, saisir parfaitement les biens spirituels; et c’est pourquoi celui qui boira de cette eau aura encore soif de sa perfection; mais il n’au ra plus soif comme il aurait soif si l’eau venait à manquer, car il est écrit Les fils des hommes (...) seront enivrés de l’abondance de ta maison . Mais dans la vie de la gloire, où ils boivent parfaitement l’eau de la grâce divine, les bienheureux n’ont PLUS JAMAIS SOIF : Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice en ce monde, parce qu’ils seront rassasiés dans la vie de la gloire .

587. En disant que l’eau qu’Il donnera deviendra, en celui à qui Il la donnera, SOURCE D’EAU JAILLISSANT EN VIE ETERNELLE, le Seigneur présente son enseignement comme une eau vive en raison du mouvement de cette eau; Il parle donc d’une source dont l’eau s’écoule — Le cours d’un fleuve abondant réjouit la cité de Dieu .

Mais autre est le cours de l’eau matérielle, qui descend, autre celui de l’eau spirituelle, qui s’élève . Aussi le Christ affirme-t-Il : Je dis que l’eau matérielle est telle qu’elle ne supprime pas la soif, mais que l’eau que moi je donne, non seulement enlève la soif, mais est vive, parce qu’elle est reliée à sa source. C’est pourquoi Il dit qu’elle deviendra, en celui à qui Il la donne, une source : oui, une SOURCE conduisant par les œuvres bonnes jusqu’à la vie éternelle; et une source D’EAU JAILLISSANT, c’est-à-dire qui fait bondir dans la VIE ETERNELLE, là où il n’y a plus de soif — Celui qui croit en moi, des fleuves d’eau vive, c’est-à-dire des fleuves de désirs ardents , couleront de son sein . Auprès de toi est la source de vie .

588. L’Evangéliste montre ici comment la femme reçoit le don. Il expose d’abord la manière de le recevoir , puis montre comment la femme est confondue .

La manière de recevoir le don dépend, comme on l’a dit, de la prière de demande. Aussi expose-t-on d’abord la demande de la femme , puis la réponse du Christ .

589. Concernant la demande de la femme, il faut noter qu’au début de leur entretien, la femme ne donna pas au Christ le titre de "Seigneur", mais l’appela simplement "Juif", en disant Comment, toi qui es Juif, tu me demandes à boire? Mais dès qu’elle comprend qu’Il lui sera utile car Il pourra lui donner de l’eau, elle L’appelle "Seigneur" : SEIGNEUR, DONNE-LA MOI, CETTE EAU. En effet, parce qu’elle avait compris la réponse du Christ d’une manière charnelle et qu’elle était astreinte à une double nécessité corporelle, d’une part la soif, d’autre part le labeur consistant à venir jusqu’au puits et à porter l’eau, elle fait allusion, en demandant l’eau, à ces deux choses : QUE JE N’AI PLUS SOIF et QUE JE NE VIENNE PLUS ICI POUR PUISER. Il est en effet naturel à l’homme de fuir le labeur — Ils ne prennent pas part au labeur des hommes .

590. A cette demande de la femme le Seigneur répond : VA, APPELLE TON MARI ET VIENS ICI – Mais notons bien que si le Seigneur répondait d’une manière spirituelle, la femme, elle, comprit d’une manière charnelle.

On peut comprendre la réponse spirituelle de Jésus de deux manières. Selon Chrysostome , le Seigneur ne voulait pas donner l’eau de son enseignement spirituel à la femme seule, mais aussi et spécialement à son mari; car, comme le dit l’Apôtre, le chef de la femme, c’est l’homme , et à cause de cela il voulait que les préceptes de Dieu parvinssent aux femmes par l’intermédiaire de l’homme Si elles veulent s’instruire de quelque chose, qu’elles interrogent leur mari à la maison . Voilà pour quoi le Seigneur dit VA, APPELLE TON MARI ET VIENS ICI – Alors, avec lui et par lui je te donnerai cette eau.

