Jean 4, 33

Les disciples se disaient entre eux : « Quelqu’un lui aurait-il apporté à manger ? »

Les disciples se disaient entre eux : « Quelqu’un lui aurait-il apporté à manger ? »
Saint Thomas d'Aquin
620. Après avoir exposé l’enseignement du Christ mais dans le but de Lui nuire. Cette femme, au contraire, sur l’eau spirituelle, l’Evangéliste traite ici de son effet; parlait en toute simplicité de cœur. il l’expose d’abord , puis le manifeste .

L’effet de l’enseignement du Christ est le fruit qu’il produit chez les fidèles; c’est pourquoi l’Evangéliste expose d’abord le fruit produit chez les disciples qui s’étonnent , puis chez la femme qui annonce aux hommes de Samarie la puissance du Christ .

621. Trois choses nous sont dites ici au sujet des disciples. D’abord leur retour auprès du Christ — LA-DESSUS VINRENT SES DISCIPLES. Comme le dit Chrysostome , c’est tout à fait à propos que, après que le Christ se fût manifesté à la femme, les disciples survinrent, afin de montrer que tous les temps sont réglés par la divine Providence — Dieu a fait Lui-même le petit et le grand, et Il prend également soin de tous (...) et sa Sagesse, dans sa Providence universelle, va au-devant d’eux Pour toute affaire il y a un temps et un moment favorable .

622. L’Evangéliste montre ensuite leur étonnement au sujet du Christ : ET ILS S’ETONNAIENT DE CE QU’IL PARLAIT AVEC UNE FEMME. Ils s’étonnaient en bien et ne soupçonnaient aucun mal, comme le dit Augustin .

ILS S’ETONNAIENT de deux choses. D’abord de la douceur et de l’humilité surabondantes du Christ ils s’étonnaient de ce que le Seigneur de l’univers daignât parler, et longuement, avec une pauvre femme, nous donnant en cela un exemple d’humilité — Montre-toi accueillant pour la communauté des pauvres . D’autre part, ils s’étonnaient de Le voir parler avec une Samaritaine, une étrangère, car ils ignoraient le mystère, à savoir que cette femme était l’image de l’Eglise des Gentils, que cherchait Celui qui est venu chercher et sauver ce qui était perdu ,

623. Enfin l’Evangéliste souligne le respect confiant des disciples pour le Christ, manifesté par leur silence. Nous montrons en effet notre respect confiant pour Dieu quand nous n’avons pas l’audace de discuter ses actes — La gloire de Dieu est de cacher son verbe, et la gloire des rois de scruter la parole . Aussi l’Evangéliste dit-il que, malgré leur étonnement, AUCUN POUR TANT NE DIT : "QUE LUI VEUX-TU?" OU : "POUR QUOI PARLES-TU AVEC ELLE?" — Ecoute en silence, et pour ton respect confiant te viendra la faveur divine

Cependant, si les disciples avaient appris à garder leur rang par respect et par crainte filiale envers le Christ, c’était de telle sorte que parfois ils L’interrogeaient avec confiance sur ce qui les regardait, par exemple quand le Christ leur annonçait des vérités les concernant, mais dépassant la capacité de leur intelligence — Jeune homme, parle à peine dans ta propre cause —, mais que parfois ils se gardaient de Le questionner, quand cela ne les regardait pas, ce qui est le cas ici.

624. L’Evangéliste expose maintenant le fruit pro duit par l’enseignement du Christ chez la femme celle-ci assume la fonction des Apôtres en portant le message. A travers les paroles et les actes de cette femme on peut saisir l’aspect amoureux de son dévouement , le caractère propre de sa prédication et son effet .

