Jean 4, 38

Je vous ai envoyés moissonner ce qui ne vous a coûté aucun effort ; d’autres ont fait l’effort, et vous en avez bénéficié. »

Je vous ai envoyés moissonner ce qui ne vous a coûté aucun effort ; d’autres ont fait l’effort, et vous en avez bénéficié. »
Origène
On peut encore donner de tout ce passage, l'explication suivante. Si rien ne s'oppose à ce qu'on entende dans un sens allégorique ces paroles : « Levez les yeux, » etc., n'est-il pas permis d'entendre dans le même sens les paroles qui précèdent immédiatement : « Ne dites-vous pas : Encore quatre mois, et la moisson sera venue ? » Or, voici l'explication qu'on pourrait donner de ces paroles des disciples : « Encore quatre mois, et la moisson sera venue. » Un grand nombre des disciples du Verbe, c'est-à-dire du Fils de Dieu, qui considèrent que la vérité est incompréhensible à la nature humaine, n'ont pas plus tôt découvert qu'il y avait une vie différente de la vie présente qui est soumise à la corruption des quatre éléments, qui sont comme autant de mois, qu'ils croient ne parvenir qu'après cette vie seulement à la connaissance de la vérité. Les disciples disent donc de la moisson, qui est le terme de tous les efforts qui tendent à la vérité, qu'elle se fera après qu'aura cessé la domination des quatre éléments. Le Verbe incarné redresse dans leur esprit cette pensée qui n'est pas conforme à la vérité, en leur disant : « Ne dites-vous pas : Encore quatre mois et la moisson vient. Et moi je vous dis : « Levez les yeux. » Dans plusieurs endroits de l'Ecriture, le Verbe divin nous fait cette recommandation d'élever nos pensées qui se traînent ordinairement sur les choses de la terre, et qui ne peuvent s'en affranchir sans le secours de Jésus. Nul, en effet, ne peut obéir à ce commandement, s'il reste l'esclave de ses passions et d'une vie sensuelle, il ne verra point les champs blanchis pour la moisson. Or, les champs blanchissent, lorsque le Verbe de Dieu répand sa lumière sur toutes les parties de l'Ecriture, auxquelles l'avènement de Jésus donne tonte leur fécondité. Toutes les choses sensibles elles-mêmes sont comme des champs blanchis pour la moisson, pour ceux qui élèvent les yeux, lorsque la raison nous montre dans chaque objet créé l'éclat de la vérité qui se trouve répandue sur toutes choses. (Traité 16.) Celui qui recueille ces moissons spirituelles a un double avantage, le premier, lorsqu'il reçoit sa récompense : « Et celui qui moissonne, reçoit une récompense, » c'est-à-dire la récompense future : « Et il recueille le fruit pour la vie éternelle, » ce qui exprime une disposition précieuse dé l'intelligence, qui est le fruit de la contemplation elle-même. Dans toute doctrine, je pense, celui qui pose les principes est celui qui sème ; d'autres à leur tour prennent ces principes, les méditent, les fécondent par de nouvelles considérations, et procurent ainsi à leurs descendants l'avantage de moissonner et de recueillir des fruits qui sont parvenus à leur maturité. C'est surtout dans l'art des arts que nous pouvons voir l'application de cette vérité. Ceux qui ont semé, c'est Moïse et les prophètes qui ont prédit l'avènement du Christ ; les moissonneurs sont les Apôtres qui ont reçu Jésus-Christ et contemplé sa gloire. La semence, c'est la connaissance que nous donne la révélation du mystère qui a été caché et comme enseveli dans le silence des siècles passés ; les champs sont les livres de la loi et des prophètes qui n'avaient point leur clarté, pour ceux qui n'étaient point capables de comprendre l'avènement du Verbe. Celui qui sème et celui qui moissonne partageront la même joie, lorsque dans la vie future le chagrin et la tristesse auront complètement disparu. C'est ce qui a commencé à se réaliser, lorsque Jésus fut transfiguré dans la gloire, et que les moissonneurs Pierre, Jacques et Jean, et les semeurs, Moïse et Elie se livraient à une joie commune en voyant la gloire du Fils de Dieu. Examinez cependant si ces mêmes paroles : « Autre est celui qui sème, et autre celui qui moissonne, » ne peuvent pas s'entendre des temps différents dans lesquels les hommes ont été justifiés, lorsqu'ils étaient les uns disciples de l'Evangile, les autres simples observateurs de la loi. Les uns et les autres ont part cependant à la même joie, car c'est la même fin que se propose un seul et même Dieu, par le même Jésus-Christ et dans un même Esprit. Les Apôtres sont entrés dans les travaux des prophètes et de Moïse, ils les ont moissonnés d'après les instructions de Jésus, en recueillant dans leurs greniers, c'est-à-dire dans leur intelligence, les vérités cachées dans les écrits de Moïse et des prophètes. Ceux qui recueillent les fruits d'une doctrine déjà semée, ont un partage plus éclatant, mais sont loin de travailler autant que ceux qui ont répandu la semence.
Saint Jean Chrysostome
Nôtre-Seigneur explique à ses disciples quelle est cette volonté du Père dont il vient de parler : « Ne dites-vous pas : Encore quatre mois et la moisson sera venue. »