Augustin donne de ces paroles une autre interprétation, qui est mystique : de même que le Seigneur, en parlant de l’eau, parlait en figures, de même le fait-Il en parlant du mari. Ce mari, d’après Augustin, c’est l’intelligence. En effet, la volonté conçoit et enfante par la puissance cognitive qui la meut; par suite, la volonté est comme une femme et la raison qui meut la volonté est son mari. Ainsi, parce que la femme, c’est-à-dire la volonté, tout en étant prompte à recevoir, n’était pas mue par l’intelligence et la raison pour comprendre de façon spirituelle les paroles du Christ, mais était encore prisonnière des sens, le Seigneur lui dit : VA, toi qui es sensuelle, APPELLE TON MARI, c’est-à-dire fais appel à l’intelligence raisonnable pour que tu puisses entendre d’une manière spirituelle et intelligible ce que maintenant tu goûtes charnellement, ET VIENS ICI, en comprenant ce que je dis sous la conduite de l’intelligence raisonnable.

591. La femme est ici confondue. L’Evangéliste rapporte en premier lieu sa réponse , puis la réplique du Christ qui la confond .

592. Concernant le premier point, il faut savoir que la femme, voulant cacher sa honte et ne voyant dans le Christ qu’un homme, Lui donna sans doute une réponse qui était vraie, mais tut néanmoins son déshonneur et le cacha en le déguisant; car, selon l’Ecriture, toute femme qui se prostitue sera foulée aux pieds comme du fumier sur un chemin . C’est pourquoi elle Lui répondit en disant : JE N’AI PAS DE MARI; et c’était vrai, car bien que précédemment elle en ait eu plusieurs, jusqu’à cinq, à présent elle n’avait pas de mari légitime, mais vivait avec quelqu’un. Aussi est-elle confondue par le Seigneur.

593. Jésus lui dit donc : "TU AS BIEN DIT : "JE N’AI PAS DE MARI", c’est-à-dire de mari légitime, CAR TU AS EU CINQ MARIS, ET CELUI QUE TU AS MAIN TENANT, c’est-à-dire celui avec qui tu vis comme s’il était ton mari, N’EST PAS TON MARI; EN CELA TU AS DIT VRAI – tu n’as pas de mari. Le Seigneur lui dit ces faits qu’Il n’avait pas appris d’elle et qui semblaient Lui être cachés, afin de réveiller en elle l’intelligence spirituelle et de l’amener à croire qu’il y a en Lui quel que chose de divin .

594. Au sens mystique, les cinq maris sont les cinq livres de Moïse , parce que les Samaritains, comme on l’a dit, les acceptaient Aussi le Seigneur dit-Il : TU AS EU CINQ MARIS, ET CELUI QUE TU AS MAIN TENANT, c’est-à-dire celui que tu écoutes, le Christ, N’EST PAS TON MARI, car tu ne crois pas en Lui.

Cependant, pour Augustin , cette explication n’est pas bonne, parce que c’est après avoir abandonné cinq maris que cette femme était venue à celui qu’elle avait maintenant; mais ceux qui viennent au Christ n’abandonnent pas les cinq livres de Moïse. Il faut donc donner une autre explication : TU AS EU CINQ MARIS, c’est-à-dire cinq sens dont tu usais jusqu’à présent; ET CELUI QUE TU AS MAINTENANT, c’est-à-dire ta raison égarée qui te fait entendre d’une manière encore charnelle des paroles spirituelles, N’EST PAS TON MARI légitime, mais un adultère; rejette donc cette erreur adultère, qui te pervertit, ET APPELLE TON MARI, je veux dire ton intelligence, afin de me comprendre.

595. Il s’agit ici de la demande par laquelle le don est obtenu, et qui est la prière. Pour commencer, l’Evangéliste expose la question de la femme à propos de la prière ; puis il donne la réponse du Christ .

Avant de poser sa question , la femme commence par reconnaître l’aptitude du Christ à lui répondre .

