Jean 5, 1
Après cela, il y eut une fête juive, et Jésus monta à Jérusalem.
Après cela, il y eut une fête juive, et Jésus monta à Jérusalem.
Après cela… C'est la circonstance de temps qui est surtout indiquée par cette première ligne. On a cru
reconnaître une petite nuance dans l'emploi que fait S. Jean des deux formules chronologiques μετα
τοΰτο ( « post hoc », au singulier. Cf. 2, 12; 11, 7, 11 ; 19, 28, etc.) et μετα ταΰτα (au pluriel. Cf. 3, 22;
5, 14; 6, 1 ; 13, 7 ; 19, 38; 21, 1, etc.). La première, qui est plus précise et plus serrée, exprimerait une
relation assez étroite de succession, de dépendance entre les faits; la seconde, plus vague et générale,
n'indiquerait rien de semblable et se bornerait à coordonner les événements. Distinction que nous
croyons exacte au fond, mais qu'il ne faudrait pas trop presser. - Il y avait une fête des Juifs. Maldonat
écrivait avec un brin d’impatience : « Jean nous aurait épargné beaucoup de peine et d'effort, s'il avait
ajouté un seul mot pour préciser de quelle fête des Juifs il s'agissait » (h. l.). Que dirait aujourd'hui ce
grand et vénéré commentateur, si, après avoir lu quelques cents pages de plus sur la question, il la
trouvait plus complexe et plus embrouillée que jamais ? Mais adorons plutôt les desseins mystérieux de
l'Esprit-Saint, qui n'a pas voulu qu'une seule ligne de la quadruple biographie de Jésus fût composée
pour satisfaire notre curiosité. On a pourtant de la peine à retenir un regret; car, de cette date dépend
entièrement la chronologie de la vie publique de Notre-Seigneur, et en même temps la fixation de
l'époque de sa mort. Quoi qu'on fasse, l'on gagne ou l'on perd une année : d'un côté deux ans et demi pour
le ministère public du Messie, de l'autre trois ans et demi. Le dissentiment est, du reste, non moins ancien
que profond ; il existait au temps des premiers Pères, et il n'est pas possible qu'il puisse jamais cesser. Notre
modeste et rapide explication s'occupera tour à tour du texte, des points de repère pour la fixation de la fête,
des opinions. 1°) Le texte prête déjà matière à la discussion, à propos d'un détail minime en apparence, mais
qui, selon divers auteurs, contribuerait grandement à trancher la question dans un sens ou dans l'autre. Il
s'agit de savoir si la leçon primitive du grec était ή έορτή , LA fête, ou simplement έορτή (sans article), UNE
fête. L'article est omis par Origène et par la plupart des manuscrits, notamment par A, B, D ; il existe au
contraire en d'autres documents anciens et importants (les man. א, C, E, L, Δ, etc., et les versions
égyptiennes). Les autorités diverses s'équilibrent à peu près; aussi les meilleurs critiques sont -ils en
désaccord, les uns supprimant l'article, les autres l'insérant au contraire. Il nous semble que les copistes
l'auront plutôt ajouté qu'enlevé, dans l'espoir de faire disparaître l'obscurité du texte. Quelle serait en effet
« la fête » par excellence, sinon la Pâque ? Ainsi raisonnent beaucoup d'auteurs anciens et modernes; ils
allèguent les passages suivants, où les solennités pascales sont désignées par l'expression ή έορτή : Matth.
26, ,5; 27, 15; Luc. 2, 42; Joan. 4, 45; 11, 56; 12, 12. Toutefois, ce raisonnement n'est pas nettement
convaincant à nos yeux, attendu que dans tous les passages cités, le sens des mots ή έορτή est déterminé de la
façon la plus claire par le contexte, qui nomme positivement la Pâque. D'où il résulte que même la présence
de l'article nous apprendrait ici bien peu de chose (le manuscrit V ajoute των άζύμων ; un autre, désigné par
le nombre 131, ajoute ή σκηνοπηγία : interpolations manifestes). 2°) Dans ce que nous appelons les points de
repère il n'y a rien non plus de bien saillant pour dirimer la controverse, puisque les partisans de toute
opinion y sont venus puiser tour à tour quelques unes de leurs preuves contradictoires. Voici du moins les
principaux. a) Le récit de S. Jean signale deux dates fixes, soit avant, soit après notre passage : savoir, la
première Pâque de la vie publique du Sauveur, 2, 23, et le miracle de la multiplication des pains, qui eut lieu
à proximité d'une autre Pâque, 6, 4 (voyez la note critique rattachée à ce second texte). Entre ces deux
Pâques aucune autre fête n'est signalée, sinon notre « fête des Juifs ». b) A la suite de la première de ces
Pâques, Jésus quitta Jérusalem et demeura quelque temps en Judée (3, 12); assez longtemps, d'après
l'ensemble de la narration, pour qu'aient pu se produire les événements qui excitèrent la jalousie des disciples
de Jean-Baptiste et des Pharisiens. c) D'après 4, 45, quand Notre-Seigneur rentra en Galilée, le souvenir des
miracles qu'il avait opérés à Jérusalem pendant la Pâque précédente était encore très vivace chez ceux qui en avaient été témoins : ce qui suppose que l'intervalle mentionné plus haut, tout en ayant une certaine durée,
n'avait pas été très considérable. d) La parole de Jésus, 4, 35, fut vraisemblablement prononcée au mois de
décembre qui suivit la première Pâque. e) 5, 1-6, nous voyons les malades en plein air sous les portiques. f)
Le ministère de S. Jean-Baptiste, qui durait encore au chap. 3, vv. 26 et ss., a maintenant pris fin (Cf. 5, 35).