Il se sert des choses les plus ordinaires pour les élever à la considération des vérités les plus sublimes ; les champs et la moisson sont ici la figure des âmes qui sont prêtes à recevoir la parole de la prédication. Les yeux sont ici tout à la fois les yeux du corps et de l'âme, car les disciples voyaient en effet les Samaritains qui accouraient en foule. La comparaison qu'il fait des dispositions de ces hommes avec les champs qui blanchissent, est des plus justes, car de même que les épis blanchis n'attendent plus que la faux du moissonneur, ainsi ces hommes sont prêts à recevoir le salut. Mais pourquoi Jésus ne dit-il pas clairement et sans figure qu'ils sont disposés à recevoir la prédication de l'Evangile ? Pour deux raisons : premièrement, pour rendre cette vérité plus saillante en la plaçant pour ainsi dire sous les yeux ; secondement, pour donner plus de charme à son récit et en rendre le souvenir plus durable.

Nôtre-Seigneur établit ici clairement la distinction qui sépare les choses de la terre des biens du ciel ; il avait dit précédemment de l'eau qu'il voulait donner : « Celui qui boit cette eau, n'aura plus soif, » et ici : « Celui qui moissonne reçoit sa récompense et recueille le fruit pour la vie éternelle, » et encore : « Et ainsi celui qui sème se réjouit comme celui qui moissonne. » Les prophètes ont répandu la semence, mais ce sont les apôtres qui ont moissonné, comme il va bientôt le dire : « L'un sème et l'autre moissonne. » Il ne faut pas croire cependant que les prophètes qui ont semé n'aient point de part à la récompense ; c'est pour éloigner cette idée que Nôtre-Seigneur donne une raison qui n'a point son application dans les choses sensibles. Dans le cours ordinaire de la vie, s'il arrive que l'un sème et que l'autre moissonne, la joie n'est pas égale pour tous deux. Ceux qui ont semé s'attristent d'avoir travaillé pour les autres, et ceux qui moissonnent sont les seuls à se réjouir. Il n'en est pas de même ici, ceux qui ont semé ne moissonnent pas, et cependant ils partagent la joie de ceux qui moissonnent, et reçoivent la même récompense.

Pour appuyer ce qu'il vient de dire, Nôtre-Seigneur rappelle le proverbe suivant : « Ici ce que l'on dit d'ordinaire est vrai, l'un sème et l'autre moissonne, » C'était un proverbe que l'on citait, lorsqu'on voyait les uns supporter toutes les fatigues, et d'autres venir moissonner tous les fruits. Mais ce proverbe a surtout ici son application, parce que les prophètes ont travaillé et que vous moissonnez les fruits de leurs travaux, comme le Sauveur l'ajoute : « Je vous ai envoyés moissonner où vous n'avez pas travaillé. »

Il dit donc à ses disciples : « Je vous ai envoyés moissonner où vous n'avez pas travaillé, » c'est-à-dire, je vous ai réservé le travail où la fatigue est beaucoup moindre que la joie et le plaisir, et j'ai chargé les prophètes de ce qu'il y avait de plus pénible, c'est-à-dire de répandre la semence , et n'est ainsi que « d'autres ont travaillé et que vous êtes entrés dans leurs travaux. » Il veut ainsi nous prouver que la volonté des prophètes et le but que se proposait la loi étaient que tous les hommes vinssent se ranger autour de lui, et ils ont semé dans l'intention de préparer cette moisson. Il prouve en même temps que c'est lui qui a envoyé les prophètes, et l'étroite union qui existe entre l'Ancien et le Nouveau Testament.
Saint Augustin
Le Sauveur brûlait du désir d'accomplir son œuvre ; et avait hâte d'envoyer des ouvriers recueillir cette moisson. C'est pour cela qu'il ajoute : « Celui qui moissonne, reçoit sa récompense, et recueille le fruit pour la vie éternelle, et ainsi celui qui sème se réjouit comme celui qui moissonne. »

Les Apôtres et les prophètes ont travaillé à des époques bien différentes, mais ils auront part à la même joie, et recevront tous pour récompense la vie éternelle.