596. Après avoir entendu ce que le Christ lui avait manifesté de choses qui étaient cachées, cette femme, qui jusqu’alors avait cru qu’Il n’était qu’un homme, proclame maintenant qu’Il est un prophète, capable d’éclaircir ses doutes. C’est le propre des prophètes d’annoncer des choses éloignées et inconnues — Celui qu’autrefois on appelait voyant, on le nomme maintenant prophète La femme Lui dit donc : "SEIGNEUR, JE VOIS QUE TU ES UN PROPHETE"; autrement dit : En me disant ce que j’ai caché, tu montres que tu es un prophète. Ici, selon Augustin , il est manifeste que son mari commence à revenir à elle. Mais il n’est pas encore revenu pleinement, puisqu’elle prenait le Seigneur pour un prophète; or, bien qu’Il fût prophète — Un prophète n’est méprisé que dans sa propre patrie —, Il était cependant plus qu’un prophète, Lui qui fait les prophètes : La Sagesse se répand parmi les nations dans les âmes saintes, et en fait des amis de Dieu et des prophètes .

597. Dans cette question qu’elle pose sur la prière, il faut admirer le zèle aimant de cette femme; car les femmes sont ordinairement curieuses et vaines, et non seulement vaines, mais aussi oisives comme le dit l’Apôtre; mais celle-ci n’interrogeait ni sur des questions mondaines, ni sur l’avenir, mais sur les choses de Dieu — Cherchez d’abord le Royaume de Dieu .

Elle pose d’abord une question à propos de ce dont les gens du pays avaient coutume de discuter, c’est-à-dire à propos du lieu de l’adoration, qui faisait l’objet d’une controverse entre Juifs et Samaritains. NOS PERES, dit-elle, ONT ADORE SUR CETTE MONTAGNE, ET VOUS DITES, VOUS, QUE C’EST A JERUSALEM QU’EST LE LIEU OU IL FAUT ADORER. A ce propos il faut savoir que les Samaritains qui honorent Dieu (selon les commandements de la Loi) construisirent un temple pour pouvoir L’y adorer sans aller à Jérusalem, à cause des Juifs qui leur étaient hostiles; et ce temple, ils le bâtirent sur le mont Garizim, tandis que les Juifs, eux, avaient le leur sur le mont Sion. D’où la question débattue entre eux, de savoir lequel de ces deux monts était le lieu le plus convenable pour la prière. Les uns aussi bien que les autres avançaient des arguments en faveur de leur point de vue; les Samaritains, notamment, soutenaient qu’il était préférable d’adorer sur le mont Garizim parce que les anciens pères y adorèrent le Seigneur. Voilà pourquoi la femme dit : NOS PERES ONT ADORE SUR CETTE MONTAGNE.

598. Par ces "pères" ont peut entendre ceux du temps d’Abraham, car d’après Chrysostome certains di sent que c’est sur cette montagne qu’Abraham offrit son fils , bien que d’autres disent que ce fut sur le mont Sion On peut dire aussi que l’expression NOS PERES désigne Jacob et ses fils qui, selon la Genèse et comme on l’a dit plus haut , demeurèrent à Sichem, qui est située près du mont Garizim, et qui peut-être adorèrent là le Seigneur. Ou bien on peut dire que l’expression NOS PERES désigne les fils d’Israël qui adorèrent sur cette montagne lorsque Moïse leur prescrivit de monter sur le mont Garizim pour bénir ceux qui observaient les préceptes du Seigneur .

Les Juifs, eux, disent qu’il faut prier à Jérusalem, en vertu de l’autorité du Seigneur qui leur ordonna de détruire les autels et les pieux sacrés et de ne pas L’adorer n’importe où , mais en un lieu unique et déterminé qu’Il avait Lui-même choisi . Ce lieu de prière fut d’abord Silo; puis, sur l’ordre de David, de Salomon et du prophète Nathan , l’arche de Dieu fut transportée de Silo à Jérusalem et là fut bâti le Temple, selon ce que dit le Psaume : Dieu rejeta la demeure de Silo (...) mais Il choisit la tribu de Juda, la montagne de Sion qu’il a aimée . Et c’est pourquoi il est dit dans Isaïe : C’est devant cet auquel que vous adorerez . Ain si, les Samaritains avançaient en leur faveur l’autorité des pères; et les Juifs, celle des prophètes, que les Samaritains ne recevaient pas.

