Jean 5, 3
sous lesquelles étaient couchés une foule de malades, aveugles, boiteux et impotents. [ 3b- 4]
sous lesquelles étaient couchés une foule de malades, aveugles, boiteux et impotents. [ 3b- 4]
Sous ces
portiques... Nous passons maintenant aux circonstances de personnes. - Le verbe jacebat ( κατέκειτο,
l'imparfait de l'habitude et de la durée) et les mots suivants forment un petit tableau tout à fait pittoresque,
que le pinceau de Murillo a si bien reproduit. Voyez aussi la description d'anciennes peintures, sculptures, ou
mosaïques représentant ce miracle, dans Rohault de Fleury, L’Évangile, Etudes iconograph. et archéologiq.,
t. 2, p.273 et s.,et dans Grimouard de S. Laurent, Guide de l'Art chrétien, t. 4, p. 227 et s. On a aussi de beaux
tableaux de Carrache, de Jean Restout et d'Overbeck. Même de nos jours on peut assister en Palestine à des
scènes analogues, notamment aux thermes d'Ibrahim près de Tibériade. « La salle où se trouve la source est
entourée de plusieurs portiques, sous lesquels nous voyons une foule de gens entassés les uns sur les autres,
couchés sur des grabats ou roulés dans des couvertures, avec de lamentables expressions de misère et de
souffrance... La piscine est en marbre blanc, de forme circulaire et couverte d'une coupole soutenue par des
colonnes ; le bassin est entouré intérieurement d'un gradin où l'on peut s'asseoir ». F. Bovet, Voyage en Terre
Sainte, 3e édit., p. 376. Comp. Tristram, The Land of Israel, p. 426. - Un grand nombre. L'adjectif πολύ
(nombreux) est omis par les mss. א, B, C. D, L et plusieurs versions; aussi les critiques les plus récents le
rejettent-ils comme une interpolation. - De malades ( των άσθενούντων) : terme général, qui est ensuite
expliqué, développé par les trois expressions suivantes, lesquelles désignent des espèces particulières
d'infirmités. La présence de l'article devant ce premier mot seul rend du moins ce sentiment très probable. -
De boîteux (κωλών) : ceux qui ont les jambes estropiées, les boîteux. - De paralytiques ( ξηρών )
Littéralement : les amaigris, c'est-à-dire les perclus et les paralytiques. Cf. Matth. 12, 10 ; Luc. 6, 6, 8. - Qui
attendaient... Tout ce passage manque dans les manuscrits les plus anciens (א, A, B, C), dans les versions
égyptiennes et syriennes, dans le manuscrit latin q, etc. ; on les trouve partout ailleurs (voir la note critique
du verset suivant).
L'évangéliste explique ce qu'il faut entendre par le « mouvement des
eaux » qu'attendaient si impatiemment les malades rassemblés autour de la piscine. Mais quelles difficultés
n'a pas suscitées son récit, qui paraît si simple au premier regard! Difficultés soit au point de vue du texte,
soit sous le rapport de l'interprétation. - 1° Le texte est-il authentique, ou bien n'avons-nous ici, selon le mot
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de Meyer, qu'une «interpolation légendaire» ? Le verset entier a été omis par les manuscrits א, B, D, q, et par
les versions de Memphis et de Thèbes; il est marqué de l'obèle ou de l'astérisque, signe du doute ou du
caractère apocryphe, en d'autres documents assez nombreux. Là où on le cite intégralement, il apparaît avec
des variantes notables. Ces divers faits ont été cause que les éditeurs contemporains du Nouveau Testament
grec les plus en renom, entre autres Alford, Tregelles, Tischendorf, MM. Westcott et Hort, l'ont éliminé
comme une glose marginale insérée à tort dans le texte. « Cependant, allons-nous répondre en empruntant les
paroles d'un exégète très ordinairement hostile à S. Jean, il y a aussi des arguments à faire valoir dans le sens
opposé... II faut voir si l'ensemble du texte demande que les phrases suspectes (le v. 4 et les derniers mots du
v. 3) y soient comprises, ou si l'on peut les omettre sans déranger le reste. Or, on voit plus loin (v. 7) que
l'auteur parle de l'agitation de l'eau comme d'une chose connue de ses lecteurs ; il met dans la bouche du
malade des paroles qui supposent que le lecteur sait déjà de quelle condition toute exceptionnelle dépendait
la guérison. Nous demanderons donc si l'auteur, qui ailleurs explique à ses lecteurs des détails que tous les
Juifs pouvaient savoir, et cela par la simple raison qu'il n'écrivait pas pour les Juifs, si l'auteur, disons -nous, a
pu supposer que des étrangers connaissaient la nature particulière de la source de Béthesda, si différente
pourtant, par les phénomènes qu'elle présentait, de toutes les autres qui servaient alors à des bains
hygiéniques ? Évidemment non ! Il a dû donner des explications préalables, et le v. 7 reste inintelligible si
l'on efface le 4e et la moitié du 3e. Nous admettons donc que le retranchement s'est fait après coup ». Reuss,
La Théologie johannique, p.167. On ne saurait mieux raisonner « a priori » et d'après les motifs intrinsèques.