Quoi donc ? Nôtre-Seigneur envoie des moissonneurs et non pas des semeurs. Et où envoie-t-il des moissonneurs ? Là où les prophètes avaient déjà répandu la semence. Lisez leurs travaux, et dans tous ces travaux vous trouverez une prophétie du Christ. La moisson était donc prête à recueillir, lorsque tant de milliers d'hommes offraient le prix de leurs biens (Ac 4), et le déposaient aux pieds des Apôtres, heureux de se décharger du fardeau des biens de la terre pour suivre plus librement Nôtre-Seigneur Jésus-Christ. Quelques grains de cette moisson ont été jetés dans la terre, et ont ensemencé l'univers tout entier ; il en est sorti une antre moisson qui ne doit point être recueillie par les Apôtres, mais par les anges : « Les moissonneurs, dit-il ailleurs, sont les anges. » (Mt 13)
Saint Théophylacte d'Ohrid
C'est-à-dire la moisson matérielle. Mais moi, je vous dis que le temps de la moisson spirituelle est venu. Il parlait ainsi à la vue des Samaritains qui venaient à lui ; c'est pour cela qu'il ajoute : « Levez les yeux et voyez les champs qui déjà blanchissent pour la moisson. »
Saint Thomas d'Aquin
638. Après avoir montré la lenteur des disciples à comprendre le langage figuré du Seigneur -, l’Evangéliste nous Le montre ici donnant l’explication de ce langage figuré , puis prenant une comparaison

639. De même que, plus haut, le Seigneur a expliqué à la femme ce qu’Il lui avait dit en figure à propos de l’eau, ainsi Il explique maintenant aux Apôtres ce qu’Il leur a dit en figure à propos de la nourriture. Cependant il le fait cette fois de manière tout autre aux Apôtres, plus capables de comprendre, Il donne aussitôt, sans circonlocutions, son explication; alors que la femme, moins capable, Il la conduit par beaucoup de paroles à la connaissance de la vérité.

640. Ce que le Christ dit ici aux Apôtres s’explique facilement. En effet, puisque la nourriture corporelle est ce qui sustente l’homme et le rend parfait, on considérera comme nourriture spirituelle de l’âme et de la créature douée d’intelligence ce qui les sustente et les rend parfaites. Or leur perfection consiste à être unies à leur fin et à suivre une règle supérieure — ce que David, qui l’avait bien compris, exprimait ainsi : Il est bon pour moi d’adhérer à Dieu . C’est pourquoi il convenait au Christ, en tant qu’homme, de dire que sa NOURRITURE était de FAIRE LA VOLONTE de Dieu ET D’ACCOMPLIR SON ŒUVRE.

641. Ces deux expressions : FAIRE LA VOLONTE de Dieu et ACCOMPLIR SON ŒUVRE, peuvent être comprises comme signifiant la même chose, la seconde étant cependant l’explicitation de la première. Elles peuvent aussi être comprises comme signifiant deux choses différentes.

Si on les comprend comme n’en signifiant qu’une, le sens est alors le suivant : MA NOURRITURE, autrement dit ma force et mon soutien, EST DE FAIRE LA VOLONTE DE CELUI QUI M’A ENVOYE — J’ai voulu, mon Dieu, faire ta volonté, et ta loi est au fond de mon cœur Je suis descendu du ciel, non pour faire ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé . Mais comme" faire la volonté" de quelqu’un peut s’entendre de deux manières — soit qu’on le fasse vouloir, soit qu’on accomplisse par des œuvres ce que l’on sait qu’il veut —, le Seigneur, expliquant ce qu’est FAIRE LA VOLONTE de Celui qui L’a envoyé, dit que c’est ACCOMPLIR SON ŒUVRE, c’est-à-dire mener à bien les œuvres dont je sais qu’Il les veut — Tant qu’il fait jour, il me faut travailler aux œuvres de Celui qui m’a envoyé .