625. L’amour de la femme apparaît de deux manières. D’abord en ce que, dans la grandeur de son dévouement, elle laisse là son eau comme si elle avait oublié ce pour quoi elle était spécialement venue LA FEMME LAISSA DONC SA CRUCHE ET S’EN ALLA A LA VILLE pour annoncer des merveilles au sujet du Christ , méprisant son bien-être corporel pour le bien des autres. En cela elle suit l’exemple des Apôtres qui, laissant là leurs filets, suivirent le Seigneur Par la CRUCHE il faut entendre la convoitise du monde, avec laquelle les hommes tirent leurs plaisirs du fond ténébreux dont le puits offre l’image, c’est-à-dire d’une vie toute terrestre Ceux donc qui abandonnent les, convoitises du monde pour le Christ laissent là leur cruche — Personne, combattant pour Dieu, ne s’embarrasse des affaires du siècle .

Le zèle de la femme apparaît encore dans le grand nombre de ceux auxquels elle porte son message : non pas à un seulement, ni à deux ou trois, mais à la ville entière C’est ce que veut dire l’Evangéliste en disant qu’elle S’EN ALLA A LA VILLE. En cela elle représente le ministère qui fut confié aux Apôtres par le Seigneur Allez, enseignez toutes les nations — Je vous ai établis pour que vous alliez et que vous portiez du fruit .

626. L’Evangéliste indique ici le caractère propre de la prédication de la femme. En premier lieu elle invite à venir voir le Christ, en disant : VENEZ ET VOYEZ UN HOMME. Cette femme avait bien entendu le Christ lui dire "Je suis le Christ"; mais elle n’a pas tout de suite dit aux hommes de venir "au Christ" ou de croire, pour ne pas leur donner occasion de blasphémer. C’est pour cette raison qu’elle a dit d’abord du Christ ce qui était croyable et s’offrait aux yeux de tous, à savoir que c’était UN HOMME — Il s’est fait semblable aux hommes . Et elle n’a pas dit non plus "croyez", mais VOYEZ, car elle savait bien que s’ils goûtaient à cette source en Le voyant, ils éprouveraient la même chose qu’elle — Venez, écoutez, vous tous qui craignez Dieu, et je raconterai tout ce qu’Il a fait pour mon âme En cela la Samaritaine n’en imite pas moins l’exemple du véritable prédicateur, qui appelle les hommes non à soi, mais au Christ — Ce n’est pas nous-mêmes que nous prêchons, mais le Christ Jésus notre Seigneur .

627. Elle donne ensuite un signe de la divinité du Christ en disant : IL M’A DIT TOUT CE QUE J’AI FAIT, c’est-à-dire combien elle a eu de maris. C’est en effet une marque de la divinité de manifester ce qui est caché et secret dans les cœurs. Et bien que sa conduite passée n’ait pu que la couvrir de confusion, cette femme n’eut pourtant pas honte de la rappeler; car "une fois que l’âme a été embrasée du feu divin, comme le dit Chrysostome, il ne lui reste plus de regard pour ce qui est de la terre, ni pour la gloire ni pour la honte, mais elle est relative à cette seule flamme qui la possède" .

628. Enfin la femme achève sa prédication sur la majesté du Christ : NE SERAIT-IL PAS LE CHRIST? Elle n’a pas osé montrer de manière affirmative que c’était le Christ, de peur de paraître vouloir instruire les autres et que ceux-ci, irrités, ne veuillent pas sortir b dela ville pour aller vers Lui. Cependant elle ne l’a pas tu entièrement, mais elle l’a dit sous forme d’interrogation, comme s’en remettant à leur jugement NE SERAIT-IL PAS LE CHRIST? C’est là en effet une manière plus facile de persuader.