Voilà donc la question que pose la femme. Il ne faut pas s’en étonner ni se demander qui l’avait ainsi instruite, car il arrive fréquemment, dans les pays où règnent des croyances diverses, que même les gens simples en soient informés. Ainsi, parce que les Samaritains avaient été en perpétuel litige avec les Juifs, même les femmes et les gens simples étaient instruits à ce sujet.

599. L’Evangéliste donne maintenant la réponse du Christ, qui commence par distinguer trois formes de prière , pour ensuite les comparer entre elles (n° .

600. Le Christ, parce qu’Il va parler de choses très élevées, commence par éveiller l’attention de la femme en disant : CROIS-MOI, c’est-à-dire fais preuve de foi, car partout la foi est nécessaire : Celui qui s’approche de Dieu doit croire ; et, selon une variante d’Isaïe : Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas . Puis Il lui dévoile trois formes d’adoration, dont deux existaient déjà, mais dont une autre était encore attendue. Des deux déjà existantes, l’une était celle des Samaritains qui priaient sur le mont Garizim; le Christ l’évoque ainsi : ELLE VIENT, L’HEURE OU CE N’EST PAS SUR CET TE MONTAGNE, c’est-à-dire sur le mont Garizim, QUE VOUS ADOREREZ LE PERE. L’autre adoration est celle des Juifs, qui priaient sur le mont Sion, à Jérusalem; le Christ l’évoque en disant : NI A JERUSALEM. La troisième forme d’adoration reste à venir, elle est attendue et est autre que les deux premières; car si vient une heure où l’on n’adorera ni sur le mont Garizim, ni à Jérusalem, il est manifeste qu’il y aura une troisième adoration. Et certes il fallait que l’adoration du Christ supprimât les deux autres. Car si l’on veut unir deux peuples en un seul , il faut écarter de l’un et l’autre ce qui les divise, puis leur donner quelque chose qui leur soit commun, en quoi ils s’accordent. Le Christ, donc, voulant unir Juifs et Gentils, a enlevé aux Juifs leurs cérémonies et aux Gentils l’idolâtrie, qui à elles deux formaient comme un mur de dissension entre eux, puis des deux peuples Il en a fait un seul — Car c’est Lui qui est notre paix, Lui qui des deux en a fait un seul, détruisant en sa chair le mur de séparation, leurs inimitiés . Ain si, ayant fait cesser le culte rituel des Juifs et l’idolâtrie des Gentils, le Christ a introduit le vrai culte de Dieu.

601. Mais au sens mystique, selon Origène , il faut entendre, par les trois adorations, trois participations à la Sagesse divine. Certains, en effet, y participent bien qu’elle demeure voilée par les ténèbres de l’erreur; ceux-là adorent sur la montagne, car toute erreur a pour cause l’orgueil — Je viens à toi, montagne pestilentielle, dit le Seigneur, toi qui corromps toute la terre . D’autres participent sans erreur à la Sagesse divine elle-même, mais de manière imparfaite, comme dans un miroir et en énigme ; ceux-ci adorent à Jérusalem, qui signifie l’Eglise présente dont le psaume dit : Bâtissant Jérusalem, le Seigneur rassemblera les enfants dispersés d’Israël . Quant aux bienheureux et aux saints, ils participent à la Sagesse sans erreur et de manière parfaite, parce qu’ils voient Dieu comme Il est — Nous savons que lorsqu’il apparaîtra nous Lui serons semblables, parce que nous Le verrons tel qu’Il est .

602. Le Christ compare maintenant entre elles les adorations susdites. Il compare d’abord la seconde à la première , puis la troisième à la première et à la seconde .

Pour comparer la seconde adoration à la première, le Christ montre d’abord l’insuffisance de la première , puis la vérité de la seconde ; enfin il en donne les raisons .

603. Il pourrait sembler que le Seigneur aurait dû relever ce qu’il y avait de vrai dans la question de la femme, et résoudre le problème qu’elle posait. Mais Il ne s’en soucie pas, car l’une et l’autre adoration devaient cesser.