Si maintenant on entend ces deux expressions comme signifiant deux choses différentes, il faut savoir que le Christ a accompli les deux en ce monde. Il a d’abord enseigné la vérité, en invitant et appelant à la foi; et en cela Il a accompli la volonté de son Père Telle est la volonté de mon Père, qui m’a envoyé, que quiconque voit le Fils et croit en Lui ait la vie éternelle . Ensuite, II a achevé la vérité elle-même en nous ouvrant par sa Passion la porte de la vie, nous donnant ainsi le pouvoir de parvenir à la vérité achevée — J’ai achevé l’œuvre que tu m’as donnée à faire . En ce sens, le Christ dit MA NOURRITURE EST DE FAIRE LA VOLONTE DE CE LUI QUI M’A ENVOYE en appelant les hommes à la foi, ET D’ACCOMPLIR SON ŒUVRE en les conduisant à la perfection.

642. On peut, d’après Origène , donner une autre interprétation. Tout homme qui agit bien doit diriger son intention vers deux fins : l’honneur de Dieu et le bien du prochain; car, comme le dit l’Apôtre, La fin du précepte, c’est la charité , qui comprend l’amour de Dieu et du prochain. Ainsi, quand nous faisons quelque chose pour Dieu, la fin du précepte est Dieu; et quand nous agissons pour le bien du prochain, la fin du précepte est le pro chain. Selon cette interprétation, le Christ affirme donc MA NOURRITURE EST DE FAIRE LA VOLONTE de Dieu, c’est de diriger son intention et de la régler sur ce qui est en vue de la gloire de Dieu, ET D’ACCOMPLIR SON ŒUVRE, c’est de faire ce qui concourt au bien et à la perfection de l’homme.

643. Mais on peut objecter que les œuvres de Dieu sont parfaites , et qu’il ne convient donc pas de dire qu’on "accomplit" l’œuvre de Dieu. A cela je réponds que parmi toutes les autres créatures inférieures, l’homme est l’œuvre spéciale de Dieu, parce qu’il a été fait à son image et à sa ressemblance ; et qu’à l’origine cette œuvre fut certainement parfaite, car Dieu a fait l’homme droit, comme dit l’Ecclésiaste Mais ensuite, à cause du péché, l’homme perdit cette perfection et s’écarta de cette rectitude. Aussi, afin que cette œuvre de Dieu fût parfaite, était-il nécessaire de la réparer : ce qui fut fait par le Christ — En effet, comme par la désobéissance d’un seul homme, la multitude a été constituée pécheresse, de même par l’obéissance d’un seul la multitude sera constituée juste . Ainsi le Christ dit-Il que sa nourriture est D’ACCOMPLIR L’ŒUVRE de Celui qui L’a envoyé, c’est-à-dire de conduire l’homme à sa perfection .

644. Le Seigneur emploie ici une image. Remarquons à ce sujet qu’Il demanda à boire à la femme en disant : Donne-moi à boire, et que c’est à l’occasion de cette demande qu’Il introduisit l’image de l’eau. Ici, au contraire, ce sont les disciples qui exhortent le Seigneur à manger; mais, de la même façon, le Seigneur saisit cette occasion d’introduire l’image de la nourriture spirituelle; car par l’image de la nourriture et celle de la boisson le même mystère est signifié. Ainsi, à certains (comme la femme), Dieu demande à boire, tandis que d’autres Lui offrent à boire. Mais nul n’offre à Dieu de la nourriture si Dieu le premier ne lui en fait la demande. En effet, nous offrons à Dieu une nourriture spirituelle quand nous sollicitons de Lui notre salut, c’est-à-dire quand nous demandons : Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel Ce salut, nous ne pouvons pas l’obtenir par nous-mêmes; nous ne pouvons l’obtenir que si Dieu nous a devancés par la grâce prévenante — Fais-nous revenir à toi, Seigneur, et nous reviendrons . C’est donc Dieu qui demande le premier, Lui qui, par la grâce prévenante, nous fait demander.

Dans cette comparaison qu’Il prend, le Seigneur parle d’abord de la moisson , puis des moissonneurs . A propos de la moisson, Il commence par donner la comparaison de la moisson visible , puis Il parle de la moisson spirituelle .