g) La tournure « il faisait cela le jour du sabbat », 5, 16, par laquelle le narrateur résume le motif de l'hostilité
des Juifs contre Jésus, semble faire allusion aux épisodes réitérés que mentionnent les synoptiques (Cf.
Matth. 12, 1-8; Luc. 6, 6-11, et parall ) : elle supposerait donc aussi un intervalle de temps assez notable
entre 4, 54 et 5, 1. h) D'un autre côté, d'après 6, 2 et s., on voit qu'au moment où Jésus revint à Jérusalem
pour la fête des Tabernacles postérieure à la seconde Pâque directement nommée par S. Jean (6, 4), par
conséquent huit ou neuf mois après cette même Pâque, les pèlerins ont encore très vivante à l'esprit la
mémoire du miracle de Béthesda. Donc, il paraîtrait peu naturel de trop séparer cette fête inconnue et cette
solennité des Tabernacles. Voilà les renseignements que fournit une lecture attentive des premières pages de
S. Jean : n'y trouve-t-on pas aussi un peu le pour et le contre, ainsi que nous l'affirmions ? Ils ont du moins
leur prix, et nous aurons l'occasion d'y revenir plus bas. 3°) Les opinions. Il en existe presque autant que de
solennités religieuses chez les Juifs. Caspari est pour le Yôm Kippour, fête de l'Expiation ou du Grand
Pardon, qu'on solennisait en octobre (voyez sa Chronolog.-géograph. Einleitung in das Leben J.-C., p. 112 et
s.) ; Képler et le P. Pétau pour la Dédicace (décembre) ; Krafft, Ewald, Ebrard, les PP. Patrizi et Curci pour la
fête des Tabernacles (septembre ou octobre) ; Westcott pour la fête dite des Trompettes (nouvelle lune de
septembre), sous prétexte que la double idée de cette solennité, la création et la révélation de la loi,
correspond très bien au discours subséquent de Jésus (vv. 19 et ss) ; S. Jean Chrysostome, S. Cyrille
d'Alexandrie, Théophylacte, Euthymius, Maldonat, Erasme, etc., pour la Pentecôte (vers le mois de mai);
Wieseler, Tholuck, Hug, A. Maier, Bisping, Schegg et un grand nombre d'autres, pour la fête des Purim ; S
Irénée, Théodoret, Eusèbe, Lightfoot, Cornelius a Lap., Luc de Bruges, Calmet, Klee, Neander, Greswell,
Grimm, M. Fouard, le P. Corluy, etc., pour la Pâque; enfin quelques interprètes, et des meilleurs, désespérant
d'arriver même à une simple probabilité, renoncent complètement à rien déterminer. Ce n'est pas ici le lieu de
discuter tous ces systèmes divergents; nous nous bornerons à dire quelques mots des deux principaux, ceux
qui concernent la Pâque et les Purim, car il méritent seuls d'attirer notre attention, les autres étant arbitraires
pour la plupart ou ne pouvant concorder avec l'ensemble du récit. Cette dernière remarque s'applique à la
Pentecôte, qui n'était distante de la Pâque que de cinquante jours; or il est impossible de placer dans un
intervalle si restreint tous les événements racontés dans les chap. 3 et 4 (voyez ci-dessus les notes b, g). - La
fête des Purim (ימיהפורים ), ou des Sorts, avait été instituée par les Juifs en reconnaissance de la manière
providentielle dont ils avaient échappé aux projets sanguinaires d'Aman. Cf. Esth. 3, 7; 9, 24, etc. Elle avait
lieu en mars, peu de semaines avant les solennités pascales. Sans doute, il n'était pas nécessaire de venir la
célébrer à Jérusalem, pas plus que la Dédicace; mais elle avait alors chez les Juifs une très grande importance
et jouissait d'une extrême popularité (Cf. Joseph., Ant. 11, 6, 13). Comme elle avait un caractère
exclusivement israélite, S Jean la supposait à bon droit inconnue de ses lecteurs - c'est pourquoi elle est la
seule fête qu'il ne désigne point nommément ; c'est pour le même motif que les anciens écrivains
ecclésiastiques n'ont jamais pensé à elle, tandis que les commentateurs les plus récents, mieux au courant des
usages judaïques, se sont fréquemment décidés en sa faveur. Il nous plairait vivement que ce sentiment fût
certain, car la fête des Purim cadrerait au mieux avec les données chronologiques dont nous avons donné