629. Par cette femme, qui est d’une condition très humble, est signifiée la condition des Apôtres qui prêchent. Il est dit en effet : Il n’y a pas beaucoup de sages selon la chair, pas beaucoup de puissants, pas beaucoup de gens bien nés. Mais ce qu’il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre les sages . Aussi les Apôtres eux-mêmes sont-ils appelés "servantes" : Elle, la Sagesse divine, c’est-à-dire le Fils de Dieu, a envoyé ses servantes, c’est-à-dire les Apôtres, appeler au sommet de la ville et sur ses remparts : "Si quelqu’un est tout petit, qu’il vienne à moi. (...) Venez, mangez mon pain et buvez le vin que je vous ai mêlé"

630. Voici le fruit de la prédication de la femme ILS SORTIRENT DONC DE LA VILLE, où la femme était allée, ET ILS VENAIENT A LUI, c’est-à-dire au Christ; ce qui nous donne à entendre que si nous voulons aller au Christ, il nous faut sortir de la ville, autrement dit abandonner l’amour de la cupidité charnelle — Sortons donc vers Lui hors du camp en portant son opprobre .

631. Maintenant va être manifesté l’effet de l’enseignement spirituel du Christ : d’abord par l’enseignement même du Christ aux disciples , puis par l’effet qu’il produit dans les autres .

Pour manifester l’effet de l’enseignement du Christ sur les disciples, l’Evangéliste rapporte d’abord l’occasion de la manifestation de ce fruit chez les disciples , puis la manifestation proprement dite .

632. L’occasion de cette manifestation est l’insistance avec laquelle les disciples pressent le Christ de manger : ENTRE TEMPS, c’est-à-dire entre le moment où ils trouvent la femme parlant au Christ et Celui-ci s’entretenant avec elle, et le moment de l’arrivée des Samaritains, LES DISCIPLES LE PRIAIENT EN DI SANT : "RABBI, MANGE", jugeant que ce moment était propice au repas, avant que la foule ne se rassemblât autour d’eux. En effet, devant un étranger ils ne préparaient pas de nourriture; c’est pourquoi il est dit ailleurs qu’une telle foule se pressait autour de Lui qu’Il n’avait même pas le temps de manger .

633. L’occasion Lui ayant donc été donnée, le Seigneur manifeste maintenant le fruit de son enseignement. Il présente d’abord ce fruit en un langage figuré , puis Il souligne la lenteur des disciples à comprendre ; enfin Il explique ce qu’Il a dit .

634. Le Christ présente ici le fruit de son enseignement spirituel sous la figure d’une nourriture et d’un repas. Il faut à ce propos savoir que, de même qu’on ne peut refaire parfaitement ses forces corporelles si la boisson n’est pas jointe à la nourriture ou inversement, de même, pour refaire ses forces spirituelles, il faut avoir l’une et l’autre : Dieu nourrira celui qui Le craint du pain de la vie et de l’intelligence (voilà la nourriture) et Il l’abreuvera de l’eau de la sagesse qui donne le salut (voilà la boisson). Il convenait donc qu’après avoir parlé de la boisson dont avait été abreuvée la Samaritaine, le Seigneur parlât de la nourriture. Et de même que par l’eau il faut entendre la sagesse qui donne le salut, de même par la nourriture il faut entendre l’accomplissement de l’œuvre du Père .

Or cette nourriture que le Christ avait à manger, c’est le salut des hommes qu’Il cherchait; en disant qu’Il a une nourriture à manger, Il montre combien est grand le désir qu’Il a de notre salut. En effet, ce qu’est pour nous le désir de manger quand nous avons faim, le désir de nous sauver l’est pour le Christ — Mes délices sont d’être avec les fils de hommes. C’est pourquoi Il dit : J’AI A MANGER UNE NOURRITURE, c’est-à-dire la conversion des Gentils, QUE VOUS. VOUS NE CONNAISSEZ PAS, parce que les disciples ne pouvaient pas encore prévoir cette conversion.