645. Les paroles ENCORE QUATRE MOIS ET VIENT LA MOISSON nous laissent entendre que le Christ quitta la Judée aussitôt après l’emprisonnement de Jean, comme le dit Matthieu, qu’Il traversa la Samarie et que cela eut lieu pendant l’hiver, comme l’emprisonnement de Jean. Cela explique pourquoi il ne restait que quatre mois jusqu’à la moisson, celle-ci se faisant, dans cette région, plus tôt qu’ailleurs. Voici donc ce que dit le Christ : NE DITES-VOUS PAS, VOUS, en parlant de la moisson visible (physique) : ENCORE QUA TRE MOIS à passer, ET VIENT LA MOISSON, c’est-à-dire le temps de récolter la moisson? Mais VOICI QUE JE VOUS DIS, en parlant de la moisson spirituelle

646. Notons ici qu’on appelle "temps des moissons" le moment où l’on récolte les fruits et que, par conséquent, toute récolte de fruits peut être regardée comme "le temps des moissons". Or il y a deux temps pour la récolte des fruits. Rien n’empêche en effet, dans l’ordre spirituel comme dans l’ordre physique, que ce qui est fruit par rapport à ce qui précède soit aussi semence par rapport à ce qui suit. Ainsi les œuvres bonnes, comme la foi et autres choses du même ordre, sont les fruits de l’enseignement spirituel, et elles sont pour tant les semences de la vie éternelle, puisque par elles on parvient à la vie éternelle. C’est ainsi que la Sagesse dit : Mes fleurs, par rapport aux fruits qui viendront après elles, sont des fruits de gloire et de noblesse , par rapport à ce qui précède.

D’après cela il y a donc une moisson spirituelle qui est la récolte des fruits éternels, c’est-à-dire le rassemblement des fidèles dans la vie éternelle — La moisson, c’est la fin du monde — ; mais ce n’est pas d’elle qu’il est question ici. Une autre a lieu dans la vie présente, et on peut la voir de deux manières : soit comme cette récolte des fruits qu’est la conversion des fidèles qui doivent être rassemblés dans l’Eglise, soit comme la con naissance même de la vérité, par laquelle on récolte dans son âme les fruits de la vérité. Selon les divers commentaires, il s’agit ici de l’une ou de l’autre.

647. Augustin et Chrysostome s’en tiennent à la première manière de comprendre la moisson spirituelle de la vie présente, et interprètent les paroles du Christ de la façon suivante VOUS DITES, VOUS, que ce n’est pas encore le moment de la moisson visible; mais il n’en va pas de même de la moisson spirituelle. Bien au contraire, VOICI QUE JE VOUS DIS : LEVEZ LES YEUX, c’est-à-dire considérez des yeux de votre esprit, ou même regardez des yeux du corps, ET VOYEZ LES CAMPAGNES ELLES SONT DEJA BLANCHES POUR LA MOISSON, toute la campagne étant remplie de Samaritains qui venaient vers le Christ. L’expression SONT BLANCHES est métaphorique. Lorsqu’en effet les blés ont blanchi, c’est signe qu’ils sont prêts pour la moisson. Par là le Seigneur n’a voulu signifier rien d’autre que ceci : les hommes étaient prêts pour le salut et prêts à recevoir sa parole. C’est pourquoi Il dit : VOYEZ LES CAMPAGNES ELLES SONT DEJA BLANCHES POUR LA MOISSON, car non seulement les Juifs, mais encore les Gentils sont prêts pour la foi — La moisson est abondante .

Comme les moissons blanchissent à cause de la présence du soleil qui durant l’été est plus ardent, ainsi les hommes étaient préparés au salut par la venue du Soleil de justice, le Christ, ainsi que par sa prédication et sa puissance. C’est de ce Soleil qu’il est dit : Pour vous qui craignez mon nom se lèvera le Soleil de justice, avec la guérison dans ses ailes . Et c’est pour cela que l’Ecriture appelle "temps de la plénitude" le temps de sa venue — Quand vint la plénitude des temps, Dieu envoya son Fils .

648. Origène , lui, interprète de la seconde manière la moisson spirituelle de la vie présente : comme la récolte des fruits de la vérité dans l’âme. On récolte dans cette moisson, dit-il, autant de fruits de vérité que l’on connaît de vérités. Et Origène veut que l’on comprenne comme une parabole l’ensemble de ces paroles : NE DITES-VOUS PAS, VOUS : ENCORE QUATRE MOIS ET VIENT LA MOISSON? VOICI QUE JE VOUS DIS : LEVEZ LES YEUX ET VOYEZ LES CAMPAGNES : ELLES SONT DEJA BLANCHES POUR LA MOISSON.

En ce sens le Seigneur, par ces mots, expose, pour ensuite l’écarter, une opinion fausse qu’avaient certains.