précédemment le résumé. Placée à dix ou onze mois de la première Pâque (avril à mars), elle laisse tout le
temps nécessaire pour les faits racontés depuis cette époque; séparée par quelques semaines seulement de la
seconde Pâque (6, 4 et ss.), et par quelques mois de la fête des Tabernacles de la même année (7, 2 et ss.),
elle s'harmonise très bien aussi avec les événements subséquents, lesquels, disions-nous, ne semblent pas
supposer un long intervalle. Voyez la savante dissertation de Wieseler, Chronologische Synopse der
Evangelien, p.205 et ss. On a objecté, il est vrai, le mode souvent assez profane de sa célébration; mais il est
possible que les extravagances relatées à ce sujet dans le Talmud fussent de date plus récente : au reste, cela
n'a rien de commun avec le voyage de N.-S. Jésus-Christ et avec son apparition dans le temple. - Une
objection distincte de celle-là nous paraît beaucoup plus grave, si grave qu’elle suffit pour entraîner notre
adhésion d'un autre côté : c'est le sentiment de S. Irénée, le plus ancien des Pères qui se soit occupé de cette
question. Pour lui, il n'hésite pas à dire, que l' ἑορτὴ τῶν Ίουδαίων était la Pâque. « Après quoi il monta une
deuxième fois à Jérusalem pour la fête de la Pâque, et c'est alors qu'il guérit le paralytique qui gisait aux
abords de là piscine depuis trente-huit ans, en lui ordonnant de se lever, de prendre son grabat et de s'en
aller », écrit-il, Contr. Hær. 2; 22. Cf. Theodoret, Comment. in Dan. 9. S'il s'est trompé sur l'ensemble de la
vie publique de Notre-Seigneur en l'allongeant outre mesure, l'erreur était plus difficile sur un détail
particulier, dont la tradition devait avoir mieux conservé le souvenir, et qui se rattachait à un texte
évangélique. Nous ne nions pas que cette solution ne laisse de sérieuses difficultés. Par exemple, S. Jean, qui
nomme si exactement et si nettement les autres Pâques (Cf. 2, 13; 6, 4 ; 11, 55), et même les autres fêtes
moins importantes (7, 2 ; 10, 22), aura laissé cette solennité dans le vague; sans qu'on puisse expliquer
pourquoi. En outre, il mentionnerait deux Pâques coup sur coup, ici et 6, 4, et laisserait pour ainsi dire en blanc toute une année du ministère messianique de Jésus. Mais, sur ce second point, nous pouvons répondre
que S. Jean suppose dans ses lecteurs la connaissance des trois premiers évangiles, où l'on trouve assez de
faits à intercaler entre ces deux Pâques. Voyez notre Synopsis evangelica, p. 24 et ss. D'ailleurs, nous ne
parlons que d'une plus grande probabilité, puisque une décision certaine est et demeurera toujours
impossible. Cf. Grimm, Die Einheit der vier Evangelien, 1868, p. 34-87. - Jésus monta à Jérusalem. On ne
saurait dire si Jésus vint seul ou accompagné de ses disciples, deux opinions qui ont été tour à tour soutenues.
Nous avons eu occasion de le dire, ces voyages de Notre-Seigneur à Jérusalem ont une importance capitale
dans le quatrième évangile, où ils sont mis en relief avec une intention visible. C'est que la capitale juive fut
le centre où se forma l'opposition au rôle messianique de Jésus, et qu'à chacun des séjours qu'y fit le divin
Maître, elle alla toujours développant sa résistance contre lui. Chaque voyage du Sauveur à Jérusalem
prépara donc la catastrophe finale, et marqua « un degré nouveau dans l'endurcissement des Juifs », comme
aussi un nouveau degré dans la manifestation de sa propre mission et de sa divinité. On comprend, d'après
cela, que ces voyages soient devenus le fil historique auquel S. Jean a rattaché son récit de la vie publique tel
qu'il l'avait conçu.
La fête des Juifs ; c’est-à-dire la fête de Pâque (saint Irénée). Voir Jean, 4, 45. Jésus va à la fête pour ne pas se montrer opposé à la Loi et encourager la multitude qui accourait de toutes parts (saint Chrysostome).