Quant à ces paroles : VOUS ADOREZ, VOUS, CE QUE VOUS NE CONNAISSEZ PAS, il faut savoir que, pour le Philosophe, autre est la connaissance des réalités composées, autre celle des réalités simples. En effet, les réalités composées peuvent n’être connues que sous un certain aspect, de sorte que sous un autre elles demeurent inconnues, ce qui entraîne que l’on puisse avoir d’elles une connaissance fausse. Par exemple, celui qui a d’un animal une connaissance vraie quant à sa substance, peut cependant se tromper dans la connaissance des accidents — ne pas discerner s’il est blanc ou noir — ou de l’espèce — si c’est un volatile ou un quadrupède. Mais on ne peut en aucune manière avoir des réalités simples une connaissance fausse : ou bien on les connaît parfaitement en connaissant leur quiddité, ou bien, si on ne peut atteindre leur quiddité, on ne les connaît en aucune manière Ainsi, puisque Dieu est absolument simple, si l’on a de Lui une connaissance fausse, ce ne peut être en connaissant quelque chose de Lui et en ignorant de Lui autre chose; cela ne peut venir que de ce qu’Il n’est pas atteint et qu’Il reste inconnu. Par conséquent, quiconque croit que Dieu est quelque chose qu’Il n’est pas, par exemple un corps ou autre chose de ce genre, n’adore pas Dieu, parce qu’il ne Le connaît pas, mais adore autre chose.

Or les Samaritains avaient de Dieu une opinion doublement fausse. En premier lieu, ils Le croyaient corporel, et par suite croyaient qu’Il était localisé dans un lieu unique, corporel, et que c’était en cet endroit qu’il fallait L’adorer. De plus, ils ne croyaient pas qu’Il est au-dessus de tout mais Le pensaient égal à certaines créatures; aussi, avec Lui, adoraient-ils des idoles, comme si elles Lui étaient égales. Ils ne Le connaissaient donc pas, puisqu’ils ne parvenaient pas à une connaissance vraie de Lui. Voilà pourquoi le Seigneur dit VOUS ADOREZ, VOUS, CE QUE VOUS NE CONNAISSEZ PAS, et vous n’adorez pas Dieu, car ce n’est pas Lui que vous connaissez, mais ce que vous avez imaginé et que vous prenez pour Dieu — Les nations marchent dans la vanité de leurs pensées, leur intelligence étant obscurcie par des ténèbres...

604. En ce qui concerne la vérité de l’adoration des Juifs, le Seigneur déclare NOUS ADORONS, NOUS, CE QUE NOUS CONNAISSONS. Il se compte au nombre des Juifs, parce qu’Il était de race juive et que, de plus, la femme Le regardait comme un prophète juif. NOUS ADORONS, dit-Il, CE QUE NOUS CONNAISSONS; car les Juifs avaient, par la Loi et les Prophètes, une connaissance ou une appréciation vraie de Dieu ils ne Le croyaient pas corporel, ni présent dans un lieu déterminé, comme si sa majesté pouvait être conte nue dans un lieu — Voici que les cieux et les cieux des cieux ne peuvent te contenir; combien moins cette mai son que j’ai bâtie ! Ils n’adoraient pas non plus des idoles; c’est pourquoi il est dit : Dieu est connu en Judée, son Nom est grand en Israël .

605. Le Seigneur donne la raison de ce qu’Il vient de dire en ajoutant : PARCE QUE LE SALUT VIENT DES JUIFS. Autrement dit : les Juifs possédaient seuls la vraie connaissance de Dieu, parce que le salut du monde devait venir d’eux et que, comme le principe de la santé doit être quelque chose de sain, ainsi le principe du salut, salut qui est obtenu par la connaissance et le vrai culte de Dieu, doit avoir une connaissance vraie de Dieu. C’est pourquoi, puisque c’est des Juifs que devaient venir le principe et la cause du salut, c’est-à-dire le Christ — En ta descendance seront bénies toutes les nations —, il fallait que Dieu fût connu en Judée.