Certains en effet défendaient cette opinion, que l’homme ne peut posséder la vérité sur aucune réalité. De là provient l’hérésie des Académiciens, pour qui rien ne peut être tenu pour certain en cette vie — J’ai tout tenté, dit l’Ecclésiaste, pour acquérir la sagesse. J’ai dit : Je deviendrai sage; mais elle s’est retirée bien loin de moi, beaucoup plus loin qu’elle n’était . C’est donc à cette opinion que le Seigneur fait allusion en disant : NE DITES-VOUS PAS, VOUS : ENCORE QUATRE MOIS ET VIENT LA MOISSON — autrement dit : toute la vie présente, durant laquelle l’homme est asservi aux quatre éléments , doit prendre fin pour qu’après elle la récolte de la vérité ait lieu dans l’autre vie Mais le Seigneur écarte ensuite cette opinion en disant : Il n’en est pas ainsi; au contraire VOICI QUE JE VOUS DIS : LEVEZ LES YEUX. Cette dernière expression s’emploie habituellement dans la Sainte Ecriture chaque fois qu’il est demandé de considérer quelque chose de subtil et d’élevé Levez vos yeux vers les hauteurs et voyez : Qui a créé ces choses? . En effet, si les yeux ne s’élèvent pas au-dessus des réalités terrestres et de la concupiscence charnelle, ils ne sont pas capables de connaître les fruits spirituels; car tantôt, détournés de la considération des réalités divines, ils s’abaissent vers les choses terrestres — Ils ont résolu de tenir leurs yeux baissés vers la terre —, tantôt ils sont aveuglés par la concupiscence -Ils détournèrent leurs yeux pour ne pas voir le ciel, et ne pas se souvenir des jugements de Dieu .

649. Le Christ dit donc : LEVEZ LES YEUX ET VOYEZ LES CAMPAGNES : ELLES SONT DEJA BLAN CHES POUR LA MOISSON, c’est-à-dire ordonnées de telle manière qu’on peut à partir d’elles connaître la vérité. Car par les CAMPAGNES il faut entendre particulièrement tout ce à partir de quoi on peut atteindre la vérité, et spécialement deux choses. D’une part, ce sont les Ecritures — Vous scrutez les Ecritures (...) et ce sont elles qui me rendent témoignage . Ces CAMPAGNES, si elles étaient déjà dans l’Ancien Testament, n’y étaient cependant pas BLANCHES POUR LA MOISSON, car les hommes ne pouvaient en tirer un fruit spirituel avant que vînt le Christ, qui les fit blanchir en ouvrant l’intelligence des hommes — Il ouvrit leur intelligence pour qu’ils comprennent les Ecritures . D’autre part, les moissons sont aussi les créatures, d’où l’on récolte le fruit de la vérité, car les perfectionsinvisibles deDieu sont rendues visibles à l’intelligence par ses œuvres . Pourtant les Gentils, qui s’adonnaient à la connaissance des créatures, en recueillaient des fruits d’erreur plutôt que de vérité — ils ont adoré et servi la créature au lieu du Créateur . Voilà pourquoi ces CAMPAGNES n’étaient pas encore blanches; mais quand vint le Christ, elles devinrent BLANCHES POUR LA MOISSON.

650. Le Christ parle ensuite des moissonneurs. A ce propos II fait d’abord mention de leur récompense , puis cite un proverbe ; enfin Il explique ce proverbe et l’applique à son propos .

651. A propos de la récompense des moissonneurs , une remarque s’impose : plus haut, le Seigneur, expliquant ce qu’Il avait dit de l’eau spirituelle, précisa ce qui différencie celle-ci de l’eau physique, à savoir que celui qui boira de l’eau physique aura encore soif, tandis que celui qui boira de l’eau spirituelle n’aura plus jamais soif. De même, expliquant ici ce qu’Il dit de la moisson, Il montre en quoi sont dissemblables la moisson visible (physique) et la moisson spirituelle; et Il mentionne là trois choses.

En premier lieu, considérant la ressemblance de l’une et l’autre moisson, Il affirme que CELUI QUI MOISSONNE, tant dans la moisson visible que dans la moisson spirituelle, REÇOIT UN SALAIRE. Or, moisson ne spirituellement celui qui rassemble les fidèles dans l'Eglise ou celui qui recueille les fruits de la vérité dans son âme; et tous deux reçoivent un salaire — Chacun recevra son propre salaire selon son labeur .