Mais ce n'est pas tout : aux documents qui omettent ce texte, nous en pouvons opposer d'autres, plus
nombreux encore, non moins anciens et non moins importants, qui le connaissent ; par exemple, Tertullien
(De Baptism. c. 5) et tous les Pères, les manuscrits A, L, et la plupart des autres, grecs ou latins, la version
italique, la Vulgate, dont personne aujourd’hui ne méconnaît l'autorité, la première traduction syrienne, etc.,
etc. Notre passage remonte donc au moins au second siècle, et, dans les temps anciens comme de nos jours,
c'est la difficulté d'interprétation qui a occasionné sa suppression. - 2° Et cette autre difficulté, d'où
provient-elle à son tour? Du fait extraordinaire, ou plutôt du grand miracle raconté au v.4. Exposons en effet
le sens littéral des mots. Au lieu de car l'ange le grec porte γάρ (car), ce qui vaut mieux, puisque c'est une
explication que l'historien se propose de donner. Il faut traduire par « un ange », car il n'y a pas d'article ; du
Seigneur n'existe nulle part dans le texte primitif. - Descendait de temps en temps : mieux, en temps
opportun ou à son heure (κατά καιρόν). Jointe à l'imparfait, cette formule désigne évidemment un
phénomène qui se renouvelait de temps à autre; par suite, une coutume, sans qu'il soit possible néanmoins de
préciser la fréquence des « descentes » bienfaisantes de l'ange, non plus que l'origine du prodige. Rien
n'indique dans le texte que le divin messager se manifestât souvent (quelques Pères restreignent ce fait aux
grandes solennités) ou visiblement. Pour ce qui est du second point, il est beaucoup plus probable que l'ange
demeurait invisible, sa présence n'étant signalée que par l'agitation des eaux (et agitait l'eau). - Et ( ούν en
conséquence) celui qui descendait le premier… Le narrateur appuie évidemment sur cette circonstance, ό ούν
πρώτοσ, pour montrer qu'à chaque fois la vertu miraculeuse des eaux ne s'étendait qu'à un seul malade, celui
qui réussissait à se jeter le premier dans la piscine. - Était guéri, quelque fût sa maladie. Rien de plus net
encore : quelle que fût la maladie, le résultat était infaillible, immédiat. Voilà bien le sens naturel des
expressions ; nous ne l'avons ni affaibli ni exagéré : or, chacun voit que, d'après cette interprétation très
simple, l'évangéliste raconte un grand miracle, ainsi qu'il a été dit plus haut. La tradition chrétienne a
d'ailleurs ainsi compris la narration, et c'est avec peine que nous aurons à mentionner plus bas les hésitations
et les commentaires embarrassés de plusieurs interprètes catholiques contemporains. - Quant aux
rationalistes, ils nient carrément le prodige, suivis en cela par un grand nombre d'exégètes protestants, et ils
échafaudent sur quelques données de l'antiquité tout un système d'explication, d'après lequel les choses se
seraient passées de la façon la plus vulgaire et la plus naturelle. D'abord on nous cite l' « Onomasticon »
d'Eusèbe, où cet auteur dit en propres termes que la piscine de Béthesda avait par moments des eaux
merveilleusement rouges ( παραδοξως πεφοινιγμενον δείκνυσι το ύδωρ ; « les eaux étaient extrêmement
rouges, comme si on y avait mêlé du sang », comme traduit S. Jérôme). On nous cite encore les vers suivants
de Prudence, Apotheosis, 680 et ss., auxquels nous avons fait allusion plus haut (note du v. 2) :