606. Il y a trois aspects sous lesquels le salut est venu des Juifs. En premier lieu l’enseignement de la vérité; car, alors que toutes les nations étaient dans l’erreur, les Juifs persévéraient dans la vérité — Qu’est-ce donc que le Juif a de plus? (...) Premièrement, c’est à eux qu’ont été confiées les paroles de Dieu . Ensuite, les dons spirituels; car c’est d’abord à eux que furent donnés la prophétie et les autres dons de l’Esprit Saint, et c’est d’eux que ces dons parvinrent aux autres — Toi, c’est-à-dire les Gentils, alors que tu étais un olivier sauvage, tu as été greffé sur eux, c’est-à-dire sur les Juifs . Si donc les Gentils ont eu part à leurs biens spirituels, c’est-à-dire à ceux des Juifs, ils doivent à leur tour les servir dans les choses temporelles . Enfin, c’est des Juifs qu’est venu l’auteur même du salut, qui est issu d’eux selon la chair : C’est d’eux que le Christ est issu selon la chair .

607. Jésus compare ici la troisième adoration aux deux premières; Il montre d’abord son éminence par rapport aux deux autres , puis montre la convenance de cette adoration éminente .

608. Mais au sujet de l’éminence de cette troisième adoration il faut remarquer, d’après Origène , que plus haut le Seigneur, parlant de cette même adoration — ELLE VIENT, L’HEURE OU CE N’EST NI SUR CETTE MONTAGNE NI A JERUSALEM QUE VOUS ADOREREZ LE PERE —, n’a pas ajouté "et c’est maintenant"; tandis qu’ici, parlant toujours de cette adoration, Il dit : ELLE VIENT, L’HEURE, ET C’EST MAINTENANT.

C’est que plus haut Il a parlé de l’adoration dans la patrie, qui nous fera participer à une connaissance par faite de Dieu et qui n’est pas encore venue pour ceux qui vivent dans cette chair mortelle; tandis qu’ici, Il parle de l’adoration exercée en cette vie et qui nous est déjà communiquée par le Christ.

609. C’est pourquoi Il dit ELLE VIENT, L’HEURE — ET C’EST MAINTENANT — OU LES VRAIS ADORATEURS. ADORERONT LE PERE EN ESPRIT ET EN VERITE. Cette affirmation peut s’entendre de plusieurs manières. On peut en premier lieu, avec Chrysostome comprendre que l’ensemble de la phrase montre la prééminence de cette adoration sur celle des Juifs. Le sens est alors le suivant : comme l’adoration des Juifs l’emporte sur celle des Samaritains, ainsi l’adoration des chrétiens l’emporte sur celle des Juifs. Et cela de deux manières. D’abord parce que l’adoration des Juifs s’exerce dans des cérémonies corporelles — Ce ne sont que prescriptions pour le corps, imposées jusqu’au temps du redressement , tandis que celle des chrétiens est avant tout spirituelle. Ensuite parce que l’adoration des Juifs était en figures. En effet ses victimes, en tant que réalités matérielles ne plaisaient pas à Dieu] — Mangerai-je la chair des taureaux, ou boirai-je le sang des boucs? Si tu avais voulu un sacrifice, je te l’au rais certes offert; mais les holocaustes ne te sont pas agréables , c’est-à-dire : dans leur réalité matérielleCependant ces victimes étaient agréables à Dieu en tant qu’elles étaient les figures de la vraie victime et du vrai sacrifice — La Loi possède l’ombre des biens à venir, non l’image même des réalités . L’adoration des chrétiens, elle, est l’adoration EN VERITE, parce qu’en elle-même elle plaît à Dieu — La grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ . Voilà pourquoi le Seigneur, pour manifester l’éminence de cette adoration, dit que LES VRAIS ADORATEURS ADORERONT EN ESPRIT, pour montrer qu’ils n’adoreront pas par des cérémonies corporelles, ET EN VERITE, pour montrer qu’ils n’adoreront pas en figure.

610. Dans cette affirmation on peut encore comprendre que le Seigneur, par ces deux mots : EN ESPRIT ET EN VERITE, veut montrer ce qui différencie cette adoration non seulement de celle des Juifs, mais encore de celle qui était propre aux Samaritains. EN ESPRIT la distingue de celle des Juifs, pour la raison qu’on a dite plus haut, en EN VERITE de celle des Samaritains, car celle-ci était dans l’erreur, puisque les Samaritains ado raient ce qu’ils ne connaissaient pas, alors que l’adoration des chrétiens implique la vraie connaissance de Dieu.