Puis Il précise deux autres choses, qui regardent cette fois la dissemblance des deux moissons. La première est que le fruit recueilli par le moissonneur de la moisson visible appartient à la vie corruptible, tandis que le fruit recueilli par le moissonneur de la moisson spirituelle appartient à la vie éternelle. C’est pourquoi le Christ dit : celui qui moissonne spirituellement AMAS SE DU FRUIT POUR LA VIE ETERNELLE : du fruit, c’est-à-dire soit les fidèles qui parviennent à la vie éternelle — Vous avez pour fruit la sanctification et pour fin la vie éternelle — soit la connaissance et la communication de là vérité, par lesquelles l’homme acquiert la vie éternelle — Ceux qui me font connaître auront la vie éternelle .

La seconde chose que souligne le Christ en considérant la dissemblance des deux moissons est que, dans la moisson visible (physique), on regarde comme un malheur le fait que l’un sème et qu’un autre moissonne, si bien que le semeur s’attriste de ce qu’un autre récolte, tandis que dans les semailles spirituelles, il en va autrement : CELUI QUI SEME ET CELUI QUI MOISSONNE SE REJOUISSENT ENSEMBLE.

Selon Chrysostome et Augustin ceux qui sèment la semence spirituelle sont les pères de l’Ancien Testament et les prophètes, car, comme il est dit, la semence, c’est la parole de Dieu que Moïse et les prophètes ont semée en Judée; mais ce furent les Apôtres qui moissonnèrent, car ce vers quoi les premiers faisaient tendre leur effort — amener les hommes au Christ —, ils ne purent l’accomplir, tandis que les Apôtres le firent. Ainsi les uns et les autres, Apôtres et prophètes, SE REJOUISSENT ENSEMBLE de la conversion des fidèles dans l’unique demeure de la gloire — On y trouvera l’allégresse et la joie, l’action de grâces et la voix de la louange .

Par là se trouve réfutée l’hérésie des Manichéens condamnant les pères de l’Ancien Testament, puisque, comme le dit ici le Seigneur, ils se réjouiront avec les Apôtres.

D’après Origène , d’autre part, on dit que "sèment" dans n’importe quelle discipline ceux qui communiquent les principes de cette discipline, quels qu’ils soient, et que "moissonnent", ceux qui, à partir de ces principes, progressent plus avant; et cela à bien plus forte raison dans la discipline qui est la science de toutes les sciences. Les prophètes sont les semeurs, parce qu’ils ont communiqué beaucoup de vérités sur Dieu, et les moissonneurs sont les Apôtres, eux qui, par leur prédication et leur enseignement, révélèrent aux hommes ce que les prophètes ne leur avaient pas manifesté — Le mystère du Christ (...), en d’autres générations, n’a pas été porté à la connaissance des fils des hommes comme il ci été révélé maintenant à ses saints Apôtres et prophètes dans l’Esprit .

652. Par ces paroles, où Il cite un proverbe, le Christ veut dire : EN CELA, c’est-à-dire en ce fait, SE VERIFIE LA PAROLE, autrement dit se réalise un pro verbe qui était familier aux Juifs : "L’un sème et un autre moissonne." Il semble que ce proverbe ait pour origine un passage du Lévitique : Vous sèmerez en vain votre semence, qui sera dévorée par vos ennemis . A partir de cela les Juifs prirent l’habitude de citer un proverbe de ce genre lorsque quelqu’un avait peiné dans une affaire et qu’un autre en jouissait. Voilà donc ce que dit le Seigneur : "Là où les prophètes ont semé et peiné, vous, vous moissonnez et vous vous réjouissez; le proverbe se vérifie."

Interprétant d’une autre manière, on peut lire : EN CELA SE VERIFIE LA PAROLE, c’est-à-dire celle que je vous dis, qu’AUTRE EST CELUI QUI SEME, AUTRE CELUI QUI MOISSONNE; car vous, vous moissonnez les fruits du labeur des prophètes. Cependant, si les Apôtres et les prophètes diffèrent dans leurs labeurs, ils ne diffèrent pas dans la foi au Christ, car les uns et les autres eurent cette foi et l’enseignèrent — Mais maintenant, sans la Loi, a été manifestée la justice de Dieu, à laquelle rendent témoignage la Loi et les prophètes —, mais ils diffèrent dans leur manière de vivre leur foi; car les prophètes vivaient assujettis aux cérémonies léga les, dont les chrétiens et les Apôtres sont affranchis — Lors que nous étions enfants, nous étions asservis aux éléments du monde; mais quand vint la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils, né d’une femme, né sous la Loi, pour racheter ceux qui étaient sous la Loi, pour que nous recevions l’adoption filiale .