635. On peut, avec Origène , expliquer ces paroles d’une autre manière. Il en va de la nourriture spirituelle comme de la nourriture corporelle : la même quantité ne suffit pas à tous; pour l’un une plus grande quantité est nécessaire, pour un autre une moindre; et est sain pour l’un ce qui nuira à un autre. Il en va de même pour la nourriture spirituelle on ne doit pas dis penser à tous un enseignement spirituel de même qualité, ni selon la même quantité; on doit tenir compte de la disposition et de la capacité des hommes qu’onenseigne. Car, comme le dit l’Apôtre Pierre, les enfants nouveaux-nés désirent le lait spirituel , tandis que la nourriture solide est celle des parfaits. C’est pourquoi Origène dit que celui qui a une doctrine plus élevée et qui surpasse les autres dans les choses spirituelles peut transmettre cette parole à ceux qui sont faibles et dont l’intelligence manque de force C’est ainsi que parle l’Apôtre : Comme à des petits enfants dans le Christ, c’est du lait que je vous ai donné à boire, non une nourriture solide . A bien plus forte raison Jésus peut-Il dire en vérité : J’AI A MANGER UNE NOURRITURE QUE VOUS, VOUS NE CONNAISSEZ PAS. J’ai beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant .

636. La lenteur de l’intelligence des disciples se révèle ici au fait que, ce que le Seigneur a dit de la nourriture spirituelle, ils l’entendaient d’une nourriture corporelle; car ils étaient encore sans intelligence . Voilà pourquoi ils SE DISAIENT ENTRE EUX – "QUELQU’UN LUI A-T-IL APPORTE A MANGER?"

Il ne faut donc pas s’étonner que la femme, une Samaritaine, n’ait pas compris l’eau spirituelle; car voilà que les disciples, des Juifs, ne comprennent pas la nourriture spirituelle.

Le fait qu’ils se disent entre eux QUELQU’UN LUI A-T-IL APPORTE A MANGER? nous indique que le Christ avait coutume d’accepter la nourriture que d’autres Lui offraient. Et pourtant Il n’a pas besoin de nos biens — J’ai dit au Seigneur : Tu es mon Dieu, tu n’as pas besoin de mes biens — et Celui qui donne la nourriture à toute chair n’a pas besoin de la nourriture des hommes.

637. Pourquoi alors le Christ demandait-Il de la nourriture aux autres et l’acceptait-Il d’eux? Il le faisait pour deux raisons. D’abord pour permettre à ceux qui la Lui donnaient et la Lui apportaient d’acquérir ainsi un mérite. Ensuite, pour donner à ceux qui vaquent aux choses spirituelles l’exemple de ne pas rougir de la pauvreté, et pour qu’ils ne trouvent pas pénible d’être nourris par les autres. Il appartient en effet à ceux qui enseignent d’avoir leur subsistance assurée par d’autres, pour qu’ils puissent, n’ayant souci de rien, donner tous leurs soins au ministère de la parole, comme le dit Chrysostome La Glose dit la même chose en commentant ces paroles de l’Ecriture : Que les anciens qui exercent bien la présidence soient regardés comme dignes d’un double honneur, surtout ceux qui peinent à la parole et à l’enseignement .
Louis-Claude Fillion
Les disciples se disaient… A voix basse, sans doute, pensant n'être pas entendus de leur Maître. - Quelqu'un lui a -t-il apporté… La phrase grecque se traduirait mieux ainsi : « Quelqu'un ne lui aura cependant pas apporté à manger ? » Voyez Winer, Grammatik, p. 454. Les apôtres n'ont pas compris, et certes il leur était difficile de comprendre sur-le-champ ; leur Maître ne les avait-il pas envoyés à Sichar dans le but exprès d'acheter des vivres ? « Y a-t-il rien d’étonnant à ce que cette femme n’ait pas compris de quelle eau il s’agissait, quand les disciples eux-mêmes ne comprenaient pas de quelle nourriture le Sauveur leur parlait? », S. Augustin, Traité 15 sur S. Jean. S. Jean raconte candidement ce quiproquo, auquel il prit part lui-même. « Apparaît dans ces choses la simplicité native de la vérité ; et on reconnaît facilement que l’écrivain rapporte des choses qui se sont passées en sa présence ». On pourrait répéter à chaque page cette réflexion très juste du P. Patrizi, In Joan. Comment., p. 49.