611. Enfin on peut, dans les mots EN ESPRIT ET EN VERITE, lire la condition d’une vraie adoration. Deux choses en effet sont requises pour que la prière soit bonne et vraie. La première est que la prière soit spirituelle; c’est pourquoi le Christ dit EN ESPRIT, c’est-à-dire dans la ferveur de l’esprit — Je prierai avec l’esprit, mais je prierai aussi avec l’intelligence chantant et célébrant le Seigneur de tout mon cœur . L’autre est qu’elle soit dans la vérité, et en premier lieu la vérité de la foi, car sans la vérité de la foi aucune ferveur du désir spirituel n’est apte à mériter — Si quel qu’un d’entre vous manque de sagesse, qu’il la demande à Dieu (...); mais qu’il la demande avec foi, sans hésitation . EN VERITE veut dire aussi sans feinte ni simulation Lorsque vous priez, vous ne serez pas comme les hypocrites, qui aiment à prier debout dans les synagogues et aux coins des places, afin d’être vus des hommes . Pour la prière sont donc requises la ferveur de la charité (EN ESPRIT), puis la vérité de la foi et la droiture d’intention (EN VERITE). Et si le Christ dit que les vrais adorateurs adoreront le Père, c’est parce que sous la Loi les Juifs n’adoraient pas le Père, mais le Seigneur. Nous, nous adorons en fils, par amour, alors qu’eux adoraient comme des serviteurs, par crainte.

612. Ainsi, en parlant des vrais adorateurs, le Christ exclut, d’après ce qu’on vient de dire, trois choses : la fausseté de l’adoration des Samaritains — Rejetant le mensonge, dites la vérité le caractère vain et transitoire des cérémonies corporelles — Pourquoi aimez-vous la vanité et cherchez-vous le mensonge? enfin ce qui n’était que figure — La grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ

613. En disant ensuite : TELS SONT LES ADORA TEURS QUE CHERCHE LE PERE. DIEU EST ESPRIT..., le Christ montre la convenance de cette troisième adoration. Il la montre en se référant d’abord à la volonté de Celui qui est adoré et à ce qui Lui est agréable, et ensuite à sa nature même .

614. Sachons d’abord que, pour que quelqu’un mérite de recevoir ce qu’il demande, il doit demander des choses qui ne soient pas contraires à la volonté de celui qui donne, et doit les demander d’une manière qui lui soit agréable. Voilà pourquoi, quand nous prions Dieu, il nous faut être tels que Dieu nous veut. Or Dieu cherche des hommes qui L’adorent EN ESPRIT ET EN VERITE, c’est-à-dire dans la ferveur de la charité et la vérité de la foi — Et maintenant, Israël, que demande de toi le Seigneur ton Dieu, si ce n’est que tu craignes le Seigneur ton Dieu, que tu marches dans ses voies et que tu L’aimes, et que tu serves le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur et de toute ton âme (...) pour que tu aies le bonheur? — Je vais t’indiquer, ô homme, ce qui est bon, et ce que le Seigneur réclame de toi : c’est de pratiquer la justice, d’aimer la miséricorde, et de marcher humblement avec ton Dieu .

615. Cette convenance la troisième adoration, le Christ la montre aussi en se référant à la nature même de Dieu : DIEU EST ESPRIT. Car de même que, comme le dit l’Ecclésiastique, Tout vivant aime son semblable , ainsi Dieu nous aime dans la mesure où nous Lui ressemblons; or nous ne Lui ressemblons pas par le corps, parce qu’Il est incorporel, mais par l’esprit, parce que DIEU EST ESPRIT. Renouvelez-vous, dit l’Apôtre, par l’esprit de votre esprit En disant DIEU EST ESPRIT, le Christ souligne l’incorporéité de Dieu — Un esprit n’a ni chair ni os et de même son action vivifiante, car toute notre vie vient de Dieu comme de son principe efficient. Et Dieu est aussi Vérité — Je suis la voie, la vérité et la vie . Voilà pourquoi c’est EN ESPRIT ET EN VERITE qu’il faut L’adorer.