« Les eaux de Siloe coulent irrégulièrement ; le courant n'est pas continu, mais la piscine reçoit par
intervalles de grandes quantités d'eau. Des groupes de malades attendant l'apparition de l'eau, dans l'espoir
de laver leurs taches corporelles dans sa pureté. Ils attendent impatiemment le grondement qui annonce
l'arrivée de l'eau, en restant assis sur le bord sec de la piscine »
Donc Béthesda ou Siloé était une source minérale et gazeuse, à jets intermittents, qui produisait ses effets les
plus prompts et les plus sûrs au moment de chaque ébullition temporaire, et dont la vertu curative diminuait
ensuite. « C'est ainsi, par exemple, dit le grave Tholuck lui-même, qu'il existe à Kissingen une fontaine
gazeuse qui, après une agitation préalable, se met à couler chaque jour à peu près aux mêmes heures, et qui
est surtout efficace quand a lieu l'échappement gazeux » (Comm. in h. l.). Mais le peuple tenait ces
phénomènes pour miraculeux, et S. Jean aura purement et simplement accommodé son récit à cette interprétation populaire. D'une façon analogue, ajoute-t-on pour conclure, les grossiers habitants du village
de Siloam attribuent les mouvements irréguliers de la fontaine de la Vierge à un dragon, qui tantôt retient,
tantôt laisse couler les eaux. - Nous répondrons à ces différentes objections en rappelant les lignes si claires
de l'évangéliste, qui, à la façon dont il expose le fait, en prend pour ainsi dire la responsabilité personnelle et
exclut toute interprétation naturelle. Un seul malade est guéri, celui qui descend le premier dans le réservoir
après chaque ébullition, et n'importe quel genre d'infirmité trouve un soulagement complet, immédiat : qu'on
trouve à Jérusalem ou à Kissingen des sources ferrugineuses et gazeuses capables de pareils effets! La
couleur rouge dont parle Eusèbe n'y fait absolument rien; quant à la description de Prudence, elle abonde en
hyperboles, et n'a rien de commun avec le récit sobre et prosaïque de S. Jean. - Entre ceux qui admettent
franchement le miracle et ceux qui le rejettent franchement aussi, nous trouvons depuis quelques années une
opinion mixte, qui a pour principaux adhérents le Dr Olshausen, protestant plongé dans le mysticisme, et
plusieurs commentateurs catholiques, tels que MM. Bisping, A. Maier, tous les deux assez larges parfois, et
même M. Schegg, si savant et d'ordinaire si solide. Suivant eux, ce n'est pas un miracle proprement dit qui
est relaté au v. 4. L'écrivain sacré ne veut pas exprimer autre chose qu’un événement naturel, résultats des
propriétés minérales et gazeuses de la piscine; seulement, il s'exprime à la façon des Juifs (et plus tard des
chrétiens), d'après lesquels une origine supérieure, un ange délégué par Dieu, existe à la base de tout
phénomène sensible. A ce propos on mentionne de beaux passages des Saints Pères. « Toute chose visible en
ce monde est sous la garde de quelque puissance angélique », S. Augustin, lib. 83 questions. c. 79. « Il existe
neuf ordres d’anges... Les anges qui réalisent des choses admirables et opèrent des miracles d’une grande
puissance appartiennent à l'ordre des Vertus », S. Greg. Hom. 34 in Evang. Ici encore la réponse est facile.
Vous dites trop et vous ne dites pas assez : trop, car vous faites aux rationalistes une concession inutile ; pas
assez, attendu que le texte demande davantage, un vrai miracle.