Bien qu’ils aient peiné dans leurs travaux en des temps différents, les Apôtres et les prophètes jouiront néanmoins de la même joie et recevront le même salaire LA VIE ETERNELLE, AFIN QUE SE REJOUISSENT ENSEMBLE CELUI QUI SEME ET CELUI QUI MOISSONNE. Cela fut préfiguré lors de la Transfiguration du Christ où, manifestant sa gloire, Il eut auprès de Lui à la fois les pères de l’Ancien Testament, Moïse et Elie, et ceux du Nouveau, Pierre, Jacques et Jean, donnant ainsi à entendre que dans cette gloire à venir les justes du Nouveau et de l’Ancien Testaments SE REJOUISSENT ENSEMBLE

653. Le Seigneur applique ensuite le proverbe à son propos. Pour cela, Il montre d’abord que les Apôtres sont des moissonneurs , et ensuite qu’autres sont ceux qui ont peiné .

654. Il montre que les Apôtres sont des moissonneurs en disant ceci : "Je dis qu’AUTRE EST CELUI QUI MOISSONNE, car vous, vous êtes les moissonneurs, et AUTRE CELUI QUI SEME, parce que MOI, JE VOUS AI ENVOYES MOISSONNER CE POUR QUOI VOUS, VOUS N’AVEZ PAS PEINE." Il ne dit pas "Je vous enverrai", mais : "JE VOUS AI ENVOYES", car Il les envoya par deux fois. Une première fois, avant sa Passion, Il les envoya vers les Juifs seulement, en leur disant Ne prenez pas le chemin des nations et n’entrez pas dans les villes des Samaritains; mais allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël ; et clans cette mission les Apôtres furent ENVOYES MOISSONNER là où ils n’avaient PAS PEINE, pour convertir les Juifs auprès de qui avaient peiné les prophètes. Mais après sa Résurrection, Il les envoya de nouveau, cette fois aux Gentils, en leur disant : Allez dans le monde entier prêcher l’Evangile à toute créature . Dans cette mission, ils furent envoyés de nouveau, mais cette fois pour semer; c’est pourquoi l’Apôtre disait : J’ai pris soin de prêcher l’Evangile là où n’avait pas été prononcé le nom du Christ, pour ne pas bâtir sur le fondement d’autrui, mais selon qu’il est écrit ceux à qui on ne l’avait pas annoncé verront, et ceux qui n’en avaient pas entendu parler comprendront . C’est donc en référence à la première mission que le Christ dit ici : JE VOUS AI ENVOYES. Ainsi les Apôtres sont les moissonneurs, mais les autres, les prophètes, sont les semeurs.

655. C’est pour cela qu’Il ajoute : D’AUTRES ONT PEINE, en semant les principes de l’enseignement du Christ, ET VOUS, VOUS ETES ENTRES DANS LEURS LABEURS pour en recueillir les fruits — Le fruit des bons labeurs est plein de gloire . Les prophètes ont en effet travaillé pour amener les hommes au Christ — Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi; car C est de moi qu’il a écrit. Et si vous ne croyez pas ses écrits, comment croirez-vous mes paroles? — mais ils n ont pas moissonné eux-mêmes les fruits. Aussi Isaïe disait-il : C’est en vain que j’ai peiné, et sans cause; et c’est vainement que j’ai consumé ma force .
Louis-Claude Fillion
Application du proverbe aux disciples. Jésus « rend l'avenir présent d'une manière prophétique » : du reste, le rôle dont il parle était compris dans leur appel à l'apostolat. - Travaillé : Le verbe grec est très énergique. Il désigne un travail pénible. S. Paul aussi l'emploie pour exprimer les rudes labeurs de l'apostolat, 1 Cor. 15, 10, etc. - D'autres… C'étaient les prophètes, S. Jean-Baptiste, N.-S. Jésus-Christ lui-même durant son ministère public. - Vous êtes entrés dans leurs travaux. Locution élégante et pittoresque, pour dire que, du moins en ce qui concernait l'évangélisation des Juifs, les apôtres n'auraient pas à exécuter les premiers travaux. Avant eux on avait labouré, ensemencé les champs : ils venaient joyeusement faire la moisson.