616. Il s’agit ici du donateur, de l’auteur du don dont le Seigneur avait parlé plus haut : SI TU SAVAIS LE DON DE DIEU, ET QUI EST CELUI QUI TE DIT : DONNE-MOI A BOIRE... L’Evangéliste expose d’abord la confession de foi de la femme , puis l’enseignement du Christ .

Dans sa confession de foi, la femme commence par proclamer sa foi au Christ qui doit venir , puis elle affirme la perfection de son enseignement .

617. Sachons que la femme, toute retournée par la profondeur des paroles du Seigneur, resta interdite, sans pouvoir les comprendre. Elle Lui dit donc JE SAIS QUE LE MESSIE VIENT, CELUI QU’ON APPELLE CHRIST, comme pour dire : Je ne comprends pas tes paroles, mais un jour le Messie viendra, et alors nous connaîtrons tout cela. L’hébreu "Messie" se dit en latin "Oint", et en grec "Christ" . Cette femme savait que le Messie viendrait parce qu’elle l’avait appris par les livres de Moïse, où fut annoncée la venue du Christ : Le sceptre ne sera pas enlevé de Juda, ni le chef de sa descendance, jusqu’à ce que vienne celui qui doit être envoyé Comme le note Augustin, cette parole de la femme est la première où elle nomme le Christ, ce qui donne à entendre que, laissant ses cinq sens corporels, elle a commencé désormais à revenir à son mari légitime

618. Ce Messie, lorsqu’Il sera venu, nous donnera un enseignement parfait; voilà ce qu’elle veut dire par ces paroles : IL NOUS ANNONCERA TOUTES CHOSES. Cela, Moïse l’avait prédit : Je leur susciterai du milieu de leurs frères un prophète semblable à toi; je placerai mes paroles dans sa bouche, et il leur dira tout ce que je lui ordonnerai . Et parce que la femme avait désormais appelé son mari, c’est-à-dire l’intelligence et la rai son, le Seigneur lui offre à boire l’eau de son enseignement spirituel, en se manifestant à elle au moment opportun.

619. JE LE SUIS, c’est-à-dire : Je suis le Christ — La Sagesse prévient ceux qui la désirent, pour se montrer à eux la première . Celui qui m’aime sera aimé de mon Père, et moi je l’aimerai et je me manifesterai à lui . Le Seigneur ne s’est pas manifesté tout de suite car la femme ne l’aurait peut-être pas cru, et elle aurait pensé qu’Il parlait par vanité. Mais maintenant, l’amenant peu à peu à la connaissance du Christ, Il s’est révélé Lui-même, au temps opportun — Pommes d’or sur ciselures d’argent, celui qui dit une parole en son LES PREMIERS FRUITS DE L’ENSEIGNEMENT temps Aux Pharisiens qui L’interrogeaient pour savoir s’Il était le Christ — Si c’est toi le Christ, dis-le nous clairement — Il ne se révéla pas ouvertement, parce qu’ils ne L’interrogeaient pas pour être éclairés,
Louis-Claude Fillion
Sublime révélation, qui forme le « point culminant de tout l'entretien » (Corluy). La première parole de Jésus dans ce dialogue avait été « Donne-moi à boire » (v. 7) ; la septième, quelques instants plus tard, est celle-ci : « Je le suis ». Je suis moi-même le Messie. Les rationalistes s'offusquent de cette marche rapide, et ils en tirent, mais de quel droit ? des conclusions contre la véracité du récit. Jésus était maître de se manifester à l'heure choisie par lui, et cette humble femme, malgré sa misère morale antérieure, était maintenant bien préparée pour recevoir cette révélation. Les inconvénients, les dangers même qui portèrent en d'autres circonstances Notre-Seigneur à tenir caché son caractère messianique (Cf. Matth. 16, 20; Marc. 8, 30, et les commentaires) n'existaient point alors en Samarie. - Sur les traditions grecques et latines relatives à l'histoire subséquente de la Samaritaine (on la nomme Photina), voyez le « Menaeum » grec au 26 février, les Bollandistes au 20 mars, Cornelius a Lapide, in Joan, 4, 7. Le martyrologe romain (20 mars) a simplement les lignes suivantes « A Photine la samaritaine, ses fils Joseph et Victor, et au duc Sébastien, morts en martyrs en confessant le Christ ».